[Terminé] Un nouvel espoir

le 27 mars 1167

"OUSTE ! Dehors !"

Gudrun s'acharnait à pousser du balai l'immonde créature brune, couverte de pustules, qui la regardait de ses grands yeux globuleux. Elle tentait de s'échapper en poussant avec ses petites pattes palmées, mais le balai était tenu fermement, et la bestiole se retrouva dehors. Qu'elle rejoigne donc les marais, là où doivent vivre les crapauds ! La nouvelle prêtresse de Sombrebois s'arrêta un instant sur le pas de la porte du temple, au soleil, dans sa robe sans fioritures, aux manches retroussées. Ses cheveux étaient attachés et partiellement couverts d'un petit voile. Le bourg était toujours aussi agité depuis son arrivée quatre jours plus tôt. Elle tenta de reconnaître les têtes des passants, mais c'était décidément bien difficile. Malgré les trois jours et quelques de voyage, peu de personnes avaient osé lui adresser la parole et, à ce jour, elle ne connaissait que quelques habitants. Deux hommes qui l'avaient aidée, un charpentier qui s'était ouvert la main, et Marie-Ange, la prêtresse du château qui était venue lui souhaiter la bienvenue. Le temple était resté longtemps sans responsable, mais la nouvelle d'une nouvelle prêtresse ferait sans doute bien vite le tour du village.

Elle rentra dans le temple. Celui-ci était sombre et silencieux, contrairement à la rue. Il était également bien plus frais. Les quelques ouvertures dans les épais murs de pierre étaient très étroites, décorées de vitraux simples aux couleurs des Trois : bleu, jaune, vert. Il était loin de la taille et de la magnificence du temple de Marbrume, cependant Gudrun était assez fière de son travail : bien que petit, le temple était désormais propre, avec quelques rangées de bancs en bois bien alignés, certes dépareillés, mais dans un état assez correct. Les récipients près de l'entrée avaient été remplis avec les mixtures rituelles, ramenées de Marbrume, quelques bougies étaient allumées à divers endroits du temple.

Gudrun n'en revenait toujours pas de la chance qu'elle avait eue pour cette affectation. Nouvelle arrivée dans un duché qu'elle ne connaissait pas, avec des coutumes différentes, sans parler de l'absence d'Etiol dans leur religion... Comment s'imaginer qu'on lui donnerait la responsabilité d'un bourg entier ? Une femme seule qui plus est ? Sans supervision directe ? Certes, elle avait fait profil bas, s'était bien comportée, mais il faut croire que la peur des Fangeux était plus forte que tout au sein du clergé de Marbrume. C'était sans conteste un signe des Quatre, elle se devait de profiter de cette occasion.

Cependant, la fatigue du voyage et de ces travaux étaient bien fortes. Elle s'assit sur un des bancs pour reposer son genou. D'ici, elle avait une vue sur les passants par la porte ouverte. Autant commencer à apprendre les visages. Un homme finit par attirer son attention. Il était particulièrement grand, en tous cas pour un homme du Morguestanc. Sa carrure semblait impressionnante, mais difficile de dire à quel point, car il était couvert d'une armure de plates complète. Ce genre d'équipement coûtait cher, sans doute était-ce un noble. Intéressant. Elle n'avait pas pu entendre beaucoup de choses au sujet de ceux qui résidaient au château, il faudrait qu'elle se renseigne. Il semblait se diriger vers le temple. Étrange, s'il s'agissait du seigneur local ne suivait-il pas les offices de Marie-Ange au château ? Lorsqu'il arriva à la porte du temple, Gudrun se remit debout.

"Bonjour Messire ! Je suis Soeur Gudrun."

"Puis-je quelquechose pour vous ?"

Je me réveille avec difficulté dans la chambre que m’a indiquée Rosen, le sommeil a été long à venir et j’aurais volontiers continué à dormir, mais il me reste encore bien des choses à faire et je me lève pour faire ma toilette à l’aide d’une bassine remplie d’eau. J’ai toujours fait très attention à mon hygiène, et je compte bien continuer, d’ailleurs la prochaine fois que j’irai à la capitale, je vais prendre volontiers un bon bain aux thermes, cela fait une éternité que je n’y suis pas allé.

Je m’habille donc avec ma tenue noire habituelle et mon armure au-dessus et décide d’aller prier au Temple. Une fois devant les portes, je me rends compte immédiatement que quelque chose à changer. Il y a de la lumière à l’intérieur et quand je passe la porte qui est resté ouverte, je peux voir que de nombreuses bougies sont allumées et que la bâtisse est vide. Les lieux sont également plus propres et j’aperçois alors la raison de tous ces changements.
Il s’agit d’une femme, sans doute plus âgé que moi, une prêtresse si j’en crois ses vêtements. Des cheveux très sombre, des yeux bleus, elle n’est pas laide, mais sa cicatrice sur sa joue droite lui donne un air pas très commode. J’incline donc la tête comme doit le faire un noble devant une représentante des Trois et je réponds à la question qu’elle me pose :

Je suis Desmond de Rochemont. Je souhaite prier un instant, je viens d’arriver et je ne savais que vous aviez pris en main les lieux.

Je laisse passer quelques minutes pour regarder un peu l’endroit et je lui dis :

Je vous félicite pour votre travail, vous avez fait là, un fort bel ouvrage, je suppose que vous êtes arrivés en même temps que les autres colons ?

C’est en effet la première fois que je vois cette personne, alors sa venue doit être récente. J’écoute donc sa réponse avant de lui demander, pas pure politesse :

Vous vous plaisez ici ?

Mon père a toujours dit qu’il fallait avoir de bonnes relations avec les gens du Temple, ils peuvent très facilement monter la population contre n'importe qui, y compris les nobles.

Je suis Desmond de Rochemont. Je souhaite prier un instant, je viens d’arriver et je ne savais que vous aviez pris en main les lieux.

Desmond de Rochemont... Non, ce nom ne lui dit rien. Ce n'est pas le seigneur du château, ni le gouverneur du bourg. Cependant, à la manière dont il s'est présenté, on peut deviner qu'il s'attend à être connu et doit donc passer souvent par Sombrebois. Mieux valait se montrer particulièrement polie et aimable, et faire semblant de reconnaître son nom pour ne pas le vexer.

Il reste immobile un instant, semblant scruter les lieux. Gudrun en profite pour l'observer : c'est bel et bien un géant. Il doit avoir une trentaine d'années, c'est déjà beaucoup pour un homme d'armes. Son armure de plates semble un peu usée, mais il n'a aucune cicatrice sur son visage. Cela la rend perplexe. Se bat-il réellement ou est-ce que son armure est là juste pour la forme ? Il finit par reprendre :

Je vous félicite pour votre travail, vous avez fait là, un fort bel ouvrage, je suppose que vous êtes arrivés en même temps que les autres colons ?

Merci Messire. En effet la présence d'une prêtresse semblait nécessaire vu le nouveau nombre d'habitants à Sombrebois.

Vous vous plaisez ici ?

Question de pure politesse sans doute, car Gudrun n'était ici que depuis quatre jours. Elle répondit dans le même registre :

Ma foi, pour le moment oui Messire, je n'ai pas grand chose à redire. Ce temple est petit mais le village change agréablement de l'ambiance confinée de Marbrume. De toute manière, les Dieux doivent être honorés où que l'on se trouve, que ce soit un village comme celui-ci, ou une ville plus grande comme Al... Marbrume.

Hm, polie et aimable, oui, mais s'il pouvait ignorer son origine ce ne serait pas plus mal. Il finirait sans doute par le savoir de toute façon, les gens du bourg étaient déjà au courant. Et ça n'était pas à son avantage. Elle se retint de nouveau de lui demander qui il était. Dans le doute, mieux valait ne pas vexer cet homme aux allures d'ours.
Elle reprit rapidement pour lui faire oublier cette maladresse :

Désirez-vous être entendu en confession Messire ? Ou souhaitez-vous que je vous laisse prier seul ? Il me reste une armoire à ranger là-bas, venez m'y trouver si vous avez besoin d'autre chose.

Elle pointa du doigt une des armoires encore en désordre dans un coin du temple.

C’est bien ce que je pensais, la prêtresse est présente depuis peu de temps, sûrement envoyé par le Temple lorsqu’ils ont su pour la décision royale, une preuve de plus que le pouvoir royal et religieux travail main dans la main. Elle m’indique même se plaire dans ce bourg perdu au niveau des marais, évidemment, l’absence d’une taverne ou d’une maison de passe ne doit pas la déranger plus que cela, alors que pour moi, c’est un drame.

Lorsqu’elle me propose de me confesser, je suis un peu surpris, car je ne m’y attendais pas, mais finalement, ce ne sera pas plus mal, car cela fait quelque temps que je n’ai pas fais cette petite formalité alors je lui réponds en souriant :

Ce sera avec plaisir, je prie et réalise mon offrande aux Trois d'abord et si cela ne vous dérange, pas je veux bien avouer mes pêchées, même s’ils ne sont pas bien grands.

Je commence donc par prier sur un des bancs, remerciant les Dieux de m’avoir accordé une bonne santé, d’avoir éloigné les Fangeux de ma route et surtout de m’avoir permis de pourfendre mes ennemis. Je récite également les nombreuses prières du livre saint que j’ai appris par cœur, il appartenait à mon mentor et c’est également grâce à cet ouvrage que j’ai appris à lire.

Une fois ceci réalisé, je dépose un collier en argent, donné comme partie de paiement par un des hommes que j’ai escortés entre Usson et Marbrume, sur l'autel, puis je retourne voir la religieuse près de son armoire, qu’elle est d’ailleurs en train de ranger, pour pouvoir lui dire :

Je suis prêt.

Je le suis donc dans la petite alcôve qui sert aux confessions et, une fois installé, je commence :

Je souhaite le pardon des Trois pour tous mes péchés, j’ai eu des relations intimes avec une femme sans être marié et j’ai tué trois hommes sur ordre d’un proche de sa Majesté.

Voilà, je pense n’avoir pas fait grand-chose et je m’attends donc à une rapide absolution, après tout, les Dieux sont généreux.

Le colosse indiqua qu'il souhaitait prier et confesser ses péchés "même s'ils ne sont pas bien grands". Gudrun trouva cette phrase légèrement présomptueuse. Après tout, n'était-ce pas au Dieux de décider de la gravité des péchés ? Mais enfin, il semblait très croyant, et c'était le plus important. Elle s'en retourna finir de ranger.

Il passa un long moment à prier. Lorsqu'il fut prêt pour la confession, ils se dirigèrent vers l'alcôve et Gudrun vit du coin de l'oeil un reflet argenté sur l'autel. Un bijou sans doute. Cela lui confirma sa bonne impression, l'homme était très dévôt.

Il commença par tout avouer de ses péchés, sans même que Gudrun ait besoin de l'interroger.

Je souhaite le pardon des Trois pour tous mes péchés, j’ai eu des relations intimes avec une femme sans être marié et j’ai tué trois hommes sur ordre d’un proche de sa Majesté.

Elle était impressionnée par la facilité de cet homme à avouer tout cela. Bien sûr, ce genre de choses restaient relativement normales pour un soldat. Tuer des hommes sur demande, passer du bon temps avec une fermière dans un coin de grange... Elle avait déjà entendu des confessions bien plus terribles, mais en général, ceux qui les faisaient mettaient bien plus de temps et d'hésitation à les avouer. Elle se rappela alors la phrase prononcée plus tôt "même s'ils ne sont pas bien grands". Aurait-il tendance à mépriser le jugement des dieux ?

Votre confession a été entendue Messire. Bien évidemment, tuer reste une exception à la règle pour un soldat, et je vois que vous avez la faveur de Rikni pour survivre ainsi. Continuez à prier et à faire des offrandes pour que Serus et Anur ne se sentent pas oubliés. Quant à ce que vous avez fait avec une femme... Ce genre de besoin ne doit pas être ignoré, mais au contraire mis à profit. Pourquoi n'êtes vous pas marié ? Vous êtes encore dans la force de l'âge, honorez donc Serus en vous mariant et en faisant des enfants à votre épouse ! C'est ainsi que vous obtiendrez le pardon des dieux, l'argent ne servira à rien.

Après cette longue tirade, Gudrun redoutait la réaction de Messire de Rochemont. Elle ne regrettait rien, si l'homme devenait mençant ou même violent, au moins aurait-elle la satisfaction d'être restée fidèle à sa foi et à ses valeurs. Même si... Etiol manquait toujours dans ses sermons.

Les premières paroles de la prêtresse me font chaud au cœur et je compte bien continuer les offrandes en ce sens. Depuis mon premier combat, contre mon beau-frère qui s’est terminé par sa décapitation, j’ai senti la présence de Rikni à mes côtés et je vais faire tout ce qu’il faut pour la satisfaire.

La suite de notre discussion est plus difficile à attendre, mais je ne l’interromps pas, l’écoutant jusqu’au bout, puis après quelques secondes de réflexions, je lui indique, d’une voix douce :

Vous avez raison bien sûr et je souhaite trouver une femme, douce et obéissante. Mes cousins m’ont mis en contact avec de nombreuses femmes de la Noblesse, mais je leur fais peur, l’une d’elles m’a même dit qu’elle préférerait coucher avec un Fangeux plutôt qu’avec moi !

Je prononce ces dernières paroles avec colère, mais je réussis à me calmer et je continue ma confession d'une voix normale :

Cette femme avec qui j’ai eu des relations me plaît énormément et elle est célibataire. Je pense même qu’elle ferait une bonne épouse, mais j’ai peur qu’elle n'accepte pas le mariage, son rang étant plus élevé que le mien.

Je suis même sûr que Rosen refuserait tout net, préférant garder sa liberté. Bref, ma vie n’est pas facile et je dois faire avec, surtout que je n’ai toujours pas récupéré mon titre, ce qui complique encore plus les choses. Je demande donc à la prêtresse :

Avez-vous des conseils à me donner pour que Serus m’aide à la convaincre ? Il faudrait qu’il lui envoie des rêves ou des signes lui indiquant qu’elle aurait bien des avantages à me prendre pour époux.

C’est à ce moment que les Dieux peuvent m’aider, après tout, j’ai toujours tout fais pour eux, si pour une fois, ils pouvaient me rendre la pareille, ce serait bien urbain de leurs parts.

Messire de Rochemont écouta patiemment son sermon semblait-il. Cependant, il reprit la parole :

Vous avez raison bien sûr et je souhaite trouver une femme, douce et obéissante. Mes cousins m’ont mis en contact avec de nombreuses femmes de la Noblesse, mais je leur fais peur, l’une d’elles m’a même dit qu’elle préférerait coucher avec un Fangeux plutôt qu’avec moi !

Si le géant avait commencé sa phrase d'un ton toujours aussi respectueux, il prononça ces mots de plus en plus fort, irrité. Se voir rabaisser en dessous d'un Fangeux par l'un de ses pairs était effectivement quelquechose difficile à digérer. En revanche, Gudrun pouvait facilement comprendre l'effroi qu'inspirait Desmond à ces femmes. Entre sa carrure, ses exploits militaires et sa capacité à s'emporter rapidement, il y avait de quoi se sentir terrorisée. Gudrun elle-même n'en menait pas large, même si elle tâchait de n'en rien montrer.

Cette femme avec qui j’ai eu des relations me plaît énormément et elle est célibataire. Je pense même qu’elle ferait une bonne épouse, mais j’ai peur qu’elle n'accepte pas le mariage, son rang étant plus élevé que le mien.

Ah, le désir des hommes pour les femmes était partout le même ! Messire de Rochemont semblait penser que seul le rang empêchait cette femme de l'accepter comme époux, mais le plus probable selon Gudrun, c'était qu'elle n'en avait tout simplement pas envie. Soit cette dame n'osait pas lui avouer, soit cet homme avait de la bouse plein les mirettes. Elle n'était pas contre les mariages arrangés, qui étaient utiles, mais cet homme semblait vouloir se marier... par amour ? Dans ce cas il semblait logique que la femme, quel que soit son rang, avait son mot à dire.

Avez-vous des conseils à me donner pour que Serus m’aide à la convaincre ? Il faudrait qu’il lui envoie des rêves ou des signes lui indiquant qu’elle aurait bien des avantages à me prendre pour époux.

C'était là que ça devenait délicat. Messire de Rochemont s'imaginait sans doute qu'on pouvait donner des ordres aux Dieux, mais ça ne marchait pas comme ça ! Gudrun ne put s'empêcher de froncer les sourcils. Heureusement, la lumière était faible dans ce recoin.

Messire, les Dieux peuvent aider... Mais vous devez initier la chose vous-même. Si elle n'a pas encore eu de signe clair qui la pousserait vers vous, c'est peut-être que vous n'avez pas assez fait de votre côté. Si vous avez peur qu'elle n'accepte pas, c'est donc que vous ne lui avez pas demandé ? Comment voulez-vous que Serus le fasse à votre place ?

Gudrun s'interrompit, songeuse. Elle-même était loin d'être irréprochable sur ce point. Sa période de deuil était passée depuis longtemps, et même si l'on pouvait excuser l'absence de mariage sur le bateau, elle était depuis déjà six mois dans le Morguestanc. Et elle n'avait pas fait la moindre démarche pour se remarier. Pire, elle se trouvait des excuses : peut-être que son mari n'était pas mort ; son ventre n'avait encore porté aucun enfant... Des excuses aussi valables qu'une fiente de poule. Elle ne valait pas mieux que lui dans ce domaine...

Messire, je peux néanmoins vous inclure dans mes prières quotidiennes à Serus. Je prierai pour qu'il vous montre à vous et à votre future épouse le chemin pour vous trouver.

Je ne vois pas l’intérêt de faire des offrandes aux Dieux, si, quand on a besoin d’eux, ils nous disent de nous débrouiller ? Mais je ne dis rien, espérant quand même qu’elle va intercéder en ma faveur et ses paroles suivantes me rassurent et je dis à la prêtresse :

Je vous remercie pour votre aide, je vais attendre une semaine, le temps que Serus la mette dans de bonnes dispositions, puis je ferais ma demande. Avec son aide, je suis sûre qu’elle acceptera.

C’est vraiment bien d’avoir les Dieux de son côté, tout de suite les choses deviennent plus faciles. Je n’ai plus qu’à être patient ! Je sors donc du petit recoin et dis à la personne du Temple :

Vous avez été fort aimable avec moi, je ne manquerai pas de complimenter votre hiérarchie, vous envoyez ici a été une très bonne décision.

Alors que j’allais prendre congé, particulièrement content de la manière, se sont passé les choses, je vois un homme entré, manifestement ivre et demandé d’un ton tout à fait irrespectueux :

Alors que j’allais prendre congé, particulièrement content de la manière, se sont passé les choses, je vois un homme entré, manifestement ivre et demandé d’un ton tout à fait irrespectueux, mais à voix basse :

Alors c’est vous qui croyez dans les Quatre ? Moi aussi, j’y crois, j’en ai marre de me cacher, tous ces gens se trompent, il y a bien…

Je l’interromps en lui mettant la main sur l’épaule et me rapprochant de l’individu, je lui dis d’un ton qui ne souffre d’aucune réplique :

Je te déconseille de blasphémer dans la maison des Trois.

Je le regarde droit dans les yeux, en lui disant :

Tu as de la chance que le Temple interdit la violence, car je t’aurais volontiers mis dehors à coup de pied, comment oses-tu venir ici et interpeller une religieuse ainsi ?

Je vois les yeux de l’homme s’agrandir, il ne devait pas à s’attendre à ce genre d’accueil, alors il bégaye un peu et me répond :

Mais, mais, je voulais juste discuter avec…

Je l’interromps à nouveau et je lui dis :

Pas un mot de plus, scélérat !

Je me tourne ensuite vers Gudrun et je lui demande :

Ma sœur, que voulez-vous que je fasse de cet infidèle ?

J’espère qu’elle va me demander de le virer manu militari de la bâtisse.

La confession semblait finie, l'homme se leva, la remercia. Ils sortirent tous deux du recoin. La tension accumulée depuis son arrivée se relâcha doucement. Finalement, sous ses airs de brute épaisse se cachait un véritable croyant, et c'était assez rare pour ne pas être apprécié par la prêtresse.

Soudain, un homme entra dans le temple, demandant d'une voix forte :

Alors c’est vous qui croyez en Etiol ?

Gudrun resta sans voix. Par les Dieux, pourquoi fallait-il que cela arrive maintenant ? Elle vit le colosse rejoindre rapidement l'homme. Celui-ci titubait un peu. Peut-être avait-il bu, peut-être était-ce le géant qui l'intimidait.

Ma sœur, que voulez-vous que je fasse de cet infidèle ?

La prêtresse était un peu sonnée par cet évènement. D'un côté, elle ne pouvait pas laisser un fidèle d'Etiol dans ce désespoir. De l'autre, il ne semblait pas savoir garder un secret. Le choix était vite fait. Ce ne serait pas la première fois qu'elle condamnerait l'un de ses compagnons de culte. Mais celui-ci était différent : ce n'était pas un naufragé, elle ne le connaissait pas. D'où connaissait-il donc Etiol ? Y avait-il des croyants des Quatre dans cette région du Morguestanc ? Le moment était peut-être venu de prendre quelques risques.

Attendez un instant Messire. Où résidez-vous, ivrogne ?

Gudrun profita de ce petit instant de répit pour se rapprocher et graver la figure de l'intrus dans sa mémoire.

Mais... Mais... Ils disaient...

L'homme semblait se ratatiner de minute en minute. Elle n'en tirerait rien, la grosse poigne de Messire de Rochemont semblait lui avoir ôté ses capacités intellectuelles.

Je ne peux qu'espérer vous voir revenir pour vous repentir de cet incident. Messire de Rochemont, pourriez-vous expulser cet homme du temple ? Son état et ses divagations me semblent incompatibles avec les affaires religieuses.

Elle attendit patiemment, puis déclara :

Veuillez m'excuser Messire, je pense que cette intervention est due en partie à ma présence ici. Vous savez peut-être je fais partie des réfugiés d'Hendoire, et il se murmure que nous vénérons le dieu Etiol. C'est bien évidemment faux, mais les rumeurs se répandent plus facilement que la vérité.

C'est néanmoins la première fois qu'on m'aborde aussi directement, je suis un peu surprise. Vous, en revanche, avez semblé plus agacé que surpris. Avez-vous déjà rencontré de telles personnes ?

Gudrun espérait que cette curiosité ne semblerait pas trop déplacée.

La prêtresse, trop gentille essaye de remettre dans le droit chemin l’infidèle, mais celui-ci est comme statufié, comme un lapin devant un renard et n’arrive pas à articuler, c’est pourquoi, quand elle me demande de le sortir du Temple, je le fais avec grand plaisir, le soulevant par le bras en lui indiquant de mon ton le plus intimidant :

Tu as de la chance, à sa place, je t’aurais depuis longtemps cassé en deux, alors part et réfléchis bien à tes actes.

L’homme se carapate en quatrième vitesse, sans jeter un regard en arrière et je peux enfin rejoindre la religieuse qui m’informe qu’elle fait partie des rescapés du grand bateau. Elle me demande ensuite si j’ai un historique avec ce genre d’individus et je lui réponds simplement :

Je ne savais pas que vous faisiez partie des naufragés, j’ai connu une certaine Théanna, une guérisseuse il y a quelques mois, qui m’a bien soigné, je ne sais pas si vous la connaissez. Je n’ai rien contre vous, car les Trois vous ont sauvé et je suis sûr que vous avez reconnu l’importance des vrais Dieux.

Pour le reste de la discussion, je baisse un peu la voix et je lui réponds :

J’ai en effet eu, une curieuse rencontre, l’année dernière, quand j’escortais un prêtre dont je dois taire le nom. Un vagabond m’a alors pris à partie, pour me dire que les disciples du Corbeau allaient me faire du mal. Au début, je n’ai pas compris, mais le religieux m’a expliqué que c’est ainsi que les disciples d’Etiol, nommaient leur culte infâme.

Je suis à nouveau énervé par ce souvenir, mais je me retiens et je lui dis, toujours à voix basse :

Mais il s’est révélé que ses paroles étaient mensongères, car je n’ai rien eu de tel, du moins aucune attaque directe. En tout cas, j’ouvre l’œil et le premier que je soupçonne d’hérésie, je l’emmènerai à la Garde avec grand plaisir, car les cultistes sont accusés de sacrifices humains et de cannibalisme, bref, ils sont aussi fous que les membres de la secte qui ont fait rentrer des Fangeux dans Marbrume.

Je m’arrête là pour ne pas trop effrayer mon interlocutrice et je reprends d’une voix normale :

Bref, avez-vous d’autres questions à me poser ?

Tant que je suis là, autant en profiter pour lui expliquer le fonctionnement de notre pays.

Gudrun fut soulagée par cette réponse. Son attitude n'avait pas semblé suspecte aux yeux du noble. Encore une fois, Théanna lui rendait service.

Bien sûr que je la connais ! C'est une amie chère à mon coeur. Vous avez tout à fait raison, je pense que les Dieux étaient de notre côté ce jour-là et je leur en rends grâce chaque jour.

Messire de Rochemont prit alors une attitude de conspirateur, baissant sa voix. En effet, son histoire était plus que subversive pour des croyants de la Trinité. Gudrun en eut des sueurs froides, non pas à cause de cette histoire de sacrifices humains, qui étaient sans doute tirée par les cheveux, mais bien à cause de la dévotion du colosse. Au moindre faux pas, ceui-ci n'hésiterait pas. Il lui sembla nettement moins sympathique après cette déclaration.

En effet, j'ai entendu parler de ce fâcheux évènement à Marbrume. Je reste admirative des efforts et du courage que vous déployez pour vivre malgré ce contexte. Mais la garde ne peut-elle arrêter les membres de ces sectes ?

Il semblait avoir un peu de temps à accorder, autant en profiter.

Si je puis me permettre Messire, résidez-vous souvent à Sombrebois ? Vous devez bien connaître la baronne, pourriez-vous m'en dire plus à son sujet et à celui de son défunt mari ? Dans son état... Il ne m'a pas semblé très sage de davantage la questionner, mais j'aimerais simplement... mieux comprendre la situation ici.

Peut-être aurait-elle des informations utiles... Ou pas. Ce serait toujours mieux que d'écouter les ragots des villageois.

C'est le moment que choisit le gamin pour pousser un gémissement. On lui avait confié le matin même, brûlant. Gudrun l'avait allongé sur un matelas de fortune, derrière un rideau, dans le temple, pour pouvoir garder un oeil sur lui dans la journée. Gudrun écarta le rideau, posa sa main sur le front du petit malade et entreprit de préparer une nouvelle infusion.

Excusez-moi Messire, il faut que je m'assure que son état n'empire pas, mais je vous en prie, continuez à parler.

La ville de Marbrume est vraiment toute petite, car il y a toujours des connaissances communes. Je dois aussi signaler que je rencontre toujours beaucoup de gens lors de mes différents voyages, mais c’est parce que je suis quelqu’un de très sociable. En plus, je croise toujours la route de gens sympathiques avec moi, surement, car je tue ceux qui ne le sont pas.

Je suis, en tout cas, fier, quand la prêtresse me dit qu’elle m’admire, ce qui est bien normal vu mes nombreux exploits. Lorsqu’elle parle du travail des forces de police, je lui dis en souriant, toujours à voix basse :

Les membres des sectes, sont nombreux et malins, deux choses que ne sont pas les miliciens. En plus, il ne faut pas oublier que la plupart de ces derniers ne sont pas des soldats, car les vétérans sont tous partit avec le Roi précédent, mais juste des civils.

Le projet sujet abordé est celui qui touche à Sombrebois et comme j’ai de nombreuses connaissances sur ce sujet, on pourrait même dire que je suis un expert dans ce domaine, je m’apprête à lui répondre, quand nous sommes brusquement interrompus par une sorte de râle d’agonie. Gudrun soulève le rideau et je peux voir un enfant allongé qui semble aller au plus mal.

La femme part s’occuper de lui, alors que je reste à distance, ne voulant pas tomber malade, d’ailleurs, avant même de commencer ma réponse, je lui demande :

Qu’est-ce qu’il a ?

Si c’est contagieux, je garde mes distances et dans le cas contraire, je m’approche un peu. Une fois cette mesure de scurité prise, je lui indique tout ce que je sais :

Alors, à l’origine, le baron Hector de Sombrebois a réussi à maintenir le bourg, survivant au jour le jour malgré la Fange, puis il s’est marié avec une roturière, nommé Rosen, ce qui a créé un beau scandale à l’époque. Après l’avoir mis enceinte, il est parti chercher un remède pour un de ses enfants adoptifs et il a disparu il y a un ou deux mois de cela.

Je réfléchis quelques secondes afin de vérifier que je n’ai rien oublié, avant de conclure :

Le Roi a décidé de soutenir la nouvelle baronne et a procuré à cette communauté de nouveaux moyens, d’où votre venue ici.

Voilà, je pense avoir tout dit et je pose une dernière question :

Si vous avez de nouvelles interrogations, n’hésitez pas, je suis là depuis pas mal de temps, maintenant.

Grâce à Rosen, je suis devenu un habitué des lieux.

Le géant semblait être de bonne humeur et trouver ses questions tout à fait normales. Gudrun put ainsi apprendre que les sectes étaient toujours en activité, et bien cachées. Evidemment, cela intriguait la prêtresse tout en la rebutant. Les sectes étaient-elles vraiment responsables de telles atrocités, ou essayait-on de les discréditer ? Elle ne savait pas trop ce qu'elle devait penser de tout ça, mais elle ne tirerait rien de plus de Messire Desmond qui semblait très convaincu de ces choses. Et il n'hésiterait pas à la dénoncer s'il le fallait. S'il ne faisait que la dénoncer...

Il sembla prendre peur à la vue de l'enfant cependant. Hm. Il était évident que si les gens d'ici ne vénéraient pas Etiol, la maladie devait les terrifier, et à raison, puisqu'aucun de leurs Dieux n'avait le pouvoir sur ce genre d'évènements.

Il brûle de fièvre, rien d'exceptionnel Messire. Vous pouvez rester à quelques pas, notre conversation ne dérangera personne de toute manière.

Le géant resta prudemment à distance. Il reprit son explication sur l'histoire du baron et de la baronne de Sombrebois. Même si la prêtresse n'aimait pas les ragots, il fallait bien dire que cette histoire était assez étonnante ! Elle ne l'aurait sans doute pas cru s'il elle avait été racontée par un ouvrier. Le baron avait donc disparu ? Cela expliquait l'embarras de la baronne. Et celle-ci était d'origine roturière ? Intéressant !

Le nobliau semblait décidément bavard, mais cela faisait déjà beaucoup de choses à digérer pour une matinée. Néanmoins il avait l'air très informé des affaires de Sombrebois, il devait passer par ici souvent.

Merci pour cet éclairage Messire. Je ne vous retiendrai pas plus longtemps, car je dois encore m'occuper de cet enfant, et je doute que vous soyez disposé à assister à ce genre de spectacle.
A moins que vous n'ayez besoin d'autre chose Messire ? ajouta-t-elle prudemment.

La réponse de la jeune femme sur l’état de l’enfant ne me rassure pas de tout, s’il a de la fièvre, c’est qu’il est malade et que l’on peut attraper sa maladie. Je reste donc prudent et conserve une distance de sécurité, si j’avais un mouchoir avec moi, je l’aurais pressé contre mon nez, certaines personnes disent que cela protège contre les maladies, un peu comme un masque en tissus, mais je n’en ai pas sur moi.

Les élus des Trois sont sûrement plus protégés que les autres citoyens contre les infections, mais on n’est jamais trop précautionneux contre ce genre de chose. D’ailleurs, quand elle m’indique qu’elle va s’occuper de ce garçon, sans doute en lui faisant une saignée, car ce traitement guéris tout, je lui réponds, soulagé :

C’est un honneur de rendre service à une représentante des Dieux. Je n’ai besoin de rien d’autre, je vais donc vous laisser.

Après tout, j’étais venu pour prier, déposer une offrande et je me suis en plus confessé, donc je peux partir l’esprit et l’âme au repos. J’ajoute juste une dernière phrase :

Je loge actuellement au Château, si vous avez besoin de mon aide, n’hésitez pas à me contacter là-bas.

J’allais ajouter que tout le monde me connaît ici, mais ce n’est plus le cas depuis l’arrivée des renforts de la milice et des nouveaux ouvriers. Il me reste une chose à accomplir, qui ne peut souffrir d’aucun retard et après fait un bref aurevoir de la tête, je quitte les lieux. Je cherche du regard l’homme qui s’est fait remarquer tout à l’heure et je le vois justement sortir du bourg, une hache à la main, sûrement pour rejoindre un des camps situés à l’extérieur.

Je le suis à bonne distance et dès qu’il s’enfonce dans les sous-bois, je le rejoint. Je vérifie que personne n’a remarqué mon petit manège et une fois que je suis sûr que nous sommes seuls, je dégaine mon épée. Je vois l’hérétique se retourner, mon fourreau ayant fait un peu de bruit et il me regarde avec de grands yeux, je vois de la peur dans son regard et il me dit en balbutiant :

Que faites-vous ?

Je ne lui laisse pas le temps de reprendre ses esprits et je le charge. Délaissant mon épée trop grande dans ses bras, je l'attrape et lui fracasse à plusieurs reprise le visage avec seulemnt mes mains et il meurt avant même de toucher le sol. Une fois ma sinistre, mais nécessaire, besogne achevée, je coupe la tête du cadavre pour éviter toute transformation en fangeux et je jette le cadavre dans un marécage non loin, m’assurant ainsi que personne n’ira retrouver le corps.

Je peux ainsi retourner à Sombrebois, particulièrement content de moi, un adepte d’Etiol en moins !