/!\Certains passages peuvent paraître choquant /!\
Je sais ! Je sais car j’ai vu, j’ai vu la colère d’Anûr, j’ai vu la détresse de Serus, j’ai vu les lames de Rikni. Je sais que nos fautes sont trop graves aujourd’hui pour encore espérer la compassion des dieux. Nous les avons bafoués, ignorés, raillés ! Aujourd’hui vient leur dernière promesse, le temps de la fin. J’accepte notre destin et pour le bien de nos âmes, j’aiderais notre peuple a épousé le sien. N’ayez pas peur, la souffrance est passagère, le pardon des trois nous attendra au sommet de la voûte lorsqu’enfin nous accepterons de payer notre dû.
Je vais, ici-même, vous conter mon chemin vers la compréhension, de quelle manière j’ai perçu l’offre pleine d’amour de nos dieux et j’espère simplement que ces quelques paroles permettrons à certain d’entrevoir la vérité comme je l’ai vue.
Je suis née au sein de la noble famille de Cerne, dont je suis aujourd’hui l’unique survivante. Ne pleurez pas pour moi ou les miens. Nous étions sur le déclin bien avant le fléau que nous appelons la fange. En réalité, à ma naissance, ne restait des Cerne que ma mère et son frère et lui-même est mort dans une stupide querelle pour une femme. Notre domaine tombait en ruine et depuis longtemps nos jardins n’avaient plus la grâce de notre statut. Heureusement ma mère avait un protecteur, un grand homme, riche, fort, aimant. Il était mon père et son mari de cœur, même si nous ne portions pas son nom. J’ai conscience qu’il n’a jamais tenu sa promesse à ma mère de lui offrir ce titre de femme mariée, mais c’était un homme occupé et sa réputation valait sans doute ce sacrifice. Alors lorsqu'il venait à l'abri de notre domaine si éloigné de la cour, nous voulions toutes deux qu'il reste le plus longtemps possible, même en préservant son secret.
Dès que je fus en âge de lui parler et de lui montrer mon affection, je dois admettre que j’exprimais plus volontiers mes sentiments envers cet homme chaleureux qui m’offrait toujours une friandise ou un souvenir. C’était une période bénie. Mais j’appris vite que la jalousie est un péché insidieux. Il frappa ma mère elle-même me frappa en conséquence. Il m’a fallu de nombreuses années pour comprendre ses accusations. Je volais l’amour de sa vie sans même m’en apercevoir, et cela la plongeait dans une détresse telle qu’elle n’avait d’autres choix que d’en faire payer la fautive.
Pourtant je souffrais et même le réconfort de mon père dans ses rares moments de présence ne suffisait à combler cette noirceur qui m’emplissait un peu plus chaque jour.
L’alcool qu’elle se mit à boire en quantité fut le premier signe de sa fin, et même son amant de toujours ne semblait plus lui trouver de charme une fois avachie dans ses excréments. Je sus que les trois m’offraient une chance de devenir plus pieuse et droite qu’elle quand un soir qu’elle avait trop bu, je dus m’enfuir de la maison pour échapper à ses coups.
La folie animait son regard et elle me traqua sur notre domaine, un couteau entre ses doigts gourds, hurlant mon nom comme une démente, me traitant de catin, de bâtarde. La neige ralentissait mes pas d’enfants, et le feu glacial brûlait mes poumons. Je finis par m’écroulait sur ce manteau blanc à l’orée d’un bois que je ne reconnaissais pas. Mes derniers instants, du moins ceux que je croyais l’être, furent dédié à la prière. Pas pour demander égoïstement qu’on me sauve, mais pour demander pardon de ne pas avoir été assez forte pour soutenir l’esprit défaillant de ma mère, ou ne pas avoir condamné mon père pour ne pas avoir suivis les préceptes du temple. A dix ans, j’avais déjà échoué.
Ma mère fut sur moi et je fermais les yeux pour ne pas voir la lame frapper dans mon corps. Un grondement sourd perça mes tympans avec plus de force encore que la lame, puis les hurlements de douleurs. Pas les miens, ceux de ma mère. En rouvrant les yeux je vis la divine apparition. Un loup, si immense et noir qu’il se confondait avec la nuit elle-même. Ses crocs et ses griffes déchiquetaient le corps agonisant de ma génitrice, peignant le blanc de rouge. Les hurlements devinrent râles puis gargouillis, avant de ne laisser que le bruit de mastication. Je regardais ce spectacle, fascinée, consciente d’assister à un événement hors du commun. Je ne sus jamais si ce fut Anür pour punir l’adultère, ou Serus pour chasser de ce monde une proie malade, mais l’un d’eux envoya ce loup. Et me permis de regarder dans l’infinité de son regard jaune avant qu’il ne me laisse seule, entrainant la dépouille de ma mère.
Je remerciais les dieux d’avoir un plan pour moi.
Mon père, ce si brave homme, décida en son cœur de pas laisser l’enfant que j’étais à son sort. Comme un ami et protecteur de la famille de Cerne, il m’accueillit sous son toit à Marbrume, me traita comme sa fille, sans jamais pourtant le reconnaître.
Je marque une pause dans mon récit pour vous dire à quel point j’aime cette ville et ses habitants, jamais auparavant je n’avais connu lieu si plein de vie et de variété, et je pris vite conscience que c’était en ces murs et ses alentours, que les dieux me demanderaient de payer un jour la dette que j’avais contractée en récompense de leur main tendue cette froide nuit. Reprenons.
Je reçu une bonne éducation au sein de la famille de Valis, précepteurs et gouvernantes m’apportaient connaissances et éducations. J’eu même l’insigne honneur, lors de nos longs mois dans la maison d’été de mon père, d’apprendre à écrire et lire les paroles divines avec un prêtre du temple, Cesare, un homme pieu et pédagogue qui m’apprit à rendre plus intime et grande encore ma connaissance et mon amour des dieux. Je sus grâce à lui, que les gestes de mon père lorsqu’il me rejoignait la nuit dans mon lit étaient viciés et mauvais, me faisant promettre de ne jamais révéler notre parenté ni ses actes, malgré l’amour qu’il exprimait à mon égard et les cadeaux d’excuses dont il me couvrait pour s’excuser chaque jour. Je sais que c’était mal que les, pourtant pieuses, gouvernantes couvrent les traces de ses méfaits, poudrant et massant les contusions qu’il laissait sur mon corps pas encore adolescent.
Et par-dessus tout je sais que c’est mal de n’avoir rien dit, ne pas l’avoir ouvertement condamné et même de l’avoir pardonné. Par amour et par crainte je me suis rendue aveugle, et j’ai entaché mon âme devant les dieux. J’ai corrigé au mieux cet état de fait dès que j’eu seize printemps en le persuadant de m’épouser pour enfin partager ma couche sans avoir à se cacher.
Notre mariage fut un savant mélange de splendeur et de piété. Mon père-époux suivit chaque règle avec autant d’empathie et d’implication que moi, nos fronts furent baignés par l’eau et le sel et nos destins furent noués. Jamais le ruban ne quitta nos doigts cette soirée-là. Pas même lorsque mon Oncle-frère nous accompagna jusqu’à la chambre.
Mon père-époux me fit l’amour avec sauvagerie sur une peau de cerf qu’il avait payé au Duc une fortune, car ses bêtes étaient réputés les plus belles. Je sus dès qu’il fut en moi que ce mariage ne rachetait en rien nos pêchés communs, mais n’était qu’une façade dont j’avais voulu me vêtir.
Mon Père-époux alla confirmer à mon Oncle-frère qu’il s’était bien emparé de la pureté de sa femme. Et celui-ci nous félicita chaudement. Je ne crois pas que ses tapes fraternelles et ses rires de joies auraient été présent s’il avait su que son frère avait volé cette pureté il y a des années à une femme qui était sa fille. Une chose se brisa en moi, et je priais les dieux de me dire comment racheter nos crimes. La réponses ne vint que des années après, et fut bien plus grande et aimante que je ne l’aurais cru alors.
Mais une chose après l’autre, car je devais encore me rendre compte que le monde entier était noyé dans la corruption de nos pêchés. Il me fallut parcourir les rues de Marbrume et du duché pour m’en apercevoir. Pour soutenir l’image de mon mari et le nom de notre famille et sans conteste partager l’amour de la trinité, j’allais là où la pauvreté et le malheur étaient les plus grands, je touchais leurs mains, leur offrais le pain et promettais de prier pour eux au temple.
Lorsque l’on scandait mon nom, je corrigeais avec douceur, car seuls les trois doivent être vénérer. Malgré mes efforts je ne constatais que putrescence, cruauté, et bêtise. L’homme battait la femme, la femme trompait l’homme, l’enfant volait et finissait par reproduire le schéma de ses parents. Le monde était à bout sous le poids coupable de nos âmes.
Mon mari prit peu à peu ses distances avec notre couche, comme si notre mariage avait mis fin à la vénération malsaine qu’il éprouvait pour mon corps, ou peut-être était-ce mes formes, à présent celles d’une femme et plus d’une enfant. Il se montrait toujours prévenant et doux, mais ses yeux glissaient sur moi sans me voir, et ses cavalcades, affaires et parties de chasse lui prirent plus de temps qu’auparavant. Du moins au début, car c’est ensuite son corps à lui qu’il abandonna, se flétrissant, ses tempes grises et ses yeux ternes. Ce fut à mon tour de prendre soin de lui, et malgré la corruption qu’il avait insufflé en moi, je fis mon devoir d’épouse et le soutint jusqu’à signé pour lui des autorisations ou de commandement afin de lui laisser plus de temps libre. Et toujours je priais pour savoir quoi faire pour aider notre peuple et notre monde.
Mon corps malgré ma volonté de bien faire me trahit lui aussi et je sentis mon cœur battre pour un jeune commandant affecter à ma garde. Mon désir de femme salissant ma volonté de piété. Je m’offrais à ses lèvres, à ses mains, à son sexe avec la même débauche que ceux que je jugeais. Je faillis bien me noyer définitivement dans la luxure et la dépravation. Mais une fois de plus les trois vinrent à mon secours. Nous remontions une longue route, en plein retour d’un long voyage que j’avais fait pour saluer de lointains amis de mon époux et excuser son état trop faible pour un tel voyage en hiver.
C’est là que la Fange nous trouva. J’avais entendu les histoires, vu les pauvres sur les routes, mais mes hôtes avaient promis qu’il n’y avait là que contes pour enfants et conflit lointain. Un bras difforme et couvert de sang défonça la porte de ma calèche et des cris d’effrois s’élevèrent. Mon soldat et amant me sauva la vie en me faisant sortir par l’autre côté. Et alors qu’il m’entrainait à sa suite en courant, j’assister au massacre de plus d’une centaine d’êtres vivants par une force brute telle que la nature elle-même était incapable d’en produire. Je vis le sang couler en quantité et les êtres abominables se repaître avec extase de celui-ci. Et je sus au fond de moi que c’était magnifique.
Que cette pureté bestiale était forcément la volonté des dieux. Que je tenais là la réponse à mes prières.
Nous parvînmes à nous mettre à l’abri dans la forêt, et les créatures humanoïdes ne nous suivirent pas, confirmant ce que je savais déjà. Un regard extérieur aurait peut être affirmé que nous avions simplement eu de la chance d'échapper aux regards des monstres pendant notre fuite, mais moi je sais qu'on ne peut échapper aux regards des dieux, et ils me regardaient ! Je devais prouver à Anür que j’avais compris sa demande et sa promesse. Sur l’herbe fraiche d’une clairière entourée d’arbre je fis l’amour à cet homme que j’aimais de tout mon corps. Et alors qu’il était en plein jouissance, je plantais sa dague dans son torse, encore et encore faisant jaillir le sang rédempteur que je consommai à même la plaie béante. Et quand le gout métallique dévala ma gorge, je sentis ma corruption purifié pour devenir une lame de certitude et de foi. Cette nuit-là je dormais pour la première fois calme et paisible, couverte de sang.
Anür punissait les âmes en les laissant errer sur notre terre, interdisant à notre espèce la sérénité de la voute céleste. Serus donnait à nos restes le gout de la chasse, et le droit de se mouvoir dans son royaume de nature et Rikni donnait la force aux dents et aux ongles de percer armure et peau pour leur permettre de se repaître de leur semblable encore en vie. C’était là la réponse, la volonté des dieux.
Pour autant ne furent-ils pas cruel. Ils continuèrent à permettre à la terre de nourrir les vivants, et au combattant de mourir l’arme à la main. Ne croyez pas qu’ils se montrent cruel en vous laissant de quoi survivre, c’est un cadeau. Une chance pour ceux qui restent de voir la fin de notre monde se produire, et de l’accepter.
J’avais compris la vérité, encore me fallait-il un homme sage pour m’enseigner mon propre rôle dans tout cela. Un esprit éclairé et plus encore que moi à l’écoute des trois. Marbrume subissait déjà le siège divin depuis plusieurs mois quand cet homme vint de lui-même me trouver. Il fut là en pleine nuit, dans ma chambre, comme une apparition. Son visage était masqué par l’ombre et le secret et ses mots furent aussi justes et limpides que la vision du massacre que m’avait offert la fange sur cette route.
L’Épurateur était le titre que l'on donnait à mon messie, il me tendit les bras, m'invitant au sein de son temple de purification, faisant de moi l'une de ses envoyées.
Il me confia le poison et la mission. Je sus que je devais lui faire confiance, Anür avait la main sur l’épaule de cet homme, même un aveugle en aurait eu conscience. Il me rassura tout de même, me promis que mon époux partirait lentement et sans souffrance, mais que notre cause avait besoin qu’il dépérisse pour utiliser les ressources de ma famille afin d’aider le message à parvenir aux gens de Marbrume. Armée de ma foi et d’une mission, je me mis en quête de notre rédemption. Aidant le jour la population et le duché à vivre avec le moins de malheur possible le cadeau de nos dieux, et la nuit passant à réfléchir et à agir pour précipiter la compréhension de ce message. Car nous devions ouvrir les portes et accepter notre destin.
J’espère que mon récit vous aura convaincu du bienfondé de notre cause, car aujourd’hui, chacun de vous à son rôle à jouer dans la fin du monde tel qu’il est. Et quand les dieux seront calmés, enfin nous auront mérités leur pardon.