Un recrutement nécessaire

14 avril 1167

Dans la vie, il faut saisir toutes les occasions qui se présentent, c’est une leçon que mon père m’a apprise et aujourd’hui encore, c’est bien ce que je compte faire. Cela ne fait qu’une seule journée que j’ai envoyé des gamins des rues répandre la nouvelle dans la cité de l’humanité que ma nouvelle guilde de mercenaire, les Boucliers de Marbrume a ouvert et j’ai déjà des candidats pour me rejoindre.

J’ai en effet grand besoin de renforts, car, pour le moment, je ne peux compter que sur Alana Vieillegarde, mercenaire au service du comte de Rougelac, mais seulement à titre occasionnel, Jean Mangefeuille, un homme expérimenté et bien sûr Milas, mon suivant, mais il n’a que douze ans et malgré les quelques leçons d’escrime que je lui donne de temps en temps, il est loin d’être prêt.

C’est pourquoi je suis autant satisfait quand un de mes jeunes messagers est revenu pour m’indiquer qu’un milicien lui avait indiqué qu’il viendra dans la journée car il était intéressé. C’est exactement le genre dont j’ai besoin, du moins si c’est un ancien soldat, j’ai croisé pas mal de traine-savate dans les rangs de la Milice lors de mes différentes missions et je sais que beaucoup sont des incapables.

Je reste donc prudent malgré mon optimiste légendaire et j’ai demandé à mon écuyer de guetter l’arrivé de mon invité pendant que je vaque à mes différentes occupations. Alors que j’étais en complètement plongé dans les chiffres de la comptabilité, ayant beaucoup de mal vu mes difficultés à lire, mon suivant arrive avec non un, mais deux hommes.

Le premier à rentrer est un homme de haute stature, entièrement rasé, portant une longue barbe. Je vois une cicatrice au niveau de son œil droit, mais ce dernier est intact. Ses yeux très sombres semblent tout détailler avec méfiance, ce qui m’indique que j’ai en face, une personne prudente, ce qui est parfait.

Bref, je ne suis pas déçu par l’apparence de mon interlocuteur, il porte l’armure de cuir habituel de la milice et une épée courte. Je m’avance donc vers lui et je me présente :

Bienvenue à la guilde des Boucliers de Marbrume, je suis Desmond de Rochemont, le responsable.

Je lui tends la main, une nouvelle habitude que j’ai dû apprendre, car avant, je ne serrais pas la main des gens du peuple. Je le vois prendre ma dextre et me donner une franche poignée de main, me regardant droit dans les yeux. Il me répond :

Je me nomme Paul, j’ai amené un collègue, j’espère que cela ne vous dérange pas.

Je me tourne donc vers mon second invité et je lui dit, en lui tendant également la main :

Pas de problème, si vous voulez bien entrer.

Joignant le geste à la parole, je les amène dans l’ancienne auberge qui me sert de quartier général, jusqu’à une pièce à l’étage que j'ai aménagé comme salle de réunion. Le mobilier est assez spartiate, mais solide, c’est le principal. On sent bien que tout a été récupéré à gauche et à droite, mais je reste plutôt fier de moi, le bâtiment ayant été entièrement sécurisé par un ingénieur de la capitale.

Je fais signe à Milas de nous apporter trois verres d’eau et je commence d’emblée :

Alors, vous seriez intéressé par rejoindre ma guilde ?

La guilde des Boucliers de Marbrume recrutait. Enfin, c'est ce que Paul, milicien de profession, m'avait laissé entendre. « ... Qui ? », m'étais-je interrogé à haute voix, un sourcil haussé très haut.

« Les Boucliers de Marbrume », répondit-il d'un ton sec. « Je vais être honnête avec toi Ori, je ne me retrouve plus dans la milice. Enfin, pas la forme qu'elle prend depuis l'apparition des Fangeux. Le problème, c'est que je n'ai pas ton ... Comment dire ... Ton appétance pour l'étiquette. Or, on m'a laissé entendre que leur chef était un noble, ou quelque chose dans ce goût-là. »

Certes, Paul était aussi prompt combattant qu'il était mauvais en présentation.

« Et qu'est-ce que je viens faire dans cette histoire ? », m'enquis-je.
« Je voudrais que tu m'accompagnes pour ... Mh, augmenter mes chances. »
« Te vendre, de fait, j'imagine. »

Paul toussa doucement, l'air légèrement gêné.

« Ou plutôt pour m'éviter de dire des conneries qui ne titilleraient le cul d'un haut-né. »

Il y avait du travail, c'était certain, mais Paul n'était pas encore un cas désespéré. Aussi acceptais-je, passant le reste de la matinée à préparer mon poulain au challenge qui l'attendait. Soignage de barbe en règles, dos droit en passant par quelques règles simples d'étiquette, le coach Ori n'avait ménagé aucun effort pour donner toutes ses chances à celui que, dans certains cercles très privés, on appelait « Paulo la gaffe ».

« Quel est ton rôle ? », répétais-je, légèrement las.
« Me vendre à prix fort, et être très professionnel. »
« Et le mien ? »

« Jouer le soldat chiant moyen, pour redorer mon blason par effet de comparaison ... Mais ça je ne dois pas le dire », ajoutait-il à la hâte.

« Que faire quand je parle sans prendre de gants ? »

« M'exclamer ton nom. »

Parfait, il se l'était enfin remémoré. Il était prêt. Tout du moins l'espérais-je, secrètement peu convaincu.

Ainsi nous étions-nous mis en route vers le quartier général de la guilde, reçus par un jeune homme qui ne devait pas peser plus d'une douzaine d'années pour enfin rencontrer le maître des lieux, qui se présenta sous le nom de Desmond de Rochemont. Paul était entré dans la pièce l'air fier, le dos droit pour offrir l'assurance d'un homme d'expérience - et il en avait.

« Je me nomme Paul, j’ai amené un collègue, j’espère que cela ne vous dérange pas », déclara-t-il, prenant les devants.

« Orian Larcher, messire », me présentais-je à la hâte, faisant peu de formes avant de suivre notre hôte dans une salle de réunion austère mais pas nécessairement inconfortable, prenant place à côté de Paul.

« Alors, vous seriez intéressé par rejoindre ma guilde ? », fit l'homme à l'air peu amène, alors qu'on nous servait de l'eau. Et puisqu'on m'offrait une excellente entrée en matière pour faire mon difficile, je n'allais pas me faire prier.

« Vous n'avez que de l'eau ? Point de vinasse, messire Richemont ? », m'enquis-je, feintant de me tromper innocemment sur son nom de famille.

« Ori », tonna d'un ton calme mais ferme, comme pour arrêter mes pitreries. Et, pour une fois, je m'exécutais.

« Pardon messire, n'y voyez aucune offense », m'excusais-je. « Sinon, ça paie bien comme métier, mercenaire ? Comme vous nous demandez de renoncer à une position bien confortable au sein de notre structure actuelle ... »

« Ori ... », fit-il dans un soupir excédé.

Si au début, je m’étais réjoui d’avoir deux interlocuteurs devant moi, ce Orian Larcher me semble être une personne bien exigeante et de surcroit doublé d’une sacrée impertinence. Il me demande du vin, comme si j’étais une auberge, heureusement son compagnon est bien plus respectueux des conventions et le reprend. Pour ma part, je lui indique simplement :

Il est encore bien tôt pour le vin.

Je suis persuadé d’avoir un alcoolique devant moi, mais il n’a pas terminé, car il souhaite connaître maintenant les avantages de la vie de mercenaire et je lui réponds d’une voix où l’on peut entendre mon agacement :

Il y a de nombreux avantages à la vie de mercenaire, le salaire est meilleur que dans la milice, c’est moins risqué, car on ne vous demandera jamais de vous sacrifier pour la gloire et surtout, une partie du salaire est donné en diverses marchandises.

C’est un des avantages à travailler pour des marchands et tout le monde est gagnant. C’est bien beau d’avoir de l’argent, mais si certaines nourritures comme de la viande sont introuvables, cela ne sert pas à grand-chose. Avant l’arrivée de la Fange, l’or dirigeai tout, maintenant, c’est le troc qui occupe le devant de la scène.

J’essaye de lire le visage de mes interlocuteurs, mais je ne suis guère doué à cela et je continue donc après m’avoir rafraîchi le gosier :

Il y a également un deuxième avantage et non des moindres, j’ai des entrées dans une maison de passe très select avec des jeunes beautés. Pour un prix modique, pris directement sur votre salaire, vous y aurez accès. Le troisième avantage est que je peux vous héberger dans cet établissement, un dortoir est à votre disposition.

Je suis particulièrement fier de moi des choses que j’ai mis en place et je souris un peu, avant de passer à ma partie préférée :

Mais avant d’accéder à tout cela, nous ne faisons pas comme ces femelettes des Lames du Morguestanc à jurer sur un code. Il n'existe qu'une seule épreuve d'admission, car il n'y a aucune question sur le passé des candidats ou autre billevesée. Pour entrer dans l'organisation, il suffit de survivre à un combat de cinq minutes contre moi, l’abandon ou la mort étant éliminatoire.

Il ne me reste plus qu’à attendre la réponse des deux miliciens, me réjouissant par avance de la leçon que je vais pouvoir donner au jeune coq présomptueux, ce dénommé Orian.

Je hochais la tête à l’énoncé des avantages, tâchant tant bien que mal de feinter mon intérêt … Jusqu’à apprendre que l’homme et ses suivants avaient accès à des prix sur la maison de passe locale. Non. Ori, ressaisis-toi. Tu es là pour Paul, pas pour satisfaire tes propres envies.

Quand enfin j’apprenais la nature du test des Boucliers de Marbrume, mon accueil fut à l’extrême opposé de celui de Paul : si lui semblait excité, ravi d’en découdre, ce n’était pas mon cas. Il ne fallait pas être devin pour déceler l’expérience et la brutalité de notre recruteur, et puisque je n’étais pas en odeur de sainteté, sans doute n’y irait-il pas de main morte lors de notre duel.

Eh bien, je n’avais aucune intention de mourir dans tous les cas, mais de toute façon Paul allait-il passer avant moi – je ferais ce qu’il faut en ce sens.

« Eh bien, Paul, montrons donc ce dont nous sommes capables. Et puisque, en toute honnêteté, tu es bien meilleur escrimeur que je ne le suis, je te laisse l’honneur de passer le test en premier. La Trinité m’entende, cela m’offrira peut-être une opportunité quand mon tour viendra. »

Contrairement à la plupart des candidats qui sont apeurés lorsque je leur indique la nature de l’épreuve, ce n’est manifestement pas le cas de Paul qui semble carrément enthousiasmé, ce qui fait plaisir à voir. Même Orian ne rechigne pas et c’est donc ainsi que nous nous retrouvons sur l’arène en terre située à l’arrière du bâtiment.

Des arme en bois sont présentes sur un atelier d’arme et je prends comme d’habitude une épée à deux mains, ma préférée. Un cercle de pierre délimite la zone d’engagement de 5 mètres de rayon, nous permettant d’être relativement à l’aise. La plupart des endroits où je me suis entraîné étaient plus petits, mais la plupart du temps, les mercenaires de ma guilde ne combattront pas en milieu urbain, car notre spécialité, c’est la protection des convois entre la capitale et les villages alors autant laisser de l’espace au candidat.

Je suis curieux de savoir ce qu’il va choisir comme arme, la plupart des miliciens préfèrent l’épée courte, mais certains utilisent la lance également. Une fois que le garde est prêt et qu’il me rejoint dans l’arène, j’indique à son collègue :

Je vous laisse donner le signal du départ !

Dès que ce dernier est donné, je fais comme d’habitude et je charge mon adversaire. Beaucoup de combattants considèrent ma technique comme primitive et ils ont raison, mais elle m’a permis d’acquérir le titre de meilleur épéiste à deux mains de la région alors je la garde. Je m’attends à ce que mon opposant pare ou esquive facilement ma première attaque, mais dans le même mouvement, je frapperai une deuxième fois au torse, puis une troisième fois à la tête.

Ma force dans les engagements armés, ce sont mes multiples attaques et ma puissance dévastatrice. J’encaisse également plutôt bien les coups, même sans armure et je peux tenir longtemps un combat. Je poursuis ainsi notre confrontation pendant les cinq minutes réglementaires, ne le ménageant pas mais sans faire preuve de brutalité excessive car je tiens à ce qu’il reste debout.

Il réussi mon test haut la main et devient ainsi mon nouvel employé.