Un cube dans le Temple

Le nain claudiquait en long et en large dans la pièce. Quelques touffes blanches dévoraient les derniers poils de barbe qui lui rongeaient son visage ridé.

Il était plus voûté, plus ridé ... Sa voix paraissait plus enrouée et usée ...

Jamais ! ... Jamais elle n'aurait dû ! ...

Il agitait les bras lorsqu'une violente quinte de toux s'empara de lui. Son corps fut prit de tremblements frénétiques alors qu'il s'appuyait contre un mur pour garder son équilibre.

Il a volé mon oeuvre ! ... Tout avait si bien marché !!

La double porte, plus loin sur la droite du post d'observation de la gamine, s'ouvrit. Une jeune femme, à peine vingt ans pénétra en boîtant lentement. Une chemise large et déchirée laissait apercevoir la naissance d'une poitrine ronde. Sa peau, diaphane, faisait ressortir sa crinière flamboyante et ondulée qui cascadait sur ses épaules. Ses grands yeux tristes étaient fixés sur l'horrible nabot qui se redressa en l'apercevant.

Toi ?
Où est-il ... Démon ?

Elle continua à avancer vers l'hendois, les traits crispés en un masque mauvais. Elle haussa le ton en relevant son bras droit, révélant une rapière au trachant crénelé. Elle soufflait, luttant contre un épuisement et les combats qu'elle paraissait avoir traversé pour atteindre cet endroit.

Réponds-moi, espèce d'ordure ! Où est mon frère ?!

Le vieux nabot grotesque se mit à rire, avant d'être pris d'une nouvelle quinte de toux qui manqua de le faire tomber. La jeune femme combla l'espace entre elle et lui, déterminée ... Froide d'assouvir une vengeance qui brillait dans ses yeux. Elle leva sa lame.

Où est Louis ?!!

Elle abattit son bras avant d'obtenir une réponse. Encore ... Encore ... Encore ... L'affreux nabot s'effondra en beuglant tandis que la lame crantée mordait sa chair sans s'arrêter. La jeune femme criait aussi. Libérant une colère et une frustration qui semblait la dévorer depuis des années.

Elle arrêta de faire pleuvoir les coups lorsque sa victime n'était plus qu'un tas de chair sanguinolente, souillant le sol de cette pièce étrange. Le souffle court, elle laissa tomber sa rapière qui tinta sur la pierre avant de poser la main sur ses genoux. Elle haletait. Elle pleurait.

Tout à coup, elle se redressa, dirigeant son regard directement vers la petite espionne, sa voix était bien plus grave que jusque là.

N'aies plus jamais peur des Hommes, petite fille. Il y a de bien plus grand danger.

Elle pointa le plafond sans y jeter un regard. Au centre des voûtes qui s'entremêlaient, stylisé, comme tracé par un calligraphe expert, un "A", gigantesque était gravé. Les murmures revinrent pour se mêler à la voix de cette étrange jeune femme.

Réveille-toi !

L'enfant ne pouvait s'empêcher de regarder le Démon s'agiter. Il était indéniablement plus vieux que dans son souvenir, mais quelle importance, dans cet univers qui n'avait finalement que peu de sens ?

Elle ne comprenait rien à ses paroles sibyllines ; mais elle ne détachait pas ses yeux d'azur du vieil homme, redoutant à chaque seconde de le voir se transformer en chose répugnante, grotesque et monstrueuse. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'une porte s'ouvrit sur une belle jeune femme aux cheveux de feu, dont la mise négligée n'avait d'égal qu'une beauté surprenante, mais aussi familière. En un sens, elle ressemblait à Mélisende, et sa gorge se noua à l'idée que la jeune femme fut également piégée dans cette antre maléfique.

La scène qui se déroula devant les yeux de l'enfant la figea. La mention de Louis lui fit monter les larmes aux yeux, accélérer son coeur éprouvé.

Etais-ce l'antre du démon dans la vie réelle ? Qui était réellement là, sous ses yeux ?

Tant de questions qui tourbillonnaient dans sa tête alors que la rousse massacrait littéralement le vieil homme sous ses yeux, qu'elle lui adressait la parole directement.

Margaux se redressa en tremblotant sur ses jambes vacillantes, sans pouvoir articuler un son pour lui répondre.

Et la vision de la lettre magnifiquement calligraphiée au plafond fut la dernière chose dont elle se souvint avant d'ouvrir grands ses yeux.

Elle ne vit alors qu'un plafond blanc et simple, alors que ses mains agrippaient une bonne couverture de laine, si fort qu'elle en avait des crampes aux doigts.

La fille du Sergent de Piana se redressa d'un bond, se prit les pied dans les draps, heurta le plancher de ses genoux en tombant.
Elle était belle et bien dans sa chambre dans la cellule de prêtre dans lequel on l'avait enfermé ! Vite, le coeur battant la chamade, le souffle désordonné, elle vint explorer le monde extérieur par la serrure, ne parvint qu'à distinguer vaguement le corps d'Hubert, affalé probablement sur un tabouret ; se laissa retomber sur le plancher, livide. Grelottante d'une terreur étrange. En se rongeant un ongle après ce cauchemar terrible, elle poussa un cri étouffé.

Le bout de ses doigts était gris pâle.

Le démon la possédait bel et bien, jusque dans son âme, et elle avait failli être consumée, comme tous ces malheureux avalés, dont elle n'oublierait jamais la peau fripée et scarifiée.

34. 34. La Malheureuse sacrifiée. A. Le repère du Démon.