Un toit au dessus de la tête [Erwan D'acier]

Il pleuvait à torrent ce jour-là. Il pleuvait de l'eau et de la glace. Peu coutumière à un tel temps de chien, je me trouvais quelque peu surprise par cette pluie étrange. Néanmoins, mes collègues me rassurèrent, m'affirmant qu'il n'y avait rien de plus normal en cette saison et que je n'avais pas à m'inquiéter outre mesure. Cette pluie torrentielle, ils l'appelaient les giboulées de mars.

Autant vous dire qu'avec un tel temps, je ne trainais pas dans les rues pour rentrer chez moi. Au contraire, je courais presque en essayant de passer entre les gouttes, ce qui, avouons-le, était peine perdue. L'avantage,
C'était que Marbrume me semblait moins peuplée. Je m'en voyais presque ravie… Oui, presque.

Arrivée chez moi, je déchantais aussitôt. À cette heure-ci, Cyrielle aurait dû se trouver près de l'âtre, occupée à cuisiner le souper. Erick devrait jouer non loin, il n'aimait pas rester seul. Pourtant, le rez-de-chaussée était totalement vide… Par contre, un brouhaha s'échappait de l'étage.

– Roh, mais c'est pas vrai ! hurla mon amie depuis le premier. Il y en a ici aussi !

Inquiète, je me précipitais dans l'escalier et manquais de glisser sur les marches parce qu'elles étaient trempées… De l'eau, dans ma maison ?

– Erick, apporte-moi un autre seau, s'il te plaît.
– Mais, il n'y en a plus !
– Comment ça ? Ce n'est pas possible!
– Je te promets qu'il n'y en a plus !

– Mais que se passe-t-il ici ? demandais-je en observant l'étendue des dégâts.

De l'eau ruisselait des murs de ma chambre, tombait du plafond jusque sur nos lits. Le plancher était, par endroit, totalement imbibé d'eau. Du linge se trouvait partout sur le sol, sans doute parce qu'ils avaient essayé d'éponger tout ça… en vain.

– Je ne comprends pas… Au début, ce n'était qu'une petite fuite de rien du tout. Je ne m'en suis pas inquiétée. Vers la mi journée, j'en ai trouvé une autre dans l'angle… Puis ça s'est mis à couler par les murs … Que les Quatre nous viennent en aide !

Ce fut en l'entendant évoquer les premières fuites que je compris…

– Oh mince, c'est ma faute…
– Comment cela peut être ta faute ?
– Ces fuites ne dataient pas d'hier, je les avais déjà repéré. J'aurais dû contacter un couvreur… C'est ce que je me dis chaque soir en observant la tâche au-dessus de mon lit… Mais chaque matin, j'oublie…
– C'est pas vrai ! Léna, qu'allons-nous faire ? Nous ne pouvons pas rester ici… Et si le toit venait à s'écrouler ?
– Je doute fort que cela puisse être le cas. La charpente est solide…
– Maman, j'ai peur … murmura l'enfant en venant saisir un morceau de ma chemise trempée par la pluie. Je veux voir Erwan…

Je soupirais. Erick s'était très vite attaché au forgeron. Il me demandait souvent de l'emmener à la forge pour qu'il puisse le voir. Si j'avais refusé durant les premiers jours, j'ai tout de même fini par céder. Les deux s'apprécaient énormément et je ne me lassait pas de les voir sourire… Mais, tout de même, je ne pouvais pas nous imposer comme ça…

– S'il te plaît maman…
– Il serait plus sûr de lui demander asile le temps que le toit soit réparé… Et probablement le plancher aussi.

Je fis rapidement le calcul dans ma tête… Payer les services d'artisans était loin d'être bon marché, bien que je n'avais pas le choix. Autant vous dire, que le tourni me prit très rapidement à mesure que je voyais mes quelques sous disparaître…

– Prenez quelques affaires…
– Ouiiii ! se réjouit Erick, sans la moindre retenue.
– S'il n'est pas d'accord pour nous héberger cette nuit, je t'interdis de lui faire tes petits yeux tristes. Nous irons à l'auberge.

Nos sacs furent prêts très rapidement… Après tout, nous n'avions pas grand-chose à nous. Je m'étais changé et nous purent alors prendre la route jusqu'à Bourg Levant… Arrivés chez le forgeron, nous étions tous les trois trempés jusqu'aux os. Je tenais Erick dans mes bras, il grelottait sous ma cape et je craignais qu'il en tombe malade. Cyrielle frappa à la porte tandis que je me collais contre le mur dans l'espoir de bénéficier d'un minimum de protection.

Lorsque le forgeron ouvrit la porte, mon amie prit la parole et lui dit :

– Messire, nous avons besoin de votre aide…

Les giboulées ! C’est pluies fortes et glaçantes, ponctuées parfois de grêle qui venaient sonner la fin de l'hiver et le début du printemps.
Les récoltes qui y survivaient faisaient le bonheur des fermiers.
Cette année, ces pluies étaient particulièrement froides et violentes, ce qui ne me dérangeait pas, car ma bâtisse était solide et toujours sèche, avec la chaleur de la forge et du fourneau. Les gens sortaient moins, ce qui me permettait de prendre de l’avance sur mon travail, de mettre de l’ordre voir, prendre un peu d’avance.

Cette année, j’avais même pris le temps de jouer avec Goup’, me retrouvant à rouler au sol avec lui pour jouer à la bagarre.
Nous avions fait trois rapides sorties pour nécessité hygiénique et, chaque fois, nous étions revenus trempés.
La nuit était tombée vite et, alors que je remuais ma soupe, on frappait à la porte.
Tout va bien Goup’ ! Reste ici ! Avais-je dit au chiot qui, sagement, restait assis dans la cuisine. Je traversais la réserve puis la boutique pour ouvrir la porte.

Par les Trois ! Mais rentrez donc ! M’écriais-je en m’écartant tout en tirant presque Cyrielle à l’intérieur avant de refermer et de reverrouiller la porte derrière les derniers.

Je me retrouvais donc avec un trio dégoulinant et grelottant dans ma boutique, le sol se couvrant peu à peu d’une eau froide qui s’imprègne vite et profondément. Serrés les uns contre les autres, Goup’, qui avait reconnu tout le monde, tournait en rond, sautillant dans la flotte.

Goupil ! Pas maintenant, file dans ton coin ! Avais grondé en indiquant son coussin au chiot qui, y retournait en regardant derrière lui.
Il fallait agir, vite et avec cohérence, aussi, j’ouvrais la porte de la forge où ronflait toujours un feu puissant, leur indiquant de s’y rendre immédiatement.

Enlevez vos manteaux et accrochez-les aux clous qui sont ici, je reviens !

Je fis alors un rapide aller-retour dans la réserve pour revenir avec des serviettes que je leur donnais. J’avisais alors leurs petits sacs, ruisselants également. Il n’y avait presque aucune chance que le contenu soit sec.
Je me grattais la tête.

Je vous laisse retirer vos vêtements et vous sécher. Je vais aller voir à l’étage ce que j’ai à vous passer pour vous habiller. Il y a assez de serviettes pour vous éponger et vous enrouler dedans. N’hésitez pas à aller dans la cuisine après, il y a de la soupe sur le feu.

Le toit pouvait nous tomber dessus… J’ai eu peur… ! Chouinait Erick. L’angoisse, la précipitation et la frayeur du moment avait dû être terrible pour l’enfant. Maintenant à l’abri, la pression redescendait et ses nerfs semblaient lâcher.
Je m’accroupissais alors devant lui, l’enroulant dans une serviette.

Tout va bien désormais bonhomme, vous êtes en sécurité ici.

J’veux que tu restes avec nous !

…

Euh ! Je vais t’emmener dans la cuisine, tu vas retrouver Goup’ et on va te sécher, d’accord ? On va laisser ta maman et Cyrielle entre femme si tu veux bien ? Quand tu seras sec, je te laisserai avec Goup’ pour aller vous chercher des vêtements. D’accord ?

Ce dernier mot, je l’avais prononcé en relevant les yeux vers Héléna, cherchant son accord pour m’occuper de son fils.

–Par les Trois ! Mais rentrez donc ! S'était-il écrié tout en se déportant suffisamment pour que nous puissions entrer.

Nous étions si trempés que l'eau ruisselait le long de nos vêtements. Son plancher ne tarderait probablement pas à nous ressembler si nous restions en place. Le chiot nous tournait autour en aboyant. Le pauvre voulait simplement nous saluer, mais nous n'étions malheureusement pas d'humeur pour cela. Goup' se fit purement et simplement rabrouer tandis qu'Erwan exigea qu'il se rendit à son panier. Peut-être aurais-je râlé pour tant de rudesse en temps normal, néanmoins, à ce moment-là, je voulais juste retrouver le chaud et le sec.

Le forgeron nous conduisit alors jusque dans la pièce la plus chaude et nous demanda de retirer nos mentaux. Nous nous exécutâmes, tout en tremblotant, les vêtements se trouvant dessous étant tout aussi trempés que les mentaux.

Il revint rapidement avec suffisamment de linge pour nous permettre de nous sécher. J'observais le tout comme s'il s'agissait-là d'un merveilleux trésor. Erick raconta nos malheurs à Erwan qui le prit rapidement sous son aile pour que nous puissions nous dévêtir entre femmes. Ce que nous fîmes, avant de nous enrouler dans les linges que le forgeron nous avait apportés.

– Tu ressembles à un fantôme…
– Dis donc, tu t'es vu ? Tu es guère mieux, railla-t-elle gentiment.

Après tout, mieux valait rire de notre situation actuelle. Nous pourrons pleurer après avoir payé les artisans qui viendront réparer les dégâts… Enfin, en admettant que je puisse avoir les moyens de les payer.

– Devrions-nous aller jusqu'à la cuisine ? Il a parlé de soupe bien chaude…
– Il a dit que nous pouvions…
– Alors pourquoi nous n'y allons pas ?
– Parce que nous sommes nues sous des draps ?
– C'est vrai… souffla-t-elle. Mieux vaudrait l'attendre ici dans ce cas…

J'acquiesçais simplement.

Nous avions ainsi laissé les femmes entre elles pour rejoindre la cuisine entre hommes. Sitôt arrivés, j’avais autorisé Goup’ à saluer le petit afin de lui montrer que je ne l’avais pas grondé gratuitement.
Le sourire revenait doucement sur le visage du garçonnet alors que je commençais à lui frotter la tête pour lui sécher un peu les cheveux.

Aller mon grand, il faut retirer tout ça ! Dis-je en posant le linge sur la table. J’aidais alors Erick à se débarrasser de ses habits trempés. Lorsqu’il ne lui restait plus que son pantalon, je tendais un linge sec entre lui et moi, le laissant s’en séparer, pour enfin, l’envelopper complètement et de le frictionner pour le sécher. Une fois sec et ébouriffé en règle, je servais trois bols de soupe et posais un gros morceau de pain sur la table.

Je reviens, je vais chercher des habits ! Annonçais-je au petit, qui semblait avoir déjà plus ou moins reprit du poil de la bête.

Une fois à l’étage, je me retrouvais face à une problématique ou, plutôt, deux problématiques. Je n’avais que des vêtements d’hommes et à ma taille. Je me mettais donc à retourner les armoires, attrapant ce qui pouvait convenir. Pour Erick, ce serait plus compliqué…
Je finissais par trouver un truc et retournais à la cuisine. Je laissais donc à l’enfant une longue tunique ainsi qu’une petite ceinture.
Je retournais alors vers la forge, puisque les filles avaient visiblement souhaité rester là-bas. Je frappais et entrait, découvrant deux silhouettes fantomatiques emballées dans les linges.

Oups… ! Je suis… bête… ! Désolé ! Bredouillais-je, déposant les habits sur un établi. Je… J’ai cherché ce que je pouvais… Je… Je vous laisse… !

Je m’éclipsais en refermant la porte, arborant des joues rouges comme des charbons ardents.
Laissant les femmes s’habiller et Erick jouer avec Goup’, je retournais à l’étage, vérifier que les trois lits étaient correctement faits et les chambres rangées. Je descendais ensuite une couverture que je jetais dans la grange avant de retourner attendre Héléna et Cyrielle dans la cuisine.

Le forgeron ne tarda pas à revenir avec les vêtements promis. Lorsqu'on le vit entrer précipitamment dans la pièce avant de ressortir en s'excusant, Cyrielle et moi éclatâmes tout bonnement de rire.

–Merci Erwan ! m'écriais-je avant de m'esclaffer joyeusement.

Rapidement, nous enfilâmes les différents vêtements. Évidemment, ils étaient tous trop grands et trop larges pour nous, mais au moins, nous étions à présent plus ou moins au sec. Fin prêtes, nous gagnâmes la cuisine où se trouvait Erick… Vêtu, tout comme nous, de vêtements beaucoup trop grands. Sauf que sur lui, c'était tout simplement adorable.

–Comment te sens-tu ? lui demandais-je en le serrant dans mes bras.
– J'ai faim…

De nouveau, j'éclatais de rire. Si ne m'étais attendue à plusieurs réponses, je n'avais certainement pas songé à celle-ci. Mais j'en fus bien heureuse. Après tout, cela ne pouvait signifier qu'il se sentait en sécurité.

–Je suis vraiment navrée pour cette intrusion en masse, lançais-je à Erwan, la mine sincèrement désolée.Si nous vous dérangeons, nous pouvons tout à fait dormir à l'auberge… Erick a simplement insisté pour vous voir mais nous ne voulons pas nous imposer…

Bien que c'était déjà ce que nous avions fait. Je n'aimais guère cette situation. Évidemment, si le forgeron s'était retrouvé devant chez moi dans le même état, nous lui aurions ouvert la porte pour l'accueillir et l'installer confortablement. Néanmoins, Erwan avait tout à fait le droit de penser autrement…

– Quoiqu'il en soit, nous tenons sincèrement à vous remercier… Encore.

Je ne pouvais retenir un sourire en voyant arriver les deux femmes vêtues de mes habits. Bien trop grands, bien trop larges, les pauvres ne ressemblaient à rien. Si cela les inquiétait peut-être, je n’en avais rien à faire. Elles étaient au sec et au chaud, c’était le plus important ! A l’évidence, je regrettais tout de même un peu que cela estompe totalement les formes de la milicienne, mais je chassais bien vite cette pensée en observant Héléna qui prenait Erick dans ses bras avec amour, lui demandant comment il se sentait.
A la réponse du petit, je poussais vers lui un bol de soupe et une cuillère, invitant Cyrielle à prendre place, elle aussi.

Tenez, pour vous Cyrielle ! Dis-je alors en lui donnant son bol tandis que la milicienne éclatait de son doux rire. Elle me lançait alors un regard avant de me remercier. Elle assurait qu’ils iraient à l’auberge s’ils me dérangeaient. La sincérité de ses propos me laissait voir son malaise et, ne voulant pas le renforcer, je lui souriais en posant une main douce sur son épaule.

Héléna, vous êtes évidemment les bienvenues ici, tous les trois, aussi longtemps qu’il vous plaira ou que cela sera nécessaire ! Vous ne me dérangez en rien, au contraire. Vous l’aviez dit vous-même, cette maison manque de vie. Alors si vous avez besoin de rester ici une semaine, deux, un mois, peu importe.

Je relâchais son épaule, souriant avec honnêteté.

Vous êtes ici chez-vous, tous les trois !

J’indiquais alors à la jeune femme la porte de la cuisine.

Je vous montre vos chambres ? Nous les rejoindrons pour manger ensuite, à moins que vous ne préfériez manger d’abord ?