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 De poussière et de sang [Terminé]

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Morgred PêcheurPêcheur
Morgred Pêcheur



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MessageSujet: De poussière et de sang [Terminé]   De poussière et de sang [Terminé] EmptyJeu 26 Aoû 2021 - 16:56
4 mars 1167


La tête appuyée contre le torse de son mari, Margot écoutait paisiblement les battements de son cœur, se laissant bercer par sa respiration calme et régulière, au creux de ses bras. Ces moments de tendresse étaient trop rares pour qu’elle ne s'en repaisse pas à outrance.

— Morgred ? hasarda-t-elle dans un murmure, peu désireuse de troubler leur quiétude.
— Hm ?
— Tu as fait une bonne pêche, hier, et Mariotte a acheté tes prises à bon prix. Que dirais-tu d’emmener Philippa à La Hanse ?
— Aujourd’hui ?
— Tu lui avais promis, il y a quelques jours.

Morgred fronça les sourcils, baissa les yeux, et le regretta aussitôt lorsqu'il croisa les deux iris émeraude de sa femme. Quand elle le regardait ainsi, il avait toujours du mal à lui résister.

— Je lui ai promis, parce que tu veux pas que je l’emmène pêcher.
— Elle est trop petite, et ta barque est…
— Critique pas ma barque.

Margot se laissa aller à un ricanement. Dans un élan de courage, elle se redressa à demi, assise à califourchon sur son homme.

— Alors ? C’est oui ?

*

— HAN ! Papa ! Regarde !

Et Philippa de trottiner joyeusement vers une nouvelle boutique. Sur les talons de sa benjamine, Morgred maudissait sa femme de craindre inutilement Anür : au moins, limitée à la barque, la petite ne s’éparpillerait pas de la sorte et ne lui mènerait pas la vie aussi dure.

— Philippa, reste près de moi, ronchonna le grand brun en rejoignant sa fille.

C’était la troisième fois qu’elle lui échappait. La Hanse possédait beaucoup trop de diversité et de vitrines – auxquelles l’enfant n’était pas habituée –, pour ne pas susciter fascination, impatience et exubérance.

Le pêcheur était totalement dépassé.

Il n’avait pas coutume de prendre ses filles en charge et laissait volontiers ce soin à Margot, particulièrement douée, par ailleurs. Ce genre d’escapades, rares mais éprouvantes, ne l’incitaient pas nécessairement à réitérer l’expérience.

— HAN !

Voilà une heure que Morgred accompagnait sa fille – ou du moins, lui courait après. Assez longtemps pour qu’il sache, à présent, que ce « Han ! » était de mauvaise augure. Sourcils froncés, il aperçut la petite tête brune dodeliner au rythme de sa course sur les pavés, mais n’eut pas le temps de s’élancer à sa suite, cette fois, alors qu’une charrette lui coupait la route.

Il n’en fallut pas plus au père pour perdre momentanément sa fille.

Loin de le réaliser, Philippa ne s’en préoccupait nullement. Du reste, son papa l’avait toujours rattrapée jusqu’à présent. Pourquoi en irait-il autrement, cette fois ?
Elle se faufila habilement entre les jambes d’un petit attroupement pour contempler une vitrine brillant de mille feux. Aussi loin qu’elle s’en souvienne, jamais elle n’avait vu de quartier aussi beau. Plein de couleurs et de parfums délicats, ô combien différents de ce qu’elle éprouvait quotidiennement au port.

Toutefois, l’attention enfantine étant ce qu’elle est, la vitrine ne fut bientôt plus assez somptueuse pour Philippa, déconcentrée par un chat venu se frotter à ses jambes. Ni une, ni deux, la petite lui emboîta le pas de ce trot si caractéristique. Elle serpenta, força parfois le passage au sein de groupuscules, sans quitter des yeux ce grippeminaud qui la fuyait désormais.

Survint alors l’inévitable : à force de ne pas regarder où elle mettait les pieds, Philippa s’entrava et s’étala sur les pavés, dans un son mat.

— Aouch…, maugréa-t-elle en se redressant avec lenteur.

Souillée de poussière et de terre, la fillette contempla feu sa jolie robe, puis remarqua la plaie superficielle à son genou droit et ses mains égratignées par un amortissement hasardeux. Imperméable à la douleur jusqu’à la vue du sang, la petite sentit soudain les larmes lui monter aux yeux. Au-delà des picotements, pointait cependant une crainte grandissante.

Son père n’allait-il pas la gronder pour s’être ainsi salie ?


Dernière édition par Morgred Pêcheur le Mar 7 Sep 2021 - 16:17, édité 1 fois
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Clémence SarravilliersGuérisseuse
Clémence Sarravilliers



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MessageSujet: Re: De poussière et de sang [Terminé]   De poussière et de sang [Terminé] EmptyVen 27 Aoû 2021 - 8:41
Depuis quelque jours, Clémence passait beaucoup de temps à la maison pour le plus grand plaisir de Clarence qui ne cessait de se réjouir de pouvoir passer plus de temps avec sa grande sœur. Cela, la jolie petite rousse le devait aux techniques de la sage-femme avait aux enseignés aux prostituées ne voulant point enfanter , mais qui, malgré leur efficacité notable lui épargnant un bon nombre d'avortement, la privait également de travail et surtout d'argent. Alors, comme à chaque fois que l'argent manquait, Clémence entreprit de faire le tour de leur grande maison afin de dénicher quelques babioles à vendre ou à échanger. Son bonheur, l'aîné le trouva dans l'immense grenier rempli de caisses poussiéreuses contenant des objets, des vêtements , des peintures et même des bijoux ayant appartenu à divers membres de la famille Sarravilliers. D'ailleurs, sous une poutre, dissimulée au creux de la pente du toit, Clémence eut même la surprise de découvrir une caisse portant son nom. Curieuse, c'est prestement qu'elle l'ouvrit pour y découvrir un grand nombre de vêtements d'enfants. Les siens. Que de souvenirs dans cette boîte. Tant de petites robes soigneusement enveloppées dans du papier de lin et qui, par chance, avaient été épargnés par la moisissure. Cela, elle ne pouvait décemment pas le vendre, mieux valait en faire don au Temple. Même si, évidemment, certaines tenues étaient probablement trop voyantes pour de petites orphelines. Sa mère adorait donner des airs de princesse à sa fille, sans doute pour faire oublier son visage aux traits trop grossiers pour une enfant aussi jeune, ou simplement pour s'amuser. Clarence avait de quoi tenir avec Louise Sarravilliers, les deux étaient toutes aussi rêveuses et imaginatives l'une que l'autre. Nul doute qu'elles se seraient entendues à merveille si la vie n'en avait pas décidé autrement.

-Roh et puis tant pis, protesta Clémence en remettant les robes dans la caisse. Orpheline ou pas, toutes les petites filles ont droit de jouer à la princesse. Non mais !

En début de matinée Clémence avait déjà soigneusement empilé plusieurs caisses sur le plateau de l'espèce de charrette que lui avait prêté l'un de ses voisins et que la sage-femme se devrait de tirer elle-même. Sachant pertinemment que sa soeur serait totalement contre le fait de laisser son aînée se ruiner la santé de la sorte, Clémence avait sagement entendue que la jeune femme ne quitte la maison pour agir dans son dos. C'est qu'elle était du genre têtue, notre sage-femme, au grand dam de sa petite soeur qui ne cessait de la réprimander. À croire que les rôles avaient été inversés…

Dans ces caisses, il y avait de tout. Des choses à vendre, d'autres à donner si bien que Clémence s'était façonnée un petit itinéraire à suivre, histoire de ne point trop s'épuiser en s'éparpillant bêtement. Sa première étape, donc, fut la boutique de Madame Rosalind. Il s'agissait d'un petit magasin à la jolie devanture situé au cœur de la Hanse. Autrefois prisée des bourgeois pour la qualité exceptionnelle des vêtements qui y étaient vendus , Madame Rosalind avait dû faire face à la pénurie de tissu en achetant de vieux vêtements usés et en les modelant à sa sauce pour mieux les revendre ensuite. "De l'art de faire du neuf avec du vieux", aimait-elle dire à ses clients. Ce n'était donc pas la première fois que Clémence se rendait dans cette boutique. Clarence et elle aimaient bien y faire leurs emplettes, enfin … surtout Clarence, il suffisait de voir les tenues de la sage-femme pour comprendre que cette dernière se fichait bien de ce genre de chose. Terrence lui-même l'avait pris pour une domestique, c'est dire…

Là, Clémence vendit d'anciennes robes à elle, dont celle qu'elle avait porté le jour de son mariage puis lors des funérailles de son cher époux. Sans vraiment savoir pourquoi, elle l'avait gardé précieusement jusqu'ici, l'observant de temps à autre comme pour mieux se remémorer à la fois les meilleurs et les pires moments de son existence… Mais, pour elle, après toutes ces années, il était grand temps de s'en séparer, de même que toutes les autres tenues qu'elle portait lorsqu'elle n'était encore qu'une toute jeune fille en fleur. Madame Rosalind lui en offrit un bon prix, plus particulièrement pour les tenues de deuils qui se vendaient malheureusement "comme des petits pains, ces temps-ci". Satisfaite, Clémence put quitter la boutique pour rejoindre la boutique de Monsieur Deschamps, afin de lui vendre quelques vieux bibelots qui n'avaient plus leur place dans leur grande maison vide.

Néanmoins, au bout de quelques pas, la pénible course de notre sage-femme fut brusquement interrompue par un chat qui eut la mauvaise idée de lui passer entre les jambes et ce, à toute allure. Surprise, Clémence sursauta en lâchant les deux chevrons de bois et manqua même de glisser sur un pavé bien douteux.

- Par les Trois, s'écria-t-elle en essayant d'apaiser son cœur qui tambourinait douloureusement dans sa poitrine.

Plaçant une main sur son coeur, la jeune femme se mit à chercher le minet des yeux, par crainte que celui-ci ne soit passé sous les roues de sa charrette. Elle le vit disparaître sous une palissade, signe que le félin se portait bien. Soulagée, Clémence allait reprendre sa route lorsque son attention fut attirée par quelques sanglots qui lui semblaient bien familiers. Clarence pleurait ainsi, autrefois, lorsqu'elle venait de tomber, ce qui avait dû arriver à un enfant se trouvant non loin. Et comme pour confirmer ses suppositions, une petite silhouette se détacha des badauds qui prenaient grand soin de l'éviter. Elle était là, assise par terre, dans la poussière alors que tous semblaient l'ignorer…Elle, une enfant...

- C'est pas dieu possible d'être aussi inhumain ! gronda la sage-femme en rejoignant la petite fille.Tu t'es fait mal ? la gamine acquiesça sans dire mot. Clémence l'attrapa pour mieux la porter jusqu'à sa charrette sur laquelle elle l'assit avec précaution. Montre-moi ce vilain bobo, je vais voir ce que je peux faire pour toi. Je m'appelle Clémence et toi ? Je suis sûre que tu as un bien joli prénom pour aller avec ce joli visage… Même si là, on le discerne plutôt mal sous les larmes et la poussière.

Avec des gestes doux, la sage-femme entreprit de nettoyer le visage de la gamine. Une bien jolie petite fille avec ses cheveux sombres et ses yeux bleus profonds. Le cœur de Clémence se serra brusquement , songeant à sa propre fille qui aurait probablement eu son âge si elle avait eu la chance de venir au monde. Pourtant, malgré le trouble qui venait de l'étreindre, l'accoucheuse ne laissa rien paraître et se contenta de sourire à l'enfant.

-Voilà qui est mieux, déclara-t-elle avant de se pencher sur le genou meurtri de la petite fille. Je vais nettoyer ça, d'accord ? C'est trois fois rien, rassure-toi. Tu peux cesser de pleurer. Mais dis moi… Où sont tes parents ? Tu ne peux pas te promener ainsi toute seule tout de même .
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Morgred PêcheurPêcheur
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MessageSujet: Re: De poussière et de sang [Terminé]   De poussière et de sang [Terminé] EmptyVen 27 Aoû 2021 - 18:10
Hissée sur un modeste perchoir, Philippa cligna des yeux plusieurs fois. Elle attendit d’être parfaitement débarbouillée pour contempler les environs.
Ainsi perchée sur une charrette, au milieu de divers cartons où elle discernait quelques perles, la petite sentait peu à peu son chagrin s’apaiser. La douceur de sa sauveuse se chargea du reste.

— Phi-Philippa, hoqueta-t-elle finalement dans un sanglot.

Lorsque ladite Clémence entreprit de regarder son genou de plus près, la fillette tendit le nez pour voir d’elle-même. Quoi qu’en dise cette femme, cette blessure lui semblait au contraire d’importance. Après tout : elle saignait !

Dans un reniflement sonore, l’enfant essuya son nez d’un revers de manche, espérant sans doute chasser ses larmes et son chagrin, par là-même. Pour l’heure, la question de sa sauveuse l’incita à lever les yeux pour chercher son père.

— Euh…, bredouilla-t-elle en regardant autour d’elle, beh… ma maman elle est au port, avec mes sœurs… et mon papa… mon papa...

Face à cette multitude d’inconnus et d’étrangers, cette agitation qui, pourtant, lui avait tant plu jusque-là, Philippa se sentit soudain dépassée. Les larmes menacèrent de nouveau, tandis qu’elle posait ses grands yeux bleus sur Clémence, en quête de soutien, de réconfort.

— Mon papa, il était là… mais j’le vois p’us… tu crois… tu crois qu’il m'a abandonnée ? La Mariotte elle dit… elle dit que si j’suis pas sage, papa et maman vont m’abandonner, et que les Fangeux ils me mangeront...

Désormais, la blessure à son genou semblait être le cadet des soucis de la fillette. Elle n’avait qu’une peur : ne plus revoir son père, sa mère, ses sœurs… et finir dévorée par un Fangeux.

— C-C’est… c’est pas vrai, hein, Clémence ? sanglota l’enfant, pleurant de nouveau à chaudes larmes.
— Philippa !

Anormalement forte, la voix de son père fit tressaillirent la gamine, mais interrompit immédiatement ses geignements.

Extirpé difficilement d’un petit groupe d’individus largement étirés en travers du passage, le pêcheur parvint, tant bien que mal, à rejoindre sa fille. À proximité, il avisa sa tenue poussiéreuse, son genou écorché, ses yeux larmoyants. Face aux menottes qu’elle lui tendait désespérément, il soupira, puis la prit dans ses bras.

— Merci de vous être occupée d’elle. J’espère qu’elle ne v…

Trop inquiet d’avoir perdu sa fille dans la foule, le marin n’avait prêté aucune attention à l’individu se tenant face à elle – à peine avait-il remarqué qu’il s’agissait d’une femme. Lorsqu’il posa son regard sur elle, il la reconnut cependant aussitôt, même si son nom ne lui revint pas immédiatement en mémoire.

— Ma dette envers vous commence à s’alourdir, concéda-t-il en s’essayant à un sourire léger.
— Clémence m’a aidée, papa ! Elle allait soigner mon bobo. T’as vu ? Je saigne !

Ah, voilà.

Clémence.
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Clémence SarravilliersGuérisseuse
Clémence Sarravilliers



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MessageSujet: Re: De poussière et de sang [Terminé]   De poussière et de sang [Terminé] EmptyLun 30 Aoû 2021 - 9:33
-Philippa, dis-tu, répéta la sage-femme en offrant un sourire bienveillant à la petite fille. Et bien, il semble que j'ai eu raison en affirmant que ton prénom devait être aussi joli que toi.

À sa question suivante, la petite fille sembla surprise ou plutôt paniquée. À la voir agir ainsi, l'accoucheuse comprit aussitôt le problème : le père et la fille s'étaient perdus de vue. Aussi, quelque part dans ces ruelles se trouvait donc un homme affolé, mort d'inquiétude pour sa toute jeune enfant perdue dans un endroit qui lui semblait visiblement inconnu.

-Ne t'en fais pas, nous allons retrouver ton papa, je te le promets, lui répondit-elle avec tendresse.

Pourtant, la petite Philippa semblait fort inquiète et lui parla même d'une certaine Mariotte qui lui aurait affirmé que ses parents pourraient l'abandonner… Comment pouvait-on dire cela à un enfant ? Pourquoi donc s'amuser à l'effrayer de la sorte simplement pour contenir un tempérament prompt à la bêtise commune à tout bambin. Clémence détestait cela, même si, évidemment, elle ne pensait pas que les parents de cette petite fille soient capables d'une telle horreur… Tout du moins, elle l'espérait. La sage-femme, touchée par l'effroi de l'enfant , secoua vivement la tête avant de prendre le visage de la petite fille entre ses mains pour mieux capter son regard et ainsi donner plus de poids à ses paroles.

-Je ne sais pas qui est cette Mariotte, mais je peux t'assurer qu'elle se trompe. On n'abandonne pas un enfant de la sorte, Philippa, surtout pas avec une aussi jolie robe. Et puis, tu sais, il n'y a pas que les enfants qui font des bêtises, parfois les adultes en font aussi même si la plupart se contentent de les dire. C'est ce qu'à fait Mariotte, elle t'a dit une grosse bêtise. Ton papa doit être en train de te chercher et il doit être très inquiet.

Évidemment, Clémence prenait de gros risques en lui disant cela. Après tout, elle ne connaissait rien de la situation de cette famille et savait pertinemment que ce genre de chose pouvait arriver, même si les raisons qui poussaient à un abandon étaient souvent plus désespérées que celles évoquées plus tôt par l'enfant.

Pourtant, une voix dans son dos confirmait ses propos en appelant la petite fille … Une voix masculine dans laquelle l'on pouvait aisément ressentir l'angoisse du père. Clémence se retourna aussitôt, Philippa cessa enfin de pleurer.

-Tu vois, je te l'avais bi...

Le reste de sa phrase resta coincée dans la gorge de l'accoucheuse qui venait de reconnaître l'homme en question. Son nom lui échappait pourtant, même si les réactions de ce dernier l'avaient profondément marqué. Maurice ? Mortimer ? Martin ?

-De quelle dette parlez-vous au juste ? répondit-elle en lui lançant un regard surpris. Je n'ai fait que tenir compagnie à une charmante demoiselle en attendant que son père ne vienne la chercher. J'évoquais justement votre retour certain avant de soigner sa blessure. N'ayez crainte, ce n'est qu'une égratignure.

Sur ces mots, Clémence plongea la main dans sa besace pour en sortir une outre et un mouchoir propre qu'elle humidifia avant de nettoyer, avec une extrême douceur, la petite plaie sur le genou de l'enfant. À dire vrai, cette dernière ne nécessitait pas tant de soin, néanmoins, la sage-femme savait parfaitement que quelques gouttes de sang pouvaient être très impressionnantes aux yeux des jeunes enfants. Aussi, pour faire disparaître l'odieuse apparition, la jeune femme prit grand soin de la dissimuler sous un bandage.

-Et voilà ! s'écria-t-elle en souriant. Tu es décidément une grande fille très courageuse, Philippa… Mais quel dommage que ta jolie robe soit toute tachée...

Levant un index déterminé vers le ciel, Clémence sourit avant de grimper dans sa charrette pour se mettre à fouiller dans l'une des caisses. Rapidement, l'accoucheuse visiblement satisfaite tira une petite robe bleue pâle qui jadis fit son bonheur.

-Tiens, je te donne celle-ci. Avec cela, tu ressembleras à une princesse. Qu'en penses-tu ? Si elle ne te plaît pas j'en ai d'autres.
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Morgred PêcheurPêcheur
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MessageSujet: Re: De poussière et de sang [Terminé]   De poussière et de sang [Terminé] EmptyLun 30 Aoû 2021 - 11:38
Morgred plissa les paupières en sondant le regard de la faiseuse d’anges. Était-elle sincère ? Ne voyait-elle donc vraiment pas de quoi il parlait ? Peu importait.

Sans commentaire, le pêcheur fit sensiblement pivoter sa fille dans ses bras, afin de dévoiler son genou meurtri. L’égratignure ne semblait plus inquiéter la fillette ; elle tendit même la jambe pour faciliter la tâche à sa sauveuse.

— Clémence, elle a dit que Mariotte racontait que des bêtises, papa ! Que même si, moi, j’en faisais plein, je serais pas abandonnée ! Ni mangée par les Fangeux. Elle a dit que toi aussi tu faisais des bêtises, même que t’es adulte. Maman, aussi !… Et toi, Clémence, t’en fais des bêtises ?
— Philippa..., marmonna Morgred à voix basse.

Il était rôdé aux babillages de sa fille et à ses interprétations personnalisées. Philippa était passée maître dans l’art d’arranger toute chose à sa manière et plus personne, au foyer, ne s'en formalisait. Les encouragements de la faiseuse d’anges n’avaient sans doute pas fait exception à la règle.

Sa fille soignée, Morgred la reposa au sol, cependant qu’elle contemplait son joli bandage. C’était bien le seul élément de sa tenue qui n’apparaissait pas crasseux.

— Tu ne dis rien ?
— Ah ! Merci, Clémence !

Souriante, Philippa devint tout bonnement radieuse lorsque ses grands yeux bleus rencontrèrent une robe qui leur était assortie. Habilement, la fillette se faufila jusqu’à sa sauveuse, observa la robe en osant à peine la toucher, murmurant des « princesse » tout juste audibles. Lorsque d'autres robes furent évoquées, les rêves prirent le pas sur la réalité.

— C’est vrai ?! T’en as beaucoup d’autres ? Fais voir !
— Philippa !

Cette fois, le ton n’était plus ni inquiet ni tendre. Il sonnait sévère. Autoritaire. Aussitôt, l’enfant suspendit ses gestes, alors qu’elle était sur le point de grimper dans la charrette pour observer le contenu des cartons.

— Mais… papa, bredouilla-t-elle, timidement.
— Non, asséna-t-il avec froideur.

Résignée, Philippa baissa la tête et abandonna l’idée d’escalader la charrette.

— Merci, Clémence. C’est gentil à vous de lui offrir ceci, mais… c’est inutile, affirma-t-il en détournant les yeux.

Morgred avait beau n’être ni très au fait de la mode, ni très intéressé par les tenues et leur confection, il lui avait suffi d’un coup d’œil pour réaliser que la robe proposée par la faiseuse d’anges était sans commune mesure avec celles que portaient ses filles. Ce constat ne faisait que conforter un pressentiment né de leur première rencontre, il y a près d’un mois de cela : Clémence avait profité d’une instruction et d’une éducation que Morgred peinait même à imaginer. Ils n’étaient pas tout à fait du même monde, elle et lui.

Pourtant, elle l’avait écouté. Elle lui avait accordé du temps, comme elle en concédait à toutes ces femmes en détresse à qui elle proposait ses soins ou ses services.

Le cheminement des pensées du marin troubla son regard l’espace d’un instant. Lorsqu’il revint à la réalité, ses yeux parcoururent un à un les cartons transportés, la charrette, puis cherchèrent, en vain, la présence d’un homme alentour.

— Vous traînez la charrette, seule ? hasarda-t-il, à mi-chemin entre affirmation et interrogation, je vais vous aider. Grimpe, Philippa. Mais ne touche à rien.

Il n’avait pas attendu la réponse de Clémence pour trancher. Philippa non plus, d’ailleurs : avec un espoir non feint, elle s’était hissée dans la charrette et lorgnait à présent l’intérieur des cartons, à défaut de pouvoir en toucher le contenu.
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Clémence SarravilliersGuérisseuse
Clémence Sarravilliers



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MessageSujet: Re: De poussière et de sang [Terminé]   De poussière et de sang [Terminé] EmptyLun 30 Aoû 2021 - 13:10
Clémence dû se retenir de rire en écoutant les expliquations que Philippa donna à son père. En un sens, cette petite lui rappelait Clarence lorsque celle-ci n'était encore qu'une enfant grandement éveillée, dotée d'un esprit vif que beaucoup peinaient à la suivre. La sage-femme avait toujours admiré sa soeur pour cela et veillait même à l'encourager quand bien même il lui arrivait souvent de devoir la reprendre.

-Bien sûr que je fais des bêtises, voyons. Seulement, je sais que certaines risqueraient de causer du tracat à d'autres personnes, alors je prends toujours le temps de réfléchir avant d'agir… Enfin, j'essaie de faire au mieux ... difficile de ne point appercevoir le regard en coin que lançait Clémence au père de l'enfant. D'ailleurs, si ce dernier était capable de lire entre les ligne, il aurait pu comprendre que cette dernière phrase faisait référence à leur rencontre. Mais, parfois, il m'arrive de me tromper et de commettre des erreurs. Néanmoins, je prends toujours cela comme une leçon à apprendre afin de ne pas me tromper de nouveau. Ça limite les bêtises.

Comme le regard pétillant que la petite fille posait sur cette vieille robe était plaisant à voir. Les enfants avaient ce don, celui de donner des allures d'exception joyeuse à tout et n'importe quoi. Néanmoins, la lueur brillant dans les yeux bleu de Philippa disparu aussi vite qu'il n'était apparu en entendant l'appel de son père. Clémence était déçue, par pour elle-même, évidemment, elle n'avait plus que faire de cette robe, comme de toutes celles se trouvant dans ses caisses, mais plutôt pour cette petite fille rêveuse qui venait de voir son espoir réduit à néant en une fraction de seconde. "Mais quel rabat joie celui-là", pensa-t-elle en serrant les dents. Malgré tout, il serait bien indélicat de la part de la jeune femme de reprendre le père devant sa fille, du moins pas directement. Alors, s'efforçant d'afficher un sourire aussi amusé que possible, la sage-femme plaça la toute petite robe devant elle avant d'affirmer.

-Je vous en prie, regarder cette robe… C'est à moi qu'elle est inutile. Cela fait bien longtemps qu'elle est trop petite. D'ailleurs, je suis certaine qu'elle va finir en chiffon, ne croyez-vous pas cela dommage vous ? C'est une belle robe, n'est-ce-pas ? Ne mérite-t-elle pas d'être portée selon vous ?

Avait-il seulement la possibilité d'offrir de tels moment de joie à sa fille dans un contexte pareil ? Combien de temps encore cette enfant, comme tous les autres d'ailleurs, auraient-ils encore la chance de pouvoir se réjouir pour une chose aussi insignifiante que celle-ci ? Partout régnait la peur, l'incertitude… Même les fêtes devant réchauffer le cœur de la population finissaient mal… Alors pourquoi s'entêter à lui refuser une vulgaire robe quand rien ne semblait plus incertain que la venue d'un lendemain ? N'était-ce point injuste, cruel ou seulement stupide ?

-J'allais en faire don au Temple… Figurez-vous qu'ils préfèrent transformer ce genre de vêtements en chiffon ou en couverture plutôt que de les donner aux enfants simplement parce qu'ils sont "trop beaux pour eux", n'est-ce point grotesque ? Vraiment, je serai plus que ravie d'en sauver au moins une ou deux, déclara-t-elle en replaçant la robe dans la caisse avant de descendre de la charrette. Mais bon… Quel dommage vraiment...

Faisant mine de soupirer de déception, Clémence se tourna pour remettre un peu d'ordre sur le plateau. Il ne fallait pas que l'une de ces caisses ne tombe de la carriole, sans quoi celle-ci risquerait de blesser quelqu'un sinon elle-même. La question de l'homme ne l'a fit pas se retourner pour autant, même si elle rétorqua, toujours aussi poliment :

-Je suis seule, oui, j'ai depuis bien longtemps appris à me débrouiller dans devoir compter sur quique ce soit, monsieur… Par les Trois, j'ai oublié votre nom, j'en suis désolée...

Cette fois, constatant que le père ne lui laissait guère le choix, Clémence se retourna pour protester gentiment.

-Non, non, ne faites pas cela voyons. Je vous en remercie, c'est fort aimable de votre part, mais j'ai beaucoup à faire et je ne voudrai pas vous retenir inutilement.

Hélas, la petite Philippa se trouvait déjà assise sur le plateau… Celle-ci affichait un sourire si grand que Clémence n'eut pas le coeur de lui demander d'en descendre.

- Très bien … Je dois me rendre chez Monsieur Deschamps, puis chez Madame Bourgeois et enfin au Temple… vous êtes sûr de vouloir faire cela ?
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Morgred PêcheurPêcheur
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MessageSujet: Re: De poussière et de sang [Terminé]   De poussière et de sang [Terminé] EmptyMar 31 Aoû 2021 - 11:43
Sensiblement rembruni par les commentaires de Clémence sur les bêtises qu’elle pouvait commettre, par le refus qu’il avait dû opposer à sa fille, par l’insistance de l’accoucheuse et sa tentative d’apitoiement, au sujet de la robe, le marin soupira à son tour. Pour toute réponse, il enjamba l’un des bras de la charrette, puis la redressa, provoquant aussitôt un éclat de rire chez sa fille.

— Morgred. J’m’appelle Morgred, répondit-il finalement en lui adressant un signe de tête, vous me guiderez. J’connais pas le nom des commerçants. C’est pas… le genre de quartiers que je fréquente.
— Huuuuue, cheval ! Kchi ! Kchi ! s’impatienta Philippa en mimant de vifs coups de fouet.

Lorsque son père mit enfin la charrette en branle, la fillette faillit tomber à la renverse, mais rit de plus belle, agrémentant l’avancée de « ouiiiii » suraigus.

— Écoutez..., marmonna-t-il enfin, lorsqu’il fut certain que les roues sur les pavés couvriraient assez sa voix pour que sa fille ne l’entende pas, c’est gentil à vous d’avoir proposé cette robe. Vraiment. Et c’est pas pour vous ennuyer, ni l’attrister, que j’ai refusé votre geste. J’en ai deux autres à la maison, comme elle, expliqua-t-il en adressant un regard en coin à sa fille, deux qui seraient en droit d’attendre un cadeau, elles aussi. J’ai une femme qui s’inquiéterait de savoir où j’ai trouvé une si belle chose, et combien j’ai pu la payer, énuméra-t-il en reportant son attention sur les gens aux alentours, je peux pas offrir de si beaux vêtements à mes femmes. Je suis pas riche, mais pas assez pauvre pour faire la charité. Et quand bien même, ce serait hors de question, affirma-t-il, mais même si je pouvais leur offrir ça, j’le ferais pas. Que le Temple fasse de vos jolies robes des chiffons, ça m’étonne pas. Le luxe, c’est mal vu, de nos jours. Peut-être pas ici, à La Hanse. Sûrement pas dans les beaux quartiers des nobliaux. Mais dans les quartiers miséreux, c’est un prétexte à problèmes. Ça inspire l’envie, la convoitise, vous comprenez ? Ça éveille ce que les gens ont de pire en eux.

Ces faits, Morgred les connaissait bien. Combien de mauvaises langues avait-il entendu siffler, à la suite de pauvres femmes exceptionnellement vêtues d’une belle écharpe, ou de pauvres hommes portant un nouveau couvre-chef ? Combien de médisances, de complots, d’insultes avait-il surpris ?
Et combien pour leur résister plus d’un jour ? Le lendemain, plus de chapeau, plus d’écharpe. Des mines basses, des mines tristes, parfois dévorées par des hématomes aussi larges que deux poings.

Les doigts de Morgred se crispèrent sur les bras de la charrette. Si fort, que ses jointures blanchirent.

— Ma femme et mes filles restent seules, très souvent. Trop souvent. Je suis pas toujours là pour les protéger… J’ai pas envie de prendre des risques inutiles. C’est… pour ça que j’peux pas prendre votre robe. Tant pis si la p’tite doit m’en vouloir, après ça.

Sur les directives de Clémence, le pêcheur s’interrompit en face d’une boutique dont il avisa la devanture. Il posa les deux bras de la charrette au sol, puis récupéra l’un des cartons qu’il porta à l’intérieur. La partie négociations, il la laissa à la faiseuse d’anges et attendit patiemment à l’extérieur, aux côtés de sa fille, jusqu’à ce que Clémence revienne.

Le trajet reprit alors, sous les coups de fouet implacables de Philippa.

— Ça doit pas être simple de vous débrouiller seule. Tout l’temps, j’veux dire. Vous devez pas avoir le temps de vous ennuyer, entre votre travail, votre sœur, l'entretien d'vot' maison…

Perdu dans ses pensées tandis qu’il tractait la charrette jusqu’à la boutique de Madame Bourgeois, Morgred réalisa combien sa remarque, quoiqu’elle n’appelle aucune réponse, pouvait être intrusive. Du reste, avait-il vraiment bien compris ? Clémence était-elle seule aujourd’hui, ou seule dans la vie ?

— Pardon, c’était déplacé. Vot’ vie… ça m’regarde pas.
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MessageSujet: Re: De poussière et de sang [Terminé]   De poussière et de sang [Terminé] EmptyMar 31 Aoû 2021 - 14:45
En son for intérieur, et même si Clémence eut envie de protester, il fallait bien reconnaître que les explications de Morgred tenaient du bon sens. Évidemment, la sage-femme n'avait nullement pensé à tout cela, bien au contraire. Pour elle, il ne s'agissait là que d'une jolie toilette parmi tant d'autres. Elle aurait même pu en donner une à chacune des filles de Morgred s'il ne s'agissait que de contenter tout le monde… Mais tout le reste, la jalousie, l'envie, l'insécurité, tout cela restait obscur aux yeux de l'accoucheuse qui se sentait à présent bien bête d'avoir mis le paternel dans une situation désagréable.

-Je comprends, avoua-t-elle bien humblement. Je suis sincèrement navrée pour m'être montrée aussi égoïste, c'était grotesque et bien indélicat de ma part. Je n'avais… Je n'avais pas réfléchi à tout cela. Pour moi, ce ne sont que de simples robes, j'en avais des dizaines comme celles-ci, comme toutes les petites filles du voisinage… Et… Et bien, regardez-moi aujourd'hui.

Le sourire de Clémence, même si quelque peu contrit, restait néanmoins sincère. Autrefois, elle faisait comme toutes les jeunes femmes de sa condition, même si elle veillait toujours à rester discrète. À présent, la sage-femme travailleuse avait depuis longtemps vendu toutes ses belles toilettes pour arborer des tenues bien plus simples. Clémence ne s'est jamais réellement souciée de son apparence, elle n'a jamais su susciter l'intérêt chez les autres et ne s'en formalisait absolument pas. Elle-même, n'avait jamais ressenti de sentiment d'envie pour les possessions des autres, sachant parfaitement se contenter de ce que la vie pouvait lui offrir, sans aucune exagération. Mais il est vrai que les Sarravilliers ne manquaient de rien, tout du moins, autrefois.

Ne sachant que rajouter, Clémence se contenta d'indiquer la direction de la boutique à Morgred. Elle aurait pu lui dire que sa famille avait de la chance de pouvoir bénéficier de l'attention d'un homme aussi dévoué. Elle aurait pu souligner sa bienveillance et sa gentillesse, car après tout, n'était-il point en train de lui rendre service ? Malgré tout, craignant de le contrarier de nouveau, la sage-femme préféra garder tout cela pour elle et se contenta de marcher en silence. Arrivée chez le fameux marchand de babioles inutiles, Clémence désigna la caisse qu'elle lui destinait et laissa Morgred la porter à l'intérieur avant de retourner auprès de Philippa. De tous ces souvenirs entassés, la sage-femme n'obtint que quelques misérables pièces. Après tout, personne ne voudrait acheter ces bibelots préférant garder leur sous pour s'offrir une miche de pain. Cela, Clémence ne pouvait que l'accepter, après tout, c'était la raison principale de la vente de tous ces objets ayant appartenu aux membres de sa famille. Des souvenirs, ni plus ni moins qui n'avaient jamais été les siens, mais que ses parents avaient chéri et protégés durant des décennies. Quelque part, se séparer de ces objets lui brisait le cœur, il ne lui restait plus rien de ses parents… Néanmoins, avec cette argent, la sage-femme pourrait sans doute offrir quelque bon repas à sa petite sœur. De cela, Clémence pouvait au moins s'en réjouir.

Quelques minutes plus tard, la sage-femme rejoint Morgred et Philippa près de la charrette où elle indiqua la direction de la boutique suivante. Elle pensait que ce trajet-là se ferait également dans un silence pesant, uniquement brisé par les cris de joie de l'enfant, mais elle se trompait.

- Je n'ai aucun souci à parler de ma vie si celle-ci vous intéresse. Elle n'est guère passionnante, vous savez, répondit-elle en souriant. Ce n'est pas toujours facile, mais l'on s'adapte à tout, je suppose… Avant, je pouvais m'appuyer sur mon époux ou sur l'argent de mon père. À présent, je n'ai plus ni l'un ni l'autre, mais il me reste une maison et surtout ma petite sœur. On fait ce que l'on peut et même si, parfois la vie est vraiment rude, on peut compter l'une sur l'autre. J'ai de la chance de l'avoir dans ma vie. J'ai de la chance d'avoir un travail… Alors je ne vais pas me plaindre de ne plus avoir d'homme dans ma vie.

Clémence se garda bien de lui avouer qu'elle n'en voulait plus. Un mariage avorté, des fiançailles brisées avaient grandement suffit à lui faire réaliser que tout cela n'était pas pour elle. Alors tant pis si pour survivre elle devait travailler deux fois plus. Tant pis si son activité n'avait pas que de bons côtés. Tant pis si elle devait affronter la colère des Trois … Tout ce qu'elle possédait, elle ne le devait à personne sinon à la sueur de son propre front et au précieux soutien de Clarence.

- C'est juste ici, voyez, lui dit-elle en désignant la devanture d'une bijouterie qui avait dû connaître des jours meilleurs.

Cette fois, la caisse destinée était bien plus petite que la précédente si bien que Clémence n'eut besoin d'aucune aide pour la porter. Elle ressortit quelques instants plus tard les mains vides, mais la bourse pleine et le sourire aux lèvres. Toutefois, la sage-femme ne se dirigea pas vers la charrette mais plutôt dans la direction d'un petit étal où une jeune fille vendait de délicieuses brioches à la confitures. Elle en acheta tout un sac, puis retourna auprès de Morgred et de sa fille.

- Accepteriez-vous au moins ceci, lui dit-elle en lui tendant le petit sac en toile de jute. Pour vous remercier de votre aide précieuse et bien venue... C'est tout.
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MessageSujet: Re: De poussière et de sang [Terminé]   De poussière et de sang [Terminé] EmptyMar 31 Aoû 2021 - 21:25
Surpris que cette femme lui expose si facilement sa vie, Morgred haussa les sourcils, mais écouta néanmoins avec attention. De ce qu’il parvenait à lire entre les lignes, Clémence était veuve depuis plusieurs années, aînée d’une famille décimée et peu fortunée à présent. Était-ce pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa sœur qu’elle vendait ainsi plusieurs de leurs affaires ? Cette question, Morgred la garda pour lui.

Tandis que les préceptes des Trois invitaient au mariage, tandis que le contexte actuel appelait aux unions et enfantements, le pêcheur devait bien admettre que Clémence lui semblait convaincante. En soi, elle n’avançait guère d’arguments pour défendre son célibat, mais exposait sa vie actuelle avec tant d’assurance que le pêcheur ne se sentait pas de la contredire. Un homme pourrait tout au plus soulager les efforts physiques qu’elle dispensait elle-même. Rien de plus.
Sauf à ce que Clémence mente – ce dont le marin doutait –, elle n’avait effectivement pas à se plaindre et n’avait nul besoin d’un homme dans sa vie. Dans une certaine mesure, cela pouvait expliquer la sobriété de ses tenues actuelles.

Quelques toises de plus les conduisirent jusqu’à la boutique suivante, à hauteur de laquelle Morgred s’arrêta, sans avoir le temps de décharger un carton, cette fois.
À l’instar du dernier commerce, Clémence resta assez peu longtemps à l’intérieur, mais, plutôt que de le rejoindre immédiatement à sa sortie, gagna un étal à proximité. Le pêcheur ne comprit que trop tard les raisons de ce détour, avisa longtemps le sac, puis l'accoucheuse, les sourcils froncés.

— C’est quoi, papa ?

Juchée debout sur la charrette, Philippa se dressait dans sa modeste hauteur pour essayer de voir par-dessus les épaules de son père, sans succès. Cela étant, si ses grands yeux ne voyaient guère, son flair ne la trompait pas.

— Ça sent bon...
— C’est…, hésita-t-il, avant de soupirer, c’est un cadeau de Clémence. Pour tes sœurs et toi.
— Quoi ? Pour de vrai ?! MERCI, CLÉMENCE !

Assurément, l’incident de la robe était déjà oublié.

— Manges-en une si tu veux, mais laisses-en pour tes sœurs, insista le grand brun en lui tendant le petit sac de toile, fraîchement récupéré des mains de la faiseuse d'anges, et si t'en manges une maintenant… tu chouineras pas plus tard, quand tes sœurs en mangeront et que t'en auras plus. On est d’accord ?
— Oui ! promit la fillette, sa main déjà plongée dans le petit sac pour en sortir une brioche, c’est tout chaud !

Avec un sourire discret au coin des lèvres, Morgred observa sa benjamine croquer à pleines dents dans la pâtisserie. Avait-elle jamais mangé une si bonne chose ? Il en doutait.

— Je vous ferai pas l’affront de vous dire qu’il ne fallait pas. Je… vous ai refusé trop de choses, depuis notre dernière rencontre, peut-être. Alors… merci, Clémence. Une fois de plus, murmura le pêcheur en se saisissant de nouveau des bras de la charrette, direction le Temple, à présent.

Et pour la troisième fois, le grand brun remit la carriole en branle. Cette fois, il n’avait nul besoin de l’aide de la faiseuse d’anges pour trouver son chemin, même si le Temple n’était pas la porte à côté. Ce constat esquissa un nouveau sourire aux lèvres du marin.

— Vous envisagiez vraiment de traîner la charrette jusqu’au Temple ? Je sais pas s’il faut vous trouver courageuse ou inconsciente, admit-il en observant la carrure de la jeune femme du coin de l’œil, mais je suis surpris que votre sœur vous laisse faire. C'est un coup à vous ruiner le dos.

Aurait-elle vraiment pu tracter le chariot jusqu’au sanctuaire des Trois ? Sans doute, mais à quel prix ? Peut-être avait-elle raison, au fond : peut-être lui avait-il apporté une assistance efficace, capable d’alléger un peu la dette dont il s’estimait redevable.

— Et en parlant de sœur… j’en connais deux qui vont entendre parler de vous, sans vous connaître. Elles le regretteront sans doute, s’imagina-t-il en jetant un coup d’œil à Philippa, en pleine dégustation, à en croire ses joues couvertes de confiture, je n’aurais peut-être pas dû vous remercier, au fond. Elle va me rebattre les oreilles pendant tout le trajet du retour, s’amusa le pêcheur, riant brièvement, sans même le réaliser.
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MessageSujet: Re: De poussière et de sang [Terminé]   De poussière et de sang [Terminé] EmptyMer 1 Sep 2021 - 9:10
Le sourire de la petite Philippa semblait des plus communicatif, tout du moins pour la sage-femme qui, finalement, ne souriait que très rarement avec sincérité. Mais que pouvait-il y avoir de plus joyeux en ce monde que le sourire naturel et parfaitement authentique d'un enfant ? Rien, assurément. Au fond, ce n'était là que de vulgaires brioches de piètre qualité, le boulanger avait dû adapter sa recette en faisant avec le manque d'ingrédients principaux, tel que le beurre ou encore le miel devenu hors de prix tant ils se faisaient rares. Pour ceux ayant eu la chance de goûter aux pâtisseries d'antan, la différence était parfaitement perceptible, même s'il restait plaisant de pouvoir goûter à ces petits bijoux sucrés de temps en temps histoire de tromper un certain ennui gustatif commun à tous ceux ayant l'habitude de ne se nourrir presque exclusivement de pain ou de poisson.

C'est donc avec un attendrissement certain que la sage-femme observa la discussion entre le père et la fille. Pour la veuve qu'elle était, privée de sa propre famille, Clémence eut l'impression de n'être finalement que la spectatrice passive d'un spectacle de marionnettes où se jouait une fable irréelle. Attendrie oui, mais aussi clairement nostalgique, il fut bien impossible à notre accoucheuse de ne point songer à ce qu'aurait pu être sa vie si Charles et leur enfant étaient encore de ce monde. Peut-être se serait-elle même laissée aller à verser quelques larmes en souvenir de ces deux êtres qu'elle avait tant aimés autrefois et qui lui avaient été si rudement arrachés, si la veuve avait été réellement seule. Mais elle se retint, avec une difficulté presque évidente même si la jeune femme veilla à ne rien laisser paraître. Elle dissimula sa tristesse et sa mélancolie derrière un grand sourire et un regard luisant.

La voix de Morgred la tira néanmoins de sa transe, la remerciant pour ce simple cadeau, lui-même offert en guise de remerciement.

-Que pensez-vous m'avoir refusé, Morgred, lui demanda-t-elle alors en lui lançant un regard empreint de sa perplexité. C'est pour vous remercier que j'ai offert ces brioches. Après tout, vous prenez de votre temps et de votre énergie pour m'apporter une aide bien précieuse… Rien de plus.

Quel bien étrange personnage que ce Morgred. Déjà lors de leur première rencontre, cet homme lui avait donné l'impression de vouloir absolument être puni pour l'abandon de sa jeune sœur et probablement pour d'autres actes qu'il ne lui avait pas exposé. Quelque part, l'on pouvait croire qu'il tenait absolument à porter toutes les erreurs, tous les regrets, tous les malheurs du monde et de l'humanité sur ses propres épaules. Il semblait presque vouloir croire qu'il ne méritait rien d'autre que des coups et des reproches.

Tout en l'observant, Clémence pencha doucement la tête sur le côté. Parce qu'elle était totalement incapable de le comprendre, il l'intriguait, sans nul doute.

- Assurément … Je suis un peu des deux, affirma-t-elle en raillant. À dire vrai… J'ai profité de l'absence de ma sœur. Faire cela, vendre nos affaires à quelque chose d'un peu humiliant et je ne voulais pas la mêler à cela. Elle est en âge de se marier, vous savez… Alors je ne voulais pas ternir sa réputation et ruiner sa chance de trouver un bon époux capable de la rendre heureuse en donnant l'impression qu'elle n' a pas de dot à offrir. Oh, bien sûr, elle trouverait cela stupide de ma part. Elle me ferait sans aucun doute le reproche de m'épuiser inutilement en refusant son aide pour des raisons qu'elle jugerait grotesques… Mais c'est ainsi. Pour cette société je suis déjà vieille et usée, même si je ne me sens ni l'une ni l'autre. Alors autant me débrouiller seule, même si cela m'aurait probablement prit la journée sans votre aide.

Désignant Philippa et son visage couvert de confiture, Morgred lui fit quelques réprimandes amusées. La petite fille semblait aux anges, se régalant de cette pâtisserie toute simple en affichant une mine joyeuse qui semblait se communiquer à son père. Clémence ne put que remarquer le sourire du paternel, sincère bien que discret.

-Le sourire d'un enfant, ça n'a pas de prix, n'est-ce pas ? déclara-t-elle tandis que ses pensées se dirigeaient vers le visage du minuscule poupon qu'elle avait pu tenir quelques minutes dans ses bras avant que l'on ne lui arrache en même temps que les miettes restantes de son petit cœur.

Que donnerait-elle pour avoir la chance de voir sa propre fille grandir, pour la voir sourire, pour l'entendre rire, pour l'entendre bavasser sans cesse comme pouvait le faire Clarence. Elle donnerait tout jusqu'à son âme et ce sans le moindre regrets, pour avoir la possibilité de la serrer dans ses bras pour la consoler, la rassurer, pour chasser tous ses cauchemars d'enfants tout en lui apportant cet amour maternel qu'elle transférait sur sa soeur qui, pourtant, n'en avait plus besoin.

-Non, ça n'a pas de prix... répéta-t-elle en soupirant, portant son regard droit devant elle dans l'espoir de chasser ses sombres pensées.

-Quelle ravissante famille! s'écria une voix féminine. Dame Clémence, bonjour!

La sage-femme se retourna aussitôt vers la personne qui venait de l'interpeller. L'importune en question était l'une de ses patientes, l'épouse d'un rémouleur qui prêtait main forte à mon mari tandis que son petit garçon de quelque mois dormait dans un panier non loin de ses parents.

-Oh ! Bonjour Charlotte, comment vous portez-vous ?
-Très bien, merci et vous même ? lui demanda-t-elle en observant le père et l'enfant aux côtés de son accoucheuse.
-Fort bien, je vous remercie.
-Je ne vous savais pas mariée, et encore moins mère. Par les Trois, votre fille est vraiment ravissante.
-Oh non, vous faites erreur, Charlotte. Morgred est un ami et voici sa fille Philippa. Je ne suis effectivement pas mariée et je n'ai pas non plus d'enfant.
-Oh… Je suis navrée pour cette erreur… Bon sang, ce que je peux être bête par moment. J'espère ne pas vous avoir offensé tous deux.
-Non, rassurez-vous. Mais veuillez nous excuser, nous avons beaucoup à faire et je ne voudrais pas retenir Morgred trop longtemps alors que son épouse l'attend. Prenez soin de vous.
-Vous de même… Vous de même…

S'inclinant légèrement, Clémence salua la jeune mère avant de reprendre sa route en silence. Elle avait fui le regard déçu et troublée de sa patiente, comme elle fuyait ceux de tous les autres. Une femme de son ange sans époux ni famille, cela n'avait rien de bien normal aux yeux des autres. Généralement, Clémence s'en fichait, mais elle n'appréciait pas du tout de mêler Morgred et Philippa à cela. Qu'allaient-ils imaginer tous ces gens après cela ? Quelles rumeurs stupides allaient-ils dépendre à son sujet ?

-Je suis désolée, il semble que les gens du coin ont beaucoup trop d'imagination. J'espère vraiment que cela ne vous attirera pas de problème... Vous devriez peut-être y aller. Le Temple n'est plus très loin et vous m'avez déjà beaucoup aidé. Je ne voudrais pas trop abusé de votre temps.
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MessageSujet: Re: De poussière et de sang [Terminé]   De poussière et de sang [Terminé] EmptyMer 1 Sep 2021 - 22:31
Sorti de ses réflexions par le commentaire de Clémence, Morgred observa sa fille. La faiseuse d’anges n’avait pas tort : le sourire des enfants n’avait pas de prix. Peut-être étaient-ils encore les seuls capables d’apporter un semblant d’innocence et de naïveté au monde. Malgré cela, le sourire de Clémence, manifestement inspiré par Philippa, lui paraissait teinté de nostalgie. Voire de mélancolie.
S’inquiétait-elle toujours de ce que l’on pourrait penser de sa cadette, si on la voyait ainsi vendre leurs affaires ? De l’avis de Morgred, la démarche de Clémence était plus triste qu’humiliante. La conservation de ces souvenirs, pendant tant d’années, trahissait probablement un attachement durable. Et pourtant, le contexte actuel la contraignait à s’en séparer. La décision n’avait sans doute pas été aisée à prendre, mais l’accoucheuse songeait encore à sa sœur, avant elle-même.

Une voix étrangère se chargea de couper court aux interprétations de Morgred. Les paupières plissées, il observa l’approche d’une femme, manifestement connue de Clémence, qu’il écouta et salua d’un mouvement de tête, sans commentaire, tant lors de son arrivée que de son départ.
Lorsqu’elle parut s’en retourner à ses occupations, le pêcheur reprit son avancée comme s’il n’avait jamais été interrompu.

— Soyez pas désolée, y a pas de mal. Margot prête pas beaucoup attention aux ragots. On laisse dire, admit le marin en haussant les épaules, vous savez… J’pensais que la Fange changerait les gens. Que la peur, la misère, la famine… Tout ça, ça les convaincrait de se concentrer sur leurs p’tites affaires, et de laisser la paix aux autres. Mais faut croire que les habitudes ont la vie dure, médita-t-il en fronçant les sourcils, j’ai même l’impression que c’est pire qu’avant. Comme si c’était devenu une distraction, pour eux. La seule qui leur reste.

Morgred échappa un soupir d’exaspération. Il n’avait jamais eu le temps de médire et ne savait trop s’il devait se montrer admiratif ou intraitable, vis-à-vis de ceux qui pouvaient se le permettre. N’avaient-ils donc aucun problème, pour pouvoir se mêler aussi impunément de la vie de tiers ?

— J’comptais la conduire au Temple et la ramener chez vous, la charrette. Ou à l’endroit que vous voulez, peu importe. C’est pas les niaiseries des habitants qui m’en empêcheront, à moins que vous ayez plus besoin de mes services, tempéra-t-il en adressant un coup d’œil à l’accoucheuse, cela dit… Je râle après eux, mais c’est bien la première fois qu’on me dit ravissant. La p’tite oui, mais moi...

C’est précisément en repensant aux paroles de la femme, qu’un autre détail revint en mémoire de Morgred. Il parut hésiter quelques instants, avant d’expliciter le fond de sa pensée.

— Dites… je… ‘fin j’espère que c’est pas déplacé ou impoli de vous appeler juste « Clémence ». J’ai pas… j’ai pas eu une excellente éducation, et les formules de politesse, tout ça… c’est pas trop mon fort. Mais si j’dois vous appeler « Dame Clémence », faut le dire. J’ferai comme tout le m…
— Attention en bas !

Le marin n’eut pas le temps de réagir. Son ouïe perçut sans mal le bruit d’un glissement, de plus en plus rapproché, mais il ne put rien y faire.

À quelques pas, un toit en appentis, relativement bas, occupait une poignée d’ouvriers. Sans doute avaient-ils dégagé plusieurs tuiles pour les besoins de leurs travaux, sans imaginer que l’une d’elles glisserait progressivement, bien inspirée par l’inclinaison de la toiture, par ailleurs propice à lui donner de l’élan.

Les hommes s’en étaient rendu compte trop tard pour la rattraper. Leur avertissement aussi, avait été également trop tardif.

Sur la trajectoire de la tuile, Morgred la reçut en plein dans la tempe gauche. Dans un grognement, sa grande carcasse se raidit, les mains crispées sur les bras de la charrette. D’instinct, il avait tenu bon, quand bien même la douleur avait stoppé son avancée. Conscient que sa fille se tenait sur le charriot, il s’y était cramponné… mais à présent qu’un lancinement irradiait tout son crâne, le marin se laissa lentement tomber à genou, à demi-sonné.

— Oh par les dieux ! J’l’ai tué ?! s’inquiéta l’un des ouvriers, à présent au bord du toit.
— Non…, grogna le grand brun, une main crispée sur le côté gauche de son visage, pour endiguer le sang, attends que j’me relève...

Oui. À demi-sonné, seulement.
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MessageSujet: Re: De poussière et de sang [Terminé]   De poussière et de sang [Terminé] EmptyVen 3 Sep 2021 - 10:21
-Les gens sont juste les gens, Morgred. Ils ne changent pas plus qu'ils n'évoluent. Ailleurs, loin de la protection des remparts, peut-être ont-ils des occupations plus importantes que les racontars, mais ici, ils n'ont guère mieux à faire, répondit-elle en haussant les épaules.

Après tout, depuis le décès de son époux, Clémence avait pris l'habitude de devoir faire face au jugement des autres. Parce qu'elle avait refusé de prendre un autre époux après la perte du premier, parce qu'elle pratiquait un métier d'ordinaire réservé aux membres du clergé, parce qu'elle passait beaucoup de temps dans les bas quartiers et ses maisons closes, parce qu'elle n'insistait pas non plus auprès de sa soeur pour que celle-ci se marie, parce qu'elle vivait toujours dans une grande maison vide dont l'entretien coûtait extrêmement cher, parce qu'elle portait des vêtements miteux, parce que çi, parce que ça… Les gens trouvaient toujours quelque chose à lui reprocher, quoi qu'elle fasse, autant les laisser parler, tant que cela ne touchait qu'elle, Clémence s'en fichait. Néanmoins, l'idée de causer des problèmes à l'homme qui lui apportait si gentiment son aide lui déplaisait fortement.

Heureusement, ce dernier la rassura sur ce point en affirmant que son épouse ne faisait guère attention aux ragots. Cela, la sage-femme l'accueillit avec un grand sourire empreint d'un respect incommensurable pour cette femme. Ces deux-là devaient être assez proches, assez complices pour se faire confiance à ce point. Clémence trouvait cela particulièrement beau tant ce genre de relation se faisait rare.

Le commentaire suivant, à propos du compliment fait à l'encontre du faciès de Morgred, lui arracha quelque éclats de rires sincèrement amusés.

-Et bien, vous n'êtes pas venu pour rien, souligna-t-elle en riant.

A dire vrai, Clémence ne s'était pas vraiment attardée sur les traits de Morgred. Cela ne faisait pas partie de ses habitudes puisqu'elle n'accordait aucune importance aux physiques des autres. Le beau, le laid, à quoi bon s'en préoccuper quand l'on a soi-même un faciès si peu intéressant. Quel intérêt de s'attarder sur ce genre de détails alors que le visage d'un être humain est voué à changer constamment avec les années. Les beaux d'antan finissent toujours ridés, tout du moins, lorsqu'ils ont la chance de vieillir. La peau se tanne comme du vieux cuir, elle s'affine, se flétrit. Le temps met tout le monde d'accord, alors autant se focaliser sur ce que l'âme des gens peut renfermer. Le reste n'a finalement que peu d'importance.

De bonne humeur, Clémence continuait d'avancer de façon plus nonchalante qu'à son habitude. Elle prit le temps d'observer le ciel, toujours grisâtre, typique du Morgestanc, mais point menaçant pour autant. Pour une fois, elle pouvait profiter du temps qui lui était offert, même s'il lui faudrait probablement trouver d'autres moyens de gagner de l'argent dans les jours à venir, si le travail continuerait à manquer. La question de Morgred lui arracha un nouveau sourire. Un sourire qui s'effaça bien vite lorsqu'un avertissement retentit au-dessus de leur tête.

Tout se déroula bien trop vite pour que Clémence ne réalise quoi que ce soit. Elle vit la chose tomber sur le père qui s'écroula sur ses genoux. Elle entendit les cris d'effroi de la petite Philippa, la question stupide de l'ouvrier perché sur son toit. Et le sang qui s'écoulait du visage de Morgred qui, heureusement, n'avait point perdu connaissance.

Sans réfléchir, Clémence fouilla dans sa besace pour en tirer un mouchoir propre. Rapidement, elle rejoint le marin et posa le tissu qui vira rapidement à l'écarlate.

-Hey, tout va bien en bas ? Il est vivant hein ? Dites-moi que je ne l'ai pas tué… Puis c'est pas ma faute, l'est tombée toute seule c'te tuile !
-Roh, par tous les Dieux, allez-vous enfin vous la fermer ! gronda brusquement Clémence. J'ai besoin de me concentrer, espèce d'idiot !
- Mais… Mais… bredouilla bêtement l'ouvrier visiblement surprit par le ton employé par la délicate jeune femme.
-Descendez plutôt me donner un coup de main, vous n'allez tout de même pas le laisser comme ça!

Du haut de son plateau, la petite Philippa pleurait à chaudes larmes.

-Ça va aller, d'accord ? lui lança la sage-femme en prenant sa voix la plus douce. Je vais avoir besoin de ton aide. Ouvre la caisse derrière toi et prends le premier vêtement qui te passe sous la main, il faut que j'arrête les saignements.

Ni une ni deux, la petite fille obtempéra tandis que Clémence se concentrait sur sa tâche. L'ouvrier la rejoint, tout penaud et se planta dans son dos sans savoir quoi faire. Contrariée par tant d'inefficacité, l'accoucheuse soupira bruyamment avant de gronder de nouveau :

- Ne restez pas planté là, bon sang. Venez donc m'aider à le relever, voyons . Nous ne pouvons pas le laisser là !

L'ouvrier s'empressa donc de placer son bras sous l'aisselle du blessé tandis que Clémence fit de même de l'autre côté. Un effort plus tard et Morgred put s'asseoir sur le plateau, le dos appuyé sur l'une des caisses, juste à côté de la petite fille qui s'empressa de le rejoindre.

-De l'eau chaude, du fil, une aiguille et des linges propres, ramenez-moi tout cela…Et ne trainez pas ! ordonna Clémence au couvreur qui détala aussitôt tandis que Philippa, incroyablement efficace malgré son jeune âge, tendit à la soigneuse la vieille chemise de nuit qu'elle tenait en main.

L'accoucheuse s'empressa de la déchirer avant de presser l'un des morceaux roulé en boule sur la plaie qui continuait de saigner.

-Comment vous sentez-vous, Morgred ? Votre vision est-elle toujours claire ? Avez-vous envie de vomir ? lui demanda-t-elle inquiète. Je vais vous demander de me parler … De n'importe quoi, je m'en fiche, mais je veux que vous restiez conscient.

- Clémence… Mon papa… Il va mourir ? sanglota l'enfant qui ne savait visiblement plus où se mettre ni que faire.
-Bien-sûr que non, voyons... Mais je vais avoir besoin de ton aide. Parle-lui à ton papa, ce sera plus facile pour lui de te répondre que de parler dans le vide. Tu peux faire ça ?

Philippa, probablement soulagée de pouvoir se rendre utile, essuya ses larmes du revers de sa manche et se saisit tendrement de la main de son père.

-Dis papa, comment t' as rencontré maman ?

L'ouvrier arriva à ce moment-là avec le matériel demandé. Clémence s'en saisit sans lui adresser le moindre regard et s'attela à la lourde tâche de suturer cette vilaine plaie. D'abord, il lui fallait la nettoyer afin de s'assurer qu'aucun débris ne se trouvait incrusté dans les chairs. Alors, avec minutie et douceur, la sage-femme passa le linge humide entre les pans de peau ouvertes tout en pressant légèrement pour faire cesser l'écoulement. Ceci fait, elle put recoudre tranquillement avant de recouvrir le tout avec un linge propre maintenu par un bandage enserrant le front de son patient.

Une fois sa tâche terminée, Clémence se releva avant de s'essuyer le front avec le revers de sa main couvert du sang du marin… Qui se transféra, évidemment, sur son visage couvert de sueur.

-J'ai fais ce que j'ai pu… Mais je crains que cela ne vous laisse une cicatrice… Comment vous sentez-vous ? Il me semble qu'il serait plus judicieux de laisser cela pour aujourd'hui et vous ramenez chez vous.
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MessageSujet: Re: De poussière et de sang [Terminé]   De poussière et de sang [Terminé] EmptyVen 3 Sep 2021 - 14:19
Si l’incident en lui-même se passa rapidement, Morgred eut l'impression qu’on lui porta secours plus vite encore. Obnubilé par l’idée puérile de frapper l’ouvrier pour son inattention, le pêcheur n’eut pas le temps de protester contre le mouchoir propre que Clémence sortit de ses affaires et appliqua presque immédiatement sur son crâne ensanglanté.

Du reste, l’envie de râler lui passa face aux réprimandes de la sage-femme. Jamais, Morgred ne l’avait vue s’emporter de la sorte, alors qu’il lui avait sans doute donné plus d’une raison d’être agacée. À tort, il avait pensé qu’elle était de ces personnes à la patience démesurée, calmes en toutes circonstances.

Le tempérament de la faiseuse d’anges venait de prendre du relief. Cela fut d’autant plus patent lorsqu’elle entreprit de diriger les opérations sans se laisser déborder ni par l’incompétence de l’ouvrier, ni par les pleurs de Philippa. Morgred – à tout le moins, son ego – se serait pourtant bien passé d’un tel professionnalisme, car sa fierté de mâle souffrit clairement d’être soulevé comme un enfant – non seulement par l’auteur de ses maux, mais également par une femme – pour être installé sur le plateau de la charrette.

Quand bien même il se refusait à l’admettre, il n’aurait cependant pu y parvenir seul.

— Hm… Ça va, marmonna le marin.

Tout son corps, entre pâleur et crispation, semblait néanmoins dire le contraire. Ciblée dans sa tempe, la douleur malmenait sa perception de la réalité. Morgred dispensait déjà d’importants efforts pour ne pas inquiéter sa fille et ne pas entraver les gestes de Clémence. Devoir parler lui semblait à la fois superflu et impossible.

L’inquiétude de sa benjamine le convainquit de se faire violence.

— Ça m’étonne que… débuta-t-il avant d'étouffer un grognement, alors que Clémence nettoyait sa plaie avec soin, ça m’étonne que ta mère te l’ait jamais raconté. C’était… aouch… grommela-t-il en adressant un regard en coin à la faiseuse d’anges, j’préférais quand vous riiez… commenta-t-il à l’adresse de sa soigneuse, c’était aux Jeux d’été de 1139. J’avais même pas encore ton âge. J’ai vu… hum… j’ai vu ta mère pendant le concours de pêche. Je sais que je l’ai abordée et qu’elle m’a giflé, mais je me souviens plus des... s'interrompit-il, inspiré par une salve de picotements. Il ne reprit qu'après une interminable expiration, des circonstances. Elle s’en souvient sans doute encore, elle, ronchonna le grand brun en s’efforçant de ne pas s’écarter de l’aiguille acérée de la faiseuse d’anges, malgré ça, on s’est revus dans la journée, puis les jours suivants. Même après la fin des Jeux.

Entre quelques vertiges passagers et les manipulations de Clémence, Morgred eut les plus grandes peines du monde à raconter ce petit pan d’histoire. Ainsi, il ne put retenir un soupir lorsque la sage-femme s’écarta enfin de lui. Son premier réflexe fut de se frotter le visage un moment. Sans doute pour reprendre contenance.

— Non, ça va, ça va, marmonna le pêcheur en se relevant.

Qu’il s’y soit pris trop vite ou que la blessure l’ait un peu plus atteint qu’il ne le pensait, Morgred tangua, avant de se rasseoir aussitôt, les sourcils froncés, la mine basse et les yeux clos.

— Hm… Ça vous dérange d’attendre un peu ? Que… je récupère ?
— Han ! Clémence ! Tu saignes, toi aussi !

Le pêcheur releva aussitôt la tête pour vérifier l’assertion de sa fille. Aux perles de sueur maculant sa peau, il réalisa alors combien la faiseuse d’anges avait donné de sa personne.

— Vous avez… mon sang, sur le front… Désolé. Pour le mouchoir, aussi… j’vous en donnerai un autre, soupira-t-il en se massant la nuque, merci pour vos efforts. ‘fallait pas vous donner cette peine avec moi, mais… merci.
— Et moi ? J’ai aidé, aussi, papa !
— Oui… merci, Philippa, sourit le grand brun, vous vous débarbouillez et on se remet en route ? J’me sens de mieux en mieux. D’ailleurs, grogna le pêcheur en lançant un regard torve à l’ouvrier, j’me sens de mieux en mieux, répéta-t-il, alors à vot' place, j’me tirerais maintenant. Tant que j’suis encore assis et loin.

Les yeux de l’ouvrier parurent s’écarquiller brièvement. Un temps, il sembla douter de la détermination de Morgred à lui foutre une raclée, mais le regard insistant du pêcheur le convainquit de ne pas attendre la confirmation ou l’infirmation des menaces. L’homme bredouilla quelques excuses, évoqua un « travail à terminer », puis se recula en tachant de se montrer le plus discret possible, inspirant un soupir au marin.
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MessageSujet: Re: De poussière et de sang [Terminé]   De poussière et de sang [Terminé] EmptyDim 5 Sep 2021 - 8:54
Attendre qu'il récupère ? Voilà une idée que Clémence trouvait bien peu raisonnable. Ne venait-il point de prendre un coup sur la tête ? La jeune femme avait beau ne pas être soigneuse à proprement parler, toutefois, elle savait parfaitement que continuer à tirer une charrette dans son état n'était guère une bonne idée. Dans ses livres, la sage-femme avait pu lire quelques recommandations de base telle que le repos et surtout la surveillance. Apparemment, il fallait redouter que le crâne ne saigne de l'intérieur auquel cas rien ne pouvait être fait pour soigner le patient. Les savants avait même donné un nom à ce phénomène bien que Clémence l'eût oublié. Quoi qu'il en soit, Morgred avait clairement besoin de repos pour preuve, celui-ci demandait même d'attendre quelques instant, le temps qu'il puisse se remettre de ses émotions. Clémence ne voulait rien dire ou ne rien montrer et, pourtant, elle ne s'en sentait pas moins inquiète.

- Han ! Clémence ! Tu saignes, toi aussi ! s'écria soudainement l'enfant en désignant son front du bout du doigt.
-Hum, quoi ? demanda-t-elle avant de porter de nouveau sa main au visage pour mieux comprendre d'où venait le problème. Cela fut bien rapide, elle savait ne pas être blessée et il lui suffit d'observer l'état général de ses mains et de ses avant-bras, couverts de sang.

Morgred s'en excusa sans que Clémence ne comprenne réellement pourquoi. Rien de tout cela n'était de sa faute après tout, il ne s'agissait que d'un vulgaire accident qui aurait pu être bien plus grave si les dieux ne s'étaient pas montrés aussi cléments.

-Et puis quoi encore, pesta-t-elle en posant ses deux mains souillées sur ses hanches. On ne va pas en faire toute une histoire ! Ce n'est qu'un peu de sang… Quant au mouchoir, ce n'est qu'un vulgaire bout de tissu, j'en ai des tas. Alors ne vous préoccupez pas de ces bêtises...

Décidément, cet homme-là était sacrément têtu. Loin d'écouter les recommandations de l'accoucheuse, celui-ci semblait prêt à reprendre la route…

-Certainement pas, rétorqua la sage-femme à la mine visiblement contrariée. Vous êtes blessé et une blessure portée à la tempe ne doit pas être prise à la légère.

Toute aussi têtue que le blessé, Clémence n'en démordrait pas et comme pour le prouver, celle-ci désigna une toute autre direction du bout du doigt.

-Ma maison est par là, à peine à quelques mètres. Vous avez besoin de vous reposer et de reprendre des forces. Je ramènerai la charrette moi-même, mais vous, prenez donc un peu de repos. Puis craignant que Morgred se mette à protester, la sage-femme afficha une expression sévère avant d'ajouter: Allons-y.

À son tour, Clémence prit la place du tireur à l'avant de la charrette. Évidemment, elle n'aurait certainement pas eu la force de tracter celle-ci avec le poids de Morgred et de sa fille à l'arrière, mais elle pouvait très bien supporter le poids des quelques caisses restantes. Malgré son apparence assez frêle, la jeune femme ne manquait ni de force ni de ténacité, aussi put-elle guider le père et la fille jusqu'à sa maison.

Vue de l'extérieur et malgré le manque de moyens des deux sœurs consacrés à l'entretien de la bâtisse, la façade avait su préserver sa beauté d'antan. Les volets méritaient quelques réparations, de même que la porte d'entrée qui grinça bruyamment lorsque Clémence l'ouvrit pour inviter la petite famille à pénétrer à l'intérieur. Là, les deux purent se rendre compte que la sage-femme n'en était pas à sa première vente de babiole tant la maison semblait vide. Quelques marques géométriques sur les murs attestaient de l'ancienne présence de divers tableaux et miroirs aujourd'hui disparus. La jeune femme les guida jusqu'à une pièce toute aussi vide que l'entrée où ne restait plus qu'un vieux sofa, un fauteuil et un petit guéridon servant à accueillir une chandelle.

-Installez-vous, je vous en prie, je vais vous chercher quelque chose à boire… Il doit me rester un peu d'hydromel jeune et du lait… Enfin, je crois...

Clémence les abandonna là avant de se rendre à l'office pour y fouiller dans les placards désespérément vides. Il était bien loin, le temps de l'abondance. À présent les soeurs Sarravilliers devaient faire avec le strict nécessaire. Elles ne s'en plaignaient jamais. Après tout, les deux avaient eu la chance de connaître un semblant de luxe là où bien d'autres étaient nés dans des familles si pauvres qu'une bouche supplémentaire à nourrir devenait une malédiction. Quelques instants plus tard, la sage-femme réapparut avec un petit plateau sur lequel trônait un pichet fendu et deux gobelets. Deux seulement, il ne restait point assez de boisson pour satisfaire trois gosiers, alors autant tout offrir à ses invités.

-Servez-vous, je vous en prie, dit-elle en déposant le plateau sur le guéridon. Comment vous sentez-vous à présent ?


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MessageSujet: Re: De poussière et de sang [Terminé]   De poussière et de sang [Terminé] EmptyDim 5 Sep 2021 - 14:03
De déconvenues en déconvenues, Morgred n’avait de cesse de froncer les sourcils d’une façon toujours plus appuyée. Ce que Clémence déconsidérait ou prenait pour peu de chose représentait beaucoup pour le pêcheur.

Écouter un étranger se livrer sur le crime le plus odieux qu’il ait jamais commis, sans le juger, sans faire preuve de condescendance ou de dégoût à son encontre, mais en cherchant au contraire à le rassurer et à le pousser vers une lumière qu’il s’obstinait à fuir, ce n’était pas une bêtise. Retrouver et rassurer une fillette alors qu’elle se trouvait perdue, puis lui proposer spontanément l’une des robes qui peuplait ses rêves, sans aucune autre contrepartie qu’un sourire, ce n’était pas une bêtise. Acheter quelques pâtisseries pour une famille afin de compenser la tristesse d'un refus, ce n’était pas une bêtise. Donner de son temps, de son énergie, souiller ses mains et ses vêtements pour secourir un individu, quand d’autres hommes, bien meilleurs, périssaient à la pelle dans des circonstances aussi absurdes ou bien plus tragiques, ce n’était pas une bêtise.

Alors non. Le mouchoir n’était pas qu’un vulgaire bout de tissu. Aussi insignifiant soit-il, lui non plus n’était pas une bêtise aux yeux du pêcheur. Comme les autres faveurs conscientes ou inconscientes que Clémence lui avait concédées, à lui ou à sa famille, le mouchoir s’ajoutait à une liste que Morgred trouvait désormais interminable. En tractant cette charrette, il avait un instant espéré pouvoir alléger son ardoise. Ça n’avait été qu’un prétexte de plus à la facétie des dieux.

Alors, forcément, quand la faiseuse d’anges émit l’idée de les conduire chez elle, esquissa les pourtours d’un nouvel élément dont il se sentirait redevable, le marin protesta.

— Non, écoutez, c’est ridic...

Le « Allons-y » catégorique de la sage-femme lui arracha une crispation des mâchoires, aussitôt suivie d’une vive douleur à la tempe.

Il capitula, mais pas de gaieté de cœur. D’autant plus que le trajet jusqu’à la maison indiquée, aussi court fut-il, lui parut interminable. Marcher, sans aucune autre utilité que de servir de guide à sa fille, tandis que Clémence s’échinait à tracter la charrette, seule, à ses côtés, lui était insupportable.

La grande maison, son intérieur modeste, les quelques travaux d’entretien qu’il aurait fallu réaliser ça et là, le sortirent brièvement de ses ruminements. Pas assez longtemps pour le dérider.

Buté, le pêcheur s’obstina à rester debout, les bras croisés sur son torse, tandis que Clémence gagnait une autre pièce en quête de mets auxquels il ne goûterait pas. Ce pan de matinée passé avec la sage-femme lui avait au moins permis de réaliser une chose : d’une façon bien plus subtile que lui, la faiseuse d’ange était têtue. Conscient que lui refuser l’hydromel n’aurait servi à rien, Morgred adaptait donc sa stratégie. Désormais, il ne refuserait plus par anticipation, mais a posteriori.

Loin de ces problématiques d’adultes, Philippa prit volontiers place sur le sofa, dont elle redessina les contours avec passion, manifestement ravie du confort qu’il lui apportait.

— T’as vu cette grande maison, papa ? La nôtre tient dedans, hein ?
— Plus d’une fois.
— Et t’as vu les escaliers ! Tu crois qu’il y a un étage ?
— Sans doute.
— Hm… Tu crois que Clémence me laisserait visi...
— Non. Tiens-toi tranquille, Philippa.

Déjà peu chaleureux, le ton de Morgred était devenu tout à fait cassant, presque agressif. La fillette avait accusé un tressaillement, ôté ses mains de l’accoudoir et de l’assise du sofa, puis attendu le retour de Clémence sans plus prononcer une parole ni oser remuer le petit doigt.

L’attente fut courte.

Mutique, le marin suivit des yeux l’arrivée de son hôte, observa le plateau et ce qu’il supportait. Deux verres. Tenait-elle vraiment à ce qu’il boive seul avec sa fille ? C'était là un prétexte de plus au refus. Aussi, lorsqu’elle les invita à se servir, ni le père ni la fille n’esquissèrent un geste en ce sens. Pis, déjà peu avenant au naturel, Morgred semblait plus sombre encore qu’à l’accoutumée.

— Je vais bien, affirma-t-il, passablement tendu, nous n’allons pas rester longtemps. Juste assez pour vous rassurer. N’y voyez pas… de l’impolitesse de ma part.

Depuis qu’il avait rencontré Clémence, il en était toujours ainsi : Morgred se sentait constamment déchiré entre son tempérament naturel, prompt à la solitude, à la débrouillardise et à l’emportement, et la désagréable impression de paraître ingrat et grossier en restant lui-même face à la générosité et la douceur dont cette femme faisait preuve. Bien sûr, il ne s’estimait aucunement privilégié et imaginait tout à fait la faiseuse d’anges porter secours à d’autres hommes ou d’autres femmes, au gré de ses rencontres et de leurs déboires.

Toutefois, si ceux-ci s’en trouvaient heureux, tel n’était pas son cas. Il leur laissait donc volontiers ces bons soins.

— J’ai bien compris que vous vous débrouilliez seule, mais… amorça-t-il en observant les alentours, votre maison réclame quelques réparations que vous semblez… négliger, assura-t-il, sans être certain d’avoir judicieusement choisi son mot, des détails, comme le grincement de la porte, ou certaines lames abîmées des volets. Normalement, je suis plus doué avec les bateaux, mais là, c’est pas grand-chose, alors je pourrais le faire. Ce serait une juste contrepartie pour… pour tout, vous pensez pas ?

D’une façon générale, Morgred compensait son manque de discussion par un sens de l’observation relativement bon. De fait, les traces aux murs ne lui avaient pas échappé et avaient au contraire conforté les sous-entendus portés par les deux verres : petit à petit, Clémence vidait la bâtisse de son âme pour ne garder que le juste nécessaire à sa vie et à celle de sa sœur. Deux verres, pas un de plus.
Deux verres, pour signifier à quiconque y prêtait attention, que les deux femmes se suffisaient à elles-mêmes et n’avaient besoin de personne d’autre

Bientôt, il ne resterait plus que les contours de cette maison. Des murs chargés d’histoires, porteurs d'apparences, que Clémence semblait vouloir préserver envers et contre tout. Des remparts que le marin savait indispensables, et se proposait donc d’embellir d’une modeste façon.
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