Son minois mutin, pour l’heur’ harcelé d’une âpre tristesse, ne s’enfonça qu’un peu plus dans le col en fourrure de castor, tentant de dissimuler les larmes amères dévorant ses joues diaphanes, cachant tant bien que mal, mais sans aucun succès les discrets sanglots qui la saisissait, ébranlant son corps maigre par trop de privation alors que son prénom émis par les musicales prosodies masculines heurtait le pavillon de son oreille.

Foutue sensibilité. Damné trop-plein qui avait fini par déborder plus que de raison, envoyant valser sans cérémonie la mascarade minutieusement assemblée. Voilà que c’était elle qui se retrouvait à être réconfortée. Pourquoi cette fichue barrière branlante avait cédée ? Pourquoi avait-il fallu que la digue construite du mieux qu’elle pouvait au fil du temps s’était décidée à se rompre à ce moment-là ? A cause d’une histoire qui n’était pas la sienne ? Assurément. À sentir cette large paume ferme posée sur son omoplate, agressée par la sauvagerie de son indomptable crinière tentaculaire d’oncle et d’argent, s’enroulant autour de son poignet tel du lierre vivace autour d’un pilier, le recouvrant de son infernal voracité. Cela avait malgré tout quelque chose de chaleureux et de rassurant, le geste était semblable mais pourtant, la sensation différait grandement du réconfort que lui apportaient ses deux jeunes frères lorsque les temps se faisaient trop difficiles pour leur aînée. Les deux seules personnes auprès de qui, jusque-là, elle pouvait laisser son masque sombrer au fin fond des oubliettes.

Un faible rire se faufila au travers de l’épaisseur de la fourrure habillant la pèlerine du nobliau des suites de son doux chuchotement au parfum facétieux. Et pourtant, il fallut tout de même quelques secondes de plus pour que la jeune femme se mette à bouger, resserrant momentanément l’étreinte reptilienne de ses maigres bras autour des larges épaules avant d’entamer leur lente fugue ; le buste féminin se détachant sensiblement de son opposé, se redressant finalement pour reprendre sa position initiale ; le profil dévasté apparaissant progressivement, joues humides et cils perlés de fines gouttes d’eau salée, surplombant les deux prunelles smaragdines brouillées de larmes difficilement contenues.

- Promis, j’t’inond’rais d’paroles plutôt que d’larmes la pr’chaine fois. réussit-elle à sortir entre deux hoquets tout en reniflant, sa dextre se dirigeant vers le ténébreux buisson ardent pour se glisser à l’intérieur d’un geste embarrassé, ses doigts graciles submergés par la surprenante masse bigarrée ; ses paupières se refermeront à demi, préservant de leur écrin les émotions caracolantes que l’on pouvait aisément lire en leurs prisonnières ; sa longue dentelle de cils noirs cajolant ses pommettes constellées des résidus de ses pleurs tourmentés se parant d’un délicat voile vermillon qui n’était en rien causé par les bourrasques acerbes de la bise glaciale qui fouettaient sans discontinuer les deux jeunes gens.

Violette offrit un sourire barbouillé de larmes, les dernières, encore accrochées à ses épais cils noirs, dégringolèrent de leur branchage pour venir s’écraser sur le sommet des pommettes rehaussées d’une touche de carmin ; un rire à la tonalité plus légère s’envolant dans l’air glacial, s’étant ôtée d’un poids bien trop lourd pour ses jeunes épaules, poids qu’elle trainait depuis quelques années déjà.

Au son des pas bottés sur le plancher de bois craquant, la jeune femme releva la tête, ses perles émeraldines luisant à nouveau d’une curiosité toute coutumière balayèrent la surface au devant d’elle, tentant malgré la pénombre d’entrevoir à la lueur tanguante des lampes-tempêtes le faciès de l’apparition. Un mince sourire en coin se peignit sur les lèvres charnues quand elle reconnut le visiteur tardif, illuminant vaguement son visage baigné de larmes fardé des teintes chamarrées de rouge, bleu et noir. C’est à ce moment qu’elle profita pour lever ses mains, portant ses paumes sur ses joues creuses afin d’essuyer l’eau salée séchée par la bise glaciale, tiraillant ses traits juvéniles.

Le sourire tremblant s’élargit tandis que son ineffable facétie se distillait dans ses prunelles, le lutin mutin riant sous cape face aux remontrances toute paternelle émises par le nouveau venu à l’encontre de son protégé aux commissures grimaçant la contrition. Détournant ses mires émeraudes du nobliau surpris alors qu’elle se faisait héler par Joffre, un faible gloussement taquin montant du fond de sa poitrine à la vision de l’étonnement confus qui avait naquit sur le faciès de Tharcise, les opalines sautant du roux à la brune dans le fourmillement d’une question muette s’érigeant sous la courte crinière ébouriffée. l’adolescente porta la majorité de son attention sur le Capitaine de la Distraite, lui offrant son plus beau rictus souriant telle la petite crapule qu’elle était.

- B’soir L’Épervier ! Vrai qu’ça fait un bout d’temps. La pauvresse se pencha en avant, enfonça son coude pointu dans la chair tendre de sa cuisse, sa mâchoire venant se jucher sur sa dextre. L’Ours, j’dirais… Heureux et nerveux de s’r’trouver ‘core une fois père. Et vu c’mment M’man est ronde, j’te parie qu’elle va nous r’faire l’même coup qu’avec Narcisse et Belette. Une petite moue boudeuse se profila sur sa figure espiègle, un soupir outrepassant la barrière de ses lèvres alors que ses prunelles smaragdines roulaient exagérément dans leurs orbites. Elle reprit tout de même avec un sourire joyeux et affectueux, tanguant sur elle-même d’un côté à l’autre. Quant à m’frères… Sa tête chevelue cingla les airs de ses obscures lianes, ses sentinelles olives jaugeant Tharcise de haut en bas, ses sourcils se fronçant sous la concentration. Au bout d’à peine une demie seconde, elle se retourna abruptement vers le rouquin, pointant le jeune homme du pouce. Aussi grand qu’çui-là. Quoiqu’ Blaireau doit l’dépasser. A c’rythme, i’ vont êt’ plus grand qu’P’pa. Mis à part ça, z’ont pas changé. Ç’va pas trop mal pour eux, malgré l’ralentiss’ment dû à l’hiver. Et d’ton côté ? Comment qu’s’porte Mathilde ?

Ce faisant, ce fût à son tour de passer son regard intrigué de l’un à l’autre des deux hommes demeurant sur le ponton, indiquant Tharcise d’un coup de menton dans sa direction. I’ m’disait qu’i t’connaissait d’puis tout p’tit, et c’est qu’maint’nant qu’j’le rencont’ ? T’avais peur qu’j’ruine son éducation ‘vant même qu’elle soit commencée ? Une expression railleuse imprégnant sa bouille friponne, ses paroles lancées sur l’aimable ton de la plaisanterie.

- C’leur fait douze ans aux j’meaux maint’nant. C’grandit b’en vite c’p’tites bêtes-là. Sa frêle silhouette s’ébranla d’un haussement d’épaules, un large sourire d’une tendresse moqueuse étirant ses lèvres pulpeuses. Ils ont pas mal r’peupler l’Goulot à eux deux. J’me d’mande qu’même s’i’ vont s’décider à quel num’ro s’arrêter. C’pas com’ si on était pas d’jà assez nombreux. La jeune femme déplia lentement ses jambes engourdies, les faisant par-dessus le rebord de la caisse ; la pointe de ses bottines en cuir brun cognant dans un bruit sourd contre le sommet du baril où se tenait précédemment le nobliau. Son attention toujours tournée sur le visage constellé d’étoiles au même titre que la voûte céleste ; ses prunelles smaragdines voyageant de temps à autre dans d’autres contrées aux teintes marmoréennes, ébènes et opales sans pour autant que ses oreilles ne perdent une seule miette des réponses à ses questions données par le Capitaine de la Distraite.

- Un an et d’mi ? Aussi l’temps ? J’me souv’nais pas que… Ses fins sourcils ténébreux en aile d’oiseau se froncèrent tout d’abord, s’écarquillant finalement lorsque l’illumination vint frapper sous son front sur lequel bataillait quelques mèches de jais éparses, giflées par le vent glacial. C’veut dire qu’t’as pas encor’ vu la p’tite Jonquille ! T’verras, l’est adorab’ c’te blondinett’. Sa tête parée de son buisson ardent se penchant sur le côté, son abondante chevelure dégringolant en cascade le long de ses flancs maigres lorsqu’elle se pencha en avant, croisant ses bras fins sur ses genoux, son buste reposant sur eux tandis qu’elle se balançait doucement d’avant en arrière à l’aide de ses pieds, se soulevant et se rabaissant dans un rythme lent. J’leur en parl’rais t’à l’heure, quand j’les verrais. I’ r’fus’ront pas, les connaissant. Pis un Ours et un Blaireau, ç’vaut clair’ment deux hommes chacun maint’nant, en terme d’force et d’efficacité. Un discret rire amusé surgit d’entre ses lippes souriantes, ses iris malachites pétillant d’une facétie non contenue, toute trace de la précédente tristesse l’ayant étreint à peine quelques minutes plus tôt semblant s’être envolée dans la bise hivernale, comme si elle n’avait jamais existé. Sa joyeuse mascarade ayant repris place sur ses traits juvéniles tel un maquillage soigné, seulement fissuré par la présence indicible de l’hématome noirâtre. R’taper les voiles, c’t’un peu mon travail d’jour alors… J’plutôt tout intérêt à b’en m’en tirer.
Ses perles émeraldines, vibrantes de curiosité, coulèrent vers le jeune homme, des suites de la question prononcée par le roux, se surprenant elle-même à attendre sa réponse qui ne tarda pas à venir ; lui laissant une étrange sensation indéfinissable lui tordre les entrailles sans qu’elle puisse mettre un nom dessus à la sentence d’après.

Les encoignures de ses lippes charnues s’ourlèrent, son petit nez rond se retroussa, peignant l’espièglerie même sur son minois fraîchement sorti de l’enfance ; affichant une petite grimace affectueuse face à l’effusion de l’Épervier pour le brunet à ses côtés. Violette se fit mutique, observant avec l’attention d’un chat scrutant sa proie les deux hommes au devant d’elle, ses perles printanière luisantes d’une joie particulière qu’elle serait bien en peine de faire taire. Et qu’elle ne voulait pas faire taire. Balayant d’un simple revers d’une facilité déconcertante les malheureux instants précédents, effaçant la moindre trace mélancolique de son regard malicieux. Si le fougueux lutin qu’elle était tiqua à l’appellation usitée par Joffre pour parler de Tharcise, elle n’en fit pas montre, ne paraissant pas s’appesantir sur un sujet tel que celui-ci, comme si cela n’avait pas la moindre importance. Probablement que c’était le cas, pour elle, du moins.

Et alors que le plus jeune des deux la fixait de ses perles d’opale, un rictus emprunt de raillerie accroché à son noble profil, Violette eut une réaction bien à elle, toute en maturité… Un de ses sourcils se haussa haut sur son front pâle orné de ses sombres lianes vivaces, ses mires chatoyantes se parèrent d’un certain sérieux tandis que sa langue rosée surgissait d’entre ses babines charnues ; terminant sur un gloussement plaisantin lorsque l’appendice revint se loger dans son antre, étroitement emprisonnée derrière ses barreaux d’ivoires. Le roucoulement produit par le presque cinquantenaire fit apparaître sur son front un pli suspicieux, demeurant néanmoins dans son mustisme, préférant ne pas relever et encore moins savoir ce qui pouvait bien se tramer sous les boucles rousses.

Au son du claquement des paumes l’une contre l’autre, la prostituée posa ses sentinelles écarquillées sur la figure tachetée, toute gaminerie disparue pour ne laisser qu’une chaleureuse trombine. J’y manqu’rais pas. Et pense à passer ´vec Mathilde au Boit-Sans-Soif un d’ces sam’dis soirs. J’suis sûre qu’ça f’ra plaisir à la Grosse Martha et aux trois frères. Se redressant d’une impulsion des reines, entamant tranquillement la descente des échelons grimés par l’empilement des barils. Un souffle de rire outrepassant la pulpe de ses lèvres pleines à la révérence de Tharcise, se retenant de justesse de lui coller une pichenette entre les deux yeux en passant à sa portée alors que ses talons de bois percutaient le parquet du ponton. T’as fini tes s’magrées, oui ? J’l’air d’êt’ une Dame ? secouant sa myriade de mèches bouclées noires et blanches.

- J’m’en vais r’trouver mes frères à l’taverne ´vant qu’i’ mettent l’Port à sac s’i’ m’y trouvent pas. dit-elle, roulant ostensiblement ses yeux dans ses orbites. Yeux qui brillaient d’une affolante tendresse rien qu’à l’évocation de ses deux jeunes sacripants qui seraient réellement capables de mettre la zone portuaire à feu et à sang s’ils ne pouvaient trouver leur aînée là où elle était censée être. Embrasse ta femme pour moi. souffla-t-elle avec affection, articulant correctement pour la première fois, d’un air parfaitement détendu.