Intervention divine (PV)

Le monde est en crise. C'est une évidence qui ne surprend plus personne aujourd'hui. Pourtant, il existe encore en ce monde pourri des gens qui ont pour mission de le protéger et de défendre ses habitants. Loin des couardises de la noblesse qui ne se bat que pour elle-même. La personne qui, en ce début de journée, avançait sur le chemin qui menait à Sombrebois en faisait partie. L'homme portait une longue robe typique des prêtres du culte, mais arborait aussi un équipement étrange. Un oeil attentif pouvait remarquer une ceinture d'arme à sa hanche portant une lourde hache ainsi qu'un bouclier. Une lance à la main et sous ses vêtements, une armure complète de maille qui le protégeait. L'homme d'église aux longs cheveux blonds avançait en fixant l'horizon, détaillant de son regard les contours du petit village qui avait subi bien des désagréments dans un passé pas si lointain.

Heureusement, la région aux alentours était plutôt calme et fréquentée par la milice qui assurait une certaine stabilité. Ce qui n'empêchait pas le serviteur de Rikni de rester à l'affut du moindre bruit suspect. Hors des murs de la cité fortifié, il valait mieux être trop prudent que pas assez. C'est ce qui permettait de rester en vie. Ses armes étaient non seulement présentes pour se défendre, que pour dissuader de potentiels bandits de grand chemin de vouloir lui dérober ses biens. Avec le désespoir, beaucoup ne voyaient plus les dieux de bon oeil et certains iraient probablement jusqu'à détrousser un prêtre. Si ce n'était pas malheureux...

Heureusement pour Wellan, le chemin fut plutôt calme et il arriva sans mal jusqu'aux portes du village fortifié. Comme le prêtre s'y attendait, des soldats gardaient l'entrée et il fut arrêté par l'un d'eux. Un vieillard d'une quarantaine d'années qui lui mit sa lance sous la gorge en grommelant.

-Halte! Montre ton bras et ne fais pas de connerie. Et tu viens faire quoi ici ?

Dans un geste las, il appuya sa lance sur son épaule et dégagea ses bras de sa longue robe et de sa maille pour les dévoiler. N'étant pas un banni, ils étaient immaculés. Une fois cette inspection terminée, Wellan poussa légèrement la pointe de la lance sur le côté et dite avec calme.

-Je suis Wellan, prêtre de Rikni, et je viens apporter mon aide à votre communauté. Mais si vous n'avez pas besoin de l'aide divine, je m'en retourne à Marbrume.

Les soldats se jetèrent un regard avant de baisser leurs armes.

-Tu peux passer, mais reste tranquille. Compris? Et ta lance reste ici. Tu la reprendras à ta sortie.

Le prêtre hocha la tête et leur donna l'arme avant de continuer son chemin. Au moins, il n'avait pas été totalement désarmé. Et ils n'avaient pas relevé que Wellan n'avait pas annoncé être envoyé par le temple. Sans doute, de pauvres soldats qui tremblaient en imaginant une nouvelle attaque. De pauvre âme qu'il devait guider vers le courage. Mais ça serait pour une autre fois, pour l'heure il souhaitait rencontrer une personne dans ce petit village. La maîtresse des lieux. Lissant ses cheveux blonds attachés en une queue de cheval, il prit la direction du manoir et s'arrêta devant les portes qui étaient bien évidemment gardées. Inclinant poliment la tête devant les gardes, il se présenta.

-Je suis Wellan Oniarth, prêtre de la déesse Rikni et quatrième enfant du seigneur Théo Oniarth. Je demande audience à la baronne et maîtresse de ses lieux, s'il vous plait.

Les hommes hochèrent la tête sans hésitation et le prêtre fut conduit dans le manoir, plutôt dans ce qui ressemblait à une grande entrée. Là, il fut minutieusement fouillé et on lui retirait toutes ses armes ainsi que son bouclier. Il ne lui restait plus que ses vêtements et son armure. Après lui avoir demandé d'attendre dans la grande salle, l'un des hommes d'armes s'inclina avec respect devant le prêtre et tourna les talons pour aller prévenir sa maîtresse. Wellan profita donc de ce temps pour prendre entre ses doigts le pendentif qui était accroché à sa ceinture. Il adressa une prière à sa déesse, l'implorant de guider ses paroles et de lui donner la sagesse dont il avait besoin.

Intervention divine

Rosen feat Wellan

01 juin 1167
Château de Sombrebois

Athanase pleure, Athanase hurle. Depuis son retour, il paraît que son transit est perturbé. Moi je n’ai rien remarqué étant donné que c’est Pénélope qui le change et s’en occupe à présent, mais cela n’a rien d’étonnant avec le probable lait de chèvre qu’il a ingurgité ces derniers jours… Le changement avec mon lait maternel a probablement été brutal.

Visiblement, il s’agace sur mon sein, le trouve peut-être un peu trop vide à son goût. Mais le lait va revenir… il faut bien qu’il revienne et un peu de patience. Je change de sein, puis rechange à nouveau pour revenir au premier qui semblait mieux lui convenir. Rien n’y fait, mon fils se désespère. Il faudra que j’envisage de lui trouver une autre paire de seins en urgence pour le nourrir si jamais le débit reste si faible.

J’ai réduit le délai entre deux tétées de moitié, voir au quart, pour espérer relancer la production au mieux et lui permettre de compenser en quantité de lait. J’ai du mal à concilier repos, tétées intempestives et tout ce que j’ai à faire à côté mais je fais de mon mieux.

Même si je suis blessée et alitée, le monde ne s’arrête malheureusement pas à côté et je dois continuer moi aussi et faire tourner le bourg. Et ça n’arrête pas une seconde. L’organisation est quelque peu chaotique avec les derniers événements, mais ça devrait rentrer dans l’ordre ces prochaines semaines.

Le temps que je me rétablisse un peu et que j’arrive à optimiser tout ça. Trouver quelqu’un pour me seconder quelques jours afin que je puisse me reposer un peu mieux serait une excellente idée, mais je préfère garder un œil sur ce qu’il se passe. Et puis, beaucoup veulent me parler personnellement. De toute façon, je ne vois même pas qui pourrait endosser ce rôle. C’est compliqué...

Athanase se calme un peu, joue avec ma poitrine. Je caresse ses cheveux en le regardant, mais cette déchirure en moi est toujours là et le vide ressenti est oppressant. Angoissant. Ça va revenir… Je suis juste un peu secouée. Je redoute que ce vide revienne. Qu’il s’installe et ne reparte plus jamais. Au fond, ce ne serait pas plus mal pour moi, que tout redevienne comme avant.

Mais je ne veux pas même si tout tend à m’y pousser.

Mes yeux se ferment doucement, mon bébé s’apaise et se tient tranquille.

Une légère vibration me parcourt, semble faire trembler tout le lit. Il est là, je peux le voir. Je peux voir cette ombre juste en face de moi. Il ne me lâche plus. Je peux sentir toute l’impatience qui l’habite et le son sourd d’un tambour résonne faiblement au loin. Il attend. Puis, soudain, la silhouette emplumée tourne la tête et disparaît doucement.

Je me réveille brusquement, une orbe éthérique parcourt la pièce et je sursaute douloureusement en la regardant fixement. Elle s’estompe de seconde en seconde jusqu’à disparaître.

« Madame, un prêtre demande à vous voir. Il dit s’appeler Wellan Oniarth. »

Je tourne la tête vers la porte, désorientée, elle est ouverte et un milicien s’impatiente lui aussi. Je me demande combien de fois il a tapé et combien de temps il a attendu avant d’ouvrir cette fichue porte sans avoir mon autorisation. Je soupire. Oui, il faudrait bien que je demande à quelqu’un de me remplacer quelques jours.

« Un prêtre ? demandé-je avec étonnement.
- Oui, un prêtre. »

…

Comment lui expliquer que la question était rhétorique et qu’elle demandait surtout des précisions.

« Que veut-il donc ?
- Il souhaite apporter son aide. »

…

Mais qu’il aille donc aider ! Pas besoin de moi pour ça, il y a tellement à faire dans le bourg !

« D’accord, on va monter pour changer un peu.
- Monter ?? interroge le garde surpris.
- Oui, monter ! C’est un prêtre, non ? Alors je vais le recevoir au temple ! »

Définitivement pas une lumière…

« Allez donc me chercher Pénélope. »

Comme il se retourne pour ressortir, Chester lui coupe la route dans un course folle, emet un miaulement étrange, bondit sur le lit, me bondit dessus et resaute sur le sol pour détaler à toute vitesse dans le couloir avant que la porte ne se soit refermée.

« Chester bordel de merdeuuuuuh ! hurlé-je après un cri de douleur comme ce maudit chat m’a sauté sur le ventre au passage. Je vais te faire empailler... maudit chat ! »

Ma voix est redevenue faible après mon hurlement. Je me sens vidée… j’ai l’impression que cet épuisement ne partira jamais.

Le milicien revient peu après avec ma nourrice et m’emmène ensuite comme demandé à l’étage supérieur. Là, assise sur un banc, je me figure que sans dossier je risque de ne pas tenir très longtemps. Je regarde la petite pièce qui semble avoir été épargnée par l’odeur de charogne.

Les souvenirs remontent en surface. Ce n’était peut-être pas une bonne idée de revenir ici de sitôt. Les cris, la terreur, le bruit des lames, l’odeur du sang et du souffre, la folie… Roxanne… Son regard si froid quand sa lame a traversé mon ventre. Le sourire cruel de l’autre cinglée quand elle a compris que je n’étais pas morte.

Je secoue la tête pour chasser toutes ces images. Le prêtre arrive.

« Je vous en prie, prêtre, asseyez-vous, l’invité-je à s’asseoir à côté de moi sur le banc, accompagnant ma parole du geste associé. Je me suis dit que de vous recevoir dans le temple vous serait appréciable. Que puis-je faire pour vous ? »

Je le dévisage avec fatigue. Je suis rapidement interpelée par sa tenue et son apparence qui dénotent quelque peu. De longs cheveux blonds et fins, des traits du visage tout aussi fins et... une armure. Au premier coup d’œil, j’aurais pu penser avoir affaire à une femme. J’évite de froncer les sourcils, mais la question reste entière : depuis quand les prêtres se promènent-ils en armure ?

Son regard a un quelque chose de dur et d’inflexible qui me met mal à l’aise, me laissant une amère sensation de colère divine venue s’abattre sur moi. J’ai assez du Corbeau qui en a après moi sans que les Trois s’y mettent aussi… s’il vous plaît, laissez moi tranquille…

Wellan resta parfaitement calme, continuant de prier silencieusement la déesse qui guidait chacun de ses pas et lui donnait la force d'avancer, malgré ce monde en crise. Ce n'était pas facile tous les jours de rester droit et loyal. Plus d'une fois, l'idée de jeter au feu sa tunique de prêtre et d'attraper une épée pour jouer les assassins lui avait traversé l'esprit. Cependant, la foi était bien trop ancrée dans son âme pour qu'il puisse quitter le clergé qui l'avait si longtemps accompagné. Sans doute aurait-il pu jouer du nom de sa famille pour réclamer un titre de chevalier. Mais la noblesse d'aujourd'hui n'avait de noble que le nom. Elle n'avait plus de terre, plus d'armées et aucune richesse. Les rares nobles possédant des terres étaient donc les derniers représentants d'une caste peut-être destinés à mourir. Cependant, ce n'était pas à lui d'en juger et il continuerait à se plier aux conventions. Car c'était la volonté des dieux. Et qu'apporter plus de désordre en ce monde était une idée grotesque. Il y avait suffisamment de fou furieux et de profiteur à Marbrume.

Après plusieurs longues minutes d'attente, l'un des gardes s'arrêta près de lui et sembla hésiter à déranger le prêtre dans sa méditation. Cependant, son sens du devoir lui dicta tout de même de tousser légèrement. Wellan ouvrit les yeux, de la couleur de l'océan, et les tourna sur le garde qui annonça, d'une voix forte.

-La baronne vous recevra dans le temple de sa demeure. Nous allons vous guider.

Le prêtre hocha la tête et suivit docilement le garde qui continuait de lui jeter des regards suspicieux. Un prêtre en armure venue voir la baronne. Ce n'était pas banal. Mais il était déjà connu à Marbrume pour son comportement souvent qualifié d'excentrique. Ça ne ferait donc aucune différence si la rumeur venait à se propager. Mais finalement, le jeune garde demanda d'une voix hésitante.

-Mon père... Puis-je vous demander pourquoi vous portez un équipement digne d'un mercenaire?

Le prêtre sourit légèrement et tourna son regard sur la tapisserie qui recouvrait les murs de la très belle maison. Malgré ce qu'elle avait traversé, elle restait magnifique.

-Car nous traversons une sombre époque, mon enfant. Si bien que même les hommes de la trinité doivent s'attendre aux pires sur la route.

Inutile d'en dire plus à un simple soldat. Ses projets devaient rester un secret pour l'instant et n'être dévoilés qu'à des personnes de confiance susceptible de l'aider. Il s'arrêta finalement devant la porte du temple et entra. Le temple était un bel endroit. Il semblait avoir été épargné par les terribles évènements qui étaient survenus peu de temps plus tôt. Peut-être protégé par la trinité, qui sait. Son regard se porta ensuite sur la baronne. On disait d'elle qu'elle était magnifique, une rose aux épines affutée. Et si la jeune femme devant lui avait une certaine beauté, elle semblait usée. Son regard était vide et fatigué. De profonds cernes marquaient son regard et elle semblait peinée à tenir sur son siège. C'était un spectacle désolant. Le prêtre se tourna vers le garde et annonça.

-Merci, tu peux nous laisser.

Le garde sembla hésiter, mais le regard pénétrant du prêtre ainsi que le pendentif de Rikni à sa ceinture finirent par le convaincre. La déesse de la guerre et ses prêtres étaient heureusement les plus respectés des soldats. Il hocha la tête et quitta donc le temple, laissant seul la baronne et le prêtre. L'homme de foi accepta l'invitation de Rosen et prit place sur le siège, faisant cliqueter sa lourde cotte de maille. Il fut légèrement surpris de sa question, mais répondit d'une voix apaisante qui tranchait avec son regard inquisiteur.

-Je vous remercie de cet accueil. Cependant, c'est plutôt moi qui devrais vous poser la question, baronne. Vous semblez exténué.

Il laissa son regard courir sur les statues des divinités et laissa ainsi la chance à la baronne de répondre à cette constatation qu'il venait de faire. Même un aveugle aurait remarqué qu'elle tombait de fatigue. Et cette souffrance qui brillait aux fonds de ses pupilles émeraude... C'est le genre de regard qui aurait sans doute déchiré le prêtre, voilà bien longtemps maintenant. Aujourd'hui, il le voyait si souvent qu'il en était devenu insensible. La souffrance d'avoir tout perdu et de survivre malgré tout. Il soupira légèrement et continua.

-Je suis venue prêter assistance à la reconstruction de sombrebois. Mais avant d'aller prêter main forte, je voulais venir vous voir. Après tout ce qui s'est passé... Et vue votre état, j'ai bien fait de venir vous voir. Je crois que c'est vous qui avez besoin d'aide, bien plus que cette ville.

Finalement, son regard bleuté se tourna lentement pour rencontrer celui de la jeune femme, plongeant dans le sien comme s'il pouvait lire dans son esprit.

-Puis-je faire quoi que ce soit pour apaiser votre âme, baronne?

Il pencha légèrement la tête sur le côté, continuant d'observer la baronne alors qu'une mèche de ses cheveux blonds glissait et venait cacher légèrement son visage. Il ne voyait pas le titre de cette dernière, en fait actuellement il s'en fichait. Il voyait une femme, une humaine, qui semblait épuisée et détruite de l'intérieur. C'était son devoir de prêtre, non, d'être humain ayant un coeur et une âme, de lui tendre la main. Libre à elle de refuser, mais il aurait au moins essayé.

Intervention divine

Rosen feat Wellan

Les paroles du prêtre me laissent presque sans voix. M’aider, moi ? Je pense que la surprise est aisément visible sur mon visage. Que pourrait-il seulement faire pour moi ?

« De l’aide... ? répété-je. C’est très aimable de votre part. »

J’ai du mal à déglutir. Non, il est évident qu’il ne pourra rien faire. La seule personne qui peut faire quelque chose, c’est moi même. Je me suis tendue lorsqu’il m’a proposé son soutien, prête à dégainer ma dague au moindre geste suspect. Mais il n’y en a pas eu.

« Mais je ne vois pas vraiment quelle aide vous pourriez m’apporter. Je veux dire… aider à la reconstruction du bourg est déjà quelque chose d’inestimable et vous avez toute ma gratitude pour ça. »

Je lui souris, essayant de masquer tant bien que mal le malaise qui tend à s’intensifier. Oh oui, je le vois bien venir, à essayer de me soutirer une confession.

« Mais je ne peux pas me permettre de me laisser aller et de me plaindre. J’essaie juste de me focaliser sur le positif. C’est sûrement comme ça que je pourrai avancer et je suis aujourd’hui réconfortée. Mon fils a été retrouvé, la Couronne m’offre des réparations gracieusement… c’est le principal. »

Que dire de plus ? Je ne pourrais jamais me permettre de me confier sur mes déboires, c’est un fait. J’ai commis bien trop de pêchés qui me conduiraient directement sur le bûcher, et je pourrais bien prochainement en réitérer d’autres.

Je laisse mon regard errer dans la pièce, me perdant dans tous ces souvenirs angoissants.

L’avenir est tellement effrayant...

Le prêtre continuait d'observer Rosen qui semblait incrédule devant ses paroles. Elle tirait une de ses têtes... On aurait presque dit que Wellan venait de la gifler. C'était sans doute la première fois depuis longtemps qu'on lui offrait de l'aide. Enfin, sans arrière-pensée. Oh, Wellan connaissant la réputation de la baronne de Sombrebois. Une réputation presque aussi poétique que le nom du domaine qu'elle gouvernait, maintenant que son mari était mort. Mais qui, dans cette vie mortelle, n'avait jamais rien fait de mal? Quelqu'un en ce monde pouvait-il vraiment prétendre avoir toujours avancé dans la vertu et la lumière? Même les dieux étaient imparfaits un en sens, alors les hommes le sont tout autant.

Les paroles de la baronne étaient somme toute logiques. Mais Wellan pouvait voir le malaise et la tension s'installer dans son regard, comme si elle craignait quelque chose. Des années à côtoyer les pires crapules pour les entendre se confesser l'avaient doté d'un excellent sens de l'observation. Finalement, alors que la jeune femme laissait son regard errer dans la pièce, le prêtre soupira longuement et reprit la parole en reportant son visage sur les statues.

-Qu'elle aide pourrait-je vous apportez? Hum. Voilà une bonne question à laquelle vous êtes la seule à pouvoir répondre. Aider à reconstruire vos terres et à les défendre, c'est déjà dans mes projets. Ce qui m'inquiète un peu plus, c'est de voir l'angoisse, la peur et la déprime assombrir le coeur de quelqu'un. C'est une époque trouble, mais ce n'est pas une raison pour oublier que nos sommes des êtres humains, avec des sentiments, qui avons parfois besoin de l'aide des autres. N'êtes-vous pas d'accord?

D'un geste parfaitement calculé, il glissa une main sur la longue chaine de Rikni accroché à sa ceinture d'arme et tira sur cette dernière, la libérant. Maintenant entre ses doigts, il observa le pendentif divin et le leva en l'air, devant ses yeux.

-Ce qui est arrivé ici... Certains de mes confrères vous diront que c'est un châtiment divin pour un crime que vous auriez commis, vous ou quelqu'un d'autre. C'est leurs phrases préférées ça. Le châtiment divin. Ils expliquent tout comme ça. Comme si les dieux s'amusaient à ce genre de chose.

Finalement, il jeta nonchalamment le pendentif en l'air et l'observa faire plusieurs tours sur lui-même avant de le rattraper.

-Oui, votre fils est vivant et la couronne va payer les réparations. C'est une bonne nouvelle. Mais il y a tout de même quelque chose qui vous préoccupe. Je me trompe? Oh bien sûr, vous n'êtes pas obligé de me répondre. Et si vous le souhaitez, je puis partir. De toute façon, je vais rester quelque temps à Sombrebois. Probablement durant la reconstruction et après pour aider à sa défense et à aider les habitants.

Il lui offrit un sourire, le pendentif de la déesse toujours entre ses doigts. Wellan avait été honnête. Pour l'heure, il ne cherchait rien d'elle et quitterait les lieux si sa présence n'était plus désirée. Parfois, une simple corde ainsi tendue pouvait agir plusieurs jours après.

Intervention divine

Rosen feat Wellan

Des êtres avec des sentiments…
Mais tous les êtres en sont-ils dotés ? Bien sûr que non. Ils peuvent venir parfois, au cours de l’existence de ces personnes qui en ont été dépourvues. Et après ? Certaines ne les connaîtront jamais. C’est un fait.

Je regarde le prêtre jouer avec son médaillon. Un médaillon de Rikni. Ce n’est donc pas un prêtre généralisé des Trois, mais concentré sur notre déesse de la guerre et des épreuves. Il explique que beaucoup de ses confrères diraient que ce qu’a subit Sombrebois serait un châtiment, mais que ce n’est pas son avis. S’il savait… S’il savait !

Il finit par ranger son pendentif que après l’avoir jeté en l’air, comme s’il venait de jouer à pile ou face.

« Vous pouvez rester, loin de moi l’audace et l’ingratitude de vous chasser, lui dis-je dans un sourire. Vous pouvez même rester à Sombrebois aussi longtemps qu’il vous plaira. Mais concernant l’humanité… vous seriez peut-être surpris de savoir que bien des gens n’éprouvent pas de sentiments. Bien peu d’émotions aussi, si ce n’est qu’un amusement macabre. Et ceux du clergé qui pensent punition divine, ils n’ont sans doute pas torts. Vous savez, dans ma vie, j’ai retrouvé à l’identique tout le mal et les tourments que j’ai pu infliger aux autres. Je ne me fais pas d’illusions… la Trinité ne me déroulera pas le tapis rouge quand mon heure sera venue. »

Non… elle m’expédiera tout droit aux fins fonds des marais rejoindre Etiol. Évidemment.

« Cela va peut-être vous surprendre, mais la plupart des membres du clergé que j’ai croisé ne sont pas de l’avis du châtiment divin. Plutôt d’épreuves nécessaires. »

Après je ne m’attarde pas sur ce genre de sujets, alors j’imagine ne pas être des plus claires. Je ne sais pas tellement comment m’exprimer sur le sujet. La religion n’a jamais été mon truc...

« Beaucoup de choses me préoccupent... mais n’est-ce pas normal ? J’ai tout un bourg à ma charge. Des gens perdus qui comptent sur moi. Et… moi… »

La phrase reste en suspend. Je me rends compte que je suis nerveuse, mes doigts crispés formant des plis qu’ils saisissent dans mes jupons.

« Je ne suis pas la hauteur. Il y a comme un fossé entre moi et le monde… j’essaie de faire au mieux, mais ma destiné… je ne crois pas qu’elle soit là. »

Je suis en train de trop parler. Ça devient dangereux…

Wellan rattrapa une dernière fois le médaillon de sa déesse avant de reporter son attention sur la jeune veuve assise à ses côtés. Une femme portant les stigmates d'une longue traversée difficile des derniers mois. Le prêtre ne pouvait qu'imaginer ce qu'elle avait traversé. Cependant, elle commença par le détromper. Elle n'avait aucune intention de le chasser et sa présence à Sombrebois était plus que la bienvenue. C'était une bonne chose qu'elle le voit ainsi. Par contre, le reste de sa phrase accentua le froncement de ses sourcils au-dessus de son nez. Voilà non seulement une vision bien pessimiste du monde et des humains, mais aussi de sa propre personne. Il existait des êtres mesquins et cruels dans ce monde. Mais jamais Wellan n'avait croisé la route d'une personne dépourvue de sentiment positif. C'était un cadeau des dieux que même le pire assassin pouvait ressentir. Commettre des monstruosités ne transformait pas les gens en monstre. Ils restaient des êtres humains, pour le meilleur et pour le pire. Son regard bleuté toujours tourné sur la baronne, il commenta.

-Voilà une vision bien pessimiste du monde et de votre propre personne. Je ne sais pas ce que vous avez commis dans le passé. Mais vous êtes encore jeune et jusqu'à la fin de votre vie, vous pourrez racheter votre âme. La trinité juge notre âme sur l'ensemble de nos actions. Pas sur les débuts d'une vie parfois difficile. Vous avez encore la vie devant vous, alors laissez-vous une chance. Votre âme n'est certainement pas à ce point obscurcie, qu'elle ne peut être sauvée.

Le léger sourire du prêtre restait maintenant affiché sur son visage presque parfait. Il serait très heureux de pouvoir jeter un peu de lumière sur l'âme de la baronne qui semblait en avoir besoin. Il écouta donc avec attention la suite de ses paroles. La dernière phrase le poussa à poser délicatement une main sur son épaule. Non pas pour l'attaquer ou avec une idée déplacée en tête. Simplement pour lui faire comprendre qu'elle n'était pas forcement seul. Il retira sa main de l'épaule de Rosen et commenta d'une voix apaisante.

-Mais vous êtes entouré de gens qui peuvent vous assister. Admettre de ne pas être à la hauteur d'une tâche n'est pas un mal en soi. Il faut simplement savoir s'entourer de bonne personne. Quant à votre destin... Et bien, nous sommes seuls maîtres de notre destin. Rien n'est définitivement tracé et il ne tient qu'à vous de trouver votre vois. Les gens de Sombrebois ont besoin de vous. De votre force. Mais vous n'êtes pas obligé d'avance seul. N'avez-vous donc personne dans votre entourage pour supporter avec vous cette lourde charge?

Question idiote et le prêtre regretta de l'avoir posé. Son mari, bien évidemment. Celui-là même qui était mort. Pas étonnant qu'elle soit aussi perturbée. Malgré tout, il demanda avec une infinie douceur cette fois.

-Et pourquoi croyez-vous ne pas être à la hauteur?

Intervention divine

Rosen feat Wellan

Pour sûr, il ne sait pas ce que j’ai pu faire et il est sans doute loin de l’imaginer. L’habit ne pas le prêtre, n’est-ce pas ? Son regard s’obscurcit et j’appréhende déjà que ça ne finisse comme toutes ces discussions stériles du même genre que j’ai pu avoir. A l’écouter, ça semble si facile…

Comment lui dire que cela ne dépend pas moi. Comment lui parler de mes convictions sans risquer de finir sur un bûcher. Je n’y songe même pas. A ma grande surprise, le prêtre se permet de poser sa main sur mon épaule et c’est en essayant de ne pas paraître trop tendue que je suis poursuis.

« J’ai changé, quelque part. »

Est-ce seulement vrai ? Au fond de moi, je sais que ma noirceur persiste.

« Mais pas totalement, j’imagine. On ne peut pas changer sa nature… »

Cette discussion devient grotesque et m’angoisse. Dans quoi suis-je donc encore en train de me laisser embarquer… j’ai essayé de l’esquiver comme j’ai pu, mais je me suis laissée prendre en plein dedans.

« Des gens pour m’assister ? lui demandé-je quand il me pose la question. La prêtresse qui m’assistait dans la gestion de la finance est morte dans l’attaque et mon capitaine a disparu, probablement mort dans les marais en essayant de mettre une comtesse à l’abri. Il y a bien des gens qui sont arrivés au fort depuis, mais il me paraît peu recommandé de me faire assister par n’importe qui, personne de confiance ou pas. »

Il faut une personne qui a un minimum d’autorité, c’est évident.

« L’organisation est un peu chamboulée, mais ça va rentrer dans l’ordre rapidement, prétexté-je sans trop savoir si c’était vrai ou pas. »

Pourquoi je pense que je ne suis pas à la hauteur ? Quelle question !

« Voyons… vous savez bien… Vous voyez bien que c’est une catastrophe. Tout le monde se rit de moi et je n’ai de cesse que de faire des faux pas. »

Je pense que la conversation devrait s’arrêter là. Il n’y a rien que nous puissions dire qui pourra changer quoi ce soit. Je lui souris alors à mon tour.

« Ne vous inquiétez pas tant pour moi. Je fais de mon mieux, et j’ai toute la force nécessaire pour prendre soin de ce bourg. Je ne laisserai pas le doute m’empêcher de mener mon rôle à bien. Avec le temps, je suis sûre que tout ira mieux. »

Pourvu qu’il se contente de cette conclusion… J’en ai assez de ce sujet.

« Et sinon, pourriez-vous me parler un peu de vous ? Comment en êtes-vous venu à rejoindre le clergé ? »

Wellan continuait d'écouter les quelques paroles que la baronne voulait bien lui livrer, heureux de voir qu'elle acceptait de lui parler de ses angoisses, même si c'était à demi-mot. Parfois, le simple fait de parler et de se vider le coeur pouvait aider une personne à se sentir plus légère. Cependant, en écoutant bien la jeune femme parler, il était évident que le prêtre s'était trompé sur une chose. Elle semblait bien seule. Entouré de soldat, certes, mais sans personne pour l'aider dans ses décisions. Elle portait le poids du bourg sur ses épaules et ce n'était quelque chose de facile pour personne, surtout par elle vue sa situation. Puis, un sourire se dessina sur les lèvres du prêtre.

-Détrompez-vous. On peut tous changer. Pour le meilleur... Comme pour le pire...

En prononça cette phrase, son regard s'était porté sur ses propres mains. Des mains qui étaient maintenant tachées de sang. Lui qui n'inspirait qu'à se reposer et à aider les paysans de son petit village. Il n'avait jamais voulu prendre les armes, il n'avait jamais voulu vivre tout ça. Est-ce qu'il avait changé? Certainement. En bien ou en mal? Seul l'avenir pouvait le dire, mais parfois celui qu'il était devenu l'effrayait. Tournant légèrement sa main, il observa les cicatrices blanchâtres sur ses jointures, signe qu'il s'était souvent battu dans le passé. Oui... Il avait changé. Reportant son regard sur les émeraudes de Rosen, il ajouta.

-Non, je ne vois rien. Enfin, je vois une jeune femme qui fut secouée par les évènements et qui essaye de faire de son mieux. Je n'écoute pas les rumeurs, je préfère constater par moi-même. Les gens ont souvent la langue bien pendue pour parler des autres, alors qu'ils devraient souvent se concentrer sur leurs propres personnes. Je suis certains que vous trouverez des gens à la hauteur et qui seront de confiance.

Puis, elle changea de sujet, visiblement nerveuse. Wellan l'avait poussé à parler bien plus qu'elle ne l'aurait sans doute voulu, mais c'était maintenant fini. Et le prêtre devait respecter son choix de ne pas s'étendre. Surtout avec un inconnu. Il préféra donc parler de lui.

-Vous parlez de moi... Hum... Que dire...

Il appuya son dos contre le dossier du banc de bois et leva son regard en direction du plafond, exposant sa gorge sans défense à la baronne.

-Je suis devenue prêtre par obligation. Je suis né noble, dans la famille Oniarth. On avait une petite seigneurie sur le bord de la mer à quelques semaines de marche d'ici. Étant le dernier enfant de ma famille j'ai été envoyé au temple et... me voilà. J'ai comme je puis et je me tiens en forme en continuant de pratiquer l'escrime, comme mes ancêtres avant moi. Ça doit bien faire 2 ans que je suis à Marbrume. Depuis que mon village a été massacré par la fangue et que j'en fus le seul survivant.

Son ton était léger, malgré ses paroles. Il avait fait la paix avec son passé, même s'il continuait de porter la croix de ses erreurs.

-Il est important pour l'humanité de reprendre des places fortes. C'est pourquoi votre bourg m'intéresse autant. Peut-être pourrais-je trouver des gens qui partagent mes convictions. Qui sait. Et puis comme vous l'avez dit, un peu d'aide ne vous sera pas de refus.

Il se remit à sourire légèrement en s'arrêtant là. Ne sachant pas s'il pouvait avoir confiance en la baronne pour l'instant, ses projets restaient secrets.

Intervention divine

Rosen feat Wellan

Oh, bien sûr que l’on peut tous changer. Mais certains ne s’amélioreront jamais en bien. Je remets en place, derrière mon oreille, une mèche qui a glissé sur ma joue il y a quelques secondes. N’est-il pas rare de voir des gens qui ne jugent pas directement en suivant le mouvement ? Sans doute, et c’est à nouveau une mine quelque peu surprise que j’affiche dans un sourire.

« J’en suis certaine aussi », ai-je donc clôturé le sujet lorsqu’il me dit qu’il est certain que je trouverai de l’aide pour la gestion du bourg.

Je l’écoute ensuite me parler de lui comme je lui l’ai demandé. Entendre qu’il est noble ne me surprend guère, cela se voit dans sa manière de s’exprimer et sa gestuelle. Partant de là, on se doute bien qu’il s’agissait d’une obligation car il n’est pas un héritier.

A dire vrai, j’ai dû poser ma question à l’envers et il faudrait que je la reformule. Mais le temps que j’y songe, il continue à parler et c’est une énième fois la surprise qui me saisit, même si cette fois je ne le montre pas tant que ça.

« Sombrebois vous intéresse ? questionné-je en me grattant distraitement les rougeurs saignantes qui parcourent le haut de ma poitrine. Que voulez-vous dire par là ? »

Sans doute veut-il dire qu’il vient porter son aide car il est important pour la survie de l’humanité d’avoir des lieux de vie. Mais je ne sais pas, sa formulation me paraît tout de même étrange.

« Des convictions… à quel propos exactement ? »

Ah, je fatigue… c’est épouvantable. J’espère ne pas devoir écourter la conversation de façon abrupte. Je n’aimerais pas défaillir… mais il faut que je comprenne de quoi il parle concrètement.

« Je vous prie de m’excuser, j’ai un peu de mal à me concentrer avec la fatigue… »

Je me repositionne, passe la main sur mon visage moite. Je tousse un peu avant de reporter mon attention sur lui.

Le sourire de Wellan fondit comme la neige au soleil lorsqu'elle lui demanda de s'exprimer plus clairement sur ses convictions. Son regard se tourna lentement vers elle, son regard bleuté plus pénétrant que jamais. Pouvait-il être honnête avec elle? Sans doute pouvait-elle l'aider dans son projet. Mais de l'autre côté, elle pouvait aussi lui enfoncer un poignard entre les omoplates et pousser ses confrères à le bannir de l'ordre et de la ville de Marbrume. Mais au fond, il devait bien commencer quelque part. Et si elle devait le trahir, il pouvait toujours prétendre un mensonge pour une raison ou une autre. Wellan avait une réputation plutôt bonne contrairement à la baronne, donc ça ne serait pas trop dur. Il se leva lentement et avança devant les statues des dieux.

-Mes convictions? Oui. Vous avez été honnête avec moi. Alors je me dois bien de l'être avec vous, Rosen. Mais ça restera entre nous. Sans quoi, il y aurait des conséquences fâcheuses. Et je n'y tiens pas spécialement.

Soudainement, le titre de baronne s'était envolé et il s'était contenté de son prénom. Continuant d'avancer dans la pièce il ne remarqua pas la soudaine faiblesse qui semblait habiter la jeune noble. Il continua donc sur sa lancée, son regard devenant plus sombre et sa voix plus grave.

-Le temple est devenu inutile. Un repaire de vieillards qui s'accroche à des idées passées qui n'ont plus leurs places dans ce monde. La décadence règne dans ce soi-disant lieu saint et nous laissons des innocents mourir sans lever le petit doigt, sous prétexte que c'est la volonté des dieux. Au nom de Rikni, de la trinité et de l'humanité que nous devons nous aussi, qui avons choisi la voix des dieux, prendre les armes et repousser la fange et défendre l'humanité. Et par dessus tout. Il est temps d'arrêter de brûler ce que nous ne comprenons pas ou n'acceptons pas. Nous devons tous collaborer, sans quoi nous sommes perdus.

Il caressa distraitement le collier de Rikni, de nouveau accroché à sa ceinture d'arme, et tourna lentement son regard vers la baronne.

-Alors oui, Sombrebois m'intéresse beaucoup. Car c'est une place forte qui a plus que tout besoin d'une nouvelle force capable de la défendre. Plus fiable et entrainé que les miliciens. Mais c'est le cas de toutes les places fortes encore tenues par l'humanité. Et ce genre d'idée n'est pas très bien vue par notre bon roi qui a peur d'être renversé.

Ses dernières paroles étaient amères. Visiblement, la haute noblesse de Marbrume ne lui inspirait pas beaucoup de sympathie. Il reprit un visage plus amical et sourit.

-Bien sûr, je compte sur vous pour que cette conversation ne quitte pas les murs de ce temple. Je pourrais toujours prétendre que vous dites n'importe quoi, mais quelle perte de temps ça serait. Alors que nous pourrions nous entraider dans l'avenir.

Ce ne fut qu'à ce moment qu'il remarqua l'état de la baronne. La pauvre, elle semblait sur le point de perdre connaissance devant lui. Décrochant une gourde d'eau qui était accrochée à sa ceinture, il s'agenouilla devant la jeune femme et lui tendit la gourde remplie d'eau.

-Buvez un peu. Ça vous fera du bien.

Elle aurait surtout besoin de repos et de voir un médecin. Mais pour l'heure, il ne pouvait pas faire beaucoup plus pour l'aider à rester consciente.

Intervention divine

Rosen feat Wellan

Il y a quelque chose de réellement préoccupant qui passe sur le visage de l’homme de foi. Il ne sourit plus, et je peux même dire que son regard devient quelque peu menaçant. Il se lève alors pour faire quelques pas en répondant à mes questions, estimant que j’ai été honnête avec lui.

Je me demande bien comment il peut en être si sûr. S’il savait… s’il savait à quel point les omissions peuvent être pire que le mensonge, des fois. Il ne tarde pas à me faire une première menace. ‘Des conséquences fâcheuses’ si j’ébruitais ce qu’il s’apprête à me dire.

Mon regard devient certainement un peu flou, mélange de lutte pour rester en surface et de défiance envers celui qui pourrait peut-être devenir un danger dans un avenir plus ou moins proche.

J’écoute donc ses précisions. Le temple qu’il juge perverti serait-il à ses yeux devenu méprisé des Trois au point qu’il souhaite se créer une armée pour la survie de l’humanité ? J’ai du mal à suivre.

Quel rapport avec Sombrebois ? Mon attention glisse sur ses mots, se perd ici et là alors que c’est précisément le moment où je devrais être des plus attentive. Mais elle revient bien vite lorsque j’entends le mot ‘roi’. Qu’a-t-il ? Que cela ne serait pas bien vu par notre bon roi.

Mazette… Comme si je n’avais pas assez de soucis comme ça, on vient m’en rajouter ! C’est pas possible, c’est encore une conspiration… Il vient alors me proposer de l’eau en s’agenouillant devant moi.

« Ça ira, je vous remercie... refusé-je poliment, mon regard dans le sien quelques secondes. Je vais juste… m’allonger un peu… »

Et joignant le geste à la parole je m’étends sur le banc, faisant une légère grimace de douleur.

« Je ne suis pas sûre d’avoir bien compris vos ambitions pour Sombrebois. »

Oui, il a parlé de défenses, mais après ? L’idée pourrait être des plus satisfaisantes. Me créer ma propre armée, c’est quelque chose qui me trotte depuis quelques temps dans la tête. Mais cela me paraît, pour l’heure, utopique. Il faut trouver beaucoup de volontaires, et surtout, il faut payer tout ce beau monde… du reste, même si l’image qu’il a du roi ne semble pas être des plus amicales, rien ne dit que c’est envers ce dernier qu’il réserverait cette armée. Et il faudrait encore que nos petits soldats.

« Mais si vous saviez de quoi il en retourne… je vous invite à la plus grande prudence.
»

Oh, je me méfie bien plus de la reine que du roi. Reste que je ne porte aucun des deux dans mon cœur.

« Je vous écoute, parlez plus clairement », chuchoté-je pour appeler la discrétion en baissant le ton.

Je ne voudrais pas que quelqu’un dehors nous entende… les gardes ne sont sans doute pas bien loin, dehors.

« Que voudriez-vous faire ici ? Tant d’hommes, il faut pouvoir les payer et je n’ai pas cet argent. Et dans quel but voudriez-vous sur-sécuriser Sombrebois ? Pas que je voudrais paraître imprudente, ou trop sûre de moi, mais je ne pense pas qu’une nouvelle attaque de cette ampleur arrive de sitôt. Quant à la fange, elle est normalement tenue en dehors du bourg assez facilement avec les palissades. »

Mon regard se perd au plafond comme il le fait si souvent ces derniers jours. Non, la couronne ne va pas s’amuser à détruire Sombrebois tous les quatre matins pour financer sa reconstruction dans la foulée.

« Et comme vous le dites si bien, je ne pense pas que cela plaise la couronne. Et la dernière chose que je voudrais actuellement, c’est d’attirer son attention de trop ou de la contrarier. Mais je vous écoute, n’ayez crainte et parlez librement. Cela restera bien entendu entre nous. »

Le prêtre de Rikni était maintenant agenouillé devant la jeune noble qui peinait à rester consciente. Devant cette vision peut rassurante, il essayait de l'aider à son humble niveau. Si comme tous les prêtres il avait des compétences médicales, il n'avait jamais été très doué dans ce domaine. De plus, il ne pouvait certainement pas pousser le vice jusqu'à toucher une baronne de manière inappropriée, même si c'était pour son bien. Il devait donc s'en remettre à son jugement et espérer qu'il ne soit pas incorrect. Elle refusa poliment la gourde d'eau que lui offrait Wellan, prétextant qu'elle devait simplement ce coucher. Avec une certaine douceur, il l'aida à ce coucher sur le bac inconfortable du lieu de culte. Une fois qu'elle fut bien installée, il se mit à la recherche d'un tissu ou d'un coussin qu'il pourrait utiliser. Malheureusement, le temple ne contenait rien de ce genre.

Il revint donc s'agenouiller près de la baronne, plus proche de cette dernière qu'il ne l'avait jamais été durant leurs entrevues. Malgré sa bonne conduite et ses valeurs, il ne put s'empêcher de laisser son regard dérivé l'espace d'une seconde sur le corps de cette dernière. Mais heureusement, il parvint à dompter son esprit qui prenait un peu trop de liberté à son gout et sourit à cette dernière.

-Je n'ai aucune ambition personnelle concernant vos terres, Rosen. Pour l'heure, vous semblez surtout être celle qui souffrez le plus et vos terres également. Je ne cherche ni le pouvoir ni les faveurs. Je défends l'humanité et cherche à éventuellement offrir aux hommes et aux femmes une nouvelle façon de combattre la fange en défendant nos terres. Une façon qui ne serait pas sous les ordres d'une couronne, mais des dieux directement et qui défendrait tous les hommes sans exception.

Sa voix était restée très douce alors que son visage s'était rapproché de Rosen pour lui parler à voix basse.

-Pour l'heure, je ne suis pas venue vous demander quoi que ce soit et je n'ai pas l'intention de provoquer la couronne pour l'instant. Mais pour commencer, je pourrais aider les hommes à cultiver à nouveau la terre autour de Sombrebois. Quand tout sera reconstruit, ça serait sans doute une priorité. De là, le reste viendrait tout seul.

Il fronça très légèrement les sourcils et lui proposa toujours de sa voix douce.

-Puis-je vous proposer de vous reconduire dans votre chambre et de vous examiner? Vous me semblez en bien mauvais état. Je ne voudrais pas que votre état s'aggrave.

Même s'il doutait d'une réponse positive, il essaya tout de même. Après tout, ça ne ferait que lui démontrer par des gestes ses paroles. À savoir qu'il n'était pas venu lui demander quoi que ce soit pour l'heure et aider.

Intervention divine

Rosen feat Wellan

Je crois que je ne suis pas en état de poursuivre la conversation, sûrement pour ça que le prêtre m’a proposé de me ramener dans ma chambre. Pour l’heure, ses propos me paraissent flous, obscurs. Qu’a-t-il donc concrètement en tête ? Je lui ai demandé d’être clair, mais il continue de tenir des propos abscons et risqués. J’ai assez donné avec la couronne et les conneries, je passe mon tour.

« Vous l’avez dit… cela ne plairait pas à la couronne. Pourquoi ne pas faire les choses autrement et d’aller lui exposer votre projet pour qu’elle vous aide à monter vos défenses ? Toutefois, je vous demanderai de ne pas parler de Sombrebois qui est un sujet plus que sensible. Vous feriez mieux d’oublier l'idée d'apporter votre aide à ce bourg. »

Ça serait encore le plus simple. En tournant la tête vers lui pour le regarder, je me suis rendue compte qu’il était un peu trop près. Je me recule donc un peu en le regardant.

« Les terres ne sont pas cultivables. C’est de la tourbe partout… mais ce qu’il serait bien ce serait d’importer de la terre pour pouvoir faire quelques cultures. Mais ce n’est pas la priorité pour l’instant. »

Tellement de choses plus importantes à gérer. Mais je ressens un soulagement lorsqu’il m’informe ne pas avoir l’intention de froisser notre autorité.

« Vous m’en voyez ravie, je pense que c’est une sage décision. »

C’est encore une fois avec surprise que j’écoute sa question. Me ramener dans ma chambre et m’ausculter ? La blessure est sur mon ventre, je dois retirer ma robe pour les soins. C’est un homme… cela me paraît logique que c’est une bien mauvaise idée.

Quant à me ramener… je ne voudrais pas faire faire jaser tous les miliciens du château. C’est un inconnu, ce ne serait pas très bien venue que je me fasse transporter par le premier venu. Je suis la baronne de Sombrebois…

« Ça ira, je vous remercie. Ma prêtresse me prodiguera les soins nécessaire tout à l’heure et un milicien me ramènera, ne vous inquiétez pas. »

« Je vous souhaite une bonne journée prêtre Wellan, un milicien vous raccompagnera à l’entrée. Vous pouvez aller au temple du bourg si vous le souhaitez, vous serez gratuitement nourri et logé en échange de votre aide aux rénovations. Ceci dit, je vous demanderai de faire attention à vos propos. Si quelqu’un vous surprenait à blasphémer, je serais obligée de prendre des dispositions si cela me revenait. Puisse les Trois être indulgents avec vous. »

Le temple qui se fout de la charité ? Certainement. J’essaie de me redresser, mais c’est une mauvaise idée. Alors je pivote sur le côté, ramène un genou contre moi pour me redresser.

« Si vous n’avez rien d’autre à ajouter, je vous laisserai aller chercher le milicien, il ne doit pas être loin. »

Wellan eut un léger sourire avant de hocher la tête aux paroles de la baronne qui semblait avoir bien vite changé de position. Inutile de continuer cette conversation, il avait du travail et la baronne devait se reposer pour récupérer de ses blessures. Le jeune prêtre se leva lentement et lui jeta un dernier regard avant d'incliner très légèrement la tête.

-Merci de votre offre, je l'accepte volontiers. Et ne vous inquiétez pas. Je tâcherais de ne pas faire de vague.

De toute façon, il voulait voir comment les choses allaient avancer. Il était heureux d'avoir rencontré la baronne de Sombrebois. Est-ce que cette conversation allait lui apporter des problèmes? Peut-être, même s'il en doutait. Mais il fallait bien jouer risquer parfois pour espérer gagner. Il lui adressa un dernier regard et dit.

-Prenez soin de vous. On se reverra surement.

Puis, il ouvrit la porte du temple et quitta les lieux. Comme l'avait promis Rosen, un garde l'attendait et il fut escorté jusqu'à la sortie du manoir. On lui rendit son équipement et le jeune prêtre put quitter les lieux pour se diriger vers le temple du petit bourg. Il profiterait du reste de la journée pour se reposer et demain il commencerait les travaux.