Le renard en sait beaucoup, mais celui qui le prend en sait davantage

J'éclate de rire à ses mots. Il est vraiment drôle çui-là, je ne risque pas de m'ennuyer avec lui ! Mais il se rapproche, à côté de moi, j'crois bien que nous ressemblons à deux conspirateurs mais puisque c'est lui qu'est obligé de s'baisser pour être à mon niveau, ça m'convient parfaitement ! Et il me confie un secret ! Un faux nom... Un blason chez ses ancêtres... Je frémis d'excitation. Une histoire bien plus palpitante que beaucoup de ballades ! C'est pas juste une histoire ! Il se met soudain à glousser et je me remets à rire aussi, parce que son rire est contagieux et toutes ces nouvelles me mettent de bonne humeur. Mon rire enfle, j'ai du mal à m'arrêter et j'ai les larmes aux yeux.

- Ah ça, pour c'que j'en vois, tu sauras en attirer des donzelles dans un cadre intime partenaire... Et sans avoir besoin des sous d'la foire. Foutrebleu, les hommes sont pas croyables, il n'y a qu'une chose qui vous intéresse vraiment hein ?

Je r'nifle bruyamment en m'essuyant les joues avec ma manche, le fou rire est passé, mais je l'écoute et il continue à me faire rêver, et je repense à toutes ces histoires de damoiselles accrochant un mouchoir rouge à la branche d'un vieux chêne pour laisser un message à leurs chevaliers servants. Oh, et il raconte tout cela si théâtralement ! Et puis, c'est tout d'même agréable de voir ma beauté reconnue, et surtout si bien dite ! Qu'il parle bien !

- Oui, oui, oh, filouter, c'est un bien grand mot, tu ne crois pas ? Que dirais-tu... Oh, oui ! Vois-tu la fontaine au port, celle qui s'trouve près de la Sardine Souriante ? Il y a là une petite ruelle qui part de la rue principale, et où se trouve un muret en ardoise... J'sais pas qui a eu l'idée d'amener des ardoises jusqu'ici... Mais bon, ce que j'veux dire, c'est que personne n'y passe jamais, et je pourrais bien y dessiner un petit renard, si je dois te voir ! Et peut-être pourrais-tu y dessiner une sirène si tu ressens l'envie de pouvoir m'admirer à nouveau !

Je me mets à rire de ma plaisanterie. Ah, bon sang, si tous les jours pouvaient être aussi amusants et agréables comme celui-là...

- M'enfin, en attendant ce jour, il m'faut aller finir de vendre mes poissons, parce que, tu vois, l'argent ça n'se fait pas tout seul !

Amusé par le rire communicatif de sa partenaire d’affaires, Le Goupil souriait en coin.

— Tu es un génie, beauté des quais. Va pour le mur d’ardoises. Cela étant, il ne faudra pas prendre offense de mon talent artistique… contestable. Je suis incompris, que veux-tu ! dramatisa-t-il le temps d’une seconde, avant qu’un large rictus ne chasse l’ombre momentanément jetée sur son visage, va donc gagner ton pain et répandre la nouvelle de notre miraculeuse lotion pour les mains à des hommes qui, comme moi, seront sensibles à tes arguments.

Le sourcil droit du renard se hissa au-dessus de la monture de ses bésicles, cependant qu’il souriait un peu plus encore. Si quelques autres priorités garnissaient sa modeste existence, Le Goupil devait bien admettre que les charmes féminins occupaient une place non négligeable que quelques catins de tavernes ou de bourgs auraient tôt fait de confirmer. La réflexion de Mariotte, sur les centres d’intérêt masculins, le ramenait alors à une interrogation épisodique, soufflée par la fréquentation de partenaires ponctuelles : la prostitution naissait-elle de l’offre ou de la demande ?

Au risque d’opérer un raccourci avec lequel il semblait s’amuser follement, le renard se promit d’en débattre avec Mariotte, lors de la foire prochaine.

— De mon côté, ma sirène, je m’en vais chercher les plantes qu’il te faut et à l’occasion, j’irai jeter un œil à ton mur d’ardoises ; il me reste à faire au port, affirma-t-il en renouvelant une révérence trop appuyée à l’adresse de la jeune femme, au plaisir de te revoir prochainement, fée des eaux salées.

D’une volte-face théâtrale, le renard se détourna de son interlocutrice avant de disparaître dans une venelle peu engageante.

S’il remontait le fil de cette rencontre, peut-être devait-il s’estimer heureux d’avoir été ainsi surpris la main dans le panier. Certes, Mariotte l’avait traîné dans une énième affaire louche, mais au moins avait-elle un minois et une silhouette bien plus agréables à contempler que ne le seraient jamais ceux de ses complices habituels – bien que la seule trogne de Northbrock rende passablement potable la plupart de ses connaissances.

Quant au partenariat conclu, il lui semblait aussi prometteur que distrayant, si bien que le roublard s’en fut en étant d’ores et déjà convaincu d'en sortir gagnant.