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 Du spectre des espoirs fanés...

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Lazare de MalemortComte
Lazare de Malemort



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MessageSujet: Du spectre des espoirs fanés...   Du spectre des espoirs fanés... EmptyJeu 9 Juin 2022 - 15:00



Du spectre des espoirs fanés... | Printemps 1167

Oyez, oyez, braves gens, seigneurs, escuyers, on vous fait assavoir… !

Le crieur engoncé dans son costume strié d’un rouge écarlate s’était perché sur un amoncellement de barils en plein cœur de la grand place. Badauds curieux et paresseux, bourgeois attirés par le pittoresque de la situation, commerçants en pleine accalmie, tous marquaient un arrêt prolongé de leurs emplettes pour capter les palabres goûtues de ce héraut de nos temps modernes. Bien sûr, l’on avait versé quelque compensation vivrière à ce jeune homme engagé pour être celui qui s’égosillerait devant les foules amassées d’un jour de juin particulièrement noir de monde. Dévoilant le contenu de son bigoudi parcheminé qu’il tint avec fermeté, deux bras tendus sous son nez aquilin, l’homme déclame sa tirade commerciale comme s’agissant de l’inauguration d’une nouvelle apothicairerie, abandonnée par ses propriétaires des suites d’une tragédie familiale — comme il en existe des mille et des cents. L’on pouvait remarquer, si suffisamment surélevé pour effleurer d’un regard le crâne chapeauté de quelques passants, qu’une femme pâle et malingre se tenait sur une caisse en piteux état juste sous le proclamateur, vêtue d’une chainse albuginée affadissant plus encore son teint valétudinaire. À ses côtés, un homme vêtu d’une longue tunique noirâtre et coiffé d’un masque dévorant bouche et nez tenait la garde d’une mallette rigide. Il ne fallait pas plus en savoir pour s’imaginer que l’on allait s’adonner à la démonstration publique d’un remède miraculeux contre la variole ou la dysenterie.

Il m’arrivait régulièrement de fréquenter la Hanse, juste milieu acceptable entre le faste et le fiel, entre l’abondance et le manque. Y avais-je quelque chose à acheter que j’y envoyais Clovis, le jeune homme insupportablement parfait que mon valet croulant formait à mon service, tandis que je me contentais d’en apprécier le tumulte pour étouffer les velléités de mon démon et ses impérieuses manifestations habituellement réservées à mes instants de solitude. Cependant, il n’était pas si simple pour moi, comte de Malemort, honni parmi les honnis pour avoir reçu de son père un sang souillé, de me pavaner ouvertement parmi ces visages ternes et sans éclat en étant moi-même paré du bronze de l’Orient. Et pour m’épargner une émeute qui ne saurait que donner plus de raisons à ce Duc orgueilleux de me bannir, voire même de me laisser passer à trépas, exsangue, au fond d’une impasse poisseuse, je tâchais de revêtir une pèlerine plus légère à la teinte sombre et plus discrète, dont le capuchon couvrirait dans son ombre protectrice les éclats cuivrés de ma peau.

Agua vai !!

Du flot répugnant d’eau croupie se déversant d’une fenêtre à l’étage jusque dans la rigole creusée à même le nerf du passage étroit, d’autres beuglements jaillissent du chemin que je m’en allais emprunter pour remonter la toile arachnéenne du quartier. C’est ainsi que quelques minutes plus tard, au détour d’une ruelle bardée d’étals fleuris, je me retrouvais dans la cohue de cette annonce mensongère qui semblait avoir avidement aspiré les âmes des venelles adjacentes en un syphon marmonnant autour de l’œil du cyclone. Il me fallait jouer des coudes, écraser un soulier sous le renfort d’acier de ma canne précieuse à la tête léonine pour me libérer un chemin de choix jusqu’à cette clairière inhabitée et assister au déploiement de preuves et de postulats que l’apothicaire au demi-masque s’apprêtait à délivrer à son audience.

Il s’agissait d’une pratique commune qui pourtant s’était raréfiée tant certains pharmaciens avaient profité du bon cœur et de la naïveté de qui se retrouvait être le parent, le frère, le fils d’un mordu, ces bannis de seconde zone jetés en pâture à la nature mortelle de nos marécages, ou bien encore à la milice extérieure qui ne jouissait pas d’un cadre bien plus rassurant ou sécuritaire. Celui-ci osait, et c’était un spectacle qui aurait pu valoir le coup d’œil si le mien n’était pas alpagué par une silhouette d’une familiarité si vive et cruelle que j’en manquai une respiration. Portant à mes lèvres sèches le dos de mes doigts bagués pour me défaire de cette brève quinte, je revenais aussitôt à qui s’était placé au rebord de l’autre hémisphère de celui que j’avais élu place de choix. Une créature diaphane dont la crinière noirâtre ravivait la lactescence de son teint, et me rappelait tel un coup de poignard ma défunte épouse…

Une indicible et malheureuse envie me prit alors de court.





Dernière édition par Lazare de Malemort le Jeu 7 Juil 2022 - 21:03, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Du spectre des espoirs fanés...   Du spectre des espoirs fanés... EmptyJeu 9 Juin 2022 - 17:19
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Du spectre des espoirs fanés… | PRINTEMPS 1167

Comme à son habitude, la Hanse, telle la houle populeuse de Marbrume, charriait sa foule de marchands et de badauds comme autant de vagues empressées se brisant contre les rochers. Et ce fut dans le courant de ce flot d’âmes écumantes que la veuve Montecler de Malefreux, discret poisson aux écailles diaphanes, s’évertua à se frayer un chemin. Au cœur de cet immense marché à ciel ouvert, où chaque artisan, chaque bonimenteur, braillait pour vanter les mérites de ses produits, Euryale louvoyait sans véritable but depuis près d’une heure. Elle était vêtue d’un bliaud ténébreux au long amigaut fermé par une fibule d’argent représentant deux corbeaux s’affrontant, et aux manches évasées sous leurs fronces brodées. Une longue ceinture pesait sur ses hanches et s’achevait en pendants à grelots muets sur le devant de sa noire vêture. Nul voile ne protégeait les entrelacs de sa tignasse noir de jais, et pour cause : quelques minutes plus tôt, une bousculade sans prétention au détour d’une des larges artères du quartier commerçant avait eu raison de ce délicat carré de tissu qui, arraché par des mains hasardeuses, s’était envolé pour terminer sa course sous les roues d’une charrette. Une fois la débandade dissipée dans la brise des huées de mécontentement, ne subsistait que le cercle métallique pesant sur son front de lys, et les deux tresses opulentes qui coulaient, tels deux serpents endormis, sur sa poitrine incarcérée dans leur chainse sombre. Des feux follets s’irritaient, indomptés, sur son crâne comme s’offusquant d’être ainsi à découvert, au vu et au su des mires indiscrètes. Une cape à la teinte toute aussi endeuillée parachevait l’habit.

La dame marchait ainsi, solitaire, nul chaperon ne lui ouvrant la marche ou n’emboitant son pas, qu’elle avait tranquille et gracieux. L’œil, d’un gris d’opale criblé d’escarbilles noires, divaguait sur les étals, observait le jeu aguicheur des marchands, de la danse de leurs mains vivaces, à l’expression de leur regard ou de leur bouche bavarde. Et tout occupée qu’elle était à son examen distrait, un appel, plus fort, attira son attention. Dans un bref battement de cils, elle pivota sur ses talons pour s’immobiliser alors, sa mire inquisitrice accueillant d’une moue critique la scène qui se jouait soudain devant elle : un homme affublé d’un demi-masque déballait sa science à grand renfort de termes scientifiques, tout en agitant le soi-disant remède miracle au-dessus de son cobaye, une créature au teint maladif installée sur une caisse. A ces palabres vociférées à tue-tête répondait l’écho de rires moqueurs, d’exclamations stupéfaites ou de silences perplexes. Inspirant une grande goulée d’air, Euryale secoua le chef auréolé de courtes mèches folâtres et opéra un demi-tour rapide, se faufilant entre les colonnes de chair et de sang de cette foule bruyante, amassée devant le spectacle de l’apothicaire, pour poursuivre ses pérégrinations méditatives.
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MessageSujet: Re: Du spectre des espoirs fanés...   Du spectre des espoirs fanés... EmptyJeu 9 Juin 2022 - 18:03



Du spectre des espoirs fanés... | Printemps 1167

Quelle folie s’empara de moi lorsque d’une volte, je m’enfonçai dans la dense profusion de visages indistincts et d’exclamations médusées. Bâti par et pour la guerre, fut-ce sur le tillac d’un navire abordé ou la vase d’un champ boueux, mes larges épaules rencontraient de part et d’autre celles des crédules spectateurs de ce honteux simulacre de miracle. La Diaphane avait quitté la scène, tournant les talons, avalée par cette tourbe d’ignares, et je me mis instantanément à sa poursuite. Il m’était ardu de comprendre pourquoi, malgré ma lutte incessante à contre-courant de cette mare stagnante de corps difformes et de paniers d’osier, je m’élançais ainsi en quête du spectre de mes espoirs fanés. Cela faisait plus de deux longues, tristes et lourdes années, et si mon deuil persistait, le déni maudissant mes nuits les plus sombres avait depuis longtemps laissé place à l’amère acceptation.

Tandis que j’approchai la venelle où s’était incarcérée la Fuyarde, je captai d’une oreille un sourd boucan suivi d’un cri à me glacer les sangs, me tétanisant presque, essoufflé, au milieu de cette vague de stupeur qui frappait la foule et la faisait reculer d’un pas à l’unisson. Bousculé, intercepté dans le flot lancinant de mes pensées, je coulai un regard de biais en direction de la démonstration scientifique. La cacochyme dans son linceul ivoirin s’agitait en convulsions sur les pavés fendus de la grand place, l’expression déformée à la façon d’une gargouille de chair et d’os, une écume blanchâtre moussant à ses lèvres bleues jusque sur la dalle. L’apothicaire dans un état de panique — notable à ses yeux écarquillés et emplis de terreur — avait abandonné sa malle brune pour quitter les lieux dans une ruée effrénée, fendant la foule au risque de jeter au sol un témoin ou deux. Là, un autre hurlement fit écho à celui s’étant déjà manifesté.

UN FANGEUX !!

Il serait bien difficile de décrire la peur viscérale qui noua les entrailles de chaque badaud. Blêmissant à vue d’œil, plus qu’ils ne l’étaient à l’accoutumée de mon point de vue, un brouhaha naquit crescendo pour former une cavalcade endiablée où je me faisais emporter dans la ruelle que j’avais l’intention de longer avec bien moins d’empressement. Je n’étais moi-même pas des plus rassurés, avoir affronté ces créatures plus d’une fois ne m’avait pas épargné cette goutte glaciale le long de mon échine à l’idée de m’y confronter de nouveau. Malgré cette cohue terrorisée, le songe parasite qu’il me fallait retrouver cette opalescente créature, peut-être vulnérable de n’avoir point vu ce qui se tramait dans son dos, fit gonfler mes veines d’un afflux sanguin. Profitant de ce désordre chaotique de piétinements alarmés, je rejoignis tant bien que mal la façade d’une bâtisse et fis un tour d’horizon ; c’est au terme de mes recherches, au fond d’un passage plus étroit, que je remarquais la brune silhouette dont le profil laiteux avait attiré mon attention, poursuivie par une horde de manants effrayés chassés par la milice se précipitant sur les lieux.

Et je m’élançai de nouveau à sa rencontre.



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MessageSujet: Re: Du spectre des espoirs fanés...   Du spectre des espoirs fanés... EmptyJeu 9 Juin 2022 - 20:46
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Du spectre des espoirs fanés… | PRINTEMPS 1167

Se désintéressant de toute cette publicité aussi tapageuse que mensongère, la dame de Malefreux s’échappa de cette clairière frémissante d’appels, de conciliabules et de rires pour emprunter une artère plus étroite et moins populeuse. L’esprit accaparé par ses errances contemplatives, la noble esseulée était à mille lieues d’imaginer qu’elle put faire l’objet d’une quelconque traque, aussi impromptue, irrationnelle, ou obsessionnelle fut-elle. Ses petites ballerines de cuir souple battant la mesure sur les pavés de la ruelle, elle poursuivait sa fugue sereine le long des étals de quelques boutiques ayant pignon sur rue, lorsqu’un hurlement à glacer les sangs fendit la toile des cieux. Si, à cette distance, elle ne comprit guère le terme exact de cette alarme vociférée, le doute était cependant peu permis sur ce qui, en ce bas monde, pouvait provoquer de tels émois extrêmes suivi d’un affolement général. Le temps de quelques battements de cœur frénétiques, et l’effroi la contamina, tel un poison se ruant dans ses veines. Jetant un coup d’œil méfiant, son faciès laiteux froissé d’une glaciale inquiétude, elle perçut le tonnerre assourdissant de la presse affolée piétinant le dallage de pierre avant d’appréhender la vision de cette marée de visages déformés par la peur, se ruer comme un seul homme dans les venelles… dont la sienne.

Les ailes de son nez se dilatant sous le joug de l’afflux émotionnel qui ébranla son métronome, Euryale agrippa les pans de son long bliaud, les soulevant pour faciliter son évolution, et accéléra le pas pour échapper à la cohue aveugle. Hélas ! elle fut vite rattrapée par ce tourbillon insoumis. Dans ce chaos de cris d’alerte, de piétinements empressés, de couinements effrayés, la femme fut rudement bousculée ; sa bouche chassant un hoquet de surprise escorté d’une exclamation éraflée, elle percuta de plein fouet une rangée de paniers d’osier. L’un de ses pieds s’empêtrant dans les plis de sa robe, elle perdit l’équilibre et s’affala de tout son long sur les cabas tressés qui amortirent néanmoins sa chute. Aucun des badauds fugitifs n’eut la bonté d’âme de la relever, tant chacun d’entre eux était pétri de cette terreur maladive. Sauver sa propre peau était tout ce qui comptait, avant celle des autres. Certains trébuchèrent même sur son corps ainsi vautré, à la merci des coups de pied accidentels, avant que la noble ne se recroqueville sur elle-même, protégeant sa tête dans le berceau de ses bras tremblants.

La noble patienta ainsi, roulée en boule, jusqu’à ce que la marée paniquée reflue et la laisse, seule rescapée sur son îlot de paniers renversés et branlants. Au bout de quelques minutes égrenées, elle risqua un œil à l’extérieur de la geôle formée par ses bras. Portées par la brise, des rumeurs d’une lointaine clameur retentissaient par à-coups capricieux, mais il lui sembla que l’orage affolé s’était estompé. Sans doute la milice avait-elle fait son office. Exhalant un souffle nasal sec, Euryale bascula sur le côté, se dépêtrant tant bien que mal de sa couche d’osier. Parvenant enfin à se mettre debout, elle effectua une dizaine de mètres avant de s’appuyer contre un mur, prise de vertige et le souffle écourté. Tête basse, elle loucha sur sa mise froissée, poussiéreuse, sa senestre agrippant l’une de ses tresses dont l’une des noires cordelières tourbillonnait farouchement hors de son lien de satin noir. Un autre soupir franchit la frontière de ses lippes d’un rose nacré, tandis qu’elle posait son front contre la froide pierre de la façade pour reprendre ses esprits.

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MessageSujet: Re: Du spectre des espoirs fanés...   Du spectre des espoirs fanés... EmptyJeu 9 Juin 2022 - 22:41



Du spectre des espoirs fanés... | Printemps 1167

La déferlante semblait avoir emporté l’Opale dans ses méandres tortueux, car à mon arrivée presque essoufflée en bout de ruelle, où que mes sentinelles d’émeraude se portent, aucune silhouette ne me rappelait celle de ma très chère Annolisa. Ou bien même Anna, comme je me plaisais à l’appeler pour lui rappeler subtilement ses origines méridionales. Un pincement me torturait le cœur, s’acharnant à me piquer dans un soubresaut de survie et me souffler que ce n’était ni après elle, ni sa chimère, que je courais dès lors. Pourtant, une tension indicible me dévorait tel un incendie de forêt, consumant jusqu’à mon âme à l’idée de l’avoir de nouveau perdue. Et en coulisse de mon esprit le démon de s’agiter, cherchant à percer le voile de ma conscience pour capturer mon corps et en faire sa marionnette.

Mon regard allait, venait, partait, revenait, épiait, fouillait, et mes pas suivaient la cadence en un piétinement faisant voleter la tunique aile-de-corbeau dont je m’étais paré. Il me fallait choisir une venelle, mais laquelle ? Comment me garantir que je n’allais pas m’en éloigner davantage ? S’était-elle réfugiée dans une échoppe ? Passé ce raz-de-marée de bras et de jambes venait celui des questionnements anxieux qui m’enserraient la gorge de leur joug implacable. Impérieux, je m’imposai de suivre le chemin piétiné s’éloignant le plus de la place, à défaut d’avoir le pouvoir de me positionner en lieu et place de la familière inconnue. Dans le claquement menaçant de ma cape fouettant l’air, j’accélérai le pas, observai chaque étal, chaque boutique, chaque alcôve où l’étrangère aurait pu se faufiler du haut de sa petite stature. L’artère parallèle approchait à grands pas, et je désespérais de ne pas apercevoir l’épaisse natte coulant sur son épaule.

Volte-face. Je regagnai, presque au pas de course si je ne m’en étais rendu compte avant et tâchais de garder un peu de composition, le croisement précédent pour m’engager dans une nouvelle veine criblée de tables, jardinières et autres ornements architecturaux ne me rendant pas la tâche plus aisée. Mon capuchon coulissa sur ma crinière sans nuance jusqu’à s’envoler alors que j’accélérais le tempo de mes recherches. C’est à visage découvert, les pupilles dilatées par le reflux sanguin qui me montait aux tempes, que je filai au devant de chaque tréteau pour retourner chaque pavé du quartier commerçant. En vain. Le démon frappait aux portes de ma lucidité, et nimbait d’un voile toute la harangue ayant depuis repris son cours. Il me fallait trouver un recoin reculé, un capillaire de ce réseau de voies sinueuses, afin de collecter mes esprits et le repousser au plus profond de mon for intérieur.

Cette tâche épuisante finit d’apaiser l’intransigeante poussée d’adrénaline qui me saisissait aux tripes, mais pourtant me susurra qu’à contrejour du passage où je m’étais réfugié, une silhouette très semblable à celle que je poursuivais affrontait la façade fraîche. Alors ma quête sans fin reprit, m’approchant à pas hâté de la Blafarde sans réaliser qu’ainsi vêtu de longs drapés noirs et d’une peau si distincte, je pouvais avoir l’air d’un bandit impie venu à ses trousses…



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MessageSujet: Re: Du spectre des espoirs fanés...   Du spectre des espoirs fanés... EmptyVen 10 Juin 2022 - 9:07
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Du spectre des espoirs fanés… | PRINTEMPS 1167

Les relents de son malaise s’évanouissaient à mesure que les toccatas affolées de son métronome s’épuisaient contre sa cage thoracique. Sa respiration oppressée s’alentit, libérant sa poitrine de l’étreinte de la chainse qui semblait s’être comprimée autour de son buste. La fraîcheur de la façade empierrée formait comme un hématome de glace contre son front appesanti, irradiant une aura bienvenue. Euryale inspira une autre goulée d’air, emplissant ses poumons des élans de la brise printanière qui éloignait les récents miasmes de cette foule pressée et oppressante qui l’avait malmenée. Elle se redressa, paupières closes, mains sur les hanches, et se raidit, un élancement douloureux chatouillant sa cheville gauche. Sans doute une légère foulure récoltée lors de sa chute. Elle joua avec l’articulation, animant son pied endolori d’une série de pointes et de flexions. Jugeant de la non-gravité de ce horion, elle allait amorcer son échappée de cette ruelle désormais désertée de ses vagues charnelles quand…

… un tout autre tintamarre piéton l’obligea à tourner son faciès de porcelaine, légèrement fardé de l’écarlate de ses récentes émotions, vers sa source. A l’autre extrémité de la venelle, par-delà les contreforts de l’étal et des paniers d’osier bousculés, écrasés, se profilait la haute et massive silhouette d’un homme qui marchait d’un bon pas… vers elle ?! Le cheveu aussi noir qu’épais, la peau cuivrée, l’œil fou, il semblait n’avoir d’intérêt que pour elle, misérable et pâle ombre se détachant du mur contre lequel elle s’était réfugiée. Elle ne chercha pas à épiloguer sur les raisons de cette obscure attention et se détourna pour poursuivre son chemin, le pas aussi dépêché que le lui permettait sa cheville martyrisée. Il était de notoriété publique que la Hanse n’abritait pas que des hères aux belles mœurs et d’honnêtes marchands ; dans ses ruelles animées et colorées de sa multitude d’ateliers, de boutiques, de forges et de manufactures en tout genre, déambulait aussi tout un panel de détrousseurs et de coupe-jarrets.

Un autre coup d’œil par-dessus son épaule lui permit de constater que son poursuivant était toujours à ses trousses. Avec sa tunique ténébreuse qui claquait au vent, il avait l’apparence d’un de ces imperturbables charognards dont les immenses ailes fouettaient l'air au-dessus des cadavres décomposés, se repaissant de leur chair putride avec force appels rauques. Mais celui-ci restait muet, obstinément muet, et c’en était encore plus inquiétant. Sa gorge s’étranglant d’une sèche déglutition, elle accéléra sa cadence boiteuse, sa dextre, tel un tuteur pour mal-voyant la soutenant dans sa course fugitive, traçant une esquisse invisible sur les façades des hautes bâtisses qui les encerclaient, tous deux, de leur mante ombreuse, et soudaine. Euryale ignorait où ses pas la menaient ainsi, elle avait perdu le sens de l’orientation ; malgré un retour miraculeux qui datait désormais de quelques mois, Marbrume demeurait encore une étrangère aux yeux de la solitaire dame de Malefreux. A droite, à droite, à gauche, encore à droite. Elle tricotait ainsi, le souffle s’affolant, et l’ombre de ce Colosse d’airain la chassant toujours plus loin.

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MessageSujet: Re: Du spectre des espoirs fanés...   Du spectre des espoirs fanés... EmptyVen 10 Juin 2022 - 11:36



Du spectre des espoirs fanés... | Printemps 1167

Elle me filait entre les doigts, encore.

Je n’avais pu embrasser, dans le halo sacré qui en entourait la figure et en assombrissait les traits, l’expression de sa panique soudaine lorsqu’elle se mit à fuir aussitôt rapproché d’elle. D’un pas claudicant, la Diaphane accélérait la cadence de cette valse nouée d’anxiété, se faufilait depuis sa petite stature et ses fines épaules parmi les marchands et leurs cageots de pommes rubescentes ou de compositions florales. Il m’était ardu de maintenir cette distance, m’arrêtant parfois net lorsqu’une charrette tirée par un mulet capricieux se décidait à me barrer le chemin, m’obligeant tantôt à la contourner, tantôt à patienter. Toutefois, malgré son avance, sa cheville souffreteuse me garantissait de l’apercevoir virer de bord dans une venelle voisine.

Que dire de mes sentiments à cet instant précis. J’oscillai dangereusement entre la colère sourde de la voir me fuir, elle qui me connut sur le bout de ses doigts fins auréolés d’une alliance, elle qui m’eut délivré un fils et m’en promit un autre sur le pas d’une tragédie omise, elle qui fut mon alliée, ma complice, mon obsession, jusqu’à la source même de ma Foi… Et la peine invalidante de percevoir dans ses piétinements douloureux la peur que je lui inspirai, le dégoût peut-être de l’âge creusant mes traits taillés à la serpe, la méfiance encore devant mon air de molosse cruel et prêt à arracher l’âme de ce monde d’un coup de crocs. Mon cœur se fendillait encore, par-dessus les cicatrices purulentes de mon chagrin endeuillé, et pourtant.

Je savais tout cela ne pas être vrai.

Anna !

Les délires irréels me plongeant dans cet entredeux scindant passé et présent peinaient à entendre ma raison qui hurlait son bon sens et sa logique entre mes tempes pulsantes. Avais-je "pensé" ce cri désespéré ? M’étais-je à ce point donné en spectacle, plus encore qu’au regard de mes mèches fourbies des agitations les ayant échevelées. Je regagnais un peu d’avance sur ma proie, dont les nattes vaquaient deçà delà au rythme effréné de sa course, et dont j’aurais presque pu effleurer les flammèches. Je n’avais que faire de bousculer les badauds, faisant fi de leur quête du bouquet le plus touffu et harmonieux, ou encore du fumet le plus appétissant des charcuteries crochetées à leurs hameçons clinquants. Car l’Opale était là, à quelques mesures de moi, tandis qu’elle tentait de s’échapper par la maigreur de la veine d’une traboule rayonnante portant sur la cour intérieure, déserte, d’une grappe d’habitations.

Je pris un dernier élan au sortir de la rue principale, pour de quelques pas la rattraper soudain et emprisonner, je l’espérais, son poignet.



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MessageSujet: Re: Du spectre des espoirs fanés...   Du spectre des espoirs fanés... EmptyVen 10 Juin 2022 - 15:16
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Du spectre des espoirs fanés… | PRINTEMPS 1167

A gauche, à droite, à droite… Maudite soit la Trinité, où se trouvait-elle ? Le nez levé vers le faîte des masures du quartier au sein duquel elle s’enfonçait de plus en plus, elle espérait repérer un détail qui lui serait familier. Elle évita de justesse un couple de vieux bourgeois radoteurs en exécutant un écart de côté qu’elle acheva à cloche-pied. Cette feinte aviva la vrille désagréable étreignant sa cheville, au point qu’elle en ferma les yeux, croquant de ses dents la pulpe de sa lèvre inférieure dans un sifflement aussi mécontent que douloureux. Rouvrant alors les paupières tout en reprenant son précaire équilibre, elle pila net, bouche entrouverte sur un hoquet muet, les yeux écarquillés face… à ce cul de sac que représentait la petite cour intérieure dans laquelle elle venait de s’engouffrer.

Sa tentative urgente de faire demi-tour se solda par un échec cuisant. En effet, à peine formula-t-elle cette pensée paniquée qui avait valeur d’unique échappatoire, qu’elle sentit des doigts puissants et fermes, aux phalanges râpeuses, se refermer tel un étau autour de son poignet gauche. Poignet qu’elle secoua vainement pour se libérer de cette geôle implacable, avant de faire face à l’énergumène qui avait entamé ces hostilités, ce dernier jetant son ombre de prédateur aux traits tortueux et maléficieux sur elle.

- Lâchez-moi, LACHEZ-MOI !

Ce fut tout ce qu’elle fut capable de prononcer face à ce démon sorti tout droit des Enfers, tout en le fustigeant du feu glacé de ses prunelles fichées sur son faciès basané, taillé à la serpe, et en jetant vers lui son pied droit, valide, dans l’espoir de lui infliger quelque coup vicieux. Et tandis qu’elle s’agitait, le cercle métallique de guingois sur son front pâle, des larmes de colère mêlée de peur souillant le barrage de ses paupières, ses tresses désordonnées voletaient, giflant l’espace de leurs fouets ovidiens.



Dernière édition par Euryale de Malefreux le Dim 12 Juin 2022 - 15:08, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Du spectre des espoirs fanés...   Du spectre des espoirs fanés... EmptyVen 10 Juin 2022 - 16:32



Du spectre des espoirs fanés... | Printemps 1167

Devant la furie qui se déchaînait, je me devais aussitôt désolidariser l’aigreur de mes doigts bruts pour libérer le frêle poignet que j’avais réussi à capturer, enfin. Les sens en éveil, pupilles fendues, alerte quant à la gifle que je risquais – méritais ? –, je captai l’élan menaçant que décrivait cette cheville étrangère afin d’assommer mes humbles génitoires et m’handicaper en de douloureux instants. À défaut de pouvoir m’y échapper pleinement, je glissai un pas en arrière pour recevoir cette volée contre la cuisse gauche, qui s’en remettrait bien plus dignement. Il me fallait emmagasiner tout le sang-froid dont j’avais un jour été capable pour ne pas renvoyer une mornifle bien sentie en travers de ce visage pâlot dont j’avais si vivement imaginé les traits, en vain.

Car la harpie qui se découvrit sous mes vigies smaragdines n’avait rien de la splendeur de feu mon épouse. À tout le moins pouvait-elle se vanter d’une beauté sauvage et froide qui n’était néanmoins pas celle sur laquelle je misais mes espoirs vains. Les rares instants où son regard perçant m’eut épié par-dessus son épaule furent bien vite éconduits par le passage exaspérant d’une greluche embourgeoisée, sa haute couture pour ombrelle ou couvre-chef, ou bien par l’angle abrupt d’une bâtisse appelant à un ravalement de façade. S’agitant, les pommettes chauffées par la rage, les prunelles trémulantes de terreur et d’angoisse, son diadème argenté à contre-pied de son front immaculé, elle semblait au sortir de l’arène, gladiatrice dans sa chainse sombre faisant écho à ma pèlerine. Ainsi, prenant un peu de distance en fomantant d’autres pas de retraite, je lui opposai mes paumes en signe de reddition et de paix. Je n’avais, à vrai dire, pas la moindre idée de la teneur des mots à lui offrir pour faire pardonner cet état catatonique, pas plus que je n’aurais su expliquer ce qui m’avait poussé à la pourchasser ainsi en dépit de sa fuite pour le moins évocatrice du sentiment que je lui infligeais…

Du moins, je n’avais pas cœur à me dévoiler à une étrangère.

Veuillez recouvrer votre aplomb, madame. Il s’agit d’une malencontreuse bévue, et je m’en excuse platement.

Une bévue, oui. Une erreur commise par mon aveuglement raisonné et déraisonnable. J’ajustai machinalement ma longue chevelure raide d’un noir de jais et rassemblai ses mèches à l’arrière de mon crâne, avant d’ajuster la cape sensiblement décalée sur mes larges épaules bourrues. Ne restait que le ceinturon cintrant ma tunique enténébrée, où pendent mon cimeterre ainsi que ma main-gauche. Malgré l’absence notable de trop de fioritures sur mon ajustement, la richesse de mon portrait se situait avant tout à l’état de ma dentition qui n’était pas trop à plaindre pour cette époque, et au précieux médaillon d’argent incrusté de pierreries pendant contre mon sternum, écho de celles ornant mes doigts.

Je m’inclinai sobrement, contenant tant que faire se pouvait la respiration chaotique qui harcelait mes poumons comprimés.

Lazare, comte de Malemort et Malerive. Il m’eut semblé apercevoir une figure familière, j’y admets ma défaite.


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MessageSujet: Re: Du spectre des espoirs fanés...   Du spectre des espoirs fanés... EmptySam 11 Juin 2022 - 10:06
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Du spectre des espoirs fanés… | PRINTEMPS 1167

Et le cauchemar aux effluves pernicieux que son esprit traumatisé avait inventé, de son violent prologue à son tragique épilogue, cessa. L’épaisse main, rugueuse, décadenassa les sombres verrous de ses doigts qui retenaient encore son poignet, et le rustre poursuivant battit en retraite, s’éloignant de quelques pas pour lui laisser le champ libre et peut-être lui prouver ainsi ses honnêtes intentions. Lorsqu’il écarta ses mains en signe d’apaisement pour l’une, et de reddition pour l’un, et que sa bouche barbue s’anima pour répandre ses premiers mots, Euryale cessa tout mouvement, son regard louvoyant sur l’entière physionomie de l’étranger, la bouche entrouverte sur un air bête.

Avait-elle bien entendu ? Une bévue ? Elle accueillit ces propos d’un vif battement de cils, ses lèvres d’un rose délicat s’étirant en un sourire tout en dents, nerveux.

- Vous-… me pardonnerez l’expression, monsieur le Comte, mais vous aviez l’air d’un chien fou-… courant après son os. Agissez-vous toujours ainsi avec vos-… familières connaissances ?

La femme s’exprimait sur un ton lent, posé, butait parfois sur les mots. Était-elle bègue ou simplement encore gangrenée par l’émotion ? Sa voix, dont l’octave grave, chaleureuse, dénotait avec la froideur de son apparence, s’habillait d’étranges éraflures. Se redressant, elle tenta de se composer un masque plus digne que celui qu’elle avait endossé tout au long de cette course-poursuite à travers les ruelles de la Hanse. A l’imitation de son homologue au teint de cuivre, elle entreprit quelque ajustement de sa mise malmenée. Ses mains s’égarèrent discrètement sur sa tenue, réajustant l’équilibre de sa cape sur ses épaules étroites, ou celle de son cercle d’argent sur son front. Elle abandonna l’idée de rattraper l’une de ses deux tresses qui s’était désolidarisée, et dont les cordelières vagabondes voguaient en boucles écumeuses sur l’un de ses seins. Pinçant les lèvres dans une déglutition embarrassée, elle exécuta une gracieuse révérence, prenant le temps de décliner sa propre identité.

- Eur-… Euryale. Euryale Montecler-… de Malefreux, monsieur.



Dernière édition par Euryale de Malefreux le Dim 12 Juin 2022 - 15:08, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Du spectre des espoirs fanés...   Du spectre des espoirs fanés... EmptySam 11 Juin 2022 - 17:37



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Un chien fou dont elle était l’os. Je m’étais assurément comporté comme un goujat, un prédateur affamé dont la proie appétissante se faufilait dans chaque trou de souris de la Hanse. Le trouble causé s’en ressentait dans le trémolo de sa tessiture qui n’avait, elle encore, que peu de similitudes avec celle de ma bien-aimée. Certes essayai-je de conserver moi-même mon aplomb, cependant, chaque nouvelle information charriait ses caisses éventrées de déception et de peine sur les rivages de ma mémoire grignotée. Et ces échardes échouées de piqueter un peu plus mon âme, châtiée d’avoir voulu effleurer un souvenir du bout des doigts. Il me fallait rassembler mes esprits cyniques et veiller à ce que ma respiration encore agitée ne trahisse pas l’émoi qui me saisissait aussi vivement qu’un fer chauffé à blanc. Je demeurai toutefois à distance de l’animal acculé, et tâchai même de me décaler de quelques pas dans cette cour intérieure, ce patio terreux, pour ne pas en boucher l’unique artère et la laisser, si elle le souhaitait, retourner vaquer à ses errances mercantiles.

Aurais-je supputé les risques que vous fuyiez tel un daim apeuré par la lueur d’une lanterne que je n’aurais pas même tenté ma chance.

Un brin piqué au vif, je n’allais pas accepter être traité de la sorte, en dépit de toute erreur de jugement qu’il me fallait admettre avoir commise. Un chien qui plus est, de ces infects animaux dont nous aurions dû nous débarrasser pour renflouer nos étals et retrouver davantage de nourriture dans nos assiettes. Quelle injure. Mes traits naturellement contrariés par le sillon de mes rides du lion devaient me rendre bien moins amène encore, si bien qu’il me fallait compenser cette impression par une posture plus noble, une paume ramenée contre mon estomac, la dextre chassa ma cape jusqu’à se glisser contre mon échine afin de dévoiler mes armes. Ainsi, elle saura qu’aucun poignard ne s’est échappé de son fourreau.

En revanche, ses présentations détendirent mon expression en un regain d’étonnement, mes sourcils broussailleux s’élevant pour observer la bégayante biche blessée. Car s’il m’était un souvenir plus cuisant encore, c’eut été l’annonce de chaque victime des Portes du Crépuscule, ce soir funeste. Plus encore que de me rappeler les visages déformés au pied de nos remparts ; et parmi eux, le baron Sance Montecler de Malefreux, qui plutôt qu’un ami était une connaissance auprès duquel il m’arrivait d’échanger sur l’état des flots ou encore la nature de son bois. Nous ne faisions que peu affaires, leur domaine situé bien loin du nôtre, en revanche, monsieur manifestait régulièrement l’évocation d’une fille ayant quitté le territoire du Morguestanc des années auparavant. Je n’en avais jamais perçu la crinière ni même le nom.

Jusqu’à aujourd’hui.

… Madame Montecler. Monsieur votre père a été avare de détails mais a toujours tâché avoir une pensée pour vous.

Ce n’était assurément pas le moment le plus propice pour pareille conversation, mais peut-être lui ferai-je oublier cette malencontreuse erreur de la sorte. Une entourloupe éhontée dont je n’affichais pas l’embarras.



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MessageSujet: Re: Du spectre des espoirs fanés...   Du spectre des espoirs fanés... EmptyDim 12 Juin 2022 - 9:40
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Euryale ne releva pas la mention faite au daim apeuré dont l’image la représentait bien, en cet instant, la pupille dilatée dans l’écrin d’argent de ses iris, la paupière légèrement écarquillée, et le muscle frémissant tyrannisé de légers tics. Une légère toux d’irritation étreignit sa gorge, que sa senestre fermée en poing comprima aussitôt, ses doigts blancs pressés contre sa bouche tordue. Une grimace en souilla derechef l’esquisse délicate tandis qu’elle fomentait un unique pas dans la direction de l’impressionnant Comte de Malemort. La douleur se rappelait à elle, pulsant à sa cheville comme une aiguille chauffée à blanc.

- … Excuses acceptées, monsieur.

Et la mention faite à son père la raidit tout entière. Le sang encore tourmenté par cette folle course dont elle avait planifié l’issue sordide, le souffle altéré escortant les battements erratiques de ce métronome traître, la dame de Malefreux chancela imperceptiblement sur ses appuis. Ses mains se calèrent sur le tissu de brocart noir de son bliaud, ses doigts s’y crochetant à en faire blanchir la jointure de ses phalanges.

- Monsieur mon père-… oui.

Reprenant contenance en un éclair, elle s’ébroua d’un vague haussement d’épaules, sa tête se penchant de côté tandis qu’elle observait son interlocuteur. Ses prunelles, d’ordinaire d’un gris d’opale, presque translucide, s’affadirent en cet instant d’un voile charbonneux. Leurs paupières s’étrécirent, les réduisant à deux fentes d’où s’échappaient les noires escarbilles qui vivotaient à leur surface limpide. Elles divaguèrent sur le cimeterre et le poignard qui, dévoilés sans ambages par le rabat de la ténébreuse cape contre le large dos, sommeillaient en leur fourreau, oscillant à peine au ceinturon d’armes du Colosse. Le sinistre faciès aux élans mécontents, aux pommettes saillantes et la bouche carnassière dévorée d’une toison drue ; les billes olivâtres aux luisances cruelles ; les brunes paluches surmontées de bagues aux pierreries enchâssées, et dont la senestre portait sur ses phalanges de déroutantes scarifications formant quatre chiffres, subirent le même sort inquisiteur. Pourtant, aussi étrange et austère fut cet animal qui se réclamait une relation familière de feu son père, nul sentiment de mépris ou de condescendance n’escortait la danse de son regard sur lui. Elle semblait simplement étonnée, voire perplexe. Et curieuse.

- Êtes-… Étiez-vous une de ses proches connaissances, monsieur ? Un-... ami, peut-être ?

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MessageSujet: Re: Du spectre des espoirs fanés...   Du spectre des espoirs fanés... EmptyDim 12 Juin 2022 - 17:53



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Depuis les hauteurs de ma posture, je décelai de nouveau la claudication souffreteuse de la biche encore secouée par les remous de sa frayeur. Peu intéressé à l’idée d’en décortiquer la silhouette sous ses atours drapés, je me contentai d’emmagasiner ses inflexions matures et un brin moins bègues. Mes volatiles souvenirs de son père revenaient petit à petit sous mon front creusé de ridules le temps d’étudier les traits de la Montecler, en quête de similarités. Toutefois, mon coude ouvert en accotoir où elle pouvait s’appuyer, je lui proposai, d’un pas en avant, de l’assister. Ma dextre s’ouvrit et jeta l’air qu’elle contenait au pied d’un banc originellement destiné aux riverains de ces bâtisses à étage, et qui ce jour, ferait office de siège à un animal blessé.

Que non point, cependant nous eûmes pour habitude de côtoyer les mêmes cercles.

En effet, Sance de Malefreux avait lui aussi des accointances connues avec Cyras et les Sarosse, bien qu’il ne m’ait que rarement été donné d’apercevoir son épouse, Sibylle, dont je ne me rappelais pratiquement rien. Le baron du levant ne s’était jamais épanché sur l’histoire de sa fille, je la savais certes hors du duché mais surtout, il semblait autrefois me manifester une sympathie paternelle en raison de nos âges rapprochés. Quoi que “rapprochés” ait pu vouloir signifier, lui qui, du haut de ses pattes d’oie marquées et ses rouflaquettes grisonnantes, n’avait guère revu son aînée depuis des années déjà.

Si tant eut été qu’elle accepta d’être menée à ce siège de fortune, je m’y attelai avec honneur, et l’y abandonnai sans autre forme de procès pour reprendre mes distances d’avec ce portrait déviant plus encore de celui que j’eus fomenté de l’autre côté de cette foule ignorante. Il m’aurait été infiniment plus simple de me dépêtrer de cette situation s’il eut fallu que je poursuive une roturière.. J’osais espérer qu’elle ait eu la bonté de ne jamais mentionner cet accrochage à la moindre oreille indiscrète et bouche bien trop volubile, les rumeurs se devaient toujours être en ma défaveur.

Dois-je faire mander un brancard, madame ?


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MessageSujet: Re: Du spectre des espoirs fanés...   Du spectre des espoirs fanés... EmptyDim 12 Juin 2022 - 21:20
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Si Euryale, l’attitude un peu roide, refusa, de sa senestre levée, l’appui de ce coude aussi épais qu’une bûche et offert si courtoisement par le Comte à l’allure exotique, elle accepta néanmoins la place vacante qu’offrait ce banc esseulé. S’installant dans un mutisme recueilli aux effluves embarrassés, mains jointes contre son ventre, elle ne put empêcher ses prunelles vagabondes de se faufiler jusqu’aux fenêtres qui bornaient chaque étage de ce cul-de-sac en quête d’yeux fouineurs ; les oreilles indiscrètes et les langues perfides avaient beau jeu de s’agiter et de lâcher leur fiel. Tout était prétexte à médire, à nuire, surtout lorsqu’on était condamnés à rester cloîtrés entre quatre murs… et que l’extérieur n’avait rien d’autre à offrir qu’une mort assurée.

Vous rendez-vous compte ? Une jeune veuve s’exhibant sans chaperon dans les rues de la Hanse, et osant s’afficher au bras d’un étranger ?

Cette vision que son esprit un peu trop fertile venait de lui soumettre lui arracha un souffle de rire sec, dont la brève mélopée n’avait rien de joyeux. Elle se moquait là de sa propre bêtise à conjecturer qu’elle put susciter le moindre intérêt dans une conversation, même calomnieuse, elle, la solitaire veuve de Malefreux. Se rendit-elle compte du silence abrupt qui s’était installé soudain entre le Comte de Malemort et elle ? Le nez levé vers le toit des masures, les paupières écarquillées, elle mâchouillait sa lèvre inférieure d’une canine blanche. Et la question du noble de voleter, tel un écho persistant, jusqu’à son ouïe. Elle en sursauta presque, tout en lui opposant son faciès au teint de porcelaine dans un frénétique battement de cils.

- … Pardon. Cela ne sera pas nécessaire, monsieur. Je vous sais gré de vous inquiéter de mon sort. Je vais demeurer ici, encore un peu. Juste le temps de reposer ma cheville, et je rentrerai à l’hôtel.
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MessageSujet: Re: Du spectre des espoirs fanés...   Du spectre des espoirs fanés... EmptyLun 13 Juin 2022 - 12:44



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Sans plus m’en émouvoir, j’abaissai ma proposition en ce bras dressé et ne pris guère la peine de soutenir sa démarche, le pas inerte, dressé presqu’au centre même de cette rotonde. La baronne de Malefreux boita alors jusqu’à s’affaler sur ces planches annelées de fer forgé, d’une grâce qui aurait pu être revue à la perfection si cette cheville ankylosée par une foulure douloureuse ne se dressait pas en obstacle. A contrario de ses œillades pâles jetées en pâture aux linteaux nous surplombant, j’observai plutôt le flot régulier de passants à l’autre extrémité de la traboule comme un ressac grouillant ; l’on nous avait assurément remarqués jusqu’alors, et je savais la bêtise de mon impulsion. Mais qu’aurais-je pu lui avouer, à cette étrangère dont je n’avais qu’appris le nom un instant plus tôt ? Assurément pas le fait que j’eus pensé poursuivre ma défunte épouse, sa terreur aurait pu repartir de plus belle, et à défaut d’apparaître criminel comme c’était peut-être encore le cas, je serais devenu, à ses yeux, fou.

Devant la réponse qui se fit drôlement tarder, j’acquiesçai. Je n’avais guère l’intention de l’importuner davantage, et nous n’avions manifestement rien de plus à nous dire au fond de ce puits de lumière dont la teinte s’affadissait, dégradé de l’azur à l’orange, à mesure d’heures égrenées. Et de telles retrouvailles isolées de la cohue mercantile allait sans doute faire courir davantage de rumeurs que je ne souhaite en attirer sur mes épaules.

Fort bien, tâchez d’être raisonnable. Le jour fuit d’une promptitude insoupçonnée et je m’en retourne de ce pas vaquer à mes occupations. Madame.

Je me contentai d’un vague et sec hochement de tête, peu enclin à m’épancher en révérences devant certes une femme, mais avant tout une baronne. Si tant est qu’elle eut voulu effectuer une salutation plus protocolaire, je lui aurais opposé ma senestre afin de la clouer sur ce banc, et d’épargner son articulation éprouvée. Mes doigts pincèrent le pan de ma cape autrefois chassé pour le rabattre à la volée sur le fourreau de mes armes et mon épaule, tournant les talons pour enfin rejoindre l’artère bavarde du quartier marchand.

Cependant, je pris soin de délacer l’attache de ma pèlerine et de m’en défaire une fois hors de portée de sa vue. Car une coursière, reconnaissable à cet uniforme préparé dans le confort de son propre point de vue, errait à la recherche d’un marchand à dépouiller d’un saucisson contre une tâche à accomplir. Discrètement, je l’attirai entre deux étals non pas pour l’agresser mais lui proposer un devoir des plus simples : veiller au bon retour de la baronne chez elle, l’assister si nécessité faisait foi, et comme paiement, l’étoffe riche et propre qui me servait habituellement de cachette. S’il lui fallait même en couvrir les épaules de la boiteuse, peu m’importait qu’elle s’en rende compte, au contraire : il était même souhaitable que la Malefreux soit consciente de ce geste, mes alliés se comptant encore sur le bout des doigts, cette rencontre fut providentielle…


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