J'ai mal au crâne... Je galope depuis un long moment maintenant et le soir ne va pas tarder à tomber. Je suis désolée d’avance pour ma monture que je pousse en dehors de sa zone de confort, mais le temps presse.
A vrai dire, j’hésiterais presque à pousser le plus possible pour me rapprocher autant que je le peux de Ménèrbes, quitte à passer la nuit en plein cœur des marais dans un arbre. Mais enceinte et proche du terme, c’est tout sauf judicieux…
Je suis partie sans eau ni nourriture. A vrai dire, je n’ai pas envie d’avoir à parler de tout ça, et il m’était urgent de prendre la route. Alors autant éviter d’aller jusqu’à la cuisine me faire remarquer en me préparant des provisions…
Les derniers rayons de soleil disparaissent comme j’arrive aux abords de Balazuc, des images et des pensées morbides plein le crâne. Je ralentis donc ma monture pour repasser au pas.
Ça faisait un moment que j’étais au trot pour laisser reposer la jument. Et alors que les premières maisons arrivent enfin en vue, j’entends du bruit. Je cesse donc brusquement d’avancer et tends l’oreille. Des voix. Depuis que Sombrebois reprend vie, Il n’y a plus rien d’étonnant à croiser des gens ici. Il y a même moins de chances de croiser des gens peu fréquentables qu’autrefois.
Mais tout de même… Je ne tiens pas à prendre de risque et je ne tiens d’ailleurs pas à avoir de la compagnie. Je voudrais rester seule… Tant pis. Je rebrousse donc chemin au plus vite et repars au trot un moment. Je dois me trouver un autre abri…
Je me souviens alors d’un autre pas trop loin d’ici. C’était… comment s’appelait-elle déjà ? Isa… Isabelle ? Non… Isa… Isadora ! C’est ça.
Elle m’avait menée jusqu’à un abri pour manger son lapin afin de me remercier de l’avoir tirée de son trou. En repartant, elle m’a bien dit de ne jamais y retourner. Sans doute était-ce un repaire de bannis ou de sectaires, voire de pirates ou contrebandier. Un repaire de bandit en somme !
Mais ce soir, ça n’a aucune importance. Je dois trouver un autre endroit pour me mettre à l’abri est vu l’heure, si le lieu est libre, je ne devrais pas y croiser qui que ce soit avant l’aube au plus tôt. Et je compte partir au lever du soleil, alors…
C’est quelques minutes après avoir fait demi tour que je me souviens de l’endroit, c’est encore un peu loin, alors maintenant qu’il n’y a plus de risques d’être entendue, je repars vite au galop pour faire au plus vite. La nuit tombe…
Et c’est ainsi que je déboule en catastrophe aux environ de cette cette vieille bicoque. Encore une fois, je repasse au pas afin de faire preuve de prudence. Même si le sol est vaseux et que le bruit des sabots est bien amorti, ça fait quand même un certain fond sonore. Je descends une fois arrivée et m’approche avec précaution au cas où l’endroit ne serait pas désert.
Mais il n’y a pas l’air d’y avoir qui que ce soit, alors je descends de FrouFrou afin de la diriger par la bride jusqu’à l’intérieur et m’installer en soupirant. La porte est toujours bloquée, comme la première fois. Alors j’ai dû passer par l’arrière pour rentrer. Et débloquer la porte principale, que j’ai bien entendue rebloquer une fois ma jument à l’intérieur.
Je m’assieds, puis m’allonge en regardant le plafond abîmé. Sacré journée… Je réalise soudain que je suis partie précipitamment sans prendre la moindre affaire. Me reste-t-il une bougie dans ma besace ?? Je fouille alors avec angoisse. Par chance, j’en trouve une que je peux allumer. Mais il faut faire attention à ne pas attirer d’indésirables avec la lumière…
Alors comme à mon habitude, je la masque comme je peux. Avec des vielles ruines de mobilier… J’espère qu’ils ne s’inquiéteront pas trop pour moi au château et que Desmond ne s’est pas lancé à ma recherche. Je me relève pour aller tapoter le flan de FrouFrou qui est occupée à manger une touffe d’herbe dans un trou du vieux plancher terreux et délabré.
« Je t’ai beaucoup fait courir aujourd’hui hein… Je sais. Mais il faut qu’on fasse vite… c’est pour retrouver Hector, tu comprends ? Je crois que je sais enfin où il se trouve… »
C’est terrible, cette boule dans la gorge…
« Demain aussi, il faudra beaucoup courir. Sans doute même plus. »
Elle relève la tête et la dirige vers la mienne, soufflant un souffle chaud par ses naseaux, comme le font les chevaux.
« Je sais… c’est pas drôle. »
J’enroule mes bras autour de son encolure quelques minutes, posant mon front dessus.
« Tu crois qu’il nous a vraiment abandonnés ? Moi, le bébé… Tu crois qu’il ne voulait plus de nous ? »
C’est tellement… Je ressens un goût amer dans ma bouche. « J’aurais tout donné pour lui… Tu sais ? C’est... »
C’est trop cruel…
« Comment a-t-il pu ? »
Je sens encore mon corps trembler, alors je lâche ma monture pour retourner m’asseoir. Je farfouille ma besace et en sort ma bouteille d’alcool entamée. J’ai faim, je crois… mais je n’ai rien à manger, alors je me contente de boire. Ça remplira toujours un peu pour couper la faim… « Il avait dit… qu’on ne trouverait jamais mieux. Mais… je ne sais pas s’il n’a pas trouvé, en fin de compte… »
C’est évident… Il est parti parce qu’il ne voulait plus de moi. Il a fait ce que je n’ai pas trouvé le courage de faire. C’est peut-être vrai au fond… je suis devenue lâche…
« Il disait que ça allait mieux... il disait qu’il m’avait pardonnée… »
C’est bien ce qu’il disait hein ?
« Et moi comme une idiote je l’ai cru. Mais il ne m'a jamais pardonnée... »
Je me saisie de la bouteille pour boire encore. Encore et encore… sans doute trop, parce qu’un haut le cœur me saisit. Ça faisait longtemps... Tout tourne. J’ai la tête qui tourne et la gorge qui me brûle, alors je m’étends à terre, mais la sensation devient insupportable.
« Il avait l’air… tellement heureux au début... Mais j’ai tout détruit. Tout détruit… Je ne sais faire que ça. Détruire… J’ai ça dans le sang. Dans la peau… »
C’est stupide d’avoir tant bu… s’il se passe quoi que ce soit, je ne pourrais pas me défendre.
« Tu sais… FrouFrou… je murmure faiblement. J’aimerais qu’il soit encore là… »
Mais c’est fini, je le sais. Tout est fini. Ça tourne et je vomis une bonne partie de l'alcool avalé. L'air me manque...
« Je ne voulais que lui… »
Mes yeux se ferment seuls, je crois que je m’endors doucement, assommée par l’eau de vie et fatiguée du voyage. Ma tête va exploser... Tout mon corps est contracté et je n'ai pas même la force de m'éloigner de mes humeurs.
« Le bonheur… il n’est pas fait pour moi hein… Il n’a jamais été pour moi. Seulement les ténèbres… J’aurais pu être quelqu’un d’autre… quelqu’un de bien. Mais je ne suis là que pour détruire. »
Des images viennent, virevoltent, dansent devant moi, tantôt mélancoliques, tantôt douces, tantôt violentes... des images Ô combien terrifiantes qui doucement m'emportent loin au travers de leur farandoles endiablées, m'arrachant la dernière bribe de raison restante, m'arrachant toute décence et toute attache, me plongeant dans les profondeurs d'un abyme de détresse insondable où seule la folie s'accorde encore à venir me tenir compagnie. Me guettant avec prudence et s'approchant avec parcimonie pour parvenir à m'approcher, m'effleurant sans jamais me toucher, reculant sans jamais s'éloigner, pour satisfaire une mystérieuse danse macabre dont le sens m'échappe, elle se tient là à l'affut du moment, de son heure.
Tout sens m'échappe désormais. Il est là, veille sur moi, se tenant dans un coin sans bouger ni parler. Je sens sa présence mais je ne peux pas bouger. Je sais que si jamais je bouge, l'éthérique image s'évaporera en un battement de cils. Mes lèvres remuent mais plus aucun son n'en sort.
« Emporte-moi » , lancé-je dans un souffle.
Rosen de SombreboisBaronne
Sujet: Re: Hurler en silence Mar 7 Sep 2021 - 18:48
Hurler en silence
Rosen
31 mars 1167 En route pour Balazuc
Je m’endors et me réveille. Je me réveille et me rendors et le temps file comme une flèche qui siffle dans la nuit. Il s’étire telle la corde d’un arc, mais avec une lenteur désespérante. Ma tête me lance, tourne et virevousse. Quand tout cela prendra-t-il fin ? J’ai une de ces envies de vomir…
Ah… je suis clouée au sol. Quand j’essaie de me redresser, c’est comme si je m’effondrais dans un éboulement. Il y a… quelque chose qui me manque. Quelque chose à quoi je dois me raccrocher pour ne pas sombrer. Mais je perds le fil… tout tangue. Hector ? Je crois qu’il était là… mais où ?
Une ombre vers le mur s’abaisse jusqu’au sol. Hector ? Es-tu toujours là ? Je pourrais tendre les bras et presque le toucher. J’en suis sûre… je le sais. Mais je n’ai pas même la force de tendre la main ou je vais vomir. De toute façon, il s’enfuirait… loin… si loin par delà les limites de l’espace et du temps. Pourquoi être là alors ? Si proche et si loin à la fois.
Présent mais absent, quelque part entre le réel et l’irréel. Oui, son image est là près de moi, me hante, me tourmente. Oui, il est là et ailleurs à la fois. Au moins est il toujours à mes côtés d’une manière ou d’une autre. Je revois son sourire et les étoiles qui brillaient dans ses yeux à chaque fois qu’ils se posaient sur moi. Comment avons nous pu en arriver là ?
A un tel gouffre de déchéance et de désespoir ? Nous qui étions si forts… Nous que rien ne pouvait atteindre. Il était tout et je n’étais rien. Mais dans ce puits de ravages qui me ronge je l’ai plongé pour le pousser et le mener jusqu’à sa perte. Pourquoi ? Je souris faiblement en le revoyant si beau, si fier, cheveux au vent. Son allure… il paraissait tellement inatteignable. Rien ne pouvait le toucher.
Sauf moi. Et je l’ai tué. Tué… Son regard a changé, d’abord. Puis le reste, sans doute. Quand l’attirance s’est muée en haine froide avant de se vêtir d’indifférence. Que reste-t-il alors ? Quand la sincérité a été dévorée. Je me tourne d’un côté, de l’autre.
Je me redresse brusquement pour vomir à nouveau et des milliers de fantômes et de démons m’assiègent, m’emprisonnent – ou me retiennent prisonnière – de ce vide terrifiant afin que plus jamais je ne puisse le remplir à nouveau.
Des rires, de l’énervement, des cris... de la douleur.
A quoi bon vouloir accueillir la vie quand elle ne peut que nous détruire ? Tout dans ce jeu là n’est que douleur et faiblesse. Tout n’est que leurre et tromperie et, au final, toute joie est insidieuse, ne faisant que se mouvoir en souffrance. La roue tourne. Puis nous éjecte.
Quand on est en haut, elle ne peut que nous traîner ensuite dans la boue pour nous laisser loin derrière dans son sillage, ricanant de la stupidité de ceux qui pensaient pouvoir y rester indéfiniment. Le jour se lève… mais je ne suis pas en état de me lever.
Il le faut pourtant. Comment trouver la force ? Aide moi… rien qu’une dernière fois. Je me redresse, mais ça tourne encore comme une farandole frénétique. Que tout s’arrête… Je tente de me mettre debout, mais je vomis encore. Je crois que j’ai vraiment trop forcé sur la gnôle…
Je n’ai encore jamais été dans cet état. Était-ce donc ce qu’il voulait ? Je pourrais tout détruire… encore… oui. Tout. Je suis prête maintenant. Prête à tout. Je pourrais raser tout le royaume.
En fin de compte, c’est peut-être du côté des purificateurs que je devrais tenter ma chance… je plonge ma main pour regarder la petite pièce en bois. A quoi bon ? Je suis trop lâche pour qui que ce soit…
On se rirait juste de moi encore et encore. Autant faire cavalier seul, qu’ils aillent tous se faire voir. Je sursaute en sentant un souffle chaud dans mes cheveux. Je relève difficilement la tête pour apercevoir ma jument. « Oui il faut… y aller. »
Je ne tiendrai jamais debout… Je m’accroche à sa crinière pour tenter à nouveau de me relever, une fois qu’elle relève la tête, puis une fois sur mes pieds, j’enfouis ma tête dans son encolure.
« Je vais pas y arriver... »
J’ai atteint les sous fonds. C’est inutile… A quoi bon ? Je ferais mieux de me laisser mourir. Je tente maladroitement de mettre mon pieds dans l’étrier pour me remettre en selle, mais il me faut plusieurs tentative pour y arriver.
…
J’ai oublié d’aller ouvrir la porte… Je me penche mollement contre son garrot pour me laisser tomber contre elle. Lorsqu’enfin tout est fait dans les règles de l’art, nous pouvons reprendre la route. Ma tête dodeline, et je me couche en avant à plusieurs reprises, ne tenant plus droite.
J’espère que ça ira mieux en fin de journée…
Rosen de SombreboisBaronne
Sujet: Re: Hurler en silence Mer 8 Sep 2021 - 19:26
Hurler en silence
Rosen
La journée paraît si longue… j’ai fait galoper FrouFrou le plus possible, malgré les nausées et l’épuisement. Il faut à tout prix se dépêcher d’arriver à Piana et si possible même, de poursuivre encore en direction de Ménèrbes. Je me demande à quoi tout cela rime.
J’ai même tendance à me dire que cela ne rime à rien… Mais plus rien ne rime à rien. Alors à quoi bon avancer encore ? A quoi bon endurer ce trajet ? Ces tourments ? Ne devrais-je pas me concentrer sur la priorité ? Mais qu’est-elle au juste ? Le bourg ? Mon enfant ? Moi ?
Voilà une bonne question à laquelle je ne trouve même pas de réponse. Il serait pourtant bon de le définir… Comme le nom du bébé. Et les préparatifs ? Tellement de changements et d’angoisses à venir. Tellement de choses à prévoir et à organiser.
Y-a-t-il seulement du temps à perdre en futilité et en vains questionnements ? Mais que peut bien me réserver l’avenir ? Je suis pris dans ce cercle vicieux qui ne semble avoir de fin.
Il faudra pourtant bien qu’il y en ait un tôt ou tard ! Pour l’heure, je file et vole tant que je le peux vers cette destination funeste. Mais que pourrais-je bien y trouver ? Sera-t-il là, froid et sans vie ?
A-t-elle seulement pu dire la vérité ? Comment a-t-elle pu avoir sa chevalière ? Je n’ai pas poussé pour obtenir la moindre question à ce sujet, alors qu’elle n’a eu de cesse de ramener le sujet sur le tapis. Il faut que je sache… que je comprenne… que s’est-il donc passé ? Tout allait bien…
A-t-il seulement pu organiser son départ et cette agression ? A-t-il pu se faire passer pour mort tout ce temps afin de changer de vie au plus loin de moi ? De nous ?! Je n’arrive toujours pas y croire.
C’est impossible… L’estomac me brûle, j’ai même l’impression qu’il se tord et je me sens si fatiguée… Mais je ne pourrais sans doute rien manger avant demain.
Si je n’arrive pas trop tard à Piana, je pourrais peut-être voir à essayer de chasser. Ah… non, bien sûr. Je n’ai pas mon arc… je suis partie précipitamment. Chasser au couteau ? Voilà un concept… et la journée passe, suit son cours. J’ai repris la route tard, ce matin.
A vrai dire, vu mon état, je me demande même si je ne suis pas repartie en début d’après-midi. Mais heureusement, je finis par arriver à Piana, à la fin d’une nouvelle journée de labeur. Je me faufile avec le plus de discrétion possible entre les ruines jusqu’à l’auberge.
La clé de l’auberge est dans ma besace, et je me dis que si je n’avais pas pris ma besace avec moi pour aller prendre les bouteilles, je n’aurais pas pu entrer. Je me mets donc en sécurité à l’intérieur, puis m’écroule sur le sol après avoir verrouillée la porte derrière moi.
Je n’aurais pas la force de monter à l’étage, tant pis. J’ai à peine la force d’allumer le restant de ma bougie… C’est en la cherchant que je trouve une vieille pomme dans le fond de ma besace. Ah… voilà qui me fera toujours de quoi manger un peu. Mais j’ai le ventre noué.
J’essaie d’éviter de penser, mais c’est plus fort que moi. Et sitôt que mon esprit dérape, s’évade des bornes de ma conscience, il trace à toute vitesse vers lui. Lui qui est parti un beau matin chercher un traitement pour la petite qui est malade et qui affronte la mort chaque jour.
Quel homme pourrait faire ça ? Tout quitter, partir, laissant derrière lui femme, enfant, et malade qui attend le traitement d’urgence ? J’ai du mal à comprendre et je sens mon cœur se gorger de sombres humeurs. Pas un homme vertueux, pas un homme bien.
C’est une certitude… Mais qui suis-je pour juger moi même ? Quelqu’un de bien peut-être ? Non, certainement pas. Mais pour lui, j’aurais tout donner sans hésiter une seule seconde.
Jusqu’à ma vie. Mais aujourd’hui, je suis fatiguée de ressasser toujours les mêmes pensées en boucle. Je sens le bébé bouger et m’envoyer un coup de pieds. Si c’est pas un garçon celui-là…
Je me retiens de lui envoyer un coup de poings en retour. Je suis fatiguée de me faire labourer les entrailles à tout bout de champ. Je suis fatiguée de ces nausées, je suis fatiguée d’être fatiguée et de devoir tout gérer toute seule. De me battre contre la terre entière et d’avoir mal au crâne.
Je fixe le plafond et, finalement, me décide à reprendre quelques gorgées d’alcool. C’est que je n’ai que ça à boire… Mais cette fois, je fais attention de ne pas abuser. Demain, il faut que je sois fraîche lorsque je vais arriver à Ménèrbes… Une nouvelle angoisse me ceigne l’estomac.
Que vais-je bien pouvoir faire… hein ? Débarquer et demander à ce que l’on me déterre mon mari pour me le rendre ? Et comment le ramènerais-je ? Comment vais-je expliquer ce qu’il fout là ? Non, ça, ça va être à eux de me l’expliquer. Mort en héros ? Ou comme un lâche ?
Il a peut-être trouvé le courage de faire ce que je n’ai pas réussi à faire, mais abandonner tout le monde derrière lui sans se retourner, ce n’est pas plus courageux.
C’est même terriblement lâche. Mais j’en ai assez de tant penser, parce que ma tête va exploser. J'attrape la chaînette de laquelle pend la bague pour manipuler cette dernière. Je compare sa taille et celle de mes doigts. Elle est si grande pour moi.
Ça tourne toujours… J’ai déjà pratiquement pas dormi la nuit dernière, et je sens que je suis bien trop anxieuse pour dormir cette nuit aussi. Il faut que je me fasse à l'idée. Il n'est plus là, il ne sera plus jamais là. Pourquoi est-ce dur ? Je n’y arrive pas... Que tout cela cesse… Que tout cesse.
Rosen de SombreboisBaronne
Sujet: Re: Hurler en silence Jeu 9 Sep 2021 - 1:14
[quote="Rosen de Sombrebois"]
Hurler en silence
Rosen
1 avril 1167
Non, je n’arrive pas à dormir. Il fait bien trop froid. Plus froid encore que la nuit précédente. Et dès que je ferme les yeux, une armée d’ombre m’assaille. On m’observe, on m’épie. Je le sens. Ce ne sera pas la première fois… Je n’en peux plus, me tourne et retourne en tout sens.
Il m’est impossible de dormir, et ce ne serait certainement pas judicieux. Que vais-je donc trouver à l’arrivée ? Voilà une question que je me repose, qui me taraude. Et si c’était faux… oui… Ce serait bien joué. D’un côté, j’aurais toujours l’espoir de le revoir vivant un jour ou l’autre.
Mais je serais partie, comme ça, pour rien… avec toutes les putains de conséquences que ça implique. Encore que si c’est fait pour quelque chose, ça passera mieux déjà… Ah, je ne sais toujours pas comment je vais expliquer ça. Mais je n’ai rien envie d’avoir à expliquer.
Je veux juste être moi et faire ce que je veux. Être libre… Juste libre. Mais je me sens prise à l’intérieur d’un filet inextricable qui m’asphyxie toujours plus chaque jour. Qu’importe. Il faut que je sache. Je dois retrouver mon mari… Je n’ai pas le choix. Enfin tourner cette page, si je le peux.
L’incertitude est la pire chose qui puisse être, je crois. Il est tellement plus facile de s’apaiser après la douleur une fois que l’on sait ce qu’il en est. Mais ne pas savoir… Comment tirer un trait sur le passé comme ça ? Comment oublier cette promesse ? Comment ne plus attendre ? Ne plus espérer ?
Il faut que je sache si c’est vrai. S’il m’a vraiment abandonnée... que je tire cette affaire au clair. Ça pulse toujours autant dans ma tête. Par moment, ça reste constant, comme une douleur sourde en attente. Puis ça pulse à nouveau. Je serai bientôt arrivée… et je saurai.
Et la nuit passe, trépasse. Le soleil se lève, réchauffe enfin un peu les tourments de la nuit. Mon ventre gargouille, et en fouinant dans ma besace, je trouve un vieux morceau de pain, cette fois. Mais trop bien dur pour que je ne puisse le mâcher.
Qu’à cela ne tienne, je débouchonne ma bouteille presque vide pour verser un peu d’alcool sur le pain afin de le ramollir. Et quelques secondes plus tard, je peux enfin le mâcher. C’est étrange, du pain tremper dan de l’eau de vie. Mais ce n’est pas mauvais.
Et je me remets en route, pas fâchée à l’idée de quitter la bâtisse après une nouvelle nuit agitée, empreintes de cauchemars consistant en un mélange étrange d’Etiol et de la couronne. Quelle nuit de merde… Je n’aurais pas beaucoup dormi, mais le principal et que je sois enfin sur la dernière étape. Ma monture est épuisée, alors j’essaie de la ménager un peu après lui en avoir autant demandé. Et enfin, à la fin de la journée, j’arrive aux abords du petit village.
L’angoisse se prononce, se renforce. Quelque part, j’ai juste envie d’être ailleurs. De ne pas me diriger vers l’issue finale. Mais il le faut… Le cimetière est à l’écart du village, sur une petite proéminence et je suis sûre que je peux y accéder sans avoir à entrer dans Ménèrbes.
Je m’y dirige donc en premier lieu, prête à retourner toutes les tombes s’il le faut pour trouver la bonne. Je descends de FrouFrou et l’attache à un arbre avant de parcourir le petit lieu consacré. Il n’est pas bien grand, alors ça doit être facile de trouver la tombe la plus fraîche.
Il doit y en avoir une dont la terre est fraîchement retournée, sans nul doute, si toute cette histoire est vraie. Alors je cherche, analyse, me baisse, m’agenouille pour regarder la terre, la pousser, la tâter du plat de ma main.
Et alors que j’hésite, de la terre plein ma robe, j’aperçois un mouvement. Des gens se dirigent vers moi, montant un petit chemin depuis le village. Des miliciens qui viennent sans doute me demander ce que je fous là… Que leur répondre, sinon la vérité ? Je me relève donc et prends une profonde inspiration.
« Je suis Rosen de Sombrebois et je viens chercher le corps de mon mari. On m’a dit qu’il était là. »
A voir si c’est la vérité, mais c’est une tout autre histoire.
Rosen de SombreboisBaronne
Sujet: Re: Hurler en silence Ven 10 Sep 2021 - 5:06
Hurler en silence
Rosen
Je fais un bond. Mince… je me suis endormie par terre alors que je farfouillais dans le sol. Deux nuits à ne pas dormir, peu de nourriture dans le ventre, un long voyage… l’épuisement se fait sentir. Je me redresse, personne à l’horizon. Bon… De toutes les tombes, il n’y en a qu’une de fraîche alors le doute n’est pas bien grand.
Contrairement aux autres qui sont toutes ornées d’affaires ayant probablement appartenu aux défunts et de végétation, cella n’a rien de particulier. Je prends une pierre qui traîne et je commence donc bêtement à creuser. Si c’est pas la bonne… je n’aurais qu’à tout refermer.
On va espérer tout de même que je ne me trompe pas… Mes doigts finissent rapidement écorchées à force de pression frénétiques contre le sol. À de multiples reprises, je la lâche pour m’aider de mes mains. Souvent, j’ai l’impression de retirer d’un côté ce qui y retombe de l’autre, comme un éboulement se produisant au fur et à mesure sur le versant opposé.
Mais je persévère et jette le plus loin possible la terre afin d’éviter qu’elle ne retombe dans le trou. La terre humide colle et s’infiltre sous mes ongles rapidement. C’est assez désagréable, mais tout ce qui importe, c’est que je réussisse à récupérer Hector. J’aurais bien le temps de me laver après…
Finalement, après un long moment de labeur, j’atteins enfin le corps. Je ne sens plus mes doigts je crois. A force d’efforts, ils sont contusionnés et perclus. Je n’arrive presque plus à les plier… Et c’est le moment difficile que je redoutais tant. Je dégage de ma main la terre restante et me retrouve face à une sorte de grand sac en toile. Je m’approche donc de la tête en tâtonnant.
Je reste quelques minutes devant à chercher le courage d’arriver à le rabattre pour regarder la tête. Vais-je seulement le trouver ? Je crois bien qu’il me manque, là, présentement. Mais il le faut, hein ? Oui, il le faut. Je ne suis pas venue jusqu’ici pour rebrousser chemin maintenant.
J’ai commencé, je dois continuer et terminer ce pour quoi je suis venue. J’aurais pu faire les choses correctement et me faire accompagner, j’aurais pu confier cette tâche à quelqu’un d’autre comme Desmond. Mais non, je dois le faire moi. Je dois savoir… Mais après ? Que vais-je faire ?
J’essaie de respirer calmement et profondément, mais même la respiration ne parvient pas à m’apaiser et j’ai l’estomac noué. Ma gorge, elle… comme d’habitude, me procure une gêne. J’envoie lentement mes mains vers la toile pour la retirer, hésitante. J’abaisse alors lentement, découvrant alors peu à peu le visage. Est-ce lui ? D’abord le crâne, intact. Puis le front, les yeux… le nez et la bouche. Bientôt, tout le visage est découvert.
Je ramène mon poing contre la bouche et ma main contre la poitrine. Quelle odeur épouvantable… et tous ces insectes partout… c’est immonde. Et, ce faciès cadavérique… il n’y a aucun mot pour le décrire. Je reste de longue secondes à le fixer sans réaction.
« Hector... »
Ma voix se brise, presque comme si j’avais été étranglée en plein milieu. Tout est flou, irréel. Non, ce n’est pas réel… Il est enfin là, devant moi, après tant de temps où je ne pensais jamais le revoir. J’en ai presque oublié le son de sa voix...
« Hector, je répète, complètement déphasée. Pourquoi... Pourquoi ! »
Je ne comprends pas. Pourquoi donc est-il là ? Depuis quand ? Non, ça ne fait sûrement pas deux mois. Un ver se tortille dans une narine, et de sa bouche ouverte, des coléoptères bougent. C’est horrible cette vision… encore pire que celle de mon cauchemar. Mais il est là, maintenant. Là devant moi.
« Lève toi ! lui intimé-je en le secouant. Lève toi ! Arrête tes conneries maintenant et lève toi, on rentre ! Tu m’entends ? On rentre je te dis ! Lève toi ! »
Je donne de grands coups sur son torse, en plein désespoir. Pour toute réponse, un fort vrombissement effleure mon oreille et s’agite soudain dans mes cheveux, me faisant pousser un petit cri de terreur en envoyant la main. Mais il n’y a plus d’insecte. Je me couche alors en travers de son corps.
Il est si froid, si dur… j’ai du mal à croire qu’il ait un jour pu être animé par le souffle de la vie. Pourtant, c’est bien lui… c’est insupportable. Il ne voulait plus de moi…
« Hector... Hector ? »
Ce douleur dans ma poitrine… c’est comme si on l’écrasait avec une masse. C’est insupportable ! insupportable ! insupportable ! Non, il ne se relèvera plus jamais et je pousse alors un hurlement de souffrance.
« Pourquoi tu m’as abandonnée ! Pourquoi ! »
Les larmes abondent sur mes joues, comme si elles étaient lessivées par la pluie et mon nez se bouche, suintant d’humeurs lui aussi. Il n’y a aucun mot pour décrire ce que je peux ressentir. A quoi a-t-il pensé, au moment de rendre son dernier souffle ? A-t-il seulement pu penser à moi ? A nous ? A son enfant… Ou ne ressentait-il vraiment plus rien pour nous ?
Comment j’ai pu tout gâcher à ce point… Non, bien sûr. Il m’a définitivement oubliée. Je me redresse et baisse la toile pour regarder son corps. Il est vêtu de haillons comme le dernier des mendiants. C’est ça qu’il voulait ? Une vie de misères ? Je remarque trois entailles le long de sa poitrine, et sa gorge est tranchée, abritant de nombreuses larves et autre vermines.
Je crois que je vais vomir… Au loin, je crois entendre un fangeux. Un fangeux… serait-ce ce qui l’aurait tué ? Non, c’est impossible. Je sais ce qu’il s’est passé… « J’avais besoin de toi… J’ai besoin de toi… »
Hector… si tu savais ce qu’est devenue ma vie sans toi. Je crois que c’est pire que l’enfer. Tu m’as plongée au cœur de l’enfer… Qu’aurais-tu fais à ma place ? Tu aurais pris les armes, bien sûr… personne n’aurait pu une seule seconde t’imposer quoi que ce soit. Tu serais sans doute mort plutôt que de te laisser faire de la sorte. Et tu serais mort libre au lieu de vivre opprimé.
Et c’est ce que tu as choisi… de mourir libre pour ne plus avoir à me supporter jour après jour. J’en ai trop fait, hein… Je sais. Oui, je crois que je suis lâche, et je ne m'en suis même pas rendue compte. Au fond, c'est moi, qui aurait dû sombrer.
« Tu as voulu m‘épouser... je suis ta femme ! », je m’indigne.
Il faudra que j’endure ça, comme j’ai toujours tout enduré. Mais y parviendrai-je encore ?
« Je suis tellement désolée... je murmure faiblement. Tout est ma faute... »
Je reste agenouillée à côté de lui, à le dévisager profondément, gravant chacun de ses traits dans mon esprit. Le temps n'existe plus. Plus rien n'existe, plus que lui et moi. Ma vision est floue, je n'y vois plus rien. Mes yeux lourds me brûlent et collent. J'ai juste envie de m'étendre et de me laisser mourir avec lui...
d'oublier la vie. Car ainsi tourne-t-elle, lancée dans sa grande et cruelle farandole ; tantôt rapprochant et liant, tantôt séparant et détruisant. Mais les joies sont éphémères, cruautés perverses ;
et reviennent bien vite la douleur et la solitude. Mais disparaissent-ils seulement, ou se terrent-ils au plus profond de notre âme, masqués par une simple illusion qui n'attend que d'éclater pour les libérer à nouveau au grand jour ?
Oui, ce doit être ça. Les joies ne sont là que pour nous affaiblir et nous détruire.
Dame CorbeauMaître du jeu
Sujet: Re: Hurler en silence Ven 10 Sep 2021 - 11:49
1er Avril 1167.
La nuit est douce sur le petit village de Ménerbes, même si l’hiver appose encore sa marque sur une terre froide et dure, on sent dans le fond de l’air une forme de tendresse, de chaleur, qui annonce un printemps proche. Pourtant malgré cette douceur, Laelle ne peut s’empêcher de sentir régulièrement un frisson remonter le long de son échine. Elle se frotte alors machinalement ses mains légèrement caleuse pour se réchauffer, mais elle sait très bien que rien n’y fera, ce n’est pas un froid que l’on chasse, mais que l’on supporte jusqu’à ce qu’il choisisse de s’en aller. Le lait frémit dans la petite casserole devant elle, la tirant de ses pensées. Elle s’empresse alors d’y jeter quelque feuille pour détendre l’âme et le parfumer. D’habitude elle y mettrait aussi un peu d’alcool, mais elle doute que ce soit une bonne idée cette fois. Elle laisse donc le liquide remuer et s’imprégner avant de l’ôter juste quand le point d’ébullition est atteint et que le liquide pâle se met à gonfler dans son contenant.
Elle filtre les feuilles à l’aide d’un tissu et verse la préparation dans un broc avant de se retourner vers la petite salle. Elle retient un nouveau frisson en apercevant la jeune femme et une bouffée de compassion lui monte à la gorge. Pour éviter de fondre en larmes alors qu’elle ignore tout de la situation, elle foudroie du regards les deux miliciens qui murmurent dans un coin et baissent vite les yeux pour éviter son courroux. Elle sait qu’il est injustifié, ils n’ont fait que leur travail, mais elle a besoin de quelqu’un à blâmer, au moins temporairement, pour évacuer sa frustration. Et puis cela reste deux grands crétins qui ont voulu arracher une femme à son drame sans chercher à comprendre son malheur. Si elle ne les avait pas aperçus dans la noirceur tombante entrain d’essayer de la trainer hors d’une tombe en dehors du village, ils auraient fini par lui casser quelque chose. Elle avait accouru en retenant ses jupons et les avait houspillés malgré la terreur qu’elle ressentait de s’éloigner du village dans la pénombre.
Elle avait découvert une triste scène. Cette pauvre fille, accrochée au corps du défunt comme à une bouée, chouinant et baragouinant entre ses larmes, le cœur visiblement meurtri de sa découverte. Il était évident qu’il ne s’agissait pas d’une pilleuse de tombe prise sur le fait, mais d’un drame. Elle retint une grimace de dégout en remarquant les asticots et autres joyeusetés remuant déjà dans les plaies et orifice du cadavre et se concentra sur la malheureuse inconnue. Elle ordonna au plus jeune des miliciens d’aller chercher une pelle, et il obtempéra sans broncher même si elle n’avait pas de réelle autorité sur lui. Mais c’était ainsi avec Laelle, elle avait torché les culs de la moitié des habitants du village et tiré l’oreille des plus rebelle pendant des années, ce qui lui conférait un certain ascendant dans leur microcosme.
L’autre recula d’un pas pour la laisser s’approcher de l’inconnue. Elle s’accroupit au près d’elle et se mit à lui parler doucement, sans vraiment obtenir de réponse, mais poursuivit malgré tout sans faiblir, et sans relever constamment les yeux à la recherche d’une menace. Elle ne sut dire si cela dura une minute ou une heure, mais petit à petit elle parvint à se frayer un chemin dans la douleur de la mère anonyme et ses mots semblèrent enfin trouver prise. Elle caressait doucement ses cheveux pleins de terre en la réconfortant. Elle aperçut le milicien revenu avec les outils demandés.
- Il va venir avec nous d’accord ? On va le sortir de là. Mais pour ça tu dois reculer un peu ma grande, et venir avec nous. On va se mettre au chaud, tous et on ne le laissera pas derrière.
Elle ignorait tout de la relation qu’ils avaient partagé, frère sœur ? Non, aucune ressemblance. Amant ? Mari et femme ? Une seule personne le savait, et elle n’allait pas la harceler de question alors qu’elle peinait déjà à maintenir le contact. L’inconnue finit par accepter tacitement de laisser les deux miliciens œuvrer en se reculant juste assez pour ne pas prendre un coup de pelle malencontreux. Laelle la prit naturellement dans ses bras, même si elle n’avait rien demandé et qu’elle ne lui rendit point l’accolade. Mais cette fille avait besoin de chaleur humaine.
Lentement, en continuant de lui parler doucement, elle parvint à la faire se remettre debout et un pas après l’autre l’emmena vers le village, l’aidant à rester sur ses pieds. Elles avancèrent lentement, la petite blonde se retournant régulièrement pour s’assurer que les deux hommes les suivaient bien avec la dépouille.
Cela faisait maintenant plus d’une demi-heure qu’elles étaient dans sa maison. Le père Pascal était arrivé quelques minutes plus tôt après qu’on l’ait tiré du lit, et s’était isolé avec sa trousse et le corps sans poser de question. Les temps avaient tellement changé. Elle se souvenait très bien d’une époque où l’idée même de profaner une tombe était sacrilège, alors toucher un corps… mais la fange avait rebattu les cartes. Et aujourd’hui, offrir une vue décente de son conjoint à une veuve en souffrance semblait plus important que le respect d’une terre d’ores et déjà profané. Même au yeux du vieux prêtre.
Laelle posa la tasse de lait chaud devant la jeune femme ainsi qu’une tranche de pain frais, sans l’obliger à boire ou à manger pour autant, elle n’avait pas besoin qu’on la force à quoi que ce soit pour le moment. Elle s’assit à coté d’elle avec un petit bol d’eau chauffée elle aussi et un torchon et s’empara doucement d’une de ses mains couvertes de terre et de petite écorchure. Elle entreprit de la nettoyer tranquillement.
- Tu as fait un sacré bout de route pour le retrouver j’ai l’impression. Il va falloir te reposer un peu. Tu veux bien me dire comment tu t’appelles ?
Rosen de SombreboisBaronne
Sujet: Re: Hurler en silence Ven 10 Sep 2021 - 15:24
Hurler en silence
Rosen
Comment peut-il rester inerte ? C’est un mordu… il aurait dû se relever depuis bien longtemps. Mais non, il reste là, gisant dans la terre et les nombreux insectes.
« Emporte moi avec toi... »
Oui, qu’il se lève et m’emporte avec lui, que nous ne soyons plus jamais séparés. Je veux errer avec lui pour l’éternité. Mais ce n’est pas lui qui m’emporte… Non, quelque chose me tire brusquement en arrière, bien trop fort pour que puisse résister.
J’ai beau essayer de m’accrocher à Hector, c’est inutile. Alors je crie et me débats, ce qui est tout autant inutile, évidemment, mais je ne peux faire que ça. Je viens de le retrouver, et on me l’arrache déjà… Tout est sens dessus dessous. Il y a quelque chose d’étrange dans ce flottement.
Ce n’est pas réel… c’est comme si je me trouvais perdue dans un terrifiant songe. Comble de l’ironie, il est des songes plus réels que cette triste réalité… Non ! Pas ça ! Mais bientôt la traction cesse et, m’écroulant presque à terre, je tente de faire les quelques mètres qui me sépare de mon mari, rampant tant bien que mal.
Mais une forme s’interpose à nouveau. Sans m’entraver ou me tirer en arrière, cette fois. C’est quelque chose devant moi qui me bloque le passage, s’abaissant à ma hauteur. Ce qu’il se passe autour de moi, je ne le remarque même plus. Ne le comprend plus.
Les bruits, les sons, je les entends à peine. Mais je sens le danger qui a voulu m’emmener, j’ai senti et sens encore la douleur mordante. A présent, je sens l’apaisement qui tente de se frayer un chemin vers moi pour m’envelopper. Un apaisement que je ne perçois à peine, que je ne vois pas.
Je cherche autour de moi, mais mon regard n’arrive plus à s’arrêter sur quoi que ce soit. Hector… Oui, il est juste là, et une voix rassurante essaie d’attirer mon attention, de m’expliquer quelque chose que je comprends à peine. Je m’agite un peu, cherchant et recherchant le corps du regard.
On ne cherche plus à m’en séparer à présent, et je recule un peu en percevant un mouvement vers lui. Je sursaute, anxieuse et m’agite de nouveau quelques secondes en voyant le coup de la pelle vers lui. Mais non, on ne touche pas au corps, on va juste le sortir de là.
Je sens une étreinte qui se referme sur moi. Une douce étreinte compatissante, oui. C’est une femme, je crois. C’est la voix que je perçois depuis tout à l’heure, celle qui essaie de me garder avec elle dans la réalité alors que mon esprit fuit et vogue dans une autre dimension emplis de fantômes et de terreurs. L’apaisement réussi à se faire une place, lentement, par à coup, et je ne lutte pas pour me dégager, au contraire.
Je me laisse faire, agrippant même ses manches au niveau des épaules. Mais mes doigts me font souffrir et je serre la mâchoire. Les larmes finissent par arrêter de couler. Ça fait du bien, des fois, de pouvoir se laisser aller. Derrière moi, j’écoute les coups de pelles se succéder.
La femme me relève doucement, mais une fois sur mes pieds, j’ai étrangement l’impression de ne plus être très stable. Je cherche toujours Hector du regard et, lorsque je vois que les hommes récupèrent le corps, je me laisse mollement emmener jusqu’à une maison.
J’irais n’importe où tant qu’on ne me sépare pas de mon mari. Même à l’autre bout du monde… même au-delà des limites du Morguestanc. Là, un homme finit par nous rejoindre, et se dirige vers une autre pièce, là où l’on a emmené Hector. Je regarde la femme, perdue, les yeux hagards.
Comme si elle se trouvait derrière une mince ouverture, mais qu’entre nous, défilait tout un monde d’horreur et de folies dans lequel je me sens piégée, un monde sombre ou nulle lumière ne peut filtrer. Un monde que personne d’autre que moi ne peut percevoir. Comme un monde entier entre nous, nous séparant. Un monde dont seulement chacun peut voir celui où il se trouve.
Elle m’amène à boire et à manger, puis entreprend de me laver les mains l’une après l’autre. Le picotement de l’eau sur mes égratignures m’est désagréable, et je lutte pour ne pas me remettre à pleurer. Fou, le monde est fou et je ne comprends plus ce qu’il m’arrive.
J’entends sa question filtrer au travers des ténèbres, mais je ne sais pas comment répondre. Devant mes yeux, je ne vois et revois que le visage de mon époux, tous les insectes s’y promenant, dévorant, déféquant, copulant au sein de ce corps que j’avais tant aimé, le souillant comme un vulgaire déchet. Cette vision va me rendre folle.
Essayant de me concentrer sur la femme bienveillante, j’essaie de lui répondre, mais aucun son ne sort de ma bouche. Comment je m’appelle ? Tout le monde sait comment je m’appelle.
J’envoie la première main nettoyé dans mon sac, fouillant à la recherche de l’objet que je veux lui montrer, mais je retire vivement la main dans un petit cri, sentant quelque chose bouger. Ça grouille.
Regardant, Je peux voir de nombreux insectes éthériques se déplacer ça et là. Je cligne des yeux à plusieurs reprises et secoue la tête jusqu’à les faire tous disparaître. Non.
Je ne laisserai pas submerger. Je ne coulerai pas. Je renvoie la main dans mes affaires, mais la seule appréhension de revoir des insectes suffit à les faire ressurgir. Mais qu’est-ce qu’il se passe… que m’arrive-t-il ?
Je suis en train de perdre la raison. Non, je vais y arriver. A la troisième tentative, ma main touche quelque chose de dur et froid et je la retire vivement. Non, ce n’est pas le poignet de Hector… ce n’est que la bouteille, je le sais.
Je prends ma tête entre mes mains. Il faut que je dorme… Je suis en train de perdre pieds. Une mouche vole soudain dans la pièce. Mais est-elle seulement réelle ? Oui, celle-là doit l’être, je n’arrive pas à la faire partir. Et alors qu’elle me fonce dessus pour se poser sur moi, je pousse un nouveau cri en faisant une embardée sur le côté. Quelle parte… qu’elle parte !
Je ne veux plus voir tous ces insectes… Mais elle se dirige finalement sur le pain posé devant moi. Prenant une grande inspiration, je fais une dernière tentative. Je vais l’avoir… Les dieux peuvent bien me tourmenter et m’envoyer toutes les macabres images qu’ils veulent, ça ne marchera pas.
Je ne sombrerai pas !
Respirant toujours profondément, je regarde mon sac avec attention, et finit enfin par mettre la main sur ce que je cherchais : la chevalière de Hector avec l’écusson Sombrebois. Je laisse la chainette glisser comme un ver le long de mes doigts pour n’avoir que l’anneau que je lui tends alors pour le lui montrer. Sombrebois… terre de tous les malheurs.
Ma tête dodeline et je me frotte les bras, ayant la désagréables sensation de sentir des insectes me parcourir le corps. Mon esprit s’égare toujours tant et plus hors de l’espace et du temps. Un brouhaha assourdissant empli mon crâne, comme un hurlement constant.
Un homme joue aux fléchettes, ratant à chacun de ses coups le cœur de la cible.
« Qu’est-ce qu’elle a à s‘ marrer comme ça celle là… - Laisse, c’est qu’une morveuse, lui répond son camarades en buvant une bière. - Elle va se prendre ma main dans la gueule si elle continue à ricaner. »
Et ça continue. Une claque. Nouveau rire.
« C’pas possible… mais elle le fait exprès ?! - Laisse j’te dis… »
Nouvelle claque.
Le rire s’intensifie.
Une paire de claque.
« Je vais la tuer, mec. »
Le rire devient fou rire.
Encore une claque.
Un hurlement strident.
« Mais elle est complètement cinglée ! »
Le poing se lève, mais un troisième homme s’interpose pour attraper le type au col.
« Touche là encore et c’mon poing qu’t’auras dans la gueule. - Bordel mais arrêtez vous à la fin ! », s’agace l’homme qui veut siroter sa choppe en paix.
L’agresseur s’éloigne finalement sans demander son reste.
« Eh, Goss, faut vraiment que t’arrêtes tes conneries maintenant, gronde l’homme au visage émacié et aux cheveux sombres qui vient d’intervenir. - D’accord Claudin ! »
Un grand sourire angélique sous les jolies boucles blondes.
Dame CorbeauMaître du jeu
Sujet: Re: Hurler en silence Ven 10 Sep 2021 - 17:14
1er Avril 1167.
Plusieurs fois elle hésite à intervenir, voir à demander de l’aide aux deux miliciens pour la maintenir calme, de peur qu’elle ne se blesse. Mais elle retient cet instinct, la jeune femme veut lui montrer quelque chose, et essaie de surmonter une épreuve pour cela. Elle craint que l’en empêcher soit plus mauvais que bénéfique, alors elle se contente simplement de l’empêcher de chuter complètement lors de ses grandes embardées et lance un signe de dénégation aux deux hommes quand ils esquissent un mouvement. Enfin elle semble trouver ce qu’elle cherche et sort un médaillon. Non une bague plutôt, pendant à une chainette. Elle tend sa paume et l’inconnue l’y dépose avant de se frotter vigoureusement les bras comme pour chasser une menace invisible. Elle ne doute pas vraiment de ce que peut voir la jeune femme vu la vision d’horreur à laquelle elle a assisté il y a peu.
Elle examine la chevalière, et il ne lui faut qu’un instant pour reconnaitre le blason de la maison de Sombrebois qu’elle a vu des centaines si ce n’est dès milliers de fois depuis qu’elle est née ici. Mais la compréhension, elle, tarde. Laelle n’est pas stupide, mais sa vie est faîte de chose simple. Alors l’énormité de la révélation qu’elle a sous les yeux tarde à percer les nuages de sa logique. Ce n’est qu’en posant les yeux sur le ventre rond de la jeune femme qu’enfin les pièces acceptèrent de se mettre en place. Une femme, enceinte, portant ce blason et sous le choc après avoir retrouvé dans la terre l’homme qu’elle recherchait. Les mystères autour de la disparition du baron lui revinrent en mémoire, ainsi que sa fameuse femme, venue du peuple et portant son enfant.
- Par les trois… murmura-t-elle pour elle-même.
Elle étouffa le vilain réflexe qui faillit la pousser à s’incliner devant la jeune femme, et rejeta immédiatement l’idée de prévenir le bourgmestre, ou plutôt son adjoint. Cette pauvre gosse n’avait pas besoin de courbettes ou de bêtises de noble. Elle fit sa voix la plus douce possible.
- Le père Pascal va les chasser d’accord ? Et moi je vais m’occuper de toi. Tout va bien aller.
C’était un mensonge, elle le savait bien, mais à quoi bon l’accabler avec les problèmes de demain alors qu’elle souffrait déjà tant aujourd’hui. Elle releva doucement le menton de la jeune femme vers elle. Ses cernes étaient si prononcés et bleuie qu’on aurait pu croire qu’elle avait pris une raclée. Depuis combien de temps n’avait-elle pas dormi ? Vraiment dormi ? Elle s’empressa d’enfoncer la chevalière dans la petite besace pour la cacher et préserver l’identité de la demoiselle, au moins un temps.
- On va aller dans la chambre d’accord ? Tu as besoin de mettre quelque chose de sec et de te reposer. On n’ira pas plus loin c’est promis. dit-elle avant de tourner la tête vers les deux miliciens. Vous deux, allez voir ailleurs si je m’y trouve !
- Mais… commença l’un deux.
- Pas de mais, on a pas besoin de vous ici. Revenez demain et on verra. dit-elle, les fixant jusqu’à ce qu’ils opinent et sortent de la maison, elle ramena alors son attention sur la baronne. Tout ça peut attendre d’accord ? On leur dira quand tu seras prête, pas avant. Allez ma belle, allons te débarbouiller un peu, et te mettre quelque chose de plus confortable.
Elle passa son bras sous celui de Rosen et l’aida à se relever et sans brusquerie, l’entraina dans la chambre. Comme une mère avec son enfant, elle passa les minutes suivantes à la déshabiller et la laver avec douceur. Ce n’était sans doute pas très convenable qu’une femme du peuple s’occupe de la toilette d’une noble, mais elle avait besoin de cette toilette et l’ancienne sage-femme faisait très peu cas des convenances quand elle sentait quelqu’un dans le besoin. Elle s’excuserait plus tard s’il le fallait. Elle occupa l’air en lui parlant de tout ce qui lui passait par la tête. L’état des cultures, sa fille en apprentissage en ville, son fils qui était milicien au labret, le gout bizarre de ses carottes. Elle doutait que l’autre l’écoute vraiment, mais parmi toutes les voix qui devaient se bousculer dans sa tête, ce n’était pas mauvais d’en avoir une plus réelle et légère. Elle lui fit enfiler une de ses larges chemises de nuit dans laquelle la jeune femme, même enceinte, flotta amplement. Elle faisait toujours maladive et fatiguée, mais au moins elle était propre et au sec. Avec délicatesse elle la coucha dans son lit et la borda bien avant de s’empresser d’aller chercher le lait refroidit et de revenir s’installer sur une chaise juste à coté d’elle, la porte légèrement entrouverte pour surveiller la sortie possible du prêtre.
Elle glissa sa main dans celle de la jeune mère et la caressa doucement avec son pouce.
- Je ne sais pas si tu arriveras à dormir ma grande, mais toi et le bébé vous avez besoin de repos, alors reste allonger quelques heures d’accord ? Je reste à coté de toi.
Rosen de SombreboisBaronne
Sujet: Re: Hurler en silence Ven 10 Sep 2021 - 20:00
Hurler en silence
Rosen
Je ne me rappelle pas avoir déjà été plus vulnérable qu’à ce jour. Mais on ne peut contrôler son destin, on ne peut lutter contre les Dieux et leurs plans. On ne peut se soustraire aux sorts qu’ils nous réservent à nous, pauvre mortels que nous sommes. De ridicules insectes… des insectes…
Non, cette sensation ne passe pas. Je ne supporte plus la pensée – le souvenir, sans doute - de toute cette vermine grouillante qu’il me semble sentir à chaque seconde. Et lors la vieille femme me dit que le père Pascal va les chasser, je suis perplexe. Quoi, elle les voit aussi ?
Ils sont réels alors, tous ces insectes qui me hantent ? Je ne comprends plus rien… Peut-être parle-t-elle d’autre chose, mais dans mon état, je ne suis pas capable de le comprendre. La vue de la chevalière semble avoir eu l’effet escompté, je crois. Dur de savoir si c’est bien le cas, encore une fois, dans mon état. Je suis incapable de raisonner clairement…
L’odeur du lait chaud est agréable, pour peu que j’arrive à oublier la puanteur sentie quelques instants auparavant. J’ai l’impression de ne sentir plus que ça… qu’elle ne me quitte plus, qu’elle est collée à ma peau. Mon hôte me dit que tout va bien aller. Oui, tout va bien aller.
Tout va toujours bien n’est-ce pas ? Même quand rien ne va. Sinon, c’est que nous n’avons plus qu’à sombrer définitivement, et je ne veux pas sombrer. Je dois ramener mon mari chez lui, sur ses terres. Qu’il soit inhumé proprement et décemment, qu’on le revêtisse de ses habits.
Et qu’il soit enterré dans le caveau familial, parmi les siens. Pas comme le dernier des vagabonds… loin de nous… J’ignore comment je vais pouvoir expliquer tout ça à mon retour, mais à chaque jour sa peine. Et pour l’heure, la femme m’emmène dans la chambre après avoir chassé les hommes et s’occupe de me nettoyer et me changer avant de me mettre au lit.
Me parlant autant qu’elle peut pour canaliser mon esprit fuyant qui se perd dans une autre dimension, j’ai l’impression d’être une enfant, une enfant chétive et non autonome. Je comprends peu de choses de ce qu’elle me dit, car ses mots se perdent au milieu d’un océan de pensées parasites, mais je crois que quelque part, ils arrivent à maintenir parmi les vivants.
Je m’en étais tellement mieux sortie la première fois…
« Mère ? », j’appelle en secouant doucement le corps inerte une fois sortie de ma cachette d'où j'avais pu tout voir.
Ils ont été battus durement, son visage est tuméfié et ne ressemble plus à rien.
« Mère ? Tu m’entends ? Pourquoi tu ne te lève pas ? Pourquoi tu ne me réponds pas ? Mère ? »
Non, nulle réaction. Je prends alors de quoi nettoyer son visage puis pars chercher une couverture pour m’allonger contre elle et dormir. Elle est si froide…
Le lendemain, elle bouge toujours pas. Mon père non plus, d’ailleurs. Et je ne sais pas pourquoi toutes ces mouches leur tournent autour.
« Mère ? Tu es réveillée ? Tu fais semblant de dormir ? Ils sont partis, les méchants… »
Mais nulle réponse encore une fois. Pourquoi ? Les hommes ont-ils frappés trop fort ? Est-ce que l’on peut être cassé comme un objet ? Mais je sais à présent qu’elle ne se relèvera plus jamais.
Oui, je m’en étais mieux sortie alors que je n’étais qu’une gamine. Mais c’est comme ça, on ne contrôle rien. Elle prend ma main et la caresse doucement. Tant qu’elle reste à côté, je me tiens tranquille. J’aimerais savoir où est Hector, rester avec lui. C’est la dernière nuit… mais je crois que c’est mieux que je reste à l’écart.
J’essaie de dormir, mais à chaque fois que je ferme les yeux, je revois son visage cauchemardesque, garni d’insectes en tout genre. Alors je fixe le plafond, attendant que le temps passe. L’obscurité de la nuit s’intensifie, ma respiration s’accélère, je m’agite dans le lit.
Je me redresse un peu, cherche ma besace mais elle n’est plus à côté de moi. J’essaie de tâtonner sur la table de chevet, mais mes mains ne rencontrent que du vide. Je regarde alors celle qui veille bravement sur moi, geignant quelque chose d’inarticulé.
J’ai l’impression que l’air ne passe plus dans mes poumons et que je n’inspire que du vide et je redoute à chaque seconde que quelque chose me frôle dans le lit. La nuit sera longue… encore. Si seulement je pouvais arriver à dormir un peu...
Dame CorbeauMaître du jeu
Sujet: Re: Hurler en silence Ven 10 Sep 2021 - 21:01
1er Avril 1167.
La baronne se relève plusieurs fois cherchant quelque chose à tâtons sans que Laelle soit certaine qu’il s’agisse d’une chose réelle, ou d’une vision qui la hante. Elle gémit et la sage-femme se rapproche encore, choisissant de s’asseoir au bord du lit. La douleur dans les yeux de la jeune femme lui fend le cœur et lui rappelle ses propres pertes. Mais elle doit être forte pour deux cette nuit. Elle écarte doucement une mèche coller à son front en sueur et maintiens sa nuque le tend de porter le lait à ses lèvres.
- Essaie de boire une goutte, ça te détendra, tu n’as rien bu depuis des heures ma grande. Tes affaires sont entrain de sécher juste là, et ton sac est près du lit tente-t-elle pour la rassurer et faire en sorte que les plantes apaisent au moins en surface les troubles de la jeune femme pour l’aider à trouver le sommeil.
Que les fesses d’Anür soient blanches si elle arrive à se souvenir de son nom. Elle se souvient vaguement d’un rapport avec la rose. Rosalie ? Rosa ? Elle devait bien admettre qu’elle n’escomptait pas un jour croiser en personne la baronne de Sombrebois. Pas plus qu’elle n’aurait pu supposer que l’homme enterré si récemment puisse être l’époux disparu. Qu’est-ce que c’était encore que cette histoire ?
- Respire lentement. Concentre toute ta douleur dans ton esprit, imagine-la comme un gros nuage rouge. Et souffle le dehors, lentement, un souffle après l’autre, morceau par morceau. Isole-le des bonnes choses, ne le laisse pas t’envahir. poursuivit-elle en lui caressant doucement la tempe. Tu es forte ma grande. Je peux le dire rien qu’en te regardant. Alors tu vas surmonter ça comme le reste. Tu vas le faire pour toi et pour l’enfant que tu portes d’accord ?
Elle n’attend pas vraiment de réponse, mais continue de partager son soutien et une tendresse humaine à cette pauvre fille accablée de chagrin. Ils lui semblent que parfois elle s’endort, mais la seconde d’après elle découvre ses yeux grands ouvert posé sur elle, mêlant peur et incompréhension. Sans impatience ni pression elle lui propose régulièrement de se désaltérer au gobelet de lait, et même si c’est lent, le contenu diminue peu à peu et les muscles de la veuve se détendent lentement sous l’effet relaxant des plantes. Les paupières de la baronne se font plus lourde à mesure que la chaleur gagne ses muscles. Elle rouvre encore les yeux bien souvent, mais très vite ses paupières papillonnent à nouveau. Parfois elles restent closes des minutes entières.
Lentement la fatigue et les plantes l’emportent sur le drame, au moins temporairement. Il est heureux que Laelle ait mis du chasse rêve dans la décoction, si une nuit sans songe n’est pas la plus reposante, cela vaut toujours mieux que pas de nuit du tout. Elle se dit même qu’elle aurait dû forcer la dose pour assommer pour de bon sa protégée, mais elle n’est pas grande amatrice de ce genre de traitement. « Aider, pas remplacer » comme elle avait l’habitude de le dire.
Une heure plus tard, le milieu de la nuit déjà proche, la baronne dormait enfin et le gobelet était vide. Laelle perçu le bruit de la porte adjacente, pourtant discret et son regard croisa celui de Pascal. Il fut une époque où elle avait été éprise de cet homme, et il l’avait aimé en retour. Mais Laelle était une épouse fidèle aux fortes convictions et Pascal un homme trop bon et croyant pour pousser une femme à la faute, même s’il l’a désiré ardemment. De cette passion non consommée restait aujourd’hui une tendresse muette qu’ils échangeaient parfois dans un regard ou un sourire. Leur chance était passée, mais il était agréable de se savoir aimer. Le prêtre hocha doucement la tête pour lui faire comprendre qu’il avait accompli sa tâche au mieux, et n’entra pas dans la chambre. Un dernier regard et il s’éloigna vers la sortie, laissant Laelle à sa veille solitaire.
Pas une fois elle n’hésita ou ne sombra dans un demi sommeil, ses yeux posés sur la Baronne, tout ses sens en alertes. Celle-ci se réveilla par trois fois en gémissant, mais à chaque fois d’une longue étreinte ou de mots rassurant qui ne le l’atteignait peut-être pas tout à fait mais dont le ton suffisait à lui assurer un soutien, elle parvint à la faire se rendormir. Il ne s’agirait que d’une poignée d’heure au final, mais c’était déjà une victoire en soit. Quand son invitée finit par se réveiller pour de bon alors que le soleil matinal percé par la fenêtre, Laelle était toujours là, armée de son sourire doux, ses mains occupées à reprisé la cape de voyage de la noble qui avait été malmenée quand les miliciens avaient voulu l’éloigner de la tombe de son mari.
- Bonjour ma grande. se contenta-t-elle de dire pour tâter le terrain.
Rosen de SombreboisBaronne
Sujet: Re: Hurler en silence Ven 10 Sep 2021 - 23:52
Hurler en silence
Rosen
Alors que j’ai du mal à me rasséréner, elle continue calmement à veiller sur moi. Elle vient s’asseoir au bord du lit pour me faire boire un peu de lait, puis m’explique que mes affaires sèchent à côté et que mon sac est juste à côté du lit. Ma besace !
C’est ça que je cherchais et sitôt que j'ai fini la gorgée, je me penche pour la retrouver par terre. Là, je fouille rapidement et arrive assez facilement à sortir ma bougie.
Je la tends donc à mon hôte afin qu’elle puisse me l’allumer. Dans mon état, je n’en serais jamais capable… j’essaie ensuite de dormir à présent que je peux me le permettre. Je n’ai plus à me méfier, je ne suis plus perdue au beau milieu des marais.
Je suis en sécurité dans une maison habitée au sein d’un village habité, avec quelqu’un qui veille sur moi. Ça va aller… ça va aller. Je referme les yeux. Non, ça va pas… je sursaute. Il y a des insectes partout… j’ai l’impression d’en avoir sur moi, c’est affreux. Alors je me tortille encore un peu.
A plusieurs reprises, la femme me rassure, me réconforte, me donne des conseils pour aller mieux. Me fait boire un peu de lait, aussi, jusqu’à ce que le godet finisse vide. Il est bon, ce lait. Je ne sais pas ce qu’elle a mis dedans, mais c’est bon. Un léger arôme d’herbes lénifiant…
Le temps passe, et à maintes reprises je m’agite, cherche à me lever. Je ressens des angoisses par vague. Hector… Hector ! Je veux alors aller le rejoindre, mais à chaque fois que ces angoisses sont au paroxysme et que je veux me lever, gémissante, ma gardienne bienveillante est là pour me parler et me calmer afin que je reste au lit, me prenant dans ses bras pour me réconforter.
Si seulement je pouvais contrôler mon esprit pour le faire taire. Pour ne plus être assaillie par toutes ces pensées, ces souvenirs, ces images, cette odeur. Ça irait tellement mieux déjà.
J’aimerais qu’il soit là, près de moi. J’aimerais sentir son corps contre le mien, mais à chaque fois que j’y pense, c’est son cadavre glacial et rigide qui me revient à l’esprit, et toute cette masse grouillante…
Pourtant je sais qu’il y avait une époque où son corps était chaud et doux. Où mes caresses le faisait frémir autant que les siennes me faisait frémir. Mais ce temps paraît si loin… et son souvenir aussi. Et l’aube relaie finalement la nuit. Je me réveille doucement, pour une fois, sans cauchemars.
Où suis-je ? Je me redresse vivement ne reconnaissant pas l’endroit, avant de me rappeler de la veille. Ah, oui… je tourne la tête, la dame est toujours là, à s’occuper de recoudre mon vêtement. Voyant que je suis réveillée, elle me salue. A-t-elle veillée sur moi toute la nuit sans dormir ?
Voilà une bonne question. Je pose les pieds par terre pour m’asseoir au bord du lit et la regarde faire un instant. Je ne sais pas quelle heure il est, mais il faudrait que je reparte au plus vite. Oh non, je ne suis pas tellement pressée de retourner à Sombrebois. Je me sens bien, là, avec ma mystérieuse bienfaitrice qui prends soin de moi. Mais je dois ramener mon mari.
Et plus je tarde, et plus ça va barder quand je vais rentrer… Je passe ma main sur mon visage, puis je me lève pour faire le tour du lit et récupérer mes affaires. Je me change rapidement sans m’inquiéter de la présence de la femme, elle qui m’a de toute façon aidée à me changer et me laver hier.
Je m’attache les cheveux puis me poste devant la porte, les mains jointes devant moi le long du corps, attendant patiemment qu’elle finisse et me rende mon manteau. Je lui souris maladroitement lorsque je croise son regard.
Je ne sais pas comment je vais ramener Hector, mais j’imagine que l’on m’accompagnera en charrette. J’espère juste que l’on ne me fera pas trop attendre et je triture un peu mes mains nerveusement. Quand elle semble avoir fini et se lève j’ouvre la porte pour aller à la recherche du corps de Hector. Ça va vite, il n’est pas dans la pièce principale, et il n’y en a plus qu’une autre où je me dirige donc.
La femme est sur mes talons, et nous arrivons donc rapidement jusqu’à lui. Le corps n’est plus dans le sac de toile à présent, il est disposé sur une table. Je m’approche lentement, contournant la table pour me mettre sur le côté.
Il n’y a plus trop de trace de terre et je ne vois plus d’insectes. Ses vêtements semblent avoir changés aussi, ce ne sont plus des guenilles. Sa gorge a été bandée et m’approchant, je laisse mes doigts parcourir son visage en le regardant profondément.
Si seulement je pouvais comprendre… comment a-t-on pu en arriver là ? J’aimerais parler, j’aimerais crier, même, mais aucun mot ne parvient à sortir. Je me penche pour poser ma tête sur sa poitrine et passer mes bras autour de son corps, contenant difficilement de nombreux spasmes.
L’odeur putride est peut-être un peu moins forte, mais elle est toujours là et bien présente. Au bout de quelques minutes je me redresse pour le regarder à nouveau. Je laisse parcourir mes doigts sur son gosier pansé, d’un bout à l’autre de la plaie, et me retourne pour regarder mon hôte d’un air interrogateur.
Dame CorbeauMaître du jeu
Sujet: Re: Hurler en silence Sam 11 Sep 2021 - 12:23
1er Avril 1167.
Sa… patiente, faute de meilleurs qualificatif semble aller mieux ce matin. Oh Laelle n’est pas stupide, elle sent bien le désespoir et la fragilité de sa comparse, et le mutisme encore présent n’en est que la preuve la plus évidente. Mais au moins semble-t-elle avoir retrouvé une certaine maîtrise de son corps. Sa tristesse lui fend le cœur et elle se retient de peu de la serrer contre elle, mais elle garde le sourire, pour elle deux et l’aide à remette sa cape une fois qu’elle a fini. Elle reste dans son dos en sachant où les pas de la baronne vont les mener. Elle aussi elle aurait besoin de voir.
Pascal a bien œuvré, et si l’évidence de la mort de l’homme est toujours là, il a retrouvé une décence rassurante, une dignité. Les minutes s’écoulent, et Laelle reste silencieuse en observant la jeune femme vivre son deuil trop longtemps repoussé. Finalement la jolie blonde au regard triste se retourne vers elle, le regard empli d’un vide qu’elle a besoin de combler. La sage-femme la regarde un instant sans comprendre, puis suit son geste et fini par hocher la tête.
- On ne sait pas tout ce qu’il s’est passé. Il y a une petite maison un peu à l’écart du village, une ancienne cabane de chasseur, un peu trop loin dans le marais pour qu’un des habitant l’occupe. Alors on la laisse ouverte aux voyageurs de passage qui n’ont pas les moyens de l’auberge. C’est toujours mieux que de dormir dehors. commença-t-elle à expliquer avant de s’apercevoir que ce genre de détails étaient bien loin de ce qu’attendait la jeune femme. Elle enchaina.
- Il y a… hmm… un peu plus de deux semaines, il est arrivé par la route de la ville, avec un autre homme et une femme. Ils ont acheté quelques provisions de base et on choisit de passer la nuit là-bas. Mais la fange a attaqué. Nous avons entendu des cris et une lutte, mais quand nous somme arrivé au matin… Ils étaient morts. Votre mari tenait encore une hache à bois avec laquelle il avait tenté de défendre les autres. La créature a péri sous ses coups, mais pas avant qu’elle le blesse mortellement, et qu’elle n’écharpe l’homme qui l’accompagnait. La femme avait disparu, mais il y avait tellement de sang, et la piste s’enfonçait dans les marais avant de disparaitre dans la vase… on a retrouvé qu’un de ses doigts. finit-elle.
Elle se frotta les mains, un peu nerveuse, cherchant les bons mots pour apaiser la peine de la mère en devenir et sachant pertinemment qu’elle n’avait aucune chance d’en trouver. Elle poursuivit quand même.
- Nous avons salué son courage et son sacrifice, et il a reçu tous les sacrements par le père Pascal. Il est mort en brave et a été mis en terre de même. Tout le village était là…
C’était bien peu. Une goutte d’eau s’écrasant dans les abîmes d’un océan, mais elle n’avait que ça à lui offrir. Elle se rapprocha d’un pas pour se mettre près d’elle, pour lui apporter un peu de chaleur humaine, de vie, dans cette pièce trop pleine de mort et de regret. Elle ne se permit pas de dévisager le corps, même si une forme de curiosité morbide titillait une part de son esprit. Un baron mort se trouvait là devant elle. Mais elle concentra son regard sur la jeune femme et essaya de lui transmettre son soutien. Du moins le fit-elle jusqu’à ce qu’un bruit tonitruant ne remonte la grande rue, comme si une cascade s’abattait sur la pierre. Des cheveaux… beaucoup de chevaux. Pourtant on n’attendait pas de convoi si tôt, et encore moins à si forte allure dans un lieu habité.
- Allons donc, qu’est-ce que cela encore ? lança Laelle avec un mélange d’agacement et d’inquiétude.
Rosen de SombreboisBaronne
Sujet: Re: Hurler en silence Sam 11 Sep 2021 - 14:00
Hurler en silence
Rosen
Elle est restée dans mon dos silencieusement le temps que j’ai passé avec mon époux défunt, sans un mot, sans un geste, ne troublant en aucune façon mon recueillement.
Elle restait là, effacée, suspendue avec le reste du temps dans le monde. En retrait mais tout près, prête à intervenir si besoin certainement. Puis je lui ai posé ma question d’un geste, d’un regard, posant ensuite ma main sur le torse gonflé de sombres humeurs pestilentielles en l’écoutant.
A première vu, ça concorde parfaitement avec ce que l’autre cinglée m’a annoncé, ou presque. Un couple avec lui ? J’essaie de réfléchir un instant, mon esprit étant un peu moins perturbé que la veille au soir. Mais… je fronce les sourcils et remontre une seconde fois l’entaille dans le même mouvement que précédemment.
Un fangeux ne ferait pas ça si proprement… Bon, bien sûr, moi je me doute bien de ce qu’il s’est réellement passé. Mais sans vouloir lui expliquer la vérité, j’essaie de lui faire entendre que quelque chose cloche. Il aurait dû se transformer, mais ce n’est pas un égorgement qui aurait empêcher ça. Alors je ne sais pas ce qu’ils ont fait concrètement.
Un insecte vole soudain dans la pièce et je sursaute en m’en éloignant vivement, de macabres images récentes me revenant brusquement. Je recoupe les informations de l’une et de l’autre. Mort entre les cuisses d’une pauvre fille… un couple était avec lui ? La fille pas retrouvée…
Non, ce pourrait-il que ce soit… eux ?! Je regarde à nouveau le gosier. Si c’est réellement le cas… s’il est réellement mort comme ça, en plein ébats… la seule personne qui a pu le tuer, c’est la pauvre fille en question.
Je contiens difficilement un petit rire discret. Ça devient n’importe quoi cette histoire encore… elle ne se serait quand même pas tapé mon mari pour le buter ?! Non, ça n’a aucun sens.
Il va falloir que j’aille la retrouver pour tirer cette histoire au clair quand même…
Mon hôte me regarde avec son regard doux lorsque subitement un grondement se rapproche à vive allure. Une grande cavalcade… c’est pas vrai ! Ils sont vraiment venus me chercher jusqu’ici ?!
Mais je ne peux vraiment pas avoir la paix cinq minutes… je suis considérée comme une fugitive maintenant ?! Seigneurs… Non… Je craignais bien que l’on pouvait me suivre, mais je ne pensais pas que l’on pourrait me retrouver si vite ni qu’il y aurait tant de monde.
J’aurais dû les croiser sur le retour…
Je regarde celle qui veille sur moi depuis la veille, lui lançant un regard effrayé. C’est tout sauf de bon augure et je l’attrape par la main pour me précipiter vers la chambre.
Là, j’essaie de m’exprimer le plus clairement possible, mais je n’ai pas le temps de jouer au mime et je n’arrive toujours pas à prononcer le moindre mot.
Je montre du doigt en direction du bruit, puis je ramène mes mains contre ma poitrine en tapotant plusieurs fois. Je ne sais pas qui s’est lancée à ma poursuite exactement, mais vu le bruit, ce qui est sûr, c’est qu’il y a beaucoup de monde, et franchement pas sympathique. Au moins une coutillerie facile, si ce n’est plus. Qui sait de quoi ils sont capables pour savoir où je suis ? Il faut faire vite.
J’essaie d’écouter la provenance du bruit. Est-ce qu’ils viennent plus de Sombrebois ou de Marbrume ? Oui, ça vient de Sombrebois, évidemment. Si elle pouvait me lâcher la grappe celle là… il faut toujours qu’elle soit sur mon dos. Elle doit être là, oui. J’en mettrais ma main à couper.
Et vu ce dont elle semble capable, elle pourrait bien mettre le village à feu et à sang juste pour me mettre la main dessus alors je ferais mieux de ne pas déconner.
Je prends la femme dans mes bras quelques secondes pour la remercier de tout ce qu’elle a fait, puis je lui fais signe d’aller sous le lit, illustrant rapidement le problème en passant mon pouce sous la gorge. Oui, mieux ne vaut pas prendre le risque que quiquonque ne se fasse tuer.
Je soulève la couverture du lit pour lui faciliter le passage, espérant qu’elle voudra coopérer. Je n’ai pas le temps de m’attarder… Je retire ensuite les 3 bouteilles de ma besace, sait-on jamais. J’aimerais éviter de me faire retrouver avec ça…
Puis je me précipite au dehors en direction du bruit. Je préférerais me cacher, bien sûr, et mes jambes flageoles. Je crois que je comprends mieux l’expression la peur au ventre, aussi…
Mais advienne que pourra, désormais. Je me hâte tentant de me donner un minimum de contenance malgré toute cette situation, espérant que personne ne sera maltraité ou tué. J’imagine que la couronne a été prévenue de ma petite escapade aussi… quelle merde.
Dame CorbeauMaître du jeu
Sujet: Re: Hurler en silence Sam 11 Sep 2021 - 14:59
1er Avril 1167.
Laelle suit sans rechigner la jeune femme jusqu’à la chambre, comme si une panique la saisissait soudain. Elle sait d’où vient le bruit, et visiblement, cela ne la rassure pas. Ce qui du coup ne rassure pas la sage-femme non plus. Elle hésite un instant quand la blondinette lui montre le dessous du lit, elle a bien compris ce que l’on attend d’elle, mais elle craint de laisser la jeune mère seule face au danger. Mais l’insistance de celle-ci et le geste sur sa gorge finissent par vaincre son courage de villageoise, et elle se glisse dans la cachette en retenant des larmes de frayeurs. Elle entend son invitée bouger dans la pièce puis s’éloigner dans le salon et enfin la porte d’entrée s’ouvrir et se refermer.
***
Quand Rosen ouvre la porte, elle découvre sans surprise une vingtaine de cavalier, et il n’est pas difficile de repérer l’intense chevelure rousse à leur tête. Descendue à terre près de Roxanne, une jeune femme vêtue de vert échange avec un des miliciens. La coutillère Eïlyn Chantebrume, la seconde de Alaric peut se rappeler la baronne, en charge de la milice extérieure dans son bourg. L’homme indique la maison de Laelle, visiblement impressionné par la petite troupe en ordre de bataille. Et la brune tourne la tête dans cette direction, découvrant une Rosen haletante. Elle se tourna vers la châtelaine pour lui signaler mais déjà Roxanne avait les yeux braqués dans ceux de la fugueuse. Un mélange de colère et de soulagement se lisait dans son regard derrière un voile froid, comme s’il l’on observait une scène colorée à travers un mur de glace. Elle talonna doucement sa monture et fut suivit presque immédiatement par cinq des miliciens. Arrivée à quelques mètres et d’un mouvement élégant, elle descendit à bas de sa monture et s’avança vers Rosen.
Elle était vêtue d’une tenue de monte d’un noir presque parfait et renforçait aux épaules et aux côtes par une sorte de gilet baudrier sans doute capable d’encaisser un coup d’épée au besoin. Une de ses manches étaient déchirées en dessous de l’épaule et son bras était bandé, le tissu blanc légèrement rougis couvrant sans doute une plaie récente. Elle s’arrêta à un mètre de Rosen, et la parcouru des pieds à la tête, toujours de ce regard étrange.
- Qu’elle reste là. ordonna Roxanne d’un ton autoritaire et presque immédiatement deux des cinq miliciens descendirent de monture pour venir encadrer la baronne alors que l’autre la dépassait pour se diriger droit vers la maison où elle entra sans frapper.
Elle y resta sans doute moins d’une minute, mais quand elle sortit, Laelle était dans son ombre, les yeux baissés et les mains jointes, se triturant les doigts avec nervosité. Roxanne revint vers la fugueuse et reprit la parole.
- Mes condoléance Baronne, pour votre perte. commença-t-elle d’une voix dure où l’on pouvait pourtant sentir une pointe de compassion. La suite en fut dépourvue. Coutillère Chantebrume !
La jeune brunette fut presque immédiatement à leurs côtés, raide comme un piquet.
- La baronne n’est plus en état d’assurer son bien-être ou sa fonction pour le moment. Pour sa propre sécurité et celle de l’enfant qu’elle porte, je la mets aux arrêts et sous votre surveillance et ce, jusqu’à notre retour à Sombrebois où je prendrais les disposition nécéssaire. Un de vos hommes devra toujours se trouver dans la même pièce qu’elle, et je veux que vous fassiez garder les lieux étroitement. Elle ne sortira qu’à notre départ que je dois organiser avec l’autorité locale. Et ne la laissé pas boire une goutte d’alcool.
- A vos ordres Chatelaine ! se contenta de répondre très professionnellement la milicienne. Roxanne se tourna vers la sage-femme qui n’avait pipé mot.
- Laelle c’est cela ? étant donné la situation, et pour éviter d’avoir à déplacer la baronne et le corps, votre domicile est réquisitionné pour le moment. Je suis désolée de la gêne occasionnée et la maison de Sombrebois veillera à une compensation pour cela. lui dit Roxanne d’un ton toujours autoritaire mais moins froid, son regard glissa de Laelle à Rosen, puis revint sur elle. Si vous souhaitez resté à l’intérieur et que la baronne n’y voit pas d’inconvénient, je vous y autorise.
La sage-femme, visiblement surprise de la tournure des événements cligna des yeux et hocha la tête avant de la rebaisser vivement. Roxanne se tourna de nouveau vers Rosen et se pencha vers elle pour lui chuchoter à l’oreille.
- Tu vas avoir beaucoup de choses à m’expliquer…
Puis elle se redressa et parti vers le centre du petit village sans un regard en arrière, vite rejoint par le jeune milicien qui avait indiqué la maison quelques minutes plus tôt et qui tenta de lui indiquer le chemin vers le bureau du bourgmestre tout en restant à sa hauteur.
- Si vous voulez bien vous donner la peine madame la Baronne. Proposa Eïlyn à Rosen d’une voix calme, presque douce, en indiquant la petite maison qu’elle avait quitté quelques minutes plus tôt.
Rosen de SombreboisBaronne
Sujet: Re: Hurler en silence Sam 11 Sep 2021 - 16:32
Hurler en silence
Rosen
Pas une dizaine, le double. Je crois qu’elle a ramenée la totalité de la milice de Sombrebois… et bien évidemment, elle est là. Elle s’approche et une petite partie des miliciens se détache du groupe pour la suivre. Elle met pieds à terre et je sens une étrange faiblesse parcourir mes jambes et mon ventre.
Elle me jauge de son air méprisant – oui, mes vêtements sont pleins de terre encore... puis demande à ce que je reste là, comme si j’allais seulement vouloir m’échapper.
Deux miliciens me rejoignent alors. Je la vois se diriger vers la maison de mon hôte et je crois que je pourrais m’écrouler tellement la sensation de faiblesse se renforce.
Merde… Elle va la trouver si elle la cherche, c’est évident. Et de l’avoir fait se cacher ne va rien aider… J’ai envie de la suivre, mais je ne peux pas. Je ne tente rien, c’est inutile.
Je me contente d’attendre tranquillement son retour, espérant qu’il ne se passe rien de dramatique. C’est assez rapidement que je la vois ressurgir, la femme avec elle et mon cœur bondit dans ma poitrine. Putain… c’était évident. Je l’écoute parler, débiter les mots les uns après les autres.
Je suis soulagée de voir qu’elle ne fera rien à… mon hôte qui s’appelle apparemment Laelle. Mais le reste est moins plaisant, car la voilà qui me mets aux arrêts comme une vulgaire criminelle… elle me démet de mes fonctions, parfait. Maintenant au moins, je vais pouvoir me reposer un peu…
Ou pas. Je m’empresse de hocher la tête lorsqu’elle propose à Laelle de rester chez elle le temps de la réquisition de sa maison. J’ai un brusque soubresaut lorsque Roxanne que je n’ai pas remarqué s’approcher si près effleure mon oreille pour me parler. Non, ce n’est pas un insecte, ce n’est pas un insecte…
Elle s’éloigne ensuite et une milicienne m’invite à retourner dans la maison. Je soupire sans trop savoir si c’est du soulagement ou de la frustration, et je m’exécute donc. Ne pas me laisser boire une goutte d'alcool... Meh... comme si j'allais boire ! Certainement un pique pour me faire savoir qu'elle a compris que c'était mes bouteilles qui trainaient...
Je rejoins la pièce où est Hector et, sentant un malaise arriver, je m’assieds sur la table, tournant la tête vers Hector pour ne rien voir d’autre, essayant tout de même de rester vigilante à ce qu’il se passe autour de moi.
C’est une belle merde, hein, mon bel amour… si tu voyais… si tu voyais ce que sont devenues tes terres et ce que je suis devenue… La station assise soulage assez vite et la sensation de malaise se dissipe doucement. Au moins ça…
L'avenir se révèle bien sombre. Par moment, des mouches vrombissent en volant dans la pièce et je les observe craintivement sans les lâcher du regard tant quelle ne se posent pas. Et si par malheur elles s'approchent de trop, j’essaie de les chasser, reculant brusquement en geignant si elles s'obstinent à me venir dessus.
Et chacun sait à quel point les mouches sont obstinées...