Marbrume


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 Dame de pique [Geoffroy]

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MessageSujet: Dame de pique [Geoffroy]   Dame de pique [Geoffroy] EmptySam 16 Avr 2016 - 10:21
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« Où étais-tu passée ?! »

Plus qu'une question, ces mots constituent une véritable accusation qui rugit à travers un ciel couleur de charbon. Je cours à en perdre haleine, pourchassée par quelque chose que je refuse de voir. Une plaine morne et sans fin défile autour de moi sans jamais me rapprocher ne serait-ce que d'un pas d'une quelconque issue. Du moindre salut.

« Où étais-tu passée ? »

Parfois, je sens une main terriblement glacée refermer ses doigts sur ma cheville nue ; c'est une emprise d'écorcheur, qui caresse autant qu'elle lacère. Toujours je parviens à m'en dégager, et toujours l'étau parvient à me retrouver.

« Tu avais juré de nous protéger ! Tu as failli, à tout, à chacun de tes serments ! »
« Ce n'est pas vrai ! » criai-je en retour à la face de l'empyrée huileuse. « J'ai essayé... »

Oui, j'avais essayé. D'abord d'être le fils que mon père n'avait jamais eu, de me montrer à sa hauteur. C'avait été un échec ; ensuite, j'avais essayé de protéger les miens et là encore j'avais échoué. Et puis, même... j'avais espéré que lui et moi...

« Tu trahis notre mémoire avec cet homme ! »

Ces paroles me frappèrent en plein cœur. Peut-on trépasser de peine dans un cauchemar ? J'espérais que oui.

« Notre mémoire... » « Notre mémoire... » « Notre mémoire... »

Un écho torturant où chaque répercussion de cet odieux blâme me transperce jusqu'à la lie de l'âme.

« Qu'a-t-il de plus que moi ?! » vociféra une ombre stridente en surgissant devant mon visage. La bourrasque de son arrivée me causa une vive douleur, comparable à un coup de serres. « Ne suis-je pas aussi beau et aussi vivant ? Ne suis-je pas aussi vertueux que lui ! »

Je me détournais vivement, pour me retrouver nez-à-nez avec le crâne grimaçant de mon ancien époux. Je reconnaissais ses pommettes saillantes et la ligne dure de sa mâchoire, tandis qu'un rictus torve qui ne lui ressemblait pas faisait grimacer sa dépouille.

« Tu n'as jamais vraiment voulu m'appartenir, n'est-ce pas ? » La fureur hurlante de sa voix avait cédé la place à une douceur mielleuse bien plus effrayante. « Tu étais trop rigide, trop froide. »

Je peux sentir sa paume mortifère épouser la courbe de mon cou, imprimer une pression. Je le fixe avec morgue, le regard plongé dans ces orbites vides ; même étranglée, et même en suffoquant lentement, je ne cesse de le défier.

« Dans la mort tu m'appartiendras » souffla Tristan en plongeat profondément ses dents à même ma gorge, dans une violente gerbe de sang.

***

Je me réveillais avec un cri d'horreur mâtiné de rage, me redressant au milieu de mes draps souillés de transpiration. Ce n'était pourtant pas la nuit, encore ; l'après-midi s'étirait sur sa fin et l'horizon visible par la fenêtre de mes appartements se baignait des feux d'une mi-clarté agonisante. Il m'arrivait, lorsque je repoussais mon sommeil par trop exagérément, qu'il vienne me prendre en des moments incongrus de la journée.

Poussant un soupir, je délaissais ma couche dans un craquement de cuir. J'avais dormi toute habillée, ma livrée sombre faisant presque office de seconde peau depuis ces derniers jours. Si j'étais le résultat du mariage entre la soldatesque et la gentilhommerie, il semblait que la première prenait de plus en plus le pas sur la seconde - encore, songeai-je avec un sourire intérieur mordant de cynisme, un tort dont accuser la Fange.

« Châtelaine...? »

Mes yeux se braquèrent vivement dans la direction d'où émanait cette timide interpellation. Ils s'arrêtèrent aussitôt sur la silhouette menue d'une Rose hésitante, tenant entre ses mains un plateau de cuivre supportant un bol en terre cuite.

« J'allais justement vous apporter du bouillon. Il est de ce matin » ajouta l'ingénue avec une pointe de fierté.

Je me retrouvais partagée entre l'envie mesquine de l'envoyer paître et celle de soupirer à nouveau. Je ne me sentais guère d'humeur charitable, et encore moins d'appétit.

« Va plutôt dresser la table. Je ne suis pas encore si impotente que je doive me restaurer dans ma chambre à coucher... »

C'était lancé sur le ton de la plaisanterie, mais une plaisanterie quelque peu ironique. Le rouge monta aux joues de la roturière avant qu'elle ne tourne les talons - elle avait l'intelligence de savoir que je n'étais pas toujours au meilleur de ma forme au réveil, surtout lorsqu'il était aussi brutal.
Je me passais les doigts sur les paupières, accusant un début de migraine. Formidable.

« Et invite le chevalier de Nouet à venir partager le dîner. »

Traquemont fonctionnait encore sur le mode de vie que j'avais connu à Corbeval, avec ses hommes d'armes et ses servants prenant leurs repas directement dans les cuisines ou baraquements - voire sur le pouce pendant les heures de service - et où les nobles étaient libres de faire comme ils le désiraient à ce sujet. Il arrivait que le seigneur des lieux, naguère mon père, mande à sa table certains aristocrates sous sa bannière afin d'échanger des propos plus ou moins sérieux autour des plats.

S'il eût été dangereux de décliner la convocation de mon géniteur aux temps d'alors, la mienne n'avait rien d'une obligation.

« Comme il vous plaira » acquiesça la jeune femme avec un soudain sourire entendu aux lèvres.

Je levais les yeux au plafond tandis que l'insolente sortait, ragaillardie.

***

D'ordinaire, je me sustentais au-devant de la cheminée au linteau épais qui diffusait sa généreuse chaleur dans cette pièce aux allures de siège de campagne, encombrée de tables basses et de cartes de la région ; pour l'occasion, les meubles avaient été vaguement rangés près des murs ornés de tapisseries offrant au regard les scènes diverses de la vie de village, et une petite table trônait en son centre.

Elle n'avait rien de faste ou de somptueux ; du gibier, daim et lapin, accompagné de ce bouillon de racines mijotées et de quelques pommes en constituait l'essentiel. Il y avait là assez d'un pain noir, nourrissant, seyant davantage aux fontes des troupiers qu'à l'assiette des aristocrates lui préférant la mie blanche et sucrée des boulangers proches de l'Esplanade.

« Je tuerais pour un gâteau au miel... » marmonnai-je pour moi-même, assise dans l'un des rares fauteuils sis au-devant du foyer. Le chevalier n'allait probablement pas tarder - à moins que Rose ne ré-apparaisse pour me faire part de son refus.
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MessageSujet: Re: Dame de pique [Geoffroy]   Dame de pique [Geoffroy] EmptyLun 18 Avr 2016 - 20:10
Décliner poliment l'invitation fut d'ailleurs la première réponse à se frayer un chemin à travers les interrogations qui fusaient dans l'esprit du jeune homme. Lorsque Rose vint le chercher dans ses appartements, elle le trouva assis à même le sol, en train de se prêter à divers exercices de gymnastique. Une fine pellicule de sueur couvrait son torse nu, signe que son corps travaillait depuis un certain moment déjà. La servante se manifesta en lui présentant ses excuses pour le dérangement, avant de lui annoncer qu'Yseult comptait sur sa présence pour le dîner. L'air pensif, le chevalier se redressa et ramassa sa serviette, sans répondre à la question implicite. Rose détourna les yeux pour lui laisser un semblant d'intimité, reportant son attention sur l'examen de la chambre que Geoffroy avait fait sienne lorsqu'il s'était installé à Traquemont, moins d'une semaine plus tôt. La pièce était grande, ce qui ne faisait que souligner la pauvreté de son aménagement. Soit le chevalier n'avait pas eu le temps d'y apporter une touche personnelle, soit il ne prêtait pas attention à ce genre de choses. Sur le bureau vierge de tout document était posé un plateau d'échecs, où les pièces se faisaient encore face dans une partie à peine commencée. Elle remarqua un aussi petit tableau, posé sur la table de chevet, dont les personnages lui rendirent son regard : un couple veillant sur leurs deux enfants encore jeunes. En dehors de ces deux éléments, rien ne lui permettait d'en apprendre davantage sur la personnalité du chevalier.

Absorbée comme elle l'était par son travail d'observation, la jeune femme sursauta presque quand Geoffroy revint vers elle pour lui donner sa réponse. Il avait enfilé une chemise couleur crème qui le rendait déjà plus présentable que lorsqu'elle l'avait surpris quelque instants plus tôt.

« Vous pouvez dire à votre maîtresse qu'elle peut compter sur ma présence », fit-il simplement.
« Elle vous attendra dans son salon. Passez une agréable soirée, messire » lui souhaita-t-elle avant de se fendre d'une révérence. Elle allait quitter la pièce lorsqu'il la rappela.
« Attendez. Vous a-t-elle dit pourquoi elle souhaitait me voir ? » Il avait l'air inquiet, comme s'il redoutait cette entrevue qu'il venait pourtant d'accepter. Elle secoua la tête avant de sortir, le laissant seul avec ses questions.

* * *

Alors qu'il traversait les coursives de la forteresse, Geoffroy réfléchissait à l'interprétation qu'il pouvait donner à cette invitation. Ces derniers jours, il s'était efforcé d'éviter la présence de la châtelaine par tous les moyens à sa disposition. Il avait bien conscience que cela ne faisait que retarder l'inévitable, qu'il lui faudrait bien un jour ou l'autre affronter le jugement d'Yseult quant à ce qu'il s'était passé dans la tour abandonnée. Ce jour qu'il n'avait cessé de fuir semblait finalement l'avoir rattrapé mais plutôt que de décliner l'invitation, ce qui aurait été aussi lâche qu'insultant, il avait décidé de s'y soumettre de son plein gré. Ses bottes claquaient contre la pierre et résonnaient dans le silence qui enveloppait le couloir. Il se sentait comme un condamné marchant volontairement vers sa propre potence.

La porte de la pièce qu'il redoutait tant se dressa devant lui et le chevalier hésita. Il se perdit dans la contemplation de cette surface de bois qui lui barrait la route, chaque détail aussi incongru soit-il devenant un véritable mystère dont il faisait une priorité de comprendre le pourquoi du comment. Pour quiconque n'était pas dans sa situation, il devait être amusant de noter avec quelle facilité l'esprit humain pouvait s'accrocher à un élément banal pour retarder autant que possible une échéance. Le jeune homme offrait certainement un drôle de spectacle, immobile devant cette porte qui refusait manifestement de lui céder le passage. Plusieurs dizaines de secondes s'écoulèrent de la sorte avant qu'il ne se décide à s'arracher à sa léthargie pour pénétrer enfin dans le salon.

Il connaissait cette pièce pour y avoir déjà été reçu la première fois qu'il avait posé les pieds à Traquemont, une semaine plus tôt. Une multitude de fauteuils et de tables basses occupaient cet espace mais il ne voyait que la jeune femme à la chevelure d'or assise près du foyer. Les flammes qui dansaient dans l'âtre baignaient son visage de leur halo orangé, et il réalisa à cet instant précis à quel point sa présence lui avait manqué ces derniers jours. La douleur et la honte qu'il avait déjà éprouvé la dernière fois qu'ils s'étaient retrouvé seul à seul vinrent à nouveau enserrer sa poitrine dans leur étreinte de glace. Il savait désormais quelle était sa place, et ce que la châtelaine attendait de lui. Il ne lui ferait pas l'affront de répéter la même erreur, aussi se présenta-il comme l'étiquette l'exigeait.

« Bonjour Madame, » fit-il en s'inclinant.

Il s'abstint même de la plus élémentaire des politesses comme de s'enquérir de sa santé. À vrai dire, il lui semblait que moins il en disait et moins on pouvait lui reprocher, car à coup sûr elle n'allait pas manquer de lui faire part de son mécontentement. À moins qu'elle ne veuille simplement l'entretenir de sujets et d'autres, mais cette possibilité lui paraissait presque trop belle pour être envisagée. Il préférait se préparer stoïquement à l'orage qui risquait de s'abattre sur lui, quitte à avoir la bonne surprise de constater qu'il n'en était rien. Droit dans ses bottes, les mains serrées derrière le dos, il fit face à la châtelaine avec tout ce qu'il lui restait de courage.


Dernière édition par Geoffroy de Nouet le Mar 7 Juin 2016 - 13:39, édité 3 fois
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MessageSujet: Re: Dame de pique [Geoffroy]   Dame de pique [Geoffroy] EmptyMar 19 Avr 2016 - 10:53
« Bonjour Madame. »

Ah.

J'esquissais un sourire mitigé en mon for intérieur, percevant distinctement la retenue du chevalier. Ce n'était pas une distance naturelle, à l'instar de celle que j'érigeais entre mon entourage et moi-même : Geoffroy n'était pas comme cela. En d'autres termes, je le mettais mal à l'aise.

N'est-ce pas normal ? souffla une voix insidieuse au fond de mon être.

Ce château... Aujourd'hui il m'apparaissait si vide. Si fantomatique, peuplé de pauvres hères se nourrissant de la même haine de la Fange qui gouvernait mon coeur. Naguère, les murs de la citadelle où j'étais née résonnaient des chants et des rires de mes aînés, et pourtant il s'était agi d'hommes tout aussi violents et brutaux que maintenant... Désormais, il y en restait bien peu pour donner de la voix.

« Asseyez-vous » l'invitai-je d'un ton neutre en désignant le fauteuil en face de moi.

Il s'écoula quelques instants pendant lesquels je gardais le silence, celui-ci seulement dérangé par les crépitements discrets du brasier qui baignait la pièce d'ombres fantasques. Par la fenêtre du donjon l'on pouvait apercevoir la ligne embrasée de l'horizon, à cette heure entre chiens et loups où nul n'aurait plus l'idée de sortir pour quelque raison que ce fut.

« Je... »

Mes lèvres se figèrent. Un seul mot, un début de phrase énoncé de ma véritable voix. Débarrassée de ses accents polaires, se ré-appropriant la douceur que le commandement m'interdisait, elle sonnait à mes propres oreilles comme celle d'une étrangère.

« J'essaie d'accomplir quelque chose ici. Il y aura un jour où la Fange se rassemblera, où elle se massera pour venir déferler sur les derniers représentants de notre espèce. Elle voudra engloutir les restes de sa proie... »

Je fermais les yeux, luttant pour effacer tout à fait le doute s'insinuant en moi. Le doute du désespoir, le doute de la futilité. Même sans victoire, cette bataille n'est pas vaine. Je devais m'en convaincre, pour que ceux qui me suivaient partagent cette certitude.

« La raison d'être de Traquemont est de prévenir ceci. L'en empêcher, à notre échelle, et si ce jour doit venir en avertir la cité franche afin qu'elle ai le temps de se préparer. C'était mon dessein initial, mais... l'hiver est passé et au fil des mois... j'ai caressé l'espérance de... »

Je me levais brusquement, passant un bras sur mon ventre et portant l'autre main devant ma bouche. Faisant quelques pas, je me rapprochais de la table afin de servir un verre de vin. Pendant un moment j'en observais sans rien dire les reflets sombres, pareils à ceux d'une flaque de sang.

« De quelque chose de nouveau. J'ai vu les miens s'installer entre ces quatre murs et lentement ré-apprendre à vivre. Peu à peu, j'ai... eu la même faiblesse... » confessai-je dans un murmure. « Car c'en est une. »

Sans cérémonie, j'emplis une seconde coupelle et revins à ma place. Le feu fit scintiller la peau de mes doigts comme je lui tendais la boisson.

« L'on s'attache aux choses. Aux personnes. On crée des liens, et puis peu à peu, l'on commence à préférer la compagnie des siens à celle du devoir. On se dit que l'on peut relâcher un peu de vigilance pour parler à son camarade, que l'on peut rater un entraînement afin d'aller converser avec notre ami... que l'on peut même, peut-être, aimer quelqu'un... »

Je levais mes yeux limpides vers le chevalier. Ils suivirent la ligne mince de ses cicatrices, celle plus dure de sa mâchoire, de ses pommettes. Peut-être avait-il fait un peu d'exercice avant de venir, car ses mèches de jais étaient désordonnées. Je ressentais l'envie impérieuse d'y remettre un peu d'ordre, et pianotais sur le ballon de mon verre de manière à en chasser cette tentation.

« Cela fonctionne pendant quelques années. Pour un temps, ce n'est pas un problème... Et puis il suffit d'une fois. Rien qu'une fois, rien qu'un seul relâchement, et des morts surviendront. Des vies seront détruites parce qu'une seule personne aura privilégié sa vie à ses responsabilités. » D'une façon fort peu orthodoxe, je ramenais mes genoux contre ma poitrine et le plat de mes bottes sur le rebord du coussin de mon siège. Je ne m'étais jamais encombrée des convenances seyant à une femme de mon rang, surtout dans l'intimité. Je n'allais pas commencer aujourd'hui. « Alors, si une personne ne doit pas faire ce choix dangereux, il vaut mieux que ce soit celle qui a le plus d'obligations et de devoirs, n'est-ce pas ? »

Or à Traquemont, cette personne c'est moi.

« Vous savez, il y a... comme une lumière en vous. » J'esquissais un sourire en coin, relativisant le sérieux de la déclaration. « Jeune. Pleine d'allant et de fougue. Et même... de bonté. »

Qu'étais-je en train de lui dire là ? La réponse à cette question, je l'avais enfermée loin dans les recoins les plus glacés de mon âme. Je l'avais, mais refusais de l'envisager. Refusais de la laisser remonter jusqu'à mes pensées.

« Vous ne m'avez pas parlé de votre père depuis... que nous l'avons retrouvé. Quel homme était-il ? » Je trempais les lèvres dans mon verre, observant Geoffroy par-dessous mes cils. Ma blondeur était si claire qu'ils en avaient des reflets cuivrés. « Et au cas où vous vous poseriez la question, la nourriture sur la table n'est pas décorative. »

C'était ce qui se rapprochait le plus, chez moi, de l'humour.
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MessageSujet: Re: Dame de pique [Geoffroy]   Dame de pique [Geoffroy] EmptySam 30 Avr 2016 - 1:53
Geoffroy prit place devant le foyer, toujours perplexe quant au sort que lui réservait la châtelaine. Tout dans cette pièce lui soufflait pourtant qu'il s'inquiétait inutilement. Le fauteuil était confortable, la température de la pièce agréablement élevée et les mets dont la table était chargée n'auraient pas lieu d'être si Yseult s'apprêtait effectivement à lui reprocher l'audace dont il avait fait preuve lors de leur dernière entrevue. Le silence qui s'était installé l'empêchait toutefois d'en savoir plus et mettait sa patience à rude épreuve. Il en venait presque à se demander si elle n'attendait pas quelque chose de sa part lorsqu'elle reprit enfin la parole.

Sa voix n'avait pas la froideur qui la caractérisait d'ordinaire, cette autorité qui n'acceptait aucune forme de contestation. Inflexible, rigide, insensible, les adjectifs ne manquaient pas pour qualifier la châtelaine de Traquemont, mais aucun d'entre eux n'aurait convenu au visage qu'elle montrait à cet instant au chevalier. Sa discipline de fer agissait comme une armure, protégeant ce qu'elle était vraiment, sa personnalité, ses rêves et convictions, et le dissimulant aux regards extérieurs. Aujourd'hui elle semblait baisser sa garde, sans qu'il puisse estimer si elle le faisait inconsciemment, poussée par le besoin de se confier à quelqu'un, ou s'il s'agissait d'une stratégie mûrement réfléchie pour gagner sa confiance et le faire réaffirmer sa loyauté envers elle. Perturbé, il chassa ces pensées de son esprit. Il ne lui paraissait pas juste de douter des intentions d'Yseult alors qu'elle lui accordait une confiance telle qu'elle n'hésitait pas à lui confier ses aspirations, ainsi que la part de doutes qu'elles impliquaient.

Que l'on peut-même, peut-être, aimer quelqu'un...
Ses yeux quittèrent la farandole des flammes pour croiser le regard azur de son interlocutrice. Quel sens pouvait bien avoir cet aveu livré du bout des lèvres, presque à contrecœur ? Cherchait-elle à lui faire comprendre quelque chose ? À moins que ce « quelqu'un » ne se réfère pas à sa personne, auquel cas son comportement la nuit dernière prenait tout son sens . Il haussa les sourcils, désemparé. Les femmes étaient assurément pleines de surprises et aimaient à laisser planer le mystère quant à leurs intentions. À vrai dire, il lui semblait plus facile s'embourber dans les méandres de ses propres conjectures que dans la tourbe des marécages de l'Obliance.

La châtelaine lui tendit une coupe remplie de vin en lui faisant part de sa curiosité quant à l'histoire de son géniteur. Geoffroy la porta à ses lèvres sans faire couler la moindre goutte du liquide sombre dans sa gorge. Ses yeux accusaient un certain degré de nostalgie tandis qu'il humait distraitement le contenu de son verre, comme s'il lui fallait rassembler davantage de courage pour effectuer ce plongeon dans ses souvenirs. Quelques instants passèrent avant qu'il ne se lance, rouvrant une blessure encore à vif dans sa mémoire.

« Ma famille est liée au seigneur du Morguestanc par des serments de vassalité depuis plusieurs générations. En échange de sa loyauté, le duc de l'époque offrit à mon ancêtre des terres où s'installer, et des sujets gouverner. C'est ainsi qu'est né le village de Nouet, mon foyer. Si vous diminuez la taille et l'importance de Marbrume par dix, je dirais que cela vous donne une assez bonne idée de l'échelle. »

Le jeune homme s'accorda une gorgée de vin, avant de reprendre.

« Comme je vous le disais, je suis l'héritier d'une famille de chevaliers. Mon père n'était pas une exception, il partageait ce sens du devoir, ce code de conduite qui nous est enseigné et qui dicte notre existence. Protège les faibles, les opprimés, tous ceux qui n'ont pas les moyens de se défendre par eux-mêmes... Il usait de son pouvoir avec justice et équité. De ce fait, notre famille n'était ni riche ni influente, mais j'aime à croire que chaque homme ou femme vivant sur nos terres le faisait dans des conditions acceptables. »

Une certaine fierté se dégageait des paroles de Geoffroy, et il paraissait évident qu'il partageait également ces convictions. De manière inconsciente, il fit décrire de petits cercles à son verre, creusant la surface rougeâtre en un tourbillon qui se faisait l'écho d'un trouble naissant chez le jeune homme. Il arrivait à un tournant de son récit, et si son visage restait neutre, sa voix en revanche se fit plus grave.

« Mais il y avait un coût à payer pour cela, le revers de la médaille, si vous voulez. Mon père prenait chacune de ses responsabilités très à cœur, au point de ne plus vivre que pour elles. Il s'interdisait de plus en plus de plaisirs, jugés accessoires ou susceptibles de le détourner de ses fonctions. Être présent auprès de sa propre famille devint rapidement un luxe qu'il ne pouvait guère se permettre. Il était toujours plus occupé, plus soucieux, et même complètement absent pendant certaines périodes. À l'époque, cela me semblait normal, et j'admirais sa détermination. Il était un modèle pour moi, un idéal que je devais poursuivre. Mais tout homme a ses limites, comme je n'allais pas tarder à m'en rendre compte. »

Le verre termina son numéro de voltige et, après une dernière étape au niveau de la bouche du chevalier, finit par atterrir sur une table basse pour n'en plus bouger.

« Lorsque les fangeux sont arrivés et nous ont chassés de nos terres, il a été complètement anéanti. Tout ce pour quoi il s'était battu, tout ce notre famille avait construit et qui faisait notre fierté, tout allait disparaître. Il s'est révélé incapable de le supporter. C'était la première fois que je le voyais ainsi, le regard vide comme si plus aucune flamme ne brûlait en lui. Et il m'arrive de me dire que si j'avais pris la relève et assuré l'organisation du repli vers Marbrume, alors... peut-être que nous y serions tous arrivés. »

L'amertume du chevalier se lisait sur ses traits, du sourire sans joie qui tordait ses lèvres au miroir de ses prunelles. Dans une vaine tentative pour cacher son trouble, il se leva et s'approcha de la table principale sur laquelle la nourriture était disposée. Mais cette dernière n'excitait nullement son appétit, aussi sa main se referma-t-elle sur la anse de la carafe de verre remplie du liquide sombre. Sans aller jusqu'à l'ivresse la plus totale, la légèreté qui accompagnait l'absorption d'une moindre dose d'alcool était plus que bienvenue pour Geoffroy. Son verre à nouveau plein et avec une contenance retrouvée, il se retourna vers la châtelaine.

« Je vous en prie, ne reproduisez pas l'erreur que mon père a lui-même commise. Vous n'avez pas à assumer seule les responsabilités de l'ensemble de vos hommes. Tous autant que nous sommes, nous avons conscience de la tâche qui nous incombe. S'il faut nous battre en première ligne contre la Fange, nous le ferons tous sous votre bannière. Mais ne nous demandez pas de risquer notre vie sans caresser ne serait-ce que l'espoir qu'un jour prochain, nous puissions trouver un nouveau foyer, des gens à chérir, à protéger... recommencer une autre vie. Et si je puis me permettre, vous ne devriez pas vous interdire ce rêve. Ce que vous prenez pour une faiblesse, n'est-ce pas au contraire ce qui fait notre force ? Car sans l'espoir, pourquoi nous battons-nous ? »

Ces paroles venaient de la châtelaine elle-même et, si Geoffroy n'y avait pas prêté une oreille très attentive au début, il se sentait prêt à cesser de regarder en arrière et à se tourner vers l'avenir - si tant est que le royaume en ait encore un. Après tout, cela valait probablement le coup d'essayer. Lui à qui la vie avait déjà tant pris, il lui semblait maintenant possible de perdre plus encore. Le chevalier revint s’asseoir en face de la châtelaine, cette femme aux cheveux dorés qui avait su faire renaître en lui une détermination qu'il croyait perdue à jamais.

Et cette fois-ci, je ne laisserai rien ni personne me la prendre.
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MessageSujet: Re: Dame de pique [Geoffroy]   Dame de pique [Geoffroy] EmptySam 7 Mai 2016 - 20:20
« Protège les faibles, les opprimés, tous ceux qui n'ont pas les moyens de se défendre par eux-mêmes... »

Je le dévisageais avec une légère surprise inscrite sur les traits. Dans mes pensées, les mots du chevalier revenaient, tenaces, têtus, insistants comme le parfum d'une fleur entêtante.

« Tout ce notre famille avait construit et qui faisait notre fierté, tout allait disparaître. »

Oh comme je comprenais la détresse de son feu son père. Lorsque le devoir vous incombait de défendre une chose, il ne vous restait plus que deux choix à faire : mettre en avant votre survie, ou celle de ce que vous gardiez. Si c'était la seconde option que vous choisissiez, alors échouer était pire que la mort.
J'en avais parfaitement conscience.

« Vous n'avez pas à assumer seule les responsabilités de l'ensemble de vos hommes. »

Il avait raison, bien sûr. Confuse, je portais mon regard sur le côté. C'était faire preuve d'une vanité sans nom que de se croire en charge de tous ceux qui vous suivent. Malheureusement, l'orgueil allait de pair avec le pouvoir. À ma manière, bien qu'effacée et zélée, j'étais nourrie par l'arrogance de mon ambition.

« Ce que vous prenez pour une faiblesse, n'est-ce pas au contraire ce qui fait notre force ? Car sans l'espoir, pourquoi nous battons-nous ? »

J'avais une réponse à cette question. Se battre parce que c'était notre nature. Se battre parce que j'avais été éduquée dans ce dessein presque unique... Faire la guerre, ç'avait été instillé dans mon sang. Non pas que j'y prenais un quelconque plaisir - malgré les efforts qu'il avait déployé dans ce but, je n'étais pas devenue tout à fait comme mon géniteur - mais je m'y sentais... à ma place. Là où je devais être, là où ma personne s'exprimait telle qu'elle avait été forgée pour.
Mais, et heureusement pour la paix du monde, les gens comme moi n'étaient pas nombreux.

« Et si je puis me permettre, vous ne devriez pas vous interdire ce rêve. »

Frisson. De joie ? De bonheur ? Non, absolument pas. Frisson de peur.

La peur qui me taraudait de ses griffes glacées, lacérant mon ventre. Oh que oui, j'avais peur...

Je les revois dévorer avidement la chair de ton visage. Ils brisent le cartilage de ton nez ; il s'en écoule, au milieu du sang, une substance blanchâtre et ténue. J'ignorais que l'on pouvait mordre dans la gencive d'un autre, mais c'est ce qu'ils font. Tes dents de lait se brisent sous leurs incisives. Pour n'importe qui d'autre, ce ne sont que des borborygmes incompréhensibles que tu beugles, mais pour moi... je sais que tu m'appelles.

La réalité reprit ses droits alors que, par un sursaut de volonté, je chassais ces réminiscences du passé. Je m'aperçus que je m'étais penchée vers le feu, les yeux agrandis par l'effroi, et que les flammes me semblaient beaucoup trop timides. D'une main légèrement tremblante tenant un tisonnier, j'en remuais les brandons dans un concert d'étincelles.

N'était-ce vraiment que par discipline que je me refusais à goûter à la compagnie des autres ? Ou, là encore, n'était-ce pas que par lâcheté... par refus de prendre le risque d'échouer ?
Envahie d'un sentiment de culpabilité devant la sécheresse de mon tribunal intime, je jetais un regard quelque peu perdu au chevalier.

En assez peu de temps, Geoffroy m'était devenu assez proche. Non pas que je recherchais au quotidien sa présence au-delà du convenable, mais plutôt que je me permettais un certain relâchement lorsqu'il était là. C'était une réaction instinctive que je ne comprenais pas tout à fait moi-même, et je m'interrogeais encore pour savoir si c'était là une bonne ou une mauvaise chose.

Sigfroi de Sylvrur ne se permet pas ce genre de faiblesse, lui.

Qu'en sais-je ? me rétorquai-je intérieurement, songeant au maître de la ville et à son épouse. Je me fis la réflexion ironique qu'Eugénie aurait peut-être des réponses à m'apporter sur le sujet, mais je n'étais qu'une obscure châtelaine bien éloignée de la cour de la duchesse. Si l'on me reconnaissait une certaine assurance et habileté, dans le domaine des relations humaines, je demeurais d'une rare maladresse.

Comme en faisant étalage d'un aussi long silence suivant les propos de mon invité du soir.

« Euh... je... hum. »

Autant pour mon éloquence.

« C'est... »

Tentant ? Gentil ? Perturbant ? Tout cela à la fois. Imaginer le désordre semé dans mes réflexions tel le naufrage d'une barque n'aurait pas été vain : d'un côté se tenait l'ombre rassurante quoique froide de ma réserve, de ma distance, de mon refus du contact des autres... une châtelaine inflexible, jusqu'en-boutiste. Et de l'autre, le terrain inconnu ou plutôt abandonné, sensible à tout changement, aussi à vif qu'une chair écorchée... d'une femme trompée par la vie mais qui pourrait peut-être ré-apprendre à aimer.

Cependant, comment le lui dire ? Je ne pouvais tout simplement pas. Bridée par ma pudeur et ma vanité, je me forçais au silence concernant tout ceci.

Alors ne parle pas ?

Dame de pique [Geoffroy] Fsdfsd10

Je rapprochais mon fauteuil du sien. La timidité que je sentais dans mes gestes, dans ma posture, m'irritait au plus haut point. J'aurais voulu m'en débarrasser d'un haussement d'épaules, la brûler au feu, mais pour l'heure le seul feu qui courait se faisait un plaisir de colorer mes pommettes saillantes.
Je me pinçais les lèvres, les humectant comme pour mieux reculer avant de sauter. Puis je me penchais, lentement, ce qui lui laissait tout le loisir de comprendre ce que j'étais en train de faire ; venir lui délivrer un baiser. Un baiser qui ne ressemblait pas aux miens... Non pas fougueux et brutal, mais tendre. Fragile. Craignant d'effaroucher, peut-être ; craignant de casser quelque chose.

Et j'ignorais complètement quoi.
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MessageSujet: Re: Dame de pique [Geoffroy]   Dame de pique [Geoffroy] EmptyVen 27 Mai 2016 - 15:05
Seuls les crépitements du feu répondirent aux propos du chevalier, qui avaient reçu chez Yseult un accueil plutôt déconcertant. Tout au long du récit, son interlocutrice était restée silencieuse, comme plongée dans ses pensées. Et même lorsqu'il s'adressa directement à elle, la châtelaine demeura songeuse, les yeux irrésistiblement attirés par les flammes qui dansaient dans le foyer. Le silence s'installa dans la pièce alors que le chevalier abandonnait l'idée d'obtenir une réponse. Il avait l'impression de parler à un mur. Quoique, pas exactement, car il avait la sensation que son récit avait bien été entendu et ses propos pris en compte. Peut-être avait-il réveillé les démons qui hantaient l'esprit de la jeune femme, ceux-là même issus de son passé si mystérieux. J'ai été mariée... C'était bien tout ce qu'il savait sur elle, avec le fait qu'elle était née au domaine de Corbeval. Force était de constater qu'elle avait perdu l'un comme l'autre, ce qui devait certainement constituer une page difficile à tourner dans l'histoire d'une vie. Alors que le silence perdurait, les yeux du chevalier dérivèrent vers l'âtre, attirés par sa lumière comme des papillons dans la nuit.

En l'espace de peu de temps, il avait la sensation qu'ils étaient devenus assez proches, ce qui le plaçait dans une situation ambiguë. D'un côté, il n'avait aucun doute sur les sentiments qu'il nourrissait à son égard, quand bien même il ne la connaissait pas depuis longtemps. De l'intensité des instants qu'ils avaient partagés était né quelque chose de trop fort pour n'être qu'une simple amitié, mais de plus profond qu'un vulgaire désir charnel. Alors, il ne pouvait s'agir que d'amour, n'est-ce pas ?
De l'autre, Yseult était sa suzeraine, et la cruelle déconvenue qu'il avait encaissée lors de leur dernière entrevue lui laissait un arrière-goût amer. Geoffroy avait encore du mal à comprendre l'attitude bipolaire de la châtelaine, lui qui avait une vision bien plus simple - peut-être même trop ? - du monde. Quoi qu'il en soit, si elle avait été claire sur une chose, c'était bien sur le refus catégorique qu'elle lui avait opposé. Le chevalier s'était donc résigné, bien loin de s'attendre à ce qu'Yseult lui réservait.

Un mouvement en marge de son champs de vision le tira de sa contemplation et il releva la tête. Comme lui, Yseult semblait émerger de ses pensées, pas forcément très agréables à en juger par le léger tremblement de sa main et les bribes de phrases par lesquelles elle essayait de se rattraper. S'il ne savait pas exactement quels étaient ces fantômes qui hantaient la châtelaine, leur nature lui était en revanche familière. La voracité des fangeux ne connaissait aucune limite, et bien peu étaient les hommes et les femmes à ne pas avoir perdu de foyer ou d'être cher depuis leur apparition. En cette sinistre époque, il était probablement l'un des mieux placés pour comprendre ce qu'elle ressentait.

Alors qu'il se faisait cette réflexion, la jeune femme décala son fauteuil de sorte à se placer en face du feu, se rapprochant innocemment du sien. Elle évita soigneusement son regard pendant toute la durée de l'opération avant de braquer sur lui l'océan d'azur de ses prunelles dans lequel il perdit pied et coula à pic. Une fois sa proie immobilisée, la prédatrice se pencha lentement pour lui délivrer le coup de grâce. Elle ferma les yeux, libérant le chevalier de leur emprise, et ce n'est qu'à ce moment là qu'il comprit ce qui allait se passer. En l'espace d'une seconde, une multitude de sentiments différents parcoururent le corps du jeune homme. Une peur qui n'avait pas lieu d'être, un désir brûlant qui se répandit dans ses veines comme une traîné de poudre, l'impatience que cette petite seconde touche à sa fin… Toutes ces émotions se réunirent pour n'en former plus qu'une lorsque leurs lèvres fusionnèrent. Il tressaillit et ses mains glissèrent inconsciemment vers le visage d'Yseult, effleurant ses pommettes pour se joindre délicatement contre sa nuque et caresser l'or de ses cheveux. Le chevalier s'abandonna complètement à la tendresse de ce baiser inattendu, inespéré, qui ne pouvait signifier qu'une chose.

Ils finirent par se séparer, au grand regret de Geoffroy. La regardant droit dans les yeux, il murmura :

« Est-ce là ce vous voulez, Yseult ? Juste vous et moi, quoi qu'il puisse advenir ? »

Dans sa posture, sa voix et l'intensité de son regard, elle pouvait lire la droiture et l'engagement qui caractérisaient le chevalier. Jamais parole donnée ne serait rompue, quelque soit le rôle que la châtelaine déciderait qu'il remplisse.
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MessageSujet: Re: Dame de pique [Geoffroy]   Dame de pique [Geoffroy] EmptyJeu 2 Juin 2016 - 17:43
« Est-ce là ce vous voulez, Yseult ? Juste vous et moi, quoi qu'il puisse advenir ? »

Était-ce si aisé de sonder son propre cœur ? Certains y éprouvaient des difficultés, devaient lutter face à leurs propos émois afin de les cerner. Pour ma part, c'était devenu au fil des ans un jeu d'enfant : les tenants et aboutissants de mes désirs ne présentaient d'ordinaire aucun secret pour moi, qui avait toujours su ce que je voulais et m'employer à réaliser mes desseins.

Mais ceci... c'était nouveau. Mettre le pied en un territoire si peu connu.

« Je ne saurai dire... » murmurai-je en me reculant dans mon dossier, ressuscitant la distance que cet échange avait si frivolement assassinée.

À la vérité, il était probable que Geoffroy ignore encore de larges pans non de qui j'étais, mais de qui j'avais été. Aux yeux de beaucoup des habitants du fort, bien que lui et ses hommes y vivent désormais, ils étaient encore de nouveaux arrivants. Ni des étrangers ni des gens de Corbeval, mais à mi-chemin entre les deux... Alors, ils avaient certainement gardé le silence quant à notre histoire. Et la mienne.

J'ai été mariée, lui avais-je dit un jour. Sans encore lever le voile sur ce que cet aveu dissimulait. Il était temps de le faire, ce qui me laissait l'impression de devoir arracher un bandage collant à une cicatrice intime.

« À mes dix-neuf ans mes parents m'ont présentée à un jeune homme. Son nom était Tristan, le fils héritier du domaine des Noirsjardins. Sa famille n'était jamais que les bannerets de mon seigneur et père, mais on leur connaissait une grande fougue à la bataille et de nombreux chevaliers sous leurs ordres. »

J'avais repris ce ton formel, cassant, qui me caractérisait en journée. Le regard trop calme pour être révélateur de mon agitation intérieure, je lui livrais ces souvenirs d'une époque définitivement révolue.

« Il vous ressemblait un peu, savez-vous ? » J'esquissais un mince sourire. « Certes, ses boucles étaient automnales et non d'ébène ; il portait une courte barbe et ses yeux étaient aussi sombres que les vôtres sont clairs, mais... il semblait d'une trempe semblable à la vôtre. Chevaleresque, plein d'allant pour les siens et d'une bonté n'ayant d'égale que sa tendresse. »

Malgré le portrait que j'en dressais, il n'y avait aucune note d'amour passé dans ma voix. Et pour cause ; mon cœur n'avait jamais battu pour Tristan.

« Mais il était également trop insouciant, trop peu ambitieux, immature. Presque un enfant à bien des égards : peut-être que s'il avait connu la Fange avant notre mariage... peut-être serait-il devenu comme vous. La douleur endurcit l'âme, c'est un fait. Le désespoir l'éprouve et les difficultés la forgent. »

Je me levais de mon fauteuil dans un léger grincement, croisant les bras sur ma poitrine et faisant quelques pas en m'éloignant de mon invité. Au plus je rappelais ces années de mon existence, au plus je me sentais redevenir... vulnérable. C'était une sensation des plus désagréables.

« Sa famille m'aimait, lui aussi ; mais je n'ai jamais trop pu leur retourner cet amour. À l'époque, je n'étais que l'âme damnée du châtelain de Corbeval. Corbeval... c'est mon véritable fief, ma terre natale. Traquemont n'est que le nom que les gens d'ici ont fini par nous donner - cependant je crois qu'il nous sied bien, et c'est ce que nous sommes aujourd'hui. Des traqueurs. »

Je savais bien que j'évitais presque machinalement le drame m'ayant plongée dans les affres de la haine et de la vengeance. Ils paieront... Geoffroy, à sa manière, s'était posé comme un écho lointain dans la vallée, m'incitant à emprunter un autre chemin que celui d'une mort inéluctable en emportant autant de Fangeux qu'il était humainement possible. Un chemin moins parsemé de macchabées, davantage voué à donner la vie plutôt qu'à la faucher.

Mais ce chemin-là, je l'avais déjà suivi par le passé. Et voilà où il m'avait menée...

« Un enfant est né de notre union. Arthur. »

Avec une risette d'une indicible émotion craquelant mon masque glacé, je tirais de ma tenue une étoffe soigneusement pliée et me rapprochais pour, lentement, la tendre au chevalier. Y était brodé le portrait d'un petit garçon à la crinière indisciplinée et solaire, vous dévisageant d'un regard couleur de ciel de montagne. La couturière avait su rendre la noblesse de ses traits ainsi que sa contagieuse joie de vivre.

« Ce fut la seule période de mon existence où je caressais l'idée d'abandonner la voie des armes. Mais la Fange me l'a pris » achevai-je aussi abruptement qu'on peut retirer une aiguille de la chair. « Je n'aurai de cesse que ce fléau disparaisse. Que l'humanité en soit délivrée. J'y attacherai toute mon énergie, mes nuits et mon âme ; je gagnerai cette guerre et ne reculerai devant aucun sacrifice. »

C'était déclaré avec une sombre assurance.

« Alors c'est plutôt à moi de vous poser la question, chevalier... êtes-vous certain de vouloir voir vos mains liées » fis-je référence au rituel où le prêtre bandait ensemble les paumes du mari et de son épouse, « aux miennes ? Quoi qu'il puisse advenir ? »
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MessageSujet: Re: Dame de pique [Geoffroy]   Dame de pique [Geoffroy] EmptyMer 15 Juin 2016 - 15:03
Les mains du chevalier se refermèrent sur l'étoffe, qu'elles déplièrent délicatement. Le morceau de tissu glissa pour révéler le visage enfantin qui avait été celui d'Arthur. Elle le garde toujours auprès d'elle, en souvenir... C'est à cet instant que Geoffroy prit la pleine mesure de la haine qui dévorait la châtelaine. Lorsqu'il lui avait demandé pourquoi est-ce qu'elle se battait, la jeune femme n'avait pas répondu. Maintenant, il savait que ce n'était pas l'espoir d'un futur meilleur qui guidait son bras, ni une quelconque question d'honneur. À son tour, il fut assaillit par un instant de doute. Jusqu'où pouvait aller quelqu'un qui n'avait plus rien à perdre ? Était-elle prête à marcher sur les cadavres de ses hommes pour atteindre sa vengeance ?

Puis une certitude vint remettre de l'ordre dans ses pensées. Tu aimes cette femme, Geoffroy. Protège-la d'elle-même, sois la lumière dans ses ténèbres. Tuer quinze, vingt, même cent fangeux ne lui ramènerait pas son enfant. En revanche, survivre et continuer de tenir Traquemont comme une digue protégeait la plage de la violence des vagues, voilà ce qui pouvait empêcher que d'autres drames ne se produisent. Contre la Fange, il ne pouvait y avoir de victoire définitive, mais maintenir la sécurité de leurs derniers bastions était déjà un triomphe en soit.

Une seconde hésitation vint délayer la réponse qu'il devait à la châtelaine. Au regard de ce qu'il savait maintenant, son comportement passé lui apparaissait comme complètement déplacé. Alors qu'Yseult portait le deuil non seulement de son époux, mais également celui de son fils, lui n'avait fait que remuer le couteau dans la plaie en cherchant à les remplacer dans son cœur. Son attitude avait été en dessous de tout, indigne d'un chevalier et même, à bien des égards, indigne d'un homme. Les yeux comme attirés par l'étoffe qu'elle lui avait tendue, il évitait de la regarder en face.

« Je suis désolé, Yseult. Toutes ces maladresses, qui ont dû vous mettre dans l'embarras... Je ne savais rien de ce que vous aviez traversé. »

Toujours avec délicatesse, le chevalier replia le tissu sur lui-même. Alors, était-ce qu'il voulait au fond de lui ? C'était bien la première fois que quelqu'un se souciait de ses aspirations, un chevalier n'étant souvent perçu que comme que le prolongement de la volonté de son suzerain. Si cette représentation était conforme aux devoirs qu'impliquaient le serment de vassalité, l'histoire regorgeait pourtant de chevaliers ayant décidé de suivre leurs convictions au détriment de leur honneur – voire de leur vie. Mais Yseult ne lui demandait pas simplement de lui prêter allégeance. Non, cela il l'avait déjà fait. Sa question, qui faisait écho à la sienne, s'apparentait davantage à une proposition : celle d'une union entre leurs deux familles. L'instant avait beau être solennel, un sourire léger mais sincère vint éclairer son visage. Le jeune homme se leva et vint déposer l'étoffe dans les mains de la châtelaine, ses doigts s'attardant plus que nécessaire au contact des siens.

« Je sais quelle quête vous poursuivez. Sachez que vous n'êtes pas seule sur ce chemin. Mon épée vous appartenait déjà, mais à compter de ce jour je lie mes mains aux vôtres. Puissent-elles porter autre chose qu'une épée, lorsque tout ceci sera terminé. »


Il s'agissait là d'un vœux pieux, probablement irréalisable mais auquel il se raccrochait comme à une bouée de sauvetage. Après tout, pourquoi les combattants n'auraient-ils pas eux aussi droit à la félicité, une fois leur devoir accompli ?
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MessageSujet: Re: Dame de pique [Geoffroy]   Dame de pique [Geoffroy] EmptySam 25 Juin 2016 - 18:15
Mes pensées se tournèrent vers l'horizon dégagé, libéré de la Fange, que Geoffroy m'invitait à guetter.

« ...Lorsque tout ceci sera terminé. »
« Lorsque tout ceci sera terminé... » répétai-je à voix basse, presque incrédule.

Si les horreurs de ce bas monde étaient encore jeunes, je me sentais pourtant comme si j'avais toujours vécu parmi elles. Comme si depuis toujours elles accompagnaient mes pas et mes songes, or désormais, on me demandait d'envisager l'avenir en les en excluant ? Ces derniers mois, la moindre de mes ruminations et de mes ressassements s'était vue nimbée de ces certitudes : que la paix n'était pas faite pour moi, que mon chemin ne menait jamais qu'à une tombe anonyme dans les marais... que même la victoire ne m'enlèverait pas mon tourment, car il y avait trop de violence et de goût pour la mort dans mon être. J'étais par trop différente des autres...

Avec une touche d'effroi glacé, je pris conscience que ce que j'avais toujours pris comme une force léguée par mon père pourrait bien s'avérer être une terrible faiblesse. La dureté, la brutalité... faisaient peur aux gens. Ils n'en voulaient pas. Sitôt que je ne serais plus nécessaire à la défense des survivants de l'humanité, ces mêmes survivants voudraient se passer de moi.

À moins que je n'emprunte un autre chemin...?

Troublée et perturbée, encore une fois, par le chevalier de Nouet. C'en devenait une habitude agaçante, songeais-je dans un recoin de mon esprit non sans auto-dérision.
Par une fois déjà, j'avais commis l'erreur de voir la vie derrière le prisme de la dualité. Lorsque vous commencez à réfléchir votre existence comme vécue à deux... Lorsque vous commencer non plus à penser en tant que je, mais en tant que nous. Sans avoir jamais réellement aimé Tristan, j'avais fini par le laisser entrer dans mon monde.

Ce faisant, il l'avait enrichi d'un petit ange aux cheveux blonds. Enrichi, oui ; au-delà de l'imaginable et du descriptible. Lorsqu'on m'avait arraché cette richesse, j'avais tout perdu. La foi en l'amour, la foi en le bonheur, la foi en le sens d'une misérable errance ici bas dénuée de la moindre récompense ou espérance.

Serais-je assez idiote pour commettre le même impair une seconde fois ?

Les mots qui n'étaient pas de guerre ou de courage ne m'étaient jamais venus naturellement. C'est sans en prononcer un seul que je me levais, tendant une main jusqu'à venir épouser le dos de la sienne avec ma paume. Sa peau était plus chaude que ce que j'avais cru.
En silence, je l'invitais à me suivre. Comme une petite fille, le tirant d'un index, montrant le chemin.

Un battement à mes oreilles. Le cœur, cet imbécile que je n'ai jamais su discipliner et qui bat un rythme à la folle mesure. Mon sang frappe à ma tempe, lourd ainsi qu'une respiration au plus fort des combats, semant désordre et confusion.

Je guidais le chevalier, volée de marches après volée de marches. Plus haut dans le donjon, le long de colimaçons désertés. De temps à autres, une meurtrière laissait apercevoir la cour boueuse du fort qu'à cette heure tardive seules peuplaient les ombres allongées des sentinelles le long du chemin de ronde. Un soleil agonisant livrait son baroud d'honneur dans le crépuscule, projetant ses ultimes flammes contre la ligne déchiquetée de l'horizon.

Une tension inhabituelle crispe mes épaules. Je sens une incompréhensible moiteur saisir mes doigts, un frisson remonter mon échine. J'ai envie de me racler la gorge mais m'abstiens, me considérant assez masculine sans sacrifier encore un peu de ma féminité dans une sonorité rauque.

Nous arrivâmes au-devant d'une porte de chêne - mais légère. Elle me parut, sur l'instant, terriblement mince : gardant l'accès à ma chambre à coucher, supposée défendre le suprême retranchement qui me permet un peu d'intimité. Même Rose, me servant à l'occasion de dame de compagnie, n'y mettait pas les pieds.
Je me retournais sur le seuil, nerveusement.

« Je ne sais pas si... »

Ce fut à cet instant précis que je lâchais la bride de ce qui faisait ma distance et ma froideur. Sans prévenir et sans réfléchir, je me mis sur la pointe des pieds afin de délivrer au guerrier un baiser n'ayant absolument rien de tendre ou de doux : plutôt un baiser sauvage, féroce - enflammé. Une main fourrée dans ses cheveux sur lesquels je refermais mes doigts, écrasant mes lèvres aux siennes, je grondais mon désir à même la gorge.

Pousser le battant d'une hanche, griffer au cou. Quel est ce sentiment qui m'habite ? L'entraîner, à l'aveugle, les yeux fermés comme chaque fois que j'embrassais, en direction d'une couche si longtemps solitaire. C'est contre toutes les traditions. N'en fais-je pas suffisamment, moi qui aurais souhaité être née un garçon ? Agripper son col, l'attirer à moi, vouloir égaler sa taille. Jouer, comme une brute, comme une enfant capricieuse, comme une amante enfiévrée. Tirer et pousser, vouloir le provoquer. L'agacer. Tout ça est de sa faute. La sienne. Il veut savoir qui je suis. Tomber entre les draps de lin, les froisser furieusement en allant chercher son oreille avec les dents. Il aura des marques. Il ne pourra pas se voir dans un miroir sans que son reflet lui rappelle qu'il m'appartient. Qu'il est à moi et rien qu'à moi. Mes ongles dessinent des zébrures sur le muscle de sa nuque. À moi ! Arrive cet instant où je me sens au bord du gouffre, au bord de quelque infini où je pourrais basculer d'un moment à l'autre. Le souffle court, les mèches en bataille, je me penche sur lui avec une convoitise rageuse au fond des yeux. Ma réputation de femme glaciale a toujours été un simple masque. Il va le voir à présent. Il va voir, au-delà du masque.

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MessageSujet: Re: Dame de pique [Geoffroy]   Dame de pique [Geoffroy] EmptyMar 19 Juil 2016 - 14:08
Toute notion du temps oubliée, Geoffroy se laissa guider à travers le labyrinthe de couloirs de la forteresse. On ne le suspectait pas de l'extérieur, mais aux yeux d'un nouveau venu, Traquemont était un véritable dédale. Yseult ouvrait la marche, lui tenant la main comme s'ils n'étaient que deux enfants complices du même jeu. Ils traversèrent ensemble plusieurs coursives plongées dans une pénombre que les torches placées à intervalle régulier ne suffisaient pas à chasser. Dans le silence qui enveloppait les lieux, Geoffroy suivait docilement cette main qui lui montrait la voie, absorbé par un spectacle singulier : celui des flammes jouant avec la chevelure blonde de la châtelaine. À chaque fois que ses pas l'amenaient sous une des torches fixées au mur, un halo de lumière l'enveloppait toute entière, embrasant l'or de ses cheveux avant de diminuer en intensité pour ne plus faire que souligner délicatement sa silhouette d'un liseré ambré. Cette vision s'estompait la seconde d'après où la pénombre la masquait de nouveau à ses yeux, pour mieux reprendre quelques pas plus loin. Même avec le soleil à son apogée, les plus beaux vitraux de Marbrume n'offraient rien de comparable à cette vision dont Geoffroy était témoin.
Ou peut-être avait-il trop lâché la bride à son imagination, dont il reprit les rênes d'une main ferme.

À travers la doucereuse insouciance qui emplissait son esprit comme du coton, les affres du doute se rappelaient à son bon souvenir. Leurs sombres vrilles, porteuses de sinistres réflexions, se répandirent insidieusement dans ses pensées, en chassant toute forme d'optimisme, traquant toute trace de certitude pour éradiquer jusqu'à la moindre image d'un lendemain paisible.
Pourrait-il un jour se réveiller aux côté d'Yseult, tendre la main pour effleurer sa joue, caresser tendrement ses cheveux sans que cette certitude tapie au fond de son cœur, celle de finir dans la tourbe de l'Obliance tôt ou tard, ne vienne cruellement lui rappeler que cette situation ne pouvait pas durer ? Qu'ils n'avaient aucun autre avenir que celui d'une lutte à mort contre la Fange ? Combien de temps auraient-ils avant que les griffes de ces créatures ne viennent les séparer à jamais ?

Le labyrinthe de couloirs céda la place à un escalier en colimaçon, dont les marches s'enroulaient en spirale autour d'une colonnade de pierre. Elles étaient inégalement taillées, de sorte à rendre l'ascension plus éprouvante pour un assaillant en armure, alors que l'étroitesse du passage en faisait un point facile à défendre. Yseult lui lâcha la main avant de s'y engager la première, et Geoffroy s'immobilisa pour lui laisser quelques secondes d'avance. Avec une lucidité retrouvée, le chevalier reprit le dessus sur ses doutes et les remisa dans un coin de son esprit, là d'où ils n'auraient jamais dû s'échapper. Comme les architectes qui avaient bâti cette forteresse, méprisant l'esthétique pour en faire un bastion imprenable, il se devait d'être réaliste. Ils ne vivraient peut-être pas l'idylle des couples nobles dans l'opulence de l'Esplanade, certes, mais qu'importe. Il profiterait de chaque instant, chérissant la moindre seconde avec Yseult comme le trésor le plus précieux que ce royaume à la dérive avait encore à offrir. Et peut-être qu'un jour, si les Trois le voulaient bien... Il s'engagea à son tour dans l'escalier, formulant en silence ce vœux auquel il ne croyait lui-même qu'à moitié.

Il retrouva la châtelaine en haut des marches, elle l'attendait devant la porte de ce qui devaient être ses appartements. Leurs regards se croisèrent, elle amorça une phrase qu'elle ne finit pas. Au lieu de ça, la jeune femme prit les devants et se rapprocha pour lui délivrer un baiser fougueux auquel, une fois passé la surprise initiale , Geoffroy répondit avec une ferveur qui n'avait rien à envier à la sienne. Enlacés, entremêlés dans une danse qui n'avait plus rien de la douceur de leurs premiers baisers, ils pénétrèrent dans la chambre et franchirent les quelques pas qui les séparaient de la couche, enlacés dans une étreinte sauvage. Autant pour le romantisme et la retenue dont ils avaient fait preuve jusqu'alors...

Les vêtements n'avaient pas résisté à la fièvre qui s'était emparée des amants et s'envolèrent à l'autre bout de la pièce, victimes collatérales de l'impatience qui brûlait dans leurs veines. Pendant qu'elle l'entraînait dans le noir en direction du lit, et cédant à une malice soudaine, Geoffroy se désengagea des baisers impétueux d'Yseult pour l'embrasser cette fois à la naissance du cou. Il laissa ses lèvres courir le long de la nuque de la jeune femme, effleurant sa peau, et fut récompensé par les frissons qu'il sentit parcourir le corps qu'il serrait dans ses bras. Mais, sans lui laisser le temps de profiter de sa victoire, elle se dégagea de son étreinte pour le repousser en arrière et le faire tomber dans les draps d'une pression contre son torse. Continuant sur sa lancée, elle se jucha fièrement à califourchon sur le ventre du chevalier, se faisant la conquérante de ce corps nouveau. Geoffroy n'en contesta pas la domination, lui concédant la victoire. Ses mains en revanche ne l'entendaient pas de cette façon. Elles entamèrent une langoureuse descente, glissant depuis les épaules de la châtelaine avec une lenteur contrôlée malgré le désir qui couvait en lui et dont Yseult se faisait l'instigatrice. Dans leur exploration, elles semblaient ne pas vouloir manquer la douceur de la plus minuscule parcelle de peau, ni la moindre courbe délicate dont elles suivaient le tracé.
Plus bas, toujours plus bas.


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