Une visite au Chaudron

S’avançant discrètement, Kalam observe l’attroupement. Plus il s’approche, plus il a l’intime conviction de reconnaître deux de ses anciens amis. Cependant leur comportement lui paraisse étrange.
Et pour cause, lorsque l’un d’eux relève la tête, du sang dégouline de son visage. Dans sa main droite, un bras humain. A ses pieds, un corps inanimé. L’assassin comprend rapidement qu’il a affaire à...

- Par Etiol ! Des Fangeux !

Il lâche son bâton enflammé et se dépêche de détaler. Mais trop tard, il a été repéré. Il sent les fangeux se mettre à sa poursuite. Il tourne la tête et les voit le rattraper beaucoup plus rapidement qu’il le pensait. Son cœur bat la chamade à tout rompre. Il retourne sur ses pas et saute sur le mur afin de s’accrocher à la fenêtre. Il entend les pas se rapprocher. Il grimpe le plus rapidement possible pour se mettre à l’abri sur les toits. Les cris se font plus forts. Il se retourne et voit les créatures grimper à leur tour.
L’assassin sent sa dernière heure arriver.

Mais pourquoi je ne suis pas resté avec Desmond ?!

Heureusement, il a la présence d’esprit de ne pas rester sur place. Il se détourne et file sur les toits. En repartant, il glisse sur la gouttière qui se décroche, emmenant avec elle quelques tuiles qui s’effondrent sur les fangeux.
Il ne prend pas la peine de regarder mais il espère avoir gagné du temps avec ce coup du sort.

Les Trois se seraient-ils penchés sur le cas de l’assassin. Lui qui en méprise deux et en vénère un quatrième.

Si je m’en sors, je jure d’aller faire une offrande à Änur !

Il continue de détaler sur les toits. Il saute de toiture en toiture en prenant soin de ne pas tomber. Il tente également de ne pas se perdre. Il connaît le quartier par cœur, mais dans la précipitation, il ne faudrait pas s’éloigner de... De quoi d’ailleurs ?

De la boutique de l’Apothicaire ! Mais oui, c’est là-bas qu’il faut que je retourne. J’espère que Desmond va m’attendre.

Au bout de plusieurs minutes qui lui paraissent des heures, il se cache derrière une cheminée imposante, bien qu’à moitié détruite. Malheureusement il n’a pas le temps de souffler. Deux silhouettes foncent sur les toits à sa poursuite. Kalam reprend sa course, le cœur battant.
Il continue de courir sur les toits. Puis soudain un idée lui vient à l’esprit. Il se rappelle d’un bâtiment en ruine à l’époque où il vivait dans le Goulot. Le toit délabré lui permettait de semer les gardes trop entreprenant qui avaient l’audace et le courage de le suivre.
Il se rappelle que si une personne avisée ne posait pas les pieds aux bon endroits, elle risquait de chuter et de se rompre le cou à tous les coups.

Ça fait un détour mais tant pis !

L’espoir renaissant, Kalam retrouve un second souffle. Il saute, il s’aggripe, il grimpe puis au bout d’une dizaine de minutes il arrive sur les lieux. Le bâtiment n’a pas changé. Il est toujours en ruine et présente les mêmes obstacles qu’à l’époque. Faisant attention où il marche, l’assassin traverse le toit sans encombre. Puis il s’arrête pour reprendre sa respiration et voir si son plan va fonctionner.
Quelques secondes plus tard, les deux fangeux font leur apparition. Le premier traverse rapidement mais dans la précipitation, il chute. Kalam sourit. Mais sa joie est de courte durée. Au loin, il remarque le deuxième fangeux qui l’observe en inclinant la tête. Leur regard se croise. Le sang de l'assassin se glace. La créature s’avance doucement sur le toit et marche en gardant un certain équilibre. L’assassin ne se fait aucune illusion. La course poursuite n’est pas terminée. Il n’attend pas de voir si le fangeux va réussir à traverser le toit, il est persuadé qu’il va y arriver. Kalam se redresse et repart en courant. Il se dirige vers le magasin de l’herboriste.

Le temps est écoulé. A mon avis, ils ne m’ont pas attendu. Je vais rester bloquer ici si je ne les rejoins pas.

Prenant un risque supplémentaire, Kalam décide de se rendre directement à l’endroit par lequel ils sont arrivés dans le Chaudron.

A la place de Desmond, je me serai barré.

Un quart d'heure plus tard, le souffle court, il sent qu’il commence à ralentir. Heureusement il voit bientôt les deux silhouettes de Desmond et de Marguerite dans une ruelle à quelques centaines de mètres du tunnel. Ruisselant de sueur, il accélère le pas. Ses cuisses le brûlent. Il halète. Sa respiration est de plus en plus bruyante.

Mais que font-ils avec des sacs ?

Pas le temps de se poser des questions, il descend des toits et part les rejoindre. Arrivé à quelques mètres derrière eux, il s’écrie :

- Fangeux ! Y’a un fangeux derrière moi ! Foncez !

Les cris de l’assassin ont alerté ses deux compagnons, mais pas qu'eux. Il voit des silhouettes se dresser derrière les détritus et autres bâtiments en ruine. Les têtes se tournent vers eux. Sans un bruit, elles s’avancent vers les trois cibles mouvantes

Merde !

Puis soudain un cri de panique vient percer les tympans de Kalam. Devant lui, un jeune homme sort de sa cachette et se met à courir dans sa direction. En voyant les fangeux, il a dû prendre peur et pense pouvoir trouver du secours auprès du colosse. Kalam se retourne et voit le fangeux qui le rattrape. Qui les rattrape ! Il vient de dépasser Desmond et Marguerite.

C’est le moment où jamais !

Il sort sa dague. Arrivé à quelques mètres du jeune individu, il peut lire la stupeur dans ses yeux. Mais c’est trop tard, ce dernier ne peut plus ralentir. D’un mouvement rapide et précis, Kalam lui plante sa dague dans le bide, en faisant un mouvement net sur le côté. Ses viscères ne mettent pas longtemps à tomber sur le sol. Le jeune homme est debout, tenant dans ses mains son intestin grêle et différentes autres parties de son anatomie. Il n’a pas le temps de crier. Il reste abasourdi.

- Vite foncez ! Ça devrait les occuper !

Kalam ne se retourne pas pour voir si Desmond et Marguerite suivent le mouvement. A quelques mètres devant lui, il voit enfin le bout du tunnel.

Je guette notre compagnon de voyage suffisamment inconscient pour vouloir faire du tourisme dans une zone remplie de fangeux, mais je ne vois personne arrivé au bout de temps impartis, je rejoins donc Marguerite en grande discussion avec la femme qui nous a accueillis, parlant de plantes médicinales et je lui indique :

Il est l’heure, nous devons partir.

Elle me répond :

Vous êtes que nous ne pouvons pas rester un peu ? En plus, Kalam n’est pas revenu, nous ne pouvons pas l’abandonner ici.

Je lui souris d’un air mauvais et je lui réponds :

Il est hors de question de prendre le risque d’être surpris par la tombée de la nuit sur le chemin du retour, de plus, nous pouvons tout à fait le laisser ici, nous ne lui devons rien.

Après tout, c’est un simple inconnu, que j’ai croisé il y a quelques heures, alors je ne vais pas risquer ma vie pour lui. L’apothicaire comprenant qu’elle n’aura pas gain de cause avec moi, fait une dernière embrassade à son amie et après une courte prière aux Trois, elle me suit jusqu’à la porte. Je n’ai plus qu’à donner mes consignes à la bannie :

Dès que nous serons passés, fermez la porte derrière nous.

Je n’ajoute aucun autre conseil de prudence, le fait que leur petit groupe survive quelques jours de plus ou meurt aujourd’hui n’a aucune importance, de toute façon, ils sont tous condamnés, car un jour ou l’autre, l’un d’eux va sa transformer en goule et tous les tuer, c’est la raison même de leur bannissement.

Je quitte donc les lieux avec ma comparse, sans me retourner, ni même un geste d’adieu et nous prenons la route direction le passage qui nous amènera en dehors de ce quartier, en sécurité. Comme à l’aller, je suis continuellement sur mes gardes, me retournant au moindre bruit suspect. À un moment donné, je suis obligé de faire un détour, car je vois quelques silhouettes au loin, et comme je préfère ne prendre aucun risque, je prends un autre chemin.

À mon grand soulagement, le trajet se passe bien et nous allons bientôt arriver en vue du tunnel quand j’entends derrière moi une voix que je connais bien. Je me retourne et voit Kalam qui crie qu’il a un fangeux derrière lui ! Évidemment, cet avertissement amène d’autres goules qui sortent maintenant de partout. Le chaos est complet quand un jeune homme surgit de nulle part et nous dépasse.

Nous nous mettons également à courir, mais je sais bien que Marguerite ne pourra pas suivre le rythme et qu’elle n’a aucune chance de pouvoir en réchapper. J’hésite un moment à la prendre sur mon dos, mais je risque alors de me faire rattraper également et nous mourrons tous les deux. Je peste intérieurement contre le cordonnier qui nous a amenés dans cette situation.

Pourtant, il se rattrape en faisant un sale coup à l’inconnu, il lui ouvre le ventre et nous indique de continuer à foncer, ce que je fais bien volontiers. L’apothicaire elle, s’est arrêté, complètement surprise par la tournure des événements. Sans ménagement, je la tire par le bras ne lui laissant aucun autre choix que de continuer et nous nous engouffrons dans le tunnel, à la suite de Kalam.

Je frappe rapidement trois coups rapprochés et la porte s’ouvre sur le milicien qui nous a accueillis et qui nous laisse passer. Nous entrons tous les trois et le garde referme immédiatement derrière nous. La jeune femme et moi-même sommes hors d’haleine et il nous faut quelques minutes pour récupérer, tout en fixant le cordonnier d'un regard lourd de reproche.

Exténué, Kalam entre à la suite de Desmond. Le rythme effréné de ses battements de cœur retentit dans sa poitrine à une cadence infernale. Il pose les mains sur ses genoux et reprend sa respiration. Il est hors d’haleine. Des gouttes de sueur perlent le long de son visage et tombent sur le sol formant une petite flaque. Son dos est trempé et ses cuisses le brûlent. Il relève la tête en s’essuyant le front. Ses genoux tremblent, ses pieds sont bouillant. Il demande à un garde.

- De l’eau.... Vous avez de... l’eau ?

Puis son attention s’arrête sur Desmond et Marguerite qui l’observent avec une regard lourd de reproche.

- J’ai retrouvé... il déglutie, deux de mes anciens amis. Mais bon... il halète, apparemment, ils ne se souviennent plus de moi.

Après avoir tenté un trait d’humour afin de d’étendre l’atmosphère, Kalam reprend son sérieux.

- Non sans déconner, j’ai profité de cette petite visite au chaudron pour voir si mes potes d’enfance s’en étaient sortis...
C’est pour ça que je suis sorti sur les toits. Mais bon... Je ne pensais pas que j’allais me faire courser comme un lapin. Je ne sais pas ce qu’ils leur aient arrivés.... Ce qui est sûr c’est que ceux ne sont plus les mêmes.
Je n’avais encore jamais vu de fangeux jusqu’à aujourd’hui... J’espère ne plus jamais en revoir.

Il s’arrête pour reprendre sa respiration. Petit à petit le rythme de ses battements reprend une cadence normale. Il retrouve son souffle.

- J’ai essayé d’être le plus discret possible. Mais à partir du moment où ils m’ont aperçu, ils ne m’ont plus lâché. J’ai réussi à en semer trois mais pas le quatrième.

Il sourit en repensant à ce qu’il s’est passé.

- Heureusement que ce type sorti de nulle part, s’est pointé. Je pense qu’il devait se cacher pour attendre quelque chose. Le pauvre, il ne s’attendait pas à ce qui lui est arrivé.

Puis il remarque les sacs que portent Desmond.

- Alors il y a quoi dans ces sachets ? C’est pour ça qu’on est venu dans le goulot ?

Kalam nous explique d’une manière maladroite qu’il a retrouvé ses deux amis transformés ce qui n’est pas une surprise, le nombre de survivant devant être très faible dans ce quartier. Quand il évoque le triste destin de celui qu’il a sacrifié, je lui indique :

En effet, il n’a pas eu de chance, je vais pourtant te donner un petit conseil, la prochaine fois vise plutôt les tendons d’Achilles, les Fangeux s’intéressent, d’après ce que l’on m’a dit, plus aux morts qu’aux vivants.

C’est ce que j’ai pu constater aussi par moi-même, il vaut donc mieux un appât immobilisé qu’un appât mort. Lorsque mon interlocuteur me pose une question sur les sachets, je lui réponds :

Je pense que oui, en tout cas, il aurait été dommage de tout laisser là-bas et…

Je suis interrompu par un des miliciens qui nous a accueillis à l’intérieur qui s’esclaffe :

Je ne vous le fais pas dire !

Redevenant sérieux, il m’indique d’un ton autoritaire :

Je vous remercie pour votre aide, à vous et à Marguerite pour m’avoir ramené ma marchandise.

Pendant notre échange, nous sommes rapidement inspecté par les gardes, en quête d'une trace de morsure sur notre personne. Je vois la jeune femme, le regarder avec de la crainte dans les yeux et juste hocher la tête, avant de prendre son courage à deux mains et lui demandé de sa voix de crécelle :

A mon tour, je vous remercie pour m’avoir permis de voir à quoi ressemblais mon ancienne boutique, je suppose que nous sommes quittes à présent ?

L’homme qui a beau être habillé comme un milicien, se comporte maintenant plus comme le chef d’une organisation, car il lui sourit en lui disant d’une voix mielleuse :

Bien sûr ma chère, un de mes hommes va vous escortez dehors.

Elle est aussitôt prise en charge et je la vois s’éloigner, manifestement soulagé. Pour ma part, je ne suis pas sûr que je la reverrais vivante, mais cela ne me concerne guère. J’ai déjà reçu une partie du versement et je pose donc l’ensemble des paquets que je transporte, indiquant simplement :

Vous déposerez à l’adresse habituelle le reste de la somme. Je m’attends à un bonus pour avoir porté une partie du chargement.

Il est vrai que ce n’était pas prévu, à la base, je devais juste escorter l’apothicaire. D’ailleurs, mon interlocuteur semble être du même avis que moi, car il hoche la tête pour manifester son accord, tout en me proposant :

Vous ne voulez pas travailler pour nous ? Ce n’est sans doute pas aussi prestigieux que d'être embaucher par les gens de l’Esplanade, mais nous payons bien.

Je lui souris, car même si je ne sais pas exactement qui est ce « nous », je me doute qu’ils ne sont pas du bon côté de la loi et je lui réponds simplement :

Pas pour le moment, mais je garde votre proposition en tête.

Si un jour, je devais perdre mon titre, peut-être que je viendrais le voir, mais comme ce genre de situation ne se produira jamais, c’est sans doute la dernière fois que je vois cet homme. Je n’ai plus qu’à me concentrer sur le cordonnier pour lui dire :

Merci pour le coup de main à l’aller.

Je n’ajoute rien, car il quand même faillis tous nous faire tuer, et je quitte les lieux, étant quand même attentif aux autres hommes dans la maisonnée, une traîtrise est toujours possible.

- Ok je retiens. Leur laisser une victime vivante et immobile de préférence. Mais bon, le type que j’ai éviscéré n’était pas encore mort quand on s’est sauvé.

Écoutant avec attention les discussions qui se déroulent autour de lui, Kalam continue de reprendre son souffle. Il lève les mains au moment de l’inspection en indiquant clairement n’avoir subi aucune blessure. Puis il attend quelques instants que Marguerite disparaisse pour poser une question.

- Vous allez l’éliminer c’est ça ?
- Pourquoi elle t’intéresse ?
- Non c’est juste par curiosité. Mais si on avait su, on l’aurait laissé là-bas. Elle aurait fini par mourir, mais au moins, aurait-elle été avec ses amis.

L’assassin se dirige vers la sortie quand le « milicien » l’arrête.

- Hé Kalam. Tu veux pas ta paye ? Je sais que t’étais pas censé fait partie de cette petite expédition, mais comme t’as participé quand même, je veux bien faire une exception pour toi et te filer un billet.

Le jeune homme enfile à nouveau sa capuche et répond :

- Non, je n’ai pas fait ça pour l’argent. Comme je l’ai dit, je voulais savoir ce qu’étaient devenus mes anciens compagnons de rue. J’ai encore l’espoir d’en revoir quelques-uns. Donc je pense qu’un jour, je ferai de nouveau un saut dans le goulot. Si jamais vous devez encore envoyer des types là-dedans, vous savez que vous pouvez faire appel à moi.
- Bon très bien, c’est comme tu voudras.

L’assassin fait un signe de la tête et suit le grand gaillard :

- De rien pour le coup de main. Mais pour le retour aussi, je vous ai aidé. Enfin sur les derniers mètres.

Il lui fait un clin d’œil, sourit et sort à son tour. Il retourne à sa boutique.