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 Croassement à Chanteloup - Icare et Esmée de Sabran

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Mederich de CorburgComte
Mederich de Corburg



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MessageSujet: Croassement à Chanteloup - Icare et Esmée de Sabran   Croassement à Chanteloup - Icare et Esmée de Sabran EmptyJeu 17 Mar 2022 - 13:27
8 Avril de l’an 1167
Plateau du Labret
Domaine des Choiseul, Usson




Le périple Labretien touchait enfin à sa fin.
Mederich ne pouvait pas dire qu’il n’éprouvait pas une certaine satisfaction à arriver au terme d’une procession qu’il jugeait maintenant, bien trop coûteuse en énergie. Toujours affecté par sa marche forcé à travers les bois et sa rencontre avec la Fange dans les environs de Genevrey ; le Vieux Rab devait se rendre à l’évidence d’un fait implacable et inéchangeable : il était vieux. Comme son foutu surnom le laissait entendre, il avait déjà passé trop d’hiver à battre la lande et trop d’été à faucher les chaires des comtés ennemis. Une vie par les armes qui laissait des traces. Oh, pour sûr qu’il aurait apprécié finir ses jours face à l’âtre en contemplant les flammes et en savourant un fameux cru. Mais le Fléau était arrivé et avec lui, plus aucunes chances de salut. Quel que soit les chemins qu’il emprunterait aujourd’hui, tous mèneraient indubitablement vers la souffrance. Dusse t-il mourir becqueté par un fangeux ou entrain de se chier dessus dans une demeure trop grande et trop froide.
Il n’existait plus et n’existerait jamais plus de doux draps et de feux réconfortant pour Mederich de Corburg.

C’est dans se miasme mental qu’il évoluait en tête de la colonne qui se traînait à l’aval. Autours de lui, ses limiers profitaient d’une liberté éphémère en battant les sous bois. Les chevaliers de l’Ordre des Hardis Roukiers s’étaient rangé en colonnade ordonné et encadré un convoi point important par la taille mais par le chargement. Des portefaix s’efforçaient de faire avancer tant bien que mal un équipage de solide chevaux de bât. Les équidés attelés tractaient un tout aussi épais chariot recouvert de lourde bâche faite en peaux et fourrures. A l’intérieur, gisait un minerai qu’on avait retiré du gisement des mines de Salers. Véritable trésor de première qualité, le tout à destination de Marbrume pour le compte de l’Ordre.
C’était ici, la raison de sa venue, et si les préparatifs dans le village minier avaient prit plus de temps que prévu, le Vieux Rab en avait eu pout ses deniers. La marchandise était de première facture et servirait à faire la renommé de son organisation. L’apparat restait de mise dans ce monde qui brûlait et coulait à pique.

Alors que la nuit approchait, Mederich avait mené la colonne en direction d’une adresse connu des bons gens de la Cité. Il connaissait de nom et on lui avait facilement indiqué l’endroit une fois parvenu à Usson. Le Comte de Corburg n’avait aucune envie de passer plus de temps en compagnie des pouilleux de ce village agraire. Aussi se rendait-il a dessein à Choiseul, celui d’être en compagnie des gens de sa stature. De plus, le Comte de Sabran était renommé pour être un bretteur accomplit, aussi ne s’attendait-il donc pas à tomber face à quelques bleuets poudre-joues à la morale lâche et aux valeurs de sans fond.

L’endroit était gardé, mais on les laissa passer après s’être présenté. Mederich mena que l’on conduise son attelage sous bonne garde et qu’il soit surveillé par les portefaix et deux de ses chevaliers en permanence. Une fois cela fait, les chevaux furent confiés aux palefrenier qui dut sans douter transpirer à la vue d’autant de palefrois de guerre arriver en même temps. Puis le Comte flatta ses limiers et les garda à lui. Enfin, c’est crotté, en sueur, toujours tâché d’un sang qui serait difficile à enlever, mais bien vivant qu’il se présenta sur les marches de Chanteloup.

«  Corburg aux Sabran, nous mandons l’hospitalité pour la nuit, conduisez nous à votre maître. J’ai fait long voyage et sans grand confort. Pressez. »

Dans son dos d’acier, les six chevaliers qui le suivaient grognèrent d’impatience à leurs tours. Côme de Broque se trouvait à ses côtés et fut le seul à ne rien dire, mais Mederich put jurer qu’il avait la lorgnette braqué sur une des fenêtres haute du manoir d’ou il avait distingué quelque chose qui retenait son entière attention. Qu’avez donc put observer cette fieffé canaille ?




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MessageSujet: Re: Croassement à Chanteloup - Icare et Esmée de Sabran   Croassement à Chanteloup - Icare et Esmée de Sabran EmptyJeu 7 Avr 2022 - 17:03
Le regard tristement attaché à détailler la qualité d'un convoi qu'elle estimait d'ores-et-déjà prosaïque, Esmée se tenait immobile derrière l'une des hautes fenêtres du pavillon de chasse. Depuis son point de mire situé à l'étage de la vaste demeure, elle avait observé l'avancée de l'étrange caravane sur l'allée bornée d'arbres encore nus. Les armoiries affichées lui étaient inconnues et ce constat gonfla sa poitrine d'un soupir qu'elle ne put retenir. Cela ne faisait pas un an qu'elle avait quitté Marbrume et déjà il lui semblait avoir tout oublié de la belle société. Pourtant, la Sabran avait eu le temps de briller sur la scène des mondanités. Elle s'y était même sentie unique et pensait sa destinée jouée sur le ton d'une mélodie qui, une fois encore, voulait se rappeler à elle.
Par chance, le louable d'un frisson la ramena à la réalité et tandis qu'il dévalait le long de son échine, il lui permit de reconquérir ce que sa mémoire entendait lui dérober de sérénité. C'est que le temps écoulé, s'il avait aidé à la cicatrisation des chairs, n'était pas parvenu à combler le vide qu'un mal impérieux avait creusé dans son cœur. Certains fantômes, en effet, demeuraient invariablement tapis dans l'ombre. Ils paraissaient même capables de s'y épanouir avec le féroce d'un despote qui aspirait à rendre ses tourments éternels. Un mot, un parfum ou une simple sensation, suffisaient alors à réveiller leur appétit quand bien même il ne restait plus rien à dévorer.

Ainsi, la jeune femme se sentait dépourvue de force quand elle s'imaginait le sirupeux de son devoir. Sourire, s'incliner, se dissimuler derrière quelques belles paroles savamment choisies pour ne rien laisser paraître de son mal-être. Feindre, toujours et encore, ce contentement melliflu qui en était venu à l'écœurer. Ce n'était pas ce à quoi elle avait aspiré un jour. Ce n'était pas non plus ce que ses rêves lui avaient donné à espérer de son avenir. Fallait-il donc qu'elle devienne ce tableau sans saveur dont les couleurs avaient gelé dans le marbre d'une froide demeure ? Pouvait-elle admettre l'inéluctable de ce que les dieux avaient choisi de lui faire endurer ?

Elle avait cru son bonheur à portée de main et avait caressé son esquisse sans réserve. De toute son âme, elle avait souhaité l'étreindre, mais finalement elle n'avait fait qu'effleurer un mirage. Elle était bien née et cela aurait dû contenter l'exigence d'un tempérament nourri par le feu d'une inflexible volonté. Pourtant, aucune étoffe précieuse, ni aucun diamant scintillant n'était parvenu à éteindre les flammes de sa révolte. Et cette colère qui rognait, rongeait et ravageait tout ce qu'elle avait été, continuait de bouillonner au plus profond de son être.
Ainsi Esmée avait grandi, cela ne faisait aucun doute. Le moineau avait connu la prison d'un hiver autrement plus cruel que le gel. L'enfant en était ainsi venue à détester l'onirisme bienheureux de son innocence. Elle l'avait fait pour enfin admettre le drame d'une vérité implacable et destructrice. La Fange sans aucun doute s'était acharnée à lacérer tout ce qu'elle avait aimé, mais c'était finalement dans le merveilleux d'un ciel d'été qu'Esmée en était venue à abandonner ses espoirs.

- Pichate ed' baudet ! Ché d'sacrés bestiaux qu'v'la là. Et j'cause pas d'les canassons.

Par-dessus l'épaule de la jeune noble, Javotte voulait partager son enthousiasme, mais la Vicomtesse demeurait silencieuse et immobile. L'esprit ancré aux songes de son passé, elle semblait perdue dans ses pensées tandis que son regard accrochait les sombres prunelles qui s'étaient relevées vers la fenêtre. Il n'était ni jeune, ni beau. Il n'avait pas même la prestance de son probable seigneur, mais il l'observait d'un œil froid et inquisiteur. Des ennuis à venir, une dispute à éviter et quelques précautions à appliquer drastiquement. L'avertissement se voulait tacite, alors même qu'une voix chargée de brusquerie s'élevait depuis le porche pour exiger l'hospitalité. Corburg... Le nom avait probablement alimenté quelques rumeurs auxquelles Esmée, trop jeune, n'avait pas prêté attention. Elle se maudissait aujourd'hui d'avoir été si désinvolte. À l'époque son attention et tout son intérêt n'étaient acquis qu'à un seul.

- Trouve le Comte.

Sa propre voix lui parue lointaine alors qu'elle s'adressait à la domestique. Son verbe avait néanmoins été suffisamment sec pour qu'aucune objection ne vienne le contredire.

- Hâte-toi et ne te laisse pas distraire.

Protégée par le prestigieux de son nom, Esmée n'avait probablement rien à craindre de ses visiteurs. Pour autant, l'urgence demeurait et en l'absence de son père le Comte, elle était responsable de ses gens. Une réalité qu'elle n'avait pas eu à assumer quand sa mère dirigeait la maisonnée d'une main d'experte, mais qui lui incombait désormais qu'elle n'était plus en vie. Ce constat, frappé de nostalgie, distilla un goût de cendres dans sa bouche tandis que sa langue s'empesait d'une insipide saveur de terre. Par les Trois, fallait-il à présent qu'elle se sente angoissée ? Au milieu des affûtiaux qui décoraient la demeure, la Vicomtesse n'avait pas le choix de l'ornement.

Finalement résolue à tenir un rôle dont elle ne voulait plus, Esmée quitta son point d'observation pour dispenser ordres et consignes aux rares personnels qui demeuraient à Choiseul. Il fallait en effet préparer chambres et banquet pour des visiteurs qui se montraient attachés à quelques vieux principes malmenés par le Fléau. Cette tâche accomplie, elle profita d'un court répit pour apprécier le reflet que lui renvoyait un miroir suspendu à un pas du hall d'entrée. Dépourvue d'apparat, sa robe filigranée d'argent avait l'élégante sobriété du ménagement. Une coupe soignée qui épousait son corps avec une trop juste précision. Ses yeux d'or tout juste satisfaits, elle vérifia l'état de sa coiffure et considéra son chignon assez strict pour correspondre aux exigences de l'Etiquette. Ne restait plus qu'à sacrifier aux devoirs d'une hôtesse dévouée en faisant bon accueil aux visiteurs qui, à défaut de s'être annoncés quelques jours auparavant, avaient fait l'effort de convenablement se présenter.

Ses plus proches serviteurs sur les talons, elle descendit les marches menant à l'entrée et attendit que les portes s'ouvrent sur les chevaliers et leur meneur. Javotte ne tarderait pas à revenir accompagnée du Comte de Sabran. En attendant, elle ferait de son mieux pour satisfaire aux devoirs qui incombent normalement à une maîtresse de maison.

- Messire de Corburg, Messieurs, soyez les bienvenus à Choiseul. Si vous voulez bien vous donner la peine. Elle les invita à entrer alors que derrière elle, les serviteurs formant la maisonnée s'inclinèrent avec révérence. Je suis Esmée de Sabran, mon père le Comte ne tardera pas à se joindre à nous. Le temps pour vous de prendre vos aises et de profiter de la chaleur d'un feu qui ne tardera pas à vous réchauffer. Pour des raisons de sécurité évidentes, nous avons établi nos pièces de vie à l'étage. Permettez donc que je vous remercie d'ores et déjà pour la diligence avec laquelle vous vous efforcerez d'appliquer nos règles de vie.



Dernière édition par Esmée de Sabran le Ven 15 Avr 2022 - 13:45, édité 2 fois
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MessageSujet: Re: Croassement à Chanteloup - Icare et Esmée de Sabran   Croassement à Chanteloup - Icare et Esmée de Sabran EmptyVen 8 Avr 2022 - 21:07



Il n’était pas difficile de comprendre pourquoi les Sabrans étaient venus se réfugier en de tels lieux : Choiseul n’était à coup sûr, plus la pavillon de chasse qu’il avait put être avant la Fange, mais il restait un manoir confortable, loin des vicissitudes de la cité et de son atmosphère vicié. Mederich apprécia d’instinct l’endroit, il lui rappelait Corburg, du moins, sous certains aspects. Cette comparaison était un curieux mélange entre bonheur et malaise, comme à chaque fois que le Comte repensait à cette époque béni qu’était le temps d’avant.

Il aurait pu vivre ici, se retirer du monde et de ses turpitudes, chasser, boire, forniquer et reboire jusqu’à que l’âge, la folie, ou la Fange ne l’emporte. Un bien bel avenir, sans conditions, sans devoir et responsabilité. Il finirait noyé dans l’alcool, dévoré par un Fangard, avant de revenir hanté ces lieux, véritable Seigneur de la non mort, liche régnant sur un enfer damné. Un programme qui aurait put lui convenir, si Mederich avait été forgé dans un autre temps, dans un autre fer. Mais la réalité était la suivante : le Vieux Rab était bien trop attaché à ses ambitions et à sa propre gloire pour n’en laisser qu’une part aux corbeaux. Ainsi, Choiseul ne serait jamais son tombeau.

A sa grande surprise, ce ne fut pas la Comte de Sabran qui vint à eux, mais une jeune donze, d’aspect frêle et au teint blafard, portant mises en racontaient bien long sur son statut. Elle se campa devant eux, se présenta, puis les accueillis.

Ces réflexions faites, tous se retrouvèrent dans le grand halls de la demeure ou s’affichait aux murs, les trophées de chasse de la famille logeante. Un décor sobre, sans fioritures et qui cherchait sans contexte à grimer la véritable fortune des habitants. L’or était toujours un refuge, mais la fortune d’un tiers ne se réduisait plus qu’à sa propre clinquante ; aujourd’hui, d’autres richesses se monnayaient tout aussi lourdement.

« Nous prendrons aises rapidement et tâcherons d’être de dignes hôtes Dame de Sabran. Vous n’en avez manifestement pas l’âge, mais vous l’êtes. Ne trainons pas, nous irons attendre votre Père prêt de l’âtre. Apportez donc de quoi sustenter mes hommes. »

La dernière phrase du Vieux Rab s’adressait aux domestiques de la maison, qui bien que non à son service, lui devaient obéissance. Mederich se comportait comme il l’avait toujours fait, en digne sang bleu. C’est les chausses et les braies crasseux, la mine renfrognée, que la sale troupe, prit la direction des étages sans se soucier de l’état des tapis et des sols. Guidé par la chaleur et les flammes, ainsi que par les signes avisés des domestiques, Mederich, accompagnant Ésmée de Sabran, se rendit en direction d’un petit salon, digne de réceptions.
Il s’installa dans un fauteuil qu’il s’octroya comme étant le sien. Poussa un profond soupir et prit un instant pour nettoyer d’un chiffon malpropre, un pan de son armure recouvert du sang malingre et reconnaissable entre mille, celui de la Fange. Il ne faisait pas grand importance du lieu, mais la tâche lui semblait importante.

«  Voici des jours que nous n’avons pu prendre confort et repos. Votre demeure est la première maison digne que nous croisions depuis notre arrivé au Labret. Vous nous faites honneur Dame. Puis je me quérir des occupations qui retiennent votre Père en cet instant ? J’aurais apprécié pouvoir lui faire même compliment. »

Manifestement, on pouvait ressentir toute la bile qu’éprouvait le Vieux Rab en cet instant.




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MessageSujet: Re: Croassement à Chanteloup - Icare et Esmée de Sabran   Croassement à Chanteloup - Icare et Esmée de Sabran EmptySam 9 Avr 2022 - 10:41
La boue accrochée aux bottes des hommes d'épée ruinait le splendide des tapis à chacun de leur pas. Esmée se garda cependant d'émettre la moindre objection alors qu'elle avait saisi le caractère sourcilleux de son principal invité. Corburg avait visiblement le tempérament sec et orgueilleux. Très certainement habitué à dresser ses gens aux horions, il se montrait également invasif au point d'ordonner sous le toit d'un autre. Un homme de tête, à n'en pas douter, qui avait eu le temps de vieillir avec ses défauts. Trouver quelques sujets exaltants à débattre avec un tel butor ne la forcerait qu'à la réflexion inutile. La Vicomtesse se pensait suffisamment éclairée pour saisir le désintérêt dans l'attitude et les propos de ce trop noble envahisseur.

Prenant néanmoins place sur le siège qui faisait face à celui qu'il venait de s'arroger, elle tempéra le calleux de sa pensée. L'homme avait surtout l'air fatigué et las. Installé dans un fauteuil au tissu précieusement floqué, il dénotait indubitablement par le rustre et la rusticité de ses manières. Sans doute était-il déçu d'avoir affaire avec une femme qu'il estimait trop jeune pour savoir diligenter sa propre maisonnée. Certainement même se jugeait-il trop vieux pour accorder du crédit à une "enfant". Il avait cette même allure périmée, mais fière que feu son grand-père et ce constat, amena Esmée à le considérer avec respect.

- Monsieur le Comte s'efforce de garder son domaine en sécurité. Les créatures nées du Fléau n'ont de cesse de malmener nos barricades. Monsieur mon père s'oblige donc à quotidiennement vérifier leur état. Sa présence régulière auprès de ses gens d'armes est appréciée comme essentielle. Après tout c'est à vous, Seigneurs et héritiers des nobles traditions, qu'incombent la charge de montrer l'exemple d'une courageuse volonté.

Elle accompagna ses mots d'un sourire dépouillé de malice, avant de porter son regard sur l'armure salie par le sang de la Fange. Elle n'eut aucun mal à en reconnaître l'aspect écorcé et malade. Lors du couronnement, à l'occasion des tragiques événements dont elle avait été un trop proche témoin, Esmée avait constaté sa texture viciée et putréfiée. Elle se souvenait encore de son odeur gâtée et nauséabonde, et de l'horreur que sa pestilence lui avait alors inspiré.

- L'apparition de la Fange ne nous laisse que peu de répit. La vigilance et l'affairement nous sont aujourd'hui plus qu'essentiels. Notre survie en dépend et il est triste de constater comme certains oublient leur premier serment dans l'oisiveté.

Derrière elle les domestiques se déployaient pour satisfaire aux demandes des invités. Du bois fut ajouté au feu déjà crépitant dans l'âtre, des pichets de vin trouvèrent leur place dans les mains tendues des chevaliers. Bientôt un plateau de victuailles fut déposé sur la table dressée dans la pièce attenante et un autre fut offert au vieux Comte.

- Cela tient alors de notre satisfaction que de pouvoir dignement vous recevoir, d'autant que vous semblez avoir fait mauvaise rencontre.

D'un geste appliqué de la main, elle appela un domestique à approcher.

- Laissez. Elle pointa du menton vers le tissu déjà sale qu'il tenait entre ses mains. Sébaste va s'occuper de cette tâche pendant que vous prendrez un peu de temps pour vous sustenter. Il le fait pour mon père et se montre soigneux, je vous l'assure.

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MessageSujet: Re: Croassement à Chanteloup - Icare et Esmée de Sabran   Croassement à Chanteloup - Icare et Esmée de Sabran EmptyJeu 14 Avr 2022 - 13:43



C’est avec grande et forte attention que Mederich se laissa happer par les explications on ne peut plus détaillées de la jeune femme. Voila trop longtemps qu’il n’avait eu l’occasion d’évoluer en digne compagnie ; les semaines passées avant son départ furent méandriques: un enchainement inenterrompu de problèmes, de beuverie sans fondement et de présence masculine sans jugeote engoncé dans des kilos d’acier. Le Vieux Rab s’était tenu éloigné des hautes sphères depuis tellement de temps, qu’il en avait presque oublié l’étiquette. Une chose qui d’ailleurs, ne lui avait jamais vraiment tenu à coeur même durant les années ou il était à la tête de Corburg. Lui et les siens n’avaient jamais eu la réputation d’être de fins parleurs et des hôtes de bonne compagnie.

Mais ici, à Choiseul, un pan entier d’une réalité passée, incarné tout entière par la jeune Dame de Sabran, vint le frapper avec violence en pleine caboche. Dans l’intimité de ce petit salon qui fleurait bon la fumée, l’odeur rance des tapisseries et les résidus d’eau de parfum ancien, on aurait put penser qu’à l’extérieur, le monde n’avait pas sombré. Une chimère au goût acre que le Vieux Rab se surprit à apprécier l’espace d’un instant. Il choisit alors d’oublier consciencieusement et pour un temps seulement, la Fange et la lie de l’humanité qui s’ébrouait au dehors. Allant jusqu’à considérer le sang noirâtre qui serpentait sur son armure comme totalement inexistant.

D’un signe de tête, Mederich consentit à ce qu’on s’occupe de lui. Dans la foule de domestique qui se mit en branle, entre les mets et les liquides précieux, les Hardis Roukiers prirent leurs aises comme une bande de rats nichant dans le cellier. Le Comte quant à lui, se laissa désarmurer et entre les mains expertes du dit Sébaste, il se retrouva bientôt en mise de lins et de laines, son tabard affichant fièrement les armoiries de Corburg. Il n’avait pas enlevé ses protections depuis des jours, et l’odeur qui s’en chassa fut, à ne pas douter, des plus désagréable. Mederich se saisit d’un verre, lampa en salivant et reprit place.

«  La rumeur au sujet de votre Père semble donc fondé, on m’en avait dit grand bien et forcé de constaté, que vos dires confirme mes attentes. Rare sont les hommes vrais à remplir encore leur devoir comme il se doit. J’attendrais donc se retour avec patiente. »

Aussi rapidement que la bile lui était monté à la gorge, elle s’enfuit pour trouver refuge dans les antres les plus sombres de son être. La Dame de Sabran avait sut en quelques phrases lui ôter le mal de la bouche. Peut être était-ce lié à la fatigue du voyage, ou au relatif confort que lui offrait actuellement, le temps d’une soirée, la noble demeure. Le Comte de Corburg s’était sans douter laisser emporté par la dureté ambiante, mais maintenant, il ne se sentait plus réellement d’humeur revancharde. Une grande lassitude s’était emparé de lui ; assis ainsi dans un fauteuil luxueux, le Vieux Rab semblait être rattrapé par les affres du temps et des épreuves qu’il avait traversé. Un oeil observateur aurait put sans conteste le comparer à une relique, prêt à retourner à la poussière.

« Nous avons fait mauvaise rencontre au Sud de Genevrey voila quelques jours. Nous nous rendions à Salers pour y acheter bon minerais et voici donc la raison de notre présence en votre demeure. J’ai perdu deux chevaliers et nous avons tous subis blessures et malaises. Mais c’est la notre quotidien jeune Dame, comme vous devez vous en douter. »

Mederich sentait que cette lassitude était partagé par tout les membres de la maison Sabran. Eux aussi avaient traversé leur lot de malheur, des blessures récentes qui ne devaient sans conteste, pas être totalement fermé.

«  Sachez Dame de Sabran, que je partage votre peine. On disait aussi grand bien de votre mère et de vos frères. Terrible perte, mais ce monde est devenu terrible. J’étais moi aussi présent ce funeste jour et si mes souvenirs sont bon, on vous a dit disparue. Et pourtant vous voici, ici, dans cette grande demeure. N’est ce pas un peu éloigné de la cour de Marbrume pour une jeune femme de votre rang ? A part vos domestiques, vous ne devez pas croiser bien grand monde. Et je ne suis sans doute pas le plus honorable des hôtes à vous rendre visite. »

Le Comte de Corburg vida son verre d’une traite et plongea ses grands yeux caverneux de ceux de la jeune femme. Il la jugeait, ostentatoirement, il s’enquerrait de sa dureté face aux évènements, face à la vie elle même.




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MessageSujet: Re: Croassement à Chanteloup - Icare et Esmée de Sabran   Croassement à Chanteloup - Icare et Esmée de Sabran EmptySam 16 Avr 2022 - 1:11
L'homme avait l'air las, fatigué par les épreuves et par la vie elle-même. Installé dans un fauteuil trop précieux pour s'accorder avec ses vêtements élimés, il paraissait même prêt à rendre l'âme. L'espace d'un instant, Esmée le contempla avec pitié, pourtant le portrait de son abnégation avait de quoi forcer l'admiration. Corburg était à l'image de ces vieux champions dévoués au serment dont ils devenaient finalement les victimes. Il mourrait avec bonheur, plutôt que de voir sa bravoure et son honneur moqués. Ainsi abîmé par le devoir qui pourtant le gardait en vie, il avait le visage gravé de rides profondes. Des craquelures, des creux, parfois des entailles dont le dessin sinueux aidait à rendre ses traits disgracieux. Pourtant, la Vicomtesse lui trouvait le beau de l'apologue. Celui qu'aucun mot ne parviendrait jamais à simplement décrire.

Son sourire toujours présent tandis qu'il lui partageait son opinion, Esmée s'efforça de ne pas paraître trop incommodée par l'odeur âcre qui envahit la pièce quand on le délesta de son armure. Sébaste, lui, ne plissa pas même le nez. Visiblement habitué au traitement que les combattants et leur déplorable hygiène réservaient à son odorat, il se mit à la tâche comme si de rien n'était. Bien moins accoutumée à une telle agression olfactive, la Sabran s'offrit un moment de répit en plongeant tête et regard dans le fumant d'une tasse de thé. Par les Trois ! Depuis combien de temps n'avait-il pas pris un bain ?

Fermant les yeux pour mieux s'aider à retrouver un peu de sa contenance perdue, elle se laissa happer par l'égrillard des Roukiers qui prenaient visiblement leurs aises. Les hommes d'armes ne semblaient ni incommodés par le rustique des lieux barricadés pour se protéger de la Fange, ni non plus gênés par l'absence du maître de maison. Même Corburg se montra plus affable et finalement Esmée en revint à son observation. Ses yeux s'ancrèrent aux prunelles délavées par les épreuves et alors même qu'il devisait, elle s'imagina son portrait seulement fait de cendres. Cette vision, qu'elle contemplait d'un oeil éteint par le cruel d'une réalité désormais coutumière, l'amena à un triste constat. Rien ne durait jamais.

Toujours était pourtant ce mot qu'elle avait osé prononcer un jour. Elle y avait cru. Aussi sûrement qu'elle croyait en les quelques paroles prononcées par le vieux noble ; Icare de Sabran était un homme de bien.

Comme pour souligner ce propos de son accord, Esmée acquiesça. Son père avait toujours sacrifié à son bien être. Il s'était occupé de la mettre en sûreté après les événements du 1er mai. Il avait veillé à la rassurer quand elle avait compris son funeste sort. Plus que tout, il ne l'avait pas abandonnée et demeurait, aujourd'hui encore, le pilier inébranlable de son monde dévasté. Elle avait foi en lui plus qu'en tout autre. Cependant et quand bien même le discours du Comte de Corburg lui paraissait parfaitement accompli, il lui sembla capter une étrange dissonance dans ce qu'il lui livrait de politesses. Elle avait été portée disparue ?
Un léger froncement de sourcils accueillit cette information qui ne pouvait qu'être erronée. Sans doute le vieil homme avait-il mal saisi une rumeur. Certainement n'avait-il pas compris une annonce. Ou alors il avait seulement confondu une donnée avec une autre. Esmée avait retrouvé le chemin du manoir Sabran le jour même de l'attaque. Elle était arrivée avant la nuit et n'avait jamais été portée disparue. Déclarée blessée, mais sauve. Au pire avait-on pu dire d'elle que la Vicomtesse de Sabran souffrait d'une trop forte fièvre pour se porter au chevet des victimes. Elle était en effet demeurée à demi inconsciente pendant plusieurs jours et ne s'était éveillée que pour se remémorer les cris et la démesure de l'inimaginable attentat.

- Je suis sûre que le Comte de Sabran se hâtera de nous rejoindre dès qu'il aura réceptionné la nouvelle de votre visite. Se contenta t-elle de répondre presque machinalement, avant de s'offrir une gorgée de thé. Il est vrai que nous ne recevons que peu d'invités ici. Comme vous l'avez très justement souligné, les événements qui ont funestement marqué le couronnement de notre cher Souverain, nous ont tout particulièrement éprouvés. Ma mère... Mes deux frères... Elle marqua une pause, laissant le nostalgique d'un regard illuminé d'or se souvenir de leurs visages. Mon père a choisi de vivre son deuil pleinement. Loin de la cour et de son tumulte. Loin de son faste et de son indifférence. Je n'ai pu que m'accorder avec cette décision.

La jeune femme avait veillé à garder un ton égal, neutre, presqu'indifférent. Un frisson n'en dévala pas moins le long de son échine. Elle n'avait jamais été douée pour mentir et le souvenir des traitements infligés à sa blessure demeurait tout particulièrement vif. À ce point acéré qu'elle sentit chacun de ses muscles se crisper, tandis que son dos se creusait pour l'aider à mieux se redresser. L'illusion aurait pu paraître parfaite, si seulement elle n'avait pas baissé les yeux sur sa cheville. Cherchant alors à rattraper ce malheureux réflexe, elle noya son impair dans un sourire. Sa mâchoire resserrée peina toutefois à se dénouer et ses lèvres pourtant charnues demeurèrent tristement amincies.

- La Fange nous a déjà trop pris pour que nous lui abandonnions également notre dignité. Elle inclina légèrement la tête pour apporter plus de crédit à son discours. Cependant, trop peu certaine d'avoir réussi à détourner la conversation, elle s'obligea à la flatterie avant d'ouvrir la discussion vers un autre sujet. J'entends et constate avec plaisir que vous partagez cet avis. Je n'en reste pas moins navrée pour la perte de vos deux chevaliers. J'imagine pourtant leur sacrifice nécessaire.

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MessageSujet: Re: Croassement à Chanteloup - Icare et Esmée de Sabran   Croassement à Chanteloup - Icare et Esmée de Sabran EmptyMer 20 Avr 2022 - 13:22



«  Des malotrus, rien d’autres, mais possédant un coeur vaillant. Ils n’avaient ni femmes, ni enfants, aucunes familles, ils ne manqueront à personne et on donné leurs vies, pour du fer. »

Mederich cracha ces mots avec la même lassitude d’on il était atteint depuis que son arrière-train s’était enfoncé confortablement dans la chaise rembourrée aux nombreuses reliures dorée et aux somptueux tissus. Son âme était dur à mal, même en un tel lieu, loin de l’agitation du monde extérieur et dans cette ambiance sécuritaire chimérique ; le Vieux Rab n’arrivait jamais réellement à ce délester du poids de la réalité. Il n’appréciait pas grandement ses hommes, surtout les nouvelles recrues qui étaient en majorité des parvenus et des opportunistes essayant de ce tracer un glorieux sillon dans son propre sentier. Pourtant, aussi durement que c’était avouable, ils avaient en partis besoin d’eux ; depuis les évènements du couronnement, son Ordre avait payé le prix fort, et Corburg un prix insoutenable.

«  Voici à quoi nous sommes réduis aujourd’hui Dame de Sabran, offrir des vies à la Fange en échange de ressources. Si nous n’agissons point, viendra le jour, ou même pour l’air que nous respirons, nous devrons offrir notre lot quotidien de vie à la Fange. Ces pertes sont bien dérisoires en comparaisons des votres, mais ces hommes sont mort pour que d’autres accomplissent un dessein plus grand. Comme le fait actuellement votre père, ce monde finira par appartenir aux braves ayant décidé de ce battre pour le conserver. »

Sur cette inspirée tirade, le comte vida d’une traite un second verre avec l’habilité d’un homme en ayant déjà bien trop descendu dans son existence. Il avait été un alcoolique notoire et avait réussit à chasser ses démons, mais dans les ombres de sa conscience, le mal se trouvait toujours caché. Signant pour qu’on lui remette son frère cadet, il ne prit même pas un seul instant pour juger la qualité du breuvage, se contentant de lever le coude. S’époussetant le trop plein qui gouttait dans sa moustache, il ne réussit point à épancher la cascade qui dégoulina dans sa barbe drue avant d’aller s’écraser au sol sur le tapis. L’âtre vrombissait sous les coups des bourrasques qui s’enfournaient avec violence dans le conduit de cheminé ; les flammes lui léchait presque les joues et lui rougeoyait les tempes.

«  Enfin, voila de bien sombres paroles dans un bien bel endroit. Ne soyez pas offensé par les mauvaises manières d’un vieil homme que l’existence à tanné. Je suis parfois las, j’appartiens à un monde qui n’existe plus. Mais vous, Dame de Sabran, vous êtes l’avenir. C’est sans doutes pour vous, que votre Père le Comte et moi même nous nous battons au fond. Veuillez donc m’entretenir de vos agissements, de vos distractions personnels. Quels peuvent être les occupations d’une jeune dame de noble sang en ces lieux ? Outre le fait d’être disparue, ce qui convenons en, n’est point très distrayant. »

Mederich souhaitait réellement s’entretenir de tels faits, mais en bon tacticien, il souhaitait surtout gratter à la surface d’un mystère qui venait de le prendre. Pourquoi donc avoir choisit d’annoncer en cité de Marbrume que la jeune Esmée était introuvable alors que manifestement, elle se trouvait bien vivante à Choiseul ?  Le Vieux Rab aurait le fin mot de cette histoire.





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MessageSujet: Re: Croassement à Chanteloup - Icare et Esmée de Sabran   Croassement à Chanteloup - Icare et Esmée de Sabran EmptyMer 27 Avr 2022 - 17:20
L'esprit toujours en proie au malaise, Esmée s'efforçait de ne surtout rien laisser paraître de ses pensées. Ainsi, elle s'accrocha aux explications du vieux noble sans tenter de l'interrompre. Au contraire, elle opina du chef pour appuyer chacun de ses propos et s'osa même à encourager sa conversation en le questionnant du regard. Pourtant ses yeux d'or demeuraient éteints. Happés par le souvenir que les paroles du vétéran continuaient d'attiser, ils contemplaient ses trop rudes manières sans plus s'émouvoir. En d'autres temps, à une époque désormais lointaine, sa mère aurait sûrement frémi en voyant le vin imprégner le faste d'un tapi dont la valeur s'était dépréciée avec la famine. Cette période aujourd'hui révolue - comme le soulignait si justement le Comte de Corburg - le précieux se trouvait aujourd'hui dans les quelques ressources qui, souvent payées au prix de plusieurs vies, permettaient la triste survie de l'humanité. La nourriture, le bois, le minerai et oui, qui sait, peut-être également un jour l'air qui gonflait présentement sa poitrine d'un trop lourd soupir.

- Bien que sombres, vos paroles ont le mérite de sonner justement. Il n'y a aucune offense à dire la vérité, au contraire. Soyez donc rassuré Messire, je ne me sens nullement incommodée. Ni par vos mots, ni non plus par vos manières. Quant à ce lieu... L'esquisse d'un sourire amusé vint tirer sur le coin de ses lèvres. Il se trouve bien loin de la Cour et de ses minauderies. Comptez d'ailleurs sur ce fait pour ne pas vous soucier d'une Etiquette trop déclamatoire. Après tout, Chanteloup n'a toujours été qu'un pavillon de chasse.

Toujours dignement installée sur son siège, Esmée s'obligeait à conserver le masque de sa bienséance affiché sur ses traits. Elle était jeune. Cela ne faisait aucun doute. Elle était également naïve ou plus justement idéaliste. Cependant, la Sabran avait oublié d'être sotte. Pour la deuxième fois, Corburg avait mentionné sa disparition et s'il l'avait d'abord fait directement, il venait à présent d'initier la question d'une manière bien moins frontale. C'était alors que le sujet l'intéressait, mais pourquoi ? Y avait-il un lien à chercher avec sa visite non annoncée ?
Pensive, Esmée ne pouvait que s'interroger. Si le vieux Comte ne faisait pas erreur et si elle avait effectivement été portée disparue, il y avait peut-être matière à creuser. Cela faisait plusieurs mois qu'elle séjournait au Labret. Bien sûr, elle avait d'abord été contrainte de demeurer cloitrée. Cependant, depuis sa pleine rémission, elle ne s'était jamais cachée et les gens du plateau savaient sa présence à Choiseul. Les propos de Corburg n'avaient alors aucun sens à moins que...

Un léger froncement de sourcil accompagna sa réflexion d'une once de contrariété. Qui donc aurait pu la prétendre disparue ? Son père ? Il n'avait aucune raison d'affirmer une telle chose. Marin ? ...

L'idée s'insinua en elle avec une telle évidence que son coeur en rata un battement. Elle n'avait pas revu son promis depuis les événements du 1er mai. Il n'avait pas cherché à la revoir après l'attaque et ne s'était pas même donné la peine de répondre à ses courriers. Fallait-il alors qu'elle soit surprise en imaginant son désintérêt totalement invétéré ? Elle réalisa sa bêtise dans un souffle couronné d'amertume. Pourtant, le rire qui voulut marquer son désenchantement resta coincé dans sa gorge. Il se noua autour d'un chimérique espoir et s'arma, comme depuis toujours, d'un méprisable sursaut romantique pour contredire une pensée pourtant logique. Marin aurait été fou de ne pas chercher à rompre leur engagement. Fou et stupide quand il lui suffisait de la prétendre disparue pour briser leurs fiançailles et s'offrir une nouvelle vie.
C'est alors que la vision toute infernale du Corburg et de sa face rougie par le feu prenait la valeur d'une parfaite distraction. L'homme et ses manières toutes rustiques figuraient un évident exutoire. Le cautère bilieux d'un esprit torturé qui cherchait sa rédemption dans le misérable d'une autre existence. Elle n'était finalement pas à plaindre... Si ?

- J'imagine que certains de nos pairs conçoivent la vie au Labret comme une forme de disparition. Ce qui est finalement assez ironique. Elle esquissa un fin sourire, avant de déposer sa tasse de thé sur un guéridon prévu à cet effet. Le plateau et son exploitation sont essentiels à notre survie. Notre Roi l'a très bien compris. Il y a donc de quoi faire ici, même pour une toute jeune dame de noble sang. Tout en allant se caler contre le dossier du large fauteuil, elle laissa ses doigts se délier sur l'accoudoir du précieux siège. Elle avait vu sa mère faire ainsi et s'était toujours étonnée de la voir prendre ses aises, avant de déployer d'implacables arguments. Comme je vous l'expliquais, monsieur mon père, le Comte de Sabran, est occupé sur le terrain. Il réhabilite des fermes et sécurise quelques parcelles pour permettre leur bonne exploitation par les courageux venus s'installer ici. Je m'efforce alors de convenablement administrer le métayage de ces terres que nous mettons en location.

Le bruit de quelques pas dans le couloir finit par attirer son attention et alors qu'elle tournait la tête pour interroger du regard le domestique qui se présentait, ce dernier s'inclinait déjà pour annoncer l'arrivée du maître de maison.
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MessageSujet: Re: Croassement à Chanteloup - Icare et Esmée de Sabran   Croassement à Chanteloup - Icare et Esmée de Sabran EmptyMar 3 Mai 2022 - 14:05



Bien qu’elle puisse sembler jeunettes, à l’âme douce et au port altier, pleine de niaiserie et d’innocence, Mederich n’était point dupe. Il se cachait quelque chose de sombre dans la Dame de Sabran ; une chose bien plus coriace et dure que ne pouvait laisser l’entendre ses bonnes manières et sa frimousse aux trop peux d’hivers. Sans doute était-ce la le mal de sa génération, avoir trop peu vécu dans l’ancien monde et s’être bien trop construit dans le nouveau. Une chose regrettable en tout point, mais qui au final, faisait de la jeune Ésmée, une femme de la haute, tout à fait fréquentable selon ses standards.

Elle n’était pas comme toutes la foule de minaudes en quêtes perpétuel de gloire, de faste, d’apparat. Elle ne se vautrait pas dans la luxure et la paresse, choisissant de laisser les autres trimer à sa place. Ô pour sûr qu’elle n’allait sûrement pas jusqu’à mettre elle même les mains dans la terre ou la laine, mais au moins, avait-elle conscience de la réalité. C’était une bonne chose finalement, une très bonne chose. Le Vieux Rab avait horreur de ceux ne sachant pas qu’ils étaient devenus la proie. Ceux pensant encore bien trop fort, que la Fange n’était pas une réalité mais une chimère qui s’étendait juste à la lisière de leurs consciences et des murs qui les protégeaient. Les évènements du Chaudron furent assez expressif, une piqûre de rappel stipulant que le destin de l’humanité ne tenait toujours qu’à un fil et qu’aucuns murs ne pouvaient réellement stopper les non-morts.

Ô qu’il pouvait haïr ceux ayant choisit de vivre avec des oeillères.

«  Ne vous méprenez pas sur mes paroles ma Dame. Chanteloup me semble en vérité, un des rares havres de réalité. On m’avait dressé bon portrait de cette demeure et pour une fois, la rumeur fût à la hauteur. Un fait qu’on ne pourrait retourner à nombreuses des maisons se targuant de noblesse et siégeant sur l’Esplanade. »

Levant son verre à l’intention de la jeune dame, il fut à la limite de l’outrage quand il ne découvrit qu’un fond piteux de picrate dans celui ci. Quand avait-il vidé le dernier ? Avait-il réellement but aussi rapidement ? Décidant qu’il était bon pour lui d’arrêter maintenant, il plaça sa coupe sur un plateau et fit un signe de la négative quand un domestique lui proposa de le remplir à nouveau.

«  Vous êtes manifestement, bien plus débrouillarde qu’une grande partie des Dames de votre condition. Dans un certains sens, vous est moi, œuvrons pour un avenir meilleur en usant d’armes différentes. Votre père doit sans conteste être on ne peut plus fier de vous. J’engage qu’il conçoit bien belle dot à votre honneur. Ô mais, d’ailleurs, ne vous avez t’on point promis ? Il me semble avoir eu vent d’une futur union. Ou suis je dans le faux ? Ma mémoire n’est plus tout à fait ce qu’elle était. »

Mederich avait un doute réel, mais une ambition elle, bien existante. L’avenir sourit parfois aux audacieux et depuis que Corburg était tombé, il n’avait de cesse que de jouer d’audace afin de maintenir sa place. Alors qu'il réfléchissait avec hâte, des pas résonnaient non loin, quelqu'un arrivait.



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MessageSujet: Re: Croassement à Chanteloup - Icare et Esmée de Sabran   Croassement à Chanteloup - Icare et Esmée de Sabran EmptyLun 20 Juin 2022 - 23:13
De circonstancié, son sourire en vint à se figer. Certains sujets demeuraient sensibles quand bien même le temps avait atténué leur emprise sur le présent. Aussi laissa t'elle le silence s'installer. Elle lui offrit jusqu'à son souffle et retint sa respiration pour mieux avaler l'injure qui voulait crier sa blessure. Pour autant, l'avant-goût que cette visite imprévue lui offrait de ses futurs échanges se révélait formateur. Un mal pour un bien. Combien seraient-ils à dire leur amusement dans son dos ? Combien en viendraient-ils à mésestimer ses principes ou sa valeur ? Tous... Sans exception. Tous trouveraient dans cet improbable camouflet l'incontestable témoignage de sa disgrâce.

Lentement, son visage s'inclina pour lui permettre un nouveau regard vers le vieux noble. Ses cheveux hirsutes, le tremblement de sa lèvre encore humide d'alcool, son allure décrépite et le nauséeux de sa pensée qu'elle se figurait percevoir entre deux balbutiements. Tout, absolument tout en lui, en venait présentement à éveiller le monstre qu'elle savait enfoui au plus profond de ses entrailles.

Ainsi piquée dans ce qu'elle avait de prétention, Esmée se redressa sur son siège. Point de lame affûtée, aucune cuirasse de fer, mais un regard qu'elle savait bouillonnant de fierté. Elle le garda rivé sur le vieillard tandis que son menton se relevait pour lui conférer un air de juge. Elle n'avait rien oublié de ses enseignements et connaissait le tranchant des armes forgées dans le prestigieux de son ascendance. Ce qu'elle ignorait néanmoins et qu'elle n'avait jamais eu l'occasion d'éprouver jusque-là, résidait dans la satisfaction de se figurer comme un prédateur sous-estimé.

Le rictus sclérosé qui ornait ses lèvres se fana. Dans sa poitrine, les battements étonnement réguliers de son coeur entonnèrent un nouveau chant. Elle était calme, étrangement sereine alors même que le Corburg mettait en évidence les failles de son irréprochable portrait. Se portant alors au devant de toute nouvelle insinuation, elle prit appui sur ses coudes pour se pencher vers le vieillard.

Ses mains fines et trop délicates trouvèrent à se nouer pour supporter le dédain pendu à son menton. Elles s'en firent le socle résolument satirique, tandis que le carnassier d'un éclatant sourire en vint à s'épanouir sur ses lèvres précédemment scellées.

- Venez-en au fait Corburg. Nous ne sommes pas à la Cour et mon père ne se trouve plus qu'à quelques marches de ce que vous pouvez considérer comme votre chance. Alors, saisissez-la, si tant est que vous pensez votre bec suffisamment aiguisé pour impressionner l'enfant que je suis.

Ses sourcils s'arquèrent pour mieux mimer son amusement, avant qu'elle n'en revienne à sa posture initiale. Toujours occupés à vider pichets et plats de leur contenu, les "Hardis Roukiers" échangeaient visiblement quelques anecdotes qu'elle commenta d'un rire de gorge affligé. Sans plus se soucier de son principal invité qu'elle délaissa du regard, Esmée leva un verre emprunté au plateau d'un domestique pour lancer d'une voix parée d'assurance.

- À vous Messieurs ! Au Courage qui vous anime et à ce que les Dieux vous ont insufflé d'Honneur. Elle sourit, à présent debout pour boire son verre d'une traite à la santé des guerriers. Parce que ce monde finira par appartenir aux braves. Ajouta t'elle pour le Comte, avant de reporter toute son attention sur lui. Et qu'ils sont malheureusement devenus trop rares pour que nous en venions à évoquer la vermine. Un nouveau sourire glissa sur ses lèvres, avant qu'elle n'en vienne à répondre plus posément et d'un ton moins éclatant. Fiancé(e) et épousailles ont finalement été repoussé(e)s.





Dernière édition par Esmée de Sabran le Mar 19 Juil 2022 - 1:10, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Croassement à Chanteloup - Icare et Esmée de Sabran   Croassement à Chanteloup - Icare et Esmée de Sabran EmptyDim 26 Juin 2022 - 10:01
"Et ce que ma fille, trop aimable, ne vous dit pas c'est que Luynes est un couard." Icare l'affirme d'un ton sans appel, tandis qu'il pénètre dans la pièce. "Il l'a abandonnée à la Fange."

Les lèvres pincées, il jette un coup d'oeil de part et d'autre du salon. Son regard sombre s'intéresse d'abord aux chevaliers attablés, avant d'en revenir à sa fille et plus précisément au verre qu'elle tient entre ses doigts. Un froncement de sourcil accompagne le constat qu'il dresse de la situation avant qu'il n'en revienne à considérer Corburg de ses yeux noirs. Ce n'est pas la première fois qu'il à l'occasion de considérer sa silhouette cabossée. Le Sabran connaît la réputation de son homologue pour l'avoir plusieurs fois croisé lors d'événements mondains et à la faveur d'une joute ou deux. Le Comte "Corbeau" est un homme de terrain. Âpre et bien moins sot qu'il en a l'air. Son ambition lui a permis de gravir quelques marches difficiles, mais il demeure un réfugié dans le Morguestanc. Il l'est indubitablement, tout du moins pour le moment.

"Esmée ne doit sa survie qu'à l'intervention d'un brave. J'imagine alors que le sujet reste sensible pour une trop jeune âme."

Le maître de maison prend enfin place sur un siège traîné jusqu'à lui par deux serviteurs. Son manteau et ses armes sont très probablement restés dans l'entrée avec les protections qui ont gardé son corps à l'abri des mauvais coups. Cependant, il a gardé ses bottes atrocement sales aux pieds.

"Que nous vaut le plaisir Corburg ? J'ai la prétention de croire que vous n'avez pas fait tout ce chemin pour parler bagatelle avec ma fille ?"

Un fin sourire glisse sur ses lèvres tandis qu'il redresse le menton. L'amusement n'est pourtant pas ce qui colore ses paroles. Il est agacé, ou plutôt contrarié. Les récents intempéries n'ont pas aidé à l'avancement des barricades. Revenir ici en urgence l'a forcé à laissé ses gens sous le commandement d'un homme de confiance, mais il n'est pas tranquille. Icare aime diriger. C'est un fait que personne n'ignore ici, à Choiseul. Il n'a d'ailleurs pas besoin d'exiger pour qu'on lui apporter alcool et pain à l'ail.

Je vous écoute.



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MessageSujet: Re: Croassement à Chanteloup - Icare et Esmée de Sabran   Croassement à Chanteloup - Icare et Esmée de Sabran EmptyMer 13 Juil 2022 - 8:49



Piqué au vif que fut la donze, presque plein coeur à en juger ses réactions.
Pourtant, la Dame de Sabran dissimulait avec force de mesure sa réelle pensée, mais sous le fard et la bonhomie, se cachait un joyaux de haine et de souffrance ayant manifestement, laissé plus de cicatrices que voulut. Mederich pouvait le voir, lui qui vivait avec ses sentiments depuis bien plus longtemps ; on ne pouvait cacher sa peine à une âme condamné à l’errance pour le reste de son existence. Mais la jeune dame possédait encore une chance de rebondir, pour elle la vie n’était qu’à son début, une première marche cette difficile, mais franchissable. Il lui restait encore moult à découvrir, moult à faire, moult à expérimenter. Pour le Vieux Rab, plus de soleil radieux, plus de nouvelle aube, juste un reste à charge de gris et de nuages sombres qui s’amoncelait à l’avant.
Autant dire, rien de réjouissant, et pourtant, c’est dans se miasme, qu’il trouvait la force d’avancer, pressé par la hâte d’en finir pour de bon.
Le chemin restant, certes court, n’en restait pas moins praticable et Mederich avait bien l’intention de profiter de chacunes des intersections se présentant à lui. Choiseul aujourd’hui, lui semblait être un carrefour des plus agréable. S’apprêtant à déballer son avis sur le dit damoiseau, il fut stopper dans son élan par l’entrée du maître des lieux. Le Comte était venu.

«  Couard que ce faquin. » Commenta t-il dans une expiration sourde au sujet du bleuet malaisé.

L’irruption le surprit, mais pas assez pour qu’il ne leva son séant. Au contraire des Roukiers qui se tendirent du chef alors qu’ils batifolaient encore à l’instant avec les mets de la demeure tout en portant toast de la jeune dame. L’un en vint presque à lâcher sa chope, l’autre dut simplement retirer ses sales pattes du fessier d’une femme de labeur sur qui il avait placé son dévolu. Le calme revint comme un cheval au galop dans sa stalle.

«  Certes jeune, votre fille ne me semble point si sensible. Nos palabres échangés me font dire, qu’elle semble avoir hérité de la trempe qu’on dit votre. »

Prenant un instant pour dévisager son hôte, Mederich dut avouer qu’il était fort bel homme. Parangon d’un certain idéal, sans douter que minettes et minois se feraient plaisir de curer à la cour. Fier de posture, il se déplaçait avec la grâce du bretteur, de celui sachant manier la lame et possédait les genoux lésèrent arquer, marque d’une vie passer à cheval bien que les carnes se fassent rare aujourd’hui. En soit, il était tout l’inverse du Vieux Rab, mais ne disait-on pas que les opposés se complétât ? Cela restait à voir.

«  Soyez remercié Comte pour votre accueille. La Dame de Sabran à remplit son office de parfaite hôte, et s’il est vrai que j’ai point cheminé ici pour lui tenir crachoir, c’est néanmoins sans autres but que du repos que moi et les miens fîment halte à Choiseul. Oh, pour sûr, on m’avait déjà dit nombres sur votre demeure et je n’en suis point déçu, aussi aie-je profité de mon retour de Salers pour faire halte ici. »

Il prit un instant de repos pour s’humidifier les lippes à grand coup de liquide alcoolisé, un vin plutôt fin, originaire du cru.

«  Mais, maintenant que je me trouve ici, en si bonne compagnie, peut être puis je me laisser aller à quelques propositions . Que songez vous au sujet faire au sujet de la main de votre fille ? La considériez vous comme un parti à prendre aujourd’hui ? »

Osé qu’il était. Mais il ne disposait plus de beaucoup de temps au final, alors pourquoi le perdre ? Ses yeux torves, se posèrent dans les prunelles de la jeune Dame et revinrent dans celle de son père. Un sourire édenté se dessina sur son immonde faciès.



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MessageSujet: Re: Croassement à Chanteloup - Icare et Esmée de Sabran   Croassement à Chanteloup - Icare et Esmée de Sabran EmptyMer 20 Juil 2022 - 17:34
Bien qu'annoncée, l'arrivée du Comte laissa la jeune femme confuse. Étourdie par ce que sa colère avait fait naître en son sein, par ce qu'elle avait de force et par ce que son goût, décidément amer, lui inspirait de violence. Ainsi Esmée avait-elle découvert la haine et son nectar enfiellé. Deux poisons contenus dans ce qu'il lui restait de coeur et qui, invoqués par l'intermédiaire du souvenir, en étaient venus à se distiller dans ses veines. Sa pensée n'en était pas moins demeurée claire. Limpide même, lorsque ses yeux avaient reconnu la remontrance contenue dans le regard de son père. Elle avait dépassé les bornes et devait rapidement reprendre pied. Il le lui intima d'un imperceptible mouvement du chef, avant de prendre place pour s'arroger les rênes d'une conversation qu'elle avait alimenté d'un ton de fronde.
Sans plus rien ajouter au débat que le Comte s’efforçait de clore, elle reprit place dans le fauteuil précédemment abandonné à la mesure de sa révolte. Ses pensées néanmoins offertes au chaos de son existence sacrifiée, elle entendait chaque battement de son cœur trépassé comme les rugissement d’une bête en frénésie. Elle avait tout perdu dans l’injustice née de son altruisme. L’abnégation consentie à ce qu’elle chérissait de ses valeurs, voulait alors brûler jusqu’à son humanité. De cette oblation mal consentie, Esmée ne tirait finalement aucune satisfaction. Ni contentement, ni consolation, ni triomphe, ni fierté. Rien, sinon le vide et l’absurde de ce qu’elle avait un jour considéré comme ses rêves.

Mâchoires et dents serrés sur ce constat, la jeune femme n’en voulait pas moins prétendre à un nouvel avenir. Une vie différente et affranchie de ce que sa naissance estimée privilégiée lui imposait. Dans cette quête devenue essentielle, la noble se figurait pouvoir trouver les réponses à tous ses questionnements. Elle imaginait également son existence plus détachée des considérations inhérentes à sa caste. Au Labret, bien peu de gens se souciaient de la juste profondeur d’une révérence. Ici, il n’était pas non plus question de prestige ou de gloire. Le pouvoir ne s’inspirait pas des mêmes obligations. L’influence n’avait pas d’ambition. Tout du moins, Esmée s’en persuadait.

Son regard se porta par-delà la silhouette du Corburg, vers les quelques portraits affichés aux murs du salon devenu trop petit. Au-dessus des mèches hirsutes et grisonnantes du vieux noble, les figures de quelques ancêtres glorifiés voulaient la considérer avec jugement. L’appétence n’était pas qualité estimée féminine. Leurs yeux mornes et peints l’affirmaient aussi sûrement que le confirmait le ton condescendant employé par son père. Sensible et trop jeune. Combien de fois lui faudrait-il encore acquiescer à l’ébauche de cet imposteur tableau ? Bientôt cette excuse ne suffirait plus. Elle ne pouvait déjà plus duper l’épouvantail seigneurial qui s’était invité dans leur demeure. Ce dernier avait indéniablement vu les failles dans la façade entretenue de mensonges. Il en avait même creusé l’aspérité pour en exhumer le repoussant.
À la faveur d’un contre-jour qui le faisait paraître plus disgracieux encore qu’il ne l’était, Esmée observa le vieil homme. Son faciès torturé par l’âge et son profil tourmenté par les épreuves s’animaient de mimiques dérangeantes. Il réfléchissait, observait et cherchait à s’inviter dans l’esprit de ses interlocuteurs pour tirer profit d’une situation qu’il avait constaté opportune. Cependant, toute jeune qu’elle était, la Vicomtesse ne parvenait pas à considérer leur visiteur comme dangereux. Une erreur, sinon un tort qu’elle ne tarda pas à payer quand il détailla le fil de sa pensée d’un air chafouin. Si Corburg tenait du gâteux, il n’en avait finalement que l’apparence.

Le culot qu’il éploya avec maestria l’indigna tout autant qu’il força son respect. Esmée ne put cependant retenir le frisson malplaisant qui amena ses doigts à trembler. La colère trouva un nouveau terrain sur lequel s’épanouir. La vexation née de l’écœurement que lui inspirait le sous-entendu du vieux noble raidit l’intégralité de ses muscles. Déjà droit, son dos s’arc-bouta dans un sursaut outré. S’il osait… Par tous les Dieux ! S’il osait seulement y penser, elle se sentait prête à lui arracher le peu de dents qu’il lui restait. L’orage s’invita dans son regard, menaçant et agressif. Elle voulait le foudroyer sur place. Éteindre l’insolent sourire qu’il affichait avec triomphe et étouffer ce qu’il avait d’audace dans le misérable de ses guenilles.
Désormais crispés sur le verre qu’elle tenait dans sa main, ses doigts blanchirent jusqu’aux ongles. Son éducation avait pourtant voulu la préparer à cette éventualité. Une jeune fille de bonne famille ne pouvait prétendre qu’à se soumettre. Obéir et acquiescer pour d’abord consentir aux décisions de son père, avant de se voir assujettie aux désirs d’un époux. Alors pourquoi ? Pourquoi Anür lui avait-elle un jour offert de croire en un autre lendemain ? La Déesse mère pouvait lui en être témoin quand bien même sa cruauté lui paraissait désormais évidente. Jamais encore Esmée n’avait éprouvé plus grande amertume qu'en cet instant.
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MessageSujet: Re: Croassement à Chanteloup - Icare et Esmée de Sabran   Croassement à Chanteloup - Icare et Esmée de Sabran EmptyMer 7 Sep 2022 - 18:33
Depuis toujours, le Comte de Sabran a su tirer son épingle du jeu. Son statut et ses accointances ont aidé à parfaire sa réputation, tout comme ils ont contribué à maintenir ses finances à flot pendant la crise. Au Labret, le noble a fait le choix d'investir autrement. Ainsi a t-il revu part de ses objectifs pour un jour retrouver une place de choix à l'Esplanade. Cependant, l'homme n'a pas oublié ses principales obligations, tout comme il connaît ses prérogatives. L'avenir de sa fille, son unique héritière, figure aujourd'hui au rang de ses principales préoccupations. Quand bien même il envisage un remariage très prochainement et quand bien même il espère la venue au monde d'un nouveau fils, Icare sait qu'il lui faudra trouver un parti intéressant auquel lier Esmée. Qu'elle le veuille ou non. Il a d'ailleurs déjà prévu l'une ou l'autre rencontre pour engager et lancer les tractations de ses futures épousailles.

"Elle l'est."

Finit-il par répondre, tout en ignorant le regard que lui lance la principale intéressée. La question du Corburg, sans aucun doute, appelle a plus de précisions. Icare prend néanmoins le temps de s'offrir une gorgée d'alcool avant de reprendre la parole.

"Esmée va avoir dix-huit sous peu et j'entends bien la voir mariée avant la fin de cette année. Son retour à l'Esplanade est d'ailleurs programmé pour cet été. Il n'est pas question que mes petits-enfants soient élevés au Labret, alors que les attaques fangeuses se multiplient. J'ai donc pris mes dispositions pour qu'elle rencontre quelques prétendants de qualité. Je suis sûr que l'un d'entre eux au moins, saura me faire une offre intéressante."

Un nouveau sourire glisse sur ses lèvres tandis que prenant ses aises, il s'installe confortablement sur son fauteuil.

"Mais peut-être avez-vous d'ores et déjà l'une ou l'autre suggestion à me partager, Corburg ?"

Lance-t-il d'un ton badin, avant de mordre dans le pain à l'ail.
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