(Quête) Aide à la reconstruction (PV)

Après sa rencontre intéressante avec la Baronne des lieux, le jeune prêtre choisit d'accepter son offre et avait dirigé ses pas vers le temple de Sombrebois. Retirant tout son équipement, il avait pris une chambre modeste dans le bâtiment de pierre et c'était laissé emporté par les songes. Il allait abandonner ses projets pendant quelque temps pour aider à la reconstruction du bourg de Sombrebois. Ensuite, sans doute allait-il rentrer à Marbrume pour continuer son humble travail de prêtre. Un léger sourire fleurit sur ses lèvres alors que son regard était posé sur le plafond de sa chambre. Il jouait avec le feu, il le savait. Mais étant seul au monde et n'ayant plus rien à perdre, il s'en fichait un peu. S'il devait mourir, son âme irait rejoindre les dieux ou il reverrait sa famille. Donc au final, ce n'était peut-être pas une si mauvaise idée de mourir.

Sur ses pensées à la fois morbide et rassurante, il sombra dans un sommeil sans rêves jusqu'au lendemain matin. Wellan fut réveillé tôt le lendemain par les bruits du petit bourg qui se réveillait. Les bruits des outils qui frappaient contre la pierre ou le bois, des voix qui s'élevaient des chantiers. Le prêtre tourna son regard sur la petite fenêtre de sa chambre et s'étira longuement avant de se lever. Le soleil devait être levé depuis quelques heures maintenant. Il était temps pour lui de se rendre utile.

Enfilant sa longue robe de prêtre, il choisit de ne pas emporter son équipement avec lui. S'il pouvait toujours justifier de s'être armée pour faire la route entre Marbrume et Sombrebois, une fois en ville il devait délaisser tout cet attirail. N'emportant que sa dague qu'il accrocha à sa ceinture juste à côté de son emblème de Rikni, il quitta rapidement sa chambre et le temple en adressant de salutation à ceux qu'il croisait. Une fois dehors, il plissa les yeux le temps de s'habituer au soleil et posa ses mains sur ses hanches en observant le remue-ménage.

-Hum... Bon. Je fais quoi maintenant?

C'était bien joli de vouloir aider, encore fallait-il savoir quoi faire et comment le faire. Alors qu'il laissait son regard se balader sur la foule, il remarqua la présence d'une jeune femme qui semblait avoir à peu près son âge. La demoiselle semblait porter la robe réservée aux cultes et il s'approcha donc d'elle, jugeant que c'était sa meilleure façon de se rendre utile et de se renseigner sur la situation. Il s'arrêta à quelques pas d'elle et inclina légèrement la tête.

-Bonjour. Je suis Wellan, prêtre de la trinité à Marbrume. Je suis arrivé hier soir dans le but d'aider. Peut-être pourriez-vous m'indiquer ce qu'il y a à faire ici et comment je pourrais me rendre utile.

En détaillant plus en détail la jeune femme, il remarqua qu'elle semblait un peu plus jeune que lui. Peut-être une nouvelle prêtresse fraichement nommée ou une apprentie?

3 juin 1167

Louisa s’était éveillée tôt d’une autre nuit agitée, les nerfs en pelote. Il y avait tant de choses à faire et à gérer qui lui embrumaient l’esprit. Et quelque part dans un coin de sa tête, cette réalisation que, depuis qu’elle était arrivée à Sombrebois, elle n’avait toujours rien fait d’utile pour le bourg comme le prévoyait initialement leur mission, n’aidait pas vraiment.

Active de bonne heure alors que le village s’éveillait seulement, elle s’était résolu à apporter sa pierre à l’édifice et à mettre temporairement ses déboires et l’affaire de Margaux en sourdine. Ses Sœurs semblaient s’occuper à merveille des blessés – et ça n’avait de toutes façons jamais été sa spécialité - aussi lui faudrait-il trouver une autre activité pour l’occuper avant que le chaos qui l’avait emportée depuis son arrivée au bourg ne s’abatte à nouveau sur elle.

Au souvenir des précédentes journées, sa poitrine se contracta et elle eut l’impression que l’air lui manquait. De l’air… Elle avait besoin d’air. Elle sortit donc du petit Temple de Sombrebois d’un pas rapide, presqu’en courant.

La jeune prêtresse resta là un moment, à regarder le ciel et à prendre de profondes inspirations. Que pourrait-elle faire maintenant, pour se changer un peu les idées ? Proposer son aide aux équipes de réparation ? On allait lui rire au nez avec sa petite stature… Son regard tomba alors sur le puits et une idée germa dans son esprit. Elle ne voulait pas s’absenter trop longtemps et, après tout, ce n’était pas tant une aide concrète qu’on attendait du clergé, mais plutôt l’assurance du soutien des Trois.

Un prêtre qu’elle n’avait pas encore croisé – et pourtant ceux de Sombrebois se comptaient sur les doigts d’une main – s’approcha alors d’elle et la salua. Ce devait donc être le nouvel arrivant de Marbrume. Plutôt grand et bien bâti, la tignasse blonde au possible, il ne passait pas vraiment inaperçu. Et les souvenirs de la jeune femme cliquèrent. Bien sûr… C’était ce prêtre en armes qui s’était battu, lors du couronnement, et ne manquait pas de faire parler de lui. Wel-quelque chose ? Ah, Wellan.

« Louisa, de Marbrume également. », se présenta-t-elle à son tour avec un sourire tout juste poli.

« Votre tête me dit quelque chose d’ailleurs, on a dû se croiser. » Il y avait certes beaucoup d’occupants au Temple mais quand même…

« Je suis seulement arrivée avant-hier aussi, je ne me repère pas encore du tout ici. » Le bourg n’était pas bien grand mais à part la rue principale, elle n’en avait pas vu grand-chose.

« Je pense que la priorité est aux réparations, », elle le mesura rapidement du regard, « ça pourrait vous convenir. »

La jeune prêtresse montra ensuite le puits de la main.

« Pour ma part, je pense amener de l’eau aux travailleurs et essayer de leur remonter un peu le moral. Les locaux sont très secoués par l’attaque. Vous pouvez m’accompagner, si vous le souhaitez, mon Frère. Un seau d’eau à porter jusqu’aux portes, c’est peut-être un peu lourd pour moi. »

Wellan avait salué la jeune femme qui semblait le dévisager, comme si elle essayait de ce souvenir de l'avoir déjà vue quelque part. Ce qui n'était pas impossible en soi. Wellan avait déjà une petite réputation, notamment avec ses actions durant le couronnement. Il fallait dire qu'un prêtre en armure ça ne passait déjà pas inaperçu. Alors s'il commençait à taper sur des fangeux, c'était quelque chose qui restait dans les mémoires. Alors, lorsqu'elle le salua et déclara l'avoir déjà vue, un léger sourire se dessina sur ses lèvres.

-C'est fort possible. Nous ne sommes pas si nombreux à servir la trinité après tout.

Peut-être avait-elle entendu parler de lui et de ses exploits peu appréciés par les supérieurs du temple. Ou peut-être l'avait-elle réellement croisé un jour alors qu'il distribuait de la nourriture ou des couvertures aux plus diminués. Pourtant, lui-même n'avait aucun souvenir de la jeune femme qui disait se prénommer Louisa. Peut-être ne l'avait-il jamais vue? Enfin, ce n'était pas très grave. Puisqu'il allait rester quelque temps à Sombrebois, aussi bien en profiter pour connaître un peu mieux ses confrères et consœurs du temple. Puis, acceptant l'offre qu'elle lui fit, il hocha la tête et se saisit du seau d'eau qu'il souleva comme s'il ne s'agissait que d'une plume.

-Je vous suis, ma soeur. Ça me permettra de rencontrer les travailleurs avec vous.

Puis, il se mit en marche au côté de la jeune prêtresse. Heureusement qu'il avait continué ses exercices martiaux, sans quoi il aurait sans doute été incapable de la suivre avec ce sceau rempli d'eau en main. La plupart des prêtres étaient des érudits. Des sages et des médecins. Wellan, lui, préférait largement les travaux manuels et les entrainements. Comme quoi, peut-être que son père aurait du en faire un chevalier et le garder à ses côtés. Malheureusement, c'était trop tard. Et malgré tout, son amour des trois était bien réel. Alors qu'il avançait au côté de Louisa, il demanda.

-Je suis arrivée un peu après le convoi. Je sais que vous avez eux quelques problèmes pour arriver, mais rien de trop grave j'espère.

Il pencha légèrement la tête en l'observant du coin de l'oeil l'espace d'une seconde avant de reporter son attention sur les alentours qui fourmillait de vie. C'était plaisant de voir que malgré les coups durs, les habitants continuaient de reconstruire.

Louisa s’était d’abord dirigée vers le puits où un habitant du bourg venait de terminer de remplir un seau et il le proposa à la jeune prêtresse lorsque celle-ci s’enquit de la disponibilité de l’eau. Il lui confia également une sorte de louche profonde et elle le remercia profusément avant de rejoindre Wellan et de l’emmener sur la route principale, vers les portes qui trouaient la palissade. Enfin, plutôt ce qu’il en restait, des portes.

Le prêtre souhaitait faire la conversation alors qu’ils avançaient à un rythme modéré eu égard à la charge qu’il portait. Décidément, lui proposer de l’accompagner avait été une bonne idée. Elle ne se voyait pas trainer le seau jusqu’aux portes.

Un frisson la parcourut aux souvenirs du voyage. Elle essayait généralement de ne pas y penser…

« Nous avons essuyé trois attaques au cours du trajet… Il y a eu… des morts, surtout parmi les miliciens qui nous accompagnaient. Sans l’arrivée de renforts, je ne suis pas sûre que aurions pu terminer le voyage… »

Elle était l’une des seules à être arrivée sans une égratignure à Sombrebois, ce qui ne manquait jamais de faire naître un sentiment de culpabilité en elle. Même la petite Margaux avait été marquée dans sa chair au cours du trajet. Pas par un fangeux, certes, mais quand même.

« Pourquoi ne pas vous être joint au convoi ? Vous préférez voyager seul ? »

Cela lui paraissait dangereux, si pas suicidaire, de faire le trajet seul mais Wellan avait probablement ses raisons.

Pendant ce temps, ils avaient enfin atteint le chantier et Louisa repéra le contremaître. Elle le désigna d’un signe de tête à Wellan, espérant que celui-ci fasse le premier pas pour lui demander l’autorisation de déranger ses ouvriers. Entre hommes, ça passerait probablement mieux et la jeune prêtresse préférait éviter les hommes pour le moment. Elle avait rempli son quota de bonne volonté ces derniers jours... L’un de ses Frères, c’était différent, bien évidemment.

Wellan ne fut pas très étonné d'entendre sa jeune consœur lui avouer que le convoi avait été attaqué durant la traversée. Sans doute, les fangeux, ou des criminels ayant été bannit de Marbrume et ayant réussi à survivre. C'était difficile de croire que de simples humains bannis de la cité sans même avoir une arme pouvaient survivre hors des murs. Pourtant, certains le faisaient. On disait même qu'ils formaient des petites communautés qui attaquaient les habitants respectables de la cité lorsqu'ils en sortaient. Heureusement, lui-même n'avait pas eu de problème pour venir. Au fond, il s'en voulait un peu de ne pas avoir participé à ce convoi. Il aurait sans doute pu aider. Peut-être même aurait-il permis à quelques miliciens d'être sauvés! Malheureusement, ce n'était pas le cas.

Il continua donc de marcher avec Louisa jusqu'au premier groupe d'homme qui semblait travailler d'arrache-pied et sa question le fit se tourner très légèrement dans sa direction. Son visage était parfaitement neutre et il observait simplement la jeune prêtresse, pesant soigneusement ses mots. Finalement, il se contenta de répondre.

-J'ai malheureusement été pris ailleurs. Lorsque vous êtes partie, j'aidais de pauvres âmes des bas quartiers à Marbrume. Et puis, c'est vrai, je n'aime pas voyager en convois. Ça nous rend plus facilement repérables par ses créatures dehors.

Une fois ses paroles prononcées, il s'arrêta à quelques mètres seulement du contremaître. Il ne comprenait pas vraiment pourquoi Louisa ne voulait pas aller voir des fidèles de la trinité, mais il se promit de régler la question plus tard. Loin des oreilles un peu trop curieuses. Il accepta donc sa demande silencieuse et s'avança vers le contremaître, se composant un aimable sourire.

-Que les trois dans leurs grandes bontés veille sur vous, mon enfant. Puis-je proposer à vos hommes un rafraichissement? Avec cette chaleur, ils en auront sans doute besoin.

Le contremaître l'observa de la tête au pied, son regard s'arrêtant sur le médaillon qu'il portait accroché à la ceinture. Celui de la déesse de la guerre et des épreuves. Finalement, l'homme accepta d'un hochement de tête et les laissa passer. Wellan fit donc un signe à sa jeune consoeur et attendit qu'elle soit à ses côtés avant de reprendre sa route.

-Vous n'êtes pas très à l'aise de vous mettre en avant on dirait, ma soeur. Pourtant, c'est l'une des tâches que nous ont données les trois. De guider les hommes et de les conseiller. À moins que ce ne soit juste un problème avec les ouvriers?

Alors qu'il parlait, il ne remarqua pas que plusieurs regards se posèrent sur eux. Que ce soit sur lui ou sur Louisa, on les observait. Mais le prêtre ne le remarqua même pas, trop concentré à porter son fardeau et à observer du coin de l'oeil la jeune prêtresse.

-Le premier groupe est là-bas. Souhaitez-vous y aller? Je peux vous accompagner si vous le désirez.

Il avait proposé cela très aimablement, comme à une enfant qui avait peur du noir et à laquelle on devait patiemment expliquer qu'il n'y avait rien à craindre. Sans doute était-elle seulement intimidé de se mettre en avant, surtout dans les circonstances actuelles.

La remarque du Frère Wellan sur la dangerosité des convois lui hérissa le poil. Si les convois étaient si problématiques, pourquoi en organiser, au nom de la Couronne en plus ?!

« Apparemment… », répondit-elle, un peu tendue. Parce que oui, avec trois attaques en trois jours, c’était difficile de dire qu’ils étaient passés inaperçus. Si elle avait su dans quoi elle s’embarquait…

Il s’adressa ensuite au contremaître et Lou se félicita de sa décision. L’homme de métier ne lui avait même pas adressé un regard. Une femme n’avait rien à faire sur un chantier après tout, pas vrai ? Elle réprima un grincement de dents et suivit son confrère sans un mot. La jeune prêtresse reconsidéra un instant sa décision de se mêler si tôt aux habitants de Sombrebois… Elle n’était vraiment pas d’humeur. Mais c’était trop tard.

L’observation suivante du prêtre la surprit un peu. Louisa avait du mal à savoir s’il était simplement bienveillant ou condescendant. Ou les deux.

« Me mettre en avant ? Mh… Peut-être. », commença-t-elle à répondre avec un petit haussement des épaules. Elle n’était pas assez stupide que pour lui avouer que la plupart des hommes lui donnait des boutons. Qu’elles sentaient les regards posés sur eux et qu’elle n’avait aucun souci à imaginer la source de certains d’entre eux. Ils étaient rares, les hommes qui trouvaient grâce à ses yeux, et elle n’était relativement à l’aise en la compagnie de Frère Wellan que pour cette unique raison : il était l’un de ses Frères. Pourtant, elle en avait rencontré aussi, des prêtres lourdauds.

« Je dois admettre que je suis plus habituée aux enfants. Cela fait des années maintenant que je m’occupe exclusivement des Orphelins du Temple. » À sa demande certes, mais ça, elle se garda bien de le dire.

À sa question suivante, elle haussa un sourcil interrogateur.

« Il va falloir m’accompagner… », répondit-elle, en pointant le seau qu’il portait toujours à l’aide de la louche qu’elle tenait en main. Elle n’avait aucune envie de porter ce fardeau et se séparer n’aurait eu aucun sens, l’un avec le seau, et l’autre avec la louche. Lou s’approcha donc du groupe d’ouvriers le plus proche, occupé à équarrir des troncs d’arbres qui devaient sans doute servir à reconstruire les portes de la ville, et elle vérifia du coin de l’œil qu’il la suivait. Son expression était la plus neutre possible, son habituel masque d’indifférence de retour.

« Messieurs… Le Temple vous remercie pour votre dur labeur. Pouvons-nous vous proposer de quoi vous désaltérer ? » Un concert de réponses appréciatrices et de grommellements lui répondit. Toujours aussi articulé, le « sexe fort »… Elle retint une grimace et plongea une première fois la profonde louche dans le seau d’eau.

Wellan continua donc sa distribution de l'eau potable aux travailleurs en compagnie de sa jeune soeur du temple des trois. Elle semblait tendue et un peu nerveuse, mais il ne fit plus de commentaire sur son état. Sans doute, le voyage l'avait épuisé. Ce n'était pas très étonnant en fin de compte, surtout qu'elle semblait bien jeune. À son commentaire sur son occupation des orphelins du temple, le prêtre de Rikni sourit légèrement et ajouta d'une voix un peu plus douce.

-C'est une noble tâche que vous avez, ma soeur. Et sans doute pas la plus facile. Vous devez être fière de vous.

Il n'était pas dupe et savait que beaucoup de prêtres, surtout des hommes malheureusement, délaissaient ses orphelins qui étaient pourtant l'avenir du temple et de la foi. Certains préféraient prier, guider les adultes ou bien... Donner de leurs temps à cette horreur que l'actuel supérieur du temple à oser nommé les filles d'Anur. Rien que d'y penser... Non! Il chassa rapidement cette pensée de son esprit. Il ne voulait pas y penser. Ça lui donnait la nausée.

Il fut très heureux de la voir l'accompagner pour distribuer l'eau et se mettre en avant. Bien, c'était une bonne chose. Wellan n'était en rien son supérieur, mais il croyait de son devoir d'aider tout le monde. Y compris les membres de son ordre. Petits revers de la médaille, certains avaient tendance à dire que ça lui donnait un petit air paternaliste et moralisateur très agaçant. Il fallait dire qu'il avait toujours vécu dans un petit village où sa statue de noble de naissance était connue. Il avait toujours été écouté et respecté. Et les vieilles habitudes ont la peau dure, même après tout ce temps.

Le premier chantier fut complété en une trentaine de minutes. Le seau maintenant vide, le duo se remit en route en direction du puits. Maintenant de nouveau seul avec Louisa, le jeune prêtre essaya de faire la conversation.

-Et si vous me parliez un peu de vous, ma soeur. Je sais que vous venez de Marbrume, mais je n'en sais pas beaucoup plus sinon. Et je dois admettre ne jamais avoir entendu parler de vous, malheureusement.

Cherchait-il à se rapprocher? Non, pas vraiment. Plutôt à étendre ses connaissances sur les habitants du petit bourg et à faire la conversation avec Louisa. Porter de l'eau était une tâche physique, mais abrutissante pour un homme préférant la finesse d'une lame. Faire la conversation était encore la meilleure façon de passer le temps.

Le commentaire de Frère Wellan sur son implication auprès des Orphelins du Temple lui fit un peu mal au cœur. Était-elle fière ? Peut-être un peu. Elle l’avait été en tout cas, pendant longtemps. Mais alors que la tâche lui semblait de plus en plus lourde, qu’elle en était venue à avoir du ressentiment pour sa position et qu’elle avait enfin pris la décision de s’éloigner du Temple de Marbrume, tout sentiment de fierté s’était dissipé pour laisser place à la culpabilité. Elle ne fit donc aucun commentaire. Elle n’aimait pas mentir…

Attelée à sa tâche, Louisa progressait au milieu des ouvriers au côté du prêtre, échangeant parfois quelques platitudes avec les hommes de Sombrebois. Certains les remerciaient d’avoir fait tout ce chemin pour venir les aider. D’autres restaient silencieux et refusaient l’eau offerte. La jeune prêtresse ne s’en formalisait toutefois pas. Ils arrivaient déjà la fin du seau d’eau et il leur faudrait le remplir à nouveau. Chaque personne qui refusait retardait l'échéance.

Quand le moment fut venu, elle suivit son confrère. L’esprit occupé par les derniers événements, il ne lui vint même pas à l’esprit de faire la conversation. Mais elle n’y était pas opposée pour autant et elle lui répondit d’abord d’un petit sourire. C'était toujours plus sympathique de connaître un peu mieux les gens avec lesquels on partageait un lieu de travail et de vie. Et si Wellan comptait rester à Sombrebois...

« J’ai toujours été discrète… », fit-elle ensuite, expliquant le fait qu’il n’ait jamais entendu parler d’elle. Elle n’était pas le genre de prêtresse à susciter des rumeurs. « J’ai entamé mon initiation vers… quinze ans ? Et je l’ai complétée en trois ans. Je venais tout juste d’être ordonnée quand la Fange a débarqué et j’ai rapidement été affectée aux Orphelins tant la situation ne faisait que s’aggraver. » Ce n'était pas tout à fait vrai... Elle avait personnellement demandé à s'occuper des enfants, échappant aux hommes qui la mettaient toujours aussi mal à l'aise. Et elle ne parla pas de ses origines. C’était généralement là que les gens changeaient d’attitude vis-à-vis d’elle. Si elle pouvait éviter d’ébruiter l’affaire à Sombrebois, tant mieux.

Mais elle n’allait pas être la seule sur le feu. Si elle partageait des informations personnelles, elle en attendait en retour. Tout ce qu’elle savait de Wellan, c’est ce qu’on en avait dit après le couronnement. Et ce n’était pas très glorieux, du point de vue du Temple… Ils étaient presque revenus au puits quand elle demanda :

« Et vous, mon Frère ? Vous ne venez pas de Marbrume, pas vrai ? Comment vous êtes-vous intégré au Grand Temple ? » Elle savait que c’était parfois un peu compliqué pour les prêtres ruraux de rejoindre une plus grosse congrégation.

Donner de l'eau à des travailleurs n'était pas une tâche très gratifiante, mais elle était sans doute utile. C'était une bonne façon de rencontrer les habitants de ce coin paumé et de se faire connaître. Non pas que Wellan cherchait spécialement à être connue, mais comme prêtre de la trinité il avait certains devoirs envers la population. En terminant sa tournée avec Louisa, il se surprit à regretter l'époque ou il habitait un modeste temple dans un petit village isolé. C'était la belle vie, il pouvait passer ses journées à s'entrainer, à lire ou même à dormir. Le vieux prêtre qui dirigeait le temple ne l'embêtait jamais et dans son village, on ne s'embêtait pas avec des formalités puériles. À Marbrume, même le temple ne jure que par l'étiquette et les convenances. C'est parfois vraiment pénible.

Wellan s'appuya contre le puits et accrocha le seau à la longue corde pour le faire descendre lentement. Il écouta sa consoeur en lui jetant parfois un regard en biais, histoire de garder un contact visuel avec cette dernière. Finalement, elle semblait n'avoir rien de spécial. Une jeune prêtresse ayant été affecté aux orphelins et servant le temple sans arrière pensé. Puis, ce fut à son tour de se présenter. Il choisit d'être honnête. Du moins, en partie.

-Tu connais déjà mon nom. Wellan de la famille Oniarth. Ça ne m'étonnerait pas que tu n'aies jamais entendu parler de ma famille. Nous dirigeons une petite seigneurie à quelques semaines d'ici, sur le bord de l'océan. J'ai été envoyé très jeune au temple pour servir la trinité et permettre à mon père de se faire bien voir du clergé.

On pouvait sentir une pointe d'amertume dans sa voix. Même s'il aimait sa vie au service des dieux, une partie de lui aurait préféré rester sur les terres de ses ancêtres et devenir un valeureux chevalier comme ses frères. D'un autre côté, il serait sans doute mort comme eux si ça avait été le cas. Il continua en faisant remonter le récipient rempli d'eau.

-Je suis devenue l'apprentie d'un vieux prêtre presque aveugle dans un village reculé. J'y ai vécu des années banales et suis devenue prêtre du temple un peu avant que les fangeux ne détruisent mon village. J'en suis le seul survivant.

Il prit le sceau et le déposa à ses pieds en soupirant longuement.

-Enfin, de nos jours c'est une histoire assez banale d'être le seul survivant d'un hameau isolé. Ensuite, j'ai intégré le temple de Marbrume. Les prêtres de Rikni étant plutôt rares, je fus accepté sans trop de problèmes.

Il mit de côté ses nombreux démêlés avec cette bande d'arriérés qui se prétendait dirigeant du culte et interdisait à un prêtre de se servir de ses armes pour défendre des innocents. Soi-disant que le temple ne devait pas prôner la violence. Et laisser des innocents se faire buter, c'est prôner quoi au juste? La couardise? Heureusement, il était suffisamment utile et apprécié des miliciens de Marbrume pour qu'on le laisse tranquille. Pour l'instant. Il déposa le sceau sur le bord du puits, le laissant libre pour ceux qui voudrait l'utiliser et ajouté.

-Bref, on peut dire que je ne m'en sors pas trop mal. J'espère simplement qu'un jour nous pourrons reprendre notre vie d'avant. Et je pourrais retourner dans mon village reconstruire. Au fait, tu voulais retourner distribuer de l'eau? Ou tu avais d'autres projets en tête.