[Quête] - Si j'avais un marteau !

Il passa à nouveau sa main sur sa gorge, la sensation de la lame lui avait paru si réelle. Une trace grise et fine semblait marquer son courageux suicide, comme un rappel que le rêve avait eut quelque chose de tangible.
La veille, encore fiévreux et épuisé, il se souvenait à peine du collègue qui l’avait ramené et sorti de la boue. Gaël posa ses yeux sur le soleil qui éclairait une parcelle du sol du dortoir, il était trop douloureux pour le moment de regarder par la fenêtre.

Le milicien qui lui avait fait la remarque sur la trace présente sur son cou, répéta sa question, une inquiétude se sentait dans sa voix.

«-Hey… Tu m’as entendu ?»

Il releva son regard bleu sur lui, sortant enfin de son absence.

«-Si tu veux manger, tu devrais te dépêcher, ils sont en train de servir le repas.»

«-Quelle heure est-il ?»

Sa voix grattait sa gorge, elle était presque étouffée, ce n’était pas dû qu'à son réveil, non, autre chose entravait sa capacité à parler. Les souvenirs du rêve peut-être, il se perdit un instant sur l’image qui lui revenait en tête, celle de sa sœur particulièrement.

«-Midi. T’as bien dormi. T’étais dans un tel état que même le coutilier a préféré te laisser te reposer.»

Midi, il avait donc raté son rendez-vous avec la baronne auprès de Margaux. Étrangement, il aurait dû être pris d’un élan de panique et de culpabilité, mais au contraire son calme ne disparut pas. Il l’avait après tout prévenu qu’il attendrait l’autorisation de son supérieur. Il se gratta le crâne, quelque part, le rêve avait été une sorte de catharsis, enfin une victoire contre son père, un début, mais de quoi ?

«-Il y a des ordres pour moi ?»

«-Eh ben… Tu t’arrêtes jamais. T’peux filer un coup d’main pour les travaux dans le bourg. Personne crachera sur des mains en plus.»

Il renfila ses bottes, ses compagnons avaient dû avoir la bonté de les lui ôter avant de le mettre au lit. Il n’avait plus qu’à se décrasser un peu pour retirer la boue de la veille, et surtout avant tout, manger.


Pas besoin d’être affublé de tout un tas de protection, certes elles auraient pu amoindrir un coup d'épée, mais quand une poutre vous tombait sur la tronche, il n’y avait pas grand-chose à faire.
Le plus gros chantier se passait près de la porte de Sombrebois, la plupart des travailleurs aguerris étaient tous centrés là-bas. Il avait d’abord tenté de s’adresser à eux, mais au vu de son manque d’expérience, on l’avait recalé à la construction des habitations un peu plus loin.
Moins de maçons, et plus de menuisiers s'affairaient autour de lui.

Dans sa main, un maillet. Devant lui, deux poutres. Dans une de ces poutres une cheville qui n’attendait qu’une seule chose, être enfoncée. Cela ne devait pas être bien plus compliqué que de viser une zone précise du corps avec son épée, alors comment, par les trois, avait-il déjà raté par deux fois sa cible ?
C’était donc vrai ce qu’on disait, bâtisseur était bien tout un métier. Le bout de bois n’aurait pas le dernier mot, se promit-il. Avec détermination, il abaissa à nouveau son outil de toute sa force, sous le coup, le maillet lui échappa des mains pour aller se poser au pied de quelqu’un qu’il reconnaissait.

Il plissa les yeux sur la silhouette que le soleil frappait de plein fouet, il en était bien certain désormais, il s’agissait du Baron qui avait courageusement arrêté la fillette. Avant de faire quoi que ce soit, il jeta un coup d'œil à la cheville, son ennemi s’était à peine enfoncé de quelques millimètres. Le milicien soupira, avant de tirer le haut de sa tenue pour essuyer la sciure de bois qui le gênait dans son cou. Quand il fallait y aller… Il commença à se diriger vers le baron pour récupérer son outil, se préparant tout de même à le saluer avec politesse.

Sous le regard observateur du Baron de Tourbière, les hommes travaillaient avec acharnement sous le soleil de plomb de l’été, leurs corps ruisselant de sueur alors qu’ils s’attaquaient aux murs en pierre du Bourg de Sombrebois. Leurs outils de réparation grondaient contre la pierre, créant un rythme constant de battements de marteau et de raclement de truelle. Les éclats de pierre volaient, faisant briller la lumière du soleil dans toutes les directions.

Certains des hommes grimpaient habilement sur les échelles, ajustant les pierres dans les murs avec une précision chirurgicale. D’autres creusaient des tranchées pour poser de nouvelles fondations, ou réparaient les créneaux de la grande porte, rendant la petite ville fortifiée plus sûre contre l’invisible ennemi. Aloys ne pouvait s’empêcher de se demander si le prénommé Patrice Leblé se trouvait parmi les maçons en ce moment-même.

L’atmosphère était électrique, remplie d’un mélange de tension et de satisfaction alors que les ouvriers travaillaient ensemble, chacun accomplissant sa tâche avec une habileté remarquable. Leurs visages étaient marqués par la fatigue et la chaleur, mais leur détermination ne faiblissait pas, car ils savaient que la protection du bourg, ou leurs salaires, dépendait de leur travail.

Le jeune noble avait passé une nuit infernale, une matinée épuisante et pleine de rebondissements. Il ne pouvait davantage rester là à rien faire, autrement dit à surveiller les chantiers. Après avoir tant écouté, argumenté et patienté, il comptait sans plus attendre se libérer l’esprit. Et à l’heure actuelle, il n’existait pas meilleur moyen que d’apporter sa pierre à l’édifice, ou plutôt sa cheville à la poutre. Il avait par ailleurs échangé son gambison pour une simple tunique en lin en raison de la température estivale, et il avait également laissé de côté sa cape qui l’identifiait comme Tourbière.

Le Seigneur rejoint les habitations, décidé à s’épargner une éventuelle migraine liée au bruit du travail de la pierre. Celles-ci prenaient lentement forme tout autour de lui, chaque mur et chaque toit réparé, offrant un abri sûr aux sombreboisiens et sombreboisiennes. Il était en admiration devant ces hommes qui travaillaient sans relâche, s’arrêtant à peine pour boire de l’eau ou manger un morceau de pain.

Aloys n’eut pas à aller bien loin pour trouver de l’équipement, puisqu’un maillet vint valser à ses bottes. Quelques centimètres de plus, et c’était l’hématome sous-unguéal assuré. Il ramassa l’outil au sol, avant de relever la tête pour croiser le regard du propriétaire dudit objet. C’était le petit homme de la dernière fois, celui qui ne savait pas rester à sa place. Il lui fit un signe de la tête en guise de salutations, accompagné d’un sourire presque narquois.

« Vous avez fait tout ce voyage pour déconstruire Sombrebois ? », interrogea-t-il d’un ton moqueur. « Laissez-moi vous aider, vous allez finir par blesser quelqu’un. », poursuivit-il, sans même en réalité lui demander son accord. Il avançait vers la fameuse poutre qui avait donné tant de fil à retordre au milicien, avant de lui demander : « Pourriez-vous maintenir cette cheville bien droite ? Je vais l’enfoncer… ». Était-ce du bluff ? Savait-il réellement manier l’objet contendant ? Nous allions le découvrir très prochainement…

Puisque Dame Rosen m’avait attribué une maison en désuétude, je me devais de la retaper et de lui redonner son faste d’autrefois.
Oui, bon, je m’emballe peut-être, mais je vous rappel que, pour moi, avoir un toit, même percé, c’est déjà fastueux !

Du moment qu’il ne pleut pas !
Certes !

Dès que la maison me fût désignée, j’y déposais toutes mes affaires, à savoir une cape, deux besaces et une épée. Mon arc et mon carquois était toujours en possession de Gudrun. Ceci fait, j’avais immédiatement entamé de retirer les planches cassées, branlantes ou, tout simplement, pourries.
Ravis de me sentir utile à la communauté, satisfait que Dame Rosen et moi ayons tiré un trait sur le passé, ému d’avoir cette maison, même provisoirement, j’y allais de bon coeur, rapidement écrasé par la chaleur de ce début d’après midi.
Aux premières gouttes de sueur, je retirais ma chemise afin de la garder sèche. Certaines mauvais langues diront que j’aime à exposer mon dos déchiqueté.
Je leur répondrais que, n’ayant qu’un seul vêtement, il n’était guère prudent de rester dans un habit mouillé après l’effort et durant le rafraichissement du jour !

Làs, je fus rapidement stoppé dans mes travaux. La raison à cela était fort simple, je n’avais aucun outil ni aucun matériaux en ma possession.

Flûte !

Je sortais prendre l’air devant le pas de la porte et, rapidement, les bruits des travaux non loin me parvenaient.
Je haussais les épaules et me dirigeais vers la fourmilière avant de faire un tour d’horizon. Il y avait certes des outils et des matériaux en tous sens mais…

Ils sont à quelqu’un !
A l’évidence !

Trouver à qui emprunter ?
Manquerais plus que je deviennes voleur ! Ah !

C’est alors que, un peu à l’écart, je vis deux hommes autour de deux poutres. L’un d’eux tenait un maillet tandis que l’autre l’observait en faisant une moue visiblement vexée. Ou était-ce de la honte ? Je ne voyais guère, étant trop loin.
Je me dirigeais vers les deux individus alors que celui aux mains vides venait saisir la cheville de bois, l’autre armant son maillet.
Je haussais un sourcil.

Qu’à fait cet homme pour que vous cherchiez à lui briser les phalanges ?

Terminant de m’approcher, je nouais deux vieux bouts de tissus, ramassés en chemin, autour de mes mains.

Couchez les poutres au sol pour enfoncer la cheville, c’est plus simple ! Ensuite, il suffira de les emboiter puis de les redresser…

Changement de plan, je vais peut-être filer un coup de mains à ces deux là !

« Pourriez-vous maintenir cette cheville bien droite ? Je vais l’enfoncer… »

« -Très bien.»

Par habitude d’obéir aux ordres certainement, il avait sans protester posé ses mains autour de la cheville. Alors que le Baron levait le maillet pour mettre de l'intensité dans son coup, une sueur froide coula le long du dos du milicien, et une image le frappa, celle de ses doigts en bouillie.
Mais Gaël n’était pas homme à retirer ses mains pour autant, heureusement, une voix interrompit le Baron avant que celui-ci n’abaisse le maillet, laissant le jeune homme soupirer discrètement de soulagement.

«Qu’à fait cet homme pour que vous cherchiez à lui briser les phalanges ?»

Est-ce que l’homme s’y connaissait plus qu’eux ? Ce n’était pas dit, mais l’idée qu’il allait dans le sens de Gaël le fit d’autant plus remercier les Trois de son intervention.

«Couchez les poutres au sol pour enfoncer la cheville, c’est plus simple ! Ensuite, il suffira de les emboiter puis de les redresser…»

L’homme s’y connaissait donc, et son idée de coucher les poutres paraissait si simple que Gaël se maudit de ne pas y avoir pensé avant. Il n’était décidément pas fait pour la construction.

«-Si vous-voulez bien me prêter main forte votre Honneur…»

Il plaça ses mains sur l’une des lourdes poutres, attendant que le Baron prenne l’autre extrémité, la manœuvre était facile, mais nécessitait de la force, ce dont Gaël ne manquait pas.
Une fois les poutres au sol, il entreprit de les repositionner, jetant un œil à leur nouveau camarade pour s’assurer qu’il avait bien fait le travail et obtenir son approbation.

«-Comme ça, l’ami ?»

Il remit la cheville en place, attendant que l’un des deux autres se décide à jouer du maillet.

Alors que le Baron de Tourbière s’apprêtait à frapper la cheville pour la fixer en place, aidé par Gaël, la voix d’un parfait inconnu s’éleva non loin d’eux. Ce dernier dont le crâne presque à nu reflétait à la lueur du soleil, semblait être venu pour leur offrir un judicieux conseil. Peut-être n’avait-il pas reconnu le Seigneur du fait de sa simple tunique, sinon il ne se serait permis de contester sa décision avec un humour si léger. Néanmoins, la suggestion de l’homme était intelligente, et il en reconnaissait la pertinence. De plus, il se fichait que l’on se souci des positions sociales pour une telle tâche, et il n’était pas contre l’idée d’apprendre. Le noble garda alors le silence, décidant de se prêter au jeu.

Cependant, le Seigneur ne put garder l’anonymat plus longtemps, car le milicien de Conques le sollicita par son titre. Il acquiesça d’un signe de tête, puis remit donc le maillet au donneur de conseils, un sourire aux coins des lèvres, en sachant que ce dernier saura faire preuve de la même diligence que lui-même. Il saisit l’une des extrémités de la poutre alors que Gaël s'emparait de l'autre. La douleur qui brûlait dans la main gauche et bandée d'Aloys s'intensifia alors qu'il soulevait la lourde pièce de bois, mais il serra les dents et se concentra sur la tâche à accomplir. Il ne pouvait pas laisser cette douleur l'empêcher de contribuer à l'avancement de la construction, ni se permettre de montrer sa faiblesse devant les autres.

Les muscles de son bras se tendirent alors qu'il maintenait la poutre en place, puis finalement abaissée, il laissa échapper un soupir de soulagement. Il secoua sa main douloureuse, sachant qu'il devrait bientôt la traiter avec le baume de la prêtresse pour éviter une potentielle infection. Toutefois, pour le moment, la douleur était encore supportable. Il échangea un petit regard de complicité avec Gaël, appréciant leur coopération fructueuse, avant de détourner les yeux vers l’inconnu au maillet. À lui de jouer à présent !

Le blondinet était donc un Seigneur. Fort bien, l’autre était, si j’en croyais sa tunique, un milicien. Cela dit, cela pouvait tout aussi bien n’être qu’un bougre aimant le vert, allez savoir. Je n’irai guère juger des goûts des autres.
Toujours est-il que, les doigts du brun sauvés, les deux hommes entamèrent de coucher la première poutre tel que je le suggérais. Je repérais la main bandée du blond et dû contempler l’acharnement qu’il mettait à faire son ouvrage.
Ainsi donc, la poutre une fois au sol et la cheville dans son logement, il restait à l’enfoncer bien à sa place pour ensuite y glisser la seconde poutre. Ensuite ? Répéter la même opération avec la troisième pour avoir la structure opérationnelle et ne plus avoir qu’à redresser l’ensemble.
Je m’approchais après que le brun m’a demandé mon avis.

Oui, maintenant, plus besoin de force. Dis-je avant de m’asseoir tranquillement sur le bois pour donner de petits coups secs sur la tête de la cheville.

Poc - Poc - Poc

Voyez ? Nul besoin de l’enfiler jusqu’au fond, le poids de la suivante fera son office. Il faut juste s’assurer qu’elle soit bien coincée.

Je me relevais et observais le jeune seigneur avant de porter mon regard sur celui que je pensais milicien. J’avais encore du mal à ne pas être sur la défensive en leur présence.

Tenez, vous allez m’aider avec l’autre poutre. Dis-je à la tunique verte. Mon Seigneur, je peux vous rendre ceci ? Dis-je en lui tendant le maillet.