[Quête] Course contre le temps

Je suis en train de faire le point avec la coutillère sur toute cette affaire. Les recherches sont toujours en cours, mais je devine bien que si le suspect n’a pas été retrouvé dans la journée, il y a peu de chances qu’il soit encore dans le bourg.

La nuit va bientôt tomber et Erasme Ribadier a accepté de se lancer avec ses hommes - une vingtaine - à sa poursuite, en échange de m’avoir fait jurer de lui donner une étrange contrepartie mystérieuse qu’il a refusé de me dévoiler, prétendant ne pas savoir encore ce qu’il voulait. Il n’en est rien, je le sais bien, et cette histoire est en train de me tracasser car je n’aime pas vraiment ignorer qu’elle est la dette que je dois honorer.

Cela est forcément mauvais signe, mais je n’ai pas eu le choix. Je refuse de laisser cette petite fille terrifiée à son sort sans faire tout ce qui est en mon pouvoir pour la sortir de son merdier. Il n’y a peut-être ici personne pour savoir mieux que moi l’horreur de ce qu’elle a enduré et, à date, elle semble n’avoir dit que la vérité – preuve en est avec le petit Jean qui a bien été repéré à la taverne selon ses indications. Je lui ai promis que je retrouverai le brigand et que je sortirai son frère de la Guilde des voleurs, même si pour le moment, j’ignore encore comment.

J’aviserai après le procès. Si ça se trouve, la justice s’en occupera elle même et je n’aurai rien à faire. Pour l’heure, j’aimerais gagner du temps. Juste un peu de temps… pour que le procès ait lieu plus tard, lorsque les différentes personnes auront répondu à mon appel et qu’Erasme sera revenu avec, je l’espère, le dénommé petit Jean.

Je demande donc à la milicienne – puisque c’est elle que j’ai chargé de me seconder dans l’enquête - d’interroger la prêtresse que j’ai vu plus tôt et de poser des questions à la population, à savoir déjà à la milice du convoi. Je lui parle aussi d’Almère, lui demande s’il a été trouvé.

Elle me répond alors que selon ses hommes, le baron de Tourbière a fait annuler l’ordre de l’arrêter dans la matinée.

… rester calme. Il va me rendre chèvre.

« Parfait. Interrogez juste les miliciens du convoi pour savoir s’il y a eu des témoins des fait qui lui ont été reprochés. Si c'est le cas, il restera libre puisque que la milice ne l'a pas arrêté suite à ça. Sinon, faites le au moins interroger qu'on sache ce qu'il en est. »

Non, j’ai beau être épuisée, je ne vais certainement pas laisser passer quoi que ce soit à travers les mailles du filet. Je me rends compte que j’ai oublié d’interroger Margaux et la prêtresse au sujet d'Almère, alors que je confie cette tâche à Eilyn. Je ne m'en fais pas trop pour cet homme. Gaël a pris sa défense, il a plus ou moins vu la scène. Mais prendre des précautions est toujours mieux.

« Au fait... vous avez bien dit à tous les miliciens de refuser tous ses ordres maintenant, hein ? Le baron tenait étrangement a avoir cette enquête et... quand je lui ai dit que je vous la confiais, il a plié bagages pour quitter le Fort, crachant sur mon hospitalité en me bafouant quelque peu... Il s'implique beaucoup trop dans cette affaire et j'ai de bonnes raisons de croire que quelque chose ne va pas. Je refuse donc que tout ordre de sa part soit exécuté par la milice dorénavant, faites passer le mot. S'il n'était pas attendu pour le procès, je l'aurais déjà fait partir de Sombrebois définitivement. Qu'on le garde à l’œil. »

Je ne parle pas de ses injures où il m'a souhaité la mort. A quoi bon ? La parole d'une femme contre celle d'un homme... d'une parvenue à la pire réputation contre un noble de naissance quelque peu zélé mais sans histoire... c'est pas gagné. Et que 'la catin de Sombrebois' comme on m'a si souvent appelée se plaigne qu'on la traite de catin en ferait rire plus d'un à juste titre. Peut-être qu'étant donné les circonstances actuelle, je pourrais être prise au sérieux de parler de menaces de mort, mais j'ai malheureusement un gros doute. A mon sens, c'est perdu d'avance. J'aviserai plus tard, en tout cas, j'ai émis des soupçons envers lui ce qui sera suffisant pour le moment.

« Il faudrait plus de temps... lui dis-je. Qu’on ait le temps de rassembler des éléments pour le procès. J’ai contacté beaucoup de personnes et les recherches risquent d’êtres longues si le suspect se démerde bien. Si ça se trouve, on le retrouvera jamais… »

Je soupire. Bien sûr, elle ne pourra rien faire pour ça, je le sais bien. Quoi que… la milice fait bien partie de la justice, non ?

« Si jamais… vous arrivez à savoir qui est le juge qui sera chargé de ce procès, j’aimerais bien lui demander de reporter l’audience quelques jours après la date prévue le temps d’avancer dans les recherches. »

Dure nuit que passée, hein ? Dure journée aussi. Suite à deux ou trois points de suture qui ont sauté à l’aube, j’ai dû être recousue en urgence et garder le lit pour la journée. Je suis obligée de reconnaître que j’en fais beaucoup trop et que je dois lever le pied… Profitant d’avoir demandé à être descendue pour aller aux latrines, j’ai fait quelques pas en direction de la cuisine pour manger un morceau, Athanase dans les bras. Entre deux bouchées de l’habituelle tourte de Pénélope, je joue un peu avec lui.

« Oh ben non, t’es pas un vilain monstre qui va manger maman hein ! Gouzigouzigouzi Oh ben non… Ya pas un vilain monstre qui va te manger non plus hein ! Gouzigouzigouzi c’est maman qui va te manger !
- Rosen… »

Je lève les yeux à l’appel tout aussi gêné que discret de la cuisinière. Ah… Voilà Patrice Leblé. Il choisit bien son moment celui-là… Merveilleux, j’ai l’air d’une vraie cruche maintenant.

« Oh, euh, Monseigneur, le salué-je maladroitement à mon tour en inclinant la tête. veuillez M’excuser, on ne m’a pas annoncée votre arrivée... »

Comme si je pouvais compter sur la milice… Me faites pas rire. Un jour, j’aurais mes propres gardes. Des gars efficaces qui feront bien leur travail !

Je tends mon fils à Pénélope afin qu’elle l’éloigne de la cuisine puis je reporte mon attention sur l’envoyé maintenant que nous ne sommes plus que tous les deux pour parler au calme. Il me conseille donc de ne pas essayer de faire repousser le procès tout en nous remplissant un verre de vin chacun.

« Je vois, je ne ferai donc rien pour repousser ce procés. C’est juste que je craignais qu’il ne manque quelques éléments cruciaux pour le procès. Voyez-vous, des hommes sont actuellement aux trousses d’un suspect et si ça se trouve, le retrouver prendra un long moment. »

Je prends une gorgée de vin, ignorant le reproche de ne pas suivre ces conseils. Quoi, que peut-il bien en savoir ? Cela ne fait qu’un jour qu’il est venu me voir…

« Bien sûr que j’aimerais sauver cet enfant. Assez de sang a coulé dernièrement et notre espèce est en voie de disparition... De plus, il ne s’agit pas d’une petite vermine des rues, seigneur. Cette petite fille dit être Margaux de Piana. Une noble, sœur du seigneur de Piana, Louis de Piana. Et c’est ce que j’essaie de vérifier bien que cela concorde déjà aisément. Ce qu’elle a fait, elle la fait sous la menace après avoir été enlevée et vendue à la guilde des voleurs. Elle n'avait pas l'intention de se servir de cette fiole. Elle devait seulement la remettre à un contact qui est le potentiel suspect actuellement recherché. Je continue de penser qu’elle mérite amplement une deuxième chance et d’être placée au temple de Marbrume pour embrasser une carrière de prêtrise et ainsi revenir sur le droit chemin en étant sous surveillance. J’espère que les Trois auront pitié d’elle et que le brigand, lui, sera rapidement retrouvé. »

Ou surtout, qu’Etiol m’entende et m’exauce.

« Elle ne semble après tout n‘avoir encore commis aucun meurtre, et elle n’aurait jamais aucune raison d’en commettre si elle pouvait être dans un cadre sain loin de la guilde des voleurs. »

Les gens ont tous cette formidable capacité à ignorer le principal pour se focaliser sur ce qui les arrange. Une meurtrière, hein ? Certes, rien ne prouve encore qu’elle ne comptait rien faire d’autre que de remettre cette fiole à quelqu’un. Le plan… mais que sait-il du plan, hein ?

« Le baron... parlons-en justement. Il s’agit bien de celui qui veut ma mort ? »

Je laisse à mon tour planer un léger silence. S’il faut des preuves, les gardes présents ce matin là m’auront entendu crier à Tourbière qu’il pouvait bien partir au lieu de réclamer ma mort.

« De celui qui avait ladite fiole de poison ? Que je me rappelle… Oui, c’est ça. La famille Tourbière n’est-elle pas la plus proche famille des Piana ? Sauf votre respect, Monseigneur… je m’inquiète surtout de la personne qui détient ce poison actuellement et qui vadrouille en parfaite liberté avec, sachant qu’elle souhaite me nuire. A dire vrai, je me demande même s’il n’est pas lié de très près à cette histoire… vous voyez ? »

Des emmerdes, toujours des emmerdes. Je soupire en reprenant une gorgée de vin, puis attrape le plat et un couteau pour couper une part de la tourte déjà bien entamée à présent afin de la placer dans une assiette et la poser devant mon visiteur. Si je n’avais pas confié aussi vite le bébé à Pénélope, elle l’aurait fait directement.

« Nous verrons bien ce que le juge décidera, clôturé-je en mangeant une bouchée dans ma propre assiette. Dites-moi, sinon… je me posais une question. De combien de pigeons y avait-il besoin pour prévenir le conseil ? »

Je mâche tranquillement ma tourte en le regardant dans les yeux, arborant un léger sourire. Qu’il ne croit pas que je n’ai pas un œil qui traîne pour surveiller ce qu’il se passe dans le bourg.

Je lève rapidement les mains, paumes face à lui, lorsqu’il insinue que je pourrais m’amuser à porter les accusations que je viens de lui soulever face au juge.

« Oh non, je m’en garderais bien. Je ne suis qu’une femme. »

Faut pas déconner non plus hein…

« Plus sérieusement, je ne porte pas vraiment d’accusations. Ce sont juste des détails qui bouts à bouts me paraissent étranges et au vu de son mépris dévorant envers moi, je ne me sens pas sereine qu’il garde ce poison avec lui. »

M’étonnerait qu’il soit assez stupide pour se servir du poison qu’il a entre les mains, mais sait-on jamais.

« Mais je ne m’occupe plus de tout ça, c’est la coutillère de Chantebrume qui est chargée de l’enquête. Si jamais le baron doit finir inquiété de quelque manière que ce soit, ça ne sera pas de ma personne en tout cas. Je me sentirais toutefois plus rassurée lorsque tout cela sera terminé et qu’il puisse définitivement quitter Sombrebois même si malgré tout je ne pense pas qu’il ne tente quoi que ce soit envers le bourg ou moi et mon fils. »

Concernant les pigeons, le voilà qui m’adresse à son tour un sourire peu engageant. Mazette. Je me mets à rire. Peut-être un peu trop fort, et je réajuste la tonalité avant de cesser totalement. Il faut que je fasse attention au vin, moi… avec la fatigue, je le supporte moins bien.

« Pensez-vous vraiment que j’avais l’intention de faire intercepter vos messages ? lui demandé-je en m’accoudant face à lui, amusée. J’ai tout un bourg à gérer, Monseigneur. Vous l’avez dit… je serais bien mal avisée de prendre autant de risques pour une simple gamine, aussi forte puisse-t-être mon envie de la voir graciée. Il n’y a rien de plus important pour moi que le bourg et mon fils, et si j’ai pu faire des erreurs par le passé, c’est fini aujourd’hui. » 

Je prends une bouchée de tourte, l’invitant alors à manger sa part d’un geste vers son assiette.

« Ail faisan et champignon. Pénélope est une cuisinière excellente. »

Je m’essuie ensuite la bouche avant de rajouter.

« Je ne crois pas que vous m’ayez dit votre titre, seigneur ? J’imagine qu’il n’est pas ‘ouvrier’ malgré ce qu’ont annoncé les gardes hier. » 

Mon sourire se fait un peu plus doux, amical, sans provocation aucune à présent.

« Je ne doute pas que certains aient essayé, mais quand même ! J’imagine que le jeu en valait quand même la chandelle, non ? »

Mon bon cœur qu’il disait… me faites pas rire. C’est Etiol qui va se retourner dans tous les sens au fin fonds de ses marais. J’ai beau avoir changée, certaines choses demeureront toujours. Sa réponse quant à savoir son titre ne me surprend guère.

Avec le temps, j’ai vite appris qu’il ne fallait jamais se fier aux apparences et je lui trouve même une certaine ressemblance avec Roxanne dans sa façon de parler. Ma Roxanne… J’imagine que la couronne a un type bien particulier de représentant. Le style mystérieux et plein d’atouts dans sa besace, n’est-ce pas ? Et sans doute un peu joueur avec ça. Mais n’aimé-je pas jouer moi aussi ?

Je souris alors sans me laisser désarmer le moins du monde.

« Je vois… Leblé n’est peut-être pas un nom d’emprunt finalement ? soulevé-je malicieusement en ramenant la main qui soutenait ma tête sur mon bras reposant le long de la table. Après tout, il s’accorde bien avec votre teint, Monseigneur. »

Oui, je continue de l’appeler comme ça… ça lui va bien, ne trouvez-vous pas ? Mais quitte à choisir un nom d’emprunt, il aurait pu en choisir un en adéquation avec son image.

Quand l’on en affiche une luxueuse, on fait en sorte de donner un nom en cohérence avec. Il me semble qu’aucun roturier ne s’habille avec des habits nobles, à part la haute bourgeoisie sans doute. Ceci dit, ‘Leblé’ est un patronyme de paysan et non de bourgeois. Chose qui semble bien se confirmer avec son teint hâlé.

Si c’est bien son vrai nom - et cela est étonnant qu’il l’aurait donné – il aurait donc mieux fait d’en donner un autre plus élégant. Et si ce n’est pas le vrai… eh bien, c’est pareil. Mais peu m’en chaut.

« Cela ne vous ennuis pas que je continue à vous appeler ainsi ? Pour continuer de coller à votre image actuelle. Vous savez, l’étiquette... »

J’aurais bien échappé un gloussement si je ne m’étais pas retenue. Bien mal m’en prendrait d’offenser un envoyé de la couronne…

« Mais pourquoi porter de tels vêtements, alors ? », l’interrogé-je, curieuse, en reprenant une gorgée de vin.

Si cela est pour donner meilleure prestance en tant que représentant de la couronne, encore une fois, il aurait fallu que le nom suive. Il y a comme quelque chose qui jure entre les deux…

Une brève toux m'interrompt comme j'allais reprendre une bouchée de tourte, me forçant à déposer la fourchette pour porter mon poing à ma bouche. J'ai passé la journée à tousser et j'ai l'impression d'avoir les poumons en feu...

Je ne vois pas en quoi vouloir sauver une petite fille serait cupide, mais je préfère m’abstenir du commentaire. Ce qui est sûr en revanche, c'est que cela serait bien stupide que de mettre en péril l'équilibre du bourg et ma position déjà si fragile pour une enfant. Pour sûr, c'est ce que beaucoup doivent attendre et cela ne m'étonnerait pas que ce ne soit qu'un piège de plus.

Quant à ce que mon interlocuteur ne devienne qu'un lointain de souvenir, on va espérer que cela se fasse sans heurt. Je n’aimerais pas un cadeau de départ des plus cruels, je m’en passerai bien.

Et puis il me parle de repos. Du repos. Ce même putain de repos que personne n’a envie de me laisser. Mais l’homme se lève pour quitter la pièce et aller chercher Pénélope. Il revient ceci dit assez vite, seul, pour se rasseoir en me tendant un verre d’eau qu’il m’a rempli.

Pas sûre que l’eau fasse passer la toux, mais il vaut mieux que je boive assez si je veux pouvoir continuer d’allaiter mon fils dans tous les cas. Je pourrais dire que ça va aller, que ça va passer. Que ce n’est qu’une vilaine toux de rien du tout… mais on sait comment ça finit bien souvent, la toux. On tousse de plus en plus et on finit par littéralement se noyer dans ses propres poumons et en mourir.

Je bois l’eau sans rechigner, puis repose le verre sur la table.

« Pas que je sache, » réponds-je alors quant au fait d'avoir des questions.

Il y en auraient tellement que j’aimerais poser, mais aucune d’entre elles n’aura jamais de réponse. Ceci dit, je me demande bien pourquoi il a fait appeler Pénélope. Il y a tout ce qu’il faut sur la table, et ce ne sera pas elle qui me ramènera dans ma chambre mais un milicien qui m’y portera.

« Quoi que... »

je ne sais même pas comment formuler ma phrase et je me rends compte que je me frotte les yeux d’une main depuis plusieurs secondes. Je cesse donc mon geste pour reporter à nouveau mon regard sur mon interlocuteur. Non, c’est stupide. Je sais très bien qu’il ne pourra pas me répondre et je ne sais même pas comment formuler ça.

« Sauriez-vous me dire si... »

Je soupire finalement en abandonnant l’idée.

« Laissez tomber. »

J’essuie encore brièvement mes yeux, laisse glisser ma dextre mollement le long de mon visage jusqu’à ma bouche, poignet axé vers la droite de sorte qu’elle l’a recouvre, les doigts en travers de ma joue.

« Je vous remercie pour tous vos conseils en tout cas. » 

La conversation aurait pu s’arrêter là. Mais pour une raison que j’ignore, mon interlocuteur me relance pour connaître la mystérieuse question que je n’ai réussi à poser. Est-ce un témoignage – ou du moins une tentative - de soutien, ou au contraire la recherche d’un faux pas à me faire franchir ?
Le faux pas de trop, définitif, celui qui pourrait me faire sombrer à jamais.

Épineux questionnement dont la réponse pourrait pourtant faire toute la différence. Et si la confiance devient difficile à accorder, le soutien devient pourtant de plus en plus rare, mais surtout de plus en plus vital dans la situation où je me trouve. Mais admettons qu’il soit pourvu de toute la bonne volonté du monde ; aurait-il seulement la réponse ? Prendre des risques est une chose, les prendre pour rien en est une autre.

Son regard se plante alors dans le mien comme je suis décontenancée un instant. Que répondre ? Le moindre mot de travers pourrait me coûter cher, et Etiol lui même sait combien j’en place. A se demander comment je suis encore là… Mais j’en ai assez de tout ça. J’en ai assez de m’écraser et de fermer ma gueule, de faire comme si de rien n’était. Il faut que ça sorte…

Je déglutie un instant avant de prendre une profonde inspiration. C’est sans doute une erreur… mais après une courte hésitation, je demande finalement.

« Etes-vous au courant ? »

Oui, non, peut-être… qu’importe. De toute façon, bientôt, tout ceci n’aura plus aucune importance. Un jour ou l’autre, pour chacun, plus rien ne peut avoir d’importance.

Mon regard se fait un peu plus lourd, un peu plus inquisiteur. Presque accusateur. Pensez-vous qu’il ne comprendra pas, que la question reste trop vague ? Malheureusement, je ne peux pas être plus précise. Et ce n’est pas grave, parce que s’il est au courant, il saura très bien de quoi je parle. Oui, il comprendra.

« Moi, je le suis. »

Trois mots qui, dans ce contexte vide de contexte, ne veulent donc rien dire du tout. Mais j’ai bon espoir qu’il comprenne. Et s’il ne sait rien, ce n’est pas grave. Alors puisqu’il y tient à ce que je la pose ma question…

« Je voudrais juste savoir s’ils… »

Je m’interrompt, la gorge et la mâchoire serrées.

« Vont-ils s’arrêter là ? Ou vont-ils encore et toujours s’acharner sur ce pauvre village ? »

Je me sens tendue et je suis épuisée. Une fois de plus, je tousse, prends mon verre d’eau pour apaiser la brûlure, peut-être aussi pour me réfugier dedans aussi en passant. Tout a une fin. Je dois juste être patiente...