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| Scarocci CorberaChevalier itinérant
| Sujet: Les trois chevaliers Sam 25 Juin 2016 - 22:10 | | | Même si invisibles, les corbeaux se font entendre. Leurs croassements lugubres trouvent un étrange écho entre les arbres, donnant l'impression d'être encore plus nombreux qu'ils ne le sont déjà.
Un petit carnage a eu lieu ici. Les corps de deux fangeux reposent dans l'eau croupie d'une mare, à moitié immergés. L'eau ne cache pas le triste état de leurs corps, avec leurs membres arrachés. Le sang tâche le liquide déjà assez sombre, et imprègne la terre de sang supplémentaire dont elle n'avait pas besoin.
Mais malheureusement pour les corbeaux, quelqu'un profite déjà du festin. Un cheval énorme, colossal, comme s'il était tout droit sorti des enfers, est sur place. Noir comme la nuit, plus haut et large encore qu'un cheval de trait, plus musclé que le meilleur destrier de guerre, il mastique un bras. La chair et les os se font indistinctement broyer tandis que le sang coule à flots entre son museau. Son crin est salit par la boue, et quelqu'un ayant le courage de s'approcher du monstre chevalin aurait distingué sans mal de vieilles blessures gâchant l'uniformité parfaite de sa robe sombre.
Malgré sa position, le cheval n'est pas inquiet. Pire. Il est serein. Ses énormes yeux globuleux et injectés de sang fixent la route toute proche sur le côté, même si le terme "chemin dégueulasse" est sans doute plus approprié. Des gens y passent, régulièrement, certains suivis d'ânes ou dans des charettes. Ils regardent le destrier d'un air terrifié et pressent le pas, mais continuent leur route, sans que l’anthropophage ne les poursuivent, savourant son festin.
Ce n'est pas un cheval errant. Même s'il n'a ni rênes, ni mords, une grosse selle vide traîne sur son dos. Sur le côté de la selle, un bouclier, une rondache même, avec un symbole : celui d'un centaure bleu. Très mal dessiné.
Son maître n'est pas là, parti sur une charette avec d'autres sacs de viande petits et bavards. Il lui a ordonné de rester ici et de surveiller. Et de le rejoindre ensuite. Scarocci ordonne, alors, Bidigon obéit. Il a de quoi manger. Il ne quittera pas son poste.
Deux nouveaux arrivants troublent la tranquillité du destrier, qui fixait depuis quelques minutes la route vide. Un mâle et une femelle. Ils chevauchent eux aussi des chevaux, bien plus petits et fragiles que celui de Scarocci Corbera. Instantanément, leurs montures se mirent à ruer et hennir, les oreilles baissées vers l'arrière, les yeux roulant dans leurs orbites, fixant avec panique le cheval noir. Celui-ci fixa les deux humains, et souffla. Ses immenses naseaux propulsèrent l'air si fort que la poussière et les feuilles volèrent autour de lui, l'eau troublée par de nombreuses fractales.
Il les jaugea quelques instants, son intelligence maléfique brillant dans ses yeux, avant de croquer une nouvelle fois. Le bras du fangeux se brisa en deux et s'écrasa mollement dans le sol avec un bruit mou, tandis que le reste disparaisait entre les deux du cheval. Il se pencha alors, ramassant un autre morceau, et repris son macabre petit-déjeuner.
Il était pressé de retrouver son maître. |
| | | Yseult de TraquemontChâtelaine
| Sujet: Re: Les trois chevaliers Sam 25 Juin 2016 - 23:04 | | | Les sabots de nos montures écrasent l'herbe grasse et humide dans un bruit spongieux tandis que le chevalier de Nouet et moi-même avançons sans échanger un seul mot. Autour de nous, la nature paraît plus menaçante que jamais : des nuées de corbeaux mouchettent le ciel morose du début de printemps, car ils ont depuis longtemps compris que les humains faisaient rapidement des cadavres dans les marais. Notre cortège, vu depuis l'empyrée, doit leur apparaître ainsi qu'un gigantesque festin à venir.
Un long frisson remonte mon échine tandis que je songe qu'ils n'ont pas tort.
Je me retourne à moitié sur ma selle, jetant un regard vers l'arrière en direction du Levant. J'aperçois les ombres lointaines du convoi : plusieurs milliers de silhouettes qui avancent laborieusement sur la route du Nord. Gardes et laboureurs, mais aussi des cordonniers, des bûcherons, des tailleurs de pierre, des apothicaires et maintes autres professions réunies en une seule procession. Une procession vers l'espoir des récoltes à venir, ou la promesse d'une nouvelle et meurtrière famine pour la cité franche.
Une seule pensée ne cesse de me revenir en tête, avec la clarté effrayante d'un coup de tonnerre. Nous devons réussir. Les conséquences d'un échec seraient terrifiantes : un affaiblissement considérable de la confiance du peuple en l'autorité du duc, une seconde vague de faim et de macchabées... Ceci pourrait bien être le coup porté en plein dans le défaut de la cuirasse du dernier bastion de l'humanité. Ramenant mon regard limpide vers l'avant, je raffermis ma prise sur les rênes de mon alezan. Faillir n'est pas une éventualité que je peux envisager.
La logistique de ce genre d'entreprise était impitoyable. Nous avions en tout et pour tout une journée afin de franchir la dizaine de lieues séparant Marbrume des plateaux fertiles du Labret : le délai était juste, trop juste. Marche ou crève n'avait jamais eu tant de sens qu'aujourd'hui, car s'arrêter ou simplement ralentir n'était rien de moins qu'une peine de mort.
J'avais donné des consignes aussi claires que strictes la veille. Que les miliciens vérifient scrupuleusement le bagage de chaque homme et chaque femme, afin qu'il ne soit pas trop lourd : qu'ils vérifient leurs chaussures, assurent que les chariots ne manquent pas de l'eau et du pain nécessaires à nourrir une telle masse de personnes sans pour autant emporter le moindre excédent. Tout avait dû être réglé aussi précisément que possible... De ce genre de détails dépendaient nos vies, aussi sûrement qu'elles dépendaient de nos épées et de la chance.
Cela faisait beaucoup de facteurs auxquels notre survie était liée. Trop.
Une part de moi-même - la plus lâche, mais pouvait-on vraiment m'en blâmer ? - me soufflait que tout ceci n'était que folie. Que jamais je n'aurais dû assumer la charge de ces opérations. N'avais-je pas assez donné de moi-même ? N'avais-je pas le sang d'assez de personnes sur les mains ?
Je baissais la tête vers mes paumes aux cals discrets, seyant aussi peu à mon sexe qu'à mon rang. Peut-être ma vie n'était-elle qu'une longue succession d'erreurs et d'échecs ayant coûté la vie à mon entourage. C'est une sonorité inhabituelle qui m'extirpe de mes idées noires. Un cheval, s'il s'agit bien d'un ; monstrueux, musculeux, il se tient à une douzaine de toises de là et mastique la chair ravagée d'un cadavre que j'identifie aussitôt être un Fangeux occis. La bête est celle d'un chevalier que j'ai déjà pu apercevoir lors d'un tournoi organisé dans la ville, répondant au nom de Scarocci Corbera ; mais de chevalier il n'aurait que l'apparence et non le titre, étranger qu'il serait au royaume de Langres. Et d'étrange, il l'est effectivement. Je couve la monture d'un regard dégoûté, avec la désagréable impression qu'elle me renvoie le même mépris.
« Je ne vous ai pas posé la question, mais elle ne quitte pas mon esprit : y a-t-il des hommes à vous dans le convoi ? » interrogeai-je à brûle-pourpoint mon voisin.
J'avais formellement interdit à Lendemain et quiconque aurait la même idée de m'accompagner : Traquemont était suffisamment fragilisé avec mon absence - ou du moins, c'est la sensation que mon absence du fort me laissait - et je ne comptais pas le priver de davantage de ressources encore. Cependant, Geoffroy et les siens n'étaient pas encore réellement considérés comme des gens du château bien qu'ils n'en soient plus des étrangers et à ce titre, leur avais laissé tout loisir de me joindre ou de s'en abstenir. Avec les préparatifs ayant accaparé mon attention ces derniers jours, j'avais oublié de m'en informer.
« Je vous sais d'un bon cœur pour le peuple et d'un courage équivalent, mais notez que l'impulsivité peut très bien mener à l'échec de notre entreprise. » Geoffroy était loin d'être idiot et je ne doutais pas qu'il avait compris cela : néanmoins, je lui soupçonnais un penchant pour l'héroïsme qui me faisait craindre pour notre succès.
Seulement pour votre succès...?
« Nous ouvrons la voie au cortège et en aucun cas nous ne pouvons aller de l'arrière ou nous laisser arrêter. D'ailleurs... » Je me tus un instant, avant de plisser le nez. « Attendez. Vous avez combattu le propriétaire de ce cheval au tournoi, vous vous rappelez ? J'ai surpris une conversation de miliciens l'autre jour, laissant entendre qu'il a tendance à semer des catastrophes dans son sillage. L'idée de ne pas le voir me laisse comme un mauvais pressentiment... »
Et ce n'était pas une exagération. |
| | | Geoffroy de NouetChevalier
| Sujet: Re: Les trois chevaliers Mar 28 Juin 2016 - 14:42 | | | Ainsi, le grand jour était arrivé. Celui où Marbrume, ses habitants et ses défenseurs, relevaient enfin la tête et osaient se risquer à l'extérieur des murailles. Au lieu de laisser la ville dépérir, les autorités avaient lancé cette grande expédition après s'être concertées au cours d'un grand conseil qui avait réuni tous les puissants autour d'une table. L'enjeu de cette reconquête du Labret était double. Assurer un approvisionnement stable et suffisant de nourriture pour la cité portuaire, bien évidemment, mais en temps que soldat et commandant de troupes de surcroît Geoffroy voyait plus loin. La réussite de leur expédition enverrait un message fort à tous ceux qui luttaient encore pour leur survie : battre les fangeux est bel et bien possible. Mais s'ils échouaient, alors...
Quelques pas devant lui, Yseult guidait sa monture au trot. Il l'observa un instant à la dérobée. Si la peur de l'échec le taraudait déjà, il n'osait même pas imaginer ce que devait ressentir celle qui s'était portée volontaire pour diriger les opérations. La châtelaine restait pourtant aussi digne qu'à l'accoutumée, sans montrer le moindre signe d'anxiété. Son calme apparent était contagieux et vint reléguer l'appréhension du chevalier au second plan. De toutes façons, s'ils ne parvenaient pas à sécuriser le Labret, il ne serait probablement plus là pour en subir les conséquences.
Comme si elle avait surpris son regard, Yseult se retourna vers lui pour satisfaire une soudaine curiosité. Sa question était légitime et Geoffroy réprima la réponse acerbe qui lui venait à l'esprit. Des hommes à lui ? Il ne possédait plus rien, ni terres, ni soldats. Seulement un titre et un tabard fatigué, qui ne faisaient que lui rappeler cruellement ce qu'il avait perdu. Malgré l'amertume qui devait se lire sur ses traits, il tenta d'être optimiste.
« Tous sont de la partie. Ce qui, avec moi-même, fait... vingt-sept. »
Son visage se rembrunit devant le ridicule de la situation. Si un fangeux valait une poignée d'humains au combat, alors combien de ces monstres pouvaient-ils emporter ? Cinq, six, pas davantage. Leur contribution à l'effort de guerre était définitivement bien maigre.
« Je vous sais d'un bon cœur pour le peuple et d'un courage équivalent, mais notez que l'impulsivité peut très bien mener à l'échec de notre entreprise. »
C'était vrai, bien sûr. Des hommes allaient mourir sur le chemin, et leur carcasse abandonnée aux charognards. D'autres périraient certainement sur le plateau, dévorés par les fangeux. Tous ces gens, des volontaires pour une partie, mais également d'autres réquisitionnés de force pour combler les effectifs manquants, ne reviendraient peut-être jamais chez eux. Et on lui demandait de l'accepter, car il n'y avait rien qu'il puisse y faire : Marbrume devait avoir son approvisionnement. Ses serments de chevalier paraissaient bien vides de sens tout à coup.
« Vous avez raison, la réussite de l'opération passe avant tout le reste. Je ne vous ferai par défaut sur ce coup-là, Yseult. » De bien belles paroles, Geoffroy. On verra le moment venu si tu es capable de t'y tenir...
La châtelaine attira son attention sur le cheval qui leur bloquait le passage – si tant est qu'on puisse qualifier de cheval une telle bête. Il s'agissait pourtant bien d'une monture, et Geoffroy connaissait fort bien son maître pour avoir croisé le fer avec lui lors du dernier tournoi organisé à Marbrume. À l'image de son destrier, Scarocci était véritablement taillé pour la guerre, et leur duel avait embrasé la Place des Pendus. Plusieurs fois il avait cru perdre la vie alors que l'énorme estramaçon manié par son adversaire le frôlait, mais il s'était finalement imposé. Quelque chose lui disait pourtant qu'une revanche contre le chevalier et sa monture lui serait autrement moins favorable.
« Ça ne m'étonne guère de lui. Savez-vous s'il s'est joint au convoi ? Son épée nous serait d'un grand secours, pour peu qu'il daigne nous l'accorder. » |
| | | Scarocci CorberaChevalier itinérant
| Sujet: Re: Les trois chevaliers Jeu 30 Juin 2016 - 22:31 | | | " Et ensuite, qu'est ce qui s'est passé ?! "
Chantante et douce, la voix de la jeune fille est agréable à l'oreille, réchauffant le coeur des personnes autour d'elle. Le premier est le conducteur de la charette, un vieil homme, à la carrure épaisse et au visage décidé, presque noyé par une épaisse chevelure neige et une longue barbe de même couleur. Il semble absent, presque énervé de voir sa tranquillité dérangée par les pipelettes autour de lui.
Les pipelette sont au nombre de trois. Deux femmes autour de la trentaine, grandes et fortes, des travailleuses de la terre. A leurs pieds cachés par de longues robes épaisses se trouvent leurs marchandises. La dernière est une petite fille, d'une demi-douzaine d'années sans doute, qui dors, roulée en boule dans des couvertures.
Veillant sur tout ce beau monde, un autre homme, le visage encapuchonné, vêtu comme un tire-laine, mais au visage et au sourire bienveillant. Ses bras sont étendus sur la banquette arrière, détendu, mais attentif à ce qui les entourent, ses yeux dorés fixant les arbres au loin.
Et au centre, avec une femme à chaque bras, Scarocci Corbera. Toujours vêtu de son armure complète et de sa cape blanche légèrement déchirée, le chevalier jouait (mal) de la mandoline. Ses deux épées reposaient à ses pieds, et, entre deux grattages de cordes, il continuait son histoire.
" Alors, chevauchant Bidigon à bride abbatue, je tirais la corde de mon arc, et visait soigneusement le griffon qui volait en piqué vers moi ! "
Un grattement de corde, un "scthwiiiiiing... " plein de tension. Elles sont suspendues à ses paroles, alors que le vieux conducteur de la charrette lève les yeux au ciel.
" Ma flèche se fiche alors directement dans son oeil ! La pauvre bête n'a rien vu venir, HAHAHAHA ! Elle s'est écrasée contre le sol, et a rebondit sur ma pauvre monture, me jetant à terre. "
Elles regardaient le chevalier, leurs bouches formant un grand "O" de stupéfaction. L'homme aux yeux dorés fixe Scarocci.
" Vous utilisiez un arc ? C'est rare chez les hommes de votre extraction. "
" C'est vrai ! Mais si j'ai appris une chose, c'est qu'un arc permet de protéger ses sujets sans quitter ses remparts ! "
" Il y a des gens ! " fit remarquer une des deux paysannes ! Le vieux conducteur grommela dans sa barbe. Scarocci lâcha sa mandoline, faisant un grand salut joyeux et violent à peu près la quasi totalité des règles de l'étiquette aux nouveaux arrivants, qu'il reconnaissait. Il ne connaissait pas Yseult de Traquemont, mais avait énormément d'estime pour Geoffroy de Nouet, qui l'avait vaincu en tournoi après s'être acharné sur sa jambe et son épaule. Incapable de pouvoir riposter véritablement, il avait été forcé d'abandonner. Il avait rapidement associé le jeune chevalier à la noble comme étant de grands amoureux, comme un petit enfant qui voit deux adultes se donner la main.
" OH ! MESSIRE GEOFFROY ! C'EST UN PLAISIR ! COMMENT ALLEZ VOUS ? DAME YSEULT, C'EST UN PLAISIR ! VOUS VENEZ TRINQUER AVEC CEUX QUI SERONT LES PREMIERS AU LABRET ? "
Il tenait dans sa main une bière qui semblait sortir d'absolument nulle part. |
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| Sujet: Re: Les trois chevaliers | | | |
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