Traverser le tumulte

Marbrume, le 12 Mai 1167

Alors que le crépuscule avait déjà laissé place à la nuit, la coutilerie du Coutilier Cazaux venait tout juste de terminer sa garde sur les remparts entre l’extrémité Nord Est du Goulot et le Port de Marbrume. En cette heure avancée, trois d’entre eux rentrèrent chez eux, un quatrième rentra à la caserne.
Les deux derniers n’avaient pas envie de se coucher de suite. L’un, Barthélémy Tastet, car il n’avait besoin que de peu de sommeil et qu’étant surtout un oiseau de nuit, il aimait déambuler et s’amuser à cette heure. L’autre, Théophile Castaing, car son sommeil était troublé depuis quelques semaines et que s’aérer l’esprit lui ferait le plus grand bien. S’asseoir et simplement discuter avec son camarade serait une pause plus que bienvenue dans sa vie un peu trop intense ces temps-ci.

Les deux miliciens, qui ne portaient pas vraiment l’uniforme commun à beaucoup des leurs, se rendirent dans un coin agité mais non malfamé du port. Ils prirent place sur un muret qui donnait sur un court banc de sable puis sur les vagues. Ces dernières étaient assez calmes ce soir, le son des rouleaux était tout de même enchanteur et apaisant pour les deux hommes d’arme.

Le Rouquin sorti une petite outre et un tout petit coffret en bois de l’intérieur de sa veste. Ouvrant le coffret, il attrapa une bille qui était un peu plus petite que l’ongle de son auriculaire. Sa voix nasillarde s’éleva et s’adressa au borgne à ses côtés.

« Prends ça. Ca te f’ra du bien. »

Théophile l’attrapa avec un hochement de tête. Il ne savait pas réellement de quoi était faite la petite chose qu’il mit dans sa bouche, mais bien vite un fourmillement se fit sentir sur sa langue, ses joues, son palais. Puis il fut comme anesthésié aux mêmes endroits, avant que la sensation ne se propage dans une moindre mesure au reste de son corps.

Les muscles de l’archer se détendirent, son esprit sembla prendre ça comme un signal de sécurité et lui aussi s’apaisa. Le tumulte des dernières semaines eut soudain l’air d’un problème distant.
Les deux compères restèrent ainsi un temps indéfini, à contempler les vagues qui se fracassaient, arrosant parfois leurs gosiers de la liqueur cachée dans l’outre.

Une fois sûr que l’archer avait son esprit tranquillement à la dérive, Le Rouquin entama enfin la discussion.

« Quel mois d’merde. »

La façon dont ses mots traînaient indiquaient que lui aussi n’était plus autant sur le qui-vive. Pour autant, si ils étaient attaqués, ils étaient largement assez entraînés pour réagir. Et leurs douceurs n’étaient pas assez fortes pour totalement les emmener vers d’autres horizons, elles leur amenaient juste un peu de paix.

« J’me demande toujours ce qui a pu s’passer avec ce mordu qui s’est transformé à la caserne. Chef t’as pas donné d’nouvelles ? »

Le borgne secoua la tête en soupirant.

« Non. C’est sûr que les grands pontes veulent pas laisser échapper d’informations. Je me suis demandé si ça avait un lien avec les sectes qu’on a rencontré. Va savoir combien de ces malades mentaux sont là dehors. »

Sa voix s’était abaissée en parlant des groupuscules, mais elle restait audible pour quiconque était proche et attentif. Que ce soit le Cloaque ou les Purificateurs, ils étaient pour l’archer des cinglés assoiffés de sang, qui se donnaient seulement bonne conscience avec un grand dessein. Les images des prisonniers trouvés dans le sous-sol d’un bordel une dizaine de jours plus tôt restaient gravées dans sa mémoire.

« Comment peux t’on penser que torturer des gens est un acte noble... »

« Tout le monde n’est pas persuadé que les mordus sont des gens normaux Castaing... »

Le soldat serra le poing de frustration. La majorité des gens étaient même persuadés que les mordus n’étaient déjà plus des être humains. En tous cas dans la cité. Il avait entendu dire que les choses étaient un peu plus simple pour eux à l’extérieur, du moment où ils étaient discrets sur leur condition. Sa haine pour la Fange se raviva un instants avant de retomber à plat.

« J’aimerais bien voir leur visage à ces gens là le jour où ce sera leur tour... »

Ce genre de discours n’était que celui d’un soldat fatigué. Il ne le pensait pas réellement, il ne souhaitait pas la souffrance sauf pour les pourritures de ce monde. Les badauds étaient souvent médisant par méconnaissance et il ne pouvait leur en vouloir. Dans ce monde où l’espoir était un faible faisceau de lumière dans l’obscurité, ils avaient déjà assez de mal à survivre pour ne pas se préoccuper du malheur des autres.

La nuit tombe, Emeric ne parvient à dormir, alors il a décidé de sortir.
Sur le port, il n'y a pratiquement plus personne. Des mendiants qui fouillent des poubelles en pestant une bouteille à la main, ou des chats errants qui se battent pour un morceau de poisson.

Sa recherche de Demoiselle Clarence fut veine. D'ailleurs le coeur en peine, le jeune écuyer, en plein doute, se demande si pour son bien il doit continuer à la voir.
Il constate que pour elle, il est très certainement prêt à pécher. Évidemment une telle idée l'attriste car son coeur la refuse catégoriquement.
Le visage mélancolique, il avance sans trop savoir où il va, il observe le ciel, et la lune pas encore tout à fait pleine avec émerveillement.

Suivant un chemin au hasard, il passe devant des auberges et des bordels sans véritablement y prêter attention. Les pouces coincés à son ceinturon il avance,
L'écuyer s'arrête ! Il remarque, assis sur un muret tout proche de la mer et plutôt isolé deux hommes.
A cette vue, dans son esprit lui surgit la pensée que c'est peut-être l'occasion d'apprendre des informations comme le désir Dame Léonice.

Alors faisant preuve d'une grande discussion il décide de coller son dos dans l'angle d'une bâtisse abîmée.
Fronçant les sourcils en signe d'une extrême concentration, il aguise ses sens.
La lune offre une assez bonne visibilité.

Il remarque que l'un des deux ouvre un coffret et que l'autre s'empare de son contenu qui très vite semble devenir plus détendu. Emeric se sent mal à l'aise d'assister à cela et il se demande de quoi il pouvait s'agir.

Mais la suite vint très vite lui faire oublier cet événement. Il se dit que le sort est favorable et que le faible bruit des vagues lui permet d'entendre assez bien la discussion.

Un mordu qui s'est transformé à la caserne ? Font-ils partis de la milice ? Se demande-t-il.

Des sectes ? Emeric pose la main sur le tissu de son veston vert foncé en priant les trois de protéger son âme.
La suite de la conversation heurte l'esprit du jeune homme. Mais il se retient de se montrer.

Néanmoins, Emeric, même si l'effroi est présent dans sa tête, vient d'apprendre des choses, bien sûr, il se demande comment il pourrait creuser cette histoire.
En attendant, il préfère rester là pour entendre la suite...

Le ressac continuait inlassablement alors que les deux miliciens réfléchissaient. Tout du moins tentaient-ils de le faire.

« J’ai l’impression que les sectes s’agitent particulièrement depuis le début de l’année. Tu crois qu’avec la reconquête des territoires extérieurs ils se sentent plus en confiance pour agir dans la ville ? »

L’idée était venue au borgne il y avait peu de temps. Sa coutilerie n’avait quitté les murs qu’en Février pour la première fois et avait fait face aux cultistes une quinzaine de jours avant. Ce n’était pas qu’ils n’en avaient pas entendu parler auparavant, simplement ils n’y avaient pas été confrontés d’aussi près et aussi souvent.

« Possible. Même nous on a été sollicité plusieurs fois pour partir à l’extérieur. C’était jamais arrivé avant. »

C’était à la fois un plaisir de pouvoir à nouveau se retrouver dans la nature qu’il avait connu les vingt-trois premières années de sa vie, tout autant que c’était une plaie. Ce n’est pas comme si ils pouvaient déambuler allègrement dans la forêt, comme Théo avait pu le faire dans son ancienne vie. Mais pouvoir être entouré d’arbres pendants quelques jours lui faisait penser à des jours meilleurs. L’énergie qui se dégageait de la forêt et de la nature était incomparable avait la froideur des murs de pierre.

« Heureusement qu’ils ont commencé à faire un peu plus appel aux mercenaires. Si on doit gérer des mordus, des expériences étranges à Marbrume une semaine et partir la semaine suivante au Labret ou à Balazuc pour gérer des Fangeux et des bandits, je ne suis pas sûr que notre taux de survie continue à être aussi bon. Je pense même que certains d’entre nous risquent de jeter l’éponge. »

Le ton était passé d’enjoué en début de tirade à fataliste. Théophile se fichait bien des dangers qu’ils pouvaient affronter. Au contraire, ça lui évitait de d’occuper ses soirées avec des substances étranges...Mais ce n’était pas le cas de tout le monde.

« Chef ? »

« Non, même si il râle tu sais bien qu’il aime bien notre travail la plupart du temps. Je pensais plutôt à Papa. Il a intégré la milice car il pensait y avoir une meilleure paye et surtout plus constante qu’à la forge. Mais quand il a vu les prisonniers sortir de ce sous-sol... »

Une nouvelle fois, les images de ce qu’il s’était passé menacèrent de le submerger. Son camarade avait dû le percevoir et lui assena une claque dans le dos.

« Cette histoire laisse personne de marbre. »

« Sur le coup j’ai essayé de garder la tête froide. Mais quand je repense à tout ça...Tous ces gens entassés dans ces sous-sols froids et crasseux...Personne ne les cherchait et les Purificateurs auraient pu continuer à mener les expériences si il n’y avait pas eu de fuite. Je ne sais même pas comment le Roi et nos chefs vont réagir à tout ça. Ca me met en rogne de savoir que peut-être rien ne va changer. Les mordus vont être jetés dehors et les autres vont être remis au Goulot sans ménagement... »

Normalement, jamais ces dernières pensées ne seraient sorties de sa bouche. Il avait beau être contre certaines décisions prises par les autorités, il ne le laissait que rarement échapper. Surtout pas avec cette amertume.

« Te biles pas... »

L’archer croqua dans le reste de la bille qu’il avait dans la bouche et plissa les yeux sous l’effet bien plus important qu’il ressenti momentanément.

« Ouais...j’vais pisser je reviens... »

Les mots rassurants du Rouquin n’atteignirent pas tout à fait le cerveau embrumé de Théophile. Ni son coeur, bien trop mis à mal ces temps ci.
Il se releva en soupirant et usa de son sens de l’équilibre bien rôdé pour se diriger vers le renfoncement de mur le plus proche. Enfin, l’angle d’une maison pour être plus exact. Mais dans son état ce genre de détail n’était pas vraiment essentiel.

Sa démarche nonchalante se stoppa lorsqu’il vit face à lui un jeune homme qui avait l'air bien sur lui. Plus jeune, plus petit, plus fin et dont les femmes s’arracheraient sans aucun doute le joli minois. Ses billes azur et son air de poète devaient avoir un sacré succès chez les jeunes femmes. Mais ce garçon devait être là pour la même chose que lui.

« Désolé l’ami, je ne savais pas que ce mur était déjà pris. »

Ca, ce n’était pas forcément un problème. Entre homme ayant le même besoin pressant, il n’y avait ni gêne ni faux-semblant. Le milicien passa le bras autour du cou du jeune homme et l’attira contre lui avec un sourire entendu.

« Ou alors tu attendais peut-être une fille ? Celles du coin sont pas forcément les plus aimable et les plus...propres. »

Une grimace de répugnance passa brièvement sur son visage.

« Si tu veux je connais un coin qui regorge de beautés prête à te rendre service pour une somme tout aussi abordable. J’allais y aller un peu plus tard mais si c’est pour aider un p’tit gars, mon ami et moi pouvons écourter notre séance d’apitoiement pour t’accompagner. Qu’en dis-tu ? »

Lui, il trouvait que c’était une excellente idée. Sa pupille unique brillait d’anticipation de quitter la terre des mortels pour rejoindre le monde exquis du plaisir charnel.

Emeric ne sait que penser, son dos plaquer contre le mur, il guette avec attention. Les deux miliciens poursuivent leur discussion alors que des nuages commencent à masquer de temps en temps la clarté de la lune.

L'écuyer, un pouce calé à son ceinturon essaye de comprendre en se disant que le sort lui est favorable, et qu'il tient certainement une source d'information pour en apprendre plus sur la face cachée de la cité.

Avec son autre main, il ressert le col de veston pour se protéger d'un petit coup de vent. Cette histoire de secte l'intrigue, plus encore lorsqu'ils mentionnent des gens entassés dans des sous-sols pour des expériences.

De plus qui sont les Purificateurs ? Se demande-t-il en se sentant totalement écoeuré par tout cela.
Néanmoins, l'écuyer se dit qu'il tient là une histoire qui devrait peut-être plaire à la Dame à la chevelure flamboyante ! Cette histoire n'est pas anodine, et son âme emplie de justice aimerait pouvoir agir, mais pour l'instant il sait qu'il ne peut pas, et qu'il doit juste approfondir ce qu'il vient de découvrir.

Un instant d'inattention, et l'un des miliciens se trouve devant lui.
Emeric recule d'un pas, un peu surpris, et observe l'homme qui lui fait face. De son allure il devine qu'il a accompli de nombreuses actions.
Est-il borgne ? Il se le demande tout en ayant une quasi-certitude.
En tout cas, le milicien est ici pour uriner, et le jeune homme se sent soulagé de ne pas avoir à se justifier sur la réalité de sa présence ici.

Il esquisse un sourire, il n'a pas le temps de répondre, alors il laisse son interlocuteur lui parler car de toute évidence il n'est pas dans son état normal.
Peut-être une chance ?

Lorsqu'il attrape par le cou, le jeune homme se laisse faire, car il ne veut pas d'esclandre.
La lune vint éclairer une seule pupille du milicien venant confirmer ce qu'il pensait.

- En effet, oui, repond-t-il sans forcément répondre clairement bien que le fait qu'il ne baisse pas son pantalon laisse suggérer d'un rendez-vous.
Son coeur se soulève d'un coup dans sa poitrine quand son interlocuteur lui propose de lui montrer des prostituées.

Peut-il accepter ? Son honneur ne serait-il pas tâché ? Et la Dame de ses Rêves ?
Il pose discrètement une main au niveau de son coeur et repense au serment fait à Dame Léonice qui guide sa foi.
En cet instant, il doit le faire, tant pis pour son honneur et pour l'amour, se dit-il avec un profond chagrin qu'il étouffe en faisant s'éveiller son fanatisme pour sa foi envers la Dame à la chevelure flamboyante. Il ne peut échouer et se doit à tout prix d'exécuter l'ordre qu'elle lui a donné

Rester avec les deux miliciens lui permettraient d'en savoir plus.
Alors que le milicien urine contre le mur, Emeric se degage.

- Pourquoi pas, vous allez l'air de connaitre les lieux, alors je vous suis ! Dit-il avec un léger sourire sur son jeune visage.

Théo se fit rattraper par sa vessie, et avant d’entamer une quelconque autre action, il devait se soulager. Il ne se rendit compte qu’il tenait toujours le jeune garçon contre lui que lorsque celui-ci se dégagea de son emprise. Le truc du Rouquin était plus fort que ce qu’il ne l’avait laissé entendre ! Ou bien c’était la liqueur ? Ou les deux mélangés ?

Peu importait, même si il se sentait léger, il devait rester suffisamment conscient de son environnement pour ne pas se faire poignarder. Une fois qu’il fut rhabillé, il croisa le regard moqueur de son camarade et soi-disant ami. Cet enfoiré était tout à fait au courant de son état ! Lui était habitué à ces machins, ce qui n’était pas le cas de l’archer. Il se vengerait plus tard. Pour l’instant, il était surtout impatient d’aller voir des femmes aux formes pulpeuses. En avoir parlé avait éveillé son envie.

Le borgne observa le jeune homme un instant, tentant de déterminer ce qui pourrait lui convenir. Sa première impression se renforça, ce garçon n’était pas une petite frappe du coin. Etait-ce un fils de bourgeois qui tentait de s’acoquiner ? Son habillement laissait penser quelque chose du style.
Théophile lui assena une claque amicale dans le dos, certainement anodine pour quelqu’un de sa propre carrure et musculature mais peut-être un peu forte pour le commun des mortel.

« Allons-y l’ami. Je m’appelle Théo et cet abruti c’est Bart. »

Le Rouquin souleva un sourcil interrogateur, sa trogne arborant encore cet air narquois avec lequel il s’était moqué de l’archer.

« Ouais t’es un putain d’abruti Bart. Je te jure que si t’étais pas mon ami je t’aurais balancé dans le tas de poisson pourri qu’on a vu cet après-midi...Bon on en était où ? »

Le milicien passa de nouveau son bras autour des épaules du jeune homme pour l’entraîner à sa suite

« Ah ouais, donc tu sais qui nous sommes. Qui es-tu donc ? Les gars comme toi on ne les voit pas beaucoup traîner au port à cette heure-ci. T’as pas peur de faire une mauvaise rencontre ? »

Une épée était pendu à la hanche du jeune homme. Mais ses yeux reflétaient une certaine pureté et innocence. Comme si son âme n’était pas entachée par les combats et l’horreur. Avant même la fange, Théophile avait été soldat. Ses expériences d’alors l’avaient déjà marqué. Il avait tué un homme avant même d’être marié. Il avait vu des actes de torture et à quel point certains être humains étaient pourris avant même d’avoir vingt ans.

Ce garçon ne reflétait rien de tout ça. A moins qu’il ne le cache aussi bien que lui-même ne le faisait...

Emeric n'est pas vraiment à l'aise, mais il fait bonne figure. D'un geste du bras il essuie sa bouche qui lui paraît amer. Il assiste à la scène sans rien dire de plus.
En revanche, poussé par son instinct, il imagine qu'il tient là un filon plutôt intéressant afin d'en savoir plus sur les événements qui secouent la cité de Marbrume.
Le second individu s'approche alors que le premier termine son affaire visiblement sous l'emprise d'un quelconque produit.

Evidemment, l'écuyer à accepté de les accompagner en sachant que pour lui la suite ne serait pas si agréable, car la rencontre avec des prostitués est évidemment, dans son code d'honneur, quelque chose de mal vue. Mais il se sent la force d'affronter la boue qui tâchera son honneur par le simple fait qu'il le fait pour la Dame à la chevelure flamboyante, ainsi il pourra accomplir son devoir.

Son interlocuteur se présente non sans lui administrer une bonne claque dans le dos. Heureusement, même s'il n'est pas le plus fort, il parvient à ne pas basculer en avant sans toutefois nier ressentir une vive douleur durant quelques secondes.

- Enchanté de vous connaître, moi c'est Emeric, je suis arrivé en ville il y a quelques jours... répond-il en laissant le borgne lui passer un bras autour du cou pour l'entraîner à sa suite non sans se disputer en même temps avec son compagnon.
Emeric tousse un peu, et pose inconsciemment sa main sur son épée.
En tout cas, il n'a pas l'habitude de cette ambiance, de cet atmosphère sombre, et inquiétante qu'il ne craint toutefois guère.

Le borgne l'interroge ! Le jeune homme baisse la tête pour faire attention où il pose les pieds pour ne pas faire une mauvaise chute.
Au loin on entend des éclats de rire, des cris, des chopes qui s'entrechoquent et des fers qui se croisent dans un air de galéjade.
Des mendiants se faufilent dans les ruelles à la recherchent d'un abri, ou de nourritures, des rats longent les murs, et des chats miaulent sous une lune qui parfois, par la faute des nuages, perd de son éclat.

- Je ne sais pas exactement qui vous êtes, mais à en juger par la force de votre poignet, vous m'avez tout l'air de savoir vous défendre, et vous battre. Quant à moi, je suis simplement un jeune écuyer qui suit son parcours initiatique pour devenir chevalier. dit-il d'un ton sobre, en sentant son coeur déverser en lui une haine folle pour lui rappeler l'amour qu'il voue à la belle Clarence, mon chemin m'a conduit jusqu'à Marbrume, et désormais je cherche à m'adapter à cette nouvelle vie, car jamais je ne vis tant de gens... Ajoute-t-il en se souvenant de sa vie au Labret, et de ses années d'errance avec un chevalier qu'il voyait jadis comme une idole mais qui désormais semble ne lui inspirer qu'une profonde honte.

- Je sais me défendre, lance-t-il avec une profonde conviction, évidemment, il n'aime pas fondamentalement se battre sans raison, mais il sait manier l'épée avec une certaine dextérité, je suis ici, car je n'arrivais pas à dormir, je n'allais plus tarder à rentrer avant que je ne tombe sur toi et ton camarade.

Au loin les bâtisses se font plus présent, et précis. Des ivrognes en sortent déjà, ils chantent mal et les paroles expriment un irrespect pour les femmes, la noblesse, et les dieux. Emeric essaye de garder son calme. Il se sent pris d'un petit vertige face à une odeur acre qui persiste et se mélange à celle d'urine.
L'écuyer se dégage du bras du borgne dans un mouvement délicat et il se frotte la nuque.

- Vous connaissez bien le quartier ? Si tu trouves ma présence en désaccord avec cet endroit, c'est qu'il est sujet à de nombreux soucis n'est-ce pas ? Je ne suis guère habitué à ce genre d'endroit je ne peux le nier.Demande-t-il en croisant les bras et en cherchant à se battre contre une envie de tousser dû au dégoût pour l'ambiance de la ruelle.

Le garçon était un écuyer. Intéressant…Autrefois, la profession était surtout honorifique de ce que l’ex-soldat en savait. A vrai dire, si aujourd’hui les chevaliers pouvaient montrer l’étendue de leur capacités guerrière, ce n’était pas forcément le cas avant la Fange. Ils allaient surtout jouer à la guerre pour le Roi et quand ils étaient trop vieux pour ça, ils faisaient régner la loi sur leurs terres. Théophile avait assez entendu d’histoires où ces « braves » avaient abusés de leur position pour tromper leur ennui auprès d’honorables gens.

Au moins la Fange leur donnait assez d’occupations pour que tout ceci ne se reproduise plus. Pourtant le jeune homme semblait aussi innocent qu’au jour de sa naissance. Rien que l’odeur des bas-quartier lui faisait tourner de l’oeil ?

« Tu sais te défendre ? C’est bien. Je dirais même indispensable de nos jours. Mais dis-moi, jeune écuyer, as-tu déjà tué de ton plein gré ? As-tu ôté la vie de quelqu’un car il s’agissait d’un ordre de celui que tu sers ? As-tu fait perdre un père ou un frère à quelqu’un car il avait volé ton maître ? »

Les questions avaient plutôt vocation à faire réfléchir plutôt que d’obtenir des réponses. De quel bois était fait cet apprenti chevalier ? Théophile n’arrivait pas à se défaire de l’idée qu’Emeric avait l’air trop bien sur lui et trop gentil. Le genre de gamin qui croyait dans les belles histoires, celles qui contaient qu’un chevalier agissait selon un code d’honneur à en faire frémir les midinettes les plus romantiques. Le fait qu’il avoue qu’il n’était pas un commun du coin n’était que la validation du ressenti du borgne.

« Au moins, dans certains quartiers de la ville, tu peux arguer que c’est de la légitime défense, et non pas un simple meurtre sur commande. »

Les deux optiques menaient à la mort d’autrui, dans tous les cas. Ce n’est pas le genre de sujet qu’il aurait pensé aborder avec ce garçon rencontré dans un coin de ruelle. Ce ne l’aurait pas été quelques années en arrière, même si son avis sur la caste supérieure était déjà le même à l’époque. Il avait alors moins perdu, et moins d’horreurs hantaient son esprit.

Théophile secoua la tête. Le garçon n’avait pas à subir ses états d’âme et la mauvaise période qu’il traversait. Les pas du milicien commencèrent à changer de direction, pour se diriger vers un endroit un peu plus sain. Il ne pouvait pas laisser le jeune homme ici, il se ferait manger tout cru. A savoir si c’était les prostituées de bas-étages ou les brigands qui lui mettraient la main dessus en premier…

Essayant de paraître moins sordide, le borgne colla un sourire taquin sur son visage.

« Tu cherchais à t’acoquiner ? »

Certains hommes pensaient qu’ils devaient encourager les plus jeune à faire l’apprentissage de la chose auprès des belles de nuit. C’est peut-être ce qui avait été suggéré à Emeric afin qu’il « devienne un homme ». L’archer ne pouvait nier qu’après avoir épousé Alice et l’avoir fait sienne, il s’était senti différent. Plus mature, c’était sûr. Mais là où certains pensaient qu’il s’agissait de l’acte en lui-même, Théophile savait que c’était le lien encore plus profond qu’il avait noué avec sa Douce qui avait rendu les choses ainsi.

« Je ne suis pas sûr que tout ceci soit fait pour toi mon grand. Pourquoi ne cherches-tu pas plutôt une gentille fille avec qui te marier ? »

Il y avait assez de jolies jeunes filles qui avaient besoin de protection et qui pourraient donner leur affection en retour. L'apprenti chevalier pouvait y trouver son bonheur.

Emeric se gratte la nuque, en se disant que son interlocuteur est quelqu'un de bien sombre. Sans doute que contrairement à lui, il a connu des événements horribles. Evidemment, lui aussi en a connu, mais tout est relatif. En attendant il avance en compagnie des deux personnes sans savoir ce qui l'attend.
Les questions fusent.
Lorsqu'il lui demande s'il a déjà tué, le jeune homme se sent mal à l'aise. Il sent son coeur qui palpite, il sent son coeur qui le gronde d'avoir épargné l'agresseur de la Dame de ses rêves sous prétexte de la foi !

Le jeune homme légèrement la tête, et plisse les yeux, dans son esprit, il ne sait pas s'il ne regrette pas de ne pas l'avoir fait ce soir là.
- J'ai eu l'occasion de le faire... Mais mon bras préféra suivre la foi que le coeur. Répond-il assez mystérieusement, en se disant que si l'amour l'avait emporté il aurait fait sans nul doute ! Le désenchantement qui accompagne les mots du borgne ne l'aide pas à trouver du réconfort quant à sa présence par ici.

Dans le fond, il sait que cet endroit n'est pas pour lui, d'ailleurs l'idée de se retrouver avec des catins le répugne. Toutefois, s'il est là, ce n'est pas pour s'acoquiner comme le lui demande son interlocuteur. Ce sacrifice, il le fait pour accomplir son devoir afin de poursuivre son parcours initiatique pour devenir chevalier. Est-ce si mal que ça de salir son honneur si cela permet de faire son devoir ?

L'écuyer pousse un soupir lorsque le borgne lui demande pourquoi il ne se contente pas du parcours que l'on peut dire classique qui sied mieux à une personne de son statut.
Evidemment qu'il rêvait d'un tel destin, mais voilà que rien ne se passe comme prévu et que l'amour qui s'est introduit dans son coeur est maudit, un poison sans remède dont il craint les effets si jamais sa foi venait à baisser la garde.

Bref, l'écuyer avance malgré tout, observant les ruelles sombres et inquiétantes, et au loin les établissements qui s'animent. Peut-il vraiment y aller ? En a-t-il vraiment besoin pour accomplir sa mission, même si c'est le hasard qui l'a conduit ici.
- En vérité, mon coeur est prit, et je doute qu'il puisse oublier dans les bras d'une autre celle qui le fait vivre, dit-il d'un air mélancolique qui trahit parfaitement la complication de sa relation avec la belle Clarence. De plus la réponse affirme qu'il ne cherche pas une donzelle, ni même à s'oublier dans les plaisirs de la chair.

Toutefois, le jeune homme ne voulait pas rester dans le mensonge, alors, serrant le col de son veston de sa main gauche comme pour se protéger du froid, il comment son aveu.
- Je me prenais l'air, et je vous ai entendu, débute-t-il d'une voix basse et mielleuse, vous parliez d'une secte, et cela m'a intrigué !

Ses doigts serrent un peu plus encore le col, le jeune homme lève les yeux vers les étoiles, il se dit que cette histoire pourrait l'intéresser.
- J'ignore tout de cette cité, je suis arrivé il y a quelques jours à peine, que se passe-t-il avec cette secte ? Est-ce que vous les pourchassez ? Demande-t-il à voix basse pour ne pas être entendu par de mauvaises oreilles alors qu'une bâtisse leur fait face, pour ne rien vous cachez, je crois que tu as raison, cet endroit n'est pas pour moi, mais il est trop tard pour reculer... Souffle-t-il en remarquant un homme en train de vomir ses tripes...

Le garçon se dévoilait un peu plus alors que leurs pas les menaient tous les trois vers un endroit un peu moins glauque. Le Rouquin suivait le borgne et l’écuyer sans rien dire. C’était le genre d’homme qui préférait observer les choses et agir ensuite. Les deux hommes écoutèrent avec attention les explications du jeune homme. En particulier quand il évoqua la facilité avec laquelle il avait surprit les propos des deux miliciens. Des choses qui n’auraient pas dû filtrer.
Le borgne jeta un coup d’œil par dessus son épaule et se rendit compte que Le Rouquin était parvenu à la même conclusion que lui. Ils avaient été imprudents et ils avaient merdé. Quelqu’un d’autre avait-il surprit leurs confessions ? Ils ne pouvaient en être sûr.

La marche et l’air frais commençaient déjà à dégriser le milicien, qui venait de faire l’amer constat de son manque de professionnalisme. Ceci n’aurait jamais dû arriver, quelle que soit son excuse. Et maintenant il devait faire face aux conséquences de ses actes. Laisser l’écuyer avec ces informations seules n’était pas possible. Mais ce n’était pas ici qu’ils pourraient discuter tranquillement.

« Viens, allons dans un endroit un peu plus calme. Il y a quelques tavernes qui nous permettrons de discuter calmement à Bourg-Levant. Sans d’autres oreilles indiscrètes. »

Le sourire qu’il lança au jeune homme indiqua que cette pique n’était pas méchante. Après tout, le borgne s’en voulait bien plus à lui-même qu’au jeune homme. Heureusement pour eux, ils approchaient du quartier commerçant et ils pourraient tout mettre à plat, laissant les soudards et la misère de la ville derrière eux.

Pour combler le silence, Théophile décida de revenir sur leur premier sujet. Quelque chose qu’il maîtrisait bien mieux.

« Il est vrai que l’amour ne pas être remplacé. Mais les bras des autres femmes ne sont pas là pour ça. As-tu déjà connu l’intimité avec une femme ? »

L’écuyer était tout à fait en âge d’avoir déjà goûté le fruit défendu, mais le fait qu’il se contraigne à rester dans l’attente d’un amour à sens unique, de ce qu’il laissait entendre, était parlant. Les hormones devaient pourtant le travailler et si il avait connu la délivrance que pouvaient lui apporter les corps-à-corps, il ne s’y abstiendrait sans doute pas.

Emeric se sent incommodé, à vrai dire, il n'avait jamais fréquenté ce genre d'endroit. Heureusement, la discussion lui permet de s'évader.
Parler de la Belle Clarence, bien que cela soit douloureux pour sa foi, permet à son coeur de rêver et s'enflammer. Vint ensuite ses confidences. Oui il a entendu la discussion des deux miliciens. Oui cela l'a grandement intéressé, et la raison pour laquelle il les a rencontré.

Il avait envie d'en savoir plus sur cette secte. Pour l'écuyer, cela serait information fabuleuse, lui qui est à la recherche d'aventure. Mais aussi, il cherche à obéir à la volonté de Dame Léonice afin de poursuivre sa quête.
Le borgne prend la parole pour changer le plan de la soirée. Il pousse un soupir en comprenant qu'il doit faire attention à ce qu'il dit pour éviter que les paroles ne trouvent de mauvaises oreilles.

D'ailleurs, il se sent confus, et gêné, mais en même temps fort soulagé de fuir cet endroit. C'est donc avec plaisir que leur chemin les mène vers un quartier un peu plus calme et plus appréciable pour un individu comme lui.
En tout cas Emeric est ravi, au moins, il se dit qu'il pourrait en apprendre un peu plus. Le borgne lui pose ensuite une question qui fait bondir son coeur.

Il ravale sa salive, et se met à rougir un peu. Emeric se frotte la nuque, et son coeur palpite de plus en plus fort.
- Non... Souffle-t-il mêlant dans sa voix de la gêne, mais aussi un sentiment de fierté en se disant qu'il a toujours su respecter son serment pour devenir un jour chevalier.
- Je crois que cela serait une trahison si je trouvais du plaisir dans d'autres bras. Mais je suis encore jeune, dit-il pour expliquer que l'intimité avec une femme est pour bientôt.

Evidemment, la lutte entre sa foi et son amour semble pour l'instant un immense frein à tout ça, mais son coeur espère.
En attendant le jeune homme se contente de son devoir. Alors qu'ils arrivent devant un établissement calme, il reprend la parole.
- Combien de temps fait-il que vous traquer cette secte ? Demande-t-il à voix basse en faisant attention à ne pas être entendu, et en jetant un petit coup d'oeil à l'autre milicien qui suivait en silence.
L'écuyer n'aimait guère se montrer curieux, mais il se sent le droit de l'être puisque cela lui permettrait d'accomplir sa mission.

D'une main souple, il ouvre la porte de l'établissement recevant des gens un peu plus respectable. D'ailleurs, il n'y a pas grand monde. Tant mieux, pense-t-il. Au moins, ils pourraient discuter tranquillement.

Le chemin les mena bien vite à une taverne bien plus honorable que le quartier qu’ils venaient de quitter. La trahison dont faisait part le garçon faisait écho à celle que Théophile ressentait depuis peu de temps à chaque fois qu’il retrouvait un lit autre que le siens. Pourtant, la solitude était bien plus forte que sa culpabilité et il ne pouvait s’empêcher de se perdre dans la luxure. L’écuyer lui n’avait pas encore goûté à la joie de se réveiller chaque jour auprès de son âme-sœur. Il ne pouvait donc comprendre ce que cela faisait de la perdre. Le borgne ne lui souhaitait qu’une chose, avoir tout de même l’occasion de connaître ce bonheur intense que lui-même avait vécu. Mais il ne voulait pas lui plomber le moral avec ses propres histoires et se contenta de lui sourire.

Le garçon avait reconnu le caractère secret des révélations qu’il avait surpris. Même si les miliciens n’auraient jamais dû se laisser aller, au moins la personne qui les avait écouté n’était pas bête. L’archer et son camarade le suivirent jusqu’à une table reculée. Ils s’assirent, Théophile laissant Le Rouquin face à la porte. Son ami était un homme aux sens affûtés, un excellent pisteur, il saurait leur faire part d’une présence suspecte.

Le borgne fit signe au tavernier de venir les servir. Une bonne bière ne ferait pas de mal vu ce dont ils avaient à discuter...Il se pencha en suite vers l’écuyer rêveur et commença à répondre à ses interrogations.

« Une secte ? Il y en a au moins deux que nous connaissons. Je te demanderais de garder ces informations pour toi. Si on avait pas été négligents, tu ne devrais pas être au courant non plus...mais bon le mal est déjà fait. Par contre, tout le monde ne peut pas savoir. Imagines la panique dans la population si ils savaient que chez leur voisin il se passe quelque chose de pas très net ? »

L’archer se releva en voyant le patron venir leur apporter un grand pichet et trois verres. Il donna les pièces attendus afin qu’il s’en retourne au comptoir et les laisse tranquille. Pendant ce temps, Le Rouquin les servit tous les trois. Le liquide ambré n’était pas le plus doux des nectars mais pour sûr, ça leur nettoierai le gosier.

Une fois sûr que plus aucune oreille attentive n’était aux alentours, Théophile reprit.

« Les membres du Cloaques sont des fanatiques d’Etiol. Pour eux, la Fange est une sorte de punition du Dieu maudit envers les non-croyants. Et puis il y a les Purificateurs, qui pensent que la Fange est une épreuve des Dieux. Pour eux, ceux qui se font mordre ont échoué et sont des être impurs. Quelle connerie ! »

Son poing cogna violemment la table, menaçant de faire déborder la bière de leurs godets. Quelques œillades leur furent lancées et l’archer leur lança un signe d’excuse, pendant que Le Rouquin lui mit sa boisson sous le nez, ordre implicite de boire un coup pour se détendre. Ce fut lui qui expliqua la raison de cet emportement.

« Tu sais petit, les mordus ont déjà tout perdu. Leur maison, leur famille, leur travail, leur richesse. Ils sont en vie, ça c’est sûr. Après faut voir c'que leur réserve la vie à l’extérieur. C’est parfois pire que la mort. Alors tu comprends bien qu’sais un peu dur d’adhérer à c’que pensent ces malades. »

Et encore plus d’accepter ce qu’ils étaient prêt à faire pour leur idéologie. Une nouvelle fois, une image du sous-sol se glissa dans l’esprit de Théophile et il avala une grande goulée pour tenter de la faire disparaître.

Ils arrivèrent rapidement à une taverne plus en accord avec lui. Le jeune homme ne le dit pas, mais dans le fond, il est rassuré. A l'intérieur, il y a cette ambiance ordinaire d'une taverne, la nuit. Le Borgne s'installe, et son compagnon quant à lui se positionne de sorte à pouvoir surveiller la porte.

Emeric prend place, et laisse le soin au milicien de faire signe au tavernier afin que ce dernier apporte de quoi se rafraîchir. Le sourire de son interlocuteur le rassure, et à son tour, il se contente d'un air jovial.
L'écuyer reste néanmoins curieux, et se demande quel mystère se cache derrière les histoires de secte. Le Borgne ne tarde pas à prendre la parole pour assouvir sa soif de savoir.
Deux sectes, au moins, se répète-t-il intérieurement. Il écoute attentivement. Son regard et ses mimiques sont une réponse quant à son futur silence.
- Vous avez ma parole ! Dit-il pour confirmer qu'il garderait cela pour lui, comprenant parfaitement les raisons. Il n'était après tout pas ici pour faire naître la panique au sein de la population.

L'archer se relève. Emeric le regarde, et comprend qu'il s'agit seulement du tavernier venant apporter la boisson. L'écuyer s'empare de sa chope en remerciant le milicien pour le service.
Ensuite, Théophile reprit pour rentrer un peu plus en détail sur les événements qui envahissent en silence la cité.
Emeric fronce les sourcils, signe à la fois de sa surprise, de son effroi, et aussi de son désir d'en apprendre plus.

Il fut surpris par le coup de poing sur la table de son interlocuteur qui pour peu aurait renversé la boisson. Son compagnon pour le calmer lui pose son verre sous le nez pour qu'il boive.
L'archer en profite pour prendre la parole et lui expliquer le pourquoi de la colère du Borgne.
Emeric acquiesce de la tête. Il doit reconnaître que cela est terrible. Il est vrai que le traitement réservé aux gens par les sectes n'est guère enviable.

L'écuyer baisse légèrement la tête, exprimant par là son accord avec les mots du Borgne quant à la folie de ces deux sectes.
- Est-ce que vous savez où se trouve leur repaire ? Il y a t-il des actions contre ses gens-là ? Sont-ils nombreux ? Demande-t-il à voix basse en buvant à son tour quelques gorgées de bière.
La situation semble inquiétante, se dit-il sans savoir ce qu'il pouvait faire, bien qu'il pense cela pour ne pas admettre qu'il ne pouvait rien faire, mais de par sa foi, il se doit de combattre ces fous.

Le liquide ambré faisait son chemin dans le corps du milicien. Les bulles dégringolaient le long de son gosier, apaisant la soif et l’amertume qui étaient siennes aujourd’hui. L’alcool ne faisait pas encore effet, mais les arômes familiers de la bière du Labret éveillaient suffisamment de bons souvenirs pour le détendre.

L’inquiétude de l’écuyer était totalement justifiée. Les sectaires n’étaient pas le genre de personnes avec qui l’on souhaitait partager un repas. Et encore, il ne savait rien des horreurs que ces gens-là étaient prêts à commettre. Le borgne ne comptait pas donner autant de détails au garçon.

« Nous avons trouvé un repaire mais les traquer s’avère difficile, surtout que la milice a beaucoup d’autres tâches. Il y a les convois, la surveillance du chaudron, la surveillance de l’Esplanade, sans compter le reste des quartiers de la ville. Les autres crimes doivent aussi être traités et nous sommes trop peu nombreux pour faire face à tout. »

Voir deux membres des tuniques vertes passer du bon temps n’était peut-être pas le moyen le plus convainquant sur le sujet. Pourtant,l es Trois étaient témoins que ces gars avaient peu de temps libre.Chaque jour, ils devaient patrouiller. L’entraînement se faisaient en plus. Ne restait que peu d’heures pour profiter des siens ou des quelques plaisirs que leur maigre salaire leur permettait. Au moins,ils avaient de quoi vivre, ce qui n’était pas de pas mal de monde en ville, en particulier dans les quartiers comme celui du Port ou du Goulot.
Il ne fallait pas vraiment s’étonner que l’honneur ne puisse pas être à lui seul le moteur de plusieurs unités. Ce qui n’était pas le cas de celle de Théophile et Barthélémy. Ils tenaient toujours à faire au maximum, quitte à parfois sacrifier certaines de leurs précieuses heures.

« Certaines coutileries, comme ça a été le cas de la nôtre, peuvent parfois arrêter certains membres, ou certaines branches. Mais ils sont pires que du chiendent, ils reviennent toujours aussi nombreux. »

Et surtout, on ne laissait pas le temps aux hommes d’investiguer au-delà. Tous ceux qui étaient disponibles devaient s’acquitter de leurs tâches et il n’y avait que peu de temps pour l’imprévu.

Le borgne soupira et fit tourner sa bière dans son verre. Pour le moment, il n’y avait que peu de solutions au problème. A moins que leurs responsables ne délèguent une équipe dédiée à ce problème, les choses perdureraient. Mais il n’y avait pas encore eut assez de dégâts pour que la chose soit considérée. Ne restait qu’une dernière information qu’il souhaitait révéler. Une qu’il ne devrait peut-être pas divulguer mais qui parlerait àun écuyer. Ou en tous cas qui lui sauverait peut-être la vie un jour.

« Puisque tu sers des gens haut placés, je te donnerais un seul conseil. Vérifie bien qui est en face de toi. Car les fanatiques ne peuvent pas avoir les moyens qu’ils ont sans l’aide de personnes haut placées. »

Même la personne pour laquelle il souhaitait travailler pouvait en être.

Le jeune écuyer est fort intrigué par cette histoire. Son verre en main, il veut en savoir plus, il se dit qu'il pourrait peut-être trouver matière à trouver une aventure.
Le borgne lui explique qu'ils ont bien trouvé un repaire, mais qu'il n'était pas simple de se concentrer sur cette tâche tant ils avaient à faire.
Emeric fait un simple geste de la tête pour simplement répondre qu'il comprend tout à fait cela.

Il boit une petite gorgée en se demandant bien ce qui pourrait être fait pour lutter contre ce fléau. Evidemment, il faudrait se concentrer dessus, passes ses jours sans relâche sans rien avoir à faire à côté. Mais est-ce possible ? Le milicien poursuit alors en lui racontant qu'avec sa troupe il avait déjà arrêté des membres de la secte, mais qu'ils ont beau en arrêter, il en revient toujours !

Le jeune homme fait une moue joue avec la liqueur se trouvant dans son verre en plongeant ses yeux dedans. Il pense.
Puis, le borgne lance une sorte d'avertissement qui le sort de son état pensif. Sa main serre plus fort le verre, il lève les yeux.

- Cela est-il possible ? s'exclame-t-il en posant le verre. Cette idée le fait frémir, son coeur n'a de cesse de penser à sa dulcinée, et sa foi, en Dame Léonice...
Il ne peut imaginer la belle Clarence victime de la secte, et la noble complice de ce fléau.
Toutefois, il sait que la réflexion du milicien, s'ils ont des moyens colossaux, il y a forcement des gens fortunés qui trainent dans l'ombre pour fournir une aide non négligeable.

- Il y a t-il des indices permettant de les démasquer ? Demande-t-il alors, soyez certain que je me ferai joie d'aider la justice, ajoute-t-il avec grande détermination, tant dans la voix que dans les yeux. Il ne pouvait pas laisser échapper une si grande opportunité d'accomplir une grande action.
Le jeune homme se montrera désormais vigilant, plus encore qu'il ne pouvait l'être. Bien qu'il voulait fuir son amour pour Clarence, son coeur ne put s'empêcher de le dominer, et de le commander de la protéger. Oui, il le ferait ! Il doit la retrouver.

Il boit une nouvelle gorgée.
- Avez-vous des suspects chez les nobles ? Questionne-t-il. Peut-être qu'ainsi il pourrait mener une enquête de son côté.

Le choc que ressentait le jeune écuyer face aux révélations des miliciens était totalement compréhensible. Au fur et à mesure qu’ils parlaient avec lui, et que l’archer analysait ses réactions, il se faisait une image plus nette du garçon. Et comme il l’avait pressenti, son air rêveur révélait un être dont les espoirs chevaleresques n’avaient pas encore été réduits à néant par le monde délabré qui les entouraient. L’honneur, la justice, l’altruisme suintaient par toutes les pores de son visage et surtout au travers de ces deux billes d’un bleu intense qui réclamaient des réponses.

Des réponses que le borgne pouvait difficilement lui apporter. Le constat était amer et le replongeait dans l’état de lassitude qui l’avait amené à accepter la « douceur » de son camarade. Hors, même si la lumière était moins vive de ce côté de la salle, le soldat ne pouvait laisser entrevoir cette noirceur qui l’assaillait depuis ces derniers jours. Ce n’était digne ni de son serment, ni des gens qui croyaient en lui.

« Pour l’instant nos pistes nous ont uniquement mené au Temple. Nous n’avons pas de preuve formelle de qui exactement est impliqué dans la noblesse. Mais tout nous mène à croire qu’ils sont impliqués. Quant aux indices pour les démasquer... »

C’était bien là tout le problème. Du peu que Théophile en savait, ce n’était pas si évident que cela de les reconnaître. Alderman avait épousé l’une d’entre eux et n’avait compris que bien plus tard qui était réellement son âme-sœur. Une des plus importante instigatrice des purificateurs. Et cette trahison avait rendu l’homme fou dans ses actions, et instable dans sa vengeance. Bien qu’une brillante carrière lui était promise dans la milice, cette histoire avait bouffé sa vie et son avenir. Désormais, il survivait en tant que sous-fifre, souffre-douleur et moins que rien de sa coutilerie. Un sort qui n’était enviable aux yeux de personne.

Quelqu’un d’aussi droit qu’Emeric, c’était donc le genre de personnage qui pouvait facilement tomber dans une vindicte mortelle si il était mal manipulé. Et c’était surtout de cela dont les miliciens devaient se méfier et déjouer. Il ne fallait surtout pas que les cultistes gagnent de nouveaux partisans avec de beaux discours.

« On peut dire qu’ils sont assez forts pour se fondre dans la masse et amener doucement les nouvelles recrues dans leurs rangs sans que rien n’y paraisse. »

L’archer fixa un bref instant les prunelles face à lui. Ses yeux dissemblables leur communiquait la fatigue, mais aussi l’expérience de l’homme d’arme qu’il était. Tout ce qu’il avait vécu ces derniers temps était palpable, sans que rien ne soit clairement expliqué sur le sujet.

« Cela fait peu de temps que ma coutilerie s’intéresse à leur cas, on ne connaît que peu de choses à leur sujet. Mais l’avertissement que je t’ai donné est vraiment important. Reste sur tes gardes si tu sens que le sujet dévie sur Etiol ou la Fange. C’est peut-être l’un d’entre eux qui se trouve en face de toi. »