Mission : Quelques emplettes

20 novembre 1166 :

J’ai enfin pu récupérer de la fatigue accumulée lors voyage entre Sombrebois et Marbrume et je suis à nouveau en pleine forme. Petit à petit, je sens mon corps qui s’habitue à dormir à peine pendant quelques jours et je suis sûr qu’un jour, je n’aurais plus à dormir pendant une journée entière pour me remettre de la tension induite par cette traversée dangereuse.

Je n’aspire désormais qu’à un peu de calme et c’est pourquoi je suis à la chope sucrée, en train de tranquillement manger un bon repas. J’ai de la chance en plus et je me régale littéralement, car je ne sais pas comment les propriétaires des lieux ont réussi à obtenir de la viande, ce qui est un véritable miracle.

Il s’agit de côtes de bœuf, cuite à la perfection, et même si c’est cher, cela vaut largement le coup. En tout cas, c’est servi avec des légumes et je savoure chaque bouchée, en dessert, il y a du massepain que j’apprécie beaucoup également, ce qui fait de moi le plus heureux des hommes.

Une fois mon assiette entièrement vide, je fais signe à la serveuse, une blonde avec des yeux bleus, d'un physique avenant et je lui indique :

Je vais vous prendre un bon verre de vin pour passer tout cela.

Elle hoche la tête et revient très vite avec un breuvage de bonne qualité. Puis elle me regarde avec insistance et je comprends très vite ce qu’elle veut, être payé, ce qui est bien normal. Je prends donc ma bourse attachée à ma ceinture, mais dès que je la soulève, je sens quelque chose d’anormal, elle est beaucoup trop légère !

Je l’inspecte et je découvre bientôt la sinistre vérité, un petit trou au fond, fais sans doute par un couteau ou une dague, on a osé me voler ! Je n’en reviens pas, le monde est devenu si pourri qu’un noble ne peut plus marcher sans se faire dépouiller par des va-nu-pieds ? C’est vraiment incroyable, que fais la milice ?

Mais je suis maintenant en difficulté, n’ayant pas de quoi payé mon repas. Je vois la jeune femme continuer à me fixer et comprenant la situation m’indique :

Je vous sens en difficulté, et je vous propose que l’on s’aide mutuellement.Je vous paye votre repas, en échange de certaines de mes affaires qui sont restés dans mon ancienne maison. Celle-ci se trouve dans les Faubourgs, si vous me ramenez mon ruban de mariage, mon alliance, une boite en bois gravé aux symboles de la Trinité et une robe blanche sans manche, nous serons quitte, est-ce que cela vous convient ?

J’ai l’impression qu’elle me prend pour un coursier ! Mais je n’ai pas vraiment le choix et je lui indique donc, de mauvaise grâce :

C’est d’accord.

Mon interlocutrice a bien dû sentir que ce n’est pas volontiers que je l’aide et elle demande donc à la table d’à côté :

Il vaut mieux y aller à deux, la zone n’est pas sûre, accepterez-vous de l’accompagner ?

De mieux en mieux, maintenant, on me prend pour un voleur ! Ce manque de confiance m’aurais fait beaucoup de peine à mon petit cœur, mais comme elle n’a pas entièrement tort, car on vient quand même de me voler, c’est bien la preuve qu’il existe des gens malhonnêtes dans le monde.

Il vaut mieux y aller à deux, la zone n’est pas sûre, accepterez-vous de l’accompagner? Je mets un moment à comprendre que l'on s'adresse à moi, toute occupée que je suis à terminer ma boisson, offerte en guise de paix à l'idiot de milicien qui a brisé mon alliance quelques jours plus tôt.

« Moi? », demandé-je à la serveuse qui, réalisant que je n'écoutais pas la conversation, répète sa demande.

Je fixe la jeune femme, perplexe, puis pose mon regard sur le type qu'elle me demande d'accompagner. Je retiens à peine un soupir exaspéré en voyant qu'il s'agit de nul autre que le chevalier que j'ai eu dans les pattes le mois dernier. Est-il donc incapable de rester tranquille, celui-là? Et n'a-t-il pas d'autres miliciens à embêter avec ses histoires que moi?

Comme je tarde à répondre, la serveuse ajoute :

« Je vous offrirai aussi un repas. »

Elle a le regard suppliant, et je comprends qu'elle cherche à la fois à éviter de s'attirer les foudres du géant, à saisir une occasion de récupérer ses affaires et à s'assurer que le noble tient parole. Elle est plutôt futée, au final.

Je grommelle vaguement, puis acquiesce pour accepter la proposition. Un repas, ce n'est pas rien, et je ne vais pas cracher sur l'offre. Récupérer deux ou trois objets dans les Faubourgs ne devrait pas prendre une éternité. Et heureusement, car je ne rêve pas spécialement de passer des heures avec ce type.

Après avoir donné quelques indications sur la route à suivre pour atteindre son ancienne demeure, la serveuse s'éloigne pour s'occuper d'autres clients. Pour ma part, je me lève et m'approche du chevalier.

« Desmond de Rochemont, chevalier du roi, mais roi des emmerdes, lâché-je en le regardant, les bras croisés. Quand tu les provoques pas, tu les attires, visiblement. »

Sans m'embarrasser du protocole, je lui fais signe de se lever et de me suivre. Contrairement à lui, qui semble passer plus de temps à la taverne qu'ailleurs si je me fie à nos rencontres, je n'ai pas toute la journée.

« Tu sais comment te rendre là-bas? demandé-je tandis que nous débouchons sur la rue. Je connais pas les Faubourgs. »

Je commence à peine à connaître Marbrume, alors je n'ai pas tenté de m'aventurer dans les Faubourgs. Ce sera une première fois pour moi. Ce n'est donc pas si mal que ce soit pour une mission simple comme celle d'entrer dans une maison et de chercher les possessions de cette femme.

« Et pas de conneries, tu m'entends? Je suis pas d'humeur à gérer tes humeurs. »

J'arque le sourcil pour appuyer mes dires. En gros, s'il peut éviter de taper sur tout ce qui bouge parce que quelqu'un a pété à un endroit où Rougelac a respiré il y a trois ans, ça m'arrangerait.

Je me tourne vers la personne que la serveuse aborde si cavalièrement et il me semble reconnaître ce visage, mais ce n’est que lorsqu’elle s’approche de moi, que je la reconnais, la milicienne qui m’avait empêché de me venger et à qui j’ai sauvé la mise ! J’ai juste complètement oublié son nom ! Mais elle semble se souvenir de moi, car elle me parle de façon bien familière, me tutoyant même.

Elle me fait signe de la suivre, et après quelques moments d’hésitation, je l’accompagne dehors. C’est dans la rue qu’elle me demande le chemin, ne connaissant même pas la cité avant de me mettre en garde, comme si j’étais un aimant à problème ! Je croise les bras sur ma poitrine, le tissu de ma chemise gonflé à bloc à cause de mes pectoraux et je lui dis gentiment :

Alors premièrement, je ne me souviens pas de ton nom, mais après tout ce que l’on a vécu ensemble, se tutoyer est une bonne idée.

Oui, je me moque d’elle, mais je n’ai pas terminé :

Tu bosses dans la milice depuis quelque temps et en plus, même si tu es arrivé avec les derniers réfugiés avant l’arrivée de la Fange, tu aurais dû te renseigner. Ce n’est pas très professionnel de ta part.

Et voilà, j’espère l’avoir bien mouché et c’est donc avec un grand sourire que je lui indique :
Mais ce n’est pas bien grave, je vais te montrer la route, plus vite nous aurons récupéré les objets, plus vite j’effacerai mon ardoise.

D’ailleurs, je vais devoir signaler la perte de mon argent au poste, car pendant que les miliciens mangent, les voleurs courent toujours. Mais je suppose que ce n’est pas le problème de la jeune femme qui m’accompagne, car elle ne pense qu’à manger davantage. Nous croisons de nombreuses personnes à qui je dis bonjour, mais malgré les sollicitations, je ne m’arrête pas, me contentant d’un simple :

Désolé, je suis pressé !

Nous arrivons ainsi relativement, rapidement aux portes du Crépuscule et il y a une petite queue pour sortir de la capitale, j’en profite donc pour donner quelques consignes à mon acolyte non désiré :

Tu as dû passer par ici lors de ton entrée en ville, mais les choses ont bien changé depuis, il peut y avoir un fangeux derrière chaque recoin et on n’est jamais sûr si les lieux sont sécurisé ou pas. De plus, nous allons entrer dans une maison abandonnée, ce qui multiplie les risques.

Je la regarde droit dans les yeux, pour être bien sûr de me faire comprendre :

Je ne sais pas si tu as déjà vu un Fangeux, mais tu le reconnaîtras facilement. Surtout, ne joue pas les héros et fuis en direction des remparts le plus rapidement que tu peux, sans te retourner.

Je m’arrête quelques secondes pour que mes mots aient le temps de pénétrer son esprit avant de conclure :

Je ne tiens pas à ce que tu sois mordu, je ne souhaite cela à personne, alors essayant de revenir indemne de notre expédition, tu es d’accord ?

J’attends sa réponse avant de continuer, car nous allons quitter le cocon de la dernière capitale de l’humanité et le danger rôde.

Le chevalier a à peine commencé à parler que je soupire longuement, sans prendre la peine d'essayer de masquer mon agacement. Il dit ne pas se rappeler mon nom, et ce n'est pas sans raison : je ne lui ai jamais dit. Il accepte que se l'on tutoie après tout ce qu'on a vécu ensemble et lève les yeux au ciel, puis hausse les épaules. Tu, Vous, quelle différence cela peut-il bien faire? Un idiot, même vouvoyé, reste un idiot.

Je l'écoute d'une oreille tandis qu'il se plaint de mon manque de professionnalisme, mas accepte tout de même de me montrer la route jusqu'à cette demeure perdue quelque part dans les Faubourgs.

« Quelle bonté d'âme, ô Monseigneur, lancé-je en guise de réponse, sarcastique, mettant bien l'accent sur le Monseigneur. C'est un privilège de vous aider à rembourser vos dettes de taverne. »

Je poursuis ma route sans rien ajouter, laissant le chevalier jouer au noble tandis que nous avançons. S'il ne perd aucune occasion de saluer ses connaissances, je me fais pour ma part invisible, n'adressant qu'un ou deux mouvements de tête à des collègues pour indiquer que tout est sous contrôle.

Bien vite, les portes du Crépuscule se dessinent devant nous et, à mon grand désespoir, le chevalier reprend la parole. Pendant qu'il m'explique avec le plus grand sérieux du monde toutes ces choses que je sais déjà, je le fixe droit dans les yeux. Ai-je déjà vu un Fangeux? Suis-je en mesure de connaître les risques de m'aventurer dans une maison abandonnée hors des fortifications de la ville? Suis-je d'accord pour revenir indemne de cette expédition? Je regarde mon interlocuteur et accueille sa question avec un bref silence éloquent.

« Si tu continues à me balancer des évidences comme ça, je suis pas sûre de vouloir qu'on revienne tous les deux indemnes. »

Sans plus attendre, je passe les portes et je me mets en marche, suivant la direction empruntée par mon compagnon de route. Je ne connais pas le chemin exact, mais j'avance malgré tout sans crainte. Qu'est-ce qu'une balade dans les Faubourgs après deux ans à survivre en mer et sur terre, avec pour monstres les Fangeux, les Hommes et la mort? Je remets mon destin entre les mains des Quatre. Ils décideront de mon sort.

Je jette un coup d'œil au ciel et acquiesce pour moi-même. Le temps est partiellement ennuagé, mais j'estime que nous ne risquons pas d'être pris par la pluie et nous trouver en mauvaise posture. Tant mieux. Il ne manquerait plus que de devoir jouer à cache-Fangeux en devant traîner ce type avec moi.

Aux aguets, j'avance d'un bon pas sur les chemins de terre battue. Lorsque nous croisons des villageois, ceux-ci nous regardent à peine, visiblement habitués à la présence de la milice et trop occupés à accomplir leurs tâches avant la tombée de la nuit.

« Elle a parlé d'une maison près d'un puits avec une porte rouge qui a vu de meilleurs jours », dis-je après un moment, cherchant du regard la demeure.

Après quelques minutes à parcourir des chemins parfois dissimulés par les mauvaises herbes, j'aperçois un puits et une maison qui, il fut un temps, devait avoir une porte rouge. Le problème est que la porte a été à moitié détruite à défaut d'être forcée. Je regarde le chevalier.

« J'imagine que c'est là qu'on demande gentiment aux dieux de faire en sorte que les voleurs qui sont arrivés avant nous aient pas piqué ce qu'on cherche. »

Finalement, cette garde a une bonne éducation, car elle emploie mon titre, même si elle ne me donne toujours pas son nom. Je vais donc l’appeler la Milicienne, ce sera très bien comme cela. Mais finalement, elle reprend ses mauvaises habitudes devant les portes de Marbrume, et je ne réponds même pas à ses paroles blessantes.
Nous marchons donc en silence dans les faubourgs, je fais particulièrement attention à mon environnement, et comme d’habitude, je suis accueilli par des essaims de mouches, sans compter la puanteur qui se dégage des anciennes tanneries et des abattoirs. Les quelques rares occupants des lieux sont aussi pressés que nous et je les ignore complètement.

Au bout d’un certain moment, elle réussit à trouver enfin la demeure et m’indique que des voleurs ont dû passer avant nous. Pour ma part, j’observe les lieux pendant quelques secondes et je lui réponds :

Tu sais Milicienne, il y a un dicton, qui dit aide-toi et les Trois t’aideront, je vais donc entrer.

Je m’arrête quelques secondes pour l’observer et je lui dis :

Je ne crains guère les voleurs, mais plus un fangeux qui pourrait avoir fait de cette bâtisse son terrier, je vais donc passer en premier, étant le mieux protégé. Je compte sur toi pour garder mes arrières et n’oublie pas, si une goule est présente, on se barre d’ici le plus vite possible !

J’ai l’impression de rabâcher encore et encore la même chose, mais j’ai été littéralement traumatisé par leur attaque il y a des années sur mon domaine qui a disparu en l’espace d’une seule nuit. Alors maintenant, je fais tout pour éviter la moindre confrontation, n’ayant aucune envie de me transformer en bête.

J’attends donc la réponse de la jeune femme, avant de dégainer mon impressionnante épée à deux mains. Je regrette qu’Alban le forgeron n’ai pas encore fini ma nouvelle arme, car c’est justement pour ce genre d’occasion que j’ai voulu la commander. Mais ce n’est pas bien grave, celle que j’ai en main fera très bien l’affaire et j’avance prudemment vers la maison dont j’ouvre la porte, ou plutôt le battant me reste dans la main et je le dépose par terre avant de continuer.

Il me semble apercevoir un mouvement dans l’obscurité, tous les volets étant fermés, on n’y voit pas à cinq mètres et je dis donc d’une voix que certains considère comme très intimidante :

Sortez de là, ou je vous coupe en deux !

Tendu comme je suis, ce ne sont pas des paroles en l’air et ce ne sera pas la première que je provoque un « accident » où des gens meurt, parce que je suis allé trop vite et qu’ils ont perdu un bras ou une jambe. Comme aurait dit mon père, c’est la vie, les accidents bêtes ça arrive, l’important, c’est que cela arrive aux autres.

Le chevalier propose d'entrer le premier dans la maison et me demande de surveiller ses arrières. D'un geste de la main, je lui fais signe d'y aller, n'ayant rien contre ce plan. Il est effectivement mieux protégé que moi et, même si je ne l'admettrai pas, il sait aussi mieux se battre que moi. Il faut dire qu'avec mon niveau, il s'agit d'un exploit plutôt facile à accomplir. J'améliore mes compétences chaque jour, mais je ne manie pas l'épée comme une vraie combattante. Pas encore.

Tout en parcourant les alentours des yeux, je suis le noble et finis par me poster à l'extérieur de la demeure. Lame tirée, je garde une oreille attentive à ce qui se passe dans la maison. Quelques secondes se sont écoulées lorsque j'entends le chevalier ordonner à quelqu'un de sortir de sa cachette.

« Me faites pas d'mal, j'vous en prie! », s'exclame une voix d'homme enrouée.

Comme la confiance que j'ai en la capacité de Desmond à se montrer raisonnable flirte dangereusement avec le zéro, je m'approche et m'immobilise dans le cadre de porte. Un homme d'un certain âge émerge alors de la noirceur, les mains devant lui. N'y voyant pas grand-chose, je plisse les yeux, puis finit par entrer et par ouvrir un volet d'un coup de coude. Avec cette lumière, je constate que l'homme est dans un sale état. Il a dû essayer de se défendre ou de se battre. Et il n'a pas gagné, à en juger par son visage boursouflé.

« Qu'est-ce que tu fous ici? », demandé-je sans autre forme de cérémonie.
L'inconnu fixe Desmond avec inquiétude, puis pose finalement son regard sur moi.

« Y'avait personne dans la maison, alors j'suis entré pour m'cacher des Fangeux parce que j'ai été pris par la pluie et la nuit tombait, en plus... J'me suis endormi et le lendemain matin, trois types ont envahi la place et ont commencé à fouiller pour piquer des trucs! Quand y m'ont vu, y m'ont sauté d'sus!

- Ils ont volé des trucs?

- Quelques-uns, j'pense... Y'ont vu la milice arriver au loin et y se sont dépêchés à partir... Y ressemblaient à des gamins du coin... Des adolescents qui essaient d'vendre des babioles à Marbrume, sûrement. Moi, j'suis resté ici parce que j'ai mal et j'ose pas bouger, j'pense qu'y m'ont cassé que'que chose ces types. Ça doit faire deux jours que j'suis là. J'habite plus loin dans les Faubourgs, ma fille doit s'faire un sang d'encre. »

J'acquiesce lentement. Vu l'état dans lequel l'homme se trouve, j'ai tendance à lui laisser le bénéfice du doute.

« On va vérifier deux ou trois trucs ici et on va vous ramener chez vous », décidé-je, sans vraiment m'attendre à ce que le chevalier me file un coup de main pour cette partie du plan.

Je pivote d'ailleurs vers Desmond et lui indique :

« Jette un premier coup d'œil pendant que je monte la garde, je passerai derrière toi pour être sûre que t'as rien raté. Si on trouve pas tout, soit on essaie de retracer ces gamins, soit tu essaies de prendre un autre arrangement pour payer ta note. »

Mon intimidation fonctionne, car un homme apparaît, que je peux facilement distinguer grâce à la présence d’esprit de la garde qui fait rentrer un peu de lumière. J’aurais dû le faire quand je suis rentré, cela aura pu mettre à mal un éventuel fangeux, car ces derniers n’aiment pas la lumière du jour, du moins on les voit plus rarement en journée.

C’est la jeune femme qui interroge le blessé, pendant que je reste sur mes gardes au cas où un autre malandrin nous saute dessus. J’apprends ainsi qu’il s’agit d’un squatteur, et qu’il s’est fait tabasser par des adolescents, sûrement prépubères. La jeunesse d’aujourd’hui n’est pas celle d’avant, car de mon temps, on l’aurait torturé pour s’amuser alors qu’il n’a reçu que quelques coups.

Mais le plus embêtant dans tout cela, c’est que les jeunes ont également pillé cette bâtisse et lorsqu’elle me demande de faire une première fouille, je suis assez dubitatif sur le résultat final. Pourtant, il n’y a que ça à faire et je lui indique :

Je m’en occupe.

Je fais le tour des lieux et effectivement, tout est sans dessus-dessous, pourtant, je trouve facilement deux des objets sur les quatre, soit la robe et le ruban, qui n’ont guère dû intéresser les voleurs. Malheureusement, il manque les deux objets de valeurs, soit l’alliance et la boite en bois. C’est donc à moitié content de moi, que je m’adresse à la Garde :

J’ai trouvé une partie de ce que l’on était venu chercher, mais il en manque.

Je lui montre ce que j’ai trouvé et je lui demande :

Tu préfères les garder ou je m’en occupe ?

J’attends sa réponse, avant d’enchaîner :

Je te laisse donc chercher à ton tour, je reste avec le blessé, nous pourrons ensuite le ramener comme tu t’es engagé à le faire et ensuite, je veux bien que l’on aille chercher les gamins.

Je m’arrête une minute, le temps de la regarder, puis je lui souris :

Bien sûr, si tu as autre chose à faire, je peux m’en occuper seul, ce ne sont que des enfants, même s’ils sont un peu turbulents.

Comme cela, j’aurai les coudées franches pour les faire parler. Je pense que j’ai un très bon système éducatif, à base de claque dans la gueule et coup de pieds dans les robignoles, je l’appelle la méthode FVVV, ou Frappe Vite, Vite, Vite. C’est grâce à cette éducation que je suis devenu un homme généreux et sympathique, très bien sous tous les aspects.

À ma demande, le chevalier part en quête de la robe, la boîte, l'alliance et le ruban. Évidemment, lorsqu'il revient vers moi, c'est pour me dire qu'il manque deux objets sur quatre, soit les deux ayant une valeur autre que sentimentale. Je grommelle vaguement, les plus simples des tâches ayant le don de se compliquer rapidement dans ce royaume.

« Je vais les garder », dis-je en tendant les mains pour récupérer la robe et le ruban, que je plie rapidement pour former un petit carré de tissu facile à glisser dans mes vêtements.

Desmond m'indique ensuite que j'ai le champ libre pour vérifier qu'il n'a rien manqué, puis me propose de me libérer pour retrouver les gamins coupables d'avoir maltraité l'inconnu à nos côtés. Je fixe le guerrier et arque un sourcil, l'air dubitatif.

« J'ai vu comment t'as tendance à régler tes problèmes, Chevalier, et j'ai pas confiance sur les méthodes que tu vas employer pour remettre ces voyous sur le droit chemin. »

En d'autres mots, je choisis de l'accompagner même si j'ai mieux à faire que traîner avec lui.

Sans ajouter quoi que ce soit de plus, je m'éloigne à mon tour pour fouiller la maison. Je sais d'être à la fois méticuleuse et rapide, et j'entretiens l'espoir que Desmond a raté quelque chose, que les deux objets manquants sont bel et bien dans la maison malgré le passage des gamins. Cet espoir s'égraine au fur et à mesure que je progresse dans mes recherches, qui ne mènent à rien de plus que celles du guerrier. C'est donc les mains vides et l'humeur grincheuse que je reviens vers lui.

« Rien, résumé-je. Ces voyous ont mis la main sur ce qu'on cherche. »

D'un mouvement de la tête, je signale à Desmond que le moment est venu de partir.

« T'es un grand gaillard, aide-le à se bouger », réclamé-je en désignant le bonhomme au chevalier.

J'aurais pu aider l'inconnu moi-même, mais autant profiter de la force du chevalier. Le blessé nous remercie et accepte d'être soutenu pour marcher sans se plaindre – il doit avoir hâte de quitter ce taudis, de retrouver les siens et de panser ses blessures.

Après avoir demandé à l'homme les indications qui nous permettrons de le ramener chez lui, je me mets en route. La main contre la garde de mon épée, j'avance en silence, d'une part, parce que je ne suis pas le genre à faire la conversation, d'autre part, parce que je souhaite rester à l'affût. Un Fangeux est si vite arrivé.

« C'est eux! », s'exclame soudain l'inconnu après une quinzaine de minutes de marche.

Notre victime pointe vivement un groupe de jeunes qui, un peu plus loin, tentent de forcer la porte d'une maison abandonnée. Ils doivent faire la tournée des Faubourgs pour rapporter les babioles dérobées à Marbrume et essayer de les revendre là-bas.

La chance est de notre côté, me dis-je, jusqu'à ce que je vois que le cri du blessé a attiré l'attention des gamins et qu'ils tentent maintenant de prendre la poudre d'escampette, probablement parce qu'ils ont remarqué mon uniforme. Je lâche un juron dans ma langue natale avant de me lancer à leur poursuite.

« Milice! m'époumoné-je. Arrêtez-vous immédiatement! »

Bien entendu, ma requête est parfaitement ignorée, et je redouble de vitesse pour rattraper les fuyards. Alors que je crie une nouvelle fois à ceux-ci de s'immobiliser, je me retrouve à plat ventre sur le sol, dans la boue, même. Quelques mots que j'interdisais à mes enfants de dire plus tard, je réalise que je me suis pris les pieds dans le racine d'un arbre traître.

« Rattrape-les! », lancé-je à Desmond en me relevant avec le peu de dignité qui me reste.

Après avoir cherché pendant de longues minutes, la Milicienne revient bredouille, ou plutôt brecouille comme on dit chez moi, et visiblement de mauvaise humeur, enfin plus que d’habitude. Nous pouvons enfin quitter cette baraque qui tombe en ruine, même si je dois pour cela aider l’autre paysan blessé à marcher, comme si j’étais une simple canne. Je reste calme, repensant au bon repas que j’ai mangé et cela me donne la force de ne pas me barrer tout de suite.

Nous marchons ainsi quinze minutes, écoutant les instructions du gueux, qui comme tous les gueux se plaint constamment, comme si je n’étais pas assez au petit soin pour lui. Je marche à la même vitesse que la jeune femme, il serait, en effet, dangereux de se séparer, un fangeux peut débarquer à tout moment. J’ai vraiment hâte de rentrer dans la cité et de ne plus sentir cette tension perpétuelle.

Mais au lieu de cela, le représentant du petit peuple nous montre du doigt un groupe constitué d’adolescent qui rentre dans une maison abandonnée après avoir défoncé la porte. Le moins, que l’on puisse dire, c’est qu’ils n’ont pas peur des goules, car ils y mettent tous leurs cœurs et ce n’est qu’en entendant le cri de leur victime qu’ils laissent sur place leurs différents outils et qu’ils se barrent de toute la vitesse de leurs petites jambes.

Bien sûr, la garde leur demande de s’arrêter, mais c’est comme pisser dans une cithare, car aucun ne s’arrête. Elle part à leur poursuite, mais elle se prend les pieds dans une racine et s’étale de tout son long. Je me retiens de rire, car elle m’ordonne de les attraper ! Il faudrait vraiment que je lui dise qu’elle n’est pas sergente et qu’elle devrait se calmer sur ces consignes. Mais je ne vais pas refuser de donner une bonne trempe à ses gamins, je mets donc le blessé sur mon épaule gauche et je cour à petites foulées.

Mon paquet est secoué dans tous les sens, mais je n’allais pas le laisser sur le sol, s’il lui arrive quelque chose, la milicienne va encore dire que c’est de ma faute ! J’arrive donc sur place et très vite, je vois un des gamins, un des plus jeunes, qui tenu par un autre de ses camarades, essaye de s’en aller à cloche pieds. Je pars donc en marchant vite dans leur direction, sourire aux lèvres, car je suis persuadé de les rattraper.

L’accompagnateur du blessé doit s’en rendre compte lui aussi, car il le laisse tomber comme une vieille chaussette et se barre vite fait, bien fait. Je n’ai donc plus qu’à me baisser pour mettre le petit brigand sur mon épaule droite et je rejoins la jeune femme, déposons comme une offrande, mes deux paquets à ses pieds.

Ne remettant pas ma demande – enfin, mon ordre – en question, le chevalier se lance à la poursuite des jeunes idiots. À ma grande surprise, il ne dépose pas le blessé et le balance plutôt sur son épaule gauche avant de se mettre à courir. Une drôle de décision, mais il est trop tard reculer, et il ne semble pas trop ralenti par le poids de l'homme.

Une fois sur pied, je m'élance à mon tour. Les gamins réussissent pour la plupart à échapper au géant, et seul l'un d'entre eux, qui a dû trébucher et se blesser, ne parvient pas à quitter les lieux du crime à temps. Je peste un peu en voyant qu'il sera impossible de mettre la main sur les autres, mais finis par me dire qu'avoir un des coupables est mieux que rien.

Après une petite course, je rejoins Desmond, qui dépose le blessé et le gamin à mes pieds, comme une offrande. Je regarde le chevalier en me disant que c'est un véritable tas de muscles et que les Quatre auraient pu avoir le décence de séparer cette force plus équitablement. Je pose ensuite mon attention sur le gamin, un adolescent en pleine puberté qui doit avoir au maximum quatorze ans. Sérieusement? C'est ça, notre problème? Une bande de petits cons qui s'amusent à buter les aînés et à piller des maisons abandonnées comme des racailles?

Le garçon commence à protester et je n'écoute pas vraiment ce qu'il dit, sachant déjà que le discours est un tissu de mensonges inintéressant. Même si je ne prends pas la peine d'en saisir le sens, les jérémiades m'irritent rapidement, d'autant plus que le blessé décide de s'en mêler. Exaspérée, je donne finalement une bonne claque derrière la tête au gamin.

« Non, mais t'as fini?! le sermonné-je. T'as rien de mieux à faire que de voler des pauvres gens et buter des vieux? Ta mère t'a pas élevé?

- Hé, connasse, t'as... »

Nouvelle claque derrière la tête.

« Connasse toi-même, tu vas te lever, me mener jusqu'à tes amis, vous excuser à cet homme et rendre ce que vous avez piqué si vous voulez pas de problèmes. T'auras pas deux chances comme celle-là, alors je te suggère de bien y réfléchir si t'as pas envie de moisir en geôle avec des rats. »

Je lui passe un vrai savon, digne de ceux que recevaient mes propres enfants. Après deux ou trois autres claques, le gamin finit par lever les mains en signe de paix.

« D'accord, d'accord! Mais j'pense que j'me suis foulé la cheville...

- Ça t'apprendra à frapper des aînés. Lève-toi et marche, gamin. »

Je ne lui donne pas trop le choix, l'attrapant par le tissu de sa chemise et le forçant à se lever. L'adolescent avance en boitant, mais il avance. Ça lui servira de leçon. S'il nous ralentit trop, je finirai par l'aider, mais je le laisse pour l'instant croire qu'il ne peut compter que sur lui-même pour rejoindre ses amis et éviter d'aller faire un tour en geôle.

Je me tourne vers Desmond et lui demande de reprendre son paquet pour qu'on puisse se remettre en route.

« J'imagine que tu vas te faire plaisir de ficher la frousse à ces gamins? », demandé-je.

La milicienne me fixe sans rien quand je lui ramène le vieux et le jeune, et j’aimerais bien savoir ce qu’elle pense de moi. En tout cas, je n’ai pas droit à un merci, ni rien de tout cela et elle se contente d’écouter l’enfant qui essaye de lui dire que c’est la première fois qu’il entre dans une maison abandonnée, d’ailleurs, il n’a jamais rien volé de sa vie, il s’est juste laisser entraîner et…

BAM !

Il est stoppé net par une baffe de la jeune femme, qui me semble être une personne tout à fait violente et qui indique qu’être méchant, ce n’est pas bien. Le pauvre essaye de répliquer en qualifiant son interlocutrice d’un terme que la décence m’interdit de répéter, mais il s’en prend une deuxième. Je pense que s’il continue à lui tenir tête, il va avoir une commotion cérébrale.

En tout cas, sa technique fonctionne, car l’adolescent ne dit plus rien et essaye de suivre les instructions de la jeune femme, qui le frappe à nouveau, et à de nombreuses reprises. Il se lève se plaignant de sa cheville, mais la milicienne est sans pitié et l’oblige à se débrouiller tout seul. Cette dernière se retourne vers moi et me demande de continuer à aider l’homme blessé à marcher, tout en me posant une curieuse question à propos d’intimider les gens et je lui réponds avec une simplicité désarmante :

Je ne suis plus comme cela, j’ai changé depuis notre dernière rencontre et je ne pense plus que menacer les gens, les frapper ou les tuer sont les meilleures méthodes pour convaincre les gens.

Je lui souris, m’arrêtant quelques secondes pour guetter sa réaction avant de continuer :

Je pense également que les femmes miliciennes ont tout à fait leurs places dans les forces armées et font preuve d’un grand courage.

Voilà, cela devrait la calmer un peu, en plus, je pense vraiment ce que je dis, utiliser la force est souvent la solution la plus facile, mais pas toujours la plus efficace, le soudoiement et la corruption donnent également de très bons résultats dans la plupart des cas. Pour les miliciennes, j’en ai rencontré beaucoup et elles ont toujours été dignes de leurs homologues masculins, voir parfois encore plus. Une fois ces paroles prononcées, je peux enchaîner sur un autre sujet :

Je t’accompagne donc chez la bande des enfants perdus, pour te soutenir et surveiller tes arrières, mais je vais te laisser appliquer ta méthode d’éducation qui semble donner de bons résultats.

Sur ces dernières paroles, je regarde le gamin qui avance, en clopinant, il sert les dents, mais ne dit rien, et nous emmène en direction d’anciens thermes, dont je peux voir que les bains se sont transformés en étang avec des nénuphars. En été, l’endroit doit être infesté de moustiques, mais en novembre, c’est tout à fait plaisant.

Malgré le cadre bucolique, je reste en alerte, ce serait quand même dommage de se prendre une flèche entre les deux yeux par un enfant qui pourrait être mon fils, si j'en avais eu un, bien sûr.

Je ne suis plus comme cela, j’ai changé depuis notre dernière rencontre et je ne pense plus que menacer les gens, les frapper ou les tuer sont les meilleures méthodes pour convaincre les gens. Je roule les yeux. Soit le chevalier me raconte des bobards, soit il croit vraiment ce qu’il dit - et la deuxième option me paraît encore pire que la première. Il est difficile, voire parfois impossible de changer un homme, et il faut bien plus que quelques semaines pour voir un progrès. Les vilaines habitudes sont vilaines pour une bonne raison - elles ne disparaissent pas si vite. Elles se font au contraire un plaisir de jouer à cache-cache un moment pour mieux surprendre quand elles sortent finalement de leur abri. Desmond peut penser ou dire ce qu’il veut, je sais qu’il est certainement moins « changé » quand la milice n’est pas dans le coin.

Le chevalier ne s’arrête pas là et poursuit son discours en parlant de la place des femmes de la milice. Je laisse échapper un léger rire incrédule. Il y a un mois et des poussières, quand je suis intervenue dans la taverne, ce type m’a accueillie en m’avertissant qu’il ne baisait pas n’importe. Et maintenant, il respecte les miliciennes et reconnaît leur courage.

« Tu devrais te reconvertir en prêtre, Chevalier, les dieux semblent t’avoir ouvert la voie de la sagesse éternelle », lâché-je, sarcastique.

Le noble accepte d’aider le blessé et m’indique qu’il va se contenter d’assurer mes arrières pendant que j’applique ma « méthode d’éducation ». Je hausse les épaules, doutant fortement qu’une claque derrière la tête suffira à convaincre une bande de jeunes adolescents à rendre ce qu’ils ont volé, mais je ne le saurai que lorsque j’aurai les voyous devant moi.

Après un moment de marche, nous arrivons près des sortes de thermes qui ressemblent maintenant davantage à des étangs qu’à autre chose. Le garçon semble éprouver de plus en plus de difficultés à avancer, et comme je ne suis pas totalement sans cœur, je finis par m’approcher de lui pour le soutenir. Il en profite alors pour me murmurer à l’oreille que ses amis et lui ont fait d’un bâtiment délabré plus loin leur planque.

Près de l’endroit en question, je balaie les alentours du regard. Il ne semble y avoir qu’une entrée qui doit aussi servir de sortie, et les fenêtres sont maladroitement barricadées. Les jeunes doivent se servir de ce bâtiment pour cacher leurs trésors, mais aussi pour se protéger des Fangeux lorsqu’ils ne parviennent pas à rentrer à la maison à temps pour échapper à la pluie ou à la nuit.

« Barrez-vous, on sortira pas! lance une voix depuis l’intérieur de l’abri. On va rester là jusqu’à c’que les Fangeux viennent vous bouffer! Surtout toi, Henri, sale traître!

- Vous m’avez abandonné derrière, c’est vous les traîtres! crie le gamin à la cheville foulée.

- Redonnez ce que vous avez volé, excusez-vous à cet homme et vous aurez pas de problèmes avec nous, dis-je d’une voix forte, mais ferme.

- V’nez le chercher si vous l’vouez! intervient une autre voix.

- Ouais! renchérit un autre gamin. On n’a pas peur d’une blondasse et d’un gros tas! »

Dès notre arrivée, nous sommes pris à partie verbalement pour le groupe de jeune, solidement retranché dans leur petit fortin. La milicienne essaye bien de parlementer, mais elle se fait insulter, et moi, qui n’avais absolument rien dit, également. Je suis assez surpris d’autant de morgues chez ses pré-pubères et je pense qu’il va falloir leur apprendre le respect. Je fais donc un pas en avant et j’indique à la jeune femme :

Je vais m’en occuper, ce ne sera pas long.

Je dépose le blessé délicatement sur le sol et je marche tranquillement vers le bâtiment désaffecté puis arrivé devant la porte barricadée, je dégaine mon épée et je commence à m’en servir comme d’une hache. Le bois est en mauvais état et cède facilement sous mes coups. L’intérieur est mal éclairé, mais je peux voir quatre adolescents, serrés dans un coin qui me supplient :

Je vous en prie, ne nous fais pas de mal !

Sourd à ces suppliques, j’en prends deux par le col et les traîne sur le sol jusqu’à revenir vers la « blondasse », puis je refais le chemin en sens inverse pour ramener les deux derniers. J’en profite pour jeter un coup d’œil à leur butin, qui ressemble plus à une décharge, ils ont accumulé beaucoup de chose au cours du temps et j’ai peur que cela, nous ne prennent des jours pour trouver les objets que nous sommes venus chercher.
Une fois, toute la petite bande réunie à l’extérieur, j’informe la garde de ce que j’ai pu observer :

Ils semblent faire ce petit manège depuis un moment déjà, mais ils ont pris tout et n’importe quoi, c’est devenu un vrai dépotoir.

Je suis curieux de voir comment la jeune femme va les convaincre de rendre ce qui nous sommes venus chercher. J’ai peur que dès qu’on leur parle des objets de valeur appartenant à la serveuse, ils essayent de négocier. Notre seule chance semble être la balance, le dénommé Henri qui pourrait nous aider, c’est pourquoi je lui indique :

L’avenir de cette bande semble être compromis, je suis sûr que si tu te montres intelligent, la milicienne pourra glisser quelques mots en ta faveur.

Je le vois réfléchir intensément pendant que ses anciens comparses le foudroient du regard. Puis il nous dit d’une voix encore mal assurée :

C’est d’accord, que voulez-vous savoir ?

Je regarde d’un air triomphant mon compagnon féminin pour cette aventure, fier de moi, du genre pour bien lui faire remarquer que je sais utiliser de persuasion et sans mon arme !

Je vais m’en occuper. J’acquiesce, mais offre tout de même un regard d’avertissement au chevalier. Il dit avoir changé, mais je ne lui fais pas confiance, et il est hors de question qu’il se mette à jouer au boucher, surtout avec de simples gamins mal élevés.

Après avoir déposé l’homme blessé par terre, Desmond dégaine son épée. S’il ne joue pas au boucher, il ne se prive pas d’incarner le parfait bûcheron et de détruire la porte à coups de lame. Je soupire et m’approche, l’arme au poing. Lorsque la porte, déjà en mauvais état, cède, je découvre la bande d’adolescents recroquevillés dans un coin du bâtiment. S’il ne se sert pas de son épée, le chevalier empoigne deux des gamins par le col, puis deux autres pour me les ramener. Ceux-ci paraissent regretter leur courage et se mettent à parler tous en même temps. Je ne comprends pas trop ce qu’ils disent, mais ils semblent se disputer et se reprocher mutuellement leurs malheurs.

« Silence! », ordonné-je en levant une main autoritaire.

Les voyous se taisent, mais probablement plus en raison du retour du géant que de mon intervention. Desmond fait alors l’état des lieux et tente de convaincre le maillon faible du groupe de trahir ses amis une bonne fois pour toutes. Le dénommé Henri, qui semble décidé à sauver sa peau, accepte plutôt rapidement de nous dire ce qu’on veut savoir. Les gamins se mettent alors à lui cracher des insultes, et je les somme de se taire, accompagnant mon ordre d’une claque derrière la tête pour les récalcitrants. Quand le silence est revenu, je demande à Henri :

« Depuis quand vous amassez des trucs comme ça? Vous en avez déjà revendu?

- Ça fait peut-être deux semaines, dit Henri. On n’a encore rien revendu, on attendait d’avoir un bon paquet d’objets avant de faire le chemin jusqu’à Marbrume… »

Je jette un regard à Desmond. Que les voleurs n’aient rien revendu encore est un coup de chance, car il aurait été bien complexe de retracer ce que l’on cherche en ville. Il va par contre falloir se mettre les mains dans leur fouillis pour trouver l’anneau et la boîte de bois de la serveuse.

Je mets cette idée de côté pour continuer à questionner Henri sous les regards furieux de ses amis. J’apprends qu’ils n’habitent pas très loin. Tous vivent dans les Faubourgs avec de la famille, leurs parents pour les plus chanceux, un oncle ou une tante pour ceux que la Fange n’a pas totalement épargnés.

« Je vous ramène chez vous et vous allez vous en tirer avec un avertissement cette fois-ci, décidé-je. Et vous allez vous excuser à cet homme. Devant vos proches, pour qu’ils voient ce que vous faites au lieu de vous rendre utiles auprès d’eux. »

Les voyous semblent soulagés. J’ajoute alors, sérieuse :

« La milice va vous avoir à l'œil. Si on vous revoit ici ou qu’on apprend que vous causez d’autres problèmes, ça va être les geôles direct. On n’a pas de temps à perdre avec vos conneries de gamins. Compris? »

Les adolescents hochent la tête. L’un d’entre eux refuse au début, mais finit par imiter ses camarades à contre-coeur. Je sens qu’il va falloir le surveiller, celui-là.

« Je vais voir ce qu’ils ont amassé et essayer de mettre la main sur ce qu’on cherche », dis-je à Desmond.

Je lui confie les voyous et pénètre dans le bâtiment, grommelant en voyant le bric-à-brac. Je ne perds cependant pas de temps et me lance dans ma recherche, restant à l’écoute, car je suis consciente d’avoir laissé des gamins sous la surveillance d’un géant qui ne m’a pas laissé une bonne première impression.

Après quelques minutes à retourner sens dessus dessous les trouvailles des gamins, je sors une boîte de bois de la pile. En l’ouvrant, j’aperçois ce que je devine être l’alliance de la serveuse.

« Enfin! », m’exclamé-je à voix basse.

Je sors aussitôt du bâtiment et montre à Desmond mon trésor.

« Trouvé, annoncé-je. Je te propose de ramener cet homme et ces gamins dans leur coin des Faubourgs, puis que tu rapportes ça à la serveuse. Je peux me charger du reste seule, il va me falloir un moment pour parler avec les familles et prévenir la milice de ce fouillis pour voir ce qu’on va faire avec. »

La milicienne utilise encore une fois son charme si particulier et Henri se met à table, on peut même dire qu’il dresse le couvert en même temps, tellement il donne d’information, un vrai moulin à paroles, on ne l’arrête plus. En tout cas, nous avons de la chance, puisqu’ils n’ont rien revendu, ce que nous cherchons doit donc se retrouver dans leur repaire, à moins que tout a déjà été volé il y a longtemps par un groupe différents, mais il n’y a qu’une seule manière de le savoir.

Toujours dans l’idée de les éduquer, elles ne les envoient pas dans les geôles, mais préfère les gronder devant leurs parents, ce qui ne me semble pas très utile, mais mon éducation a été celle d’un noble, alors je suppose que chez les manants, c’est normal. Elle m’indique ensuite qu’elle va chercher à l’intérieur les objets demandés par la serveuse et j’en profite qu’elle se soit éloignée pour parler un peu avec les jeunes :

Alors les gars, on est de vrais durs ?

Je les vois me regarder sans comprendre, et je précise ma pensée :

Vous avez été assez intelligent pour ne pas vous faire avoir pendant pas mal de temps, mais vous avez tout perdu car vous avez été négligent. Pour votre avenir, je ne vois que deux choix, soit vous continuez ainsi, devenez de véritables voleurs, jusqu’à ce que je vous attrape, et croyez-moi, je serais beaucoup moins sympa que ma collègue de la Milice, si vous voyez ce que je veux dire…

Je les vois trembler un peu en m’entendant, leur imagination doit fonctionner à plein régime et je continue donc, ayant toute leur attention :

Soit, vous vous entraîner matin, midi et soir pour passer l’examen de la Milice, c’est votre seule chance de pouvoir un jour sortir des Faubourgs. Je sais très bien que ce ne sera pas facile, surtout que vous êtes loin d’être courageux, à part Henri, qui a refusé de se laisser intimider par vous, mais si vous ne voulez pas charrier du fumier toute votre vie, c’est la chose à faire.

Je les vois réfléchir intensément, puis la jeune femme revient avec une sorte de boîte où se trouve un anneau. Elle m’indique ensuite ce qu’elle veut faire et je hoche la tête pour montrer mon accord, tout en lui précisant :

Je te suis et ramènerait cela à sa propriétaire légitime.

Je lui souris ensuite, espérant avoir fait bonne impression et qu’elle le précisera bien à ses collègues, comme quoi le chevalier Desmond de Rochemont est devenu doux comme un agneau et très serviable. Je termine même par une phrase gentille :

J’ai beaucoup apprécié les moments que nous avons passés ensemble et j’espère te revoir pour t’offrir un verre un jour ou l’autre, et une dernière chose, tu es une bonne milicienne.