Marbrume


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 Comme une saveur d'enfance | Esmée de Sabran

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MessageSujet: Re: Comme une saveur d'enfance | Esmée de Sabran   Comme une saveur d'enfance | Esmée de Sabran - Page 2 EmptyMar 23 Aoû 2022 - 16:48
Assassins, les mots qu’il avait rageusement jetés à son visage avait l’allure du meurtrier. Ils voulaient blesser et même terrasser. Pour autant, l’héroïque pensée du révolté n’entendait pas se voir étouffer. Elle n’acceptait pas même d’être domptée. « Le meilleur… » n’en restait pas moins le pire. L’algarade tenait de l’offense. L’affront se voulait injurieux. Il entendait forcer ses défenses pour atteindre et détruire. Elle le savait. Elle en avait conscience. Cependant, les coups de ce grossier simulacre et leur force nourrie d’une rage enfin libérée portèrent. Si elle n’était pas destinataire de tout ce venin, quand bien même chaque parole lui était directement adressée, Esmée reçut l’opprobre en plein cœur. Ainsi fauché dans le bouillonnant de sa jeune existence et ouvertement soumis au vulnérable de toute son inexpérience, il cessa de battre. Il se tut sur une note humiliante et cruelle, l’espace d’un court instant seulement, mais le temps d’une trop profonde inspiration. L’assaut immérité s’en trouva englouti au plus profond de son être et sur son passage, il lacéra tout.

L’œil agrandi par la douleur se figea. Les prunelles enflammées s’éteignirent. La lave qui avait voulu se déverser pour libérer la fureur née de l’injustice devint solide, noire comme la roche qui, plus loin, surplombait la mer toujours déchaînée. La colère demeurait. Sournoise, différente, elle avait troqué son habit de feu pour prétendre à revêtir une robe cette fois glacée. Ses dents se resserrèrent comme la banquise recouvrait la surface de l’eau. Sa mâchoire se crispa. Devenue nivéenne, sa pâleur glaça ses traits fins et encore juvéniles pour voler leur habituelle douceur. La sentence tout comme le constat de son échec se voulaient sévères.

Au creux de sa poitrine, revenu à la vie, son cœur devenu sérac distilla un nouveau poison dans ses veines. Il frappa la mesure de son ra alangui par l’indignation sans plus se soucier du chant des vagues. Il le tambourina crescendo et jusqu’à s’épandre dans ses membres. Ses doigts en fourmillèrent. Sans doute Esmée aurait-elle dû le gifler. Sans doute aurait-elle dû crier. En lieu et place de ces démonstrations, trouva-t-elle heureusement la force de grandir. Ses yeux humides se refermèrent sur la ligne papillonnante de ses longs cils. Calme, beaucoup trop calme, son ton s’enveloppa d’une voix atonale pour répondre.

- Tu as raison…

Son visage s’inclina tandis qu’elle baissait la tête. Oui, il avait raison. Sans doute. La situation ne lui laissait que peu de choix. Alors pouvait-il se targuer d’avoir préféré la meilleure solution. Tout du moins de son point de vue. Reste que la Sabran n’entendait pas se satisfaire d’un tel discours. Oh, elle avait vu sa main s’agiter en direction de la cité marbrumienne et elle accusait encore le mouvement d’humeur qui l’avait durement rappelée à l’ordre. Esmée avait bien sûr compris ses intentions et elle avait entendu chacun de ses arguments quand Tharcise estimait se sacrifier pour la bonne cause. Il le faisait pour les gens qui composaient la maisonnée de feu son père. Pour ce que le Comte Onfroi d’Aspremont lui avait inculqué de valeurs. Pour ce qu’il lui avait légué de biens et pour ce qu’il avait sacrifié à la reconnaissance d’un nom aujourd’hui grevé des agissements nauséabonds d’un pendard.

Mâchoire toujours crispée, elle s’offrit l’impertinence d’une expiration tristement moqueuse. Récusée, il l’avait récusée. Sans autre forme de procédure qu’une outrageante tirade crachée à sa face et sans une once d’élégance.

Doctement, ses doigts s’employèrent à retirer le gant qui protégeait encore sa sénestre du froid. Elle prit le temps d’en lisser la surface de cuir, avant d’oser une nouvelle fois réduire la distance qui les séparait et qu’il aimait décidément entretenir. Ses yeux se relevèrent enfin pour retrouver leur ancrage dans le tumultueux orage de ses prunelles. Un sourire affadi par l’amer d’une décevante palinodie glissa sur ses lèvres, alors qu’elle se saisissait de la main libre de son ami.

- …Tu es seul…

Elle déposa les gants qu’il lui avait précédemment cédés dans le creux de sa paume, mais laissa ses doigts se refermer sur la sénestre du jeune homme. Son pouce s’attarda sur la peau calleuse comme pour y imprégner un dernier message inconscient.

- …Mais seulement parce que tu as choisi de l’être.

Et le vent, une nouvelle fois, s’invita dans ce regrettable tableau. Il emporta les mots et ce qu’il restait de sa retenue. S’engouffra dans le nostalgique de son regard humide et en arracha le surplus de larmes. « Le meilleur »… Elle le relâcha et se détourna sur cette dernière note d’espoir, puisque c'était là également tout ce qu’elle lui souhaitait.

L’inspiration qui devait lui donner du courage se fit caracolante, mais elle déglutit son chagrin dans un dernier sursaut de fierté. Les Sabran en étaient pétris et Esmée n’entendait pas faire mentir son sang. Le pas qu’elle arma pour s’éloigner de lui se chargea de courage. Elle ne regarderait pas en arrière, quand bien même elle se figurait laisser part d’elle-même sur cet aplomb.

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MessageSujet: Re: Comme une saveur d'enfance | Esmée de Sabran   Comme une saveur d'enfance | Esmée de Sabran - Page 2 EmptyMer 24 Aoû 2022 - 13:19



Comme une saveur d’enfance



Marbrume | 5 février 1164.

Trop tard.

Sauvages, insaisissables comme des rapaces épris de liberté, les mots qu’il avait lâchés ne pouvaient être rattrapés. Les mots qu’il avait lâchés, aussi affamés et cruels qu’une meute de loups se jetant en pâture sur leur proie patiemment cernée et acculée, avaient fait mouche. Les mots qu’il avait lâchés, aussi sûrement qu’une flèche fichée en la chair vulnérable, et dont l’empenne du courroux vibrait encore sous le heurt létal, avaient atteint leur cible. Les mots qu’il avait lâchés…

Il en regrettait soudain chaque syllabe, chaque note, les ressassant, hagard, en un carrousel inlassable sous son front penché, livide ; les goûtant à son tour, misérable ; les soupesant sur sa langue aux papilles agacées d’une salive bilieuse ; les éprouvant en son esprit engourdi comme s’ils n’avaient été que de noires sangsues aspirant le peu qu’il lui restait d’énergie et de lucidité. Alors que son échine était chahutée d’un frisson désagréable, son corps tanguait sous la hardiesse d’une rafale glaciale. Comme dans un rêve éveillé, il perçut les paroles de la jeune fille dont il accusa la portée exacerbée par ce qu’il appréhendait de cette posture rigidifiée, par ce qu’il craignait d’avoir semé en la soumettant à cet injuste camouflet. Déception, colère. Douleur. Rancœur.

Trop tard.

- Esmée… non.

Réussit-il à ânonner d’un murmure, agitant mollement sa tête au folâtre buisson noir, sa gorge s’animant d’une pénible déglutition. Au-delà du belvédère de rocaille malmené par la baille acharnée, le fracas moqueur des lames liquides cravachant l’à-pic sans le moindre répit trouva son écho dans les battements traîtres de son métronome hurlant son repentir. Comme cramponné à une bouée, Tharcise gardait obstinément sa dextre crochetée au mors de l’étalon agité, dont les muscles harcelés de relents spasmodiques troublaient sa robe pommelée d’une onde tyrannique. Au-dessus d’eux le ciel d’un blanc laiteux agressait la rétine, escortait les méandres de leur esprit torturé de sa toile maussade. Et le monde parut soudain tourner au ralenti comme pour témoigner de l’absurdité de cette triste fresque. Le déshérité sentit la présence d’Esmée plus qu’il ne la vit, elle, sa froide et délicate menotte s’immisçant au creux de la sienne ; paraphant de l’abandon insistant, équivoque, de son pouce le derme de sa paume bossuée de cals rugueux, avant de se replier, et s’effacer. Ce seul contact à l’éphémère abrupt laissa pourtant sa marque, brûlant et indélébile fourmillement fantôme. Et cette sentence implacable, qu’un sentiment d’humiliation avait nourrie, enfantée, percuta le pavillon de son oreille tandis que la silhouette, auréolée de sa sévère mante de dignité et de fierté, glissait à la façon d’un spectre hors de son champ de vision, échappait à la vigilance de son œil d’orage pour battre en retraite. Un hoquet de stupeur l’étranglant presque et affaissant un instant la large voûte de ses épaules, sa senestre se referma alors sur le vestige de cette sensation digitale. Il mit un temps à la durée imprécise avant de réaliser la dérobade mutique de son amie. Pivotant alors sur la pointe de ses bottes dans une brusque volte-face, il fut confronté à la réalité tangible de ce que son regard écarquillé d’une incrédulité effarée entrevoyait : la vision d’une Esmée jouant l’évasion. Le fuyant, lui.

- Esmée ! appela-t-il, sa voix portée par le vent dont les rudes cajoleries s’intensifiaient à mesure que le soleil amorçait sa bascule au-delà du mitan. Esmée ! Où crois-tu aller, ainsi ? Sois raisonnable !

Était-elle en train d’accélérer le pas alors qu’il la hélait avec force pour couvrir la complainte du vent et le chant féroce des flots en contrebas ? Était-elle imprudente, téméraire ou folle, au point de risquer une chute mortelle en tricotant sur ce chemin au tracé hasardeux, au dénivelé trompeur ? L’adolescente lui faisait l’affront de l’ignorer bellement, poursuivant l’escapade déjà bien amorcée. Elle ne lui cèderait pas un seul regard. Il le savait. Il en avait conscience.

- ESMÉÉÉE ! hurla-t-il de plus belle, se faisant insistant, une peur insidieuse rongeant avec avidité cette part de raison qui lui susurrait que la jeune fille n’oserait rien d’insensé. Mais voilà qu’elle se mettait à trottiner, et courir. Il n’en fallut pas davantage au nobliau pour que son imagination fertile et, en cette minute électrique, devenue alarmiste, n’injectât le feu de l’urgence en ses veines, l’obligeant à lâcher la pression que ses doigts avaient imposée sur le filet de cuir de Cendre, et à le libérer tout à fait de sa poigne nerveuse. Éructant une exclamation à l’octave rembrunie, il largua sur le sol les gants demeurés inertes au creux de sa main gauche, pour s’élancer à la poursuite de la fugueuse. ESMÉÉÉE !

Aussi têtue qu’une vieille et acariâtre mule, la fougueuse Vicomtesse poursuivait son échappée rebelle le long de l’étroit layon criblé de pierres glissantes et de galets instables ; il la reconnaissait bien là, sa petite Esmée, bravache même face à l’imminence du danger. Enfin, bravache jusqu’à un certain point. La remembrance d’un sauvetage périlleux se perdit sur la sente instable du présent. Ses côtes se souvenaient encore d’une cuisante dégringolade au travers les branches épaisses et rugueuses du vieux cerisier qui dominait, de son imposant tronc séculaire, la vaste propriété de Choiseul. Pourtant, malgré la revêche attitude de cette dernière, attitude dont il méritait amplement le cinglant châtiment, il sembla à Tharcise percevoir la rumeur parasite d’un sanglot étouffé. À moins que ce ne fut l’éclat de semonce vengeur d’une vague dont l’écume irisée chavirait contre le proche seuil de l’escarpement vertigineux en une pluie nébuleuse. Cependant…

- ESMÉE, BON SANG, ARRÊTE-TOI ! TU VAS FINIR PAR TE BRISER LE COU OU-… !

Son cœur manqua un battement lorsque l’adolescente, sa bottine percutant une saillie granitique, trébucha, perdant un instant son équilibre déjà malmené. Il accéléra l’allure, bondissant, dérapant, glissant sur ce chemin qu’il connaissait pourtant par cœur, et la rattrapa juste à temps, lui évitant de se jeter tête la première dans la bouche béante d’une crevasse qu’une cohorte de buissons épineux celait aux yeux aveugles des non-initiés. Ses bras la ceinturèrent aux épaules avec force, la rejetèrent contre lui sans ménagement, l’enfermèrent dans leur berceau protecteur et possessif, l’écrasant presque à l’étouffer sur son torse qu’un souffle tempétueux, asservi par la houle d’une frayeur aussi irraisonnée que justifiée, agitait.

- Arrête, Esmée… émit-il, son front cognant rudement l’arrière du crâne délicat, sa bouche noyée sous l'amas de boucles accolée à la nuque ployée essaimant les prosodies rauques, gutturales, d’une voix rendue blanche par la récente traque. Il tremblait, fébrile, inquiet, ressentant les heurts douloureux de son cœur jusqu’aux parois étranglées de sa gorge, jusqu’à ses tempes écrasées par la fourbe migraine menaçant d’altérer sa logique. Arrête, je t’en prie… Je te demande pardon, je n’aurais pas dû. Je ne suis qu’un idiot…

Et la bise hiémale de bourdonner sa rengaine à leurs oreilles, ses doigts glacials, au toucher chevronné, tiraillant leurs cheveux, s’arrimant à leurs vêtements. Les lourds pans de leur cape claquaient sous les âpres giroflées, fouettant leur corps transi de froid et de colère, les secouant comme s’ils n’avaient été que de vulgaires fétus de paille emportés dans le fleuve de leurs ressentiments réciproques.

Rien n’avait changé. Malgré le temps, malgré l’absence, malgré le manque, rien n’avait changé. Un geste, une parole, un regard, et l’un devenait l’ennemi de l’autre, dans des duels au terreau infertile. Même Auxence, cet ami, ce frère, avait cessé de jouer un arbitrage qu’il jugeait alors inepte. Et de peu d’intérêt. Il leur avait toujours laissé le libre-arbitre, les abandonnant à l’escrime forcenée de leurs joutes acides ; à l’acerbe incompréhensible de leurs promptes disputes ; à l'incrédule de leurs fulgurantes réconciliations.

Rien n’avait changé. Et pourtant…
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MessageSujet: Re: Comme une saveur d'enfance | Esmée de Sabran   Comme une saveur d'enfance | Esmée de Sabran - Page 2 EmptyDim 28 Aoû 2022 - 10:06
Rien n’avait changé et pourtant…

Tout était aujourd’hui différent. Les mots qui autrefois résonnaient avec taquinerie, prenaient désormais tout leur sens. Ils en devenaient plus durs, plus vrais, plus blessants. Leurs morsures trouvaient alors à heurter plus profondément et surtout, plus justement. Aussi, s’il était bien une chose sur laquelle Esmée ne s’était jamais illusionnée, elle concernait inévitablement sa condition. Il était cependant un monde entre savoir et admettre, entre imaginer et se l’entendre crier.
L’adolescente avait donc entendu chacun des appels de son jeune ami. Elle les avait compris, mais avait également choisi de les ignorer. Parce qu’elle était trop fière et trop têtue pour simplement s’y laisser prendre. Parce qu’elle n’entendait pas se montrer « raisonnable » - quel toupet ! - et revenir sur ses pas.

Elle pouvait alors compter sur sa colère pour continuer d’avancer et pour échapper au dilemme qui voulait rendre sa fuite difficile. Le parcours n’en restait pas moins dangereux et sa progression, rendue périlleuse par un vent toujours plus redoutable, s’en voulait devenir laborieuse. Cependant, l’imprudence comme fer de lance de sa dignité, Esmée n’entendait pas faire demi-tour. Elle oscillait, tanguait et trébuchait sur le sentier, mais elle avançait, sans relâche et sans jamais regarder en arrière.
Les pousses sèches et esseulées, ainsi que les buis au foisonnement raréfié se voyaient alors trépignés d’un pas instable, mais hargneux. C'est qu'Esmée avait hérité de l’intransigeant caractère de son père, cela ne faisait aucun doute. Elle lui devait également son tempérament accrêté dont l’obstination toute épuisante s’armait - en plus - d’une trop farouche volonté. Ainsi préférait-elle ignorer jusqu’aux dangers les plus meurtriers, plutôt que de se montrer faible. Ainsi préférait-elle paraitre irréfléchie plutôt que de se révéler sensible.

Pourtant, les larmes venues témoigner de son chagrin s’employaient à brouiller sa vue. Traîtresses insupportables et détestées, elles voulaient seulement la ralentir quand un autre appel de son ami l’invitait à la prudence.

Tseuh !

La Sabran accéléra le pas. L’espace d’un instant, elle envisagea même courir sur cet escarpement et braver la mise en garde d’un sursaut téméraire. Alors, quand à l’aune de sa folle arrogance, elle avait vu le vide s’ouvrir sous ses pieds, Esmée n’avait tout simplement pas su réagir.

Une sourde protestation s’échappa de sa gorge. Une exclamation de surprise, tout juste un piaillement que le vent se chargea d'emporter dans une bourrasque sermonnante. Ouverts sur le précipice, ses yeux agrandis par l’effroi demeurèrent figés. En contrebas, la mer toujours déchaînée frappait la roche effilée de ses vagues tempétueuses. Une fois, deux fois, trois fois. Elle retint sa respiration, prête à se voir engloutie par les lames sombres et implacables, mais... rien ne vint.
Plusieurs instants s’écoulèrent ainsi, sans qu’elle ne réalise sa chance. Sans qu’elle ne comprenne sa vie sauvée entre les bras de son ami. Lentement pourtant, son cœur se remit à battre. Une fois, deux fois, trois fois. Il frappa la mesure de son existence contre le berceau de sa très jeune poitrine et en égrena chaque martèlement. Son souffle revint, lui aussi, profond, malgré l'entrave possessive qui la maintenait dans un écrin protecteur. Une fois, deux fois, trois fois. Il s'harmonisa avec le sien, avec celui de son ami, Cise. Son « vaillant chevalier ». Celui qui n'avait jamais hésité à se mettre en danger pour la secourir. Celui qui avait toujours préféré se faire mal, plutôt que de risquer la voir blessée. Tharcise.

Au son de sa voix, elle referma les yeux, avant de pleinement se laisser couler dans son étreinte. Rien n’avait changé. Malgré le temps, malgré l’absence, malgré le manque, rien n’avait changé. Ses doigts pâles et frémissants se hissèrent jusqu’à ses bras enroulés autour d’elle. Ils s’y arrimèrent avec force, pressant le muscle à travers le tissu trop épais, éprouvant sa présence pour mieux le confronter à la sienne. Rien n’avait changé.
Son corps encore tremblant sous le joug de la panique pressé contre le sien et leurs esprits liés par quelques anciens souvenirs, elle se rappelait. Elle se souvenait une chute entre les branches d’un arbre séculaire et son inconscience déjà condamnée à l’époque. Elle se rappelait la peur, l’angoisse et la culpabilité, mais également le soulagement éprouvé. Et à l’époque osaient-ils en rire, persuadés qu’ils étaient que rien ne pourrait jamais leur arriver, tant qu’ils seraient là, les uns pour les autres ; Auxence, Tharcise et elle.

Un soupir se faufila entre ses lèvres. Autour d’eux, le vent hurlait pour mieux les frapper de ses rafales. Tourbillon de colère et typhon de rage, monstre acharné qui voulait les malmener dans le claquement de leurs capes torturées. Il tirait sur leurs cheveux, menaçait leurs oreilles. Il les percutait et les bousculait, opiniâtre mais définitivement incapable de les séparer. Ainsi, sur sa nuque, Esmée pouvait sentir le souffle chaud de son ami de toujours. Aucune tempête ne serait jamais assez aguerrie pour défaire ce que les années avaient tissé si solidement.

Lentement, elle inclina la tête sur le côté et se faisant, elle chercha à s’offrir un peu d’espace pour se tourner dans le creuset protecteur de ces bras qui l’avaient secourue. Elle releva les yeux afin que ses prunelles dorées retrouvent leur ancrage dans le ciel orageux de son regard. Une fois, deux fois, trois fois.

Sur un dernier soupir, Esmée déposa son front sur l’épaule du jeune homme.

- Oui, c’est sûr… Mais tu es mon idiot. Son visage trouva à se nicher contre son torse, là où elle pouvait sans gêne renouer avec toutes les saveurs de son enfance.

Non, rien n’avait changé. Rien ne changerait jamais.
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MessageSujet: Re: Comme une saveur d'enfance | Esmée de Sabran   Comme une saveur d'enfance | Esmée de Sabran - Page 2 EmptyMar 30 Aoû 2022 - 10:40



Comme une saveur d’enfance



Marbrume | 5 février 1164.

- Ne me refais plus jamais ça…

Gronda Tharcise, d’une voix éraflée, sourde. Malgré la consolation de lui avoir évité une chute mortelle, il ne lui octroya que peu le loisir de s’évader de l’étreinte opiniâtre de ses bras, lui donnant juste assez de mou pour lui permettre de se mouvoir au creux de ce rempart de chair qui se voulait inexpugnable face aux éléments et à tout l’hostile qui aurait pu l’atteindre. Et le vent avait beau jeu de s’acharner, la bourrasque de les harceler de ses glaciales giroflées, la bise de les fustiger de ses doigts coriaces ; nul tourment ne franchissait ces tenaces pilastres, emprisonnant la téméraire dans une bulle de chaleur et de sérénité. Et son regard pâle, assombri par le dais ténébreux de ses sourcils froncés par l’inquiétude et la gravité que leur fugace mésentente avait distillées, s’apaisa sous la cajolerie rêveuse de ces deux astres solaires crochetés à ses écus. Gardant ainsi son précieux fardeau contre lui, il arrima son menton sur le crâne délicat, tandis que ses grisâtres prunelles, dans leur écrin de chair fendu, se perdaient sur la ligne de l’horizon blafard, flouté de nuées moroses. De profondes inspirations gonflèrent sa cage thoracique d’un élan crépitant d’un soulagement non feint, provoquant ainsi le lent ressac de cette chère tête appuyée contre son torse. Ajustant la position de ses bras, il provoqua le lent balancier de leurs corps chastement soudés contre l’assaut des incorrigibles rafales du vent, la berçant avec une déférence jusqu’alors insoupçonnée.

- Hm. Et toi, tu es mon incorrigible mule. protesta-t-il dans un sourd râle, faussement grincheux, les contreforts de son torse vibrant des spasmes d’une hilarité contenue. Par les Trois, j’avais oublié à quel point tu sais être têtue. enchaîna-t-il sur une intonation attendrie, avant de lâcher la bride à son rire solaire dont les notes ardentes caracolèrent contre l’enchevêtrement coriace des épaisses boucles capricieuses défiant son menton. Je retiens que tu ne démens guère ma condition d’idiot. Devrais-je exagérer le trait pour vous complaire, ma mie, puisque je suis vôtre ?

Le jeune homme se plut à rire, encore une fois. D’une note qui avait repris l’habit de la gaieté, de l’insolence, de l’insouciance. Ses bras s’amollirent autour des épaules de sa jeune protégée, la soulageant de leur pesant étau tendre, fraternel. Sa senestre attrapant son opposée, il l’entraîna sur le layon accidenté, reprenant le sinueux chemin en sens inverse. Sur la crête, sa formidable tête dressée contre les mornifles de la froide bise, sa ténébreuse crinière fouettant l’air hiémal tel un étendard effiloché, le placide Cendre les guettait d’un œil intrigué. Pendant tout le trajet qui les poussait vers la corniche agressée par les flots intraitables, Tharcise se fit songeur, sa main étreignant celle d’Esmée.

- J’ai manqué de tact, et je regrette de m’être emporté ainsi. céda-t-il enfin, l’allure aussi embarrassée que sincère, tout en guettant les aspérités abordées et les pointant de l’index prévenant de sa dextre libre. C’était-… idiot, oui, et puéril. Irréfléchi. Je n’avais nul droit de te donner de la leçon. M’accorderas-tu ton pardon ?

Un battement de cils exagéré abîma l’esquisse ennuagée de ses iris tempétueux, une moue repentante grimant sa bouche d’un rictus comique. Un clin d’œil malicieux conclut le trait avant qu’un mouvement latéral du menton chassât le pitre sourire escorté de l’ombre de ses fossettes, tandis que tous deux abordaient l’étroit plateau où les attendait le loyal équidé.

- Quand je songe à ces dernières années, je me dis que je n’ai peut-être pas opté pour la meilleure décision qui soit. Enfin, c’est fait. Le Temps perdu ne se rattrape pas. Eeet-… Il grimaça, gêné, tout en grattant le sommet de son crâne du bout des doigts. … j’aurais pu aussi m’appliquer à te griffonner une ou deux lignes. Mais que t’aurais-je dit sans éveiller ta nature curieuse, et rebelle ? Tu sais que je n’ai jamais été doué pour l’épître, quand bien même nos mères tenaient à ce rituel. A cette discipline, notre ami Auxence est le plus talentueux de nous trois. Sa plume astucieuse n’a pas son pareil lorsqu’il s’agit d’imaginer quelque fable.

Ses doigts se désengageant de ceux de la jeune fille dès lors qu’il la jugea hors de danger, il trottina d’une foulée assurée vers Cendre, s’affirmant à son niveau pour vérifier derechef la tension de la sous-ventrière.

- Il va falloir songer à te ramener à l’Esplanade, avant que Constance ne fasse un esclandre. lança-t-il tout en lui dédiant une œillade amusée, complice, sous le tressautement équivoque du linteau sombre de ses sourcils.

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MessageSujet: Re: Comme une saveur d'enfance | Esmée de Sabran   Comme une saveur d'enfance | Esmée de Sabran - Page 2 EmptyJeu 8 Sep 2022 - 21:15
Combien de temps étaient-ils restés ainsi, pressés l’un contre l’autre, inséparables malgré les assauts répétés du vent et paisibles, heureux, peut-être bien et tout simplement, de s’être finalement retrouvés. Elle avait gardé sa joue collée contre son torse et s’était laissée bercer, rassurée et rassérénée par les battements de son cœur devenus plus réguliers. Tout juste avait-elle bougé son visage pour étouffer un rire de chipie dans l’ébène de son manteau, avant de se laisser aller à l’hilarité quand la peur et l’effroi, chassés de ses membres, s’étaient vus anéantis par son rire. Il lui avait manqué. Tharcise, évidemment, mais également son rire. Ce petit éclat de joie et de bonheur, qu’il laissait échapper et détoner tout autour de lui comme une indéclinable invitation. Ce petit bout de lui, dont elle ne se lasserait probablement jamais.

Un soupir glissa entre ses lèvres. Une exhalation profonde et sereine dont le souffle nostalgique s’évapora au-dessus de l’hermine qui ornementait sa capeline d’un nuage de fourrure. Sans doute aurait-elle pu rester ainsi plus d’un instant encore, l’esprit tranquillement ancré dans quelques-uns de ses souvenirs d’enfance et ses doigts survolant la fibule ophidienne de sa pèlerine d’un tracé digital, rêveur. Mais elle admit de se redresser, d’abord pour sourire à sa boutade, puis pour lui emboîter le pas.

Main glissée dans la sienne elle l’avait alors suivi pour rejoindre Cendre. Elle ne s’était pas rendue compte de la dangerosité des lieux, subjuguée par la beauté de leur paysage sauvage et inapprivoisé. Captivée également par le chant grondant des vagues indomptables et par la lutte acharnée qu’elles menaient à l’encontre de la roche aiguisée de ses lames noires. Cependant et à présent qu’elle avait éprouvé leur menace, elle s’employait à doctement suivre la voie que lui ouvrait le jeune homme.
Habituée à la ville ainsi qu’à ses ruelles pavées, Esmée manquait d’aisance dans cet environnement où la végétation maigre, mais revêche entendait tromper son jugement. Elle comprenait à présent plus sûrement sa chance, alors que Tharcise lui indiquait les pièges insoupçonnés que son œil profane avait ignoré. Et tandis qu'ils remontaient vers l'aplomb rocheux, ses doigts se refermèrent plus ardemment sur les siens, emprisonnant sa senestre avec chaleur dans un étau tout à la fois pénitent et reconnaissant.

- Je n’ai pas été plus avisée en m’autorisant à te faire la morale. Elle soupira une nouvelle fois et ravala ce qu’il restait de sa mutinerie dans l’esquisse d’une moue boudeuse. J’ai donc moi aussi des excuses à te présenter et comme je suis effectivement têtue… comme une mule. Ajouta-t-elle un ton plus bas et d’une voix faussement vexée. Il me faut également te remercier. Un regard de biais et un sourire cette fois paré d’amusement habillèrent son visage d’un masque d’espièglerie. Pour autant, je n’entends pas démentir ces vérités que nous savons d’ores et déjà incontestables.

Un léger haussement d’épaule voulut chasser les derniers souvenirs de leur discorde, tandis qu’ils rejoignaient la ligne étroite du plateau. Leurs disputes ne trouvaient jamais à s’épanouir dans la durée. C’était aussi vrai aujourd’hui que cela l’avait été autrefois. Un comble pour qui connaissait le vif et le bouillonnant de leur deux tempéraments. Sa main libre se porta à son front, afin d’en chasser les boucles emmêlées de ses cheveux chahutés par la bise insistante. Sous la ligne soucieuse de ses sourcils, ses yeux se relevèrent pour capter un trop fugace éclat de soleil. Le ciel s'était paré de quelques nouvelles couleurs et il s’habillait à présent de plus larges nuages pour assombrir l’horizon. Il lui faudrait effectivement rentrer à l’Esplanade, avant que Constance ou son père – surtout – n’en vienne à alerter la garde.
Le temps avait passé sans qu’elle ne s’en rende vraiment compte et alors même qu’elle aurait aimé pouvoir le retenir. Une heure, une journée, les mois et les années s’écoulaient invariablement et il était effectivement impossible de les rattraper. Elle acquiesça donc, pour confirmer le propos de son ami alors qu'il s'éloignait déjà pour rejoindre sa monture. Cependant et tandis qu'elle accusait le sens de ses dernière paroles, une pointe d’incompréhension s’insinua dans son regard. Elle secoua la tête, comme pour chasser de ses yeux, l'écharde qui les avait étrécis d'un mauvais pressentiment.

- Mais tu m’as écrit… et je t’ai plusieurs fois répondu. Lui rappela-t-elle, soudainement en proie au doute et avant d'arguer en répétant. Tu m’as écrit… Auxence m’a remis chacune de tes missives et il s’est chargé de… te transmettreles miennes. Sa voix s'était éteinte, lentement et alors qu’il lui semblait réaliser sa méprise sans pourtant oser y croire.

Tout en se laissant choir sur l’assise improvisée d’une pierre lisse, Esmée tourna son visage vers Tharcise. Le teint livide, l'air tendu et les doigts agités, elle l'avisa d'un oeil anxieux. Ses lèvres tremblèrent sous l'assaut draconien de la défiance.

- Tu m’as écrit… ? Non… ? La réponse était pourtant évidente. S’il te plaît… Dis-moi qu’il n’a pas fait ça… Elle l'implora presque, avant de fermer les yeux sur une profonde inspiration.

Et comme à son habitude, Esmée se réfugia dans le silence.

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MessageSujet: Re: Comme une saveur d'enfance | Esmée de Sabran   Comme une saveur d'enfance | Esmée de Sabran - Page 2 EmptyDim 11 Sep 2022 - 15:47



Comme une saveur d’enfance



Marbrume | 5 février 1164.

A son tour Tharcise accusa-t-il les arguments de son amie dont la tonalité de la voix se dégrada jusqu’à s’étioler tout à fait. Le buste fléchi en avant, l’œil écarquillé sous la voûte froncée de ses sourcils, bouche froissée sur une grimace incrédule, il se figea. Ses doigts glacés firent taire d’une pression nerveuse le cliquètement des pièces métalliques de la sous-ventrière qu’il venait d’ajuster. A l’instar de la jeune fille qu’il se surprit à dévisager d’un regard caracolant par-dessus son épaule, l’incompréhension harcela de ses sournois tentacules la surface de ses iris grisâtres juchés sur sa délicate physionomie. Il se redressa, la posture indécise, tandis que ses mains agaçaient la fourrure de castor de son haut col pour chasser l’onde d’un frisson désagréable qui s’était arrogé le droit de pourlécher sa nuque. S’ébrouant d’un vague haussement d’épaules pour en rejeter l’algide intrusion, il prit la direction du discret affleurement rocailleux sur lequel Esmée s’était laissé choir. Dans le même élan, il se pencha pour récupérer la paire de gants de cuir abandonnés plus tôt dans l’herbe roussie par le gel, et en frappa mollement la paume de sa senestre, songeur, embarrassé. L’esprit gangrené par le poison du doute, il observa alors la jeune Vicomtesse de toute sa hauteur, longuement, patiemment. Ses sourcils ne cessaient de se mouvoir en une ligne soucieuse, ombrageuse. Ses cils battaient la mesure au rythme des images brouillonnes qui butaient contre son front, leur pernicieuse morsure involontairement infligée par les paroles de cette dernière.

- Je ne t’ai pas écrit, Esmée. Jamais.

Murmura-t-il, le poing serré sur les manicles de cuir qu’il finit par coincer à sa ceinture. Le son grave de sa voix s’opposait à celle, hargneuse, de la froide bise qui perpétuait sa complainte sifflante et acariâtre. Le silence pourtant imposa sa chape maussade, plombée du fardeau de leurs pensées réciproques, de leurs abruptes interrogations. Tharcise égara brièvement sa mire sur les cieux dont l’esquisse changeante annonçait peut-être un grain de pluie ou de neige fondue. Inspirant profondément avant de relâcher l’air vicié de ses poumons sur une note résignée, il posa un genou à terre pour faire face à la jeune fille prostrée. Ses mains s’emparèrent des siennes, cherchant à en apaiser la danse irritée tout comme à en amoindrir le froid qui en mordait le derme nivéen. Front incliné, ses prunelles s’attardèrent à cisailler les pâles arachnides de leur feu orageux, ses pouces rugueux effleurant les paumes rétives.

- J’insiste. Je ne t’ai pas écrit. répéta-t-il sur un ton lent, posé, comme pour provoquer l’assimilation de cette intransigeante vérité par cet esprit soudain agité. Il gardait les yeux baissés, ses doigts assiégeant gentiment ceux de l’adolescente. Comme je n’ai reçu aucun courrier de ta part. Et-… Secouant ses fols épis, il expulsa un souffle nasal sec, ses mâchoires se crispant. … Si Auxence se trouve être l’auteur de cette farce-… quoi que le doute ne soit plus permis désormais, hélas ! je ne vois pas qui d’autre aurait pu se permettre une telle audace ; il doit forcément y avoir une raison à ses agissements.

Enchaîna-t-il tout en relevant ses yeux embrumés de nuées anthracite sur le visage d’Esmée. Si c’était là part de vérité concernant leur ami et presque frère, Tharcise se sentait incapable de lui en tenir rigueur. Et comme il l’assurait à la jeune fille, Auxence n’avait pu agir ainsi sans une raison dont la logique ne regardait que lui. L’une de ses mains abandonna le terrain d’un duel nerveux avec leurs opposées, pour éconduire les assauts capricieux et intempestifs des longues et ténébreuses boucles qui lacéraient les pommettes de l’adolescente, et les arrimer contre le pavillon de son oreille. Le geste fut d’une telle maladresse qu’il rompit le combat après trois tentatives infructueuses. L’intruse acheva son périple sur le tendre d’une cajolerie qui agressa sa joue avant de battre en retraite et rejoindre sa jumelle. Emmurée dans ce mutisme opiniâtre qu’il ne connaissait que trop bien pour l’avoir déjà appréhendé, elle fermait les yeux, inaccessible.

- Même si je désapprouve la démarche, je n’y vois là aucune malveillance. Certes, il a usurpé mon identité, il a abusé de ta naïveté pour servir je-ne-sais quelle lubie. Or, garde bien à l’esprit que son estime à ton égard est bien trop profonde pour avoir ne serait-ce qu’imaginé une seule fois vouloir te nuire. acheva-t-il, tout en reprenant de la hauteur dans un soupir où dépit et résignation s’entremêlaient. Le complot étant déjoué, nous finirons bien par confondre notre cher intrigant. Un autre soupir fit tressaillir son buste. Viens.

Il lui tendit une main qui se voulait aussi amicale qu’encourageante.
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MessageSujet: Re: Comme une saveur d'enfance | Esmée de Sabran   Comme une saveur d'enfance | Esmée de Sabran - Page 2 EmptyMer 14 Sep 2022 - 11:02
Emmurée dans un silence forgé par le vif de sa déception, Esmée demeurait immobile. Yeux clos et visage fermé, elle s’était éteinte, tout simplement, la mine défaite par le dépit. Et la désillusion était grande. À la mesure du préjudice ressenti par l’adolescente qui, confrontée au constat trop évident de sa candeur, se sentait non seulement idiote, mais également insignifiante. Tharcise ne lui avait pas écrit. Pourquoi l’aurait-il fait ? Et pourquoi y avait-elle cru ? Il ne lui avait pas écrit et il l’affirmait d’ailleurs avec tant de conviction, qu’elle ne pouvait plus s’illusionner. Ni sur sa bêtise – visiblement avérée – ni non plus sur ce qu’elle avait pu se figurer de son intérêt. Tharcise - il le répétait - ne lui avait jamais écrit et il n’avait pas non plus réceptionné ses missives.
L’incompréhension, tout autant que la colère, se voulaient alors disputer leur emprise sur son esprit stupéfait. Ils bataillaient et s’opposaient, s’escrimaient dans un duel dont l’issue – quelle qu’elle fusse – ne pouvait que la flouer, tandis qu’elle se rappelait le soulagement ressenti à la lecture des quelques lignes griffonnées par la main d’un usurpateur. Parce que sa joie avait été sincère et parce que le plaisir qu’elle avait éprouvé en parcourant les mots couchés sur le délicat du vélin, était tout aussi réel que celui qu’elle avait conçu en rédigeant ses réponses sur le précieux d’un papier parcheminé.

Un lourd soupir gonfla sa poitrine d’amertume. Auxence lui avait menti et pourtant, elle ne parvenait pas à seulement lui en vouloir. Bien sûr, Esmée était fâchée. Cependant, sa réflexion l’amenait également à considérer les propos de Tharcise avec ce qu'ils avaient de nuance et de recul. Ainsi l'admettait-elle malgré tout. Malgré le chagrin et l'accablement, et quand bien même sa fierté se trouvait tout particulièrement éraflée par ce que la vilaine farce du Malemort avait pu révéler de ses confidences normalement destinées à un autre. Auxence, certainement, avait eu quelque raison louable de la leurrer. Tout du moins devait-il s'en persuader.
Esmée entendait alors admettre que leur presque frère n'aurait pas agi de la sorte uniquement par vilenie. Comme il ne l’aurait pas non plus fait dans le seul but de nuire, ni à lui, ni même à elle. Malheureusement, l’humiliation et le désenchantement n’en étaient pas moins rudes et leur goût fardé d’aigreur gangrenait jusqu’à sa gorge nouée pour l'obliger à dresser le constat de sa déconfiture.

Péniblement, l'adolescente se força à déglutir tout ce que le camouflet de sa bêtise contenait d'acide, mais le vent se faisait inlassablement cruel à mesure qu'il s'en venait souffler son rire moqueur jusqu'au creux de son oeille. Ainsi y sifflait-il sa raillerie avec indifférence, bousculant son corps apesanti de peine pour mieux la soumettre au final d'un épigramme satyrique. Cette affaire n'avait rien de grave. Cise l’affirmait, comme il lui confirmait également sa naïveté et ce faisant, en venait-il à la culpabiliser sans même s’en rendre compte. Un sentiment plus désagréable encore que la honte s’insinua dans le cœur de la jeune fille, tandis qu’un avide frisson s'emparait de son échine pour distiller le spectre glacé de la solitude jusque dans ses membres.
Toujours tremblants, ses doigts en éprouvèrent la chaude dégelée, quand bien même ils se trouvaient sertis dans les mains de son noble ami. Il lui fallut toutefois un temps de plus pour admettre sa niaiserie coupable avant que, lentement, elle n’en vienne à acquiescer aux propos du jeune homme. La ligne de ses lèvres malmenées par la morsure de ses dents ne s’en fit pas moins boudeuse, tandis que l’esquisse d’un sourire entendait saluer la vaine mais très vaillante tentative d’un domptage capillaire. Elle gonfla les joues et porta une main à son front lilial.

Finalement lassée par le morose de sa propre pensée, Esmée s’ébroua dans le revigorant d’une profonde inspiration qui l’amena à ployer la nuque pour offrir son visage au ciel.

- Par tous les dieux… Elle jura tout en ouvrant les yeux sur la voute nuageuse, puis se laissa aller à rire. Je crois que je le hais, tout autant que je l’adore. Argua-t-elle d’un ton définitivement gainer d’amusement, tandis que ses frêles épaules en venaient à s’agiter sous les assauts d’un rire désentravé de complexes. Ah ! Cette canaille ! S’il n’existait pas, je m’engagerais à le créer seulement pour avoir le privilège de l’étrangler ! Et ses mains de mimer le geste qui devait illustrer ses mots. Et toi… Toi qui comme depuis toujours lui cherches des excuses. Son regard avait glissé vers Tharcise et la main qu’il tendait vers elle. Vous faites tout bonnement la paire.

Elle secoua la tête, chassant de son esprit tout ce qu’il y restait de mésaise et se redressa en glissant sa dextre dans la paume du jeune homme. Ses prunelles safranées et piquetées des éclats d’un béryl héliodore, s’attardèrent une dernière fois à contempler le paysage autour d’eux ; la roche accrétée et le ciel menaçant, la mer et son immensité, l’horizon et ses promesses. Au loin, la cité ducale finit néanmoins par s’imposer dans son champ de vision, amenant sa poitrine à se soulever d’un lourd soupir. La résignation s’invita dans le tendre de ses traits pourtant marqués de jeunesse et ses doigts se refermèrent sur leurs homologue.

- Allons-y.
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MessageSujet: Re: Comme une saveur d'enfance | Esmée de Sabran   Comme une saveur d'enfance | Esmée de Sabran - Page 2 EmptyDim 18 Sep 2022 - 16:16



Comme une saveur d’enfance



Marbrume | 5 février 1164.

Il était temps. L’insolite interlude de leurs fortuites retrouvailles touchait à son épilogue. Qu’elles fussent émaillées des rebuffades d’une éternelle dispute, des échardes de la colère, de la désillusion ou de la déception, peu importait au déshérité. Les Trois lui avaient permis de goûter à la nostalgie d’un passé désormais révolu, et ces instants volés à la face de leurs détracteurs lui suffisaient. Car rien n’avait changé. Et pourtant… A cette dérangeante pensée qui traduisait l’inéluctable de leur proche séparation, son cœur s’agaça du lancinant poinçon d’une douleur qu’il n’avait guère appréhendée. La noire guipure de ses cils s’agita vivement, attestant de ce soupir d’hébétude qui suspendit la lente partition de son pas pourtant assuré. Une hésitation imperceptible qu’il escorta d’une œillade aveugle, déconcertée, sur le faciès cadenassé d’Esmée dont les deux sequins safranés d’émeraude, indociles, s’octroyaient un dernier pèlerinage sur cette indomptable fresque gouachée des arabesques écumeuses d’une mer houleuse ; brossée des effilochées livides d’un ciel sinistre ; hachurée des pastels charbonneux d’un à-pic vertigineux. Ses phalanges durcies de cals agressèrent leurs opposées d’une pression accentuée, cherchant dans l’insistance de cette ferme étreinte à lui insuffler ce qu’il lui restait à partager de force, de courage, de compassion.

Il était temps. Et le silence jeta sa pesante défroque sur leur repli aux effluves résignés. Tharcise la ramènerait donc à l’indéfectible Constance. Il la cèderait à l’implacable Esplanade. Il l’abandonnerait à son monde, ce monde d’artifices qui n’était plus sien, ce monde avide, opportuniste, au sein duquel, inestimable joyau au prix pourtant négociable, elle serait bientôt exposée, évaluée. Pour être vendue au plus offrant du dernier des tartufes. L’air préoccupé, goûtant ces insupportables spéculations d’une langue muette noyée d’amertume et que la dernière injonction de la jeune fille se voulait exacerber, ce fut à contrecœur que le nobliau la guida jusqu’aux sabots impatients de Cendre. Bien qu’il la sût excellente cavalière et aisément capable de se hisser sans son concours sur le dos de l’imposant animal, il lâcha sa main dont il percevait la nervosité sous le rugueux de ses paumes, pour s’arc-bouter et lui proposer le support charnel de ses doigts entrelacés. Lorsque son amie fut juchée en selle, il engagea son pied dans l’étrier et s’installa d’un bond souple derrière elle. Toujours mutique, il s’arma des guides et dirigea l’équidé, donnant du genou pour quitter la corniche battue par les flots tempétueux et emprunter le sentier arrosé d’embruns qui longeait intimement la sombre déclivité.

Tout à sa manœuvre concentrée, le nobliau observait les cieux ; de taciturnes nuées s’amoncelaient à l’ouest et menaçaient de déverser leurs froids postillons sur la cité ducale. Le soleil joua à cache-cache entre les grisâtres nippes avant de se terrer complètement, provoquant un regain d’humidité au cœur de la bise glaciale dont les assauts giflaient les joues et mordaient jusqu’à l’os. À l’extrémité de ses bras dont les coudes alourdis des rémiges ténébreuses de sa pèlerine narguaient les flancs d’Esmée, ses mains toujours dégantées contrôlaient la tension des rênes de cuir en fonction des obstacles que Cendre rencontrait ; à droite, l’affleurement traître d’une roche esseulée ; à gauche, les branches tortueuses d’un buisson d’épineux ; ici, la terre meuble, mêlée de pierres, d’un éboulement récent ; le moindre accroc rencontré sur le périlleux de cette sente se voyait contourné d’une poigne aussi douce qu’experte. L’animal obtempérait, suivant les moult signaux insufflés par son maître sans la moindre foucade rétive. Soudain, fissurant la toile rêche, opiniâtre, de ce silence assourdissant qui les enveloppait encore, la rumeur incongrue et caractéristique d’un fruit que l’on croquait à pleines dents titilla le pavillon de son oreille. La discrète succion de la pulpe grenue et juteuse, et l’écho d’une lente mastication, attirèrent l’œil curieux de Tharcise sur cette chère tête brune légèrement fléchie en avant. Sa bouche froissée d’une moue, que le pinceau agressif de ses atrabilaires songes peignait d’une leste touche de stress, s’accorda un pâle sourire. Un sourire qui s’élargit en une grimace tout en dents, croquée de tension, et qui se vit cajolé de la pointe de sa langue tandis que son regard s’évadait, accusant derechef les reliefs tortueux du chemin emprunté.

Tharcise profita d’une accalmie dans le tracé accidenté de la sente pour offrir plus d’allonge à sa monture, la raideur de ses poignets se relâchant tandis qu’il les arrimait en un abandon faussement nonchalant sur le tertre incliné de ses cuisses. Une audace soudaine le fit se pencher en avant, son buste jouant sa pudique révérence pour affronter le dos de la jeune Vicomtesse. Une mimique affectée de bouderie flottant sur ses lippes, il percha son menton sur l’épaule droite de cette dernière. La paupière à-demi close sur ses iris orageux chamarrés de lueurs distraites, il ouvrit la bouche, osant ainsi mendier une part de ce fruit qu’elle butinait dans l’esseulé de ses pensées. Cette familière attitude, cette cavalière effronterie, que condamnait l’Etiquette, se virent soumises à un chapelet de secondes d’attente et à l’ignorance la plus complète de la part de la jouvencelle. Sous l’arête de son menton barbu percevait-il pourtant les crispations musculaires de ses atermoiements. Il allait battre en retraite lorsque la jeune Esmée accéda à son implicite requête, sa délicate main rougie de froid lui présentant la poire dont le flanc jaune, autrefois rebondi, était déjà bien érodé de l’empreinte gourmande de ses incisives de petite souris. Tharcise avançait sa figure pour mordre à belles dents la chair dorée, quand le fruit s’esquiva, sa fuite inopinée le laissant dans une bête expectative. Sous l’élan impérieux, joueur, des frêles arachnides, la pauvre poire se perdit contre la bouche de la chipie pour un autre gobet. Le sombre linteau de ses sourcils s’arqua sur une expression d’étonnement enjoué. La poire au ventre apetissé flotta derechef sous son nez, mais ne se déroba plus. Un souffle de rire échauffant sa gorge et ses narines, il emboucha d’un élan gourmand ce qu’il restait du précieux fruit d’hiver, un mince filet de suc coulant entre les crins duveteux de sa barbe rase. Sans un mot, il savoura les restes de cette dîme prélevée tout en guettant, l’œil rond, satisfait, la main de l’adolescente se débarrasser du misérable trognon.

Cendre renâcla soudain, agitant sa belle tête avec humeur, tous ses muscles tressaillant d’une onde excitée… et coupant court à la juvénile dissipation des deux amis d’enfance. A l’horizon immédiat se profilaient déjà les premiers contreforts des Faubourgs de Marbrume, dont les toits se hérissaient d’un ballet de fumées torsadées que les cheminées exhalaient. Une abrupte poussée de trac irrationnel, crevant son cœur et ébranlant le rythme régulier de son souffle, fit traîner dans la bouche du nobliau la frugale collation qu’il achevait de mâchouiller. Expulsant un souffle nasal sec, comme pour en alléger la portée, Tharcise parapha la conclusion de cette incartade complice d’un baiser sucré claqué sur le derme froid de la tempe amie, à la racine de ses cheveux aux tresses emmêlées. Un instant se surprit-il à abîmer ses sens dans leur parfum de rose, le nez cajolé de ses boucles taquines. Et le sournois mésaise que lui procura ce bref égarement le dérouta tant qu’il en sursauta. Le sourcil froncé, s’émouvant d’une toux honteuse, il se redressa un peu brusquement pour adopter une posture que la bienséance contesterait avec moins de vigueur. Sa gorge s’étranglant d’une pénible déglutition, il imposa avec douceur les guides de cuir dans les mains de la Vicomtesse.

- Il est tout à toi. murmura-t-il, les prosodies tendues de sa voix faisant vibrer ses cordes vocales d'un souffle cassé. Il pointa alors du doigt la scène figée par le froid de la cité ducale dont les hauts remparts surplombaient le tableau maritime.

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MessageSujet: Re: Comme une saveur d'enfance | Esmée de Sabran   Comme une saveur d'enfance | Esmée de Sabran - Page 2 EmptySam 24 Sep 2022 - 9:51
Le corps balancé par le pas paisible et doctement guidé de Cendre, Esmée se laissait porter, et emporter dans le barguignage de ses pensées profondément affectées par ses récentes découvertes. Derrière le voile contrarié de son regard à l’or désenchanté, l’orgueil se voulait alors sévèrement disputer l’irrésolution de sa propre raison. Maintenant qu’elle savait son ami spolié et malmené, la Vicomtesse entendait évidemment agir afin de mettre un terme à une injustice dont la ressouvenance ne manquerait pas d’écourter ses nuits pour les soumettre au joug de son tempérament rebelle. Et sa pâle figure parsemée d’éphélides en prenait une mine songeuse et inquiète pour afficher un air tracassé que d’aucun n’aurait pas manqué appréhender comme un héritage familial, à défaut d’y consentir une légitime déception.
Esmée avait pourtant de quoi se sentir désabusée, sinon trahie, dans ce qu’elle avait consenti de valeurs à leur impérissable amitié. Et ce n’était pas là le fait unique du déshérité qui, même s’il avait souhaité la tenir à l’écart de son éprouvante existence, n’avait pas cherché à abuser de sa naïve confiance en la soumettant au mensonge. Cependant, force était d’admettre que l’usurpateur Malemort se trouvait finalement surpassé dans sa malice par le déloyal du tyrannique parent de Tharcise. L’adolescente avait alors remisé l’épisode des lettres à l’écriture faussée en anecdote, quand bien même sa fierté s’en sentait tout particulièrement agressée, pour ne consacrer ses réflexions qu’à la résolution d’une situation autrement plus préjudiciable.

Le silence qui en était venu à entourer leurs deux silhouettes sur l’aventureux chemin du retour, n’en était que plus éloquent. Il y avait finalement plus de partage dans ce que les jeunes gens ne prenaient pas la peine de formaliser. Dans ce qu’ils taisaient de leurs supplices. Dans ce qu’ils éludaient de leurs failles. Un regard, un sourire, parfois un simple soupir et quelques fois l’esquisse d’un seul geste suffisait alors à dire leur communion, quand les mots se faisaient seulement accessoires. Elle l’avait réalisé, une fois de plus, quand les doigts du jeune homme s’étaient attardés au creux de sa paume pour lui insuffler un peu de son courage. Et elle se figurait qu’il le comprenait également, tandis qu’elle pressait le délicat de sa tempe historiée d’un baiser sucré, contre la clavicule de sa ceinture scapulaire.
Le pli habituellement harmonieux de ses lèvres ne s’en couronna pas moins d’une moue boudeuse lorsque la cité ducale se profila plus distinctement à l’horizon et tandis qu’Esmée éprouvait très soudainement les battements appesantis de son cœur devenu lourd. Un sentiment nouveau, étrange et jusque-là inexpérimenté agita la ligne délicate de ses longs cils d’un sursaut de surprise. Une impression étrange, comme un curieux « je-ne-sais-quoi » de nostalgique, qui voulait se mélanger à l’habituel mésaise que lui inspiraient la vision des murailles marbrumiennes et leur affolante hauteur. Les yeux de l’adolescente en apprécièrent tristement la démesure depuis leur position et tandis que Cendre entamait le sol ameubli de neige et de pluie mêlés du sentier qui conduisait aux faubourgs épandus au pied de la citadelle.

Depuis leur base cyclopéenne réhaussée de poutres et d’échafauds en bois, jusqu’à leur cime de briques couronnée de chapeaux de paille ou de tuiles, les fortifications des murs d’enceinte de la ville faisaient le singulier de la capitale portuaire du Morguestanc. Esmée avait connu leur ligne oppressante depuis sa plus tendre enfance. Elle concevait alors leur ombre étouffante et subissait leur emprise comme l’estampe à jamais gravée dans le morne paysage de son avenir. Cependant, en ce jour d’hiver où l’air gelé s’engouffrait dans ses poumons d’une profonde et trop longue inspiration, la poitrine de l’adolescente se gonfla de regrets. Et à la brûlure du froid venu tapisser ses cordes vocales et sa gorge d’un linceul glacé, s’ajouta celle plus pétrifiante encore de sa résignation.
Le vorace malplaisant d’un frisson s’empara de sa nuque pour mordre sa peau délicate de ses insatiables crocs. L’avide de son appétit gloutonné par la froidure hivernale s’étiola le long des frêles épaules de l’adolescente, avant de s’élancer sur le chemin de son échine. Son dos tout entier en frémit, alors qu’un souffle venteux soulevait les mèches d’ébène de sa chevelure ruinée, pour s’engouffrer - par-delà l’hermine argentée - sous la cape doublée de fourrure. Esmée s’imagina cette désagréable intrusion dans le dessin d’une lame dont la stalagmite aiguisée du souffle hiémal voulait pénétrer ses chairs déjà transies. Et sans qu’elle s’en rende compte, ses épaules d’affaissèrent pour mieux l’inviter à se réfugier dans le cénacle formé des bras de son ami. Un soupir s’échappa depuis ses lèvres toujours muettes et comme pour mieux mourir dans le silence, il s’enveloppa d’un voile formé de sa buée. Le parfum sucré de son haleine se souvenait encore du savoureux goût de la poire dont elle avait daigné partager une bouchée avec Tharcise. Il s’était visiblement souvenu de sa préférence pour ce fruit, chose qu’elle ne réalisait qu’à l’instant où les mains du nobliau s’invitaient au creux de ses paumes pour y déposer les rênes de Cendre.

Au murmure qu’il confia au secret de son oreille, Esmée ne put retenir un sourire dont le charme entendait pleinement s’épanouir sur ses lèvres. D’un mouvement exalté par l’étonnement, elle pivota sur elle-même et tourna son buste vers lui, offrant l’opportunité à la folie de ses boucles noires de s’emmêler aux épines de sa jeune barbe. Comme pour mieux s’assurer du réel de cette offre normalement frappée de symbole, elle pencha la tête sur le côté, afin de lever ses yeux safranés vers son visage. Étincelant d’un plaisir innocent, dont le rayonnant se voulait pourtant communicatif, son regard chercha les prunelles orageuses afin d’interroger leur assurance.
Depuis toujours, leur passion pour l’hippisme se conjuguait au commun. Elle les avait alors amenés à l’insensé de quelque dépense irréfléchie, quand elle ne les avait pas conduits à la dispute acharnée – et parfois dangereuses - de courses frappées du fairplay de la compétition que Tharcise s’obligeait évidemment à perdre.

Un rire léger, mais non moins sincère, fila entre les lèvres pleines de l’adolescente, alors que ses doigts fins et rougis par le froid se refermaient sur le cuir travaillé des guides. Du coin de son œil étréci par la malice, elle survola l’index que son ami pointait vers la cité encadrée dans le brouillard de sa toile ouatée de brume. La pointe d’une incisive glissa sur le tendre de sa lippe inférieure sous l'arête de son nez plissé d’amusement.

- Tu l’auras voulu ! Décida-t-elle finalement, avant de pleinement prendre les commandes du destrier.

Ses pouces relevés pour affermir son emprise sur les guides et sa posture assurée par l’expérience, Esmée amena l’étalon à l’équilibre. Cendre acquiesça à la manœuvre et agita sa sombre crinière d’un rude mouvement de son large cou désentravé. Il se mit au trot sans même y avoir été invité et pour le plus grand plaisir de la jeune fille qui avait déjà eu l’occasion d’apprécier le très intuitif comportement de l’équidé. Et alors que sa préférence se voyait irrémédiablement acquise à l’insensé qui devait marquer cette journée et leurs retrouvailles du sceau de l’oracle, Esmée lança le destrier au galop, tout en veillant à ménager son effort puisqu'il se devait de supporter le poids de ses deux "passagers".
L’étalon ne se fit pas prier quand bien même ses oreilles s’agitèrent pour signifier à sa cavalière improvisée qu’elle n’était pas devenue sa maîtresse. Il s’élança d’une foulée sauvage, faisant se contracter les muscles puissants de ses postérieurs pour marteler le sol de ses sabots ferrés et ainsi réduire tout ce qu’il restait de distance entre eux, et la ville. Et dans cette ultime évasion, au cœur de cette échappée dont la fantaisie en venait à frôler la frénésie, l’adolescente s’abandonna à l’ivresse toute illusoire d’une liberté qu’elle prétendait pourtant à saisir sans la moindre hésitation. Son rire s'éleva, gainé de ses éclats cristallins et délesté de tout ce que la bienséance lui imposait normalement de retenue. Il s'envola comme pour mieux essaimer sa rareté dans leur sillage et alors même qu'elle courbait le buste pour encourager Cendre d'une flatterie consentie à son encolure. Folle d'une joie malheureusement éphémère et pleine de cette vie que, définitivement, elle aspirait à croquer à pleines dents.
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