Près de l’eau est allongé un grand étalon brun. Son râle erratique est l’unique son qui vient troubler la quiétude du lieu. Une tâche de lumière se déplace au gré du frémissement des feuilles autour de son œil à moitié clos. Le traqueur ressent la terrible intuition que l’animal est à l’agonie, et veut courir vers lui. Sans qu’il puisse l’expliquer, son pas reste lent, et les quelques mètres qui le séparent de la bête semblent prendre une éternité à parcourir. Lorsqu’il arrive enfin à ses côtés, il croise son regard morne, empli de résignation. Edvin ressent le besoin impérieux de se serrer contre le noble animal, mais il remarque se faisant que son collier est lacéré, son ventre ouvert et ses intestins à moitié dévorés.
Il ne veut détourner son regard du cheval mourant, mais finit tout de même pas parcourir des yeux le marais. Entre les arbres, il aperçoit la lueur de dizaines d’yeux jaunes tout autour. Les Fangeux avancent doucement vers lui, certains ont encore à la bouche les restes dégoulinants de sang de l’étalon.
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24 avril 1167
Edvin ouvre les yeux, une lueur mordorée recouvre le marécage dans lequel il se trouve, mais il est difficile de savoir si le soleil se lève ou se couche. Le traqueur se sent fiévreux, et la sueur coule de son front à ses yeux. Il s’est réveillé alors qu’il marchait, et il parcourt encore quelques pas, mécaniquement, avant de s’arrêter pour essayer de retrouver ses esprits. Où est-il ? Rien ne ressemble plus à un marais qu’un autre marais et la frayeur qu’Edvin a gardé de son cauchemar s’intensifie, il est perdu.
Un souvenir lui revient ; l’air frais du littoral, la Bannie qu’il accompagnait cueillir de l’armoise près de la mer, le vent salé. Il se souvient s’être senti très fatigué, avoir cherché avec sa comparse un arbre pour se reposer quelques heures. Elle lui avait bien expliqué que la fatigue était une conséquence normale du mal qui l’habitait, ainsi qu’une quinzaine de Bannis du Village. La thaumaturge se plaignait sans cesse, répétant qu’il n’y avait que le manque de rigueur sanitaire pour expliquer l’infection par un ver parasitaire, que les infectés ne pouvaient s’en prendre qu’à eux-mêmes. Peu à peu, Edvin sort des limbes et reconstitue les quelques jours précédents, l’armoise devait servir de vermifuge pour se débarrasser de l’épidémie de vers qui s'installait au village.
Y voir plus clair rendait la situation d’autant plus stressante qu’il se souvenait désormais nettement avoir commencé sa sieste en milieu de journée, et que c’était donc le soir qui tombait, et avec lui la menace des Fangeux. Le traqueur regarde autour de lui, à la recherche d’un arbre suffisamment haut et inaccessible qui pourrait lui servir de cachette. Mais à bien y regarder, il y a peut-être une meilleure chance d’assurer sa survie. Il aperçoit en effet deux figures avançant, probablement sur un sentier. Le traqueur s’approche doucement. Il aurait du mal à justifier sa présence, au milieu des marais alors que la nuit tombe, mais dans son état, tenter d’escalader et de dormir en haut d’une arbre semblait plus dangereux encore.
Oubliant sa prudence, Edvin s’approche des deux passants, tentant de trouver un peu d’assurance dans sa démarche. C’était une femme et un homme, probablement pas des brigands. Quand il pense être repéré, il agite un bras en leur direction pour les rassurer sur ses intentions et continue de marcher dans leur direction.