Marbrume


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 Et ego te absolvo [Eadwin]

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Philippe de Tourres
Philippe de Tourres



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MessageSujet: Et ego te absolvo [Eadwin]   Et ego te absolvo [Eadwin] EmptyMer 20 Avr 2016 - 21:30
Les bruits de bois entaillés par une scie faisaient écho dans les murs fissurés de la chapelle. La sciure retombait sur le sol, et il faudrait sûrement balayer ensuite. Avec un marteau, et quelques clous, on pouvait aisément réparer les vieux bancs et remettre un peu d'ordre là-dedans.
La chapelle de Traquemont ressemblait enfin à quelque chose. Elle était minuscule, la vieille pierre était sale et inégale, elle était sombre car la lumière ne venait que d'un unique vitrail et de vieilles fenêtres cassées qu'il fallait recouvrir avec des planches. Mais au moins, c'était propre. Il n'y avait plus d'immondes toiles d'araignées partout, ni de traces de moisissures avancées, ni d'excréments. Les reliques, autrefois empilées n'importe où, étaient agréablement rangées dans un reliquaire placé juste sous l'autel. Non, la chapelle était très, très loin de resplendir, d'attirer, d'intéresser les gens.
Mais au moins, elle ne donnait plus envie de vomir. Au moins, maintenant, les gens pouvaient entrer et venir silencieusement se recueillir.

C'est Philippe qui avait demandé ça. Le bois était devenu une ressource rare, et en couper dans la forêt était très dangereux avec les mordeurs qui rôdaient dans certains coins, aussi, le prêtre craint un moment qu'on refuse, et que personne ne daigne faire quoi que ce soit pour l'aider. Mais en temps de crise, les gens sont subitement plus religieux, aussi, il trouva des volontaires pour chercher quelques maigres matériaux à utiliser.
Voilà quelques semaines qu'il squattait à Traquemont. Malachite l'avait ramené ici suite à une blessure, mais il était maintenant complètement remis. Pour autant, il n'était pas pressé de repartir de hâte vers Marbrume. C'est qu'il n'y avait pas de clercs ici, cela faisait longtemps que les habitants du château étaient en perdition. Beaucoup de veuves, beaucoup d'orphelins, beaucoup d'hommes qui commençaient à sentir que quelque chose pesait sur leur esprit... Qu'importe. Il était motivé pour travailler.

- Vous... Vous pensez qu'vous pourriez donner une messe, padré ?

C'était l'un des « ouvriers » qui avait parlé, un jeune homme du nom de Bastien. Ouvrier était un bien grand mot, c'était juste un enfant d'une quinzaine d'années qui savait planter des clous et tailler du bois. Mais il était volontaire et motivé. Voilà plusieurs semaines qu'il suivait le père de Tourres partout, pour l'aider à faire toutes ses tâches manuelles, comme nettoyer ou récurer.
Philippe fut un peu étonné de la question. Emmitouflé dans son grand mantel azur, il détourna brièvement de l'autel devant lequel il était allongé, faisant un petit signe de la main, avant de s'approcher du gamin.

- Eh bien... Je ne sais pas. Probablement.
Mais tu as vu la taille de la chapelle. On ne rentrera pas grand monde, tout au plus une quarantaine d'âmes.


On était très loin de la gigantesque cathédrale de Marbrume, où plusieurs milliers de gens pouvaient s'entasser dans la nef, sous les yeux de trois statues gigantesques. Mais c'était un lieu pour les Dieux tout de même.

- Ouais, c'est sûr mon père...
J'dois aller grailler. Vous venez ?

- Je viendrais, oui.

Bastien se retira, tandis que Philippe se tourna à nouveau devant l'autel. Il entendit la très lourde et antique porte s'ouvrir, et les pas du jeune homme résonner sur les dalles de pierre juste devant. Pourtant, la porte mis un peu plus de temps à s'entre-choquer, et maintenant, d'autres bruits de pas résonnèrent.
Lorsque Philippe regarda derrière lui, il vit un homme. Âgé, grand, fort, et surtout, en armes. Il mit un peu de temps à le reconnaître, à se demander qui se tenait derrière lui, mais il pensa savoir qui il était. Un seigneur allié de la Dame de Traquemont.

- Messires ?
Que puis-je pour vous ?

Il s'était détourné du bout de la chapelle pour marcher les quelques pas qui le séparait de l'homme.

- Pardonnez-moi, je devrais me présenter. Je suis le père Philippe de Tourres. Et vous, vous devez être... Messires Eadwin, n'est-ce pas ?
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ArtoriusChevalier
Artorius



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MessageSujet: Re: Et ego te absolvo [Eadwin]   Et ego te absolvo [Eadwin] EmptyMar 26 Avr 2016 - 13:38
Traquemont devenait chaque jour un peu plus fonctionnel. Ce fortin, dont le nom précédent appartenait au passé, avait été investi plusieurs mois auparavant par les survivants de Corbeval. Grièvement blessé à l'arrivée, contraint de se mettre en retrait, Eadwin avait à peine constaté dans sa réclusion les efforts fournis par sa matriarche, Yseult de Traquemont. Elle avait tenu ce pari fou de faire de sa nouvelle forteresse une place forte au cœur même du bassin ennemi, la vile et perfide Fange. On pouvait acclamer ce haut-fait, donner de l'intérêt à cette caste qui avait préféré le champ de bataille à la sécurité derrière les remparts de Marbrume, pour ce qu'ils valaient réellement… Plus étonnant encore, Traquemont n'était plus uniquement composée d'hommes et de femmes de la regrettée Corbeval. Des gens originaires du Duché du Morguestanc se joignaient à leurs forces, donnant une solidité nouvelle à ce projet fou. Le temps de la fuite avait enfin cessé et ces horribles souvenirs pouvaient être désormais enfouis. Vaincre la Fange n'était plus une fantaisie, il s'agissait d'un véritable espoir ici, à Traquemont. Que ce fusse par vengeance ou par conviction de se soucier de son prochain, les mobiles étaient nombreux mais tous se rejoignaient quelque part : au nom de l'humanité, il fallait bouter ces monstres de nos frontières.

Depuis quelques temps, Traquemont offrait son gîte à une personnalité de Marbrume. Un Haut-Prêtre de Rikni, Déesse de la Guerre et de la Ruse. Eadwin de Rivenoire ne connaissait pas du tout le dénommé Philippe de Tourres mais savoir qu'un homme de Marbrume rendait service à Traquemont, c'était quelque chose de plutôt soulageant. Dans cette adversité-là, bien sûr, Traquemont et le Duc de Marbrume n'avaient aucun intérêt à se quereller. Cela signerait probablement la perte du premier et l'affaiblissement du second, chose que pour des raisons évidentes personne ne pouvait se permettre en ces temps obscurs. Pour rien au monde, dicté par sa méconnaissance et ses préjugés, Eadwin ne souhaitait se rendre à Marbrume et composer avec ces étrangers. Le petit comité de Traquemont lui allait comme un gant mais l'avenir dirait peut-être bientôt s'il pouvait se permettre de garder une position aussi fermée. Quoi qu'il en soit, cet homme portant le nom de Philippe de Tourres méritait de sincères remerciements et un intérêt des plus cordiaux.

« Bonjour mon Père. » lança Eadwin, avec toute la politesse qui le caractérisait. « Je suis effectivement Eadwin. Vous aurait-on fait part de la présence d'un vieux barbu dans une armure faisant office d'armoire à glace pour me reconnaître avec tant d'aisance ? » demanda-t-il, sous la forme d'une boutade.

Intrigué, plein de curiosité, le chevalier lança plusieurs regards à la petite chapelle. Il se souvenait vaguement de cette ruine lorsqu'ils étaient arrivés à Traquemont quelques mois auparavant et il fallait reconnaître que même si les travaux n'étaient pas terminés, le Haut-Prêtre de Rikni avait déjà accompli un travail titanesque. Le mérite ne revenait pas seulement à ses ouvriers mais à ses talents architecturaux. Quelque part, Eadwin ne pensait pas qu'un Prêtre puisse bénéficier de ce genre de compétences. Après tout, il était encore plus loin de se douter que cet homme avait connu le sentier des armes et qu'ils avaient certainement des points communs. Pourrait-on dire qu'Eadwin était devenu le chevalier que Philippe ne serait jamais ? Impossible d'y répondre pour le moment.

« Je tiens à vous remercier personnellement pour l'aide que vous apportez à Traquemont. Je ne suis pas la Châtelaine, bien que mon histoire soit fortement liée à la sienne depuis des décennies, ainsi, je ne gage pas que ces remerciements aient une quelconque valeur pour vous mais qu'importe… J'ai été écarter des affaires de Traquemont trop longtemps à mon goût. De ce fait, il m'importe de faire la rencontre et la connaissance de votre personne. » expliqua-t-il. Il n'aurait pas été surpris que le Père Philippe sache déjà tout cela. « Je crois en la Sainte-Trinité, fort heureusement. C'est un soulagement de savoir que les gens de Traquemont auront un endroit pour se recueillir lorsqu'ils seront en proie au doute. »

Cela faisait peut-être beaucoup de compliments mais la sincérité du chevalier n'était pas à remettre en question sur ce plan-là. Il ne saurait l'expliquer mais cet homme lui inspirait source de confiance et de sagesse. Dernièrement, Eadwin s'était adapté à la fougue de la jeunesse en les personnes de Tristan, Geoffroy ou encore Ilhanne. Yseult elle-même n'était pas tellement plus vieille. Il était peut-être alors réconfortant pour Eadwin de faire face à un homme avec presque autant de bouteille dans l'âge que lui ? Il s'interrogeait à son sujet et se demandait quelles épreuves il avait bien pu traverser pour se forger ainsi. Si Eadwin ne pouvait pas soupçonner l'affiliation martiale de Philippe, sa musculature étrangement prononcée pour un Prêtre n'avait pas échappé à son regard.

« Mais dites-moi, mon Père ? Par quel saint chemin avez-vous trouvé Traquemont ? Pourquoi être resté parmi-nous ? Qu'envisagez-vous de faire lorsque la rénovation sera terminée ? »
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Philippe de Tourres
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MessageSujet: Re: Et ego te absolvo [Eadwin]   Et ego te absolvo [Eadwin] EmptyMar 26 Avr 2016 - 18:47
Le lion de Rivenoire n'était pas avare en compliments. Il semblait ravi d'avoir une chapelle sur laquelle se recueillir, et c'était tant mieux. Pour autant cela ne fit pas grand chose à monseigneur de Tourres, qui se contentait d'entendre silencieusement, les mains dans le dos. Lorsqu'il se mit enfin à laisser à Philippe la parole, celui-ci haussa les épaules, marqua un petit temps de pause avant de répondre.

- Ah, je ne suis pas arrivé ici par un saint chemin... C'est même plutôt l'inverse. Une histoire rocambolesque, vous pouvez remercier un jeune garçon d'ici, Malachite. Je suis pas sûr que vous le connaissiez, mais...

Cela ne servait à rien de parler ça. Il laissa son « mais » durer un moment, avant de pincer ses lèvres et de tourner les talons.

- Venez donc, approchez. J'ai trouvé deux volontaires pour remettre en état les bancs, ils étaient couverts d'échardes... Celui-là est bien si vous voulez vous asseoir.

Il pointa du bout du doigt, soulevant son mantel avec son bras, l'un de ces bancs retapés et repeints. Mais à nouveau, il tourna rapidement la tête comme une vilaine chouette, et regarda le sire qui s'approchait de la minuscule nef.

- Enfin, vous êtes probablement occupé...
Vous m'aviez demandé, et oui, on m'a légèrement parlé de vous. Vous étiez un banneret pour le père de Dame Yseult, n'est-ce pas ?
Ah, c'est une ancienne vie tout ça. Les blasons, les bannières, les osts auxquelles les feudataires doivent pourvoir. Maintenant, on est tous un peu dans le même bateau, et les titres ne veulent rien dire.
Enfin bref... Je suis resté à Traquemont parce que j'ai vu qu'on avait besoin de moi, et je suis toujours heureux de remplir mon office. En revanche, je n'ai pas encore de plans sur le long terme. J'ai remis en état cette chapelle, mais il faudrait trouver un prêtre pour y officier, oui.
Pour l'instant, considérez que si vous avez besoin de moi, je suis ici.


Il monta sur la minuscule marche de la chapelle, afin de se retrouver juste en face de l'autel sur laquelle on avait déposé quelques objets cérémonieux. Il resta muet, mais pas longtemps.

- Vous pouvez me faire confiance, sire. Si vous avez quoi que ce soit à me dire, ou à me demander, je vous aiderai.
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ArtoriusChevalier
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MessageSujet: Re: Et ego te absolvo [Eadwin]   Et ego te absolvo [Eadwin] EmptyMer 11 Mai 2016 - 19:13
Le Chevalier de Rivenoire écouta attentivement la première réponse du Haut-Prêtre de Rikni. Il lui fit part d'une histoire rocambolesque impliquant un jeune garçon du nom de Malachite mais Eadwin devait reconnaître qu'il n'en avait pas entendu parler. Les allées et venues étaient courantes à Traquemont et si le fortin parvenait à fidéliser ses réfugiés pour se renforcer petit à petit, tout le monde ne faisait pas le choix d'y rester et il ne fallait pas oublier de compter là-dedans ceux qui étaient tombés au combat ou qui avaient été décimés par des maladies. Des rumeurs faisaient même état que Traquemont accueillait derrière ses murs des bannis de Marbrume. Eadwin n'avait pas pris la peine de vérifier cela et si c'était vraiment le cas, cela lui importait peu du moment que cela soit régulé par sa matriarche, Yseult de Traquemont. Après tout, un homme qui était jugé être un criminel à Marbrume ne l'était pas intrinsèquement ici. Bien sûr, on pouvait supposer qu'une bonne partie d'entre eux n'avaient pas été condamnés à l'exil pour des raisons saugrenues.

« Ce jeune garçon m'est inconnu. Cela dit, sa mention et votre venue à Traquemont laisse présager des péripéties passées tout à fait intéressantes. » dit-il, laissant à Philippe de Tourres le libre choix de lui en dire davantage ou de taire cette conversation-là. « Et je ne suis pas si occupé que cela, preuve en est que j'ai libéré un peu de temps pour venir m'entretenir un peu avec vous. »

Eadwin de Rivenoire accepta sans se faire attendre l'invitation de Philippe de Tourres à le rejoindre sur les bancs fraîchement rénovés. Il repensa alors un court instant à son entretien récent avec la Châtelaine de Traquemont. Il faudrait effectivement un Prêtre, à plein temps si possible pour officier dans ce lieu de culte. Certaines âmes apprécieraient de pouvoir se raccrocher à une cause spirituelle dans un monde qui devenait chaque jour un peu plus fou depuis que l'on avait été contraint d'accepter l'existence de la Fange. Yseult appuierait alors son récent succès grandissant sur un tout autre tableau qu'il ne fallait pas négliger avec ces temps qui courraient.

« Le père de Dame Yseult... » prononça machinalement Eadwin. « Oui oui, c'est bien cela. » dit-il sobrement en fixant ses cuisses métalliques. Pourquoi fallait-il que son hôte lui rappelle cette ancienne condition ? Le regard d'Eadwin sembla se perdre un bref instant dans le vide, ne sachant pas trop comment réagir. Très visiblement, le Haut-Prêtre avait soulevé une gène chez le chevalier.

Eadwin avait peut-être été au service du père d'Yseult mais ce n'était pas la partie de sa vie dont il était le plus fier. Au contraire, il était même apaisé depuis que le vent avait changé de direction. Il préférait qu'on le reconnaisse en tant que serviteur de la Dame de Traquemont car elle était une personne qu'il estimait bien plus que son paternel.

« J'ai connu son père alors que je n'étais encore qu'un enfant. Il est venu me chercher à Rivenoire... » souffla-t-il. Il est venu me chercher en conquérant, en exterminant ma famille et en me réduisant à la soumission. Cependant, ces mots étaient interdits. Eadwin n'osait pas l'exprimer. Il préférait penser que Yseult ne connaissait pas ce pan de son histoire et il aurait l'impression de la trahir en confessant détenir des raisons de haïr son blason. Sa relation privilégiée avec Yseult avait probablement changé beaucoup de choses. Oh, elle savait qu'il avait souffert pour elle, pour que son père ne soit pas trop dur avec elle mais elle devait probablement ignorer qu'il l'avait partiellement brisé bien des années avec sa naissance. « Oui, cet endroit a besoin de quelqu'un pour lui faire honneur. » dit-il. C'était peut-être une expression un peu trop chevaleresque que de faire mention de l'honneur dans une chapelle. « Pour être tout à fait franc avec vous, ma Dame m'a demandé de me rendre à Marbrume pour accomplir deux trois choses… dont ramener un Prêtre, même si ce n'est qu'à temps partiel. Traquemont perdurera, soyez-en certain. Peut-être auriez-vous quelques noms à me confier ? Enfin, ce n'est pas une affaire pressante. Il faut d'abord s'occuper des affaires du Labret. Si la providence est clémente avec moi et que j'en reviens, je pourrais m'atteler à la réussite de cette importante mission. »
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Philippe de Tourres
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MessageSujet: Re: Et ego te absolvo [Eadwin]   Et ego te absolvo [Eadwin] EmptyMar 24 Mai 2016 - 20:18
Philippe écouta silencieusement sire Eadwin lui répondre, tout en terminant de travailler, de reposer les cierges où ils devaient être, de relever les artefacts religieux debout. Il entendit une mention du plateau du Labret, qu'il releva presque aussitôt.

- Le Labret ? Vous partez accompagner un convoi ?

Sa question était rhétorique plus qu'autre chose.

- Oui, bien sûr, vous faites votre devoir pour Marbrume.
Mais c'est en effet quelque chose de grave que de braver la Fange. Une corvée très dangereuse, vous n'êtes pas sûr de revenir.
Voudriez-vous que je vous donne les rites avant de partir ? Que je prie Rikni et que je recueille vos confessions ?


A peine eut-il dit cela, Philippe s'était empressé de se retourner pour attraper un gobelet d'argent et de cuivre, avec un léger sourire en coin, pour préparer une cérémonie à la gloire de la déesse de la guerre.

Spoiler:
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ArtoriusChevalier
Artorius



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MessageSujet: Re: Et ego te absolvo [Eadwin]   Et ego te absolvo [Eadwin] EmptyVen 27 Mai 2016 - 0:38
Spoiler:

Le Haut-Prêtre de Tourres était-il vraiment sérieux ou feignait-il tout simplement l'ignorance ? On parlait à travers tout Traquemont de cette fameuse expédition qui se déroulerait à peine dans quelques temps dans le but de sécuriser les plateaux du Labret afin de l'exploiter à nouveau. Pourquoi parlait-il d'un simple convoi ? C'était une énigme à laquelle Eadwin ne saurait répondre. Peut-être que Philippe avait une idée derrière la tête ? Qu'importe, il suffisait de répondre aussi sincèrement que d'habitude. Chez Eadwin, la franchise était une valeur phare et s'il pouvait se perdre en explications pour expliquer, mettre en avant ses choix, il n'aimait pas toujours tourner autour du pot.

« Oui, mon père. Il semblerait que les décisionnaires aient choisi de mettre à l’œuvre nos forces martiales pour signer une victoire sur l'engeance. L'Opération Labret ou comment envoyer à l'abattoir une partie de la populace. Enfin, ceux qui survivront pourront très certainement cultiver des terres pour les prochaines années à venir. »

Eadwin de Rivenoire ne doutait pas que la première motivation du Duc était politique. Le jeu consistait dans le fait de montrer qu'il prenait encore des décisions et la réussite devrait être au rendez-vous pour prouver aux survivants qu'il est un homme à la hauteur pour diriger le peuple. Eadwin ne remettait pas en cause ces choix-là et il était même plutôt satisfait que Marbrume ne se repose pas sur ses pauvres lauriers. De son point de vue, même s'il n'avait pas été jusqu'à présent l'un des acteurs les plus actifs pour cause de coups de blessures, le chevalier jugeait que Traquemont avait énormément apporté pour améliorer la sécurité des survivants.

« C'est difficile à admettre mais nous commençons à nous habituer à vivre avec cette menace persistante. Je l'ignore pour Marbrume mais Traquemont a adopté des règles de bases suffisantes pour réduire les risques de perte. Avec ma Dame aux commandes, je ne m'inquiète pas vraiment pour l'avenir de ce fortin. »

Une fois de plus, Eadwin faisait preuve d'éloge et de loyauté envers sa maîtresse de longue date. Parfois, elle devait éternuer ou avoir les oreilles qui sifflaient quand il parlait ainsi d'elle. Au moins, c'était presque impossible, non, impossible de remettre en cause sa plus forte allégeance. Comme la Dame de Traquemont avait décidé de prendre part à l'opération du Labret et que Eadwin était à nouveau sur pieds, il l'accompagnerait pour le pire et surtout le meilleur. Mourir maintenant, alors qu'ils avaient encore tant de choses à faire, c'était quelque chose qu'il s'était interdit par pure conviction selon laquelle il pouvait être encore durablement utile dans ce monde.

« Vous souhaitez m'offrir des rites ? Quels sont-ils ? Je dois avouer que si la Sainte Trinité fait parti de mes croyances, je ne me suis pas rendu souvent dans un Temple. »

Pourtant, c'était bel et bien devant la Déesse en question que Eadwin avait prêté serment au père d'Yseult il y a fort longtemps. Rikni, la femme reptile aux assauts impardonnables. Célébrant les rites d'entrées dans la milice, dans la chevalerie ou encore les départs en guerre. On disait souvent que lorsque deux armées se battaient, celle qui sortirait victorieuse serait celle qui comptait Rikni dans ses rangs. Avec la Fange, ces croyances se voyaient ébranler. On ne pouvait pas franchement dire que l'humanité prenait le dessus sur son ennemi imposant mais il était interdit de dire que les Dieux étaient du côté de la Fange. Comment les survivants pourraient se raccrocher à un espoir divin si ces derniers était considérés comme étant à l'origine de ce fléau mortel ? Pour ces quelques raisons, Eadwin refusait de croire que cette malédiction était d'ordre divine. Il pensait davantage qu'il s'agissait d'une maladie encore inconnue et probablement incurable, c'était de cette façon-là plus facile à accepter et surtout, garder les dieux auprès de soi avait quelque chose de rassurant. Plus simplement encore, cela permettait de ne pas considérer les hommes comme le Haut-Prêtre de Tourres comme un ennemi de l'humanité.

« J'aime croire qu'Anür nous accordera la vitalité nécessaire pour surmonter cette crise, que Serus continuera à nourrir nos troupes et que Rikni nous apportera la gloire et la victoire après la bataille qui s'annonce. Cela dit, je propose de ne pas tout remettre entre les mains des Dieux. Nos efforts personnels sont pour moi une part majoritaire sur la balance de l'équilibre. »

Eadwin était du genre à ne pas vraiment croire en le Bien et en le Mal. Il était plutôt partisan des actes et de ses conséquences. A titre personnel, il avait été au service d'un homme belliqueux apportant de nombreux morts dans son sillage, que ce fut dans ses propres rangs ou ceux de l'ennemi. Pourtant, il était un homme aimant sa femme et sa fille, même s'il avait sa propre manière de le montrer. Il avait peut-être aussi tué les parents d'Eadwin mais il faisait vivre tout un territoire en l'administrant. Avec le temps, le chevalier de Traquemont pensait qu'il avait peut-être juste fait preuve de malchance, peut-être qu'il n'était pas né au bon moment, à la bonne époque mais pour quelqu'un qui s'attachait aujourd'hui à la vie avec autant de ferveur, ce n'était pas sage de penser ainsi. Il ne fallait pas regretter le passé mais combattre dans le présent nos peurs pour se donner de meilleurs chances de forger un avenir qui nous ressemblait davantage.

« Mes confessions ? Je ne saurais même pas par où commencer... »

Eadwin se sentit gêné. En général, lorsque l'on était malade, on était prêt à tout confier à son médecin dans l'espoir de guérir pour ne plus souffrir. Dans la situation présente, le Haut-Prêtre de Tourres avait déjà gagné. Très certainement, l'âme d'Eadwin était peinée, lourde de doutes et de regrets. Existait-il une chance que le Père Philippe ne lui lance une sorte de charme pour taire ses chagrins passés ? C'était peut-être la dernière occasion pour lui de se confier à quelqu'un de pieu avant de quitter Traquemont pour un avenir incertain, un probable abattoir. Au fond, il avait peut-être peur de savoir qu'il ne reviendrait pas marcher dans les couloirs de la forteresse, de ne plus jamais s'entretenir avec sa chère Yseult dans ses appartements personnels, à partager avec elle ses opinions, les discuter, se faire parfois réprimander pour aller trop loin. C'était certain, elle serait l'âme sur ce monde qui lui manquerait le plus.

« Par le commencement… ? » dit-il, c'était une question rhétorique. Le chevalier de Traquemont serra ses jambes l'une contre l'autre et joignit ses deux mains. L'air toujours un peu perdu et gêné, il regarda attentivement autour de lui, faisant signe au Prêtre de fermer les portes de la chapelle. « Déjà, il s'agit de quelque chose que ma Dame ne doit jamais savoir. C'est un secret de famille que je souhaiterais emporter dans ma tombe. Je suis né au domaine de Rivenoire, une famille de chevaliers voisine au domaine de Corbeval. Corbeval ? Allez toujours plus à l'Ouest, entre deux montagnes, vous finirez par la débusquer. »

Eadwin de Rivenoire se redressa parce qu'il était bien trop tendu par cette situation inconfortable. Il avait besoin de marcher, de faire les cents pas.

« Je suis un butin de guerre. Le père de ma Dame a écrasé et assassiné l'ensemble de ma famille. Je devais à peine avoir plus d'une dizaine d'années ? C'est une époque un peu flou. Je crois avoir un peu tout perdu ce jour-là, mes convictions de jeune garçon se sont envolées. Je suis devenu l'otage d'un héritage pour permettre à un homme belliqueux de prouver sa force. » expliqua-t-il, en serrant les poings. « J'ai été formé par un chevalier, Conrad Brise-la-Tempête. C'était un homme fort et usé, je n'avais aucune idée à l'époque de ce qu'il avait lui-même bien pu subir. Être un chevalier, ce n'est pas une tâche facile. Comment servir un homme que je détestais ? Je n'avais pas vraiment le choix. J'avais été vaincu alors que je ne pouvais pas encore me défendre et je lui appartenais. »

La gorge du chevalier de Rivenoire était à moitié nouée. Il avait commencé à en parler, dans ce processus qui réparerait peut-être un petit peu son esprit, c'était déjà un très bon début même s'il n'en avait pas encore conscience. Il n'allait pas verser des larmes, loin de là, ce temps était révolu depuis fort longtemps. Pleurerait-il seulement la mort de sa maîtresse ? Il comptait bien rendre son dernier soupire avant elle lorsqu'il lui aurait apporté tout ce qu'il était capable de lui offrir.

« Un jour, j'ai pris la place de Conrad, le pauvre était devenu bien trop vieux pour porter le bouclier et les armes au nom de notre maître. A partir de là, je n'ai cessé d'accompagner pendant quelques années le père d'Yseult sur différents champs de bataille. Belliqueux à souhait, l'expansion de son territoire était un objectif principal. J'ai beaucoup, beaucoup appris auprès de lui. Grâce à lui, je sais comment me comporter sur un champ de bataille, je sais ce qu'il faut faire pour éviter la mort et l'apporter à mes ennemis. Je suis vraiment devenu un chevalier, défendant cœur et âme le blason d'une maison que je peinais à aimer. Lorsque nous n'étions pas en compagne, il me donnait quelques tâches et j'ai toujours un peu de peine lorsque j'y repense. » expliqua-t-il, marquant une courte pause avant de reprendre. « Par exemple, il y avait ces fermiers qui n'arrivaient plus à payer cette taxe territoriale. Malgré leurs supplications, il m'a été intimé l'ordre de réduire en charpie tout leur bétail et de mettre le feu à leur exploitation. Est-ce juste de détruire les efforts du peuple pour répondre à sa colère ? Je ne pouvais qu'exécuter si je ne voulais pas être châtié à mon tour. Le regard des autres habitants devint plutôt lourd à porter et il fallait redoubler d'effort pour montrer que je n'étais pas juste quelqu'un qui faisait pleuvoir la désolation. Certains comprirent, d'autres tournèrent le dos. »

Le métal d'Eadwin cognait contre le sol à chacun de ses pas. Ceux-ci devenaient de plus en plus lourd, peut-être creuserait-il un trou dans quelques années à force de marcher ainsi s'il ne mourrait pas de faim ou de fatigue avant.

« Quoi d'autre ? » se demanda-t-il. Il y avait bien des choses à raconter, peut-être trop, ainsi, il ne dirait pas tout non plus. Certains souvenirs étaient nécessairement plus marquant que d'autres. « Lorsque nous étions victorieux, lorsque nous écrasions une famille, la victoire avait souvent un goût amer. Avez-vous déjà tordu le cou d'un nourrisson, mon père ? Avez-vous déjà noyé un garçon de sept ans et sa sœur de quatre ans ? Les plonger sous l'eau, les tenir jusqu'à ce qu'ils ne se débattent plus. Parfois, quand un Noble en détruit un autre, c'est l'ordre qu'un chevalier peut recevoir. Mettre un terme à l'héritage, à la descendance du vaincu. Ceux-là, ils s'appelaient Charles et Juliette de Melasinir. Et oui, mon père, lorsque l'on commet l'horreur, on ne peut oublier. » raconta-t-il. Il ne devait pas recueillir tout les jours des confidences de ce genre-là. La question était alors : mon père serait-il capable de lire les regrets qui accablaient son âme ? Peut-être en entendait-il déjà trop pour ses oreilles ? Non, cela devait être plutôt dur à ouïr mais il avait du en voir d'autres dans sa propre vie. Quelque part, peut-être cela était-il susceptible de rapprocher ces deux hommes ? « Vous allez croire que ma vie de chevalier n'est faite que d’événements tortueux si je continue ainsi. » dit-il, en riant nerveusement. « Il y a de très bons côté. Évidemment, l'appartenance à la noblesse même si nous sommes en bas du chaînon. Les gens nous comprennent, certains nous admirent, certaines femmes pourraient se jeter nues sur nous pour avoir l'impression de partager notre notoriété quand nous sommes réputés sur nos territoires. Pour ma part, on m'appelait l'Ours de Corbeval. Il y a plusieurs types de chevaliers et même si je regrette tant de choses, je suis plutôt fier d'en être un. Tant que l'on n'oublie pas l'amour du blason, on a toujours notre place dans ce cycle. » dit-il. Eadwin commençait enfin à parler de choses un peu plus gais. L'atmosphère ambiante en avait peut-être bien besoin. « Et puis comment ne pas évoquer la naissance d'Yseult ? Auparavant, elle était bien différente de maintenant. C'était une jeune fille joyeuse, proche de sa mère mais cependant, elle était la seule héritière de sa famille. A partir de l'adolescence, son père s'est personnellement chargé de son éducation tandis que j'ai participé à son entraînement martial. Qui irait croire que je suis l'un de ses professeurs, dites-moi ? J'aimais Yseult un peu comme la fille que je n'aurais jamais. Croyez-moi, j'ai su prendre parfois le fouet à sa place lorsqu'il semblait nécessaire pour son père de la punir. C'est une femme élevée pour être un homme. Je voulais la protéger à tout prix de la brutalité qui environnait toute sa vie. Je voulais préserver une partie de son innocence. Mais par dessus tout, Yseult était pour moi l'espoir d'avoir un jour une maîtresse un peu plus bienveillante que son père. Ai-je réussi ? Me suis-je suffisamment impliqué ? L'avenir nous le dira. Elle a des traits de son père, bien sûr, mais je crois que son âme a été préservée de sa cruauté, de sa méchanceté. Si elle en fait preuve, ce n'est pas pour répondre à un caprice. » raconta-t-il. Jusque dans la tombe, Eadwin allait-il être un fervent défenseur de l'image de la Châtelaine de Traquemont ? « Avec le temps, son père a perdu un peu de la fougue de sa jeunesse, il était de… d'une vingtaine d'années mon aîné ? Quelque chose comme cela, admettons. Nous avons passé plus de temps au domaine de Corbeval. Il était un excellent professeur, il m'a appris comment torturer les gens. La violence physique n'était pas toujours nécessaire, parfois briser le mental suffit. »

Le Père de Tourres était prévenu, Eadwin de Rivenoire s'apprêtait à s'aventurer dans un registre beaucoup moins joyeux. Les chevaliers étaient-ils vraiment amenés à torturer des gens ? Quand quelqu'un volait son seigneur, aucun moyen n'était vraiment interdit pour rétablir un soupçon de justice, même les supplices les plus ignobles qui terminaient bien souvent par une mort dans d'atroces souffrances. Après tout, il y avait bien des prisonniers de guerre que l'on passait au crible pour obtenir des renseignements capable de renverser l'issue d'une bataille équilibrée. Il paraissait alors évident que l'on pouvait torturer quelqu'un qui nous volait pour lui donner la leçon de sa vie.

« Un jour, un barde aurait proliféré des calomnies à l'égard de mon maître. Il a été capturé et mis en cage dans un bâtiment abandonné de nos terres, une ancienne ferme non rénovée et qui n'était plus en état d'accueillir une nouvelle exploitation. Là, le maître s'est vraiment montré maître, il a guidé les premières heures. Le malheureux s'appelait Jean, nous ne savions vraiment pas si les accusations portées contre lui étaient vraies ou fausses. Pensez-vous, l'image dégagée par le père d'Yseult était très importante. Je crois qu'on l'accusait de tromper sa femme, de violer sa fille… avec la voisine du jardinier. Bref, de quoi heurter la fierté de n'importe quel homme droit de ce côté là, n'est-il pas ? Je ne vais pas vous faire un dessein mais la plupart du temps, la vieille bâtisse était plongée dans l'obscurité. Nous avons accentué cela en le privant du sens de la vue en plaçant un sac en cuir sur sa tête. Nous ne le faisions pas surveiller, nous savions qu'en étant menotté, il ne pourrait rien faire à part attendre. Attendre, attendre, nous ne le nourrissions qu'avec un reste de pain après la tombée de la nuit. Je me souviens encore de sa part de vitalité qui roulait jusqu'à lui au centre de la cage. C'était le seul moment où on lui permettait de retirer son masque. Le reste du temps, il n'avait que l'ouïe. C'est ainsi que nous le regardions manger comme un chien désespéré. Un spectacle humiliant. Moi, j'étais mitigé. S'il avait vraiment proliféré de telles accusations contre mon maître, il était juste de le punir. J'étais… troublé de constater que nous avions un tel pouvoir sur notre peuple. J'en ai honte mais je me sentais puissant lorsque je le voyais galérer avec ses miettes de pain. A votre avis, mon père, combien de temps faut-il avant de devenir fou dans ces conditions ? Toutes les trois heures à peu près, je passais et sans un mot, je frappais la cage avec mon épée pour l'effrayer. Jean était seul au monde, l'obscurité était devenu la seule chose à laquelle il pouvait se confier. Concrètement, cela ne me faisait rien de savoir qu'il pouvait mourir à tout instant mais je ne pouvais m'empêcher d'avoir honte. Jusqu'au bout, il clama son innocence mais jusqu'au bout, mon maître refusait de le croire. Il est mort de déshydratation, sans boire et avec un sac en cuir sur la tête à longueur de journée, on ne pouvait que devenir fou. Il n'avait peut-être vraiment rien dit au début mais l'altération de sa santé mentale le conduisit à nous insulter sans être encore capable de considérer à qui il s'adressait. Voilà comment on peut détruire un homme… légalement.»

Et ce n'était même pas la dernière histoire d'Eadwin. Cela faisait un moment déjà qu'il s'était accaparé l'auditoire pour effectuer son monologue. Vraiment, c'était relaxant de pouvoir avouer des choses qu'il n'avait jamais pu dire à personne. Pour la suite, Eadwin garantissait une histoire tout aussi basse mais avec une fin un peu plus honorable.

« Celle-ci remonte à peu près deux années avant que je ne quitte Corbeval et le joug de mon maître pour suivre Yseult aux Noirjardins là où elle épousa un certain Tristan. C'était une fraîche nuit d'été, à Corbeval toujours. Pour célébrer une fête dédiée à Cerus si mes souvenirs sont bons, mon maître a fait appel aux services d'une troupe de saltimbanques pour animer et amuser cette soirée conviviale. Naturellement, il leur fut proposé une grange pour passer la nuit et je me souviens d'une jeune diseuse de bonne aventure… Elle devait avoir vingt-ans… Quel était son nom déjà… ? Cendre ? Ah, non ! Sambre, c'était Sambre.  » lâcha-t-il. Le regard d'Eadwin était devenu un peu plus triste car c'était peut-être une des choses qu'il regrettait le plus. Jamais il ne pourrait oublier Sambre. « Son regard était captivant, beaucoup trop. Elle avait des yeux rouge, des rumeurs l'accusaient d'être une sorcière. Curieux, mon maître lui demanda de lire son avenir et le tableau qu'elle peint de ce dernier le mit hors de lui. Sans sommation, la troupe fut expulsée et nous gardions Sambre prisonnière. Là, il m'a ordonné de la corriger. Mise à une, je l'ai fouettée et frappée avec mes poings. Et sans me vanter, personne n'a envie d'être frappé par les poings de l'Ours de Corbeval. Ce soir-là, je crois que quelque chose s'est définitivement brisé en moi. Étais-je vraiment réduit à l'état de battre une femme ? Oh, croyez-moi, j'ai bien du lui casser un bras et quelques côtes. Son visage était couvert d'hématomes, elle saignait et perdit connaissance tant mon maître hurlait de la réduire en bouillie. Finalement, il se calma et nous la laissèrent supposément pour la nuit. Il déciderait à l'aube de son sort. Ce soir-là, je n'ai pas réussi à trouver le sommeil et je me suis demandé si c'était vraiment le devoir d'un chevalier que d'obéir à un ordre aussi… écœurant. Finalement, je me suis arrangé pour me glisser auprès d'elle et discrètement, je suis parvenu à la faire s'évader. Elle n'a pas vu mon visage, elle ne saura jamais ce que j'ai fais pour elle en dernier lieu… Elle ne retiendra que moi un salopard, un connard ayant usé de sa force physique largement supérieure contre elle. L'idée que quelque part, quelqu'un puisse me haïr me terrifie un peu. Bref, je l'ai rendue à sa troupe et je n'en ai plus jamais entendu parler. »

Eadwin n'avait pas encore tout dit mais il était persuadé que le Haut Prêtre de Rikni pouvait désormais cerner avec efficacité le genre d'homme qu'il était. Il en savait désormais plus que quiconque sur sa vie et intérieurement, il jurait que si le Père de Tourres osait un jour utiliser ces informations-là contre lui, s'il ne respectait pas le secret lié à sa profession, il lui ferait subir des souffrances encore plus fortes que celles évoquées précédemment. Dans ce genre de situation, la confiance ne tenait véritablement qu'à un seul fil et Eadwin savait ô combien il était fragile.

« Malgré tout, je crois quand même que je suis quelqu'un de bien. Je veux survivre à tout ce merdier, aider mon prochain, voir comment notre monde va évoluer. Pensez-vous, mon père, que moi, Eadwin de Rivenoire, mérite le pardon de la Sainte Trinité ? Pensez-vous que j'ai le droit de trouver une épouse et de fonder une famille ? Je ne peux m'empêcher de croire que je mérite une mort lente et douloureuse pour tout cela. Cette vie de servitude envers ma chère Yseult, c'est comme la dernière source d'espoir qu'il me reste. Ô, je prie pour qu'elle soit protégée à tout jamais de ces choses-là et qu'elle ne m'ordonne jamais de perpétrer à nouveau tout ces crimes. Mon âme ne le supporterait pas. »

Spoiler:
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Philippe de Tourres
Philippe de Tourres



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MessageSujet: Re: Et ego te absolvo [Eadwin]   Et ego te absolvo [Eadwin] EmptyVen 27 Mai 2016 - 13:10
Eadwin répondit, en observant les statues et les artefacts religieux de la chapelle. C'était un homme qui paraissait humble, et intelligent. Rien à voir avec le portrait de rustre violent que lui avaient donné les quelques manants de Traquemont avec qui Philippe avait discuté. Non, c'était même un exemple de devoir et de piété qui se trouvait devant lui.
Le sire parlait du Labret qui arriverait très prochainement. Et Eadwin semblait déterminé, impatient même. En l'entendant dire cela, Philippe ne pouvait s'empêcher de sourire en coin.

- La gloire et la victoire, ce n'est pas Rikni qui nous l'apporte, pas plus que Serus se contente de faire pousser des champs de blé selon notre bon vouloir. Vous avez parfaitement raison, les Dieux ne nous prennent pas pour des enfants, nous n'avons pas à simplement les prier pour obtenir ce que nous voulons. C'est à nous d'agir, de travailler la terre, de donner notre labeur et notre force pour écraser et terrasser la Fange...
Mais les Dieux nous inspirent, nous protègent, et surveillent. Avant que vous partiez braver le Fléau, j'aimerai bénir votre épée et votre heaume, afin que la Déesse vous garde et que votre lame puisse trancher et estoquer les démons.


Mais pour l'instant, c'était autre chose que le seigneur de Rivenoire voulait. C'était soulager sa conscience, en confessant ses péchés. Il n'y avait pas de confessionnal dans cette chapelle, alors il fallut que Philippe s'éloigne et pose une planche de bois sur la porte d'entrée pour la bloquer, et venir s'asseoir tout près d'Eadwin, de manière à ce qu'il puisse chuchoter et parler à voix basse.
Sauf que sitôt Philippe avait posé ses fesses, son ouaille s'était mise debout et avait commencé à marcher et arpenter l'église. D'accord, ok, soit. Il parlait. Il parlait beaucoup. D'habitude, Philippe avait un peu de mal à extraire des confessions, il devait poser des questions, demander des précisions, mais là... Là Eadwin se soulageait d'un coup, subitement. C'était comme enfin desserrer les fesses après s'être retenu pendant trois jours. Sauf que là, il devait s'être retenu depuis des décennies.

Il expliqua comment il guerroyait avec son maître. D'accord, rien d'incroyable, tant qu'on respecte les règles de la guerre. Ensuite, il parlait de comment il avait anéanti la propriété de manants, ce qui sur le coup montrait bien la débilité profonde de l'ancien sire de Corbeval.
Et d'un coup, il expliqua comment il avait tué des gens, des enfants complètement innocents. Alors là, oui, la discussion venait de prendre une dimension toute particulière... D'ailleurs Philippe, qui jusque là gardait un air froid et impassible, avait écarquillé les yeux un moment. C'était sérieux, c'était très sérieux. A côté de ça, les détails glauques sur la torture de deux autres saltimbanques itinérants, c'était presque plus faible.
Bordel de merde furent les seules pensées qui traversaient Philippe après avoir entendu tout le récit d'Eadwin. Sur le coup il ne savait vraiment pas quoi dire. Eadwin disait être un homme de bien, ça c'est... Oui, bref.

- Heu... Très bien... Assied-toi, mon fils.

Philippe avait soudain changé de ton. Il n'utilisait plus le vouvoiement et les gentils « messires » comme si Eadwin était quelqu'un d'égal, comme s'ils étaient deux vieux chevaliers qui parlaient de leurs exploits avec plein de nostalgie. Non, le prêtre se dégagea la gorge, se leva sur ses jambes, et d'un coup, prit une intonation bien plus sévère, comme s'il parlait à n'importe quelle personne qui était entrée dans sa chapelle.
Alors qu'il obtempérait, Philippe se trouvait momentanément incapable de lui répondre quoi que ce soit. Il passa sa main sur sa bouche, se frotta les lèvres, et regardait des pieds à la tête ce brave homme d'armes qui venait d'avouer assez de péchés pour être puni par Anür de la plus sévère et la plus atroce des façons.

- Est-ce... Est-ce la première fois que tu te confesses, mon fils ? C'est la toute première fois que tu confies ces secrets à quelqu'un ? Tu ne l'as jamais dis, tu l'as gardé pour toi ?

C'était grave, ce genre de choses. Qu'on commette des fautes, oui. Mais il fallait les avouer et en faire pénitence. Là, garder tant de choses, pour soi, pour si longtemps... C'était incroyable. Eadwin avait accumulé souillure sur souillure. Quinze minutes plus tôt et Philippe était tout guilleret à l'idée de lui bénir son épée, voilà que le brave chevalier était un noyeur d'enfants.

- Tu n'es pas quelqu'un de bien, mon fils. Tu es loin, très loin, de quelqu'un de bien.
Oui, tu es essentiel à la survie de Traquemont, tu es un grand soldat, loyal à ta châtelaine. Cela ne fait pas de toi quelqu'un de bon.
Une mauvaise action n'efface pas les bonnes. Pas plus qu'une bonne action efface les mauvaises. Un oignon à moitié pourri est complètement pourri. Si tu souhaites devenir un homme bon, il ne te suffit pas de te noyer dans les bonnes actions ; Il faut que tu te fasses aussi pardonner tes immondes crimes.
Parce que nous parlons bien d'immondes crimes, ici. Non mais... As-tu perdu la tête ?! Tu compares le meurtre d'enfants avec ton devoir de feudataire ?! Le seigneur de Corbeval aurait dû être puni. Ce genre de crimes que tu m'avoues, c'est le genre de chose qui aurait dû finir devant la cour du Roi, ou bien devant l'autorité du Temple, voire-même les deux ! Ton maître aurait tout perdu, on lui aurait pris ses terres par la commise, on l'aurait décapité. Mais tu es resté complice de ses crimes. Tu as décidé que ta loyauté envers sa mesnie était plus importante que ton honneur et ton intégrité d'homme.
Vingt ans de péchés, et malheureusement, je vais devoir te briser tes rêves. Tu ne pourras plus jamais avoir une vie normale. N'y penses pas.
Mais cela ne veut pas dire que tu ne peux pas obtenir le pardon d'Anür la miséricordieuse. Cela ne veut pas dire que tes péchés ne peuvent pas être absous, et que tu ne puisses pas trouver le pardon.
Donne-moi ton épée.


Philippe attrapa le fourreau de sire Eadwin. Il s'approcha alors de l'autel, et posa l'arme à plat dessus.

- Tu es un meurtrier Eadwin. Alors à présent, il va te falloir meurtrir pour les bonnes raisons. C'est une chance que tu te trouves à Traquemont, dans l’œil de la Fange, cela va te permettre de remédier à tes fautes.
Tu vas partir pour le Labret. Tu vas te battre, mais tu n'iras pas chercher la mort. Ta pénitence, ce sera cette croisade contre les démons. Contre ce Fléau, cette Peste qui s'est abattue sur le monde. Des fois, je me demande même si la Fange n'a pas justement ce but : Nous punir pour nos péchés... Et nous forcer d'y remédier, de toutes nos forces.


Lentement, il retira le fourreau de l'arme, l'acier scintillant un peu à la lumière des bougies et des cierges.

- Ce n'est pas moi, malheureusement, qui puisse te donner l'absolution, Eadwin. Et tu ne la trouveras jamais de ton vivant.
Il te faut te battre, à jamais. Tous les jours, tous les soirs, tu devras prier les Trois. Tu devras, dorénavant, mener la vie la plus chaste et la plus pieuse possible. Tu devras braver les fangeux, à travers les marais et les forêts. Et sûrement que tu mourras, comme tant d'autres sont morts.
Mais lorsque Rikni t’élèveras aux cieux jusqu'à Anür, alors, la déesse, voyant comment tu as suivi ton devoir avec diligence et application, elle pourra te pardonner. Et c'est uniquement après la mort, que tu trouveras le repos pour ton âme.


Ayant dit tout ceci, Philippe avait sorti un petit couteau de cérémonie. Il se scarifia légèrement la main, la souleva, et laissa de grosses gouttes de sang tomber sur la lame de l'épée.
A lui-même, et à voix basse, il se mit à prier quelques psaumes à Rikni.

Rikni notre Déesse,
Tu n'offres pas la victoire,
Et à personne tu n'accordes la gloire.
Tout ce que tu nous promet,
C'est de la peine, des larmes et de la sueur,
Mais dans la défaite comme dans la victoire,
Donne-nous la force et le courage de combattre.


Il reprit, mais dans une langue étrangère, une qui n'était presque plus utilisée hormis pour prier. Philippe ne savait même pas la parler, c'était juste les chants qu'il apprenait par cœur.
Après deux bonnes minutes à laisser son sang couler sur l'épée d'Eadwin, il retira sa main, lia un petit bandage en tissus sales, et se tourna vers le seigneur.

- Récupère ton arme, Eadwin.
Je te souhaite de revenir du Labret en entier, que les Dieux te protègent. Il ne faut pas que tu cherches à courir à ta perte. La mort te viendra un jour. Fais en sorte que ta vie soit dédiée à purger tes fautes.
Je suis lié par le secret de confession. Je ne répéterais jamais rien de ce que tu m'as dis, cela tu peux en être parfaitement assuré. Mais je pense que ces fautes, si dame Yseult n'est pas au courant... Tu devrais lui en parler. Tu devrais lui avouer. Je pense que c'est essentiel, que ces secrets sortent au grand jour, et qu'ils viennent de toi-même.
Ce n'est pas une étape essentielle à ta pénitence, ça. C'est juste, disons... Que ce serait pour le mieux.
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ArtoriusChevalier
Artorius



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MessageSujet: Re: Et ego te absolvo [Eadwin]   Et ego te absolvo [Eadwin] EmptyLun 6 Juin 2016 - 10:38
Eadwin de Rivenoire venait à peine de réaliser qu'il avait parlé, peut-être beaucoup trop parlé. Philippe de Tourres connaissait désormais les ténèbres du chevalier de Traquemont, quelque part, il l'avait contraint à y goûter en lui imposant ses confidences. Il n'était pas dupe, le Haut-Prêtre de Rikni allait désormais le juger, à la hauteur de ce qu'il méritait selon lui. Il avait tant parlé qu'il avait longuement monopolisé la parole mais il était resté attentif aux quelques réactions de son interlocuteur. Il sentit que certaines de ses frasques avaient touché le représentant de la Sainte Trinité au-delà de son rang. Il se demandait si tout cela n'avait pas été trop dur à entendre, ce débit d'horreurs racontées avec un faciès quasi machinal. Bien sûr, le ton d'Eadwin avait reflété sa douleur, sa souffrance cachée pendant si longtemps. Ces enfants tués, il entendrait leurs supplications jusqu'à sa mort et même après s'il existait pour lui une place dans un autre monde. Le ton de la conversation changea soudainement, il fallait à présent pour le Haut-Prêtre de Rikni dévoiler sa stratégie. L'homme, proposa à Eadwin de Rivenoire de s'asseoir pour écouter sa sagesse. Marquant mais pas trop, Philippe de Tourres commença à utiliser le tutoiement. C'était bien-là les mots d'un adulte envers un enfant perdu qui avait pêché. C'était donc cela, un Père ? Il ne remplacerait jamais le sien mais depuis que sa famille avait été assassinée par son ancien maître, le Châtelain de Corbeval, personne n'avait jamais parlé à Eadwin de la sorte. Même Conrad Brise-la-Tempête, son mentor de chevalier, n'avait jamais montré particulièrement d'état d'âme envers lui, sachant pertinemment quel adulte il deviendrait plus tard. Pas même Yseult de Traquemont, qui détenait une force attractive au-delà de ce qui était permis sur Eadwin de Rivenoire ne s'était prêtée un jour à ce jeu-là avec lui.

« Non, mon père. » répondit-il, très sobrement. « Vous êtes le premier. » dit-il, sans oser dire qu'il serait probablement le dernier. Cet exercice était pénible, éprouvant. « Je n'ai jamais vraiment eu l'opportunité de le faire. Je suis davantage resté auprès de ma souveraine plus que je n'ai fréquenté un Temple jusqu'à présent. »

La réalité était ce qu'elle est. Parfois cruelle, incisive. Évidemment, Eadwin de Rivenoire avait prêté allégeance devant les Dieux de la Sainte Trinité le jour où il était devenu le chevalier servant du Châtelain de Traquemont. Il croyait en leur existence car on lui avait appris qu'ils étaient suprêmes. Ils incarnaient pour lui cette chose suprême, au dessus de sa tête, que l'on ne peut ni défier, ni nier, ni refouler. De sa petite place, il ne comprenait peut-être même pas à quel point elle était toute puissante, à quel point le Haut-Prêtre de Tourres détenait à son tour un pouvoir sur lui. Il ne s'en rendait pas encore compte mais… Et si Philippe décidait tout à coup de rapporter les erreurs d'Eadwin au Temple de Marbrume ? Ses jours, voire ses heures seraient comptés. Il pensa également que son précédent maître n'avait peut-être pas toujours été droit envers le pouvoir sacré. Oui, la vérité était vraiment cruelle. Pendant si longtemps, il avait peut-être détenu le pouvoir de faire quelque chose contre cet être qu'il considérait comme abjecte. C'était un tableau bien noir et il ne fallait pas considérer le père d'Yseult de Traquemont comme un monstre. Peut-être était-ce un brin de mauvaise foi qui empêchait Eadwin de Rivenoire de l'avouer mais il avait aussi fait des choses « bien. » A son égard, il lui avait offert un toit, il l'avait nourri, éduqué et aimé à la hauteur de sa froideur et de son pragmatisme. Il avait été tué sa famille mais s'était montré clément envers lui.

Soudainement, les mots de Philippe de Tourres commencèrent à devenir tranchants. Il l'accusait de ne pas être quelqu'un de bien. Sur quoi basait-il ce constat ? On était très loin de cette situation où Eadwin de Rivenoire aurait pu tenter de se jouer de Philippe de Tourres, de lui raconter des fantaisies. Le chevalier de Traquemont n'avait jamais été aussi sincère, il disait la vérité, sa vérité. Selon son interlocuteur, une bonne action n'était pas suffisante pour effacer quelque chose de mauvais. Il le comparait à un oignon, un oignon pourri de l'intérieur. Si la comparaison n'avait rien de très flatteuse, il comprit néanmoins où voulait en venir Philippe de Tourres. Il fit peut-être même un regrettable amalgame. Le Haut-Prêtre de Rikni ne venait-il pas de dévoiler à demi-mot que chaque être humain foulant ce monde était un oignon pourri ? Eadwin de Rivenoire ne connaissait personne qui pouvait se targuer d'être dénudé de tout pêché. Qui n'avait jamais écrasé un insecte ? Qui n'avait jamais fait du mal à quelqu'un d'autre en utilisant des mots parfois regrettables ? Ce tableau donnait une bien piètre image de la noblesse tant on pouvait imaginer quelles étaient les injustices liées à cette dernière. C'était bien ironique car aussi loin que l'on s'en souvenait, c'était ces petits seigneurs qui contribuaient à protéger la Sainte Trinité, d'en faire quelque chose de suprême, d'inaccessible, de tout puissant. Les pensées d'Eadwin de Rivenoire allaient peut-être un peu loin mais à ses yeux, il y avait un très net paradoxe. Il se souvint alors d'une phrase prononcée un temps plus tôt par Philippe de Tourres.  « La gloire et la victoire, ce n'est pas Rikni qui nous l'apporte, pas plus que Serus se contente de faire pousser des champs de blé selon notre bon vouloir. Vous avez parfaitement raison, les Dieux ne nous prennent pas pour des enfants, nous n'avons pas à simplement les prier pour obtenir ce que nous voulons. C'est à nous d'agir, de travailler la terre, de donner notre labeur et notre force pour écraser et terrasser la Fange... » La Sainte Trinité était toute puissante parce que de nombreux individus étaient prêts à boire jusqu'à l'ivresse les paroles d'individus comme Philippe de Tourres. Eadwin avait peut-être pêché, acté de l'un des plus horribles crimes possibles mais un homme tel que Philippe était peut-être bien plus dangereux que lui. C'était en réalité à chacun de se créer sa propre perception du monde, de montrer un visage honorable, d'embrasser de bons idéaux. A cet instant précis, Eadwin fut donc persuadé qu'il n'était ni plus bon, ni plus mauvais que l'homme qui était en train de lui faire la parole. En fait, il utilisait un pouvoir que l'on lui avait accordé sur lui.

« Oui, peut-être aurais-je pu agir ainsi contre mon précédent maître. Cependant, j'aurais brisé mon serment, la famille que je devais protéger coûte que coûte. J'aurais privé Yseult d'un père formateur, d'un père qui a fait d'elle cet élément aujourd'hui indispensable pour la survie de l'humanité. Si vous me jugez essentiel à Traquemont, Yseult mérite alors bien plus de considérations. Sans nous pour les honorer, pour y croire, pour les servir, les Dieux ne sont pas des Dieux tout comme sans son peuple, un Roi n'est pas un Roi. »

Eadwin de Rivenoire ne comptait pas se laisser abattre par ce jugement accablant. Ce n'était pas le discours d'un hérétique, c'était seulement celui d'une personne sensée qui avait longuement réfléchi sur cette question. Il était persuadé que son discours tenait la route, même s'il était perfectible, même si on pouvait l'affronter, y trouver des contre-exemples. Désormais, il avait plus que jamais conscience que pour son intérêt personnel, il ferait mieux de faire profil bas et de rester auprès de la Trinité s'il ne voulait pas qu'un individu comme son interlocuteur ne devienne un jour son bourreau. Au fond, c'était jusqu'à présent le seul point sur lequel Eadwin était en désaccord avec Philippe. Il se montrerait un brin plus consciencieux sur la suite de cette intéressante conversation.

« En revanche, vous avez raison sur un point. J'ai pêché, je dois me racheter une conduite. Je pense y travailler depuis bien longtemps maintenant, avec Yseult. Avec elle, je n'ai jamais été poussé à connaître à nouveau l'horreur. Sans le savoir, elle a sauvé mon âme de la déperdition. Je vais passer le restant de mes jours à avoir du sang sur mes mains mais pour des raisons qui me sont sacrées. Traquemont est le début de ma pénitence, je dois tout faire pour que nous puissions sauvé le dernier bastion de l'humanité connu de la Fange. Tout, mon père. »

Le discours de Philippe de Tourres devenait de plus en plus intéressant. Il lui expliquait comment il devait faire pour atteindre le pardon, comment s'y prendre pour rejoindre Anür et être pardonné. C'était la quête d'une vie plus sainte, plus juste, plus bonne. C'était ce vers quoi quiconque prétendait croire en la Sainté Trinité devait tendre. Il comprenait tout à fait ne pas pouvoir échapper à cela. En attendant, l'heure était peut-être venue pour lui de croquer la vie en pleine dent. D'une certaine façon, il se sentait soulagé par cette confession. Philippe lui avait assuré que son âme pouvait être préservée s'il faisait les efforts nécessaires pour y parvenir. S'enfoncer dans le mutisme, aller sur le champ de bataille en espérant un jour faillir pour cesser de souffrir ne l'aiderait pas. Il écouterait les recommandations d'Yseult, sa souveraine, cette femme pour qui il accordait une importance significativement plus forte qu'aux Dieux. Elle avait le mérite d'être réelle, constituée de chair et d'os. Il laissa ensuite Philippe de Tourres bénir son arme, il serait ainsi prêt pour partir une nouvelle fois à la guerre. Non pas un champ de bataille pour s'éteindre, pour s'effacer. Il s'y rendrait avec l'intime conviction qu'il devrait tout faire pour revenir vivant et surtout, victorieux.

« Merci, mon Père. Traquemont a besoin de moi… Non, il n'y a pas que Traquemont. Marbrume aussi, tout ce qui peut encore être sauvé doit l'être. Concernant Yseult… Peut-être un jour. »

Eadwin de Rivenoire n'était pas persuadé que c'était la meilleure chose à faire. Il craignait de changer son lien avec sa matriarche, de briser quelque chose. Non, il ne voulait pas qu'elle se sente coupable de ce qu'il avait pu subir à cause de son père. Elle avait d'autres responsabilités sur les épaules en ce moment et avait sûrement autre chose à faire que d'écouter la plainte de son chevalier, même s'il pouvait être considéré comme son plus vieil ami.

« Elle m'a demandé de me marier au plus vite pour perpétuer ma lignée, un devoir qui incombe les nobles. Que pensez-vous de cela ? De plus, elle souhaiterait que je me rende bientôt à Marbrume pour convaincre un Prêtre de venir officier ici, à Traquemont, lorsque les travaux de la chapelle seront terminés. Vous auriez une piste, mon Père ? »
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Philippe de Tourres
Philippe de Tourres



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MessageSujet: Re: Et ego te absolvo [Eadwin]   Et ego te absolvo [Eadwin] EmptyJeu 16 Juin 2016 - 18:48
Les propos que tenaient Eadwin étaient sacrément inquiétants. Jamais Philippe n'avait entendu pareille défense. Parce que c'était ça le truc horrible ; Il avait conscience que ce qu'il avait fait était mal, certes, mais en même temps, il n'avait pas l'impression d'avoir eut une autre option. Il n'avait pas l'impression d'avoir failli quelque part. Le haut-prêtre serrait les dents en terminant le rituel pour bénir son épée, afin qu'elle parte trancher et tailler à travers la Fange, et que son propriétaire ne doive succomber pour la transmettre à quelqu'un d'autre par la suite.

- Je suis ravi de t'entendre dire prêt à défendre Traquemont jusqu'à la mort. Car c'est probablement le destin qu'on te réserve, la mort.
Cependant, il faut que tu cesses d'imaginer que ton ancienne vie a été justifiée. Et il faut que tu cesses de traiter Yseult avec une telle... Considération. C'est une grande femme. Une brave femme, pieuse et forte. Mais... Tu ne lui appartiens pas. Tu appartiens aux Trois. Tu ne peux pas péché en son nom, tu ne peux pas commettre des meurtres et te dire, au fond de ton esprit, que tu l'as fait pour elle.
Parce qu'agir comme ça, ce serait la salir. Tu risquerais de ne l'utiliser que comme un prétexte, pour pardonner tes fautes.
Tu as péché. Tu es un monstre. Et tu l'es par ta faute et par tes choix. Il faut que tu t'en rendes compte.


Ayant dit cela, Philippe brandit l'épée.

- Agenouille-toi.

Alors qu'il obtempéra, Philippe posa le plat, l'acier de l'arme, sur une épaule du chevalier, puis une autre, avant de lui remettre en mains la lame, pour qu'il puisse y apposer ses lèvres, l'embrasser, comme il embrasserait l'archange Rikni.

- Mais tu feras ta pénitence. Qu'importe combien de temps elle prendra, personne n'est irrécupérable. Tu vas te battre pour Traquemont, tu feras ce qu'il faut pour défendre la forteresse.


Et si un jour Yseult lui demandait de tuer des enfants ? Ah, il ne voulait pas réfléchir à cette éventualité, Philippe... Mais il faudrait qu'Eadwin refuse. Qu'il désobéisse. Si un jour, il arrivait qu'il se trouve à nouveau confronté à une telle situation, ce serait un bon moyen de voir quel chemin il avait parcourut.

- Te marier n'est pas une priorité. Perpétuer la famille, c'était utile à une époque où il y avait des fiefs à garder, des manants à protéger, des alliances à nouer. Pour l'instant, tu dois te dévouer à ta tache, à ta pénitence. C'est ton travail.
Mais... Un jour viendra, peut-être, où tu auras mérité le pardon et l'absolution. Et alors, oui, rien ne t'empêcherais de te marier. Pas par devoir, mais par amour.
Je sais que ce que je te dis là peut te paraître complètement naïf. Je le sais. Nous sommes tous les deux nobles, hein, on va pas se mentir ; On se mariait plus par intérêt que par sentiments. Mais aujourd'hui, tout ça, toute cette « noblesse », elle est désuète. Elle n'existe plus. La chevalerie est morte et nos terres sont à feu et à sang. Dans un sens, cela nous libère. Cela nous donne... De nouveaux horizons.
Aussi, pour le prêtre... Je pensais à un certain frère Guy, Guy le Vieux. Ce n'est pas un homme commode. Même pas du tout... Il est mesquin, hargneux, zélé. Je ne pense pas que tu l'apprécierais beaucoup. Mais c'est quelqu'un d'efficace et de travailleur, parfait pour le fort de Traquemont. Et puis il a de vastes connaissances, il saurait se montrer très utile à Yseult, et pas que pour servir pour les messes.


Enfin, le haut-prêtre se mit à sourire. Un sourire assez... Forcé. Noir. Il tentait de rassurer Eadwin, mais cela se voyait que ses sentiments envers le chevalier étaient mitigés.
Mitigés, oui. Il ne détestait pas Eadwin. En fait, il était même heureux d'avoir put entendre sa confession. L'infanticide est le crime le plus abominable qu'il est possible d'imaginer. Mais dans un sens, la Fange avait permis de sauver l'Humanité ; C'était un moyen pour beaucoup d'hommes de finalement confesser, et faire pardonner leurs fautes.

Et ego te absolvo.

- Pars donc l'esprit tranquille, mon fils. L'esprit tranquille ; Mais l'esprit déterminé.
Et, même si une mort face à la Fange te libérerait de tes fautes, tâche de rentrer du Labret en vie. Beaucoup de gens ont besoin de toi maintenant.

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ArtoriusChevalier
Artorius



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MessageSujet: Re: Et ego te absolvo [Eadwin]   Et ego te absolvo [Eadwin] EmptyVen 17 Juin 2016 - 8:50
Le Haut-Prêtre de Rikni, le Père de Tourres, n'était pas un mauvais homme. Eadwin de Rivenoire ne parvenait pas à se mettre à sa place. Il était en train de bénir un homme pour lequel il ressentait une animosité, aussi légère fut-elle. Il ne le détestait pas, non, mais juger de façon un neutre un être qui avait admis avoir meurtri des enfants… Ce ne devait pas être le genre de choses que le Père de Tourres devait entendre tous les jours au confessionnal du Temple de la Sainte Trinité à Marbrume. Les mots employés étaient à nouveau crus, prononcés de façon à marquer et frapper littéralement l'esprit du chevalier de Rivenoire. « Tu as pêché. Tu es un monstre. Et tu l'es par ta faute et tes choix. Il faut que tu t'en rendes compte. » Les propos, si le père de Tourres ne pouvait pas avoir l'intime conviction qu'ils étaient en train de faire leur effet, étaient pourtant en train de retourner la tête d'Eadwin de Rivenoire. C'était la première fois qu'il confiait ses pêchés, c'était donc la première fois que quelqu'un pouvait le juger. Au fond de lui, il était rassuré que ce fut par un homme de la trempe de Philippe. Cet être était sage et l'un des hommes les plus proches de la Sainté Trinité à Marbrume. Dans le fond, il avait totalement raison. Le chevalier de Traquemont craignait désormais de ne pas se voir ouvrir les portes du Havre d'Anür lorsque son heure viendrait. Pire encore, si Anür, Déesse des Passages refusait de l'accueillir, il ne lui resterait plus qu'à se relever dans la Fange selon les croyances. Cette idée était tout bonnement insupportable.

« Je vous comprends, mon Père. Je vais offrir ma vie à la Sainte Trinité. La simple idée d'être refusé chez Anür me terrifie. Je veux me racheter. Laissez-moi accomplir ce que je sais faire de mieux. Rikni n'aura rarement vue un guerrier si dévoué pour l'honorer. »

Il ne dit rien au sujet d'Yseult de Traquemont car ce sujet le désorientait. Le Haut-Prêtre de Rikni devait l'avoir compris, si Eadwin de Rivenoire était bel et bien responsable de ses actes et de sa vie, le passé n'avait pas franchement joué en sa faveur. Il avait été brisé dès son enfance et emmené dans un torrent, dans un cycle de haine qu'il n'avait jamais vraiment été capable de briser par lui-même. Yseult, malgré elle, avait sauvé son âme et il peinait à faire la différence. Ce n'était pas seulement son allégeance, non, la vie de l'homme lui appartenait et jusqu'à présent, elle détenait le pouvoir de le briser. La Châtelaine de Traquemont avait bien plus d'influence sur Eadwin de Rivenoire que la Sainte Trinité. Était-ce vraiment un mal ? En religieux digne de ce nom, le Haut-Prêtre de Rikni semblait ne pas pouvoir l'accepter. A la demande du Père Philippe, Eadwin de Rivenoire s'agenouilla devant lui. Dans ces moments-là, il se demandait ce qui pouvait bien se passer dans la tête d'un homme comme Philippe. Au nom des Dieux, cela semblait si simple pour lui de mettre un homme à genou devant lui. Se rendait-il compte de ce pouvoir ou n'était-il que le modeste dévot de sa divinité sacrée ? C'était impossible de le savoir.

« A travers le fil de mon épée et ses successeurs, je jure d'honorer Rikni et de consacrer le restant de mes jours à éradiquer le Fléau qui frappe non seulement le Morguestanc mais le Royaume de Langres. Avant cela, peut-être que je vais parfois plier mais… jamais l'Ours de Corbeval ne rompt. Je n'en ai pas encore le droit.  »

Il récupéra son épée, désormais sacrée et bénie par la Déesse Rikni. C'était un immense honneur que venait de lui faire le Père de Tourres. En brave soldat qu'il était, il apposa ses lèvres sur l'acier froid pour y déposer un baiser chaste comme il le lui demandait. Il écouta, d'une oreille très attentive la suite du discours de Philippe. Il partageait certains points de vue mais pour créer une conversation réellement intéressante, il fallait bien avoir des divergences. Il avait raison, se marier n'était pas une priorité mais derrière les mots de Philippe, un aveu avait l'air de se cacher. L'idée d'une noblesse déchue et inutile ne semblait pas déplaire au saint homme et Eadwin ne comprenait pas très bien pourquoi. Yseult partageait un point sensiblement différent et elle avait fait d'une grande importance le fait que Eadwin doive trouver une épouse. Même si l'humanité était au bord de l'extinction, la noblesse se battrait jusqu'au bout pour ne pas perdre ce qu'elle avait obtenue depuis des siècles, peut-être même des millénaires. De plus, allier sa maison à une autre pour unir deux forces n'était vraisemblablement pas idiot. Les fortunes, éparpillées, si elles existaient encore, devaient se regrouper pour mieux être utilisées. Sur ce point de vue là, sauvegarder la noblesse semblait donc être une nécessité pour Eadwin, raison pour laquelle il préférerait la parole d'Yseult à celle de Philippe. De plus, s'il voulait bien admettre trop appartenir à Yseult, un mariage bien ficelé pourrait peut-être lui permettre de prendre son envol et de peser davantage dans la balance. Il avait peut-être les épaules d'un homme docile et serviable mais au plus profond de lui, il y avait une colère qui n'avait jamais éclaté. Sous le joug de Rikni, il saurait peut-être la rendre sainte et en faire l'ennemie de ses ennemis.

« Je pense au contraire que mon devoir est de préserver notre système. Il n'est peut-être pas parfait, cette crise pourrait permettre de revoir certaines choses… Enfin, ce n'est pas encore à moi d'en décider, je ne suis qu'un chevalier. » dit-il. « Le frère Guy ? Guy le Vieux ? Très bien, j'essaierais de le rencontrer lorsque la question du Labret sera derrière nous. »

Il se redressa alors et lança un regard amical et respectueux envers le Père de Tourres. Il n'oublierait jamais cet homme, il venait de faire beaucoup pour lui. Il ne le saurait pas tout de suite, mais il avait fait énormément travailler la conscience d'Eadwin. Il venait peut-être de lui apprendre à peser le pour et le contre en respectant ses sentiments, en respectant ce qu'il était vraiment et ce qu'il souhaitait devenir.

Et ego te absolvo.

« Je vous souhaite une bonne continuation, mon Père. J'espère vous revoir un jour et que mes prochains faits d'armes parviendront jusqu'à vos oreilles. Que la Sainte Trinité, que Rikni la Guerrière vous garde et vous protège. Au revoir. »

Citation a écrit:
Fin du RP. Un grand merci à toi Phil', c'était vraiment très intéressant à jouer. :)
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