Une patrouille au port

5 mai 1167

Je déteste le port de Marbrume, ça pue le poisson alors que je déteste cela. En plus, je ne sais pas nager et j’ai peur de tomber à l’eau et de me noyer. Cela a faillis m'arriver une fois alors que je pourchassais des cultistes et je ne veux plus jamais vivre pareille expérience.

Pourtant, quand on m’a proposé de rejoindre une patrouille, leur coutilier ayant pris un méchant coup de lame dans le bide, j’ai accepté. Je n’ai pas vraiment le choix, je dois récupérer mon titre et pour cela, aider la Milice. Encore quelques mois et je serais libéré de mes obligations. Je serais toujours lié aux forces de l’ordre, mais je pourrais choisir mes missions.

Je suis donc en armure de plaque complète, mon casque sur la tête et mon épée à deux mains dans son fourreau. Nous sommes en pleine journée et les gens s’activent de part et d’autre formant une masse importante, mais comme par magie, qui s’ouvre pour nous laisser passer. Le port a beau être un des quartiers les plus crasseux de la capitale, dix hommes bien équipés et bien armés, font toujours leur petit effet, surtout avec un ancien ou plutôt futur chevalier à leur tête.

Dominant la populace d’une bonne tête, je peux voir un petit attroupement sur un des quais qui me partait suspect et je fais signe à mes hommes de me suivre. Nous arrivons au niveau d’un groupe composé de trois petites frappes du quartier et d’une femme. Cette dernière est plutôt jolie, quoiqu’un peu maigre à mon goût, avec de longs cheveux bruns.

J’entends la fin d’une phrase :

…t’ai déjà vu au Labourg.

Puis, plus un mot, ils me fixent lorsque je m'approche et je demande à la cantonade :

Que se passe-t-il ici ?

Il m’arrivait parfois, lorsque je ne travaillais pas, de me rendre sur le port.
Je n’avais pas de raison particulière, hormis celle de voir l’océan et donc, la sépulture de mon père. En effet, je l’ai appris à mes dépends mais lorsque vous naviguez, si un homme meurt sur le navire alors son corps est envoyé par-dessus bord, directement dans les flots tumultueux.
Un bruit de chute, une masse qui percute la crête des vagues avant d’être chahutée et de disparaître à jamais dans les profondeurs.

Le soleil brille par delà les quelques nuages qui volent dans le ciel, réchauffant mon visage, éblouissant mes yeux en se reflétant sur l’immensité, guérit mon cœur aussi, un peu.

D’abord, j’observais la houle en repensant à mes parents, à ma vie d’avant, mon père, quelque part au fond. Alors, doucement mon esprit est revenu à ces derniers temps, à mon existence et à ma vie actuelle. Ma condition de prostitué, à défaut d’être l’existence dont je rêvais, me permettait au moins de manger à peu près correctement.
Aujourd'hui cependant, je me suis octroyé un temps de repos, tant pour le corps que pour l’esprit.

Le port, malgré qu’il grouille d'activités et de gens, me parait toujours calme. En effet, la populace y est tellement nombreuse qu’ici au moins, je ne risque pas d’être importunée par des hommes douteux.
Du moins, le croyais-je jusqu’à ce qu’une voix m'interpelle, cinglante et avide.

J’me disais bien que j’t’avais r’connue ma jolie!

Je fais alors volte face pour me retrouver nez-à-nez avec trois individus à l’aspect louche et, surtout, à l'œil lubrique.

Hein j’vous l’avais dit qu’c’était la jolie donzelle vous aut’!

Celui qui parle fait bien une tête et demi de plus que moi et est de large carrure. Il est crasseux et ses yeux rouges, ivresse oblige, me renvoient des signaux écoeurants.
Le second, un petit roux bedonnant, semblait plus ou moins dormir debout, jusqu’à ce qu’il lâche un énorme pet avant de poser sur moi un regard mauvais accompagné d’un sourire à faire pâlir.
Le troisième est de taille moyenne mais arbore un crâne chauve couvert d’un mélange de poussière et de sueur, un bandeau sale lui masque un œil et il se cure les ongles avec un vieux couteau rouillé.

Je déglutis avant de tenter une approche délicate.

Pardons Messieurs mais vous devez faire erreur. Je ne suis pas du quartier, simplement en promenade.

Ils rient alors tous trois avant que le chef n’approche un peu plus de moi, m’offrant de sentir son haleine fétide de bière rance et de poisson rance.
C’est alors qu’il me saisit soudainement le bras avec force et des images de ruelle sombre et malodorante me traversent alors l’esprit.

Pas d’erreur ma p’tite dame! C’est bin toi qu’j’ai vu et tu vas nous suivre bien gentiment!

Ce sont maintenant des scènes charnelles forcées que je me vois maintenant faire dans cette ruelle sombre et malodorante…
Inutile de vous certifier que je n’en ai nullement l’envie.

Non, vous vous méprenez, lâchez-moi! Ce n’est pas moi! Lâchez-moi!

Le regard du chef se fait plus impatient et il approche un peu plus encore.

Si c’est toi, j’t’ai déjà vu au Labourg!

A peine eut-il terminé sa phrase qu’une voix imposante et autoritaire se fit entendre malgré le brouhaha alentour.
Exaspéré, mon tortionnaire roule des yeux avant de se retourner, sans me lâcher pour autant. Étonnamment, il ne dit pas le moindre mot. Je me penche alors un peu pour voir le nouvel arrivant et de nouveau, je déglutis avec difficulté.

Si je trouvais les trois autres déjà grands et imposant, le gaillard qui vient de débarquer lui…
Un colosse!
Il est de loin l’homme le plus grand que je n’ai jamais vu. Grand, mais pas seulement car, même s’il porte une armure de métal complète et un lourd casque, il est d’un gabarit imposant. Il me faut encore quelques instant pour me rendre compte que, derrière lui, se trouvent des miliciens.
Alors, sans perdre de temps, je m’expose au mieux à la vue du géant avant de lancer un supplique.

S’ils vous plais! Ils sont persuadés de m’avoir reconnue mais je ne suis pas celle qu’ils croient! Ils ne veulent pourtant pas me lâcher. Je ne sais plus que dire!

Je n’allais certainement pas laisser passer cette chance de me défaire de ces trois lourdaux!

Les hommes se retournent vers moi, mais aucun de dit mot. C’est la jeune femme qui me demande d’intervenir, ils semblent qu’ils se soient trompés. J’avoue ne pas comprendre grand-chose, alors je préfère jouer la sécurité, surtout avec les miliciens derrière moi :

Lâchez-la les péquenots !

Après tout, c’est exactement ce qu’ils sont, ils ne devraient pas prendre la mouche. Pourtant, c’est ce qui arrive ! Depuis quand les gens du peuple sont susceptibles ? Je vois le chauve de la bande sortir une dague et foncer vers moi, en me criant :

Tu vas voir le sang-bleu !

Je suis flatté qu’il est reconnu mon appartenance à la haute société. J’aurais volontiers tiré mon épée et coupé en deux le malapris, mais j’essaye de fort bonne impression et donc de moins tuer les gens. Je le reçois donc avec mes gantelets d’acier et commence à frapper la main qui tient la dague. Mon coup porte, mais le mécréant refuse de s’avouer vaincu et sa lame ripe sur mon armure sans me faire le moindre mal.

Je le frappe ensuite dans le ventre, mais il reste debout ! On se tourne un peu autour, essayant de trouver une ouverture et finalement lui donne un sacré coup aux jambes ! Il tombe, mais profite de sa chute pour m’enfoncer sa lame dans la jointure de mon armure ! Très énervé, je lui prends le bras et le casse un deux dans un bruit sec, il s’écroule enfin à mes pieds et il est ramassé immédiatement par les miliciens.

Je suis content de moi, malgré ma petite blessure, j’ai réussi à ne pas m’emballer. Je suis sûr ainsi de pouvoir récupérer mon titre ! Il reste les deux clochards sur le ponton et leur chef, un gars musclé m’indique à toute vitesse :

Roland n’était pas avec nous, on le connaissait même pas ce type. Nous on veut just’passer du bon temps avec une prostipute !

Si j’étais seul, je les aurais volontiers laissés à leurs affaires, après tout, même les sans-dents ont le droit de s’amuser, mais je suis ici en tant que support de la milice et je sais très bien que la loi ne permet pas ce genre de chose, alors je m’adresse aux deux larrons :

Je vous conseille de vous jeter à l’eau et de laisser la demoiselle intacte.

Oui, aujourd’hui, je vais faire preuve de clémence et de modération.

Résultat du combat:

L’ordre fuse, claque et résonne…
Beh oui, forcément, avec un heaume comme le sien, son injonction fait écho à mon souhait le plus profond et le chevalier doit s’entendre lui-même.
Immédiatement, je me dis que c’est bon, que je suis tirée d'affaires sauf que…
Sauf que l’un des débiles à visiblement envie d’en découdre avec le noble. Le voici donc, armé de son couteau, se jetant contre les plaques de métal de mon sauveur. Ses copains l’acclament, en viennent à m’oublier et j’en profite pour reculer rapidement vers les miliciens.

Quelques coups sont échangés, le bruit du fer contre le fer me fait grincer des dents et, rapidement, le combat s’arrête. Après un grand “crack” dégoûtant, le mécréant hurle de douleur et s’effondre en se tenant un bras, dont l’angle est étrange, tandis que des soldats le récupèrent.
Les autres se débinent, affirmant ainsi que leur pantalon est bien vide et commencent alors à chouiner pour leur ami.

Entendant le dernier ordre du sang bleu, tous trois se regardent et sautent dans la grande bleue. Je les observe quelques instants, surprise, avant de me tourner vers mon sauveur.
Je m’adresse à lui en faisant une petite révérence.

Merci Mon Seigneur! Merci beaucoup!

Je suis intimidée par ce géant et ne sais pas trop quoi donner en échange de son intervention.

Merci, vraiment! Vous me sortez d’un vrai traquenard! Que puis-je pour dédommager?

Je me rends alors compte que je n’ai strictement rien à offrir, mis à part mes services mais je préfère éviter.
Je décide donc, au moins, de lui raconter la vérité.

Je me promenais sur le port et ils me sont tombés dessus! Ils voulaient que je m’occupe d’eux…

J’imagine qu’il va comprendre ce que je suis avec cela…

Les mécréants m’obéissent sans hésitation, ce qui prouve bien que n’importe quel homme est capable de comprendre un ordre simple. Dans la vie, tout est question d’éducation et je pense que cette journée sera enrichissante pour eux. Je vois la jeune femme me faire une révérence ce qui prouve qu’elle a également reçu une certaine éducation.

Quand elle m’indique qu’elle m’est redevable et qu’en plus, c’est bien une prostituée, je vois immédiatement comment en prendre mon parti. La prostitution n’est pas interdite et je peux vois aux visages des hommes qui m’accompagnent qu’ils voudraient bien profiter d'une sieste coquine. Toutefois, nous n’avons pas fini notre patrouille, alors j’indique à mon interlocutrice :

Tu m’es redevable, ce qui est une bonne chose. Soit au coucher du soleil devant la Balsamine, c’est une taverne qui fait maison de passe dans le quartier de la Hanse, tu devras t’acquitter de ta dette, puis tu pourras vaquer à tes obligations.

Je fouille un peu dans ma besace et je sors deux pièces. L’argent est assez rare, mais j’en possède un peu grâce à ma Guilde qui protège les convois vers Balazuc. Je lui mets dans sa main et je continue :

Tu devras prendre un bain et t’occuper de tes cheveux, c’est obligatoire.

En effet, on ne la laissera jamais entrer ainsi, l’établissement est plutôt bien fréquenté. Je conclus en l’avertissant :

Surtout, ne soit pas en retard, je déteste attendre.

Sur ces derniers mots, je retourne avec les miliciens pour maintenir l’ordre et la paix dans ce quartier, ce qui n’est pas chose facile. Pourtant, après quelques bagarres sans incident, nous pouvons enfin rentrer à la caserne où je suis régulièrement des cours de stratégie avec un officier de l’armée cul-de-jatte qui n’avais pas pu accompagner le Roi.

Je rentre ensuite dans la demeure de Rougelac, enlève mon armure, prends un bain et revêts mon habituelle tenue noire. Une fois préparer, mon épée toujours à mes côtés, je rejoins ma destination, espérant que la jeune blonde ne m’aura pas fait faux-bond.

Il confirma que j’avais une dette envers lui. Évidemment, il avait compris la profession que j’exerçais et, de fait, le paiement de ma dette ne me surprit guère. Il me donnait donc rendez-vous dans une maison que je connaissais de nom et qui avait fière réputation. Il me dit alors qu’une fois ma redevance réglée, je pourrais retourner à mes affaires. Au moins, me dis-je, voici une dette que je ne trainerais pas pendant des semaines. Ce soir, ce sera de l’histoire ancienne.

Bien Mon Seigneur, je ferais ainsi que vous le demandez. Dis-je en inclinant poliment la tête.

Il me place alors deux pièces dans la main, m’ordonnant de prendre un bain et de m’occuper de mes cheveux, avant d’insister sur le fait d’être ponctuelle.

Assurément je…Oui, je serais au rendez-vous!

Aussitôt dit, aussitôt fait, le chevalier et sa troupe repartent vaquer à leurs occupations. J’ai bien noté les regards en coin et insistants de certains des miliciens, mais l’aura de leur chef les a dissuadé de toute tentative.
Pour ma part, c’est la première fois que j’ai rendez-vous avec une armure dont je n’ai même pas vu le visage ou les yeux. Il y a, il faut être honnête, un petit côté “curieux” mêlé à de l'inquiétude. Pourvu que ce ne soit pas un vieux briscard chauve et édenté à l’haleine de vieux vin.

Je repasse rapidement par la maison close où j’ai ma chambre et me lave du mieux possible, changeant de vêtements pour une robe, vieille certes, mais en bon état. A dominante rouge, elle arbore des liserés bleus et à l’avantage de ne pas ressembler à une tenue de prostituée. Ainsi vêtue, je suis suffisamment présentable pour me rendre aux thermes et procéder, ainsi qu’il m’a été ordonné, à un véritable bain.
Lorsque j’en ressors, la moindre crasse à disparue et mes longs cheveux blonds sont liés en une tresse que j’ai ensuite noué en un chignon. Avec les pièces qu’il m’a donné, j’ai même pu mettre une goutte de parfum sur la robe.

J’arrive au lieu indiqué et, au moment de rentrer, je manque de me faire renvoyer. Il me faudra dire que j’ai rendez-vous avec un “grand chevalier en armure complète” pour que l’on me permette d’attendre dans un coin sombre l’arrivée de l’homme en question.

Quand j’entre dans l’établissement, je vois avec plaisir que la jeune femme est bien présente. Je l'approche donc dans son coin sombre et je lui dis en souriant :

Tu as bien meilleure mine ainsi.

Sa robe la fais paraître plus respectable, sa peau est propre avec des cheveux retenus dans une coiffure élaborée. Comble du raffinement, je hume une douce odeur :

Tu as même mis du parfum, c’est parfait.

Vraiment, elle est très présentable et c’est pile ce que je cherchais, mais avant de lui dire ce que je veux, je tiens à lui expliquer le pourquoi du comment :

Je suis Desmond de Rochemont, le fondateur de la Guilde des Boucliers de Marbrume. Je souhaite recruter l’homme que tu vois ici.

Je lui montre discrètement du doigt un vieux briscard chauve et édenté buvant du vieux vin d’après la bouteille à ses côtés. Il est assis au bar et semble être un habitué des lieux. Puis, je continu mes explications :

Il joue aux dés ici tous les soirs et je l’aurai volontiers abordé directement. Le problème est que c’est un des meilleurs hommes d’une guilde concurrente, les épées de Morguestanc et il refuse même de parler.

Je soupire de dépit, j’ai absolument de bons éléments pour réussir à faire prospérer mon affaire. Je conclus donc :

C’est là où tu entres en scène, qu’importe le moyen, il faut qu’il accepte de venir me voir. Cependant, interdiction de coucher avec lui, je ne veux pas poiroter pendant des heures. Si tu réussis, on sera quitte et en plus, je t’offre autant de légumes que tu pourras en porter.

Vu le gabarit de mon interlocutrice, cela ne va pas me coûter trop cher. Dès qu’elle sera partie accomplir sa mission, j’irai m’asseoir non loin, entendant qu’elle me rejoigne avec sa proie. Si elle échoue, je n’ai pas encore décidé de sa punition, même je me doute que cela ne lui conviendra pas, mais alors pas du tout.

Tandis que j’attends, je vois soudainement un type immense se diriger vers moi. Si je devine dès lors qu’il s’agit de mon créancier, je n’aurais jamais été en mesure de le reconnaître tant la différence “vestimentaire” est flagrante. C’est idiot à dire, mais il fait plus petit et plus mince sans son armure.
Il n’en demeure pas moins que c’est un géant et qu’il doit peser son poids.
Du fait qu’il soit un homme et qu’il est compris quel était mon métier, je ne peux qu’appréhender le reste de son anatomie.

Je le dévisage alors brièvement et je dois bien avouer ne pas être très à l’aise. Il me faisait moins peur caché sous son heaume. Maintenant, je croise ce regard brun et dur, mal à l’aise.
Finalement, il me gratifie d’un sourire qui m’aide à me détendre légèrement. Ma tenue et ma présentation semblent lui convenir ce qui me rassure tant son exigence semblait incontournable. J’accueille ses premières paroles d’une légère révérence respectueuse. Rien d’exagéré, un simple salut en accord avec son statut.

Il se présente alors et m’annonce chercher à recruter un autre type pour sa guilde. Je regarde la personne en question, un vieil homme chauve sirotant une bouteille de vin.

Je me nomme Olga Mon Seigneur, Olga Duhamel…Vous avez compris ce que je faisais…

Desmond m’explique alors en quoi il va avoir besoin de moi. Pour ne pas froisser ses relations avec une guilde opposée, il ne tient pas à s’afficher publiquement avec cet homme et me demande donc de le convaincre de le rejoindre. Il complète en m’interdisant d’user de mes charmes pour ne pas y passer la nuit et me promet autant de légumes que je pourrais porter si je réussis.

Je vous demande pardon ?

Oui, je suis particulièrement surprise de sa demande. Je m’attendais à ce qu’il me demande à bénéficier de mes services en échange de l’aide reçue mais il se contente de m’envoyer ramener un homme pour qu’il puisse le recruter discrètement? J’affiche, durant quelques instants, une mine surprise avant de hocher la tête.

Je veux dire…Oui, c’est d’accord. Je suis votre obligée Mon Seigneur. Pour des légumes et une chope de bière!

Je me détourne alors vivement du géant pour me diriger vers sa cible. Pour une fois que quelqu’un fait appel à moi pour d’autres compétences que celles mises à profit au lit, je compte bien montrer de quoi je suis capable.
Il ne me faut en effet pas grand chose pour sentir ressurgir en moi une pointe d’optimisme. Même si ce n’est qu’un bref instant, cette “mission” me sort de ma routine de déchéance et cela me plait!

Sur les quelques pas qui me séparent de ma victime, un plan s'est déjà mis en marche sous mon chignon. Je viens alors me placer à distance respectueuse du vieil homme pour l’aborder.

Pardonnez moi Messire, puis-je vous importuner un court instant?

L’homme porte sur moi un regard sans désir autre que celui de boire tranquillement.

Qu’est-ce que tu veux la donzelle?

Je m’approche un peu de lui pour me pencher vers son oreille avant de parler tout bas pour être certaine qu’on ne m’entende pas.
L’homme fronce les sourcils, se retourne et observe les personnes présentes avant de me lorgner. Il grogne et se lève, emportant sa bouteille.

J’te suis gamine!

Un fin sourire plein de fierté se dessine sur mes lèvres tandis que je conduis l’homme vers le colosse, assis dans un coin. Même une fois sur son séant, Desmond est plus grand que moi.
Arrivé à son niveau, je me glisse aux côté du noble pour parler à son oreille, sans avoir besoin de me baisser.

J’ai dit à cet homme que vous aviez parié une chope que j’étais trop laide pour le convaincre de venir vous voir. Je lui ai donc dit que s’il m’aidait à gagner le pari, la chope serait pour lui…

Je me reculais face au Seigneur, toujours mon petit sourire à la bouche et fière de moi. Selon moi, c’était mission accomplie!

Je n’y crois pas, la petite maligne qui me fait face, essaye de négocier une boisson ! Comme je suis bon prince, j’accepte en hochant la tête. Elle semble surprise par ma proposition et je me demande bien ce qu’elle avait imaginé. Je n’ai jamais compris comment les femmes fonctionnaient et ce n’est pas ce soir que je vais en apprendre davantage.

La jeune prostitué y va bille en tête et commence à discuter avec ma cible. Je suis trop loin pour saisir de quoi ils parlent, mais cela fonctionne, car l’homme vient à ma table. Elle me dit que sa mission est accomplie, et je lui dit :

Viens t’asseoir près de nous, je vous paye une chope à tous les deux.

Je peux me permettre d’être généreux, car si l’homme que j’ai en face de moi accepte de rejoindre ma Guilde, mon chiffre d’affaires, et mes bénéfices, vont monter en flèche. Je fais donc signe à la serveuse et elle nous sert très rapidement. Je bois une bonne gorgée et claque ma langue de satisfaction, c’est quand même bon une bière non coupée. Je peux ainsi commencer ma plaidoirie :

Je sais que vous êtes attachés à votre Guilde, mais pour moi, ils ne vous considèrent pas à votre juste valeur. Je vous propose une place à mes côtés. Vous aurez accès au quartier général situé dans les Faubourgs, avec un dortoir, une salle d'eau et deux repas par jour. La paye est plutôt bonne, meilleur que chez les miliciens et si vous vous vous débrouiller bien, une prime peut être ajouté au salaire.

Je souris à mon futur agent tout en lui sortant l’argument massue :

Vous êtes une personne d’expérience, alors vous pourrez choisir vos propres missions.

Et je conclus, par un grand avantage :

Tout mercenaire a accès à une maison de passe situé dans le quartier de la Hanse, bien tenu. La guilde en paye une partie et le reste est directement pris sur la paye.

Le but est d'éviter que les membres fassent des confidences sur l'oreiller et qu'aucun n'attrape de maladie, tout en fidélisant les membres. Je vois l’homme réfléchir puis demande en montrant la fille :

Elle en fait partie ?

Je secoue négativement la tête :

Dame Duhamel est une indépendante. Elle fait ses propres choix concernant les hommes. Toutefois, si vous acceptez le poste, je ferais en sorte qu’elle passe régulièrement à la Guilde, mais ce sera à vous de la conquérir.

Je vois les yeux de l’homme briller, tout en la regardant. Je ne me suis pas trompé, il aime des défis. Il me tend la main, tout en me disant :

Marché conclus !

Je lui serre avec précaution pour ne pas la broyer. C'est vraiment une bonne journée.

Le noble me conviait à prendre place avec eux, proposant de nous offrir une bière à tous les deux. Je m’installe donc sur une chaise, satisfaite de moi mais un peu surprise de me retrouver ainsi attablée. Les bières servies, je bois une petite gorgée en gardant maintenant le silence.

Le géant commence alors à expliquer à l’homme ce qu’il lui propose, appuyant sur les avantages à travailler pour lui, le salaire et les locaux, les repas et les éventuelles primes. Il jouait dans la persuasion, faisant l’éloge des compétences reconnues de l’individu avant d’ajouter que, comme tous ses hommes, il aurait accès à une maison close correcte de La Hanse.

Je manquais de m’étouffer à la question de l’homme. Si j’y travaillais? Seigneur, non!
Desmond le lui affirma avant de préciser que, s’il prenait le poste qui lui était proposé, il ferait en sorte que je vienne de temps en temps dans les murs de sa guilde.

Euh…!

J’aurais aimé être concertée, mais je me ravise de toute protestation, restant à mon rang de simple prostituée. Je bus une nouvelle gorgée, demeurant un peu prostrée sur ma chaise. Au moins le noble ne m’offrait-il pas. Il avait en effet précisé que ce serait au gaillard de me séduire.

Je les observe se serrer la main, passant un accord devant moi comme témoin. Je venais, sans trop comprendre comment, de peut-être m’assurer une clientèle…
Je ne savais pas si c’était une bonne chose ou pas. En effet, j’ai horreur de ce métier mais j’imagine qu’une clientèle stable et régulière, d’hommes que l’on finit par connaître, doit être moins désagréable.

Avez-vous encore besoin de moi Messieurs?

La jeune femme émet un son, puis se tait. Je n’insiste pas là-dessus, les représentantes du sexe faible ont souvent des réactions incompréhensibles, un peu comme les chats. Le mieux dans ses cas cas-là, est de ne pas en tenir compte, sinon, c’est le mal de crâne assuré.

Alors que notre accord venait juste d’être conclu, la prostituée me pose une question et je lui réponds :

Non, tu peux y aller. On se retrouve dans deux heures à la porte des Faubourgs.

Je ne lui précise pas d’être à l’heure, la dernière fois, elle était présente en avance. Je la laisse donc partir si elle le souhaite et parle de détails pratiques avec mon nouvel employé, comme la date de sa prochaine venue et des contrats que je lui propose. J’ai parfois l’impression d’être plus un marchand qu’un chevalier, mais si je veux développer ma propre puissance, je n’ai guère le choix.

Avoir des dizaines d’hommes bien équipés et expérimentés fait de moi, un atout très intéressant pour Victor et je ne veux pas lui faire défaut. C’est donc le cœur léger que je quitte la taverne pour rejoindre une maison dans le quartier de la Hanse. Je frappe trois coups à la porte comme prévu et je reçois en échange un grand sac, de la part d’une personne masquée.

Comme prévu, aucun mot n’est échangé et je repars pour le lieu de rendez-vous, un peu en retard. J’y retrouve Olga et lui indique :

Viens avec moi, nous devons traverser une partie des Faubourgs pour rejoindre ma Guilde où tu récupéreras ta récompense. Je te raccompagnerai ensuite ici, n’ai crainte.

Je la regarde droit dans les yeux et je l’informe :

Je ne sais pas si tu es déjà sorti depuis la Fange ou si tu es resté toute ta vie à Marbrume, mais dehors, il y a certaines règles à suivre. La première est de rester près de moi, le seconde est que si je te dis de courir, tu le fais sans poser de question, c’est bien compris ?

Une fois qu’elle m’aura signifié son accord, je donnerai discrètement une petite bourse à un coutilier que je connais bien pour éviter la fouille de mon sac et nous pourrons sortir.

Le noble m’annonce ne plus avoir besoin de moi et me donne un nouveau rendez-vous à la porte des Faubourgs pour dans deux heures. Aussi, je finis ma bière poliment avant de me lever. J’incline respectueusement la tête face aux deux hommes.

Messires, je vous souhaite la bonne journée! Nous nous revoyons tout à l’heure.

Je m’éclipse alors, laissant les hommes à leurs affaires d’hommes.
Je prends directement le chemin pour la porte indiquée car, ne connaissant pas trop le secteur, je crains de me perdre. Je dois en effet demander mon chemin à plusieurs reprises tout en réfléchissant à la situation.
Je ne sais toujours pas vraiment ce qu’il va advenir de moi ni dans quoi je me suis embarquée. Moi qui ai toujours pris garde à me tenir éloignée des ambitions masculines, me voilà en contact avec le chef d’un groupe de mercenaires.

Arrivée à la porte, je m'assois sur un banc pour attendre le colosse et me perd complètement dans mes réflexions. Je repense à cette histoire de me faire venir dans cette maison close. Le géant avait dit cela comme si c’était acté mais, si l’idée d’intégrer un lieu plus propre que le gourbi où j’étais pour l’heure me plaisait, je me sentais aussi très peu considérée.

Le soleil commençait à amorcer son circuit descendant et toujours aucune trace de mon commanditaire. Lui qui avait insisté pour que je sois précisément à l’heure à notre précédent rendez-vous, le voilà qui se montrait tardif. Lorsqu’il arriva, il ne perdit pas de temps à me saluer une nouvelle fois. Il se contenta de me demander de le suivre, alors qu’il tenait un gros sac sur son épaule.
L’idée était donc de se rendre jusqu’à sa guilde pour que je perçoive mon dû et, soulagement, il m’informait qu’il me raccompagnait ensuite. Il ajouta alors une règle à ne surtout pas transiger, rester coûte que coûte à ses côtés et fuir s’il l’ordonnait.

Très bien Mon Seigneur, je vous suis. Je vous avoue n’être jamais sortie des murailles depuis mon arrivée, aussi je suivrais vos règles à la lettre.

Vu le gabarit du gaillard, il faudrait être fou pour s’en éloigner! A moins d’être la raison de sa fureur!
Je le suivais donc en silence, trop tendue pour penser à discuter.

Récit de Desmond :

La jeune femme accepte sans aucune restriction de se conformer à mes conseils, ce qui est une bonne chose. D’après mon expérience, le sexe faible essaye toujours de raisonner encore et encore ce qui me fatigue et me donne mal au crâne. Ici, ce n’est pas le cas, c’est donc avec confiance que nous sortons de la dernière capitale de l’humanité.

Nous arrivons sans problème devant la bâtisse, il fait encore jour et nous croisons quelques patrouilles et autres gens du peuple qui s’occupe des bêtes. C’est quand même une chance que les Fangeux ne s’en prennent pas au bétail, sinon, j’aurais dû finir végétalien, car je n’aime pas le poisson.

Le Quartier Général des Boucliers de Marbrume est une ancienne auberge située à quelques centaines de mètres des murailles, dans le bâtiment principal, nous pouvons voir une grande pièce à vivre, une arrière-salle qui sert d'infirmerie, une salle de bain et un escalier menant à l’étage avec deux dortoirs, deux bureaux, une chambre et une salle de réunion. Une porte à droite permet d’entrer dans une petite écurie accoudée. De solides fenêtres et une porte renforcée sécurisent les lieux. À côté de l'édifice, un petit potager entouré d'une haute palissade avec un banc en pierre et un puits permet une relative autonomie.

Je frappe à la porte, et après avoir été examiné à l’aide d’un œilleton, une belle brune viens nous ouvrir. Elle me fait un large sourire, mais je suis plus intéressé par mon paquet que je transporte qu’autre chose, je lui dis donc :

Alix, je te présente Olga Duhamel, elle m’a rendu service et comme récompense, je lui offre autant de légume qu’elle pourra en porter. Conduis-la au garde-manger, puis au potager si besoin. Ensuite, tu viendras me chercher à mon bureau pour que je la ramène.

Je m’empresse ensuite de monter à l’étage, déposer mon précieux paquet.

Récit d’Alix :

Image:

J’acquiesce aux paroles de Desmond, lui indiquant simplement :

Bien, mon seigneur.

Je conduis ensuite la jeune femme derrière les cuisines, et je lui ouvre la porte, lui indiquant simplement :

Prends ce que tu veux, il y a des sacs de Jute à côté.

Pendant qu’elle fait son choix, je lui indique d’un ton sans réplique :

Je sais très bien qui tu es, j’étais comme toi avant, alors ne t’avise pas de toucher au chevalier.

Au bout d’un court moment de marche durant lequel je ne lâche pas le géant et fait attention à tenir le rythme de ses pas, nous arrivons devant une très grosse bâtisse. A première vue, cela pourrait faire penser à une auberge mais tout y était différent. La porte était très massive et semblait indestructible, de même que les volets. Je croise le regard de plusieurs types costauds, pas mal sont bourrus et ont l’air féroces. Vu mon existence actuelle, j’en viens à espérer ne pas avoir à trop travailler ici, j’ai peur qu’ils ne soient trop habitués à obtenir ce qu’ils veulent de façon violente.

D’un autre côté, si tous ces hommes travaillent pour Desmond, cela peut faire une clientèle régulière…Et, surtout, cela fait des connaissances bien pratiques à avoir en cas de soucis.

Arrivés devant la porte, une brune nous ouvre. Le noble ne perd pas de temps et demande directement à la dénommé Alix de me conduire là où je pourrais obtenir ce que je pourrais porter de vivres. Ceci fait, il disparaît à l’étage et c’est donc la milicienne qui me prend en charge.
Elle me conduit à l’intérieur et nous traversons ce qui semble être une grande salle de vie.
Une fois dans la réserve, elle m’indique des sacs de jute et j’en attrape un que je commence à remplir. J’ai tellement faim que je pourrais en emporter trois voire quatre remplis mais, en bonne commerçante, je vais me contenter d’un seul sac. En effet, limiter sans exagérer pourrait peut-être motiver le seigneur à ce qu’il y ai une prochaine fois alors qu’emporter le maximum, il est fort à parier que je ne serais plus la bienvenue.
En temps de disette, personne n’aime les piques assiettes!

Alors que j’en étais à la moitié de mon sac, la brune me lance une remarque d’un ton sec et acerbe qui me cloua sur place.
Après deux secondes d’immobilité parfaite, je redresse la tête et me tourne pour lancer un regard glacial à la brunette.

Vous ne me connaissez pas, vous ne savez pas qui je suis ni plus que vous connaissez mon histoire! Tout au plus vous savez que je vends mes services au Labourg depuis quelques mois mais cela ne suffit pas à me résumer!

Je pointais un doigt sur elle.

Alors gardez vos conseils et vos jugements pour vous! Je n’avais aucune intention de toucher au Seigneur des lieux à moins qu’il ne me le commande et ne me paye pour!

Furieuse, je lâchais mon sac de toile et me dirigeais vers la porte par laquelle j’étais entrée.

Récit d’Alix :

Mon interlocutrice prend la mouche. J’avais en tout cas bien raison sur sa profession, j’ai suffisamment exercé dans le métier pour reconnaître à coup sûr une ancienne collège. Elle a beau monté sur ses grands chevaux, je sais bien ce qu’elle a en tête, ou du moins, je croyais le savoir mais quand elle fait mine de partir sans son sac je me rends compte que je me suis trompée sur toute la ligne, alors je bloque la porte avec mon corps et lui dis d'un ton conciliant :

Si le chevalier t’a dit de prendre autant de nourriture que tu voudras, fais-le.

Je lui tends ensuite différents sacs de jute et lui précise :

Il a précisé que tu lui as rendu un service et je pensais que tu avais couché avec lui, c’est pourquoi je suppose que j’étais un peu jalouse, mais tu viens de me dire que ce n’est pas le cas, alors tout va bien.

C’est, en effet, exact que je n’ai jamais couché une seule fois avec le colosse. Je réfléchis une seconde, toujours appuyé sur la porte et je lui indique :

Tu peux prendre ton temps, tu es en sécurité ici, au sein de la Guilde, les relations hors mariage sont strictement interdites, le sieur de Rochemont tient à garder la bénédiction des Trois.

Il y a même des dortoirs séparés pour ne pas que les gens du sexe opposés ne soient tenté par la bagatelle. Je souris à cette pensée, pour un chevalier déchu temporairement de son titre de noblesse, il est assez prude par certains côtés. Je sais qu’au fond de lui, il sait prendre soin des gens et je demande à la jolie femme qui me fait face :

Quel service tu as lui as rendu pour que le maître des lieux prenne le temps de t’amener et de te ramener personnellement ?

Oui, je suis curieuse, mais c’est normal, je suis une femme.