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 Ne pas faire de vagues (Lazare - Richard)

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Richard d'Estaing



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MessageSujet: Ne pas faire de vagues (Lazare - Richard)   Ne pas faire de vagues (Lazare - Richard) EmptyMer 20 Juil 2022 - 17:16



Richard d'Estaing
Ma parole sera d'acier



Ne pas faire de vagues

Musique

L’air était humide. Le ciel couvert. La pluie ruisselante. La chaleur étouffante. À tout moment, la colère de Rikni semblait sur le point d’éclater dans un violent orage. Il en est des hommes qui savent reconnaître ces signes, qui savent éviter l’influence de ce grondement sourd, qui savent maîtriser la rage qui les talonne. Notre histoire ne concerne pas ceux-là.

Richard avançait d’un pas rapide, presque en courant. Son gambison était lourd, trempé par l’eau, il lui collait à la peau. Était-ce l’humidité qui la rendait ainsi, ou bien la sueur qui imbibait son échine. Probablement les deux. Mais il ne ralentissait pas, et les quelques badauds qui croisaient son chemin avaient tôt fait de fermer leur porte. Pressés qu’ils étaient d’éviter un quelconque contact avec la milice en cette heure tardive.

Il avait été le choix tout trouvé. Peu de miliciens étaient assez courageux ou stupides pour accepter aussi facilement de se jeter dans la gueule du loup. De plus, Richard connaissait très bien le quartier du port. Avoir travaillé pendant presque 2 ans dans la fabrication de navire avait cela d’avantageux que vous appreniez à connaître les ruelles à éviter. Ruelles qu’il s’empressait actuellement de traverser.

Richard ne s’était pas attendu à revenir de sitôt par ici. Il avait quitté du jour au lendemain sans un mot l’atelier de son maître. Mais il se doutait que ce dernier comprendrait. Un jeune homme travaillant quotidiennement sans relâche, sans dire un mot, sans ambition d’ouvrir sa propre échoppe… Cela n’avait pas de sens. Ça ne tournait pas rond, à moins que ce dernier eût d’autres projets. Et voilà où ses projets l’avaient amené. Mais cette course incessante n’inquiétait pas le jeune milicien. Au contraire, il avait hâte de pouvoir enfin être utile.

L’Estribord n’avait pas changé. Ou plutôt, si, mais les changements étaient habituels. Les fenêtres avaient été remplacés, la devanture en bois rebâtis, c’était à peine si les murs avaient eux aussi besoin d’être réparés. Sa capacité à accueillir de nombreux marins ainsi que la réputation du tavernier pour se procurer les alcools les plus forts avait fait de l’Estribord un havre qui attirait n’importe quels débauchés du port. Cela avait aussi pour contrepartie d’être un lieu où les rixes entre saoulards étaient routinières.

Le jeune homme pris un instant pour reprendre son souffle. Son cœur battait à la chamade et pendant quelques secondes, le bruit de son sang cognant à ses tempes était la seule chose qu’il discernait. Mais ce ne fut pas la cacophonie d’un dimanche soir qui atteignit ses oreilles. Au contraire, les voix étaient sèches et claquantes. Et bien qu’il ne fût pas encore entré, Richard parvenait à distinguer la tension ambiante grandissant dans la salle. L’orage allait bientôt rugir dans le cœur des marins.

Il ouvrit la porte brusquement. Sans même observer la situation il cria d’un ton qui ne laissait place aux questions :

-CESSEZ VOTRE SOTTE ESCARMOUCHE AVINÉ DE BOURSEMOLLE ! ORDRE DE LA MILICE !

Il fallait au moins reconnaître cela à Richard. Son idéalisme lui conférait tout de même l’effronterie d’ordonner des choses pareilles sans même que sa voix ne tremble. En revanche ce dernier risquait aussi de l’empêcher de reculer devant pareille situation, aussi désespérée soit-elle…


Dernière édition par Richard d'Estaing le Sam 23 Juil 2022 - 11:58, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Ne pas faire de vagues (Lazare - Richard)   Ne pas faire de vagues (Lazare - Richard) EmptyVen 22 Juil 2022 - 14:34



Ne pas faire de vagues | Printemps 1167

L’Estribord. Ce tripot ni spécifiquement mal famé ni particulièrement bien réputé accueillit autrefois plus de marins qu’il n’en existait encore sur les quais chagrinés de Marbrume. Un tenancier vieillissant bien que dégotant les eaux-de-vies les plus tapageuses, sa bonne femme brune de vingt ans sa cadette pour toute assistance – parfois une pauvrette au service pour apaiser les hommes les plus libidineux – il était courant que des débordements ne fassent rappliquer les escouades miliciennes entre ses quatre murs pourtant plutôt soignés ; toute mesure gardée. La façade rafraîchie par le travail de quelque menuisier et peintre payés au lance-pierre apparaissait plus accueillante depuis quelques mois, bien que sa populace n’ait pas bénéficié du même traitement. Ici se côtoyait le peuple : pêcheurs de retour d’une maigre prise, riverains en mal de castagne, gabiers et arbalétriers de feu nos navires de guerre cantonnés au convoyage de marchandise. L’atmosphère n’y était pas nécessairement au conflit bien qu’à la frustration, un barde de passage sachant assurément canaliser toute cette bile en d’autres endroits plus coopératifs. Ce fut dans cet établissement aux mœurs bariolées que se vautraient parfois les hommes de la Manticore, bâtiment au service du Royaume de Langres plutôt que du Morguestanc seul, dont le capitaine controversé ne s’adonnait pas à la beuverie de comptoir. Mes opinions politiques n’étaient guère notoires pour mes ouailles, pas plus que pour le vulgum pecus, si bien que je ne craignais pas qu’un peu de gnôle dans les gosiers les plus secs ne soit trop révélatrice de mon sentiment à l’égard de la Couronne. Ce fut providentiel lorsque l’on vint me quérir – un mousse, Trétudans, engagé quelques semaines plus tôt - pour m’annoncer qu’une rixe avait éclaté entre mes congénères de galère et l’équipage d’un autre élément de flotte.

Entre temps, une dizaine d’hommes s’affrontait en deux groupes distincts, reconnaissables par leurs uniformes dépareillés. D’un côté, ceux qui vêtus d’une chemise blanche et d’une ceinture de coton verdâtre n’étaient pas assez éméchés pour se donner davantage en spectacle. Sur les bancs de l’opposition, un cortège bariolé devait sans doute appartenir à la même compagnie navale se voulaient encore assez lucides pour aligner leurs palabres dans le juste ordre. Espacés de quelques pieds tout au plus, longeant un comptoir piqueté de hanaps et autres écuelles creuses, l’on s’invectivait, l’on s’injuriait, l’on s’adressait des bassesses. En cause ? Un meneur un brin trop brun de peau, ou encore un salaire inégal. L’on raillait les uns lorsque l’on rabaissait les autres. Et la loyauté de chacun pour sa propre cause envenimait une situation rongée par la tension. D’aucuns s’en étaient allés rapporter à la milice en patrouille des ravages encore à venir quand d’autres rejoignaient les camps ainsi formés et menaçaient d’en venir aux mains.

Parmi les hommes de la Manticore, j’aurais su reconnaître Deguignes, un jeune homme brun d’une vingtaine d’années dont le sang chaud avait maintes fois dû être revu au calme sur le tillac. Plantier, un gabier d’une dizaine d’années plus âgé, dont le crâne dégarni s’était vu rasé à blanc en fin de compte mais dont la tête luisante dépassait aisément les autres. Milhaud, dont les opinions franchement arrêtées ne faisaient pas l’unanimité mais excellente manœuvre, en témoignent ses mains abîmées par le cordage agitées en direction de l’ennemi. Brugière, ce petit blond abordant l’ère quadragénaire accompagnait régulièrement les hommes dans leurs beuveries sans jamais ingérer une seule goutte de piquette et avait l’air ainsi d’être le plus frais de la bande. Ainsi qu’Éloi de Bocuse, vigie de tout juste vingt ans et fils d’une haute famille désavouée s’étant bon gré mal gré attaché à ses confrères d’infortune depuis, au point d’aller partager un godet ou deux en leur compagnie. Une équipe engagée dans un bouillant débat social et politique – Couronne exceptée au risque de se faire trancher la langue – auprès de ce qui apparaissait être un tas de miséreux. L’autre partie n’était constituée que de grisâtres personnages dont le facteur soigneux avait été revu à la baisse. Bien que capables de se tenir proprement, leurs tignasses majoritairement terreuses ou cendreuses formaient un amas orageux de faciès crispés de colère et de ressentiment ; et leurs surcots tantôt bleu marine, tantôt écorce de bouleau, les différenciaient tout juste.

L’entrée en la matière du milicien d’Estaing se fit sur les premiers coups portés. Un bazar de chopines et de miches de pain rassis affleurait ses bottes, un tabouret et son pied déchaussé trônaient en ruines d’une conversation autrefois de bouches devenue un échange de poings sur l’allée frayée entre les tables et bancs occupés. Quelques crochets s’échangèrent dans l’ardeur de l’instant, sous le regard peu amène des gens d’armes qui se dispersaient en salle. Alors on s’épongeait un nez ensanglanté, se frottait une arcade endolorie par un hématome pointant le bout de sa teinte nocturne, l’un d’eux alla jusqu’à redresser un banc pour assouplir la peine. Et tenus ainsi en faction sur chaque bordé du bar, d’attendre les remontrances et amendes des costumes de sinople.

Je n’étais que sur le point d’approcher, retenu par une manœuvre délicate dont je me devais encore superviser l’exécution à quelques pieds de là, sur les rebords fatigués d’un quai occupé par la belle dame et sa voilure arisée. La volée de cris injurieux ne m’était pas parvenue de si loin, mais avait certainement alerté d’autres de mes hommes comprenant parmi eux des miliciens non affectés à la gestion des rixes urbaines. Ayant revêtu l’uniforme habituel de mes patrouilles au large, à savoir un pourpoint sapin et argent coiffant une chemise claire et couronnant en pans tranchés des chausses noirâtres, j’avalai les pas me séparant encore de la devanture agitée où deux miliciens se tenaient en cerbères. Plutôt que d’en forcer la présence, je me présentai à eux avec droiture, n’ayant guère cœur à abattre aussi le courroux de la force étatique sur mes épaules.

Lazare, comte de Malemort, demande à franchir ce cordon pour s’enquérir de l’état de ses hommes et leurs sanctions si préjudice causé.





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MessageSujet: Re: Ne pas faire de vagues (Lazare - Richard)   Ne pas faire de vagues (Lazare - Richard) EmptySam 23 Juil 2022 - 12:04



Richard d'Estaing
Ma parole sera d'acier



Ne pas faire de vagues


Le parquet avait lui aussi quelque peu rougi. Des nez avaient saigné, des yeux amochés, des bleus distribués, et des chopes cassées. Oh, l’altercation avait été brève pour sûr, mais non moins violente pour autant. Richard tentait de son mieux d’oublier la douleur piquante de sa pommette droite. S’étant jeté pleinement dans la mêlée afin de séparer les arrois, il avait récolté le fruit de son labeur sous la forme d’un coup sur la caboche.

Les deux groupes désormais séparés, les marins étaient moins échaudés. Deux miliciens supplémentaires avaient, par le plus grand des hasards, atteint l’Estribord alors même que la tension redescendait. Richard pesta intérieurement en les voyant arriver derrière lui, conscient du comportement honteux de ces couards. Il ne dit rien cependant, préférant les avoir tout de même sous le coude, mais se promit de leur en crier de belles une fois l’accident résolu.

Observant les équipages présents, le milicien remarqua qu’il avait déjà ouï de l’un d’eux. En effet, ces derniers, bien que de nom inconnu, étaient souvent fourrés dans ces guêpiers. Était-ce par sang chaud ? Ils n’avaient pas l’air de tendres évidemment, mais Richard ne les avait pas vus plus prompt que les autres à lancer le combat.

-Oy, matelot. Dit-il en s’adressant à un saoulard pensant ses plaies. Donne-moi les raisons de cette pagaille.

-C’pas d’note faute si ces merdailles sont sous l’commandement d’un noiraud. Cracha-t-il. Porte malheur de pactiser avec un chien, or c’nous qui trinquons en mer pour l’avarice de ces catins.

-Prends garde à ta langue si tu ne veux pas que je la tranche. Anür, puisse-t-elle veiller sur nous, est parfaitement capable de reconnaître les impies des innocents. Vos querelles blasphématrices sont seules responsables de vous faire couler en mer.

Le silence se fit dans la pièce alors qu’un nouvel individu y pénétrait. Car bien que les miliciens portaient l’épée, manquer de respect à un noble était passable de bien pire qu’un séjour en geôle. Cependant, les regards en disaient long quant à ce qui traversait l’esprit de chacun. Nul doute que cet homme était autant craint que respecté.

Richard fit un pas en avant puis s’agenouilla en signe de respect.

-Comte de Malemort, vous êtes bien entendu dans vos droits. Il se releva. Votre équipage, si je présume qu’il s’agit de celui-là, n’a qu’écopé de quelques menues blessures. Aucun des deux partis n’est à dédommager, je m’en suis assuré.

Le tavernier se racla la gorge.

-Bien que quelques chaises et godets soient à défrayer.

Il s’avança d’un pas et croisa ses mains dans le dos, adoptant la pose si caricaturale des hommes militaires.

-Nous sommes à votre service, Comte. Déclara-t-il avec obéissance.

Richard ne savait que penser de la peau basanée de son interlocuteur. Cependant l’estime qu’il portait à la noblesse, au sang bleu, était supérieur à ses préjugés raciaux. De plus il y avait quelque chose en cet homme qui lui inspirait confiance, comme s’il l’avait déjà rencontré. Quelque chose dans ces yeux peut-être. Malemort… ? Mais cela était impossible, c’était peut-être la première fois qu’il croisait un brun. Autrement il s’en serait souvenu.

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MessageSujet: Re: Ne pas faire de vagues (Lazare - Richard)   Ne pas faire de vagues (Lazare - Richard) EmptyDim 24 Juil 2022 - 8:11

Ne pas faire de vagues | Printemps 1167

Si Brugière tenta de s’interposer dans les coups hargneux portés à ce milicien zélé arrivé au cœur de la mêlée sans le moindre renfort, il ne suffit pas de sa présence pour que l’intrus ne gagne un crochet en travers de la tempe. Et quand bien même le soldat sut faire valoir son uniforme viride après quelques derniers cadeaux sanglants et lancinants, les hommes échaudés se jetaient encore à la figure des mollards rubescents et autres insultes fleuries quant à la génitrice de l’un ou de l’autre. Le cordon de gardes se défit bien rapidement, ce qui tendait encore à me surprendre, et j’arrivai sur ce capharnaüm de sièges désassemblés et autres bocks ayant dégueulé leur nectar frelaté sur les planches d’un parquet éreinté. Un silence que je savais aussi respectueux qu’hypocrite régnait là où je savais y avoir eu une cohue d’insanités, brisé par la salutation pour le moins étonnante du milicien en charge de faire respecter l’ordre public. Cette courbette solennelle me fit arquer le sourcil, non point de consternation mais d’étonnement, car si s’agenouiller ou s’incliner bassement devant un homme de mon extraction aurait dû – je le crois – rester dans les mœurs vulgaires, cette attitude savait vexer le petit peuple reniflant les privilèges divins à grandes louchées et leur provoquait un urticaire tenace. Le mal était fait.

Soldats. Monsieur, adressai-je au tavernier ayant sorti la tête de son comptoir une fois la tempête passée. Mes hommes regrettent assurément ce comportement de butor, et déduiront de leur vacation une part des réparations à effectuer s’ils n’y participent d’eux-mêmes.

Je tâchai d’avoir bon air bien qu’il me fit honte d’avoir à intervenir, une fois de plus, pour atténuer les frasques débordantes de mes mathurins parfois intenables lorsque bière et gnôle se mêlaient à l’évidente équation. Aussi, si mes subordonnés s’indignèrent, ils le firent sans rompre le mutisme de leurs rangs serrés, bien que je sache les avoir assez éduqués pour ne pas crier à l’injustice et contester des décisions que j’estimais justes et responsables. Éloi de Bocuse alla jusqu’à baisser le nez d’embarras, lui qui avait pourtant écopé d’un enseignement de haut rang se retrouvait à se faire rabrouer dans le cadre d’un égarement populaire. Mes orbes smaragdins balayèrent non seulement ma propre assemblée mais aussi celle, grisâtre aux touches de marine et de vermillon, d’un capitaine absent et dont je devinais peut-être l’identité. Les regards que l’on me rendit furent pour la plupart mauvais et cruels, si bien que je ne m’y attardai pas davantage, n’ayant que faire de l’ire de quelqu’animal poivrot. Consultant alors le soldat intervenu au point de récolter un coup rougeoyant en travers du crâne, quelle ne fut pas ma surprise en reconnaissant ce faciès particulièrement semblable à un feu père et ses services artisanaux dont j’avais été bénéficiaire.

D’Estaing. Revêtir l’uniforme vous pousse à l’imprudence, lui glissai-je un brin plus discrètement lorsque deux javelots de jade se plantaient autour de la blessure encore superficielle de son front. J’en revenais toutefois à cette dizaine de matelots de tout bord, afin qu’ils occupent leurs phalanges éraflées à davantage que se partager des chiquenaudes. Messieurs, il serait judicieux que vous vous atteliez sur-le-champ à redonner à cet endroit son allure d’antan.
Z’êtes pas not’ cap’taine, z’avez pas d’ordres à nous donner.

Bien sûr, la nature de leur courage pédant n’était autre que celle de défier le tout venant plutôt que d’assumer leurs fautes et d’en corriger le tir chevrotant. La forte tête s’étant exprimée avait une lippe éclatée barbouillée d’une trace carminée, une tignasse mi-longue en queues-de-rat tirant sur l’anthracite sous un calot de feutrine. Sa trogne émaciée mangée par une barbe filandreuse et sans épaisseur lui donnait des airs de mendiant, et du mendiant il n’avait pas seulement l’air.

Qui que vous soyez, sachez que la défiance ne vous insuffle pas le courage, simplement l’imbécilité. Quel est le nom de votre capitaine ?
Ça t’regarde pas l’mét-
Cap’taine Valferrant… m’sieur !

Le jeune homme s’étant exprimé sortit malgré lui de derrière la horde de grisailles sauvages pour recevoir un taquet à l’arrière du crâne, assez pour lui faire piquer le nez en avant ainsi qu’une volée d’injures dégradantes. D’autres s’étaient pourtant déjà mis à l’ouvrage, réparant une chaise du mieux possible. Je remerciai toutefois l’intervention spontanée confirmant mes soupçons, ce Valferrant était un baronnet pour le moins sot qui justifiait partiellement l’attitude de son équipage ; un rustre personnage incapable de faire fi de mes étrangères origines et me percevait encore comme une malédiction d’Etiol sur les flots. Je me satisfaisais néanmoins qu’il paie ces dégâts et le trouble de l’ordre que ses employés avaient causés. Désintéressé par le cuistre, j’en revenais ponctuellement à mon voisin et son tabard verdâtre.

Et bien. Aurais-je ouï votre nouvelle vocation que je me serais présenté à votre cérémonie, d’Estaing.


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MessageSujet: Re: Ne pas faire de vagues (Lazare - Richard)   Ne pas faire de vagues (Lazare - Richard) EmptyMar 26 Juil 2022 - 14:12



Richard d'Estaing
Ma parole sera d'acier



Ne pas faire de vagues


Richard sursauta. Son intuition ne l’avait pas trompé. Il déglutit, légèrement inquiété à l’idée d’avoir oublié quelqu’un de si haute extraction. Faisant le vide dans son esprit, il passa en revue tous les individus qu’il avait pu croiser au cours de sa si courte vie.

Les yeux, les yeux… Malemort… la peau brune… Auxence. Auxence ! Ces vestiges inconscients d’une vie antérieure s’imposèrent à lui violemment. Évidemment, le vicomte avait un père, le comte ! Quel imbécile il était. Il se rappelait désormais avoir entraperçu à plusieurs occasions, l’ombre imposante d’un père autoritaire qui observait le jeune de Malemort.

Richard n’avait plus repensé à Auxence depuis des années. Outre la fange qui avait décimé son ancienne vie, le jeune vicomte avait fini par s’éloigner de lui. Le garçon qu’il était n’avait pas été surpris, c’était simplement inévitable. Ils avaient eu, l’espace de quelques saisons, l’opportunité de vivre leur adolescence ensemble. Notamment pour ce qui était d’étudier les courbes des jouvencelles, de s’entraîner au maniement des armes puis de découvrir les limites des bocs de bières à ne pas franchir le soir même.

Il aurait été erroné de dire qu’ils se comportaient en pair. Richard se montrait toujours respectueux envers la noblesse, et Auxence n’oubliait pas ses devoirs futurs de régent. Pourtant, même lorsqu’ils venaient à se séparer, l’un en direction du château, l’autre du hameau, il aurait été erroné de dire qu’aucune trace de sentiments fraternels n’existait.

Le temps reprit son cours, fermant définitivement cette fenêtre sur le passé. Richard se reprit, désireux de clore l’incident il ajouta en direction de l’équipage à sa droite :

-Vous ferez savoir au Capitaine Valferrant, étant sous sa juridiction, que par votre faute il est responsable de la moitié des sous à débourser. Régler des comptes par honneur est une chose, déclencher une émeute sous le coup de la vinasse en est une autre.

Le milicien avait tranché sans véritablement réaliser qu’il s’immisçait en plein bourbier de factions politiques. De toute façon, effronté qu’il était, la décision aurait sûrement été la même en connaissance de cause.

-Comte de Malemort, vous me faites trop d’honneur au regard de ma cérémonie. Chuchota-t-il une fois les protestations dispersées. Peut-être pourrions-nous nous entretenir en privé cet incident enfin réglé. Loin de moi l’idée de m’imposer à un homme aussi important que vous néanmoins. Je crois bien avoir quelques questions à vous poser.

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MessageSujet: Re: Ne pas faire de vagues (Lazare - Richard)   Ne pas faire de vagues (Lazare - Richard) EmptyJeu 28 Juil 2022 - 21:29

Ne pas faire de vagues | Printemps 1167

Les mathurins de Valferrant, pour le moins coutumiers des rixes de comptoir, n’étaient pas non plus de ceux à participer le plus à redresser l’allure de ce capharnaüm de chaises brisées et de chopines à l’anse rompue. Le jeune homme bousculé pour avoir contesté la décision auparavant unanime de taire le nom de leur employeur se faisait encore brutalement rouer d’injures et de taquets, acculé contre l’angle du bar imbibé de gnôle répandue. Tant et si bien que les retardataires au tabard uni de sinople tâchèrent de les séparer immédiatement, laissant une relative avance au damoiseau de piètre extraction en l’autorisant à filer de là en premier lieu. Deguignes, le téméraire, n’avait toutefois pas dit son dernier mot : feignant de replacer un haut tabouret contre le comptoir, il s’en vint écraser, du pied de ce siège alourdi de son propre poids, les orteils de l’insolent ayant manifestement persisté à me dénigrer dans le feutre de sa barbe vieillote. Si une part de moi se satisfaisait de voir le maraud puni par l’entêtement de mes hommes et que je gageais se piqueter de coups bas ces prochaines semaines, je ne tardais pas à intervenir justement.

Deguignes, retenue sur salaire. Vaquez donc, aérez-vous l’esprit. Et vous présenterez vos respects au capitaine Valferrant pour avoir estropié son irremplaçable matelot.
Bien, Capitaine.

Un rire contagieux s’empara de ma valetaille de bord, se moquant ouvertement de l’autre portion d’équipage qui, sous le regard punitif de la milice, ne s’osait pas à des représailles – encore. Il était certain que je ne me gardais pas d’un sarcasme avéré, bien qu’il m’attire davantage de foudres que de bons augures. Alors l’on cessa bientôt de ramasser ce qui devait l’être, sur le départ du Deguignes, pour mieux échapper à l’antre de tous les excès et regagner tillac et branles. Retenus sur place, les membres échaudés de la compagnie restante furent encouragés à être escortés jusqu’à leur chef de bord ou bien son représentant direct en la personne d’un quartier-maître quelconque. L’on réclame au d’Estaing de s’en charger seul, ou du moins en binôme, n’ayant guère nécessité d’être tout un régiment pour collecter une amende.

Voilà qui est fait, ajoutai-je à l’issue de cet esclandre en délaissant sur le comptoir quelques pistoles valant au moins les sièges abîmés et le trouble causé. Des questions, dites-vous. Si le tillac de mon bâtiment est assez intime à votre goût, je vous enjoins à m’y emboîter le pas. Autrement, invitez-moi où bon vous semblera lorsque nos tâches seront fin accomplies, à la tombée du jour.

S’il m’était parfois des jours ennuyeux, celui-ci n’était guère un de ceux-là. Interrompu dans un inventaire que j’espérais achever avant que le crépuscule ne darde ses ombres malvenues sur mon ouvrage, ce fut sur un spectre du passé que je trébuchai en la personne de Richard d’Estaing. L’âge semi du mien, il n’était guère de mes confrères, mais de ceux de feu mon fils. Un ami cher qu’il se targuait de compter comme apprenti dans les choses de la guerre et du beau verbe. Davantage au contact du paternel du jeune homme, je l’apercevais nonobstant courir les jeunes femmes des terres de Malerive, ce qu’Auxence ne m’eût assurément jamais daigné conter, bien trop taquin pour se garder de fréquenter de séduisantes filles. Les années passèrent, et je n’eus plus jamais vent des déboires de la famille d’Estaing autrement que par l’ouverture d’une échoppe de menuiserie et charpente navale au sein même de Marbrume.

Peut-être était-il temps de rattraper le temps perdu.

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MessageSujet: Re: Ne pas faire de vagues (Lazare - Richard)   Ne pas faire de vagues (Lazare - Richard) EmptyVen 29 Juil 2022 - 23:12



Richard d'Estaing
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Ne pas faire de vagues


Richard déglutit. Voilà bien longtemps qu’il n’avait eu affaire à la haute extraction et l’étrange familiarité que semblait afficher le Comte de Malemort entre deux sourires sarcastiques le déstabilisait. S’adresser à Auxence était une autre paire de manches, en cela que les deux jeunes hommes dansaient sur un pied d’égalité concernant leur expérience de vie. Aborder son père en revanche était autrement plus effrayant.

« Je nage véritablement en eaux troubles… Gardons les civilités de mises mais il s’agit là d’une bonne nouvelle que de rencontrer cet homme ! N’est-ce pas ? » Se rassura-t-il.

-J’accepte bien entendu votre invitation et vous talonne Comte de Malemort. Dit-il en inclinant la tête.

S’apprêtant à suivre le noble, Richard interpella discrètement les deux miliciens l’ayant suivi de loin.

-Je vous laisse responsable d’assurer la sécurité des lieux désormais. Il me semble que ce poste de surveillance passif convient parfaitement à vos capacités. De plus vous me devez bien cela… N’est-ce pas ? Murmura-t-il en les fusillant du regard.

Richard reçu pour seule réponse un hochement de caboche lent et un bâillement apathique, lui confirmant ses suspicions. Néanmoins la menace avait été claire, et le pacte conclu.

Accompagnant la marche de de Malemort, Richard se tut durant le trajet. Trop soucieux qu’il était de garder ses interrogations pour le moment propice. Ces interrogations ? Mais quelles étaient-elles ? Il avait annoncé cela au Comte mais la réalité était qu’il souhaitait simplement discuter avec lui, peut-être se remémorer un instant une vie plus paisible.

Ils arrivèrent devant un vaste bâtiment que le jeune d’Estaing observa un instant. Loin d’être un marin, participer à la création de la charpente avait tout de même tendance à former votre œil pour ces beaux vaisseaux de bois. Il s’agissait là d’un brick à voiles blanches embellies par les armoiries de Langres. Il n’était pas de première jeunesse, ou peut-être avait-il récemment côtoyé féroces bastailles, de nombreux débris jonchant le bastingage. Ne prêtant cure à ces détails, ni même aux quelques bougres s’affairant à l’inventaire, Richard suivi le Comte jusqu’à la proue où ce dernier s’arrêta. Il lui désigna une caisse en guise de chaise, mais le jeune homme préféra rester debout. Non par gêne que par formalité.

-Je… me vois ravi qu’une telle opportunité me soit offerte, Comte. Osa-t-il en guise d’introduction. La fange a eu pour effet, j’en ai bien peur, de me faire oublier par moments mon histoire et j’ai plaisir à raviver ces souvenirs par quelques rencontres. Mon père vous portait en haute estime et il va sans dire que mon respect envers vous, se veut je l’espère, à hauteur du sien.

Il marqua une pause. Se préparant à rouvrir certaines blessures.

-De ma famille il ne reste cependant aujourd’hui, que moi et ma cousine Aurora. Son ton avait pris une teinte amère qu’il avait espéré éviter, son regard était lointain. Puissent les Trois veiller sur eux…

Un instant de silence.

-Mais je m’égard, Comte. À dire vrai je suis surtout venu pour prendre des nouvelles. Voilà bien longtemps que je n’ai aperçu Auxence, comment se porte-t-il ?


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MessageSujet: Re: Ne pas faire de vagues (Lazare - Richard)   Ne pas faire de vagues (Lazare - Richard) EmptyMar 2 Aoû 2022 - 2:02

Ne pas faire de vagues | Printemps 1167

C’était inéluctable. Le jeune Richard, fraîchement recruté par la bleusaille milicienne, accepta ma première offre et de me suivre sur les quelques dizaines de pas serpentant entre les étals humant le poisson frais et les débardeurs humant plutôt la sueur du labeur. Il légua un ordre à ses accompagnants chargés d’un office pour le moins simple et ne requérant pas sa présence immédiate, et se mit à me suivre sensiblement en retrait, sur un cheminement pour le moins mutique. Je m’évitai volontiers d’exposer mes conversations, aussi banales soient-elles, au tout venant. En particulier sur ce square pavé tant de cancaniers indécents et dalles descellées que d’abats sanguinolents et écailles arrachées, il était plus prudent de faire sagement attention à là où nous posions nos bottes tout comme nos palabres les plus innocentes. Le quai n’était guère loin, celui où gigotait joyeusement la Grande Chimère dorlotée par les ridules des eaux souillonnes. Mes hommes les plus récemment abîmés avaient assiduement repris leurs charges pour mieux débarrasser le pont de ses caisses empilées et barils accotés, d’ores et déjà consignés dans les registres que je remplissais méticuleusement avant d’être odieusement interrompu.

C’était inéluctable. Restait encore une floppée de barils rééquilibrant la pesanteur de ce chargement en provenance du Labret et à destination des commerces de Marbrume la Défigurée, floppée disposée autour du pied du mât de beaupré, à la proue de cette bête gargantuesque. La Manticore, ce bâtiment qui arborait les rides de l’âge sur son bastingage entaillé, et ses mâts creusés de heurts répétés. J’empruntai la passerelle stabilisée afin de conduire mon invité de dernière minute à s’installer tout au plus sur l’un de ces caissons, tandis que j’attrapais une planche à découper faisant office de support à mes inscriptions frénétiques quant au contenu de ces obscurs réceptacles. Sur le rebord d’un solide baril, je m’asseyais de guingois, jetant à la mer cet épuisant protocole seyant bien plus aux dîners mondains qu’à ces rencontres fortuites et cette allure de forban dont je me parais lorsque devenant davantage Capitaine, en fin de Comte.

C’était inéluctable. Il y avait en d’Estaing un écho notable de crainte ou de respect propre à la jeunesse des bien éduqués, à défaut d’avoir eu l’honneur d’être bien nés. Formel, il ne prit pas place en dépit de mon invitation, ce qui ne m’empêcha pas de suivre mon propre conseil, et tâcha de me présenter ses hommages une fois encore. Feu son père était un homme de culture, quoi qu’ait pu en dire sa basse extraction, et un homme de rigueur avant tout. Une rigueur qu’il m’était donné d’observer en son fils, dont les traits d’homme plus que d’adolescent maintenant accrochaient plus avant ceux que j’avais côtoyés en la personne de son parent.

Feu votre père fut un mestre charpentier dont je regrette encore les services, et je vois en votre rectitude les échos de son enseignement. Un grand homme qui j’espère repose en paix sous l’égide de la Trinité. Recevez mes condoléances pour ces tragiques pertes.

C’était inéluctable. Au regard des révélations qu’il me confia au sujet de son entourage le plus proche, dont j’avais reçu quelques échos sans plus retenir avec exactitude la totalité de ces informations, j’appréhendais - redoutais, même - que le sujet ne s’en aille titiller mes douloureuses souvenances et l’état pour le moins inévitable de ma propre famille. Je ne pouvais le lui reprocher, le jeune homme entretint auprès de mon fils une amitié que je pensais sincère et franche d’une part comme de l’autre, et fut auprès d’Auxence un réconfort certain. Et ce thème amené sur le devant de la scène, je pouvais en sentir les tentacules pernicieux venir se nouer autour de ma gorge raide pour en étreindre tout l’oxygène. D’autres entrelacs se formaient au creux de mon estomac, et cette pointe vive, douloureuse, propre à la piqûre d’une aiguille, d’aller torturer mon battant mis à l’inconfort.

Auxence… amorçai-je, les nerfs de mon cou se tendant suffisamment pour refermer deux mâchoires crispées en un secret qui ne se devait être dévoilé en aucune circonstance. Auxence paya la dette inestimable de mes convictions. Il rejoignit le domaine éternel d’Anür courant septembre de l’an mil cent soixante-quatre, en compagnie de mon épouse, Anna, dont vous avez assurément été témoin des bienfaits, autrefois.

Je triturai nerveusement la plume qui servait de guide à mes nomenclatures, la colère bouillonnant aussitôt au sein de mes entrailles emmêlées. Les deux écus smaragdins autrefois fièrement perchés sur le faciès familier du milicien se retrouvèrent à contempler les nœuds bruns du bois de hêtre d’un tonnelet étanche.

Mon fils tenait tout particulièrement à vous convier aux noces qu’il espérait fêter au printemps qui dût s’ensuivre, et qui ne purent inopportunément aboutir. Vous teniez une robuste place dans l’écrin de ses amitiés, d’Estaing.

Combien de fois m’eût-il conté leurs péripéties sur les terres de Malerive ? Leurs duels amicaux souillant de sinople leurs tuniques lactescentes ? Les abordages imaginaires qu’ils rejouaient encore et encore à la barre d’un navire à quai ? En sa présence, mon bien le plus précieux se sentait accepté, et estimait Richard bien plus que tout vicomte aurait pu estimer la roture à son service. Car de titre il n’était question que lorsque le futur charpentier s’évertuait à cultiver cette différence de statut, séparant les êtres touchés par la grâce des Dieux et ceux qui comme lui, se devaient adroitement les servir.

Je regrette ne pas avoir plus heureuse nouvelle à vous apprendre.


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MessageSujet: Re: Ne pas faire de vagues (Lazare - Richard)   Ne pas faire de vagues (Lazare - Richard) EmptyMar 2 Aoû 2022 - 16:00



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Ma parole sera d'acier



Ne pas faire de vagues


Musique

Il déglutit, alors même qu’une froide sensation de malaise s’insinuait dans son dos dès lors qu’il entendit la mention de son paternel. Inconsciemment, il se mit à frotter nerveusement sa chevalière de bois.

- … repose en paix sous l’égide de la Trinité…

Il avait envie de vomir. L’horreur de la situation le prenait aux tripes. Il n’était pas loin de trembler. « Comment lui dire… Comment expliquer que… Leurs corps nous n’avons pu retrouver… Si seulement… Si seulement j’avais eu plus de temps. J’aurais pu fouiller la maison et peut-être que… peut-être que je les aurais trouvés ! Alors ils auraient pu recevoir les sacrément, et leurs âmes n’auraient été damnés à une éternité de solitude… »

Richard s’appuya du bastingage pour ne laisser paraître sa momentanée faiblesse. « Je les retrouverai. Je vaincrai la fange. Je m’enfoncerai dans ce territoire maudit jusqu’à Estaing. Et là-bas je… je les aiderai enfin. À retrouver la paix. »

Auxence mort. Mort. Mort. Mort. Mort… Il ne bougea pas. Il ne respirait plus. Le temps n’avait plus de sens. Et la vie non plus.

Rattrapé par la réalité, il s’effondra sur la caisse qu’il avait cherché à éviter. Il ne comprenait pas. Pourquoi ? Cela n’avait pas de sens. Cela n’en avait jamais.

Enfin il respirait. Trop vite cette fois. Comme s’il cherchait à récupérer l’air dont il avait manqué. C’était le moment. Le moment où il quittait cette rêverie. Cette rêverie où il ne comprenait pas ce qu’on lui avait dit. Désormais il comprenait. Il comprenait trop bien. Il comprenait la douleur.

Vint le silence.

Un silence monstrueux. Un silence accablant. Un silence éternel, rapide, pressant. Un silence tonitruant, qui en disait long, qui en disait trop. Un silence… triste.

Il n’y avait rien à dire. Rien qui n’aurait pu aider. Les choses étaient telles qu’elles étaient. Les deux hommes le savaient.

-Nous chassions du poisson. C’était un après-midi d’automne, pourtant il faisait chaud, le vent nous soufflait au visage, je me souviens bien. Il avait fait faux bond à son précepteur pour une leçon d’histoire me semble-t-il. Moi, j’avais terminé mes corvées dans l’atelier. Auxence s’était mis en tête que s’il attrapait une lotte, il pourrait impressionner les filles du village. Je me demande s’il ne cherchait pas plutôt à vous impressionner vous. Nous partîmes ainsi avec pour seules armes des bâtons bien taillés et notre bonne volonté. Nous voici donc, l’eau jusqu’aux mollets, à bavarder joyeusement tout en faisant tournoyer sans grand succès nos superbes lances artisanales. Après plus d’une heure à patauger bredouilles, l’on commençait à accepter notre défaite. Puis, soucieux de me voir garder le sourire, ce dernier profita de mon abattement pour m’éclabousser puis me faire tomber à l’eau. Oh je le lui rendis bien, ce gredin, bien malin que nous étions complètement trempés et affamés. Assis sur la berge, haletants, je me souviens qu’il finit par m’avouer : « Il n’y a jamais eu de lotte dans ce lac, j’ai menti. C’est un poisson de printemps. » Je ne comprenais pas bien à quoi cette farce rimait. Pourquoi s’embêter à pêcher du poisson imaginaire ? Il me répondit : « Je ne sais pas. J’avais envie de pêcher tout simplement. » Après quoi il soupira longuement et ajouta « Ne penses-tu pas que la vie… est plus que ça ? Que l’on devrait pouvoir rêver d’attraper des poissons qui n’existent pas ? Aujourd’hui, je n’ai pas trouvé. Mais demain j’espère découvrir ce que je cherche, ce que j’attends de la vie, même si je ne sais de quoi il s’agit. »

Il se tut.

Puis, le regard humide, se tourna vers Lazare de Malemort.

-J’espère qu’il l’a trouvé. Ce qu’il cherche je veux dire. Où qu’il soit…

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MessageSujet: Re: Ne pas faire de vagues (Lazare - Richard)   Ne pas faire de vagues (Lazare - Richard) EmptyVen 5 Aoû 2022 - 19:34

Ne pas faire de vagues | Printemps 1167

La friction des doigts du milicien autour de cette chevalière ne m’échappa guère, une mante anxiogène ayant promptement drapé les premiers échos de cette conversation endeuillée. Il était rare que l’on évoque un décès sans que je ne pense à l’horreur de la Fange et ce dont elle a privé chaque foyer : un père, un frère, un fils, un ami. Peut-être était-ce ainsi que le patriarche d’Estaing passa à trépas. Peut-être avait-il lui aussi succombé sous les crocs monstrueux du fléau tandis que l’ouvrage d’une vie l’avait distancé de la capitale. Au regard de cette poigne pressée contre le bastingage et devant l’absence de réponse laissant ample place à un silence mortuaire, je n’insistai pas davantage. Pas la moindre explication ne le ramènerait à la vie, pas la moindre justification ne ressusciterait mon fils.

Si le sujet de son père l’avait ébranlé, la nouvelle abrupte qu’il me fallut délivrer au jeune homme sembla l’atteindre plus férocement qu’un javelot en plein cœur. Sa paume contre le garde-fou écorché ne suffit pas à le soutenir, lui et ce nouveau fardeau. Il chancela suffisamment pour enfin accéder à ma requête et s’affaisser sur une caisse encore tenace, l’œil vitreux ressassant un passé qui dut soudainement lui paraître lointain. « Pourquoi ? » se demanda-t-il sans doute, comme je me l’étais cent fois rabâché, mandant aux Trois une réponse qui ne parvint jamais au pavillon de mon oreille. « Pourquoi... » dut renvoyer l’écho mat de ses interrogations lancées aux nues, à l’horizon, à quelconque entité messagère qui en laissa le contenu se déliter. Moi aussi, Richard. Moi aussi, je dus arpenter les méandres noueux des causes et conséquences de ces funèbres évènements et n’y déceler que l’amoncellement abracadabrantesque de prétextes et de résignation. Maintenant, quoi ? Eussé-je le choix de ne pas accepter cette fatalité qu’il m’aurait été à ce jour plus insupportable encore de respirer l’air vicié de Marbrume la Traîtresse.

La chape de plomb d’un silence aux remous amers pesa tant et tant sur notre binôme atypique que je me sentis comme forcé par un murmure parasite au fond de ma conscience à le briser. Toutefois, lorsque je me fis violence pour rompre sa toile strangulatrice, la bleusaille milicienne me devança de peu en m’évoquant une partie de pêche qui, sur l’instant, me fit arquer le sourcil d’incompréhension.

Et les mots défilèrent. Ces lueurs d’automne, le froissement de la canopée éparse du littoral malerivain, la fragrance iodée des jours d’un été trop capricieux pour quitter nos territoires lorsque l’heure fut venue. L’agacement des précepteurs qui me coûtaient une fortune mais n’apercevaient mon fils qu’au gré de ses caprices et envies, sachant pourtant la teneur du courroux que je ferais pleuvoir sur cette tête bien faite plutôt que bien pleine. Ses velléités de coureur de jupons, sur lesquelles je fermais usuellement les yeux afin de ne pas le priver de l’aurore de sa vie d’homme que j’avais moi-même menée à son âge, avec cependant moins d’appétence pour le papillonnage qu’il ne l’avait car frappé par le sentiment amoureux dès l’instant où j’aperçus sa splendide mère. Cette farce infantile de jeter son ami dans les flots frais du lac de Sansebray, je l’avais cent fois aperçue du coin de l’œil lorsque le fils Aspremont ou une petite-cousine de mon épouse se joignaient à ses tribulations de chasse à l’écrevisse, assez pour se faire trahir d’une pression des paumes dans le creux des reins pour les faire basculer. Et ce mensonge, si perfide qu’il me rappela vivement ses simagrées et effronteries justifiant d’avoir été pris la main dans le sac d’un méfait dont il se montrait secrètement fier ; escroquerie pourtant si propre à sa féroce envie de tenir le monde sous sa coupe et le conquérir par tous les fronts. Son rôle de mentor à l’égard du jeune d’Estaing de l’époque lui était cher, et je perçus moult fois dans sa façon de me conter leurs aventures l’honneur et l’estime qu’il put tirer des enseignements qu’il dispensa à ma pupille en mon absence…

Cette souvenance me fit l’effet d’un puissant revers dont je ressentis la cuisance de chaque phalange contre ma joue. La saveur acide du chagrin remonta mon gosier comme un magma inextinguible, et simultanément, sa brûlure caustique piqua mes yeux de ses vapeurs incendiaires. Une confortable pression installée comme un reptile malvenu dans le creux de mon thorax s’empara de mon cœur pour le comprimer avec sadisme et se délecter de mes déglutitions chaotiques. J’en eus comme le mal de mer, et me félicitai sagement d’avoir été assis ; peut-être même avais-je blêmi sous mon teint d’ébène. Tout en coiffant le poil hirsute de ma barbe dans un geste d’apaisement, je me remémorai le cynisme de mon aîné pour les choses contristantes et douloureuses de l’existence et je ne pus répondre autrement qu’en imitant pathétiquement sa flamboyance en dépit du vibrato mortifié de ma tessiture. Je ne verserais pas de larme, n’afficherais pas de nouveau la ruine de mon âme au pied de la vocation nouvelle du jeune Richard. Alors un sourire paternel, chargé d’une jovialité mensongère, s’imprima sous la pilosité affamée coiffant mes lippes asséchées par les embruns.

Vous l’eûtes coudoyé, d’Estaing. S’il eût existé un recoin inexploré du Royaume d’Anür, soyez assuré qu’Auxence eût été celui à le conquérir puis à se plaindre de son étroitesse pour mieux empiéter sur le suivant.

Il n’était guère l’heure d’exprimer mes soupçons quant au royaume qu’il ait foulé depuis : celui, perdu, de la profondeur des faubourgs marbrumiens où ses cendres furent dispersées à la faveur d’un charnier nauséabond. Je n’avais pu assister à cette cérémonie, scandaleuse par sa clandestinité, durant laquelle les gardes ducaux débitèrent les cadavres carbonisés ou exsangues de nos familles meurtries au sein d’une fosse commune, improvisée au creux d’un puits alors en construction. Ce fut avec cet âpre ressouvenir que je m’essayai à dévier l’échange sur une voie moins obscure.

Ainsi, vous avez opté pour la milice. J’ose croire que vos passes d’armes contre mon aîné ont su ressurgir au moment adéquat, et que son assistance perdure dans vos nouvelles tâches. Comment s’annoncent-elles ?
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MessageSujet: Re: Ne pas faire de vagues (Lazare - Richard)   Ne pas faire de vagues (Lazare - Richard) EmptyDim 7 Aoû 2022 - 16:38



Richard d'Estaing
Ma parole sera d'acier



Ne pas faire de vagues


Était-ce une rêverie que d’entendre les paroles du Comte de Malemort avec une illusion d’écho ? Il fallait un instant à Richard pour saisir le sens de chaque mot et les mettre bout à bout. Il déglutit puis sourit faiblement en comprenant enfin les paroles de son interlocuteur.

-Oui, da. Et je lui souhaite bonne chance, à notre bonne déesse Anür j’entends, pour supporter pareils babillages ! Et je me ferai un plaisir, si les Trois me jugent aptes à séjourner là-bas, de l’y rejoindre une fois ma vie terminée, pour y pêcher sous ses ordres toutes les fantaisies lui traversant l’esprit.

Le jeune homme se détendit. Oui, peut-être qu’un jour il reverait Auxence aux royaumes des cieux, aura-t-il lui aussi subi le poids des âges ? Il découvrira cela le moment propice, pensa-t-il. Nul doute que son esprit conservera néanmoins cette étincelle infantile sous les nombreuses nuances de personnalité qui le caractérisaient si bien. Tout songeur qu’il était, Richard ne remarqua pas la légère inflexion de voix du noble, qui trahissait pourtant une profonde tristesse sous un feint épanouissement.

-Vous visez juste Comte, comme Auxence visait juste durant nos échanges de fers. Bien que jamais je n’atteindrais sa dextre, il est vrai que ces nombreuses heures à rougir essoufflé sous un soleil cuisant me font aujourd’hui profit. Rares sont les miliciens à avoir eu autant de pratique que moi dans ce domaine, et ce malgré les années d’expérience.

Il marqua une pause. Évaluant un instant s’il était convenable de mentionner la suite. Cependant le Comte de Malemort semblait réellement intéressé par la vie qu’il menait aujourd’hui, aussi ne se priva-t-il pas de la partager.

-Il y a beaucoup de choses à apprendre et à faire. J’en suis ravie néanmoins, je n’ai point rejoint la milice pour parader, je préfère appréhender les marauds afin de protéger mes bons concitoyens. Cependant… d’autant que j’apprécie ces activités, il faut admettre que nous sommes protégés en ces lieux, par les remparts, de la Fange. Aussi me voilà à me questionner : peut-être devrais-je rejoindre la milice extérieure pour contribuer aux combats de près. C’est une décision qu’il me faut encore mûrir avant de trancher.

Inutile d’ajouter que certaines tâches qui lui étaient confiées par les hauts gradés auraient pu être effectuées par des enfants. Voir même des plantes dans certains cas. Oh il y avait bien de çà et là des nuits où Richard parvenait à endiguer la vermine Marbrumienne, mais elles étaient trop exceptionnelles à son goût.

-Mais je m’égare, parlez-moi de vous Comte de Malemort. Je n’ai ouï dire de votre carrière qu’à travers les dires de votre fils il y a de cela des années. Je vous prie de m’en dire plus si le cœur vous en dit, l’on n’en vient point à commander un navire par hasard. Je l’ai bien compris en travaillant au port comme charpentier naval, la vie de marin est une vocation des plus singulière.

HRP:

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MessageSujet: Re: Ne pas faire de vagues (Lazare - Richard)   Ne pas faire de vagues (Lazare - Richard) EmptyMer 10 Aoû 2022 - 10:10

Ne pas faire de vagues | Printemps 1167

Le palpitant appesanti de chagrin, je ravalai les larmes impatientes de dévaler les vallons anguleux de mes joues pour irriguer la forêt étouffante de ma barbe fournie. Un court instant, les sentinelles smaragdines voulurent parcourir la ligne d’horizon en quête d’un imaginaire ennemi venu assécher leur peine et je n’eus à cœur de les en empêcher. Alors, en contrepartie, j’acquiesçai aux nouvelles reçues du jeune milicien et ses nouvelles charges, déglutissant ma mélancolie pour en faire provisoirement passer l’amertume. De nouveau, cette gestuelle nerveuse que je m’infligeais sans cesse revint fourmiller le long de mes doigts tatoués de cicatrices apâlies représentant l’an mil cent soixante-quatre, où tout vola en éclats ; et je lissai ma toison drue, grattant ses nœuds sous mes ongles courts pour en attirer les plus long filaments en pointe sous mon menton. La brise maritime au crépuscule de cette journée vint chatouiller les mèches volatiles de ma longue crinière serpentant contre mon front, ridé du temps et de contrariété, et mes pommettes saillantes.

Il est une chose que j’eus pour le moins naturellement enseignée à mon fils au cours de nos propres jeux : s’il fut assurément habile de sa dextre, je maniais et manie toujours l’épée en senestre. Si bien qu’il eut à parer ma lame en des angles inhabituels que vous rencontrerez sans doute bien peu au cours de votre carrière.

Admettant cela, je levai ma senestre grêlée de ces antiques mutilations afin d’illustrer mon propos. Il n’était pas courant d’être bretteur et d’officier le métier en main gauche. À défaut de n’être qu’une stratégie déstabilisante pour l’adversaire, je fus un gaucher contrarié et parfaire ma taille ne fut pas tâche des plus aisées. Les précepteurs que feu mon père engagea afin d’aiguiser mes mouvements eurent grand mal à croiser le fer en ma compagnie, car revenant incessamment tenir la fusée de ma lame en miroir de leur propre posture. J’en devins tout aussi habitué à contrer cette vaste majorité de droitiers qu’ils ne furent troublés par mon jeu mortel. Et si je remerciai le ciel de m’avoir légué pareille particularité, mes plaisantines passes d’armes avaient laissé place à de plus sauvages assauts sur les mers agitées du Morguestanc, où l’erreur n’était pas permise. Ces songeries furent interrompues par la mention de la Fange, dans les égarements d’Estaing. Ainsi contemplait-il l’idée saugrenue de prendre part aux forces extérieures, nez à nez avec le fléau et ses infâmes créatures fortes comme dix hommes. Si mon instinct paternel abattit un poing furieux contre mon thorax, je n’avais qu’un petit raclement de gorge à lui léguer pour l’apaiser. Que me devais-je véritablement penser ? Percevoir ce dangereux projet selon la perspective d‘un père dont l’enfant manquant s’était vu injustement affronter cette peste de laquelle peu réchappe ? Ou bien appréhender ce courageux questionnement selon le prisme d’un mentor rendu fier par la bravoure de sa pupille et son sentiment patriotique ? Je me devais pondérer la nouvelle d’un très léger dodelinement du chef.

La Milice Extérieure n’a en effet point le loisir de bâiller aux corneilles. Toutefois, c’est un projet à envisager avec moult prudence, nous ne savons guère plus sur ces créatures hui que nous n’en sûmes naguère. L’invasion concomitante de nos places au jour du sacrement de la Couronne eut certes le don de surprendre la population, mais déferlât non moins sur d’habiles combattants toutefois submergés par sa force brute.

Peut-être était-il plus simple de jouer la carte de la cautèle en ces circonstances. Nous avions tout autant besoin de miliciens aguerris hors de ces murs, et je ne m’évertuai pas à en dissuader un nouveau. D’un regard alerte pour mon équipage affairé à débarder quelques tonneaux et caisses gisant sur le tillac, je songeai à tous les pères, frères et fils de ces mathurins relativement à l’abri de la Fange et sa crasse, tandis que leurs proches s’étaient engagés de gré ou de force dans les troupes morguestanaises. Quelle opinion avaient-ils de leur tâche ? Je réalisai promptement que bien des choses nous séparaient encore, bien au-delà de nos rangs assurément distants. Richard attira de nouveau mon attention sur une affaire plus personnelle, qui cette fois me concernait directement. Une question qui toucha du doigt l’illustre héritage de mon atypique lignée.

Large affaire, d’Estaing. Large affaire. Nos territoires familiaux sont constitués de deux environnements distincts : le détroit, “Malemort”, mordant l’extrémité ouest de la mer du Morguestanc, ainsi que son rivage volcanique et ses terres, “Malerive”...

Je m’engageai ainsi à lui conter les mésaventures des comtes précédant mon aïeul, malhabiles pour ce qui est des choses de l’océan et de la navigation. De ce baron de Sansebray ayant donné son patronyme au lac où baguenaudaient le milicien et mon aîné, qui reçut en récompense pour sa bravoure et sa ruse la régence de ce territoire hostile. Des carcasses navales échouées sur nos côtes denticulées de traîtres roches et l’idée qui émergea d’un fin esprit de l’époque d’en étudier la charpente. De l’ambition effrontée de qui rasa les terres céréalières pour y planter hêtres, cèdres et chênes et en récolter le fruit pour ses premières embarcations. De nos premiers bâtiments et notre apprentissage de la navigation par l’enseignement de nos prisonniers de guerre.

… ainsi, la tradition fut établie, au fil des siècles, que tout fils de Malemort se dût accompagner son père dès le plus jeune âge afin de parfaire son habileté à la manœuvre maritime mais aussi et surtout à régenter un équipage et répondre avec autorité et justesse aux enjeux qu’implique une force armée à sa portée. En somme : un héritage dont nous portons fièrement l’étendard. Peut-être serez-vous amené à fouler de nouveau ce pont en votre charge de soldat.

Et ouvrant une paume qui balaya l’air chargé d’embruns iodés, je présentai le plancher de la Manticore et ses éclats, témoins de la rudesse de nos eaux territoriales.

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MessageSujet: Re: Ne pas faire de vagues (Lazare - Richard)   Ne pas faire de vagues (Lazare - Richard) EmptyJeu 11 Aoû 2022 - 15:04



Richard d'Estaing
Ma parole sera d'acier



Ne pas faire de vagues


La main gauche du Comte, collectionnant moult cicatrices, se présenta à la vue de Richard. « L’on n’acquiert ces trophées sanglants sans maintes escarmouches, d’autant plus quand on est de haute naissance. Nul doute que le Comte de Malemort doit être un rude et furieux adversaire, et un meneur d’hommes comme peu le sont car rares sont ceux à enjoindre la mêlée. » Son opinion dudit noble venait encore une fois de croître. Enfin, lorsque le milicien eut vent des différentes feintes qu’eut à parer tant bien que mal Auxence sous la tutelle paternelle, il ne put réprimer un sourire.

-Ceci explique cela. Toujours parvenait-il à me leurrer au dernier moment entre deux taillades en orientant la pointe de sa lame ! Je pense bien devoir vous remercier pour ces nombreuses fois où j’ai terminé le postérieur au sol à la suite d’une mauvaise manœuvre. Dit-il d’un ton qui se voulait un brin ironique, mais qui ne laisser point penser qu’il arborait quelconques ressentiments.

Abordant à la suite, le combat incessant qu’entreprenaient les militaires extérieurs face à la Fange, Richard se tut pour mieux écouter la réaction de l’homme qu’il estimait bien sage. « Justement, bâiller aux corneilles je ne puis plus. Néanmoins ses paroles ne manquent pas de vérité, être bien armé est une chose, mais il ne s’agit pas d’une besogne à résoudre seul. Mais avec les Trois pour veiller sur moi et le reste de ma coutilerie, je pense que nous pouvons braver l’impossible. » En guise de réponse il hocha simplement la tête, signe qu’il retenait ce que le Comte lui disait.

Ce qu’il eut plus de mal à retenir en revanche, malgré son implication totale dans le récit, furent les nombreuses traditions et chroniques de la lignée des de Malemort. Richard était tout simplement sidéré par l’histoire de cette généalogie aux aventures rocambolesques qu’on aurait cru tirées de fables contées au coin du feu. L’histoire ainsi terminé, le jeune homme était resté coi devant son interlocuteur, encore submergé par autant d’informations.

-C’est un grand honneur que vous me faites là de partager pareil héritage, Comte de Malemort. Vous portez en votre sang la grandeur de vos ancêtres. Ainsi donc, comme vous l’avez si bien dit, large affaire que de porter le titre de Comte et Capitaine.

Mais ce fut surtout la dernière remarque du noble qui surprit le jeune Estagnol.

-Je… Ce serait trop d’honneur mon seigneur… Je… J’accepterai bien volontiers si les Trois me présentent cette opportunité. Il se ressaisit. De vous à moi il va sans dire, que si par hasard, un jour lointain, vous requériez la présence d’un combattant ou charpentier de plus et que la milice approuvait pareille requête, j’accepterais sans tergiverses de servir sous vos ordres. Je ne peux promettre ce qui a déjà été promis, mon devoir se tourne aujourd’hui vers les sentinelles de Rikni, mais rien ne dit que cet engagement ne puisse coïncider demain avec une telle expédition.

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MessageSujet: Re: Ne pas faire de vagues (Lazare - Richard)   Ne pas faire de vagues (Lazare - Richard) EmptyVen 12 Aoû 2022 - 17:36

Ne pas faire de vagues | Printemps 1167

Le crépuscule marquait ses premières lueurs infernales, aquarellant l’empyrée de touches de vermillon et de fuchsia, promesses d’un grand vent au lendemain de mon entrevue avec le jeune d’Estaing. Le nez levé sur les drisses choquant les mâts dans un concerto presque semblable à une flûte de pan ou un xylophone, l’envol d’une harde de mouettes assourdit notre conversation le temps de leur migration temporaire vers de meilleurs perchoirs par delà le quartier du port. Et les bourrasques de gagner de l’ampleur, me repoussant parfois de mon siège et dévorant mon faciès de flammèches noirâtres échappées de leur lien de cuir. Les coups de vent à ces heures tardives du jour étaient monnaie courante, et il m’était rafraîchissant de me tenir en tête de bâtiment lorsque les embruns me fouettaient les joues, sous l’air vivifiant du large s’engouffrant dans la baie marbrumienne. Je maintins les feuillets parcheminés contre leur plaque de bois servant d’écritoire, apposée contre ma cuisse réhaussée par le siège de fortune sur lequel je m’étais installé. Un élan hilare me prit l’estomac en une rebuffade nasale de mon souffle sec, un sourire en demi-teinte perçant la barbe hirsute mordant mon visage.

Il est hautement probable que je sois à l’origine de vos déconvenues, d’Estaing. Si d’aventure, vous cherchiez à éprouver vos stratégies martiales sur d’atypiques adversaires, mes virées au large ont le don de me laisser plusieurs jours de répit, de l’une à l’autre. Une visite en caserne s’y intercalerait aisément.

Ainsi, je proposai au jeune homme de parfaire ses tactiques sur ma senestre armée, si mes prochains voyages garantissaient l’intégrité de mes performances et non point une blessure dont il aurait été ardu de me remettre en l’espace de deux trajets maritimes. Il m’était sans contredit plus simple d’aborder les quartiers miliciens que les degrés marbrés du Temple des Trois, comptant dans mon fin équipage un robuste tiers de soldats de coutellerie sous mes ordres depuis quelques années désormais. D’aucuns s’étaient d’ailleurs engagés auprès de la milice malgré leur poste originel de gabier ou de maître-queux, afin de s’armer plus convenablement devant les indicibles menaces que la Fange aurait pu faire peser sur les derniers navires voguant en mer du Morguestanc. Jusqu’alors, aucune créature marine n’avait eu l’infortune de quitter ce monde pour y revenir métamorphosée, et je m’en satisfaisais fort bien. Il était aussi des prérogatives de la Milice Extérieure d’employer nos bâtiments afin de chasser le pirate et le voleur sur les flots agités, si bien que l’entreprise que je lui soumettais requérait faire ce choix possiblement drastique de rejoindre les troupes au contact des dangers mortels. Je remerciai naturellement les compliments que je pensais sincères, n’ayant point ressouvenance d’une famille de tartuffes en dépit de leur qualité mercantile.

Mes rang et expérience me garantissent aujourd’hui la possibilité de requérir les services de plusieurs coutilleries⁽*⁾, si l’occasion d’une bataille navale se présentait au regard des observations que nous consignons. L’opportunité saurait se présenter plus promptement que vous ne pourriez l’envisager.

Ce n’était pas tant une promesse qu’une garantie, bien que n’ayant le pouvoir de clairvoyance sur les évènements à venir, je me savais en mesure de concrétiser cette hypothèse bien plus sûrement que ne le feraient les Trois. Dauphinat comme indépendants rôdaient encore sur la proche écume, et toute ma sympathie pour les premiers ne valait pas la rudesse que j’imposais aux seconds, quoi qu’il me faille parfois déroger à ces sentiments pour garder la face. Il se faisait rare d’abattre un navire selon les règles d’abordage dont nous avions auparavant l’habitude, car la raréfaction de tels bestiaux se pouvait être à notre avantage en cas de capture, plutôt qu’en débris épars sur la surface miroitante des océans. Et tandis que je pivotai de nouveau le chef pour aviser l’avancement du débardage, trois figures revêtant le tabard viride s’approchèrent du quai populeux tout en me signifiant d’un coup de tête notable qu’elles souhaitaient s’adresser à leur nouveau camarade installé sur mes barils agglutinés. D’une lente impulsion, je repris un peu de hauteur, adaptant ma posture au tangage auquel s’assujettissait mon embarcation.

Soldat d’Estaing, j’ose espérer que vous mettrez à profit ces suggestions. Faites parvenir à l’un de mes hommes la moindre de vos requestes, je veillerai à y répondre dans la mesure de ma disponibilité, en hommage à la sympathie que feu mon fils vous a voué nombre d’années.

Délaissant le protocole nobiliaire pour adopter une attitude s’approchant plus du sergent de milice, j’offris ma paume — droite, afin de ne point troubler le garçon — pour une poignée de main scellant ce qui cette fois se voulut être une promesse.

⁽*⁾ Sujet à modification selon les informations que je recevrai à ce sujet.
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MessageSujet: Re: Ne pas faire de vagues (Lazare - Richard)   Ne pas faire de vagues (Lazare - Richard) EmptySam 13 Aoû 2022 - 16:02



Richard d'Estaing
Ma parole sera d'acier



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-Voilà une proposition que je ne me peux refuser, vous me faites une fois de plus trop d’honneurs, Comte. Je me ferai une joie d’être déconvenue de nouveau, tel père tel fils, fusse cela devant la caserne entière.

La perspective de se voir ainsi présenter un duel avec autant de désinvolture, attestait pour Richard que le Comte était un homme humble. Cette image qui se formait dans son esprit, s’entraînant avec un de Malemort, lui fit sourire. Rares étaient les gens du peuple pouvant prétendre avoir vécu pareille expérience auprès de la noblesse. De même une escarmouche maritime ? Voilà une sacrée aventure. Il acquiesça en direction du noble, confirmant son consentement.

Mais toutes les bonnes choses ont une fin. Remarquant l’arrivée d’un petit groupe de compatriotes, Richard soupira intérieurement, lui qu’on accusait d’être trop acharné à la tâche, voilà qu’on ne semblait pouvoir se passer de lui quelques instants. Il se releva, et, observant avec fierté la main tendue d’un grand homme, la serra avec détermination.

-Au plaisir de vous revoir, Comte de Malemort.

---

Le vent soufflait dans son dos alors qu’il approchait du port, une brise discrète en cette matinée calme. En trois jours la Manticore n’avait guère eu le temps de changer, les réparations à peine entamées. De Malemort, fidèle à lui-même, arpentait dès l’aube la poupe du navire, se préparant sûrement à chaperonner son équipage. Richard franchit la planche qui menait au bâtiment, s’approchant du Capitaine il dit :

-Bonjour à vous Comte de Malemort. Veuillez m’excuser pour cette visite impromptue, je ne souhaite guère accaparer votre attention que quelques instants.

Il délia le petit sac de jute qui était accroché à sa ceinture et le lui tendit.

-Si les rôles avaient été inversés, j’aurais souhaité qu’Auxence fasse de même à mon père. Mais ils ne le sont pas. Aussi veuillez accepter ce cadeau.

Le sac contenait du bois.

De la taille d’une main à peine, il s’agissait là d’un socle. Sous ce socle étaient gravés deux marques croisées, signature de l’artisan. Sur ce socle était creusé, en lettrines calligraphiques : « Auxence de Malemort ». Enfin, au-dessus, se trouvait un buste. Oh ce n’était pas un travail parfait, et le visage était un peu plus jeune qu’aux derniers moments. Mais on ne pouvait se tromper en voyant ce visage. Lazare ne pouvait se tromper, en voyant son fils.

-Au revoir Comte de Malemort.

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