Scarocci était fou, selon les standards de l'époque.
Sa logique prévalait sur le reste du monde. Il se fichait comme d'une guigne de la plupart des conventions sociales, passait d'un comportement à l'autre, refusait de montrer son visage, et était incapable de saisir l'ironie.
Mais Scarocci savait détecter le mensonge et la faiblesse. Les excuses de Denea, en plus de sa remarque sur la dangerosité de Bidigon étaient pour lui clair comme de l'eau de roche. Elle ne voulait pas apprendre à monter à cheval. Ou alors, pas avec lui. La déception fut telle que le chevalier, pourtant toujours droit et fier, sembla s’affaisser un peu.
" Je comprend... "
Sa voix était devenue plus rauque, plus silencieuse, plus vraie. En la regardant, si petite, si fragile, un peu perdue devant lui, avec son commerce à tenir, le chevalier égoïste comprit qu'il était plus une gêne qu'autre chose pour elle.
" Je ne vous embêterais pas plus, Damoiselle Dénéa ! "
Il posa sa selle sur le dos d'un Bidigon plus flegmatique que d'habitude, et avec une vitesse et une précision à rendre honteux le meilleur écuyer de Marbrume, il équipa Bidigon de pied en cap. Un œil avisé aurait remarqué qu'il n'avait pas de rêne, ni de mors. Bidigon était libre comme l'air, si on exceptait sa selle. Scarocci ne lui avait pas attaché son caparaçon, qui était roulé comme un matelas derrière la selle.
Puis, il monta sur Bidigon, sans prendre d'élan, se hissant avec la seule force de son bras. Il salua Dénéa.
" Je vous laisse Damoiselle Dénéa ! Merci encore pour votre acceuil chaleureux, pour m'avoir écouté, et surtout, pour m'avoir supporté ! Je m'en vais aider ceux qui ont besoin de moi ! "
Pendant un instant, il regarda l'horizon, les rues sales, les gens pauvres, et sa voix redevint plus grave et humaine.
" Et il y en a tellement... "
Son attention se reporta sur Dénéa.
" Bref ! A la revoyure Damoiselle Dénéa ! Et n'oubliez pas ! Si jamais vous avez besoin d'aide, ou que quelqu'un vous a fait du mal, je serais là pour vous ! "
Il cria un "HIA !" et Bidigon se mit à ruer, énorme et colossal, masquant presque le soleil. Puis, Scarocci s'élança dans la rue.
Le chevalier en armure n'y fut plus jamais son retour. Mais pendant les semaines à venir, de temps en temps, de nuit, on pouvait voir un homme. Assez grand et large de gabarit, revêtu de vêtements en cuirs et d'une capuche, il arrivait devant la maison de l'herboriste. Après avoir toqué, il y déposait un panier, avant de s'enfuir en boitant légèrement.
La seule fois ou elle le vit, son visage caché par l'ombre, il lui fit le salut habituel de Scarocci,deux doigts sur la tempe droite, et un geste sec de ces derniers. Elle pu même y voir, éclairé par la lune, un sourire éblouissant. Mais il ne reste pas, et la laissa tranquille.