[convocation]Croit qui croâ, enfant d'Hendoire

Il fallait bien l’avouer, si l’on s’égarait à comparer les deux. La chapelle de Sombrebois était au Temple de Marbrume ce qu’une niche pour chien était au château du roi. Pourtant, une fois vidée de ses paroissiens après une brève mais qualitative prière matinale, l’endroit parvenait presque à prendre cet aspect solennel des lieux anciens. Cela était certainement dû au silence offert par les pierres épaisses et qui étouffaient le brouhaha d’un bourg plein d’activité juste là, à quelques mètres à l’extérieur de son enceinte.

Depuis la bénédiction royale, la population avait plus que doubler, et les ouailles présentes aux sermons avaient fait de même. Tant et si bien qu’à présent une partie d’entre eux y assistaient debout et même massaient à la grande porte. On évoquait même de plus en plus sérieusement la possibilité d’agrandir le bâtiment pour faire face à cette crue de fidèles.
Mais une fois passée, et les portes closes, le calme redevenait omniprésent.

La prêtresse était là. Âme solitaire et dédiée à sa tâche. Rien de glorieux à cet instant, juste le rangement qui suivait chaque cérémonie. Eteindre et ranger les cierges de prières, replier la bannière du Temple qu’elle avait étalé sur l’autel pour rappeler à tous qu’en ces lieux la loi des trois et de leurs représentant terrestre prévalait. En somme, la routine cérémonielle de tout ceux qui portaient la toge du temple. Une journée comme une autre… ou presque.

C’est le claquement de la canne sur le sol de pierre produisant une puissante résonnance sous la haute voute qui lui fit prendre conscience qu’elle n’était pas réellement seule dans l’édifice. Elle dut plisser les yeux dans la faible lumière pour percevoir la forme aux cheveux blanchâtre assis sur l’un des bancs dans l’ombre des piliers.
Un homme âgé se tenait là, le visage marqué par une vie pour le moins compliquée, l’un de ses orbites obstrué par un morceau de cuir usé mais de qualité. De l’autre côté un œil perçant d’un vert étonnamment doux au milieu de ce visage dur comme la roche, était posé sur elle, la détaillait, cherchant à ôter les couches de secrets et de silence qui entouraient son âme. Si il y parvint, il n’en montra aucun signe, se contentant de faire claquer à nouveau la pointe métallique de sa canne sur la pierre, produisant un nouveau raisonnement bruyant.

- Petit poisson, demande pardon. Dangereux serpent, serre les dents. Grand cerf, honore ta terre. Vilain corbeau, garde à tes mots. l’entendit-elle prononcer d’une voix grinçante, mais pas dénuée de force malgré sa fragile silhouette.

Elle reconnut sans peine la citation malgré les années, tous les enfants d’Hendoire, riche comme pauvre avait entendu au moins une fois cette tirade qui faisait office de proverbe et d’introduction au culte de la Quatoria. Il n’avait rien d’officiel et n’avait pas non plus d’origine, du moins pas d’origine fiable. Mais cela faisait partie de ces connaissances populaire lié à un peuple. Son peuple en l’occurrence.

- Les Hendois ne manquent pas d’un certain humour, il faut l’admettre. Ou du moins d’un soupçon d’autodérision. Cela manque parfois dans cette contrée que j’aime pourtant de tout mon être, reprit l’inconnu en se grattant le menton de ses doigts maigres.

Son œil unique sembla s’égarer un instant dans le vague avant de retrouver son acuité tranchante. Il sourit, mais il n’émanait que peu de chaleur de cette expression qui semblait plus dédié à une satisfaction personnelle qu’à une volonté de transmettre un sentiment d’amabilité.

- Auriez-vous quelques minutes pour deviser avec moi Sœur Mercier ? Il est des choses que j’aimerais aborder avec une enfant des quatre.

L’inconnu indiqua une place près de lui.

Le vieil homme rit, comme si l’idée de s’attirer des ennuis lui étaient parfaitement égale, voir qu’il lui semblait enviable de s’attirer ce genre de destins. Pour autant, il ne se fit pas prier pour suivre la croyante jusque dans la petite alcôve. Son pas était lent, mais assuré, son dos légèrement vouté n’en tenait pas moins par lui-même et sa canne semblait finalement plus servir à marquer un certain tempo dans sa démarche plus qu’à prévenir une défaillance soudaine. Il prit place face à elle et observa l’endroit de son œil alerte avec une pointe d’amusement mêlé d’un soupçon presque invisible, de solennité.

- Je crois que plus d’une décennie s’est écoulée depuis la dernière fois où je me suis assis à une telle place, marmonna-t-il, plus pour lui-même que pour son interlocutrice.

Sa canne était un tube lisse de bois noir et vernis, une couleur presque uniforme si l’on exceptait la pointe fer qui en protégeait le bout, et un petit cercle du même métal qui lié le corps au pommeau. Ce dernier, dans le même matériau ouvragé, évoqué une tête d’un oiseau proche de la corneille, bien que la pointe de son bec soit plus courbée comme d’autres oiseaux de proie tel le faucon. Des plumes, plus épaisses que les autres s’extirpaient vers l’arrière en s’étirant sur les côtés offrant une touche stylisée à l’ensemble tout gardant une praticité d’usage et un endroit où laisser reposer sa main. Un objet couteux, mais plus par la qualité de son artisanat que pour les matériaux utilisés.

- Sœur Gudrun ce sera alors, accepta sans peine celui-ci avant de sourire. Moi-même on ne m’a pas appelé par mon véritable nom depuis assez longtemps pour que j’en vienne à douter qu’il fut un jour miens.

Il ricana doucement, sans que cela soit moqueur, plutôt quelque peu désabusé de constater un tel fait.

- Je ne suis en effet pas l’une de vos ouailles ma sœur. Mais vous pouvez me nommer Harlock et si cela vous sied, j’apprécierais grandement que vous oubliez les messires et autre formule alambiquées. Je n’ai jamais été très l’aise avec elles, et elles me vont comme une botte à un cheval.

Doucement il cala un peu mieux son dos contre la pierre, son âge assaillant malgré son assurance, son corps.

- Il y a bien longtemps que je me suis rendu à Hendoire. J’étais encore un tout jeune garçon, mais on peut dire que cette contrée a su laisser son emprunte sur moi. De bien des manières. Mais par-dessus le reste, c’est la force d’âme de ses habitants qui méritée d’être relevées, dit-il en se grattant le menton faisant légèrement crissé sa peau tannée par les ans.

- Cela fait partie des nombreuses choses que nous avons malheureusement perdu dans tout ce bordel. Cependant…

Son regard se riva de nouveau sur elle, plus intense.

- Je crois bien avoir retrouvé un peu de cette sensation en vous Sœur Gudrun. Ainsi qu’une soif de réponse ou de compréhension qui s’est quelque peu muer en curiosité indiscrète depuis quelques temps.

Rien dans son ton n’était accusateur, pourtant il semblait parfaitement certain de son fait et ne semblait finalement ne souligner qu’une évidence.

Harlock, tel qu’il s’était lui-même présenté, sembla plus amusé que pris en faute par la répartie certes pas cinglante, mais au moins vive de la belle prêtresse. Une preuve par l’exemple de la personnalité forte et affirmée qu’il venait justement d’évoquer. Il inclina doucement la tête comme pour écouter quelques murmures lointains, mais son attention semblait lui être toute dédiée.

- Entendre ce qui ce chuchote est dans ma nature même ma sœur, mais rassurez-vous, je ne me fie pas à tout ce qui parvient à mes oreilles. Trop de préjugés et de volontés teintent les paroles de ceux qui veulent être entendu. Mais lorsqu’on a appris à lire entre les mots, il y a souvent quelque chose d’intéressant à en retirer.

Il fit doucement tournoyer sa canne entre ses doigts agile.

- Par exemple, j’entends les doutes dans votre propre voix. Oh non pas sur votre foi. Je suis assez certain de la force de celle-ci, vos yeux brillent avec une certaine honnêteté à ce sujet. Mais votre voix… oui votre voix me dit que vous nourrissez quelques réticences tout de même. Pas envers les dieux eux-mêmes, mais plutôt de la façon dont ils sont représentés ici, la façon dont on s’attends à vous voir les traiter… la frustration née de la lutte entre le devoir et les convictions.

Une fois encore, le jugement ou la critique était parfaitement absents de sa voix. Il possédait plutôt le ton tranquille du gouteur qui cherche à énumérer toutes les nuances du plat qu’il vient de porter à sa bouche.

- Je n’ai pas oublié mes dieux ma Sœur, mais ce n’est pas dans le Temple que j’espère trouver me voie vers eux. Je ne doute pas que le moment venu, je devrais leur faire face, mes défauts et mes vérités comme seuls arguments. J’attends ce jour avec tranquillité. Nous pourrions bien entendu débattre quelques heures de la théologie, de sa force autant que de ses vices, la fiabilité n’en a pas toujours été le maître mot. Mais je doute que nous tombions finalement d’accord ou même que cela ne nous apporte quoi que ce soit !

Il rit doucement à cette idée, mais retrouva rapidement une contenance avant de regarder la canne sur laquelle elle avait posé la pointe de ses doigts.

- Vous avez l’œil ma chère. L’artisan est effectivement Hendois. Mais elle fut réalisée plus au nord encore. Au-delà des dernières montagnes, après qu’une rude chute n’est réduit ma jambe droite en miette. L’on m’appelait Corneille alors, je suppose que ça l’a fait beaucoup rire que de me jouer ce tour, dit-il en haussant les épaules à l’évocation de souvenir lointain.

- J’ai aussi ramené une épouse de votre duché. La pire tortionnaire que j’ai connu, pas moyen d’être tranquille plus d’une minute en sa compagnie. Mais cela restait une femme bien, bien meilleure que je ne l’étais tout du moins.

L’honnêteté apparente de ses confidences était troublante. Bien qu’il ait presque immédiatement mis fin à toute velléité de confession, il ne semblait avoir pourtant aucune problème à évoquer les choses intimes de son passé ou de ses croyances. Et malgré tout, c’était visiblement elle qui l’intéressait. Il se pencha un peu plus vers elle, comme pour s’assurer qu’elle serait la seule à entendre la suite et bien lui en prit au vu du sujet abordé.

- Les chuchotement qui me sont parvenu à l’oreille disent en autres que vos besoins de réponses ont dépassé depuis quelques temps déjà les signes des dieux ma sœur. Et même qu’en une certaine compagnie des plus… notable, vous vous seriez rendu là où vous n’auriez pas dû pour les obtenir. Cela n’a pas payé, si mes souvenirs sont bon.

Le fait que la jeune femme ne cherche pas à fuir en courant ou à le congédier froidement sembla apporter une sorte de contentement au vieil homme. Le plaisir de se voir confirmer par les actes une conclusion que l’on avait déjà tirer. Laquelle cependant, restait un mystère.

- Oh je serais bien mal placé pour condamner votre soif de vérité ma Sœur. On peut dire à plusieurs égards que j’ai moi-même fait de ce genre de quête ma spécialité. Mon domaine d’activité si vous préférez. Le plus difficile au final étant de savoir si l’une vérité que l’on découvre doit-être dévoilée ou au contraire si la raison de sa mise sous secret était justifiée. J’aime à penser que j’ai un avis pertinent sur ces questions le plus souvent. Et pour répondre à votre question, je crois savoir assez de choses pour faire s’effondre ce petit bout de royaume si l’envie m’en prenait, mais même moi je ne suis pas assez sénile pour ça.

Il rit, puissamment, sincèrement, visiblement très amusé de son propre humour. Il ne semblait pas s’offusquer que celui-ci soit partagé ou non par sa belle interlocutrice. Cependant, sa question mit fin à son amusement, même si celui-ci s’éteignit sans brusquerie ou frustration.

- Vous avez raison, veuillez me pardonner. A force de parler par énigme avec beaucoup, j’en oublie parfois que dire les choses peut être simple. Ce que j’espère obtenir de vous, c’est votre aide et vos confidences future, dit-il d’un ton plus calme et sérieux en la regardant droit dans les yeux.

- Vous vénérez les quatre.

Il leva une main pour couper court à toute protestation ou début de débats après un aveu si franc d’un sujet si tabou par ici.

- Comme je vous l’ai dit, je ne suis pas venue débattre du bienfondé de la théologie, quelque soit sa forme. Votre cœur et votre âme sont libre de vénérer autant de dieux que vous le souhaitez si leurs messages sont importants pour vous. Cependant… Vous n’ignorez pas que dans notre contrée, certain ont largement dévoyé vos croyances et ce qui devait être un statu quo entre les quatre, est devenue une guerre fratricide entre la trinité et le dieu des secrets.

Malgré l’aspect profondément blasphèmatoire de ce discours, du moins entre ces quatre murs qui réprouvaient l’existence même d’Etiol, Harlock préservait le ton simple et patient d’un professeur expliquant les détails d’une situation avant la réalisation d’une expérience. Quantifié les éléments, noté leurs interactions.

- Il serait irresponsable d’ignorer la responsabilité du Temple dans cette histoire. Les bûchers et les traques religieuses n’ont jamais franchement poussé au dialogue ou à la compréhension. Mais ce sont là des actes que je ne peux défaire, alors me voici obligé de m’occuper des conséquences de ces siècles d’incompréhension. Ce sont ces mêmes préjugés qui ont poussé beaucoup d’Hendois et leur foi dans le secret. Et malheureusement, en ont fait des cibles rêvées pour ceux qui ont à cœur de semer discorde et mort au nom de leur culte de l’unique « vrai » dieu. Le cloaque, comme ils aiment s’appeler.

Une fois de plus, il se gratta le menton.

- Vous n’avez pas encore était approchée, mais vu votre position, cela ne saurait tarder. Vous êtes un fruit bien trop savoureux pour que cette main ne tente de le cueillir. Ce que j’aimerais, c’est que vous acceptiez cette invitation quand elle se présentera.

Il l’observa déambuler tel un animal prisonnier d’une cage invisible mais dont les barreaux ne cessaient de se resserrer sur elle, tel un lent mais incapable étau. D’une certaine façon, elle lui rappelait sa première femme. Cette fougue, cette morale dans le regard, cette intransigeance. Et pourtant une soif presque inextinguible de quelque chose de plus. Alors que ses pieds tentaient de percer les dalles de pierre, le vieil homme se demanda si elle avait conscience de ce qu’elle cherchait réellement ? Ce n’était pas à lui de poser cette question. Quand elle s’arrêta enfin, il écouta patiemment ses doléances.

- C’est très simple ma Sœur, je suis les yeux et les oreilles de la cité et par la même du royaume. Il n’y a rien de mystique à ma connaissance, simplement de la curiosité et des gens aux yeux et aux oreilles bien ouvertes. De la même façon que je souhaite votre aide, je reçois celle de nombreux, très nombreux, citoyens concernés par le sort du peuple ou du moins de sa survie. La bibliothèque et ses archives sont sans doute le plus grand rassemblement de connaissance encore debout. Vous devez vous douter que de tels lieux ne sont jamais totalement sans surveillance. Mais n'est-il pas plus subtil de voir qui souhaite y mettre les pieds, au dépends de sa propre sécurité, plutôt que d’en verrouiller hermétiquement l’accès ? Accrochez une outre percée à un renard et il vous mènera à sa tanière. Alors que si vous l’abattez, vous pourriez bien vous retrouver avec toute une portée sur les bras les mois suivants.

Il n’avait en réalité pas vraiment besoin de répondre à toute ses interrogations, ni de lui expliquer le fonctionnement du monde qui se dissimulait juste sous la surface du sien. Mais dans la mesure où il attendait d’elle quelques efforts pour l’intégrer, cela lui semblait légitime. On aiguisait une lame avant de s’en servir.

- Le problème avec le terme Cloaque, c’est qu’il est aussi flou que le terme de folie. On met derrière tout ce qui nous dérange et ce que l’on ne comprend pas. Parfois c’est une simple personne qui aime parler aux fleurs, d’autres c’est un homme qui parie son salaire encore et encore malgré les défaites et les bastonnades, mais quelque fois, c’est un type qui égorgera tout une famille par simple amusement.

Sa canne roula entre ses doigts avec une lenteur délibérée, tandis que son regards détaillé les traits de la jeune femme.

- Et il en va de même pour le cloaque. Pour un grand nombre, la majorité sans doute, ce n’est pas si différent de ce que vous appelez la Quatoria. Une place discrète mais bien réelle pour un quatrième dans leur prière, une petite cérémonie, quelques gouttes de sang, un poulet vivant de temps à autres. Du menu fretin en sommes, qui ne mérite même pas un regard selon moi du moment qu’un enfant ne prend pas la place du poulet. Le Temple a un point de vue différend sur la question, mais je ne prêche pas en son nom. Je suis bien plus intéressé par l’autre partie, c’est ceux-là qui font la réputation qu’on attribue malheureusement à l’ensemble. Et croyez-moi Sœur Gudrun, si vous pensez que c’est là une divagation de ceux qui jugent par ignorance, vous vous trompez fortement.

Son visage s’anima d’un sourire sans joie, peiné.

- Je vous parle d’une belle brochette de salopards. Des tueurs sanguinaires qui ont pris gout à la violence et au sadisme. Je me moque bien du nom du dieu qu’ils murmurent pour justifier leurs actes, ce sont eux les monstres que je veux décapiter. Le problème, c’est que la sorcière qui leur sert de chef spirituel renifle les faux croyants à dix lieues. Et qu’aucun d’eux n’a jamais pu l’approcher suffisamment près pour nous donner une occasion de la mettre à bas, elle et ses sbires. Et c’est là qu’une personne comme vous, qui a la foi mais aussi le sens de la justice, peut intervenir, finit-il par dire, son œil brillant d’intelligence et de convoitise, bien que cette dernière ne semble pas vraiment la concerner elle directement, mais plutôt son potentiel.

Pendant un instant, il crut sentir la vague odeur de poisson frais, comme si soudain une vendeuse du marché se tenait devant lui, mais non, c'était bien Gudrun qui le regardait. La lueur de conviction.. Non, pas de la conviction, de la ferveur, une ferveur profondément ancrée dans l’âme de la jeune femme et qui apparut pendant qu’il discourait le rassura autant qu’il lui déplût. C’était bien le problème avec les croyants les plus engagés. Chez eux, la nuance entre la foi et le fanatisme était aussi ténue qu’une couche de verglas sur un lac d’hiver. Une simple pression mal avisée pouvait les engloutir sous la surface. D’une certaine façon, Gudrun Mercier partageait bien plus de chose avec les monstres qu’il lui proposait de traquer qu’avec ses agents habituels.
C’était malheureusement pour cette différence qu’elle était le genre d’outil qu’il cherchait, mais qu’il devrait garder à l’œil, autant pour son bien à elle et que pour ses chances de succès.

- En acceptant d’intégrer leur rang. Le cloaque recrute à tour de bras parmi vos compatriotes et en tant que prêtresse en charge de Sombrebois, vous êtes une recrue de choix. Un moment ou un autre, vous serez approchée, tentée et peut-être recrutée si vous êtes convaincante. Ce que je souhaite c’est de vous voir répondre favorablement à cette approche. Votre mal-être concernant vos croyances bafouée sera un bouclier efficace pour les convaincre. L’insatisfaction est une arme redoutable pour recruter quelqu’un.

Son ton baissa d’un cran et pris une note plus déterminée, presque fataliste, aux douloureux contours de vérités.

- Cela semble aisé résumé ainsi, mais c’est un sacrifice dangereux, dangereux et répugnant que je vous demande ma sœur. Pour vous faire une place parmi eux, gagner leur confiance jusqu’à être assez bien intégrée pour obtenir les informations dont nous avons besoin, vous serez amenée à faire des choses que la décence, vos convictions et les livres saints réprouvent sans aucun doute, poursuivit-il alors.

- Vous ne ressortirez pas blanche comme neige d’un tel périple, mais jamais la vérité ne sait offerte gratuitement à celui qui la voulait. Pour ne pas mettre à mal votre couverture parmi eux, cela sera certainement la seule et unique fois que nous nous verrons avant que tout cela ne soit fini. Nous établirons cependant un moyen de communiquer vous et moi, où vous pourriez me faire part de vos progrès.

Les explications autant que les objectifs étaient simples, sur le papier tout du moins. Car comme son ton aussi bien que ces termes l’avaient signalé, c’était une plongée dans des eaux bien trouble qu’il lui proposait à présent. Un trajet qui pourrait mettre ses convictions les plus profondes à l’épreuve et qui souilleraient certainement son âme de tâches indélébiles. Mais qui, à terme peut être, lui permettrait de faire naître un espoir pour ceux qui comme elle, espéraient plus de compréhension et d’acceptation.

- Qu’en dites-vous ma Sœur ? Pensez-vous être prête aux sacrifices nécessaire ?

Il n’avait jamais vraiment douté de pouvoir la convaincre de la justesse de ce combat et de l’importance que son implication. Elle n’était pas vraiment de ceux qu’on doit menacer ou forcer voir soudoyer pour obtenir leur soutien et servilité, elle était d’un autre genre de matériau.
Pour autant, il s’était apprêté à devoir faire preuve de plus de persuasion pour en arriver à ce point. Il avait en partie mésestimé la force de caractère de cette prêtresse et pris note d’en tenir compte avec plus de considération à l’avenir. Être trop surpris, même agréablement, par une personne n’était jamais bon signe. Il en avait connu beaucoup trop qui avaient fini avec une dague dans le dos pour ne pas avoir sut cerner à temps ceux qui les entouraient. Souvent d’ailleurs, les dagues lui avaient appartenu.

Il ne broncha pas à la mention d’un homme qui faisait battre son cœur et dont elle respectait la force d’âme. Pour sa part il connaissait tout ce qui pouvait l’être sur Eric Laporte et ceux, dès qu’il avait franchi les portes de Sombrebois. La chasse aux déserteurs n’était pas vraiment son plat favori et bien souvent ces gens là se révélaient plus utiles dehors que dans une prison, une carrière ou tout simplement mort selon l’irascibilité de celui qui le prenait vivant.
Il devait cependant convenir d’une chose dans les dires de Gudrun, c’est qu’il avait des convictions profondes. Ce qui l’avait rendu stupide par le passé et qui s’il ne se trompait pas sur sa destination actuelle, lui ferait aussi faire quelque chose de stupide très prochainement. L’amour rendait bien plus idiot qu’aveugle.

Il n’avait aucun intérêt à évoquer son soupçon à la prêtresse pour le moment. Comme elle le disait elle-même, ce genre de gars pourrait bien être un frein à la mission qu’il lui demandait d’accomplir. Et vu l’entêtement du personnage, il pourrait bien les faire tuer tout les deux avant même que sœur Mercier ne lui apporte quoi que ce soit d’utile.
Mais le laisser périr à l’échafaud ou autre perte de temps de ce genre ne serait pas constructif non plus. Il fallait que Gudrun puisse continuer à croire en des lendemains meilleurs pour que sa volonté reste plus forte que son mal être et qu’elle ne devienne pas complètement ce qu’il lui proposait de faire semblant d’être. Il surveillerait donc l’évolution de cette affaire d’aveu et de rédemption. Il sourit à la jeune femme, qui ne l’était plus réellement mais qui face à lui semblait aussi fraîche qu’une fleur printanière.

- Cela est presque agréable que vous doutiez des moyens dont je dispose pour que ma volonté se réalise. N’en prenez pas ombrage ma sœur, mais je me suis tellement habitué cette dernière décennie à ce que les gens craignent mes actes rien qu’à la mention de mon nom, qu’il est rafraichissant de découvrir qu’il reste encore des personne pour qui celui-ci n’évoque rien, pas même un soupçon.

Il se redressa en s’appuyant sur sa canne et réalisa une profonde et experte révérence qui n’avait rien à envier à celle du plus nobles des nobles, mais qu’il parvint à teinter d’une nuance de moquerie amusée qui rendait la pose plus ridicule qu’élégante, comme s’il singeait une posture de cirque.

- Permettez-moi donc de refaire les présentations ma sœur. Je suis Harlock, anciennement collecteur de ragots et de dettes, murmureur des bas quartiers et depuis quelques temps à présent, Maître espion de sa Majesté et membre du conseil royal. Je ne puis tout à fait vous résumer mes activités sans risquer de dévoiler quoi que ce fut qui mettrait nos têtes à tout deux en fâcheuse posture. Cependant je vous confirme avoir à ma disposition de quoi tenir ma part de ce marché que je vous propose. La lame sera aiguisée, mais seule vous êtes à même de la guider là où elle devrait faire son office.

Un esprit vif décidément habitait ce petit bout de femme. Il s’était attendu à ce qu’elle finisse par penser aux avantages qu’elle pourrait retirer d’un contact avec l’un des hommes les plus puissant du royaume, notamment quand la situation de l’homme qu’elle avait pris en affection lui viendrait à l’idée. Mais tout de même pas aussi vite que cela. Pour autant Harlock ne parut ni surpris ni gêné à cette évocation, tout juste se permit-il un regard quelque peu soucieux de celui qui réfléchit intensément à une demande compliquée.

C’était une valse qu’il avait si souvent dansé qu’il pouvait à présent en effectuer les pas sans le moindre effort de pensée, comme un geste d’automatisme qu’accomplit l’artisan devant son établi de travail. Il aurait pu faire libérer sans peine le jeune Eric, il le savait. Pour autant, cela attirerait une attention malvenue sur sa personne et ses proches, à termes donc sur la Sœur elle-même et cela il ne pouvait le permettre tant qu’elle serait un atout dans sa manche. Mais à tout négociation il fallait des terrains d’entente.

- Je connais l’affaire de ce cher monsieur Laporte, un événement problématique, pour toutes les parties concernées. Il serait bien mal venu qu’une autorité royale intervienne directement dans cette affaire alors qu’il a refusé d’appliquer les ordres de son roi dans une situation aussi critique. La justice devra suivre son cours, pour le bien de ses anciens camarades qui eux ont accompli leur devoir. Mais je comprends vos inquiétudes, alors je vous promets la chose suivante. Eric sortira sauf et libre des épreuves qui l’attendent, pardonné même s’il fait montre d’intelligence et de diligence le moment venu.

Il fit lentement rouler sa canne contre le plat de ses paumes, produisant un bruit léger résultant du raclement de la pointe d’acier sur la pierrer. Un son pas réellement désagréable, mais quelque peu obsédant, comme une étrange impression d’acouphène.

- En toute discrétion bien entendue. Pour ce qui est de notre petite affaire, il se trouve derrière votre temple, un muret de pierre, à sa base vous trouverez une pierre qui ne ressemble pas aux autres, noire et lisse, rappelant du verre. Et sous elle, un coffret. Si vous estimez avoir un message important à me transmettre, notamment la prise de contact de nos cibles, c’est par ce biais que vous devrez mes le faire savoir. Soyez prudente et n’en abusez pas. Peut-être pourriez-vous planter quelque pousse médicinale non loin pour justifier vos approches si besoin est. L’un de mes agents tâchera de garder un œil sur vous, pour votre sécurité, mais il ne se fera connaître qu’en cas d’absolu nécessité.

D’un geste habile il glissa deux doigts dans sa tunique et en sorti une feuille de laurier qu’il tendit à la prêtresse d’un mouvement fluide.

- Il se présentera à vous avec une feuille de ce type, et uniquement ainsi. Si jamais cela devait être différent, prenez garde, car vous pourriez bien être face à quelqu’un qui essaie de vous percer à jour. Et cela pourrait annoncer un grand danger. Il est temps pour moi de vous fausser compagnie, d’autres affaires m’attendent, vous n’imaginez pas le nombre de personne qui espèrent voir notre monde s’effondrer sans avoir rien de mieux à proposer pour le remplacer.

Il rit sans joie, sardonique et blasé et s’inclina de nouveau, avec nettement moins de fioriture, et beaucoup plus de sincérité, du moins en eût-elle l’impression en l’observant.

- Gardez vos yeux bien ouverts ma Soeur.

De son pas assuré bien que légèrement claudiquant à bien y regarder il s’éloigna vers les portes de la bâtisse.