Les images du passé [Eivør et Gudrun]

- Si mes connaissances peuvent t’être utiles et t’assurer une certaine tranquillité lorsque tu auras quitté les murs de la cité, alors je t’apprendrai ce que je sais.

Eivør n’avait rien d’un sergent instructeur, en vérité il n’avait même jamais été confronté au fait de devoir entraîner quelqu’un. Le tout n’était qu’une question de pratique, avec le bon entraînement, des conseils sagement dispensés, apprendre deviendrait alors beaucoup simple.

- Une formalité qui m’épargne alors.

Le mercenaire savait que tout était arrivé par sa présence. Si son amie ne l’avait pas croisé, jamais elle ne serait allée dans la taverne, jamais elle n’aurait rencontré les deux scélérats dans la taverne, et elle n’aurait pas eu de soucis. Eivør était malgré lui le facteur commun dans cette aventure peu recommandable. L’homme n’aurait jamais pensé que s’occuper d’un violeur et d’un voleur, lui aurait causé du tord quelques semaines plus tard, à croire que mêmes pourris pouvaient avoir des amis ici-bas.

- Ne t’inquiète pas, ce n’est pas la première fois que j’ai des ennuis ni la dernière d’ailleurs, j’aimerais simplement que cela ne touche pas les gens qui m’entourent.

L’entourage… Une faiblesse que bien des hommes avaient su exploiter pour atteindre leur objectif. Le mercenaire n’avait plus de famille, la plupart de ses amis étaient morts ou disparu, Gudrun était une des rares personnes avec qu’il y avait des points communs, une personne qui pouvait considérer comme une amie. Mais l’idée même que cette amitié puisse attirer des ennuis à la prêtresse le révulsait. Eivør avait quelques ennemis, et certains suffisamment vicieux pour s’attaquer à son cercle de connaissance. Le mercenaire n’avait pas pensé à tout cela tout de suite, mais les idées lui vinrent en tête au fil des secondes, si jamais quelqu’un les avait aperçus lui et Gudrun. Un des meilleurs moyens de protéger la prêtresse était sans doute de lui apprendre à se défendre, et à ne plus trop croiser sa route dans l’espoir qu’aucun problème ne puisse l’atteindre.

- Ce gilet à vécu, comme son porteur, ne t’embête pas à essayer de lui redonner de son éclat, c’est peine perdue.

L’homme but une gorgée de vin avant de reprendre, la petite vinasse tenait plus du vinaigre que du vin, mais il ne fit aucune remarque et continua sur le même ton.

- Rares sont ceux qui soignent les étrangers ici, la plupart du temps je fais ça moi-même, quand j’en suis capable.

Le problème était principalement de rester conscient suffisamment longtemps pour traiter correctement une blessure, le repos faisait le reste.

- Une auberge miteuse, l’une des rares à bien vouloir louer une chambre à un étranger, le double du prix. Un toit, un lit et de quoi faire sa toilette, c’est toujours mieux que de coucher dehors. Et toi ? Tu vis au temple où tu as un chez-toi ?

Gudun s'interrompit un instant pour jeter un regard sévère au mercenaire.

- Ne raconte donc pas de bêtises ! A t'entendre on pourrait croire que ta vie est finie...

Elle continua à frotter. Rien ne valait de s'occuper les mains quand on avait trop de choses à penser.

- Je me doute que la vie n'est pas simple pour les étrangers. Comme je n'ai pas de famille, on a m'a donné une chambre sans trop faire d'histoire. Et puis, je sais me rendre utile ici, ils manquent de bras pour soigner tout le monde. Alors j'ai un toit, à manger, et une relative sécurité... Je pourrais difficilement souhaiter mieux.

A part peut-être une famille. Évidemment. Bien sûr, tout cela n'empêchait pas les regards suspicieux, ou les messes basses, de ses consœurs et confrères, mais peu d'entre eux se seraient risqués à quoi que ce soit envers l'une des leurs, et encore moins au sein du temple. Alors elle continuait à faire profil bas. Pour le moment, elle continuait à frotter machinalement, les yeux dans le vague, davantage pour s'occuper les mains que pour essuyer une trace de sang désormais sec. Après un court instant d'hésitation, elle poursuivit.

- En parlant de gens qui t'entourent... Je sais que la vie n'a pas été tendre avec toi Eivør mais... Si nous avons survécu à ce naufrage, si nous sommes ici aujourd'hui... C'est parce que les dieux l'ont voulu. Alors je pense qu'ils ont leurs plans pour nous, c'est simplement que nous n'arrivons pas à le voir dans son entièreté. Ça peut paraître décourageant, mais n'abandonne pas. J'ai vu trop de gens qui avaient baissé les bras dernièrement, mais tu vaux mieux que ça. Je prierai pour que Rikni te donne la force de te battre. Et je ne parle pas de tes prouesses guerrières.

Elle se tut. Le passé était le passé, et il convenait de ne pas trop y fouiller sous peine des souvenirs douloureux et pesants. Néanmoins... Il fallait parfois crever un abcès pour permettre une guérison. Du coin de l’œil, elle vit qu'Eivør semblait toujours conscient, occupé à boire. Il y avait encore suffisamment de sang dans cet homme robuste. Il allait s'en sortir. Elle arrêta de frotter pour fermer les yeux et apprécier le silence. C'était agréable pour une fois d'être en compagnie de quelqu'un qui avait connu sa vie d'avant. Quelqu'un qui pouvait comprendre, sans avoir besoin de poser mille et une questions comme certains le faisaient, certes sans mal y penser, mais blessants malgré eux.

Sa vie n’était pas finie non, il tenait encore debout et ce n’était pas aujourd’hui qu’il allait mourir d’une infection, du moins grâce au savoir-faire de son amie prêtresse.
Sa maison lui manquait, sa famille lui manquait… les souvenirs heureux lui laissaient un goût amer dans la bouche et il pensait malgré lui à toutes ces fois où il n’avait pas songé à profiter de l’instant présent. Le mercenaire resta silencieux, apprécier le silence était quelque chose qu’il n’avait pas fait depuis longtemps.

L’intégralité de son entourage se comptait sur les doigts de la main, Eivør n’était pas un homme capable de se faire des amis facilement, en vérité il était plus du genre à grogner qu’à parler. Ses connaissances et ses amis disparaissaient au fil des mois. Gudrun était l’une des rares encore présente, pour l’instant en tout cas, mais comme les autres elle finirait par quitter la ville afin de suivre sa propre voie, jusqu’au moment où il n’aurait plus personne avec qui partager ne serait que l’ombre d’un souvenir. Eivør avait comme l’impression d’attirer la malchance sur les gens qu’il appréciait, morts ou disparus pour la plupart, ça ne pouvait pas continuer ainsi.

- Tes paroles me vont droit au cœur. Je vais reprendre mon haut, je pense avoir suffisamment abusé de ton temps.

Il se redressa, posa la bouteille de vin sur l’assise de sa chaise. Sa blessure ne lui faisait pas mal, bien qu’une sensation de gêne fût présente, il allait devoir patienter un moment avant que cela disparaisse. Le gilet bien sanglé sur ses épaules, le mercenaire réajusta son armement pour que celui-ci n’appuie pas trop sur sa hanche tout juste remise en état.

- Encore merci pour ce que tu as fait, sans toi, il est sûr que j’aurais mal fini la journée. Je ne vais pas t’indisposer plus longtemps, je ne souhaite pas te créer des problèmes. Je pourrais t’apprendre à te défendre quand tu le voudras, laisse-moi simplement deux ou trois jours pour que cette plaie se referme et je pourrais ensuite t’apprendre ce que je sais.