Innamoramento ~ Emeric [Terminé]

Le temps est agréable, aujourd'hui, Emeric allait devoir accomplir une tâche singulière. Alors qu'il s'occupe de son devoir et de veiller sur les abords du domaine de Choiseul, un message lui parvient. Le jeune écuyer ne sait pas ce qu'il doit penser. Au fond de lui, une satisfaction, il prend cette mission comme un honneur, comme la récompense d'un travail bien fait.
En cet instant, il pense au Chevalier qui décida de le confier au Comte de Sabran pour quelques mois dans le seul dessein de poursuivre son initiation.

Mais sa modestie l'oblige à ne rien exprimer. Il prend en compte les remarques sur la fille du Comte, mais il ne s'en émeut guère encore. Vêtu d'une cape couleur olive, d'une chemise d'un vert un peu plus foncé, d'une ceinture marron sur laquelle est accrochée une épée et d'un pantalon verdâtre il commence à se diriger vers le pavillon de chasse.

En chemin, il a pris soin de soigner au mieux son apparence. Un geste de la main pour se coiffer, un coup de la main pour lisser sa chemise, et un léger mouvement au niveau du col de la cape pour la replacer, et le voilà qui arrive sur place, impatient, et à la fois assez inquiet.
Est-ce que je serai à la hauteur ? Et si j'échoue ? N'arrête-t-il pas de se dire en calant ses pouces dans sa ceinture tout en ravalant sa salive en observant le ciel.
Je ferai de mon mieux pour honorer mon mentor, et l'éducation reçu à Ventfroid ! Se répond-t-il pour se motiver, sans oublier quelques prières à l'endroit de Rikni pour qu'elle le guide vers les bons choix.

Un palefrenier s'approche en silence. Il lui apporte une monture, Emeric l'observe, le cheval est ordinaire, marron, sans grande envergure, toutefois, il a confiance en ses qualités pour le monter et être efficace. Il s'incline devant le palefrenier, et prend dans sa main droite la bride.
L'homme s'éclipse, et l'écuyer caresse le cheval, pas très longtemps, car voilà qui arrive une autre monture. Un minorquin qui contrairement à sa monture possède une allure incroyable qui stupéfait Emeric.

Une voix derrière retentit. Emeric se tourne et aperçoit la fille du Comte. Son coeur s'emballe, elle donne le nom du cheval tout en descendant du perron.
Elle arrive devant l'écuyer. Il ne dit rien pour l'instant, et se contente d'un silence respectueux. Refusant l'aide de l'homme qui vient de ramener le minorquin elle monte sur selle avec une aisance rare. Emeric esquisse un petit sourire.
Il se dit que son devoir ne sera peut-être pas si simple. Cela ne le dérange nullement, bien au contraire, plus l'aventure est complexe, et plus il pourra prouver sa valeur.
- Enchanté Noble Dame, dit-il en levant les yeux, je me nomme Emeric, et je ne fais qu'accomplir mon devoir, ajoute-t-il comme simple réponse en montant à son tour en cachant comme il pouvait l'admiration qu'il porte pour cette Dame qu'il vient de voir à peine quelques instants.
Le jeune écuyer est prêt.

- En effet, votre monture est remarquable, toutefois j'ai la net impression que vous le sublimez, déclare-t-il dans un compliment qui vient de lui échapper assez maladroitement, car on lui avait appris à garder le silence et à ne pas jeter des fleurs ainsi. Il tourne alors son visage.
- A votre commandement, souffle-t-il en se pinçant la lèvre inférieure.

Fièrement installée sur le dos de son minorquin, Esmée semblait parfaitement à l'aise. Bien sûr, le palefrenier lui avait jeté un regard surpris, sinon réprobateur, quand il l'avait vue prendre place à califourchon sur sa monture, mais elle ne s'en était pas émue. Habituée aux remontrances de son père, elle s'était contentée de sourire tout en lissant les pans de sa jupe judicieusement fendue. Pourtant, elle en convenait. Une jeune femme - encore moins lorsqu'elle était bien née - n'était pas censée monter en selle de cette manière. La morale l'exigeait. L'Étiquette l'imposait.
C'est alors qu'il fallait juger de l'absurde d'une telle règle pour en venir à l'estimer inutile. Heureusement, la parénèse devait concéder au truisme qu'il était plus aisé de maintenir le rythme soutenu d'une course en ne s'encombrant pas de bienséance. Quant à l'expérience, louée soit-elle, cette dernière avait plusieurs fois prouvé qu'il était décidément plus évident de fuir la Fange au galop qu'à pied.

- Emeric. Répéta-t-elle en ignorant l'oeillade trop empotée du domestique qui, tout en l'aidant à ajuster son pied dans l'étrier, n'en finissait plus de contempler le dessin de sa jambe moulée dans le cuir. Je ne vous avais encore jamais vu à Choiseul.

Elle attrapa les rênes de sa monture et tout en gardant son regard rivé sur l'écuyer, cala sa cravache dans le creux de sa paume. La canne de jonc, joliment ornementée et surtout utile à parfaire son allure d'amazone, glissa le long de sa robe pour figurer un avertissement silencieux ; Esmée n'appréciait pas d'être guignée. Une chose que le palefrenier avait probablement oubliée, mais dont il se souvint aussitôt que ses yeux rencontrèrent la badine. Il se recula sans tarder et bafouilla quelques mots d'excuses auxquels la jeune noble ne parut pas prêter attention.

- J'ignorais d'ailleurs que Monsieur le Comte s'était aliéné les services de quelques nouvelles personnes de valeur. Une bonne chose, me direz-vous. Même si, je dois bien l'avouer, c'est la première fois qu'il m'est révélé que je sublime un cheval. S'obligeant à conserver un air grave, elle laissa un silence s'installer avant d'esquisser un espiègle sourire qui, rapidement, se mua en un rire sincèrement amusé. D'où venez-vous Emeric ? Finit-elle par demander en allant flatter l'encolure de sa monture devenue impatiente. Vous ne m'apparaissez pas comme le plus ordinaire des chaperons. Alors dites-moi, pourquoi mon père vous a-t-il mis à l'amende ?

Un étincelant sourire accroché aux lèvres, la jeune femme redressa le menton pour mieux interroger son interlocuteur du regard. Néanmoins gênée par la trop vive lumière du jour qui s'invita dans ses prunelles d'or, elle desserra involontairement son emprise sur la bride de sa monture. Cette dernière y vit un encouragement. Elle piaffa d'enthousiasme et s'osa à forcer un pas excité avant que la noble n'en vienne à la retenir. Le cheval, certainement déçu, piétina le sol poussiéreux avec fureur et jusqu'à faire un tour sur lui-même avant d'enfin se calmer.

- J'espère en tous les cas que vous êtes bon cavalier. Plaisanta-t-elle en reprenant l'ascendant sur le minorquin. Parce que Sirius ne semble pas décidé à passer sa journée au pas.

Il n'y avait aucune bravade dans ses mots. Esmée se contentait de dresser un constat. L'étalon avait le tempérament bouillonnant. Un caractère inflammable et remuant qui lui correspondait bien. Il fallait alors concéder à la Sabran qu'elle était très bonne cavalière. Elle l'était d'ailleurs depuis son plus jeune âge. Une qualité dont elle n'avait malheureusement jamais pu faire montre à la Cour, alors que la morale toute étriquée de l'Esplanade lui interdisait de participer aux jeux hippiques.

Montant sur sa monture, le jeune écuyer observe la demoiselle, à en croire par sa gestuelle, nul doute que celle-ci doit être bonne cavalière, se dit-il en ajoutant qu'il lui faudrait certainement s'employer pour être à la hauteur. En attendant, il reste impassible, convenablement installé, et prêt à suivre le mouvement lorsque la noble déciderait de se mettre en route.
C'était la première fois que l'on lui confiait une telle mission, alors, il ne savait pas à quoi s'attendre, ni vraiment ce qu'il devrait faire. La seule certitude était qu'il trouvait cette demoiselle fort charmante.

Elle se met à rire à sa remarque, cela à le don de lui faire plaisir et de détendre l'atmosphère, malgré tout, il se doit se rester à sa place, il le sait, alors, il se contente d'étirer ses lèvres en s'interdisant un rire qui serait peut-être malvenu.
Puis, elle lui pose quelques questions. Emeric se frotte la nuque, toussote légèrement, à vrai dire, il ignore beaucoup sur son passé, sa famille, et ses origines.

Toutefois, il est dans l'obligation de répondre.

- Madame, de ma naissance, j'ignore tout, je fus recueilli par un chevalier errant qui jusqu'à mes sept ans confia mon existence et mon éducation au Manoir Ventfroid. Agé de quatorze ans, il vint me chercher pour que débute ma vie d'écuyer. Et si je me trouve ici, que j'ai l'honneur de vous servir, je le dois à un pari perdu par mon mentor avec Monsieur le Vicomte.
Mais pour moi, ce n'est pas une punition, au contraire, cela fait partie de mon parcours initiatique pour atteindre mon rêve d'être un jour adoubé chevalier. J'espère être digne de la confiance que m'a porté votre père, et digne de vous accompagner comme l'exige une Dame de votre rang. Explique-t-il simplement.

Le cheval racé de la jeune demoiselle commence à s'impatienter, et le sien ne tarde à répondre en trépignant. Emeric ne peut que sentir une profonde admiration pour la noble qu'il accompagne, sa manière de redresser, et la façon dont le soleil vient la frapper lui confère une beauté et un charisme rare.
Il caresse sa monture, essaye de la calmer par des gestes habiles et y parvient. La demoiselle d'un air amusé espère avoir à affaire à un bon cavalier. Un défi ? Emeric ne sait pas quoi répondre.

- N'ayez crainte Votre Excellence, je ne suis pas peut-être l'un des meilleurs, mais je suis loin d'être des pires... , répond-il en serrant la bride tout en se concentrant afin d'être prêt lorsqu'elle déciderait de se lancer au galop.
- Je vous suis Madame. Ajoute-t-il pour affirmer qu'elle n'avait pas à ce soucier de lui, qu'il tiendrait la distance, du moins, si son cheval ne le trahissait pas.

Un sourire de circonstance affiché sur ses lèvres, Esmée continuait de faire bonne figure. Ses pensées n’en restaient pas moins livrées au chaos de sa mémoire. Emeric, bien évidemment, n’avait pas conscience de ce que son discours lui rappelait de souvenirs. Il ne savait pas ce qu’un seul de ses mots était parvenu à réveiller d’amer au plus profond de son être. Alors elle s’efforça de garder son air affable et de glisser vers lui un regard bienveillant. La façade qu’elle avait érigé pour parfaire le tableau de son bien-être était un indéniable bouclier. Presqu’un rempart derrière lequel elle parvenait à dissimuler ses faiblesse pourtant évidentes.

L’écuyer, assurément trop jeune, s’y était laissé prendre. Il était honnête, cela ne faisait aucun doute. Certainement sincère et aussi vaillant qu’il voulait le paraître. Cependant et tandis qu’elle écoutait le récit de sa toute jeune vie, la mondaine en vint une nouvelle fois à rire. Sans moquerie et sans méchanceté, elle pouffa en opinant du chef.

- Vous nourrissez un très noble projet d’avenir Emeric. Je vous souhaite très sincèrement d’y parvenir. Elle glissa vers lui un regard teinté de malice, avant que ses lèvres n’en viennent à se parer d’amusement. Il y a cependant quelques points à revoir dans votre plan de carrière. Pour commencer et parce que, tout comme vous, je n’aimerais pas savoir mon père contrarié, apprenez que Monsieur le Vicomte est en réalité Comte.

D’une petite pression de ses talons, elle appela sa monture à se mettre en marche. Le minorquin souffla de contentement, avant d’avancer sur le chemin qui s’ouvrait devant eux en direction d’Usson.

- Ensuite et en ce qui concerne les prédicats dits honorifiques, « Son Excellence » tient plutôt de la « Demoiselle ». Je vous concède cependant que dans le Morguestanc et en matière de bienséance, les avis s’opposent bien plus qu’ils ne s’accordent. Elle avait adopté un ton badin pour ouvrir la discussion à l’échange. Son regard en était néanmoins revenu au sentier balisé d’arbres. Toutefois et si vous m’autorisez un conseil, je vous dirais qu’il ne faut jamais trop en faire. Un titre n’est jamais rien qu’un accessoire estimé prestigieux. La vraie valeur d’une personne ne se mesure pas à l’aune des privilèges qu’elle s’est acquis en se donnant seulement la peine de naître.

Ses yeux d’or rendus pétillants par le révolutionnaire de son propos, glissèrent jusqu’à trouver ceux de son interlocuteur. Toute Vicomtesse qu’elle était, Esmée s’osait à critiquer l’ordre social établi de longue date.

- Nous ne devrions êtes jugés que d’après nos actes. Alors si vous espérez être digne de m’accompagner sur la route qu’il me plaît d’emprunter aujourd’hui… Elle arqua un sourcil et laissa sa phrase en suspens avant de lancer sa monture au galop. L'étalon s'élança aussitôt et tandis que sa cavalière le libérait de toutes ses entraves, il s'employa à doctement creuser la distance qui devait les séparer.

Emeric fronce légèrement les sourcils, non pas qu'il soit vexé, mais voir la jeune noble rire de nouveau ne semble pas l'enchanter. Un regard plein de malice, elle commente son désir de chevalerie en lui souhaitant bonne chance pour y parvenir.
Il se contente d'incliner la tête pour la remercier de ses encouragements.

Puis, elle lui fait des commentaires pour corriger des erreurs. Cette fois, il oublie les rires, et écoute religieusement les paroles de la fille du comte.
Son regard observe les jambes de son interlocutrice, une pression de talon, et son minorquin se mit en marche.
Emeric, effectua le même geste pour sa monture qui, malgré une puissance moindre, se mit à suivre. Le jeune homme s'attela à se placer sur la droite, légèrement en retrait mais pas trop pour poursuivre convenablement la discussion.

Le jeune écuyer ne sait pas s'il se sent mal à l'aise, ou bien, simplement impressionné par le charisme de la noble qu'il voit un être inaccessible, mais son coeur sous sa poitrine bat fort. C'était la première fois qu'il avait à accomplir une telle mission, et même s'il savait manier l'épée, et avait déjà briser quelques puissantes lances, il s'agissait ici d'une toute autre tâche.

Sans un mot, il écoute la demoiselle lui donner une leçon sur le protocole. Le ton est badin, les yeux rivés vers le chemin. L'air est doux, l'ombre des arbres agréable, et le chant des oiseaux fait presque oublier l'immense terreur dont est soumis le plateau.
Revenant au monologue de la Dame de Sabran, Emeric s'étonne que au fur et à mesure, les mots s'évadent de plus en plus d'une ligne qu'il pensait marquée au fer rouge concernant les titres.
Et le regard final qu'elle lui lançait le surpris, il le soutient quelques secondes, il ne s'attendait à une telle critique envers l'ordre social.

Ses mains serrent la brides du cheval, que peut-il répondre à tout cela. Il ravale discrètement sa salive, et voit sa raison entrer dans un profond débat sur ce qu'elle vient de dire.
En effet, c'est la première personne qu'il lui tient ce genre de propos, et il se sent un peu perturbé.
- Merci pour la leçon ! Réponds-il d'un ton ordinaire et sincère, j'imagine en effet que la naissance n'est pas l'unique symbole de la valeur, ajoute-t-il en jetant un coup d'oeil à son ceinturon où se trouve accroché son épée, car même s'il était doté d'une certaine éducation et d'un esprit, il ne voyait que dans l'accomplissement de gestes la manière de prouver sa bravoure, et gagner le titre de chevalier.

En compagnie de la Demoiselle, Emeric commence aussi à comprendre le pourquoi des leçons de courtoisie qu'il a reçue à Ventfroid.
Le sortant de sa rêverie, la noble laissa une phrase en sursis avant de lancer sa monture au galope. Se redressant, l'écuyer appuyer sur ses éperons et poussa un cri pour motiver son cheval et essayer de suivre le rythme.
Evidemment, il a du mal, mais il ne s'en sort pas si mal. Il parvient à suivre à la trace la jeune femme en restant quand même bien en retrait.
Emeric espère juste que la distance à parcourir ne sera pas trop longue, car son cheval risque de ne pas tenir la distance. Pour l'instant, ça va, mais il doute être capable de tenir si cela devait durer...
En tout cas, il est surpris par la noble et son talent. Rarement il n'avait vu une dame monter à cheval avec une telle aisance.
Petit à petit gérant au mieux l'effort, il tient le coup... Parfois il est obligé de céder quelques mètres, mais il se contente de rester à une distance respectable sans perdre de vue celle qu'il doit protéger.

Choiseul et son domaine de chasse ne se trouvaient qu'à une lieue du village d'Usson. Une distance toute relative dont le voyage lui parut pourtant salvateur. Ainsi Esmée abandonna ce qu'il lui restait de ses tourments au vent. Elle lui offrit ses pensées les plus sombres et admit qu'il puisse en balayer les réminiscences. Tout du moins pour un temps. Loin de ses habituelles occupations et dans ce tourbillon de sensations avec lesquelles la Vicomtesse renouait enfin, son passé n'existait plus. Et quand bien même elle savait son emprise revenir dès lors qu'elle poserait un pied à terre, ce moment n'appartenait qu'à elle, à son souffle devenu court, à ses mains agrippées aux rênes de sa monture libérée d'entraves.

Aucun secret n'était plus intime que celui qu'un cavalier s'en venait à confier à sa monture. L'adage l'affirmait, l'auteur le confirmait. Cavalier et monture en venaient souvent à ne faire qu'un. Pour la beauté de la course, pour l'harmonie des gestes, les pensées devaient s'entremêler et ne suivre qu'un seul et même but.
Oubliés les promesses, les mots et leur musique, ne restait plus que cette folle chevauchée. Elle pouvait tout balayer. Voler jusqu'au plus détestable secret et l'engloutir pour qu'il ne puisse plus hanter ses songes. Accélérer la cadence lui vint tout naturellement. C'était inné. D'une pression stimulante de ses talons contre les flancs de l'animal rendu à l'effort, d'un cri chargé d'encouragement, Esmée exhorta son cheval à dépasser jusqu'à ses propres limites.

Des barrières bornées de bienséance jusqu'aux frontières imposées par un physique estimé faible, elle ne voulait plus rien connaître de cette prison. Sa coiffe s'envola dans un éclat de rire, tandis qu'elle s'allongeait presque sur le dos du minorquin pour aider à son émancipation. Grisante, la sensation qui en vint à l'envahir faisait vibrer tous ses sens. Son nez se gorgea des senteurs d'une nature inapprivoisable. Ses oreilles s'abandonnèrent au rythme marteleur des sabots sur un sol toujours gelé. Ses yeux, sa bouche, son derme... Tout en elle aspirait à la délivrance.
Que le chaperon parvienne à la suivre lui importait peu. Qu'il peine à accomplir son devoir, qu'il se perde ou qu'il finisse par abandonner sa mission, Esmée n'en avait que faire. Seul comptait la course et son irrépressible appel.

Cependant, lorsque les premiers échos d'une vie au-delà des arbres lui parvinrent, la jeune noble dû se rendre à l'évidence. L'évasion ne pouvait et ne devait être qu'une fugue. Tirant sur la bride de sa monture à l'instant même où elle voyait poindre devant elle les palissades entourant les portes fermées du bourg, Esmée soupira de dépit. Le cheval rechigna, trépigna encore, mais se résigna. Dans un fracas presque tonitruant, il paracheva sa rébellion d'un ultime sursaut de fierté. Dressé sur ses pattes arrières, il se cabra avant de frapper les quelques pavés étouffés dans le poussiéreux d'un sol piétiné par les convois.

Haletant, écumant, Sirius tourna finalement sur lui-même, pour laisser à sa cavalière le soin d'apprécier sa victoire. Et elle aimait cela ; gagner. Un sourire satisfait naquit sur les lèvres de la jeune femme. Emeric avait sans aucun doute peiné à suivre le rythme. Il avait cependant veillé à garder un semblant de cohérence dans ce qu'il se figurait être sa mission. Protéger la Demoiselle de Sabran... Comme s'il avait pu. Comme si quelqu'un le pouvait. Elle redressa le menton - à l'image de son père - et pour la première fois de sa vie, admit qu'elle était plus Sabran qu'elle n'aimait à le croire.

Emeric se dit que sa mission ne sera pas simple. Pour une première, il se demande s'il a eu de la chance ou au contraire, de la malchance. Toutefois, il pense rapidement qu'il s'agit aussi d'une opportunité incroyable pour prouver sa valeur.
Bien-sûr, il sait que la course est perdue d'avance, et qu'il n'a aucune chance de l'emporter aussi bon cavalier soit-il.
De toute façon, il doit admettre que la noble est douée, et son cheval racé est de grande qualité. De plus, ils semblent y avoir entre eux une osmose parfaite.

Alors, l'écuyer fait de son mieux. Avec son cheval fébrile, il avance, essaye de gérer la distance, même si petit à petit, elle commence à s'éloigner.
Il a l'impression qu'elle se moque totalement de le lâcher. Emeric plisse les yeux, et commence doucement à paniquer, à manier sa monture afin de lui faire prendre un rythme au galop un peu plus rapide.

Il ne pouvait pas se permettre de la perdre de vue. Alors, il lutte, se bat avec frénésie pour pousser sa monture à aller au-delà de ses forces.
En tout cas, il est impressionné par la Dame. Elle est loin de ce qu'on lui avait appris quant au façon de faire des Dames de la Noblesse.
Mais cela ne lui déplait pas. Bien au contraire.

Sa monture commence à faiblir. Il implore alors le ciel pour que l'arrivée soit toute proche. Lui-même commence à avoir les bras qui tétanisent.
Au loin, il entend un fracas, et un nuage de poussière qui le laisse penser que c'est la fin. Au loin il voit une palissade.
Il s'en approche, et aperçoit de plus en plus la jeune noble qui l'attend. Son regard l'observe. Et que peut-il bien dire ?
Au fond de lui, il se sent tout petit. Elle est là, le menton haut, et fier. Quelle charisme ! Quelle autorité ! Se dit-il en soufflant, et en se rapprochant, son cheval tête basse. En cet instant, il n'a pas l'impression d'être digne de son rôle. Il est impressionné. L'écuyer reprends lentement son souffle, il a encore beaucoup à apprendre. Mais il est fort motivé. Il voit en cette Dame comme un modèle. Bien-sûr, la différence de monture à peut-être joué, mais il sait aussi qu'il n'y a pas que cela. Elle est aussi une incroyable cavalière qui vient de l'écraser sans peine. Evidemment, cela le touche. Désormais, il va devoir faire profil bas. Au moins, il ne s'est pas perdu en chemin. Et par conséquent, il peut toujours poursuivre sa mission... Et c'est sans doute ça le plus important.

Il descend.
- Toutes mes félicitations. Un peu plus, et je crois que je vous perdais de vue... Déclare-t-il en toute franchise, je crois que j'ai un long chemin à parcourir... Murmure-t-il ensuite assez haut pour qu'elle puisse entendre, évidemment, il fait référence à sa qualité de cavalier.
Il se positionne à l'endroit convenable pour attendre ou aider la Noble à descendre, puis, selon les désirs il conduirait les montures aux écuries.

L'esprit encore enivré par le tumulte des battements de son coeur libéré, Esmée se contenta de sourire. Dans un souffle contenu, elle s'obligea néanmoins à reprendre une respiration normale quand sa chevauchée l'avait forcée à l'effort. Savourer ce moment lui était pourtant indispensable. Égoïstement, cela ne faisait aucun doute, Esmée avait espéré trouver le sinapisme de ses maux dans sa déraisonnable échappée. Pour autant, le remède éphémère de son audace ne tenait que de l'orviétan. Elle n'en accueillit pas moins les paroles du jeune écuyer avec ce qu'il fallait de modestie.

Mains toujours refermées sur les rênes de sa monture, elle inclina la tête pour le remercier. Sa coiffe envolée dans le grisant de la course avait laissé ses cheveux à la merci du vent. Cependant fermement maintenus dans leur filet d'or, les mèches d'ébène n'avaient pas trouver à s'évader. Une chance pour celle qui s'efforçait de conserver sa dignité intacte.

D'une légère pression de ses talons, elle fit s'avancer sa monture vers le chaperon de fortune qui devait l'escorter. Le minorquin, encore fiévreux, hasarda un pas nerveux en direction du jeune homme qui avait mis pied à terre. Néanmoins rappelé à l'ordre par un impérieux claquement de langue, il tempéra son trop plein d'enthousiasme dans un cliquetant hochement de tête. Ses naseaux fumants exhalèrent un souffle insatisfait, avant qu'il ne se mette à semoncer son mors. L'animal était indéniablement racé. Son corps mince et athlétique, tout comme ses longues jambes aux articulations puissantes en faisaient une bête remarquable. Un cheval indéniablement taillée pour l'effort et la course.

- C'est à Sirius que reviennent vos félicitations. Lui seul a fait la différence. Je me suis seulement contentée de rester en selle. Son sourire en vint à s'élargir, avant de pleinement s'épanouir sur ses lèvres. Et vous n'avez pas démérité. Loin de là même. J'ai pourtant tenter de vous semer. Plaisanta t'elle tout en ramenant les deux rênes dans la paume de sa senestre. D'un discret mouvement du chef, elle déclina l'aide du jeune homme. Un choix qui, à défaut de tenir strictement du protocole, témoignait surtout de son désir d'affranchissement.

Sa main droite glissa sur le flanc de l'animal enfin calmé, avant qu'elle n'en vienne à retirer ses pieds des étriers. Le geste souple et probablement forgé par l'habitude, elle se pencha pour faire pivoter sa jambe par-dessus les hanches du cheval. Sirius ne bougea pas. Pas même lorsque sa cavalière donna de l'élan à sa manoeuvre afin de sauter à terre. Le bruit mat de ses bottes frappant le sol n'éveilla pas plus de réaction, tandis qu'elle fléchissait les genoux pour absorber le choc de l'atterrissage. Un malaise n'en vint pas moins l'étreindre à l'idée de se trouver présentement plus vulnérable.
Rapidement affectée par cette idée, elle se redressa sur le froissement contrarié de sa tenue et s'obligea à méconnaître l'inconfort de sa pensée. Sa monture n'avait rien perdu de son calme et cela suffisait à la rassurer quant à la présence d'un quelconque danger tapi dans l'ombre. Ainsi toujours attachée à témoigner de sa gratitude au minorquin, elle flatta son encolure pour dire sa reconnaissance et définitivement éteindre ses craintes. Dans ce ballet qui amenait ses doigts fins et gantés de cuir à glisser sur la robe d'un invariable noir, elle reconnut le geste acquis dans sa prime jeunesse. Une caresse amadoueuse dont le layon complaisant menait sous le menton du cheval.

- Je souhaite me rendre au temple. Annonça t'elle tout en gardant son attention rivée sur la monture. Je n'ai pas eu grande occasion de m'y présenter depuis notre arrivée à Choiseul. Tournant finalement son regard vers l'écuyer, elle lui adressa un nouveau sourire. Venez-vous ?

La question était sincère, mais n'admettait aucune réponse négative. C'était alors qu'elle tenait de la suggestion, voire de l'offre. Sans plus attendre et tout en amenant le minorquin à la suivre, la nobliaute s'engagea en direction des portes ouvertes sur le petit village d'Usson. Les palissades qui entouraient la bourgade avaient eu le temps de faire leur preuve. Assez hautes pour protéger les principales habitations du hameau, elles offraient un certain confort de vie aux miliciens et volontaires venus s'installer ici. Pour autant, le quotidien des Labretiens demeurait difficile. Soumis à l'aléa, mais surtout au meurtrier des attaques fangeuses, les gens du plateau s'accommodaient d'une existence ascétique et souvent âpre. Esmée savait cela, mais elle le réalisa plus sûrement encore à l'instant même de passer le portail du village agricole.

Les répliques de la noble font plaisir au jeune écuyer à tel point qu'il rougit légèrement en baissant timidement la tête. Il a fait de son mieux, et se dit qu'il ne pouvait pas faire plus. Sa petite plaisanterie sur le fait qu'elle avait cherché à le semer le fit sourire au moment où il s'approche d'elle pour lui proposer son aide et s'occuper ensuite de sa monture.
L'écuyer possède à cet instant une vue incroyable, et ne peut que se sentir impressionné par l'aura qui émane de la sang bleu.
C'est la première fois qu'il voyait ça. Et au fond de lui il se sent honoré de la chance qu'il a de pouvoir l'accompagner.

Le geste de la tête de la Dame lui fit comprendre qu'elle refuse son aide. Il ne s'en offusque pas, bien au contraire, il sait qu'il est là pour l'assister, la servir, et qu'il simplement l'écouter et lui obéir. Alors, il fait quelques pas de côté pour qu'elle puisse descendre tout à son aide.
Et là encore, il assiste à un mélange de grâce, d'élégance et de savoir faire étonnant. Emeric s'empare de la bride sa monture en attendant qu'elle soit prête.

Lorsqu'elle est pied à terre, le jeune écuyer remarque toute l'attention qu'elle porte pour son cheval. C'est d'ailleurs pendant qu'elle le caresse qu'elle lui annonce vouloir se rendre au temple. Une idée, qui même s'il n'a pas son mot à dire, lui plait, car on lui a enseigné à toujours s'arrêter dans les endroits sacrées pour prier.
Il a du mal à soutenir le regard de la Dame. Mais il sait qu'il ne peut faire autrement afin de respecter son rang.
Avec le sourire elle lui demande s'il veut venir.
Evidemment, il a conscience que sa réponse ne peut être que positive.

- Avec plaisir, répond-il donnant l'impression qu'il aurait pu répondre autrement. C'est alors qu'ils prennent le petit sentier vers les portes. Emeric se tient légèrement en retrait. Il observe, contemple les palissades, et traverse les portes pour découvrir ce qu'il a souvent vu, une vie des plus rudes, une peur ambiante qui se cache derrière un formidable courage.
Le jeune homme suit la noble, le temple n'est pas très loin... En chemin, il remarque des enfants qui jouent, des gens qui lavent du linge et qui travaillent dur, le tout dans une ambiance lourde. L'écuyer a l'habitude de voir cela, alors, il n'est pas choqué au contraire, cette atmosphère fait partie de lui, et de son quotidien. Au milieu de tout cela, la noble apparaissait comme un soleil.

Ils arrivent devant la porte lourde, Emeric l'ouvre dans un grincement rauque créant un léger nuage de fumée.

- Après vous ! Dit-il poliment. Pour l'instant il préfère rester discret, se cantonnant à son rôle quant à sa façon d'agir avec la Dame. Cette visite au temple, pense-t-il, devrait l'aider en ce sens là.

À présent avouée depuis plusieurs semaines, la présence d'Esmée au Labret était connue et sue par la plupart des Ussoniens. Si ces premières apparitions aux abords de la bourgade avaient attiré quelques regards curieux, ses déplacements au coeur du village passaient aujourd'hui presqu'inaperçus. Bien sûr et malgré tout, elle se souvenait de sa première sortie ici, depuis leur retour à Choiseul. Elle se rappelait également du passage obligé devant les gardes affectés à la surveillance des larges portes du bourg. Depuis le couronnement et avec l'édiction d'un nouveau décret royal pour condamner les mordus au bannissement, les contrôles se faisaient plus dogmatiques. Plusieurs fois Esmée avait été forcée d'afficher son bras immaculée sous le regard inquisiteur des miliciens. La plupart d'entre eux savait aujourd'hui avec qui ils avaient affaire. Soit parce qu'ils avaient déjà eu l'occasion de constater l'absence de marque sur sa peau diaphane, soit parce qu'ils avaient eu la malchance de rencontrer son père, le Comte Icare de Sabran.

Ce dernier, fort d'une réputation qui le précédait souvent, n'avait pas manqué afficher le ressentiment que lui inspiraient les contrôles devenus trop drastiques. Digne représentant de sa caste, il jugeait leur opportunité d'un oeil critique et n'avait pas manqué dire son avis ouvertement. Langlois, s'il n'avait jamais entendu parler du Seigneur de Choiseul avant son retour à Chanteloup, devait aujourd'hui regretter l'époque où le Sabran préférait séjourner à l'Esplanade. Et cela quand bien même quelques nouvelles ressources se voyaient aujourd'hui affectées à la défense du bourg dont il avait la charge. Le noble avait néanmoins à coeur de se rendre utile. Soit parce qu'il y tenait sincèrement, soit parce qu'il y trouvait un intérêt.

Esmée connaissait son père, suffisamment aujourd'hui pour dire qu'il n'agissait jamais par pur altruisme. Sans doute le Comte de Sabran voyait quelques avantages à se rendre indispensable ici, dans ce village que certains s'osaient à décrire comme le grenier de Marbrume. Pour autant et alors que son regard s'invitait dans le quotidien de ces gens toujours à la tâche, la jeune femme se prenait à admirer leur vaillance. Parce qu'il fallait être courageux pour quotidiennement faire face aux épreuves d'une vie modeste. D'autant plus quand le labeur s'agrémentait d'un climat souvent saisi d'angoisse. Il y avait cependant de l'espoir dans ce tableau voué à l'austérité. De l'espoir et une once d'insouciance qui, portée par le rire communicatif d'enfants occupés au jeu, semblait pouvoir défier le Fléau.

Au passage des garnements à quelques pas seulement de sa monture, Esmée resserra ses doigts sur la bride de cuir. Sirius, même habitué au bruit et à l'agitation, conservait un tempérament nerveux. La noble s'obligeait alors à la vigilance tandis qu'elle progressait dans les ruelles animées d'un peu de vie, en direction du Temple qu'elle connaissait finalement très bien.

Elle avait passé de nombreux étés à Choiseul et avait eu plus d'une occasion de se rendre à Usson. À l'époque toujours accompagnée de sa chaperonne et souvent entourée de ses anciens amis, elle n'avait jamais imaginé sa vie aussi chamboulée. Finalement, son existence abandonnée aux griffes acérées de la Fange, rien de ce qu'elle avait supposé être son futur n'était advenu ; pas de prince charmant pour la sauver, pas de beau mariage, aucun enfant à chérir et jamais plus de fin heureuse.
Elle en était là de ses réflexions quand ils arrivèrent en vue du temple. Laissant alors ses pensées retourner aux secrets de ses espoirs répudiés, la noble soupira. Les regrets trouveraient à s'exprimer plus tard et ailleurs. Quand le soleil aura choisi de s'éteindre et quand elle serait à nouveau seule.

D'un pas toujours lesté de réminiscence, elle s'avança pour trouver un anneau auquel attacher sa monture. La mangeoire dressée à proximité de l'édifice religieux n'avait pas été garnie de nourriture pour les bêtes, mais la pluie avait rempli son ventre d'un peu d'eau. Ce constat se compléta d'une parole encourageante pour le cheval, avant qu'Esmée n'en vienne à emboiter le pas de l'écuyer.
Les lourdes portes grincèrent tandis qu'il les poussait pour lui ouvrir passage sur la nef. Elle le remercia d'un sourire et s'engouffra sans plus attendre dans le temple. Une pleine bouffée de souvenirs se fraya un passage jusqu'à sa poitrine cependant qu'elle prenait une profonde inspiration. L'odeur du bois verni, celle de la cire consumée, les senteurs entremêlées des herbes et de l'encens, tous ces parfums voulaient lui rappeler les jours heureux. Les jours d'avant la Fange, ceux où tout semblait encore possible.

Yeux fermés et sourire aux lèvres, elle releva son visage vers le rayon lumineux qui, par-delà l'autel, s'engouffrait dans l'édifice au travers d'un vitrail poussiéreux. Le temps lui semblait si loin et pourtant se voyait-elle encore chuchoter quelques confidences à l'oreille d'Auxence, les doigts liés à ceux de Tharcise. Qui aurait cru, à l'époque, que leur trio finirait aussi tristement ?
La mort d'Auxence, devant les portes restées closes de Marbrume, avait été une première et terrible épreuve. Quant à la condamnation par contumace de Cise, après l'assassinat de son oncle et au lendemain du 1er mai, elle était venue achever ce qu'il restait de leurs serments de gavroches. Dieux qu'il était alors triste de se rappeler.

Pour autant et tandis qu'elle reprenait sa marche entre les bancs de prières, Esmée se glissa dans l'une des rangées toujours parfaitement alignées. Tout à droite, au bout de l'assise surplombée de son prie-Dieux, elle s'installa et de ses doigts gantés de cuir effleura les gravures qui, de son enfance encore heureuse, lui murmuraient les secrets. Quelques lettres entremêlées, quelques ressouvenances, les échos de ce qu'avait été leur innocence.

Ils arrivent devant le temple. Les chevaux sont attachés et peuvent s'hydrater. N'oubliant pas son rôle et son devoir, le jeune écuyer prend les devant afin d'ouvrir la lourde porte en bois et vieillissante.
Un petit nuage de poussière se dessine au fur et à mesure.
Parfaitement ouverte, il fait un pas en retrait, et de côté pour laisser le passage à la noble Dame. Discrètement, il a regarde.
Il admire en baissant la tête lorsqu'elle passe devant lui. Il a eu le temps de voir son sourire. A cet instant, il y eut un quelque chose dans son âme, un frisson, il ressent une forme de fierté à servir cette personne.

Lorsqu'elle a fait quelques pas, il referme la porte dans un bruit lourd. Ceci fait, il se retourne, et profite de cette ambiance pieuse.
Les odeurs si caractéristiques de ce lieu sont présents, et s'engouffre dans les poumons du jeune homme. Ce-dernier, à pas feutré, vient suivre la marche de la noble en restant légèrement en retrait.
Tête baissée, il se recueil en même temps.

Il se laisse absorber par le mysticisme de ce lieu qui semble être totalement coupé de la misère qui l'entoure, et qui se veut être d'une aide précieuse pour vaincre les souffrances de la vie.
Emeric observe les gravures.
Il ressent une forme d'émotion intense en se disant que sans sa foi, jamais il n'aurait pu supporter cette existence sans avoir jamais eu de parents.

En avançant l'écuyer pose ses mains sur son coeur. Son regard quand à lui est subjugué par la noble. Elle avance, et semble comme en parfaite osmose avec l'endroit. Il y voit un étrange mysticisme, les doigts gantés de celle-ci effleurent le bois, et les gravures. Emeric, sans bruit, la suit.
Il y a quelque chose de fort. Quelque chose qu'il n'avait jamais encore connu, comme si la foi véritable se trouvait là.
La Dame de Sabran se glisse le long d'une rangées. Les bancs de prière sont soigneusement alignés. Emeric n'ose pas emprunter le même chemin, comment le pourrait-il ? Alors, il se faufile dans la rangée se trouvant juste derrière. Et il s'installe là, la rangées derrière, deux bancs sur sa droite. De sa présence, la Dame ne doit pas en être molesté, et il doit se faire discret.

Puis, il se concentre sur ses pensées, ses prières, demandant pieusement à Rikni de le protéger, de lui fournir les épreuves qui feraient de lui le chevalier qu'il se rêve d'être et qu'elle lui donne le courage d'affronter les difficultés qui apparaîtrons sur son chemin.
A cette dernière pensée, l'image de la Dame de Sabran lui apparu. Au fond de son âme naquit la conviction que se battre pour elle lui donnerait la force d'affronter tous les futurs combats.
Un vertige s'immisça dans sa cervelle. Une vive chaleur. Un serment intérieur. Une Dame comme la noble, la servir est une grande opportunité. C'est la première fois qu'il connait cela. Qu'il vit cette sensation folle et inexplicable.
Il y avait quelque chose de grisant. Ses yeux ouvrent et devant lui, il contemple la Dame en pleine prière, dans une scène pleine de mysticisme.

Le jeune homme tremble légèrement en comprenant le privilège de ce qu'il vient de vivre. Le destin l'a conduit jusqu'à elle. Par hasard ? Non, se dit-il en regardant les paumes de ses mains. Au-delà de la mission qu'on lui a confiée, il est certain qu'une tâche plus profonde l'oblige à suivre la volonté de la Vicomtesse.
Sans un mot, il attend qu'elle termine...

Le temps s'écoula jusqu'à laisser passer une heure. Perdue dans le dédale de ses pensées et sa probable attention acquise à la prière, la noble Sabran n'avait plus adressé la moindre parole à l'écuyer. Le silence ainsi devenu maître de ce lieu dédié au recueillement en était venu à s'imposer. Quelques rares pèlerins avaient toutefois rejoint le temple, troublant parfois sommairement la quiétude dans laquelle la jeune femme s'était enfermée. Un homme et ses soucis, deux femmes et leurs bambins, ainsi qu'une toute jeune mère qui tenait dans ses bras un nourrisson emmailloté de laine.

Immanquablement, le regard d'Esmée se porta sur cette femme à l'allure fatiguée. Elle ne devait pas être plus âgée qu'elle. Un an, peut-être deux les séparaient et ce constat, sans aucun doute, amena son coeur à se resserrer. Faire une croix sur sa vie passée était une chose. Admettre son avenir ravagé en était une autre. Ses lèvres se pincèrent, mais son regard demeura accroché à cette vision devenue pénible. Esmée, elle en était persuadée, ne serait jamais mère. Sa vie pouvait-elle encore avoir un sens alors ?

Ce questionnement s'arma d'un lot de soucis pour barrer son front d'inquiétude. Au creux de sa poitrine, son coeur rata un battement. La peine était à la mesure du sacrifice. L'oeil à l'ambre troublé se releva vers l'idole de la déesse des passages. Simplement sculptée dans un bois de chêne, l'effigie avait ici l'allure plus intraitable. Sur la fresque de ses bienfaits, voyait-on les dons qu'elle avait offerts à l'humanité. Des cadeaux sacrés que chacun se devait d'honorer comme un gage de félicité.

Son regard ainsi soumis au jugement de la gravure, Esmée demeura prostrée. Cependant et tandis que les soudaines pleures du nouveau-né en vinrent à coloniser l'espace pour mieux absorber ce qu'il restait de sérénité à la noble, cette dernière se redressa d'un trop brusque bond.
Le bruit claquant de ses bracelets d'acier contre le bois des bancs ricocha sur les murs du temple et partit à l'assaut de la nef. Si des regards se tournèrent vers elle, Esmée ne les remarqua pas. Elle attrapa la jupe de son amazone et sans chercher à en ménager le tissu, s'extirpa de la rangée de sièges pour s'engager dans l'allée centrale.

Rapidement, elle se dépêcha de rejoindre la sortie. Aucun regard en arrière, aucun mot, rien que le tempétueux accroché au pressé de son pas devenu fuyant. Ses poings martelèrent presque le bois des portes pour les ouvrir sur le jour. Là, debout sur le porche du temple qu'elle avait pourtant aspiré à revoir, comme échappée d'un enfer, Esmée s'autorisa à reprendre son souffle. Elle le fit d'une profonde inspiration, visage levé vers le ciel et yeux fermés sur le triste tableau de sa nouvelle existence.

- Je souhaite rentrer à Choiseul. Furent les seuls mots qu'elle prononça à l'attention de l'écuyer quand il la rejoignit. Le reste du trajet se fit en silence. Esmée l'imposa alors que sa pensée voulait la mener ailleurs, en d'autres lieux et à une autre époque. Un calvaire qu'elle endura seule et qui l'amena à presque oublier la présence du jeune Emeric. Elle se rappela toutefois de lui à leur arrivée à Choiseul, mais seulement pour le remercier et afin de lui souhaiter pleine réussite dans la poursuite de ses projets.