Marbrume


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 Le vieux schnock et la pâle Opale.

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Aegard Creuse-TombeHaut-Prêtre d'Anür
Aegard Creuse-Tombe



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MessageSujet: Le vieux schnock et la pâle Opale.   Le vieux schnock et la pâle Opale. EmptyMar 3 Mai 2016 - 12:18
Le lever du soleil était toujours un moment spécial. Le passage de la nuit vers le jour, Rikni abandonnant le confort d’une douce nuit pour la brillance d’un jour nouveau. On pourrait penser, peut-être à juste titre, que durant ces temps d’horreurs la nuit semblait être un plus grand défi que le jour. En effet, les fangeux ne s’aventurant jamais de jour, il n’y avait que peu de risque de se faire déchicoter par l’un deux. Pourtant, aux yeux de certains hommes du clergé, la vraie difficulté était le jour. Là où la nuit chacun danse dans le flot infini du monde de Rikni, le matin oblige l’humanité à se souvenir à prendre conscience de sa situation, de sa détresse. Cloitrée dans une cité de pierre, elle n’est plus cette race conquérante poussant les limites du réel. Tel un ilot dans un océan de malheur, le dernier bastion des Hommes devait à chaque nouvelle lueur du jour réapprendre à vivre dans un monde qui n’était plus le leur, mais bien celui d’être impie aux origines mystérieuses.

Conscient de ce lourd fardeau, un homme, un vieil homme était accoudé à une haute terrasse du temple de la ville Marbrume, éclat d’espoir dans un torrent de ténèbres. Aegard ne regardait pas spécialement la ville, elle ne l’intéressait pas forcément. Depuis qu’elle était devenue le centre de l’humanité, elle n’avait plus rien de ce qui faisait son charme d’antan. Les gens y étaient serrés, on ne pouvait respirer qu’à peine dans les rues, sales et odorantes. Tout n’y était que décadence, prostitution et manque d’hygiène. Le regard bleuté de l’Haut-Prêtre d’Anür semblait sévère sur ce qui avait toujours été sa ville. En ce matin, semblable à tant d’autres, il ne regardait pas la ville, mais bien le soleil. Cet astre apportait chaque nouveau jour un élan d’espoir pour tous ceux qui, loin des fortifications de la ville, devaient réaliser des tâches ingrates et périlleuses. Homme de foi, celui qui restait un prêtre prononça rapidement une prière à Anür lui demandant de protéger ceux et celles, les plus faibles, qui ne pouvaient se défendre face à l’invasion des créatures de la nuit.

En ses qualités d’administrateur, en partie, du Temple de la cité, Aegard avait bon nombre de choses à faire. Néanmoins ce petit moment de relative paix lui faisait du bien. Pendant quelques instants il oubliait tout, l’époque, les difficultés, la vie en général pour entrer en communion parfaite avec la nature et sa déesse Anür. Chacun savait qu’il n’était pas bon de déranger le prêtre pendant cette petite pause matinale. L’homme, déjà prompt à l’énervement, s’emporterait très vite si l’un de ses subalternes (ou qui que ce soit d’ailleurs) venait l’importuner pour de futiles raisons.

Abandonnant son poste, la vielle homme retourna vers sa cellule. Toujours la même, depuis ces dizaines d’années de présence au sein du temple, il n’avait jamais voulu déménager de ces quatre murs qui représentaient bien plus que ses appartements. C’était la cellule de son vieux maitre, ce prêtre sénile qui l’avait recueilli. C’était là qu’il avait appris à lire, à parler, à comprendre. C’était là qu’il avait choisi son prénom. D’une façon où d’une autre il avait appris à vivre entre ces quatre murs. L’endroit était particulièrement spartiate. D’un côté un lit simple duquel ne dépassait aucun mauvais pli, de l’autre côté un bureau de bois fort simple lui aussi couvert de parchemin et d’encre. Au centre de la pièce, creusé dans la roche, une cavité remplie d’eau permettant au Haut-Prêtre de faire ses ablutions. Pour le reste rien d’exceptionnel à l’exception d’une petite commode dans laquelle étaient entreposées différentes pièces de cuirs et quelques toges de rechange. Voilà tout. Malgré ses hautes fonctions dans le clergé, l’homme n’avait jamais voulu acquérir plus ou vivre dans un plus grand confort, cette cellule était tout ce qu’il lui fallait.

Assez rapidement, Aegard enfila sa toge habituelle d’un bleu clair faisant ressortir ses yeux. Quittant la pièce pour vaquer à ses occupations, il attrapa machinalement son bâton l’attendant sagement contre un mur. Ce bâton ne le quittait jamais, il l’emportait partout. Il n’était pas un objet de secours, bien au contraire, Aegard était encore fringant pour son âge et pourrait soulever des montagnes. Non, son bâton était à la fois un bon objet pour botter des fesses, mais aussi une forme de relique marquant son dévouement à Anür. De haut en bas étaient sculptées des runes renvoyant à la divinité de la mort, chacune marquant des étapes dans la vie religieuse de celui qui montrait l’objet comme le sien. Aegard avait pratiquement tout vu de son culte, il avait passé tous les rites, toutes les initiations. Plus jeune, il avait même écrit un traité sur l’application de certains préceptes de la déesse à la vie quotidienne. Finalement il ne lui manquait presque rien, sinon les secrets les mieux gardés, ceux des Hauts-Dignitaires du Clergé.

Descendant à toute vitesse les marches séparant ses quartiers des zones où la religion prenait un sens plus matériel, il prit connaissance des différentes nouvelles du matin. Chaque jour ramenait son flot de détresse et de problème à régler. Depuis le début du fléau, les gens semblaient avoir une relation conflictuelle avec le culte, certains s’y ranger corps et âme espérant la rédemption et d’autres le rejeter complètement crachant ainsi sur les voies divines.

Une fois dans le hall principal, le vieux prêtre remarqua un groupe de jeunes gens, des apprentis si l’on peut dire, en pleine discussion mouvementée. Détestant la paraisse, surtout dans son temple, la vielle homme s’approcha d’eux à pas de charge claquant son bâton contre les dalles de l’édifice religieux.

- « Et bien ! N’avez-vous donc pas mieux à faire que de rester planter là comme des moineaux… » les comparaisons n’étaient pas forcément la force du vieux prêtre « … si vous n’avez rien à faire je peux vous trouver du travail ! Regardez-moi ce sol ! Je ne l’ai jamais vu aussi sale ! Pensez-vous qu’Anür peut accepter des offrandes en de pareilles circonstances ? » Sa voix était grave, rocailleuse, profonde. Elle semblait jaillir comme raz-de-marée emportant sur son sillage toute volonté de contradictoire.

Les jeunes gens n’osaient pas tellement répondre à la question. Elle était rhétorique bien évidemment, mais là question de ce qu’ils devaient faire rester là même. Pour le moment, ils restaient là, la bouche à moitié ouverte, dans l’ombre du prêtre géant qui leur faisait face. Malgré son âge déjà avancé, Aegard dépassait d’au moins une tête et demie la plupart de ses interlocuteurs faisant peser sur eux un sentiment de gêne. La carrure de l’homme n’aidait pas à se sentir plus à l’aise, véritable roc, il donnait l’impression de pouvoir vous écrabouiller d’un simple geste de la main.

- « Et bien ! Avez-vous perdu vos langues ? Répondez ! », ordonna le grand prêtre tout en crispant sa main autour de son bâton comme s’il se préparait à asséner une sanction physique à ces quelques énergumènes.

Cette fois-ci l’un des jeunes garçons se décida à prendre la parole, c’était certainement le plus courageux d’entre eux, ou celui qui ne connaissait pas encore le vieux prêtre.

- « Euh… et bien… Haut-Prêtre Aegard, c’est que nos réserves d’herbes de méditation sont épuisées… », le jeune homme confessa le sujet de la discussion se pinçant les lèvres à chaque syllabe prononcée.
- « Qu’attendez-vous pour aller en chercher voyons ? »
- « C’est que… Depuis maintenant quelque temps, elles ne poussent plus à l’intérieur de l’enceinte de la ville et les marchands ne les vendent qu’à prix d’or… Personne n’ose vraiment s’aventurer hors des murs… de peur de… vous savez », le jeune homme ne termina pas sa phrase, le mot qu’il cherchait, celui qui désignait les créatures qui rodaient la nuit était en quelque sorte tabou dans ce temple, ou du moins chez une partie des résidents de celui-ci.

Aegard lança un regard noir au jeune homme qui venait de lui confesser cette nouvelle. Les herbes de méditation étaient fort importantes dans le processus spirituel des prêtres, elles permettaient de se défaire du matérielle pour rentrer en phase avec le divin et tenter de communiquer avec la déesse Anür. Depuis quelque temps il était de plus en plus difficile d’en trouver à l’intérieur de Marbrume. En effet, le nombre important de réfugiés avait eu pour conséquence d’urbaniser de plus en plus l’enceinte de la ville si bien qu’il ne restait plus énormément d’espace vert et encore moins d’espace où la nature vivait selon ses propres règles. Ainsi cette herbe, si précieuse, ne pouvait se trouver qu’en terres extérieure, là où peu de prêtres osaient s’aventurer.

D’un coup d’un seul, le vieux prêtre commença à insulter les jeunes gens de tous les noms. Des insultes si vulgaires, si virulentes, si blessantes que la morale voudrait qu’on ne les retranscrire pas. Il considérait ces hommes comme des couards, n’osant plus faire un pas dehors tellement la peur avait pris possession de leurs esprits. Ils ne se rendaient pas compte que si l’on ne trouvait plus d’herbe dans l’enceinte c’était que les dieux voulaient que ce soit ainsi. C’était un test, une épreuve d’un quotidien pour démontrer sa foi envers les dieux.

- « J’irai moi même ! »

Aegard n’était pas homme à avoir peur. Ce sentiment n’était plus de son âge, lui qui s’approchait bientôt plus de sa rencontre avec Anür que des longues aventures à travers les plaines (ààààà travers les plaaaaines). La mort ne l’effrayait pas, il avait appris à vivre avec, d’autant plus qu’elle faisait partie intégrante de sa foi et qu’il était certain que le monde qui l’attendait derrière les limbes était bien plus beau que celui-ci.

De manière plutôt habile, le vieil homme leva son bâton et donna un coup, assez fort, sur la tête de celui qui lui avait répondu – pour la forme – et lui arracha violemment une besace vide qu’il tenait dans sa main. Puis il s’en retourna vers sa cellule pour récupérer des affaires essentielles à son petit périple.

Quelque temps plus tard, on pouvait retrouver le Haut-Prêtre à l’entrée du temple. Habillé tout de cuir, un long capuchon couvrait la majeure partie de son visage de sorte que cela lui donnait un air bien différent de celui d’un prêtre. Le visage à présent caché, seule sa longue barbe blanche était réellement visible, si bien que – sa carrure aidant – on ne pourrait imaginer son grand âge. Particulièrement remonté, il se lança ainsi dans la marche qui allait l’amener à l’extérieur de la ville, dans les faubourgs, là où les herbes poussaient encore sans que l’Homme ne vienne s’en mêler. Tapant d’un coup de bâton sur les pavés, il se lança ainsi dans sa quête.

Après avoir traversé une bonne partie de la ville, le voilà arrivé à la frontière entre l’enceinte et l’extérieur. Sans même une hésitation, il franchisa le Rubicon et se retrouva en dehors de la relative protection de Marbrume. Là où la ville regorgeait de monde et de vie, le faubourg semblait un peu plus vide. On y croisait là et là des personnes pressées d’en finir avec leurs tâches pour retrouver les murs réconfortants de la ville.

Aegard savait exactement où allait, un peu à l’extérieur des faubourgs, au détour d’une ferme se trouvait une petite zone un peu marécageuse. Au centre de celle-ci poussait la fameuse herbe dont il avait besoin. C’est donc tout naturellement qu’il se dirigea vers cet emplacement aux fins de faire son affaire assez rapidement. Il avait bien d’autres choses à faire dans la journée et cette activité n’était pas forcément prévue dans le planning.

Approchant du lieu-dit, il remarqua que personne n’était aux alentours, pas même à la ferme qui pourtant était habituellement occupée en journée, si ce n’est que pour nourrir les animaux. Peut-être que le propriétaire en avait eu marre de la peur omniprésente que dégageait l’endroit. Cherchant quelques minutes, l’Haut-Prêtre retrouva vite ses marques et tomba sur l’herbe dont il était question.

Aux fins de mieux saisir l’objet de son aventure, il posa sa besace sur un tronc d’arbre couché au sol juste à côté du petit parterre d’herbe. De celle-ci il en tira une serpe qui lui permettrait de récupérer des bottes d’herbes assez rapidement et sans trop se fatiguer. C’est ainsi qu’il commença sa tache, cherchant à en ramener le plus possible puisque visiblement personne n’allait faire le même chemin tous les jours.

Occupé, il n’entendit pas le premier craquement de bois à quelques pas de lui ni le second d’ailleurs. Ce n’est qu’au troisième qu’il leva la tête devant lui, rien. Rapidement il se retourna pour voir ce qu’il se passait dans son dos et c’est ainsi qu’il fut l’observateur d’une scène des plus inhabituelles dans sa vie, parfois monotone, de prêtre d’Anür.

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Opale la CriardeBannie
Opale la Criarde



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MessageSujet: Re: Le vieux schnock et la pâle Opale.   Le vieux schnock et la pâle Opale. EmptyMer 4 Mai 2016 - 21:09
- Aha. Toi qui as la courte-paille, Opale !

Il m’assena une lourde frappe dans le dos.

- Ta gueule, Pissenlit.

- La ferme, la criarde. Je t’ai déjà dit de pas m’appeler comme ça. La prochaine fois c’est mon poing dans tes dents.

- Ah ouais ? Tu veux essayer ?

- C’est fini ce bordel oui ? claqua Hub. T’as perdu Opale, va donc troquer tout ça, et reviens avant la nuit. On n’a pas que ça à foutre.

Une fois n’est pas coutume, je m’étais donc aventurée jusqu’aux Faubourgs. Je haïssais les lieux. Bizarrement, les marais sombres dans lesquels j’évoluais depuis plusieurs mois me paraissaient moins contraignants. Clairement plus dangereux, clairement plus mortels. Mais on savait à quoi s’attendre : la loi du plus fort, marche ou crève. Un fangeux pouvait nous emporter un matin, mais nous le savions. L’on rejoindrait le domaine d’Anür pour pouvoir lui cracher à la gueule sur ce monde de merde qu’elle avait laissé.

Les Faubourgs, eux, étaient pleins de ces gens propres sur eux que je ne pouvais pas supporter. Des gens « honnêtes », qui venaient semer leurs champs, nourrir les bovins, tanner leurs peaux puantes, avant de se retirer quand tombait la nuit ou arrivaient les nuages annonciateurs de mauvais temps. Bref, des gens qui se calfeutraient leur cul bien au chaud derrière les remparts dès que le vrai danger pointait le bout de son nez. Des couards, des lâches. Des merdes !
Des merdes, mais j’étais bien obligée de traiter avec eux, parfois. Plus que je ne le voudrais. C’était le cas cette fois-ci. Les escapades de mon groupe nous faisaient régulièrement trouver des choses dans les marais. Des objets sur des cadavres, des restes de convois embourbés dans la tourbe. Une fois on était même tombés sur la carcasse d’une jolie prêtresse affublée d’autant de bijoux qu’elle avait de cheveux. Les pierres et l’or ça nous servait à que dalle pour survivre, mais y’en avait encore, à la ville, qui dépensaient sang et eau pour récupérer de la caillasse précieuse. Tout devenait précieux, on offrait les derniers bijoux pour des mariages formés à la-va-vite, pour faire des offrandes gigantesques aux dieux pour apaiser leur colère… Pour tout et rien. Même si ça nous enchantait pas d’aller voir les gueules des « gens honnêtes », ça nous était bien utile, qu’ils veuillent bien troquer leur bouffe, leurs flèches, leurs vêtements ou d’autres objets hétéroclites contre des bijoux, même si ces derniers étaient sales et rayés. Alors, de temps en temps, on passait aux Faubourgs. Bon gré mal gré.

J’avais tiré la courte paille, c’était moi qui me tapais la tâche, ainsi. Un trait horizontal rouge sang barrait mes joues et mon nez alors que je marchais en direction de l’extérieur immédiat de la cité, traversant un chemin de terre désert. J’étais affublée de ma veste en peau de cerf aux attaches solides taillées dans les bois de l’animal. Oui, de cerf, cette bête sacrée interdite de chasse. Mais je n’avais plus grand-chose à faire des interdits sacrés depuis que je devais survivre dehors. Déjà que je ne m’encombrais pas de scrupules pour tuer, avant, alors si dorénavant c’était ma vie ou ma mort, le choix était aisé.

Les Faubourgs pullulaient d’activité quand j’arrivai. Les gens avaient grosso modo deux grands types de réaction en ma présence. Soit ils me regardaient passer, indifférents – des pauvres affublés de peaux de bêtes c’était devenu monnaie courante après tout. Soit ils notaient ma solitude assurée, mon arc, mon pas déterminé, caractéristique d’une chasseuse qui faisait son train de vie dehors depuis un moment. Ceux-là s’écartaient, peu désireux de passer près d’une sale inconnue – et ça m’arrangeait –, ou me regardaient, méfiants. Les bannis n’étaient pas aimés ici, si proches des remparts de la cité, cette cité qui les avait condamnés à la mort. De toute façon les bannis n’étaient aimés nulle part. Bref, j’avais pris soin de masquer mon bras droit d’un gros bandage, pour une fois. Etre banni c’était pas bon pour les affaires.

Au début je m’étais installée dans une ruelle boueuse, entre les hameaux, à côté d’un étal marchant, ouvrant ma besace et faisant briller les colliers et les bagues devant les passants. L’air peu affable, restant silencieuse, j’avais pas vraiment le commerce dans la peau. J’attendais qu’on vienne à moi, prostrée dans mon coin, regardant d’un œil acéré les passants qui osaient tenir le regard un peu trop longtemps. Mais le marchand à côté n’aimait pas ma présence.

- Hé la gamine là. Viens pas ruiner mon commerce, va te foutre ailleurs. J’veux pas d’une mendiante qui fait tâche ici, alors va-t’en !

Je n’avais rien répondu sur le coup, engoncée dans ma veste en cuir puant, l’ignorant complètement. Mais il avait insisté, ce con. Il avait contourné son étal pour venir pousser contre mon épaule.

- Dégage de là j’ai dit !

Je me relevai brusquement, répliquant à mon tour d’une bousculade peu amicale.

- Touche-moi encore, vas-y.

Mon regard était noir, mon ton doucereux, cachant une lourde menace. Je me contrôlai difficilement. Je devais troquer mes bijoux, pas faire un esclandre. Si je rentrais bredouille, les trois autres me chicaneraient sur mes capacités douteuses, quant à moi, je serais sincèrement dégoutée d’avoir perdu mes chances pour un imbécile de première.
Mon sang fit un tour dans mes veines. Attraper mon poignard et le planter dans le flanc de cet hurluberlu était tentant. Très tentant. L’homme vit certainement mes envies de meurtre sur mon visage. Il eut un tic d’hésitation, rabattant son bras contre son ventre, dans une sorte de protection instinctive. Plissant les yeux, je m’écartai. Et, au lieu de le planter de ma lame, je partis en fauchant d’un coup de pied les tréteaux de son étal de marchandises, fracassant toute la construction. Ignorant ses vociférations, je partis m’installer ailleurs, sur ses bonnes recommandations .

Les heures passèrent, et l’après-midi était bien entamé lorsque je décidai de prendre congé des Faubourgs. J’avais finalement réussi à troquer mon bric-à-brac contre trois paires de gants chauds, une paire de bottes, une dague un peu émoussée, et quelques mortiers et pilons pour les mixtures médicales de Gabrielle. Cela devrait lui être utile. Tout était rangé dans ma sacoche ou accroché à ma ceinture, et, assez satisfaite finalement, je me mis en quête de rentrer, me délestant du bandage qui cachait ma marque de bannie, comme à nouveau libre, de façon paradoxale.
Là-dessus, sur le chemin, alors que les Faubourgs laissaient doucement place à des terres de plus en plus marécageuses, mon regard fut attiré par une ferme à une cinquantaine de mètres. Mon côté utilitaire me fit m’arrêter un instant. L’endroit était-il encore usité ? Restait-il encore quelques poules, voire des chèvres, à voler ?
Les lieux semblaient déserts. Abandonnés. Prudente, je m’étais approchée, arc dégainé, flèche à moitié encochée, par pur principe. Les fangeux cachés dans les bâtisses, prêts à fondre sur vous en traversant subitement une fenêtre, j’avais connu ça bien trop de fois.

L’endroit n’était pas désert, cependant. Je m’étais fourvoyée sur ce point. A l’angle du bâtiment, je pus entendre quelque chose fourrager dans l’herbe. Passant discrètement mon visage par-dessus le mur, je pus voir une silhouette penchée sur un parterre, occupé à ramasser des herbes. D’un œil, je notai une lourde besace posée à quelques mètres de lui, qui semblait fort garnie. Mon échauffourée frustrante un peu plus tôt avec le marchand m’avait laissée sur les nerfs. Ajoutée à l’absence d’animal à voler dans cette ferme inutile, et je me sentais comme dans l’obligation de devoir rapporter quelque chose de plus pour compenser. Ce vieil homme possédait-il des choses de valeur ? Il fallait soit être fou pour faire cueillette seul dans un tel lieu, soit avoir l’habitude de telles escapades. Et les gens qui avaient l’habitude portaient toujours des choses utiles à la survie sur eux. Toujours.

Sur une foucade, sortant de ma cachette, je tendis la corde de mon arc, et encochai une flèche, sans même prendre la peine d’être discrète. Le carreau visant directement son cœur, je lâchai subitement :

- Hé l’vieux péquenot. Et si tu me montrais un peu ce qu’il y a dans tes affaires ?

D’un signe de tête sec, je désignai sa besace et les poches de ses vêtements, l’arc toujours levé, menaçant.
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Aegard Creuse-TombeHaut-Prêtre d'Anür
Aegard Creuse-Tombe



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MessageSujet: Re: Le vieux schnock et la pâle Opale.   Le vieux schnock et la pâle Opale. EmptyMer 4 Mai 2016 - 22:11
Face à lui se tenait une jeune demoiselle qui n’avait pas l’air d’être en détresse. Aegard était dans une position fort peu pratique, voire même ridicule. À moitié à genou, le dos vouté pour mieux attraper les herbes, il tenait en sa main gauche la serpe d’or servant à récupérer les herbes mystiques. Il était en une position si étrange qu’on aurait pu voir en lui un de ces vieux druides, de quelques centimètres à peine, complètement folle, cherchant désespérément des produits hallucinants pour rentrer dans on ne sait qu’elle transe récréative. Néanmoins, et malgré l’absence de solennité de la scène, rien ne transparaissait de sa surprise. Si, peut être, un sourcil levé cassant subtilement sa face grave et enfermée. Le vieux prêtre n’était pas homme à être rapidement impressionné, ses nombreuses années d’existences lui avaient fait voir du pays et des situations plutôt cocasses. Pourtant, il n’avait jamais vraiment fait l’objet d’un vol ou d’une tentative d’extorsion. En effet, peu de personnes s’attaquaient à un homme de son âge bien qu’en ces temps malheureux l’humanité perdait ce qui faisait d’elle une civilisation digne d’être aimée des dieux. De plus, Aegard n’était pas ce genre d’homme du Clergé à transporter avec lui toutes sortes de babioles inutiles serties de diamants ou d’autres pierres précieuses. Il vivait pauvrement et il n’utilisait absolument pas les avantages que son rang pouvait lui procurer.

Non, définitivement, Aegard n’était pas l’homme à « attaquer ». Déjà par ce que le combat ne serait pas un réel défi. Certes il avait une certaine carrure et une force qu’on pouvait envier, mais il était loin d’être un soldat. Ces compétences dans l’art martial n’étaient pas celle d’un milicien, ou encore d’un zélote, il n’était bon qu’on donner de gros coup de bâton en espérant que sn adversaire ne se relève pas. C’était une façon de faire les choses. Pas forcément une bonne attention, mais une façon de toute de même.

Ainsi donc, en face de lui, l’Haut-Prêtre d’Anür pouvait observer une jeune femme à l’allure plutôt sauvage. Un quart de seconde lui furent nécessaire pour observer entièrement celle qui le menaçait. Plutôt mince, celle-ci portait les marques des personnes qui ne mangeaient pas à leur faim. Un large trait rouge traversait son visage au niveau de son nez, cela lui donnait un air à la fois guerrier, mais aussi exotique. S’il fallait choisir, on pourrait dire que son adversaire du jour était plutôt jolie, même si ces questions n’intéressaient pas forcément le vieil homme. Dans ces mains un arc bandé avec une flèche, elle semblait savoir ce qu’elle faisait ce qui pouvait la rendre encore plus dangereuse. Occupé par autre chose, à savoir rester en vie, Aegard ne remarqua pas tout de suite la marque sur l’avant-bras de la jeune femme – signe des bannies. Il aurait pourtant pu faire usage de cette information. Pour le reste, celle qui lui faisait face avait tous les signes du chasseur, une tenue légère en poids comme en protection et de multiples cicatrices marques d’une vie rude et laborieuse. Ce n’est qu’à la fin que le vieux prêtre remarqua la peau de bête qu’elle portait. Il était loin d’être spécialiste du culte de Serus, même si sa fonction l’obligeait à en apprendre le plus possible sur les trois dieux de la Trinité, mais il saurait reconnaître une peau de Cerf à n’importe quel coup d’œil. Toucher à un Cerf est un crime devant les dieux pour le Culte de la Trinité et pour un homme aussi dogmatique qu’Aegard c’était de l’ordre de l’hérésie.

« COMMENT OSES-TU ? », sa voix était profonde, caverneuse. Elle semblait jaillir des tréfonds du monde. « Tuer un Cerf et prendre sa peau c’est cracher sur Serus, sur TON dieu ! », Serus était le dieu de la chasse et de l’abondance des animaux, ainsi pour une chasseresse il était la divinité principale.

Emporté par son énervement, le colérique Aegard en oublia de se relever. Ainsi il était toujours dans cette position quelque peu ridicule rendant par le fait son propos moins effrayant qu’il ne le voulait. C’était un peu le problème du vieux prêtre, il était vite emporté par ses émotions et il s’affranchissait trop rapidement de son enveloppe charnelle. Ainsi, il pouvait lancer les pires insultes du monde tout en ayant sa toge à l’envers ou la barbe dans tous les sens.

Quand il prit conscience de sa condition, l’Haut-Prêtre d’Anür ne tarda pas à y remédier. Doucement (mais surement), il se leva véritablement, plongeant ainsi les quelques mètres devant lui dans une ombre inquiétante. C’était comme si une montagne décidait un jour de se lever, une impression de gigantisme montait au fur et à mesure de la lente levée du grand homme. Par la même occasion, il attrapa, de sa main droite, son bâton qu’il avait laissé par terre lorsqu’il cueillait les herbes. En tenue de voyage, l’homme était bien plus impressionnant que dans son habit plus religieux. Le visage caché derrière un long capuchon, on ne pouvait voir ses yeux saphir bouillonnant de rage.

Une fois totalement debout, le vieil homme dévisagea son adversaire. Il bomba légèrement le torse ce qui, sa carrure aidant, donna vite l’impression d’avoir affaire un géant de colère. Délicatement il rangea sa serpe à sa ceinture puis il empoigna son bâton à deux mains, la plus grande partie vers son adversaire.

« N’as-tu pas honte de voler ton prochain ? Le monde n’est pas assez médiocre pour que tu l’enfonces encore un peu plus ? », le ton de la conversation était donné.

Évidemment, Aegard n’était pas dupe, il n’avait aucune chance face à cette gourgandine. Un arc étant toujours plus rapide que lui avec son bâton, il finirait embrochait avant d’avoir pu asséné le moindre coup. À moins que la jeune femme rate sa cible, ce qui paraissait improbable vu son allure de chasseresses. Rapidement, le vieil homme fit un calcul mental, et, se sachant perdu de toute façon, décida de se lancer totalement dans cet affrontement fortuit.

Il était d’autant plus serein qu’il connaissait le contenu de la besace. En effet après l’avoir arraché au jeune apprenti du Temple, il avait pu jeter un œil sur le contenu de celle-ci. Rien de valeurs bien sûr. Seulement la serpe et des livres théologiques sur les grands préceptes de la foi. Encore une fois, rien d’une valeur telle qu’elle ne nécessiterait une altercation comme celle-ci. Il allait y avoir une déçue.

« Couard ! Gourgandine ! Bandit de grand chemin ! TU CROIS ME FAIRE PEUR PAR ANÜR ? » lança le vieil homme à son adversaire avant de charger.

Continuant de lui envoyer les pires jurons de son répertoire, limité par son éducation très stricte, il fonça vers elle le bâton devant, les motifs d’Anür lui apportant la chance dont il allait avoir besoin. Se projetant en avant, Aegard leva le bâton pour taper au niveau de l’arc, tentative quelque peu folle, mais qui restait plus ou moins dans l’esprit du personnage… Malheureusement !
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MessageSujet: Re: Le vieux schnock et la pâle Opale.   Le vieux schnock et la pâle Opale. EmptyJeu 5 Mai 2016 - 18:40
Fallait croire que j’étais tombée sur un toqué. A moitié penché sur ses herbes, il n’esquissa pas un geste de défense ni de recul à la vision d’un arc menaçant tenu par une sauvage. Non, au lieu de quoi, il tiqua sur ma tenue en peau de cerf – c’est qu’il avait l’œil le gus.

- Serus, mon Dieu ? Les dieux nous ont abandonnés. Alors qu’est-ce que ça peut lui faire, que j’lui croque un bout de temps en temps, hein ? C’est ça ou mourir de faim, tu crois que ça enchante les dieux, qu’on crève tous ? J’en ai rien à foutre de ce qui me tombe sous la main, tant que c’est mangeable. Maintenant, attrape-moi ta sacoche et lance-la moi, tout de suite.

Tout ce que j’avais dit était vrai. J’étais croyante, à une époque. Je l’étais toujours, même. Il m’arrivait encore de murmurer des remerciements au dieu de la chasse quand je tombais sur une belle prise, de faire quelques mots pour Rikni qu’elle nous accorde beau temps, ou encore demander à Anür qu’elle bute pour moi un ou deux indésirables. Mais j’avais arrêté de tout remettre dans les mains des dieux. Ma foi n’avait jamais entravé ma survie. Et je n’avais jamais eu de scrupules pour cela.

Mais cela ne s’arrêta pas là, oh non ! Voilà que l’homme me crachait un pamphlet contre le vol, à croire qu’il venait tout droit sorti d’un acte judiciaire, dans un monde où tout tournait rond. Mais d’où venait-il ? Le Fléau, ça lui disait un truc, à ce vieux sénile, au moins ? Il croyait quoi, que le vol était encore un acte de déshonneur ? Mais papy, faut se réveiller, c’est pas comme ça qu’on survit à Marbrume. Puis, vociférant des insultes et postillonnant comme un fou, il fonça.

J’écarquillai les yeux une fraction de seconde. Je ne m’étais pas attendue à ce qu’un vieux de la vieille fonce au-devant d’une personne armée, et sa réaction totalement irraisonnée me laissa un court instant pantoise. Il fondait sur moi, pourtant, c’était réel. Mais je n’étais pas une femmelette dont les menaces étaient lancées en l’air. Si j’avais mon arc encoché, la corde tirée jusqu’à mon menton, c’était bien pour en user et non pas par simple avertissement. Ce fut ainsi sans scrupule que je tirai ma flèche sur la montagne de rides qui me fonçait dessus.

Citation :
Tir d’Opale : 10
Malus -1 pour l’effet de surprise d’Aegard
Résultat des dés : 4
Réussi.
Tir de localisation : 11. L’homme est touché à la hanche.

Attaque d’Aegard : 8
Malus -1 pour la blessure soudaine, mais bonus +2 pour la charge inopinée.
Résultat des dés : 14
Raté. Opale réussit à éviter le coup.

Lancers effectués par Aigrefin.

Dans la cohue, ma flèche se ficha dans la hanche gauche du vieil homme. Rien de bien méchant, l’os superficiel de cette zone avait très certainement arrêté rapidement le carreau pointu, faisant peu de dégâts mais soulevant une douleur vive. Et j’espérais bien qu’il avait mal, ce gros con. Déjà que j’étais dégoutée d’avoir tiré dans une zone si peu vitale, mais ce couillon m’avait prise au dépourvu sur ce coup, il fallait l’avouer. Dents serrées, je fis un bond en arrière alors qu’il visait mon arme de bois avec son bâton sculpté, désireuse de remettre de la distance entre nous, sans quoi mon arc me serait plus encombrant qu’avantageux. Reculant prestement sans regarder derrière moi, j’encochai une autre flèche, désireuse de le tenir en haleine. J’aurais mieux fait de le descendre et fouiller dans ses affaires après coup.

- MOI AUSSI JE SAIS GUEULER FORT, GRAND DADET ! hurlai-je par-dessus ma corde, les bras tendus, prête à lâcher une seconde flèche. Continue encore à rameuter tous les morts-vivants du coin et j’t’assure que la prochaine je la raterai pas !

Le regard noir, le souffle court, les sens en alerte, je détaillai l’énergumène. Avait-il une arme en-dehors de son bâton ? Sa réaction avait été clairement disproportionnée et suicidaire ; possédait-il quelque chose que je n’avais pas noté, qui lui donnait tant d’assurance ? Etais-je en danger d’une quelconque manière ? Mes yeux calculateurs scrutèrent les reliefs de ses vêtements, l’ouverture de ses bottes, les crans de sa ceinture.

- Ça se voit que t’es un lascar de la ville, toi. Que tu sors jamais, que tu bouffes dans des assiettes d’argent et que tu te torches avec des feuilles brodées. Que tu viens d’un quartier riche, même, pa’c’que Marbrume ça a jamais été une ville où ça chialait quand ça se faisait voler des trucs, surtout pas dans les bas-quartiers. Alors t’es quoi, un vieux sorcier ? Un prêtre moralisateur ?

Un ricanement m’échappa, toute supérieure que je me sentais avec mon arc.

- Ça parle de prochain et ça veut même pas faire preuve de générosité ? C’est qu’il doit y avoir quelque chose d’important dans cette besace, diantre !

Mon ton était devenu railleur, moqueur, insolent. C’est qu’il m’amusait presque, le vieux et sa barbe de cent ans, comme s’il était devenu mon attraction de la journée. Peut-être pour ça que je ne l’avais pas tué tout de suite.
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Aegard Creuse-TombeHaut-Prêtre d'Anür
Aegard Creuse-Tombe



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MessageSujet: Re: Le vieux schnock et la pâle Opale.   Le vieux schnock et la pâle Opale. EmptyJeu 5 Mai 2016 - 19:40
La situation n’avait pas spécialement tourné à l’avantage d’Aegard, s’en était presque un euphémisme. Résumons ! Après son attaque suicidaire, mais non sans un certain courage et une belle volonté d’esprit, le Haut-Prêtre avait reçu une belle flèche à la hanche qui lui causait maintenant une douleur abominable. En bonus, la jeune gourgandine avait magnifiquement esquivé son coup de bâton qui aurait été dévastateur… Enfin peut-être.

Ainsi, alors qu’il était en pleine attaque, une soudaine violence perturba la rage bouillonnant dans les veines du Creuse-Tombe. Tenace, il pensa tout de même à finir son coup de bâton qui, au lieu de rencontrer la chaire de la demoiselle, ne saluât que le vide. L’aire pour moitié penaud et pour l’autre hagard, il attrapa des deux mains son bâton pour l’enfoncer dans le sol, usant ainsi de la nature première de l’objet, celui d’une aide précieuse pour celui qui veut rester debout. Doucement, le prêtre approcha une main de l’endroit que la flèche avait endommagé. Il saignait raisonnablement, le vrai problème restait une douleur infâme qui remontait de sa hanche jusqu’en haut de son grand corps.

Admirant son adversaire d’un œil, celle-ci avait préparé une nouvelle flèche, peut-être l’occasion de l’achever. Encore une fois, Aegard n’avait pas peur de la mort, il l’attendait presque comme l’achèvement parfait d’une vie de dévotion pour la déesse Anür. Néanmoins, il n’en avait pas fini avec la vie, il le savait. Encore beaucoup de choses étaient à accomplir. Le Fléau était une épreuve des dieux et il ne pouvait se résoudre à accepter la fuite de la mort au lieu de se confronter au combat de la vie.

Quelques instants avant de tirer sa flèche, la jeune femme psalmodia quelques mots sur le dieu de la nature, Serus. Visiblement, celle-ci semblait croire que les dieux avaient abandonné l’humanité. Encore une qui avait quitté le sinueux chemin de la foi pour entreprendre une descente dans la confortable pente du déni. Les dieux n’avaient abandonné personne. C’était un test, une épreuve de foi et cela, peu de personnes n’étaient disposées à le comprendre.

« Il est aisé de ne pas croire. La voie de la foi est bien plus complexe », il arrivait, dans de rares moments que l’Haut-Prêtre sorte des phrases approchant la sagesse… ou la naïveté. Sa voix était bien plus calme, on y sentait néanmoins quelques signes de la douleur qui l’accablait. Tout en parlant, pesant chaque mot, il avait défait sa ceinture pour la resserrer à l’endroit où la flèche l’avait touché, un garrot de fortune dont l’opération avait laissé tomber la serpe qui pendait depuis le début de l’altercation.

Bien sûr, il n’allait pas raisonner la jeune femme sur la confiance qu’elle devait avoir envers les dieux. Seule, en réalité, la peau de Cerf comptait aux yeux du vieux Prêtre. En effet, après un tel sacrilège, des rituels – quasiment des excuses – devaient être réalisés pour calmer la colère du grand Serus. Il devait absolument récupérer cette peau, c’était son travail. Sa mission.

La jeune femme au trait rouge continua son monologue, elle se montra capable de crier aussi fort que le Creuse-Tombe – un exploit. Elle mentionna également une histoire de mort-vivant qui fit bondir Aegard sur lui même. Non pas qu’il avait peur d’une telle chose, c’était surtout qu’une telle notion ne pouvait exister. Dans les textes sacrés, Anür était la déesse des Morts et des Vivants, mais jamais des deux en même temps. Une telle description des fangeux ne rentrait donc pas dans la conception du Fléau que le Culte de la Trinité pouvait avoir. Puis ce fut encore une menace de mort, il commençait à comprendre l’idée.

Enfin, le vieux prêtre eut droit à un couplet sur sa supposée appartenance à une élite ne comprenant rien aux problèmes des petites gens. Il l’avait tellement entendu ce couplet, lui qui n’était né d’aucune famille, qui n’avait que travaillé pour arriver là il en était. Il était étonnant que, malgré la relative égalité face à la mort annoncée par le Fléau, de telles conceptions de la vie subsistassent en ce monde.

« Et toi qu’est-ce que tu es ? » ne prenant pas la peine de répondre à sa question, Aegard se lança dans son propre monologue. Après tout si la jeune femme au trait rouge avait le droit au sien, le vieux prêtre pourrait se fendre d’une petite tirade. « Tu voles ton prochain sans état d’âme, tu tues des animaux sacrés sans comprendre la gravité de ton acte. Et tu te sens supérieure avec ton arc ? Si c’est ce que tu es alors tu ne vaux pas mieux que ces démons qui sortent des marécages ! Quelle différence entre eux et toi hein ? », pourtant naturellement compréhensif, le vieil homme ne comprenait pas l’attitude de l’être humain en face de lui. Comment en si peu de temps avaient-ils pu changer autant ? Le monde n’a jamais été parfait, mais pas à ce point-là.

Lui ordonnant à nouveau de vider sa besace, la jeune femme continuait à le viser, préparant une flèche qui pouvait être fatale. Aegard soupira un large coup. Elle lui parlait de générosité alors qu’elle ne savait certainement pas le sens, les effets, ni les conséquences de ce mot.

« Tu parles de générosité, mais tu n’as rien demandé. Tu n’as fait que prendre et prendre encore. Alors, tiens ! Admire le fruit de ton effort ! »
, attrapant habilement la besace, Aegard la secoua de façon à en jeter le contenu au pied de la jeune femme. Comme prévu, rien de très intéressant pour elle. À ses pieds gisaient quelques livres de théologie, ce qui ressemblait à un parchemin écrabouillé et un insigne religieux du culte de Serus de très petite taille sculptée dans un bois simple.

Aegard lança un large sourire à son adversaire. Voilà pourquoi elle s’était battue. Intérieurement il espérait faire comprendre à celle-ci l’inutilité de ses actes et pourquoi pas la faire rentrer dans le droit chemin. C’était sa vocation après tout. Ne perdant pas le nord, il retira doucement son bâton de la terre boueuse et le pointa vers elle, en signe de défi.
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Opale la CriardeBannie
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MessageSujet: Re: Le vieux schnock et la pâle Opale.   Le vieux schnock et la pâle Opale. EmptyJeu 5 Mai 2016 - 23:02
- Je suis ce que le monde a fait de moi.

Il se croyait savant, le vieux. Il croyait avoir la science infuse, connaître tout du bien et du mal. Alors qu’à coup sûr il aurait tout autant déchiré de ses propres canines la chair d’un cerf si cela lui avait permis de survivre et continuer à gueuler des paroles moralisatrices. Il connaissait quoi au danger ? Lui qui sortait seul, sans protection, armé seulement d’un bâton ridicule, dans des terres pullulant de bêtes aux crocs mortels ? Il méritait juste qu’elle le laisse là, à son sort, prêt à se faire dévorer. Gaspiller des flèches pour un péquenot pareil, ce n’était presque pas la peine.

La différence entre eux et moi ? Je baise.
Je toisais toujours la montagne de rides. Les fangeux n’avaient plus de conscience. Oh, ils étaient rusés, habiles, traîtres, mortels. Mais ils ne tuaient pas par nécessité. Même sans faim, leurs instincts meurtriers prenaient le pas, et ils ne s’arrêtaient que quand toutes les proies à portée étaient mortes. Et ils revenaient les dévorer plus tard, parfois, quand elles avaient bien eu le temps de pourrir et macérer. Ça donnait du goût, visiblement. Et il me comparait à ces choses sans vie, sans but ? Ces cannibales ? Ouais, j’accorde peu de valeur à une vie humaine, certes. Mais j’avais toujours gagné quelque chose à retirer une vie. Plus ou moins. Gagner mon pécule. Me défendre. Défendre mon groupe. Gabrielle disait que j’avais le meurtre trop rapide, le sang trop impulsif. Pourtant, baisser sa garde, c’était mourir.

- Tu ne comprends rien, papy. Ce sont les faibles comme toi qui finissent par rejoindre leurs rangs. Les scrupules ça créé des mordeurs. Quelle importance que ta vie ait été vierge de fautes, après, hein ? Si c’est pour rester à errer éternellement, bloqué dans un corps putréfié qui t’empêches de rejoindre Anür, ô la belle Anür.

L’arc toujours levé, je commençais à perdre patience – c’était toujours le cas quand je tombais dans l’ironie morbide. Il termina par s’exécuter pourtant, et, prudente alors que je suivais du regard ses mains, il vida le contenu de sa besace. Quelques manuscrits dont je ne comprenais pas les caractères, du papier, et une bricole en l’honneur de Serus. Mes yeux restèrent fixés sur le butin d’un air absent. Putain. Des livres. Des. Foutus. Livres. Quand j’avais parlé de vieux riche de la cité, je m’étais carrément trompée, il était pire : un érudit. Eh bien ça en expliquait, des choses !

Le regard noir, je retroussai mes lèvres d’un air dégoûté, les dents serrées. Mon pouce et mon index serrèrent la queue de ma flèche avec force, faisant naître une empreinte rouge sur mes doigts. Bon dieu ce que j’étais tentée de faire partir le carreau mortel. Mais il avait que dalle à m’offrir, et mon dépit était si grand à cet instant que j’avais réellement envie de l’assassiner par impulsion. L’artère battant contre ma tempe, je regardai cet homme. Laissant passer de longues secondes rageuses, j’abaissai ensuite brusquement mon arme, pour ranger prestement ma flèche dans le carquois de mon dos et ranger l’arc sur mon épaule.

- Ouais, en effet. T’as rien. Tu sers à rien. Tu vas crever, tu le sais ça ? Que ça soit moi, un bandit ou un mordeur : tu mourras. Sortir armé de… livres Je crachai le mot comme s’il s’agissait d’une insulte, montrant tout le dégoût que j’avais pour la caste de cet homme. Si les livres pouvaient nous sauver du Fléau, ça se saurait. Tu crèveras, vieux péquenot.

Mes paroles sonnaient presque comme une prophétie et j’eus un geste désinvolte vers son bâton dressé. J’étais persuadée de ce que j’avançais, car je ne lui donnais pas de grandes chances de survie. J’avais brusquement perdu tout mon intérêt pour cet homme. En quelques secondes, il était devenu un cloporte sur ma route, qui ne pouvait rien m’apporter, et j’en étais fort marrie. Je n’avais plus qu’à passer mon chemin.

Pourtant, de détails en détails, quelque chose me titillait chez cet homme. Il était âgé. Il traînait des livres, des manuscrits qui coutaient la peau des fesses dans un monde où l’alphabétisation était rarissime. Qui était-il ? J’eus soudain l’impression que cet homme était un peu plus que ce que les apparences laissaient à penser. Etait-ce un éminent de la cité ? Les yeux plissés, en pleine réflexion, j’étais en train de déterminer s’il était intéressant à enlever. Oui, à enlever. Gabrielle me tuerait de ses petits poings pour ça. Mais échanger une personne d’importance prise en otage contre des vivres à foison, c’était bien plus profitable que bouffer des racines tous les deux jours. Alors que le péquenot prenait peut-être une autre importance qui étouffait mes envies de meurtre, je haussai les épaules, indifférente, pour donner le change.

- J’veux récupérer ma flèche, si c’est pas trop demander.

Mâchonnant sur ces paroles insolentes alors que ladite flèche était toujours plantée dans le corps de l’homme, je crachai au sol, comme si j’avais ruminé un glaviot depuis un bout. Temporisant pour tenter de mieux le cerner, je poussai du pied le pendentif de Serus, le retournant sur le sol, pour y chercher le symbole d’une grande famille connue ou autre chose qui pourrait m’évoquer une instance d’importance de la cité. Quant à mon apparence soudainement moins belliqueuse, elle n’était bien évidemment qu’une façade.
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Aegard Creuse-TombeHaut-Prêtre d'Anür
Aegard Creuse-Tombe



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MessageSujet: Re: Le vieux schnock et la pâle Opale.   Le vieux schnock et la pâle Opale. EmptyVen 6 Mai 2016 - 17:57
« Ce que le monde a fait de toi ?! Laisse-moi rire ! », le vieil homme se tenait toujours face à la jeune femme, une flèche dans la hanche et sa ceinture faisait office de garrot de fortune. Il tenait son bâton bien droit face à son adversaire, préparant une attaque au moindre mouvement d’arc. Il n’avait pas grande chose, mais, dans le doute, il pouvait faire des dégâts. « Anür, dans sa grande sagesse, nous a créées avec un libre arbitre. Celui de faire et de ne pas faire, celui de dire ou de se taire. Tu accuses le monde d’être commanditaire de tes maux, pourtant tu es la seule responsable. Mais ça, tu ne peux l’admettre ».

Le Creus-Tombe refusait d’entendre l’argument de cette barbare. Le monde n’était pas cause et conséquence de tout. Le monde n’était qu’une création d’Anür, une création où se développaient des petites choses, les hommes et c’était bien eux qui avaient tout changé. Le manque de foi, leur manque de dévotion les avaient conduits à des actes barbares, à s’entretuer, à cracher sur les doctrines de la foi. Et là, alors que toutes choses étaient la faute des Hommes, ils osaient encore s’en prendre au monde. L’inconscience de celui qui ne sait rien.

« Ta jeunesse de chair n’a d’égale que la jeunesse de ton esprit. Suis-je faible ? Je n’ai pas peur, moi, de ces choses que tu appelles mordeurs, morts-vivants. Ils font partie du plan de la grande Anür, et je me soumettrais au jugement de celle-ci », ce qui aurait pu passer pour de l’inconscience totale était en fait une dévotion particulièrement forte. L’homme croyait dur comme fer à sa déesse et à ses voies impénétrables. Ainsi la mort ne lui faisait pas plus peur que la vie. « Ce n’est pas un jeu ! Et rejoindre le corps céleste d’Anür n’est pas une récompense imbécile ! La vraie dévotion, c’est celle de celui qui accomplit son devoir envers les dieux sans attendre de récompenses », là était la vraie voie du croyant, celle qui menait à la fin du chemin de la déesse. Mais ça, la jeune gourgandine ne pouvait pas le comprendre.

Lorsqu’il jeta le contenu de sa besace à terre, il put voir dans les yeux le bouillonnement de rage de la jeune barbare. Il connaît ce sentiment, celui de la personne qui va laisser court à ses impulsions de mort. Aegard n’en connaissait que trop bien les effets puisqu’il en était lui-même l’objet. Bien sûr, on pouvait imaginer qu’un prêtre était toujours mesuré, calme et en maitrise de soi-même. Ce n’était pas toujours le cas. Depuis sa rude enfance, le Creuse-Tombe avait toujours eu cette rage en lui, celle qui lui permettait d’avancer malgré les obstacles, mais aussi celle qui faisait de lui parfois un homme violent. Évidemment, il n’avait jamais blessé personne qui ne l’avait pas mérité. Il pouvait être parfois rude et direct avec les gens, mais n’était violent qu’avec ceux qui le méritaient. Le vieil homme ne se prenait pas pour un zélote, il n’était pas là pour trancher à l’épée tous les païens et autres hérétiques, mais certains comportements et certaines paroles ne pouvaient être prononcés devant lui sans que la rage bouillonnant en lui ne l’oblige à réagir.

Ainsi les livres avaient eu l’effet escompté sur celle qui devait être une chasseresse. Ils n’avaient rien d’intéressant pour ceux qui ne s’intéressent pas aux arcanes du culte de la Trinité. Dans le tas, d’ailleurs, se trouvait un gros bouquin, dont la couverture était à ce moment-là en train de s’enfoncer dans la boue, brouillant ainsi les chances de pouvoir en lire les caractères. Ce livre, c’était l’un des nombreux écrits d’Aegard. L’Haut-Prêtre d’Anür avait une belle bibliographie depuis qu’il était arrivé à ce poste. Celui-ci était l’un de ses préférés, le titre : « Le défi de la foi ». Ce servant de sa propre histoire, le vieux prêtre y retranscrivait ce qu’il l’avait amené à la foi, où plutôt comment la foi était venue à lui. Il y dressait un bilan sans équivoque de la situation religieuse actuelle et comment, dans une période aussi sombre, la foi relevait plus d’un défi que de la facilité. Le vieil homme n’était pas du genre à se vanter était devenu un véritable guide pour les apprentis prêtres attirait par le culte d’Anür.

« Tu crèveras vieux péquenot ». Ces mots raisonnèrent dans l’esprit d’Aegard. Il était difficile pour cet homme de comprendre qu’une personne pouvait vouloir tellement de mal à un autre être humain. Il était pourtant si simple de donner. Parfois, le vieux prêtre s’interrogeait sur sa propre existence, peut être qu’il voyait l’humanité comme il voulait la voir et non pas comme elle était réellement. Cette pensée lui donnait des frissons. Sa mission, en ce monde, était celle d’apporter au plus haut la parole d’Anür et le Culte de la Trinité. Ainsi, il ne devait pas descendre au niveau des plus bas des Hommes, mais bien les faire monter au plus haut divin. Quelque part sa mission était aussi d’apporter à cette pècheresse un semblant de parole divine. Une épreuve à elle seule.

Quémandant sa flèche, la rage de celle qui portait une peau de cerf semblait avoir disparu de ses yeux. Nul doute qu’elle devait encore en cacher dans son cœur. Aegard continuait à maintenir son bâton en position d’attaque et à observer celle qui lui faisait face. Il remarqua qu’elle cherchait à savoir plus sur l’amulette de Serus, maintenant à terre. Celle-ci n’avait rien de spécial. Ce n’était qu’un instrument de prière comme il y en avait beaucoup au Temple. Rien de distinctif ne pouvait y être inscrit, même Aegard n’avait aucune idée des intentions de la jeune femme.

Dégageant l’une de ses mains de son bâton, il attrapa d’un geste brusque la flèche toujours figée dans sa hanche. D’un geste brusque, il craqua le bois de celle-ci de sorte à la couper en deux. La partie la plus longue resta dans sa main alors qu’une plus courte, comprenant le carreau, resta dans sa chair. Le Creuse-Tombe n’avait qu’une connaissance rudimentaire de la chose médicale, mais il savait que s’il retirait la flèche complètement, la blessure n’allait que trop saigner l’empêchant ainsi de se défendre convenablement (ou, à défaut du convenablement, se défendre tout court).

Cachant derrière un visage impassible une forte douleur, il jeta le morceau de flèche au pied de l’inconnue, encore un défi, encore une manière de dire qu’il ne se lancerait pas faire. La douleur, toujours aussi forte, n’était surmontable que grâce à sa forte corpulence et à ses muscles venus d’un temps passé. Remontant sa main vide sur son bâton, il plongea son regard dans celui de son adversaire. Déterminé, nul ne pouvait vaincre la foi d’un Haut-Prêtre d’Anür.
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MessageSujet: Re: Le vieux schnock et la pâle Opale.   Le vieux schnock et la pâle Opale. EmptyVen 6 Mai 2016 - 22:27
Il se méprenait. Je n’avais pas accusé le monde d’être responsable de ce que j’étais, encore moins des conséquences de mes actes. J’avais toujours assumé tout ce que j’avais commis. Je n’avais simplement pas une vision aussi biaisée, aussi manichéenne que lui sur ce qui était bon ou pas bon dans ce monde. Un homme aveuglé par sa foi au point de même refuser la dure réalité de la vie n’était pour moi qu’un ahuri, un idéaliste. J’avais évolué dans un monde dur et rude : j’étais devenue rude et dure. Nous ne naissions pas tous avec une cuillère en argent dans la bouche, et il était niais de croire que toute personne pouvait s’en sortir dans ce monde. Mais même toutes ces considérations, j’en avais rien à foutre. Je n’avais pas à me justifier, encore moins à essayer de trouver des raisons derrières mes actes. J’étais trop mauvaise pour lui ? Inhumaine ? Et alors ? Il pouvait me voir comme la pire des sorcières, le pire rebut de l’humanité, ça glissait sur moi. Je m’en cagnais. Il pensait me faire changer de vie, peut-être ? Je vivais depuis des mois ainsi, voire des années. Les derniers mois étaient juste devenus plus extrêmes, plus dangereux, avec la Fange. Il avait fallu s’adapter, et j’avais même réussi avec brio, contrairement à la plupart des bannis qui n’étaient que des condamnés à mort déguisés. Combien d’autres pouvaient s’en targuer ?

- Ce que je fais ne sont des maux que selon tes étroites pupilles. Je ricanai, mesquine, face à la suite de ses paroles. Si tu n’as pas peur de la mort, alors, c’est que tu n’es pas humain. Qui peut se vanter d’une telle chose ?

Les conneries de sagesse d’esprit, c’était clairement pas mon truc. Face au sang, aux tripes, dans l’urgence d’une action où la vie se mêlait étroitement à la mort, même le plus fervent philosophe perdait ses moyens. J’en avais vu des tas. De gros costauds qui se vantaient de leur force d’esprit, des anciens soi-disant élevés au rang d’élus. Ils avaient tous fini par tressaillir face à la mort, par hurler, supplier, pleurer, tentant de s’enfuir comme des lapins apeurés. L’on ne montrait sa vraie nature que dans des situations particulières, et se connaître soi-même était difficile. Aussi, un p’tit vieux qui m’assurait que les mordeurs ne lui faisaient pas peur, cela me faisait doucement rire.

Si tu accordes si peu d’importance à ta vie, pourquoi tu me fais chier avec tes morales. C’est pas le plan d’Anür, ça aussi, que je te vole ?

Puis il fit quelque chose qui ne me plut pas du tout. Il brisa ma flèche en deux. Cette provocation, d’ordinaire, aurait envoyé l’audacieux tout droit rendre visite à Anür. Je ne supportais pas que l’on me provoque, et surtout je tenais à mes flèches, rares et précieuses. Ah ça se prenait pour quelque chose, hein, mais ça riait moins quand je plantais mon poignard dans la chair de leur gorge. L’intérêt pour ce riche de la cité qui m’avait empêchée de le laisser là commençait à doucement tomber dans une simple volonté d’en finir avec lui. Le soleil commençait à décliner dans le ciel, et j’avais pris énormément de retard pour rejoindre les autres au camp. Il me cassait sévèrement les couilles.

Les dieux sont parfois ironiques, pourtant. Ils le furent ce jour-là. Un craquement puis un bruit sourd s’éleva un peu plus loin, me faisant dresser l’oreille brusquement. Le vieux devint carrément secondaire à mes yeux, alors que je guettais soudain un danger autre qui pouvait nous menacer. Cherchant des yeux le responsable du bruit, j’avais doucement ressorti mon arc, en silence. Puis un autre coup s’éleva, plus fort cette fois-ci, et mon arc pivota pour tenir en joug les lourdes portes de la ferme. Ces dernières venaient de trembler. Le dérangement provenait de là. Alors que nous pensions être seuls dans cette ferme abandonnée, il semblait qu’un visiteur indésirable était présent. Et ça butait fort contre la porte. Nul doute pour moi, si la chose – ou les choses ? – qui était à l’intérieur possédait encore de l’intelligence, ça ne foutrait pas un bordel pareil. Nos échanges mouvementés avaient réveillé quelque chose, et un nouveau craquement retentit soudain, perforant les planches de bois. Une main décharnée fut un instant visible, avant de disparaître à nouveau dans les ténèbres du panneau de bois. Puis, l’on vit clairement des yeux brillants, injectés de sang, s’abaisser au niveau de l’ouverture. Ça n’était pas humain. Du moins, ça ne l’était plus.

Restant quelques secondes l’arc levé vers la ferme, je jetai un coup d’œil rapide vers le vieil homme. J’eus un sourire mauvais.

- Toujours pas peur de la mort, vieux croulant ? On dirait que Rikni prend au pied de la lettre les défis qu’on lui envoie.

Je lâchai un ricanement morbide. Les yeux brillants, je me mis alors soudain à courir, écrasant au passage ses manuscrits, les enfonçant un peu plus dans la boue. Le fangeux n’avait pas encore réussi à s’échapper de sa prison fermière, mais ce n’était qu’une question de temps. Je devais me mettre en sécurité. Et, instinctivement, prendre de la hauteur était mon premier réflexe. Fonçant paradoxalement vers le bâtiment fermier, je sautai sur les caisses qui étaient entreposées sur un des murs. J’entrepris de grimper prestement pour me poser sur le toit du bâtiment. De là, je remis mon arc en joug, regardant la scène de haut, sentant l’air trembler sous les coups de force de la bête contre les portes.
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