Rosen n'est pas exactement la meilleure élève lorsqu'il s'agit de suivre une ordonnance, même mainte fois répétée. Son train de vie l'oblige à paraître publiquement, à se déplacer et faire bon visage pour sa famille comme pour ses administrés. Qu'ils soient nobles, bourgeois ou paysans, les patients d'Edwige semblent toujours trop occupés pour se soigner, ce qui ne manque pas de compliquer son travail par la suite. La baronne doit en être consciente, puisqu'elle lui offre quelques messages d'assurance mitigés avec un sourire embarrassé.

- Tu devrais te ménager, la réprimande doucement la clergesse. Mettre au monde un enfant n'est pas une chose anodine, ton corps a besoin de récupérer.

Elle se doute que ses conseils auront autant d'impact que la rosée sur l'océan, mais tel est son rôle, et il ne sera pas dit qu'elle le néglige.

Le sujet change alors que la prêtresse achève d'éponger la cicatrice. Rosen lui propose d'être présente lors de la cérémonie en l'honneur de son fils. Rien ne lui oblige, Marie-Ange pourrait se charger de l'office, mais c'est une façon de lui faire comprendre qu'elle possède sa place à Sombrebois. Edwige reste muette un instant avant de sourire.

- Je participerais avec joie, se réjouit la brune. Et puis, ce serait lâche de ma part que de ne pas accompagner Athanase après l'avoir vu venir au monde...!

Son teint paraît un peu plus vif qu'il y a cinq minutes, cette invitation lui offrant l'opportunité de se remettre en jambe. Cela fait des mois qu'Edwige n'a pas honoré son devoir de bonne religieuse, en officiant pour les siens sous le regard des Trois. Il est grand temps pour elle de reprendre son devoir.

Les louanges de son amie ne s'arrêtent pas là. Pureté, bonté, douceur... Rosen ne tarit pas d'éloge à son égard ces derniers temps, et cela ne manque jamais de faire rougir la jeune femme. Aujourd'hui ne fait pas exception. La prêtresse se penche de nouveau sur la suture pour dissimuler son embarras.

- Tu es incohérente, la fière aurait-elle repris...? plaisante-t-elle avec un sourire complice.

Leurs regards se croisent. C'est agréable, d'être regardée ainsi, en tant que personne. C'est nouveau, en vérité. Au Temple, Edwige n'était qu'une silhouette parmi tant d'autre, une anonyme répondant à sa fonction avant son propre nom.

- ... Tu sais, murmure-t-elle, les évènements qui m'ont conduite ici n'étaient pas agréables, mais... J'ai tant découvert ici. Sur moi-même. Sur mes croyances. Je crois que parfois, les Trois nous envoient des épreuves pour mieux nous permettre de grandir. De guérir.

Son sourire perdure. Il y a d'agréables moments à saisir dans l'apocalypse.

Rosen est prompte à défendre sa bonne conduite, mais le fait est que les sutures n'ont pas pour habitude de sauter d'elles-mêmes. Elle n'obtiendra d'Edwige qu'un sourcil levé et un demi-sourire. La prêtresse est peut-être jeune, mais on ne lui fera pas passer des vessies pour des lanternes : sa patiente ne profite que d'une parodie de repos. Aujourd'hui, la cérémonie d'Athanase requiert son attention. Demain, ce sera autre chose. Il faudra donc continuer de lui rendre visite, et nettoyer ses bobos avant qu'une infection malheureuse ne l'emporte.

La baronne se met à lui confier de gentilles paroles, ainsi que quelques pensées plus personnelles. Edwige redresse la tête, touchée par cette confidence à propos de l'amour de la Trinité. Il n'y a pas si longtemps, Rosen revendiquait fièrement ses positions anti-religieuses et enchainait les sacrilèges. Elle s'était décidée condamnée d'office, et rien n'aurait pu lui faire changer d'avis, ou presque. La jeune clergesse serait-elle parvenue à lui faire voir les choses sous un angle plus pieux...? Voila qui risque de flatter l'ego minuscule de la brune, ce qui ne serait pas une mauvaise chose...

C'est avec un ton plus grave que la suite est abordée. Les rôles s'inversent soudain, et c'est à présent la noble qui témoigne de son inquiétude pour la guérisseuse. Sombrebois serait en danger, et cette fois-ci, ce serait concret. Rosen craint que la ville ne soit attaquée, de l'extérieur, de l'intérieur, peut-être un peu des deux. Elle lui demande donc de ne pas s'exposer outre-mesure et de ne pas passer trop de temps hors des murs rassurants du manoir. Face à ces demandes pour le moins raisonnables, Edwige ne peut qu'acquiescer.

- Je comprends ton inquiétude, la rassure-t-elle, même si je doute que tes ennemis ne me perçoivent comme une cible prioritaire. Peu de gens me connaissent à Sombrebois, je ne suis qu'une fille que tu as eu la gentillesse de recueillir. Néanmoins, je ferai selon ton souhait, et je ne quitterai le chateau que pour remplir mon devoir au Temple. Athanase aura une très belle cérémonie, j'en suis convaincue.

Les déboires politiques n'oseraient s'inviter à la fête sacrée d'un nouveau né. La Trinité ne permettrait pas une telle chose, elle en est convaincue. Si le danger venait tout de même à survenir, Edwige rentrerait immédiatement pour soulager Rosen de son rôle de mère. Une triste pensée à l'issue sinistre, mais il faut tout de même l'envisager.

- Je suis honorée d'avoir fait ta rencontre également, lui confie la religieuse. Je serai prête, j'en fais le serment.

Ce malheureux sujet abordé, Rosen décide de se montrer plus légère en lui révélant un secret. Edwige se penche sur le lit pour écouter la confidence, qui s'avère bien plus osée qu'elle ne l'avait anticipé. Rosen... aime une femme ? Les mots sont dits avec tant de simplicité que la prêtresse reste initialement bouche bée. Elles s'étaient mutuellement avoué leurs attirances impies, mais cela n'avait jamais été concrétisé, ou du moins c'est ce qu'Edwige pensait. Et voila que la baronne lui narre son affection comme une adolescente amoureuse.

- Tu aimes une femme...? répéta lentement la clergesse, hébétée.

"C'est mal", manque-t-elle d'ajouter sous l'impulsion de son éducation. Elle sait pourtant que non... Leur discussion sur les murs de Sombrebois lui a permis de faire la paix avec cette part d'elle-même, mais les vieilles habitudes ont la vie dure. On ne se débarrasse pas si facilement de décennies d'abnégation alors que le monde extérieur demeure tel qu'il est.

- ... Je suis heureuse pour toi, finit-elle par dire d'une voix incertaine. Mais je dois malgré tout t'enjoindre à la prudence. Il est dangereux d'être ce que nous sommes... et plus dangereux encore de le montrer.

Edwige est et reste une vierge que les plaisirs du monde effraient. Si elle se réjouit de savoir son amie tourner la page après tant de chagrin, elle ne souhaite pas la voir condamnée. Rosen n'est pas une simple femme du peuple, ses faits et gestes seront étudiés pour le restant de ses jours, et les dieux savent comme certains regards peuvent être malveillants. Pourtant, au fond de sa poitrine, la brune sent poindre un sentiment qui jusqu'ici lui était étranger. Une forme d'espoir, peut-être. Se pourrait-il qu'Edwige connaisse la même aventure un jour...?

- Je comprendrai que tu ne veuilles pas me dire son nom, reprend-elle, préférant recentrer ses pensées sur la baronne. Mais je m'avoue curieuse de t'en entendre parler. M'en diras-tu d'avantage, un de ces jours ?

Si seulement le temps était de leur côté.

Rosen se défend de tout méfait concernant son attirance pour l'inconnue, puis tente de se justifier tant bien que mal. Edwige, bien entendu, s'empresse de la rassurer sur ce point.

- Ce n'était pas mon intention que de nier tes sentiments, s'excuse-t-elle en affutant sa pince. Je suis bien placée pour savoir que le coeur se passe volontiers de la raison. J'ai moi aussi eu... Oh, peu importe.

La prêtresse délaisse son outil de travail sur son petit plateau d'argent, puis réajuste son assise sur le matelas. Son amie lui propose un jeu de devinette visant à découvrir l'identité de la mystérieuse soupirante. Un sourire involontaire gagne ses lèvres. La curiosité est un vice, dit-on, mais la jeune guérisseuse n'y résiste pas. Rosen se met aussitôt à énumérer les règles de ce petit jeu, et la brune prend quelques secondes pour réfléchir à sa première question.

- Hmm... Est-ce que cette femme vient de Sombrebois ? Se hasarde-t-elle, visant large.

- Non, réplique simplement la baronne avec une pointe de malice.

- Oh. Est-ce qu'elle est au chateau actuellement ?

- Oui ! s'exclame-t-elle cette fois en souriant.

Edwige s'illumine. Elle chauffe ! Ce serait trop bête de s'arrêter maintenant qu'elle s'est prise au jeu.

- Est-ce une femme d'importance ?

- Oui...! répète Rosen, récoltant de la part de la religieuse une expression mitigée. Cela signifie que s'il se passe effectivement des choses entre ces deux-là, cela pourrait avoir des répercussions d'envergure.

- Par les Trois, j'espère que cela ne va pas vous faire du mal à toutes les deux, lui souhaite-t-elle pleine de sincérité. Est-elle gentille, au moins ?

Cette question sort un peu du cadre de jeu, Edwige s'inquiétant honnêtement du bien-être de son amie. Celle-ci éclate de rire en retour.

- Non, s'amuse Rosen une fois son souffle récupéré.

La jeune clergesse adopte désormais une expression déconfite, ayant deviné la réponse sans qu'elle ne lui procure grand réconfort.

- Ca ne peut pas être cette femme devant laquelle j'ai témoigné de ta bonne foi, n'est-ce pas...?

La chatelaine du Val d'Asmanthe a bien ses secrets, mais cela ne semble aucunement détourner l'intérêt amoureux de la baronne. Rosen est impulsive mais elle n'est pas idiote : si cette femme lui évoquait quelques signaux d'alarme, elle ne se laisserait pas aveugler par ses sentiments. Pour l'heure, cette attirance improbable paraît sans conséquence, pourvu qu'elle ne s'ébruite pas.

- Si tu lui fais confiance, alors moi aussi, sourit la prêtresse en sa direction. Je ne peux parler ni pour les Trois ni pour qui que ce soit d'autre, mais en ce qui me concerne, vous avez ma bénédiction. Ce n'est pas grand chose, j'en suis consciente... mais peut-être que ce que la religion ne peut formellement cautionner, une amie le peut.

Un silence agréable s'étire sur ces brèves paroles, rythmé par le chant matinal des oiseaux. Sans prévenir, Rosen retourne la conversation en sens inverse, et la jeune clergesse se retrouve désarmée. Une vive couleur rouge vient teinter ses joues aussi surement que ses épaules. Ce n'est pas une conversation qu'Edwige a l'habitude d'avoir à son propre sujet. Rosen doit s'en amuser puisqu'elle insiste face à son désarroi, allant jusqu'à parler d'aventure.

- N-Non, rien de tout cela, je...

Le dos de sa main heurte la bassine par maladresse, renversant une lampée d'eau sur le plateau que la guérisseuse s'empresse d'éponger en s'excusant. Pourquoi faut-il toujours qu'elle perde ses moyens lorsqu'il s'agit des choses de l'amour ?

- Je suis désolée...! répète-t-elle encore et encore en déposant la bassine sur la table de chevet. Peux-tu le croire, je suis capable de préserver un mourant au milieu d'une escarmouche, mais je reste une vraie maladroite au quotidien...

La brune rit nerveusement en reprenant place sur le sommier, espérant que cette diversion involontaire ait pu détourner le sujet d'une façon ou d'une autre. Ce lâche espoir se révélant infondé, Edwige déglutit, puis entame sa confession.

- Je n'ai pas su immédiatement que j'étais... ainsi, débute-t-elle en perdant son sourire. Pendant longtemps, je n'ai même pas entretenu l'idée que quoi que ce soit puisse arriver. Au Temple, on nous enseignait le mariage et ses bienfaits, mais son intérêt premier restait celui de faire perdurer la vie. La vie étant le cadeau de la Trinité à l'humanité, toute relation ne visant pas à la procréation était présentée comme un sacrilège, une perversion de leur présent. Et j'y ai cru.

Son regard se joint à celui de Rosen un court instant. Edwige reprend.

- Je me suis longtemps murée dans le déni, avoue-t-elle à voix basse. Ressentir de l'attirance pour d'autres filles de mon âge... ce n'était pas envisageable. On m'avait enseigné que c'était un choix, une décision consciente, alors je me suis jurée de ne jamais choisir. J'allais simplement dédier ma vie aux Trois et prier. Peut-être quelqu'un allait-il me demander en mariage un jour, et tout allait-il être réglé. Ainsi, j'allais remplir mon rôle de femme malgré ma déviance, et faire honneur aux dieux.

Un rire sans joie vient secouer ses épaules. La novice secoue la tête, amère. Son expression communique une certaine mélancolie.

- Oui, j'ai été amoureuse, admet-elle alors que ses épaules s'affaissent. Et c'était horrible. Je devais partager un dortoir avec elle, me prétendre son amie chaque jour, sourire lorsqu'elle me parlait de ce jeune bourgeois qui la courtisait, la féliciter lorsqu'il a demandé sa main... Je ne pouvais en parler à personne.

La prêtresse renifle, gagnée par l'émotion qui entravait sa gorge jusqu'ici. Ses yeux humides refusent de céder aux larmes. Edwige prend une longue inspiration puis redresse sa nuque, adressant à Rosen un regard plus volontaire.

- ... Cela n'aurait peut-être pas marché entre elle et moi, mais je l'aimais sincèrement. Cela n'avait rien de sale ou d'impur. Si elle l'avait voulu, j'aurais été son épouse, et nous aurions trouvé un autre moyen de rendre honneur à la vie. Etre parent, ce n'est pas uniquement procréer, après tout...

Edwige réalise soudain la tournure sérieuse que vient de prendre cette discussion à l'origine légère. L'embarras croît dans le creux de son estomac, l'obligeant à ré-adopter son habituelle attitude effacée.

- Excuses-moi, je ne voulais pas m'appitoyer de la sorte, balbutie-t-elle en lissant ses cheveux nerveusement. Je vous souhaite d'être heureuses ensemble si ton amour venait à être réciproque. La vie est courte de nos jours, nous ne devrions pas la gâcher en se mentant à soi-même comme je l'ai fait.

Les mots de la baronne la surprennent et la déconcertent, provoquant une certaine euphorie paradoxale chez Edwige, entre rires et larmes. La prêtresse achève d'essuyer ses joues avec le sourire. Rosen serait-elle devenue philosophe ? Jamais ne se serait-elle imaginée l'entendre parler de l'importance de savourer l'instant présent plutôt que de le passer à désirer ce qui n'est pas destiné à nous appartenir. Peut-être la perte de son mari a-t-elle pesé dans cette nouvelle perception de la vie. Ou peut-être cette sagesse était-elle enfermée là, quelque part, depuis qu'elles se connaissent. Non contente d'inverser les rôles, sa patiente passe ensuite un peu de temps à lui exposer sa vision de l'amour, un amour épris de tolérance qui défierait les lois morales et religieuses. Ainsi, si déviante soit-elle, Edwige pourrait un jour entretenir une flamme pour un homme... tout comme Rosen, présentement, pour une autre femme. Celle-ci ajoute néanmoins que même si cela n'arrivait pas, ses sentiments seraient tout de même valides. Les notions amoureuses balbutiantes de la jeune prêtresse se rejoignent en cela : il n'y a rien de mal à aimer.

Rosen finit par désamorcer la conversation en plaisantant à propos de la Roxane qu'elle admire pourtant. Edwige rit de nouveau en reniflant, achevant de chasser ses larmes. Elle parvient à voir l'attrait du personnage en se remémorant son visage, sa silhouette et sa voix portante, mais se garderait bien d'éprouver quoi que ce soit pour une femme qui ne lui inspire pas confiance. Qui sait, cependant, à quels caprices l'amour peut soumettre ses victimes.

Avec légèreté, son amie l'invite à parler un peu de ses premiers émois, dans le détail. Les joues de la guérisseuse se colorent de nouveau tandis qu'elle gigotte nerveusement sur le matelas, un sourire embarrassé sur le visage.

- ... Tu vas te moquer de moi, prédit Edwige en cachant timidement ses yeux de ses mains. Elle... Elle sentait la brioche.

La brune éclate de rire devant l'absurdité de sa confession, prenant une minute pour se calmer. Cette conversation lui permet de lâcher un peu de leste. Cela fait du bien.

- Je m'en suis rendue compte vers mes quinze ans, reprend la novice en soufflant. Nous nous occupions des jardins du Temple un soir d'été, son chignon n'arrêtait pas de se défaire malgré ses cheveux bouclés. Je l'ai aidée à le refaire correctement, et c'est là que j'ai réalisé... Ses jolies boucles couleur miel, ses beaux yeux noisettes, ses tâches de rousseur... et ce parfum sucré... Je pense que c'est sous ce crépuscule que je suis tombée amoureuse.

Edwige mord dans son poignet alors que son visage se colore tel une rose. Les souvenirs semblent frais dans sa mémoire, et possèdent encore toute leur emprise sur son esprit de religieuse immaculée. Elle rit de nouveau de sa propre condition avant de reprendre.

- Les mots seuls ne lui font pas justice, glousse la prêtresse en réorganisant son plateau d'ustensiles. Elle était plus petite et plus ronde que moi, elle venait d'une famille d'artisans. Pourtant, chacun de ses gestes étaient si gracieux et délicat, on aurait dit qu'elle avait du sang de fée. Non pas qu'elle était incapable de mettre de l'ardeur à la tâche ; elle était certainement la plus robuste de notre dortoir et tenait la fatigue bien mieux que nos frêles consœurs. Et sa voix... c'était comme écouter le soleil parler.

La nervosité d'Edwige s'est estompée à mesure de l'évocation du souvenir, remplacé par une béatitude rêveuse. Son regard s'est envolé par la fenêtre étroite où scintillent les lueurs matinales. Un doux sourire se fraye un chemin sur ses lèvres tandis que la clergesse revient à l'instant présent.

- Les gens parlent d'une sensation de papillons dans l'estomac, reprend-elle en un murmure. J'ignorais de quoi il s'agissait avant cette soirée dans les jardins. Je ne l'ai plus ressenti pour quiconque d'autre. Je dois admettre que, malgré la peur, les questions et l'incompréhension que j'éprouvais à l'époque... j'étais prête à tout abandonner pour ce sentiment. Je ne m'en rendais pas compte, mais en sa présence, je me sentais véritablement bien.

Les grands yeux clairs de la Rutherford paraissent plus sereins à présent. Cette histoire d'amour restera secrète et inachevée à jamais, mais Edwige se sent infiniment mieux d'en avoir parlé à haute voix. A présent, elle se sent capable d'en chérir le souvenir, sans nécessairement l'associer à la honte. La brune soupire puis, réalisant que son auscultation de Rosen n'avance pas, se remet au travail.

- Merci, la gratifie-t-elle à voix basse. Je crois que j'avais besoin d'en parler à quelqu'un, et je suis contente que ce soit toi. Tu ne me juges pas. Merci.

Edwige conserve ce sourire reconnaissant tout au long de l'opération, qu'elle peut à présent effectuer au mieux de sa concentration. Les sutures ayant cédé sont remplacées par du fil neuf, et les zones présentant un début de réaction infectieuse sont nettoyées. Rosen sera de nouveau sur pied pour le reste de la journée, pour peu qu'elle ne se mette en tête de participer à un championnat hippique.

- Oh, j'oublais, s'exclame soudain la guérisseuse en épongeant une dernière fois le bas-ventre de sa patiente. Le Haut-Dignitaire de l'Ordre de Serus, le père Altan, s'est présenté hier soir au temple de Sombrebois en compagnie d'une prêtresse d'Anür. En l'absence de Marie-Ange, sœur Gudrun et moi-même sommes restées à leur disposition jusque tard dans la nuit. J'ai pensé que vous voudriez savoir...

La novice est incertaine des implications d'une telle visite, mais elle résonne que cela confèrera un prestige supplémentaire à la réception du jour en l'honneur d'Athanase.

Rosen lui livre sa propre perception du sentiment amoureux, une variante amusante à imaginer. Les papillons ne semblent rien lui évoquer, sa description est un peu plus martiale, sans omettre une sensation de douce chaleur. La jeune prêtresse fait tout son possible pour ne pas rougir à nouveau. Sa description lui inspire une attraction plus... charnelle. S'est-elle déjà rendue coupable de pensées sensuelles envers l'élue de son cœur par le passé ? Certainement, mais elle ne se sent pas prête à avoir cette conversation.

- Il est beau de voir que la variété de sentiments que nous accorde la Trinité, célèbre la brune en souriant. Chacune aime à sa façon, et c'est bien ainsi. Je souhaite qu'un jour, ce sentiment soit connu de tous, et qu'il remplace la peur qui nous étreint le ventre.

La baronne s'intéresse ensuite aux nouveaux venus de la veille, l'oeil méfiant. Aurait-elle des raisons de se méfier des dignitaires du Temple de Marbrume en particulier...? Peut-être se méfie-t-elle simplement de toutes les variables inattendues, elle qui présage de mauvaises augures. Une fois encore, Rosen insiste sur le fait de revenir se cacher au moindre signe suspect. Edwige hoche la tête, docile.

- Le père Altan avait entendu parler de moi, admet la religieuse avec des yeux honteux. Ma réputation au Temple a souffert de mon départ précipité. Lorsque son accompagnatrice a demandé l'accès aux registres de Sombrebois, je l'ai accompagnée au mieux de mes capacités jusque tard dans la nuit. Je ne suis pas certaine de ce qu'elle y cherchait. Sœur Gudrun est restée avec le haut-dignitaire, peut-être en sait-elle plus que moi sur les motivations du père Altan.

Cela ne peut pas être bien méchant, songe-t-elle. Il paraît logique que le Temple envoie l'un de ses représentants féliciter la naissance d'un héritier. Peut-être le dignitaire souhaite-t-il inviter Rosen à se remarier afin d'en concevoir d'avantage. Après tout, il ne faudrait pas que Sombrebois se retrouve sans tête dirigeante.

Le petit concerné appelle soudain depuis son berceau. Futur baron ou non, Athanase a faim et le fait savoir. Edwige sourit de voir la tendresse se dessiner sur le visage de son amie. Il est temps de mettre fin aux soins, afin que Rosen puisse reprendre ses fonctions de maman. Ses fonctions d'administratrice lui retomberont dessus bien assez tôt.

La seule chose certaine en ce monde, c'est que rien ne dure.