Négociations des Fleurs dans la Forêt [Feat. Rosen de Sombrebois]

Les temps sont des plus difficiles depuis des années, principalement depuis l’apparition de la Fange et des attaques compliquant de plus en plus la sécurité des routes et des habitants. Comme chaque famille, malgré son rang, les Orlhac se devaient de participer à la vie de Marbrume et des alentours. Désespérant quant à la possibilité de marier sa fille à un bon parti, le père essaya tant bien que mal d'agrandir leurs commerces pour espérer conserver une place confortable au sein de la noblesse.

Après quelques échanges par lettres avec le domaine de Sombrebois pour présenter sa proposition de marchandises alimentaires, le Comte organisa au mieux le trajet pour venir rencontrer personnellement ses interlocuteurs afin de conclure - ou non - les négociations.

Alors que la Douce avait terminée de se préparer, se dirigeant comme à son habitude vers la bibliothèque du domaine, son géniteur lui barra rapidement la route lorsqu’ils se croisèrent dans le dernier couloir avant sa destination. Les salutations formelles furent coupées par une explication brève de la situation.

- … Et j’ai décidé que tu m’accompagneras. En tant qu’héritière, tu… 

C’est ainsi que Camélia fut embarquée dans cette aventure, son avis n’étant évidemment pas le bienvenu. La suite du monologue moralisateur habituel du Comte fut noyée par les pensées de la brunette. Bien que inquiète quant à la dangerosité de la route, la jeune Fleur n’eut d’autres choix que de préparer ses valises à l’aide de sa dame de compagnie pour cette visite commerciale de Sombrebois.

Le trajet suivit son cours. Correctement sécurisé, le convoi des Orlhac pouvait espérer arriver en un seul morceau à leur destination. Du moins, le Comte ne doutait pas de la compétence des miliciens et gardes qui les entouraient. Camélia, elle, ne semblait pas aussi sereine. Peu habituée à sortir de son domaine, la simple vue de l’extérieur la fascinait autant qu’elle l’effrayait. Certes, le paysage était agréable à découvrir… mais des Prédateurs pouvaient rôder aux alentours. Elle n’en évoqua cependant aucunement à son géniteur, qui risquerait de l’accueillir avec irritabilité plutôt que bienveillance.

Le voyage fût tout aussi long que désagréable. L’atmosphère tendue, une ambiance délétère résidait dans la charrette. Si la jeune noble pouvait esquiver son père toute la journée au domaine, enfermée avec lui, cela était beaucoup plus compliqué. Elle se devait de supporter ses remarques, ses conseils non avisés et son avis sur son devenir. Étouffée par la situation, à en devenir claustrophobe, elle avait hâte de retrouver l’air frais de l’extérieur… loin de son géniteur.

- Nous sommes arrivés! Murmura Clothilde à sa Dame tout en lui offrant un petit sourire de compassion.

Finalement, le convoi cessa enfin. Aidée pour descendre par l’un des miliciens, accompagnée de Clothilde, la Fleur prit une grande inspiration lorsqu’elle sentit le vent caresser sa peau pâle. Un petit sourire, soulagée de sortir enfin de sa petite prison, bien qu’elle était consciente que la suite de son séjour n’allait pas être paradisiaque.

- Allons-y, indiqua-t-elle à Clothilde, comme pour se rassurer elle-même.

Alors, la frêle Comtesse attendit patiemment que son père descende à son tour, afin de suivre ses pas vers la demeure des Sombrebois.

- Maison Orlhac, soyez bienvenue à Sombrebois !

Aux côtés de son père, échangeant quelques salutations formelles, la Comtesse observa silencieusement la Baronne face à eux. Une robe élégante, d'un bleu majestueux, une coiffure impeccable... Pourtant, à l'observer un peu plus précisément, la fatigue se verbalisait sur quelques traits de son visage. Si le Comte se fichait de la santé d'autrui, l'empathie de Camélia l'aida a remarquer ces petits détails souvent cachés par l'image extérieur que les nobles doivent afficher.

Ainsi, le chef de famille entama les présentations.

- André II, Comte d'Orlhac. Je vous présente ma fille, héritière de mes terres.

La voix et l'intonation du Comte vient totalement contraster avec celle de la Comtesse : plutôt ferme, transpirant la rudesse, la voix de la Fleur elle était souriante, d'une grande douceur, compensant la froideur de son géniteur.

Dans un échange de regard, le Comte offrit la parole à la concernée.

- Enchantée votre Honneur. Je suis Camélia, Comtesse d'Orlhac. Et voici Clothilde, ma dame de compagnie.

L'image extérieure. Elle-même en jouait, après tout. La bienveillance et la gentillesse qui émanait de la Comtesse était sincère et pourtant, beaucoup pensaient à de l'hypocrisie. Et cette gentillesse ne pouvait que se majorer lorsqu'elle était au côté du Comte aux attitudes contraires. Souriante mais immobile et silencieuse, Camélia était alors entrée dans la danse des semblants : elle devait à présent faire attention aux moindres faits et gestes de son corps, à la moindre parole, d'une part pour ne pas salir la réputation de sa famille... d'une autre pour ne pas subir l'irritabilité de son géniteur si quelque chose ne lui plaisait guère. Ainsi, comme pour les présentations, elle attendra sagement l'autorisation pour interagir, faisant passer ses craintes pour une simple politesse.

L'invitation pour entrer dans la domaine se fit. A nouveau, Camélia attendit les premiers pas de son père pour suivre la marche à ses côtés. Clothilde était derrière sa Dame, gardant toujours un œil sur celle-ci. Si une des personnes étaient au courant de la situation difficile de la Fleur ou de ses petits secrets, c'était belle et bien elle, prenant son rôle à cœur pour aider, soutenir et protéger comme elle le pouvait sa Belle.

- Avez-vous fait bon voyage?
- Cela pourrait être mieux. Mais rien d'étonnant au vu de la localisation de votre Bourg.

Première remarque ou simple constat des routes longues, difficiles et insécures? Nul ne le saura. L'expression faciale du Comte n'indiqua rien de plus qu'à son arrivée.

~•~

Une fois arrivés dans l'enceinte du château, les Orlhac prirent un petit temps pour observer les lieux. Alors que Camélia continuait à découvrir les recoins de la bâtisse, le Comte lui se désintéressa rapidement de l'architecture pour questionner la raison de leur venue.

- Je suppose que c'est avec vous que je vais faire affaire aujourd'hui ?

L'interrogation força l'attention de la Comtesse à revenir sur les deux interlocuteurs. Bien que son père tentait de rester diplomate pour ses affaires, Camélia connaissait parfaitement ses idéaux. Elle savait pertinemment que cette question n'était pas naïve mais sexiste, gardant un petit espoir de négocier avec un homme et non une femme.

La Comtesse tenta de cacher son sentiment de malaise. À peine arrivés que l'atmosphère s'avérait déjà bien trop pesante aux goûts de l'Héritière...

L'entrée dans le petit salon du hall fut la même impression que leurs premiers pas dans la demeure : tandis que le Comte se désintéressa bien vite de la modeste - à son goût - architecture du bâtiment, Camélia elle prit le temps pour découvrir les lieux avec des yeux remplis de curiosité. Enfermée dans son domaine, elle n'eut que très peu d'occasion de découvrir l'extérieur et d'autres châteaux : ainsi, chaque découverte donna une sensation d'émerveillement décuplée.

Clothilde offrit un petit sourire à sa Dame avant de cesser son pas. Laissant Clothilde rejoindre Pénélope dans la cuisine, la Comtesse s'installa aux côtés de son père. Invitée à se servir dans les petits en-cas proposés accompagnés d'un verre de vin, la Fleur attrapa un petit flan délicatement. L'idée de boire de l'alcool ne la ravivait pas tant, mais elle s'efforçait de suivre les codes lors de sorties diplomatiques. Ainsi, elle dégusta le petit flan avec les bonnes manières, inhibant la surprise du goût aux premières bouchées. Elle attendit d'avoir terminé sa bouchée pour venir sourire à nouveau à la Baronne, offrant ses pensées avec sincérité comme à son habitude.

- C'est vraiment délicieux!

La bonne humeur de la Fleur persista jusqu'à la question sur Marbrume. Camélia sentit un regard sur elle à la suite de l'interrogation de la Baronne. son sourire s'effaça progressivement lorsqu'elle remarqua que son père l'observait, comprenant rapidement qu'il lui incombait de répondre à cette question. Après tout, il n'était pas là pour discuter de balivernes...

Ainsi, elle s'efforça d'afficher à nouveau son petit sourire.

- Eh bien... La ville se reconstruit petit à petit. Les activités reprennent progressivement... Les temps sont difficiles, mais Marbrume s'en sort pour le moment.
- Passons à la raison de notre venue, voulez-vous?

Le Comte enchaîna rapidement à peine la phrase de sa fille terminée. Camélia n'insista pas, laissant un petit regard désolée à la Baronne de ne pas lui offrir plus de nouvelles. Ainsi, elle plongea dans son silence, laissant son père reprendre le relai.

- Nos fermes pourront vous amener un apport alimentaire intéressant. Pour la fréquence des convois, vous vous doutez qu'avec la situation actuelle, je ne peux vous garantir une régularité absolue. Cependant, nous ferons notre possible pour nous assurer que les convois arrivent à bonne destination... ou à défaut, des alternatives pourront être mises en place.

Camélia sirota discrètement son verre de vin, laissant échapper une petite grimace au goût de l'alcool.

- En contrepartie, plusieurs choix peuvent s'offrir à nous. Que pouvez-vous nous proposer?

Le ton de la conversation tourna vite au sérieux. Les négociations étaient ouvertes.

La discussion commerciale commença. Camélia pouvait ressentir le froid que son père avait jeter en entamant plus tôt que prévue cette conversation.

La Comtesse était tout... sauf à l'aise. Elle se surprit même à penser qu'elle apprécierait rejoindre Clothilde, quitte à l'aider dans ses tâches. Camélia se refusa de penser que son père était la source de ce malaise, préférant s'accuser personnellement de ne pas être assez impliquée dans cette négociation.

Ainsi, son attention se redirigea vers son paternel. Celui-ci acquiesça les dire de la Baronne, lorsqu'elle évoqua la valeur du bois. Evidemment, le Comte ne savait que trop bien l'importance de cette matière première. Il ne l'avouera bien sûr pas, mais le bois était une des ressources manquantes de son domaine et il était temps d'y remédier rapidement.

- Plusieurs solutions pourront s'ouvrir à nous. S'il arrivait malheur à un des convois, le prochain sera bien évidemment plus rapproché et plus important, afin que les répercussions de l'incident ne retentissent pas de trop sur votre domaine. Je pourrais également négocier pour sécuriser davantage les transactions au besoin.

Le Comte cessa le temps d'un instant son explication pour venir s'abreuver. Gardant son verre en main, il reprit:

- En d'autres termes, l'adaptation me semble primordiale et je resterai disponible pour celle-ci. Nous resterons également en contact régulièrement afin d'agir rapidement en cas de besoin. Ma fille se chargera de la communication entre nos deux domaines.

La Fleur vint doucement sourire à Rosen. Un léger signe de tête, cachant derrière ce sourire diplomatique une certaine surprise : elle ne s'attendait pas à ce que son père lui assigne une telle tâche, lui ayant toujours pour habitude de ne rien lui déléguer puisqu'elle n'était qu'une ratée.

- Si ces termes vous vont, nous pouvons discuter du taux de transaction. Qu'avez-vous à nous proposer en terme de quantité de matières?

Camélia espérait au fond d'elle que les négociations se termineront rapidement. Encaisser l'ambiance délétère et la crainte de décevoir son paternel autant de temps n'était pas la chose la plus aisée. D'ailleurs, la Fleur se permit de prendre à son tour son verre pour venir goûter à nouveau l'alcool à l'intérieur... dans l'espoir qu'il l'aidera peut-être à gérer cette situation.

Le Comte attrapa lentement le registre des comptes tendu par la Baronne avec un petit air sceptique. Camélia, quant à elle, laissa son regard se déposer sur celui de son père pour observer ses réactions. En effet, elle ne daigna pas de lire également le registre, sachant pertinemment que ce n'était ni son rôle ni sa place aux yeux de son paternel.

Etonnamment, l'air sceptique de Orlhac s'adoucissait au fur et à mesure de sa lecture. Il laissa même quelques traits exprimant un certain étonnement. Lui qui s'attendait à des prix soit bien trop bas, soit bien trop haut et s'apprêtait à négocier ses propres tarifs... en réalité, les prix proposés sous ses yeux étaient tout à fait honnêtes et représentatifs des tarifs qu'il avait en tête. Les taux considéraient à la fois le type de marchandise, la quantité, mais également le coût du trajet. Tout était soigneusement prit en compte, ce qui était un point que le paternel avait sous-estimé concernant la famille Sombrebois.

Néanmoins, cet étonnement ne dura qu'un instant, laissant ses pensées misogynes le conforter dans l'idée que s'il n'avait pas à négocier aujourd'hui, c'était bel et bien grâce au défunt Baron de Sombrebois. Après tout, seuls les hommes pouvaient réaliser des affaires convenablement.

- Eh bien... Oui. Cela me convient. Partons sur cette base de prix. S'il est nécessaire de renégocier par la suite, nous vous le communiquerons.

Le comte était loin d'être naïf : les tarifs sont honnêtes pour l'heure, mais rien ne l'indique que les temps changeront et amèneront de nouvelles tendances de tarif sur le marché. Leur époque n'était qu'instabilité et il considérait cette possibilité afin de ne pas mettre en péril son commerce et son domaine.

- Peut-être souhaiteriez-vous vous délasser et vous reposer un peu après ce long voyage d’ailleurs ? Vous venez tout juste d’arriver.

Les brèves négociations commerciales se clôturèrent avec la proposition de repos de la Baronne. Camélia vint à sourire à l'hôte, appréciant le geste - pourtant naturel - de Rosen. Le père Orlhac quant à lui, lorsqu'il tendit à nouveau le livre des comptes à sa propriétaire pour le lui rendre, soupira quelque peu.

- Nous ne pouvons de toute évidence pas reprendre la route de suite.

Le ton synonyme de reproches n'était pas dirigé envers Rosen mais bel et bien envers la Fleur : il ne soulignait pas l'évidence de la proposition de repos mais la faible santé réputée de son héritière. Et la concernée l'entendait bien, laissant son sourire précédemment sincère s'abaisser à un petit sourire de façade, affaiblit par les mots de son paternel. Bien qu'elle soit consciente de son apparence actuelle frêle et palôtte, elle espérait tristement que son père ne la voit pas à nouveau comme un fardeau.

- Je dois m'occuper des derniers préparatifs et de notre prochain départ. Camélia.
- Oui Père? répondit-elle en redressant son regard vers son proche.
- Nous nous retrouvons plus tard.

Un petit acquiescement de la tête en guise de réponse... comprenant pertinemment les mots entre les lignes : lorsque je reviens, soit prête, ne me ralentis pas davantage.

Le Comte d'Orlhac termina la conversation auprès de la Baronne puis disposa formellement. Les deux femmes nobles étaient à présent seules dans la pièce. Camélia laissa ses épaules se détendre discrètement, profitant du départ de son père pour s'évader de cette atmosphère étouffante.

Enfin, la voix de la Belle s'annonça.

- Je vous remercie pour votre hospitalité votre Honneur. J'accepterai volontiers un peu de repos ou bien une petite promenade à votre guise.

Un petit sourire, laissant la Baronne choisir de la suite de cette journée, en attendant le retour du Comte.