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 On peut dormir, la ville veille... [Eadwin & famille]

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Luna MontoyaChâtelaine
Luna Montoya



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MessageSujet: On peut dormir, la ville veille... [Eadwin & famille]   On peut dormir, la ville veille... [Eadwin & famille] EmptyDim 8 Mai 2016 - 16:47
Citation :
HRP : attention, petits pavés à chaque poste. Nous prévenons pour ceux qui n'aiment pas lire les rps longs.

Un sage professeur lui avait dit un temps qu'être en retard était un acte de violence envers ceux qui attendaient que l'on soit prêt à les percevoir. Si elle avait jugé ses dires douteux, elle avait tout de même été d'accord sur le fait que c'était d'une impolitesse détestable et que peu de monde appréciait l'attente, qu'elle vienne d'autrui ou de soi-même. Aussi avait-elle pris l'habitude de demander pardon, chaque fois qu'une minute avait devancé ses pas à un rendez-vous et ce que ce soit auprès d'une petite gens comme de son père.
Mais peut-être aurait-elle dû prendre au mot l'érudit, surtout lorsqu'il avait ajouté qu'à la violence ne répondait souvent que cette même tempête irascible. Les faits s'étaient déjà prouvés d'eux-même après tout. Quand un homme se faisait désirer dans l'un des salons, il se faisait recevoir par quelques regards dépités ou méprisants, à peine polis, mais plein d'espérances. Des moues délicates ornaient les joues d'albâtre lumineux de ces dames que l'on avait offensé en ne leur présentant pas l'objet de leurs attentions rapidement.
A la maison, c'était là la même chose ; si Mère se présentait trop lentement à un dîner, le regard de Père se troublait même si il tentait bien de le cacher. Son air affable devenait grognon, mais se redécorait d'un vernis heureux dès lors qu'il mirait autre chose que la coupable. Quant à quand elle était, elle, fautive, la douairière y allait de son petit sermon lancinant et sec.
Il y avait donc bien peu de tendresse, dans les réactions des humains face à un impair. Et plus la faute était grosse, plus la répartie l'était aussi... En général.

Mais ce soir... Ce soir tout était normal et différent. Face à son ineptie, les conséquences vécues étaient bien trop grandes ; trop importunes. Si bien que si le proverbe lui paraissait inconsciemment davantage véridique à présent, elle ne le jugerait bientôt plus complet ; il lui manquait un adjectif et de menues palabres. Tel que : " A la violence, ne répond que la violence déchainée. Parfois en tout cas. "
A moins que tout ce miasme arrivait parce que les dieux souhaitaient aussi la punir pour toutes les inepties qu'elle avait caché dernièrement ? Pour le fait que son cœur ait battu un peu trop vite pour un homme aux yeux aussi noirs que la nuit sans lune qui les avaient fait se rencontrer, pour celui qu'elle ait apprécié un sourire bardé de cicatrices d'un borgne si géant - et si doux - ? Ou alors lui en voulait-on pour ne pas avoir accepté l'escorte de messire Alaric dans le but de pouvoir parler de femme à femme avec certaines de ses protégés ?
Voulait-on lui faire payer son silence à Mère quant à ses occupations ? Parce qu'elle aimait bien trop ses leçons avec son professeur qui n'était pas présent ces derniers temps ? Parce que Père lui avait permis de continuer à faire ce qu'elle aimait ?

Des larmes pendues sur ses cils refusaient de ruisseler sur ses joues tandis qu'elle boitait en avançant du plus vite qu'elle le pouvait. Ses doigts droits et tremblants serraient la jonction des tissus sur son épaule gauche endolorie, tandis que les gauches tous aussi peu calmes relevaient le restant de ses jupes pour qu'elle puisse hâter sa marche.
Les yeux emplis d'une peur notoire - du moins pour les femmes s'étant déjà faite affoler par des gestes qui n'appartenaient pas à elles -, Luna ne déambulait pas aussi sereinement qu'habituellement. Elle tentait même de courir, là, l'enfant boiteuse et le son de ses pas à la cadence malade lui apparaissait résonner plus fortement que les cloches du temple lorsqu'elles sonnaient. Même le bruissement des fins tissus qui l'habillaient lui semblait semblable à un hurlement.

Ses joues rougies par l'affront dont elle avait été victime et la course lente et peu harmonieuse qu'elle faisait, ses lèvres meurtries, elle ne payait pas de mine, mais s'en fichait. Elle d'habitude si propre sur elle, si bien coiffée, sentait chaque mèche de son chignon défait courir sur son dos, dévaler ses reins et fouetter sa chair à chaque avancée fébrile. Pourtant, elle ne tenta pas de remettre de l'ordre à sa chevelure échevelée, pas davantage à ses jupons déchirés.
La robe était belle. Avec ses larges manches gigot et ses poignets serrés, le tissu d'un rose pâle était d’une simplicité trompeuse. Les festons du corset et du col, discrets mais très ouvragés, se prolongeaient le long du panneau sur le devant de la robe, jusqu’à l’ourlet. Mais ça, c'était avant. A présent, elle ressemblait à celles des putains que l'on croisait parfois ici. Haillon de cinquantième main désagrégé par des doigts bourrus et calleux, elle était fendue en certains endroits, découpée aléatoirement en d'autres. Les jupons dessous, d'un blanc autrefois immaculés étaient maintenant tâchés et froissés horriblement.
Si l'on avait été de jour et qu'elle n'avait point laissé derrière elle sa si chère capeline, sans doute aurait-on pu la prendre pour ce qu'elle était : une linotte mal barrée, mais tout de suite la lune et ses demoiselles n'éclairaient pas assez le ciel pour qu'on puisse voir que sur son visage bouleversé il n'y avait guère de maquillage trompeur, fait pour donner envie aux hommes de l'effacer à grand renfort de baisers.
De même il était délicat de deviner sans utiliser le toucher que sous ses paumes nul cal ne se trouvait, prouvant bien, si il le fallait vraiment, que la donzelle avait eu une naissance un temps soit peu hautement placée.

Elle n'aurait pas cru que c'était possible que sa gorge se noue davantage tant elle était apeurée. Nonobstant sa croyance, cela arriva alors qu'elle pensa soudainement entendre le bruit de pas de ses poursuivants et elle se sentit défaillir. Connaitre le goulot comme son balluchon qu'elle avait dû abandonner pour qu'elle soit moins alentie l'avait servi dans sa fuite. Malheureusement, son poursuivant et l'autre devaient tout savoir aussi sur ces ruelles malingres. Ils risquaient de lui remettre la main dessus.
Affolée, elle se força à continuer sa route, bien consciente qu'elle ne tiendrait pas une éternité si celle-ci se révélait longue. Son cœur était sur le point de se faire la malle à force de battre sans fin de douleur, d'effroi et de désespoir mêlés. Elle n'allait pas s'en sortir, n'est-ce pas ? Non, surtout pas si l'organe jaillissait soudainement de sa poitrine pour s'envoler plus loin comme elle s'y attendait. Non plus si ses jambes, ses cruelles jambes, se débinaient comme elles menaçaient de le faire depuis qu'elles avaient compris le danger avant sa tête.

Elle lâcha la déchirure des coutures sur son épaule pour suivre du bout des doigts les maisonnées crasseuses qui l'entouraient. Toquer à une porte inconnue ne servirait à rien, elle était assez désabusée pour le savoir. Les gens d'ici détournaient le regard quand quelque chose de mal se passait et elle n'arrivait pas à leur en vouloir. Ils en avaient besoin, pour pouvoir continuer à vivre.
Oh sans doute pourrait-elle trouver refuge chez l'un de ses protégés comme quand Père s'était effondré, mais ce serait prendre le risque de le voir se faire dénoncer puisqu'il désobéissait à la sacro-sainte règle qui disait " Mêle toi de tes affaires. ". Elle ne pouvait pas lui faire subir cela. Héberger un pauvre hère saoul n'avait rien à voir avec secourir une fuyarde.
Même dans son état, elle ne se sentait donc pas capable de faire souffrir autrui pour une erreur qu'elle prenait déjà sur elle. Pour ses tourments qu'elle commençait à juger justifiés. Jamais... Jamais elle n'aurait dû être en retard, n'est-ce pas ?

Une seule larme daigna rouler et tracer un début de sillon sur sa joue tandis qu'elle déviait d'une rue pour entrer dans une autre. Les effluves des embruns du port rendus auburns par la saleté et l'heure trop tardive vinrent titiller ses narines avant qu'elle ne voit les mirifiques entrelacs argentés que l'écume laissait derrière elle. Si... Si elle se jetait à l'eau, ils ne la chercheraient pas, là, n'est-ce pas ? Une deuxième gouttelette d'eau suivit. A moins que ce ne fut un crachin de l'étendue bleue.
L'idée qui lui était venue la tenta, jusqu'à ce qu'elle se rappelle qu'elle ne savait pas nager. Même si ce n'était qu'un détail, ne risquait-elle pas de finir noyée à cause de ses jupons et de ses pieds qui déjà trébuchaient ?

Un gémissement ; un espèce de rire un peu hystérique trop court pour être réellement qualifié ainsi s'échappa de ses lèvres et elle renifla. Sotte que tu es. Frissonnant des orteils au bout de sa chevelure, elle reprit sa marche normale, sans même un regard de plus pour la beauté de la nature que même les poissons commençaient à fuir.
Alors qu'elle avançait, titubant tel un funambule rendu ivre à l'insu de son plein gré, elle faillit un instant perdre l'équilibre au point de chuter dans les eaux, mais se reprit presque aussi vite. L'adrénaline donnait des pouvoirs étonnants, sur ces chemins loin d'être de velours.

Que les quartiers sûrs lui paraissaient loin maintenant. A une éternité qu'elle n'avait pas. Etait-ce la mer, ou une des voix des vilains qui hurla soudainement : " Elle est là ! " ? Elle ne sut pas. Mais la petite fille courut encore alors, ou plutôt essaya.
Prenant une rue sinueuse, elle s'enfonça à nouveau dans le Goulot même. Un pas. Deux. Trois. Son souffle erratique soulevait son peu de poitrine de manière chaotique et sifflante. Elle allait manquer d'air, vraiment. Un regard fantomatique fut croisé. La faim au fond des yeux, l'homme les détourna pour ne pas montrer sa gêne honteuse et grandissante tandis qu'elle lâchait un "Aidez-moi." qui demeura résolument muet. Impossible de l'appeler au secours, lui, cet inconnu fluet qui déjà faisait demi-tour pour ne pas se retrouver mêlé à quelque affaire qu'il n'avait point demandé.
Comme prévu, il ne voulait être témoin d'aucune souffrance si ce n'était la sienne à lui et elle reprit sa marche forcée. Un croisement. Un autre. Encore un.
Et dans ce labyrinthe qu'elle ne connaissait que trop bien, elle se perdit bientôt, confondant une entrée avec une sortie de voie, un immeuble avec un autre de ses pensées.

C'était là un miracle qu'ils ne l'aient pas encore rattrapée. Mais peut-être que l'alcool dont ils s'étaient abreuvés, ajouté à la flemme et l'heure avait-il tout à voir dans l'histoire. Le fait qu'ils sachent qu'elle boitait aussi. Elle étouffa de nouveaux pleurs en se laissant lourdement incliner contre une porte qui n'avait plus de cochère que le nom.
Elle n'en pouvait plus. Il fallait qu'elle se repose. Maintenant. Mais de nouveaux sons suspects la firent se relever plus vite qu'elle n'en n'était capable.

Un bras jaillit, soudainement, de l'ouverture contre laquelle elle puisait du réconfort et lui agrippa le coude. Pas un mot. Rien ne franchit ses lèvres qu'un souffle rauque et hoqueté, pas plus que de la bouche de l'autre. Ils l'avaient capturée, songea-t-elle avec angoisse. Tout était fini.
L'espoir, cette bestiole inutile qui donne des ailes et les fait se déplumer presque aussitôt lui revint cependant lorsqu'elle s’aperçut que la poigne qui la tenait était celle d'un gringalet moins vieux qu'elle.

" Par là. "

Parut-il finalement articuler, lui rendant en ces gens plus de confiance qu'elle n'aurait su le dire. Docile et épuisée, elle le suivit en le laissant l'aider à supporter son propre poids. Si il était allié aux brigands, elle risquait tout, mais elle n'avait plus le choix. C'était à peine si elle tenait debout et ne faisait pas une de ces crises de manque d'air qui lui arrivaient si souvent petite.

" C'est Martille qui m'envoie. "

Murmura-t-il après un temps pour la rassurer, comme si il lisait ce qui se passait dans sa caboche, tout en la faisant passer par des couloirs de maisons qui s'ouvrirent pour lui. Il dut remarquer son état, au bout d'un moment, puisqu'il lâcha son étreinte et la laissa recouvrir un peu son équilibre et son souffle.
Elle apprécia la pause, même si ils étaient à découvert dans une énième ruelle. Moins de se faire déshabiller des yeux par son petit guide futé qui prit un air désolé de circonstance.

" Ils vous ont rien fait hein m'dame ? "

Elle ne répondit pas, incapable toujours de parler. Sa salive avait pris un chemin de traverse pour les dieux seuls savaient où. Sa gorge était irritée et un gros nœud continuait à la serrer. Si il se débloqua en partie après qu'elle eut pris bien des respirations, elle ne se sentit toujours pas capable de croasser quoi que ce soit.
Notant la mine de plus en plus affolée de son jeune camarade, elle fit cependant un non furtif de la tête, sans pour autant le penser. Qu'il était facile de mentir quand tout le monde allait mal.

Ils ne lui avaient rien fait. Rien d'irréparable, sans doute, puisque Martille l'avait aidée par deux fois maintenant. Du moins pour un œil extérieur. Pour elle, ils lui avaient tout fait. Comme lui briser encore certaines de ses croyances restantes à propos du bon cœur de tous les habitants du Goulot, lui déchirer sa tenue, lui voler le restant de pain indirectement qu'elle portait à d'autres, lui meurtrir la chair, là, sur son poignet droit et ses épaules.
Elle sentirait sans doute longuement ces mains dégueulasses crispées presque contre son cou qui défaisaient des rubans ou déchiraient des tissus ; les bras à l'odeur aigre, qui s'étaient emparés de sa taille. Les bains n'enlèveraient pas ces sensations non voulues, même si elle en prenait mille d'affilée, n'est-ce pas ?
Et combien de cauchemars ferait-elle à propos de ces lèvres piquantes de barbe qui s'étaient posées là... Là ? Elle dût involontairement porter ses doigts tremblants à sa joue puis sa bouche, puisque son petit garde fronça les sourcils.
Aux aguets, il fit cependant un geste de la main, lui intimant de devenir complètement silencieuse et elle obéit, retenant son souffle et le gémissement de frayeur qui revenait sur le bout de sa langue.

" Filez par là. J'vais les occuper et les envoyer ailleurs. "

Fit-il vaillamment, en réponse à l'interrogation qu'elle n'avait pas même pensé, avant de repartir par delà le mur d'où ils venaient à la base. Elle regarda son sauveur déguerpir en se forçant à ne pas le retenir. Elle ne voulait pas être seule. Plus. Pas maintenant il... Ils allaient la retrouver.
Alors, elle hésita à obéir. Fit un pas vers là où avait filé le moujingue. S'arrêta. Regarda partout, désespérée en cherchant les possibilités qu'elle avait, comme si celles-ci étaient inscrites sur les pierres trop noires pour être lues.

Ce ne fut pas sa vue mauvaise qui la sortit de sa folie éphémère, mais comme d'habitude son ouïe. Ou plutôt une simple illusion, née de son état ; une réminiscence qui se mêla à la réalité. Un souffle qui n'était le sien, trop mâle, trop chargé de concupiscence pour qu'il puisse lui appartenir. Celui-là, même, qui avait fixé Martille.
La belle, la délicieuse Martille, aux jambes si longues qu'elle devait refaire ses jupons de misère. La Martille au silence facile, aux hésitations fréquentes. Elles étaient nées pour s'entendre, toutes deux, avec leur maladresse commune. Mais il y avait deux différences qui feraient qu'entre elles, il n'y aurait jamais rien de plus qu'une amitié très lointaine.
Martille était une prostituée, d'abord. Pas de métier de base, soyons clairs, antan, elle était gouvernante et aimait cela. Depuis la fange, cependant, l'on n'avait plus eu besoin de ses services et Martille s'était retrouvée à la rue avec son époux. Un ancien servant d'une maison bourgeoise, à présent devenu goûter d'alcools à ses frais à plein temps.
Si Martille ne se plaignait jamais, au fond d'elle, elle désespérait à propos du fait qu'au lieu des fleurs qu'il lui ramenait avant, il ne lui donnait plus maintenant que certaines de leurs couleurs sur sa peau même. Mais elle l'aimait. Tendrement, terriblement. Alors, Martille s'accrochait à l'espérance, ce maudit espoir, qu'un jour tout redeviendrait comme à l'époque. Qu'au lieu d'un collier de bleus, il lui redonnerait une couronne de bleuets. Que ce serait merveilleux.

Ce n'était pas pour aujourd'hui en tout cas. Ni pour hier. La veille, elle avait demandé à Luna de passer le lendemain avant que l'étal du vendeur d'herbes pas très licites qui prenait ses quartiers juste devant sa porte ne soit plus. Sauf que la fille Montoya n'avait pas pu arriver à l'heure, à cause de détails indépendants de sa volonté.
D'abord, Mère s'était couchée tard, tout ça pour une sombre histoire de livre dont elle ne devait pas parler à Père. Ensuite, la cuisine avait été rangée autrement, alors il avait fallu retrouver ses provisions sans faire trop de bruits.
Il lui avait fallu être discrète, à la porte des Anges, puis dans le quartier de la milice, pour éviter que messire Alaric la voit se promener seule et décide de la chaperonner par pure gentillesse. Si on le lui avait demandé tout de suite, la petite aurait dit qu'elle s'en voulait, d'ailleurs, de ne l'avoir pas cherché.

Lui aurait peut-être compris ce que voulait dire Martille quand elle l'avait accueillie avec une hésitation et en lui faisant promettre de descendre vite. Il aurait potentiellement vu, dans sa manière de se déplacer, combien la pauvrette avait été battue peu de temps avant. L'état de ses cheveux l'aurait inquiété, sans doute. Échevelés, ils pendaient lamentablement, cachant son cou meurtri.
Il aurait noté les bleus qu'elle n'avait vu que plus tard. Trop tard. Quand la porte d'entrée s'était ouverte sur le mari parfait de la belle coureuse de rempart. Il l'aurait défendue, quand l'homme s'était énervé de voir une étrangère chez lui. Quand il avait commencé à lui tourner autour après avoir giflé sa femme. Et quand son compagnon de beuverie l'avait accompagné, dans ses coups d’œil et ses propos gras.

Elle, elle était restée pantoise et incrédule, au début, fascinée autant que terrorisée par cette violence dont elle n'avait pas l'habitude. Lorsqu'elle avait commencé à déglutir plus fort, il ne lui restait plus de temps pour fuir comme elle en avait l'intention.
On l'avait saisie, d'abord par le poignet. Puis par le menton et enfin par les épaules. Elle s'était débattue. Faiblement, au début, ne comprenant pas ce que les dires outrageants et ces gestes déplacés exprimaient clairement.
C'était quand elle avait vu la honte et l'effarement dans le regard de sa protégée, ainsi qu'une bonne dose de pitié qu'elle avait entendu ce qu'elle ne voulait pas voir. Ils étaient mauvais.

Comment elle s'était sortie de cette situation catastrophique ? Sa bonne étoile avait joué un grand rôle discret, comme d'habitude. Mais le coup de pied qu'elle avait lancé au bout d'un trop long moment, par mégarde totale et par réflexe dans les parties de l'un alors qu'il commençait à trop remonter ses jupes en les déchirant bien y avait aidé sans doute aussi. Tout comme le tabouret, que l'hôtesse oubliée avait brisé sur le crâne du second qui la tenait par la ceinture en s'amusant avec le reste de ses charmes sans douceur.
Les deux éméchés s'étaient attardés assez longuement sur leur douleur, permettant aux deux femmes fébriles de se carapater sans oublier le sac de l'invitée. Balluchon qui fut envoyé valser des routes plus loin. Le grincement des escaliers n'avait pas suffit à étouffer leurs hurlements alcoolisés lorsqu'ils s'étaient aperçus que leurs deux proies n'étaient plus.

Martille l'avait abandonnée, lui conseillant de courir d'une voix sanglotante sur le palier. Elle était restée derrière, la fière femme, décidée à prendre sur elle les coups qui allaient sans doute pleuvoir de manière diluvienne. Luna avait promis de lui ramener de l'aide, si elle le pouvait.
Hors elle ne le pouvait toujours pas et, à la place, avait reçu encore celle de sa sauveuse. Cela se comprenait. Si la chasse de la nouveauté les avaient plus intéressés que s'acharner sur une femme déjà battue, la fille de petite vertu ne craignait rien pour le moment.
Il fallait juste espérer qu'elle avait trouvé refuge chez des parents ou des amis. Ailleurs. Loin du poing vengeur qui risquait de lui péter quelques dents en revenant.

Bref. Luna se remit à marcher prestement, à peine reposée grâce à la petite pause que son angélique gardien lui avait accordé. Elle prit des routes aléatoires, empressée, inquiète, terrorisée. Tant et si bien choquée par la scènette dont elle avait été une actrice involontaire désignée, elle crut à chacun de ses pas entendre celui de ses poursuivants. L'enfant n'avait pas dû réussir à les retenir et elle...
Elle avait besoin de secours. Sa vue se troublait, point tant à cause de ces foutues larmes qu'elle retenait par habitude qu'à cause de sa fatigue et de son état général. Il fallait qu'elle arrête quelqu'un. Qu'il aille chercher la milice, si il ne voulait pas la cacher. Qu'il fasse quelque chose, puisqu'elle ne reconnaissait plus là où elle se trouvait...

Une nouvelle chimère, de celles si habituelles qu'on n'y prête plus gaffe quand on passe sa vie dans ce quartier croisa encore son cheminement solitaire. Elle ne s'arrêta que le temps d'un souffle et d'un regard peiné, puis détala comme si la vision de la boiteuse avait foutu le feu à son derrière rapiécé.
Deux autres fantômes n'accordèrent à son désespoir évident quoique muet qu'un coup d’œil désemparé et passèrent leur chemin comme si de rien n'était. Elle dût glisser des doigts à l'arrière de son crâne, pour l'empêcher de trop tourner.

" De l'aide. "

Murmura-t'elle une énième fois si bas qu'elle n'ouït même pas son cri dans la nuit. Puis enfin, après une indéfinie période, vint le nouveau miracle de sa soirée.

Ce n'était qu'une silhouette, plus massive que les autres qu'accompagnait un éclat argenté que la lune surlignait. Une forme que ses yeux fatigués ne détaillèrent pas. Arme. Milicien. L'espoir la reprit. Milicien. Pas mercenaire. Non. Pas Brigand. Dans son esprit, la chose vivante, l'humain était devenu son Graal à atteindre. Il avait une arme. Ou un truc en ferraille. Il était donc un point sécurisé. Il ne pouvait pas être mauvais ; elle ne le permettrait pas. Elle avait trop besoin d'être en paix pour songer qu'il était potentiellement un coupe-gorge. Zigzaguant d'éreintement, l'une de ses jambes trainant, elle se dirigea vers lui, priant pour qu'il ne l'ignore pas.

" Garde ! "

Voulut-elle l'appeler sans le faire.
Elle passa une langue sèche sur sa bouche aussi peu humide, espérant pouvoir s'adresser à lui. Un pas. Deux. Trois. Elle fit ceux qui les séparaient de sa cible en mouvement et s’agrippa à sa manche telle une poupée forcenée. Aussi fortement qu'une mouche qui tremblait quoi.
Relevant le menton, elle ouvrit ses lèvres en tentant de mirer ses traits. Mais outre des points noirs annonçant un très malvenu évanouissement, elle ne perçut rien. Et elle ne fut pas sûre d'avoir réussi à prononcer le catastrophé et rauque :

" De l'aide, s'il vous plait. "

Qu'elle comptait lui adresser avant de finir dans les pommes en piquant droit du nez sur la pauvre personne qu'elle avait accosté.

... Décidément, s'effondrer sur les passages boueux du Goulot était devenu une activité familiale. Père allait râler.


Dernière édition par Luna Montoya le Mar 28 Juin 2016 - 3:05, édité 2 fois (Raison : (rajout de la note hrp))
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ArtoriusChevalier
Artorius



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MessageSujet: Re: On peut dormir, la ville veille... [Eadwin & famille]   On peut dormir, la ville veille... [Eadwin & famille] EmptyVen 27 Mai 2016 - 7:11
Cette ville était grande, bien plus grande qu'il ne l'aurait imaginé. Quelques semaines auparavant, dans les appartements d'Yseult, il se souvenait avoir vu une carte de Marbrume. Le fief principal de l'humanité était composé en plusieurs parties, certes, mais lorsque l'on transposait son imagination à la réalité, il y avait tant à visiter. Eadwin de Rivenoire était arrivé à Marbrume depuis environ trois jours. Il y avait fait des rencontres notables dans le quartier des nobles, par exemple la sublime et ravissante Grâce de Brasey et de son héritier de fier. Depuis que l'Opération du Labret s'était soldée par un certain succès, ayant survécu à cet événement, le chevalier de Traquemont consentait à changer son regard sur bien des choses et à s'engager sur d'autres. Peu avant le Labret, l'Ours de Corbeval s'était entretenu en secret avec le Haut-Prêtre de Rikni, Philippe de Tourres. S'il avait pu lui avouer ses pêchés, visiter Marbrume, cette capitale qu'il redouta pendant de longs mois était désormais un jeu d'enfant. Il savait qu'au Bourg-Levant, il pourrait trouver une personne rencontrée précédemment, Elisabeth Gardefeu, une apothicaire réputée à la clientèle chevaleresque. Il n'y avait aucun doute qu'Eadwin souhaitait revoir à nouveau cette personne rencontrée sur une plage peu fréquentée du littoral en pleine journée de printemps. Elle lui avait laissé une forte impression, celle d'une femme de caractère à l'humour décapant. Quitter Traquemont un temps, c'était comme prendre des vacances. La forteresse jouissait de recrutements plus prometteurs les uns que les autres et il y avait fort à parier que Eadwin laissant sa maîtresse entre de bonnes mains en la personne de Geoffroy du Nouet. Tristan du Val de Lys était aussi un très bon compagnon d'armes. Être le seul chevalier d'Yseult était donc un privilège perdu par Eadwin et si c'était difficile au début de l'accepter, il y vit finalement une chance de prendre du temps pour lui. Cela dit, Eadwin ne venait pas à Marbrume sans arrière pensée. Il avait déjà commencé à observer sa noblesse en tenant cette palpitante et intéressante conversation avec Grâce de Brasey. Il rencontrerait d'autres Nobles, des occasions se présenteraient plus tôt qu'il ne pouvait bien le penser. Ensuite, et c'est là que les choses gâtaient, Eadwin de Rivenoire devait se trouver une épouse afin de perpétuer son sang et sa lignée. Comment expliquait-on qu'un homme plein de virilité comme lui n'ait jamais été marié ? Pour cela, il fallait remonter dans le passé. Désormais, le Haut-Prêtre de Tourres savait, en supposant qu'il ait bien écouté le chevalier et compris ses divers problématiques. Pour faire simple, Eadwin avait aujourd'hui beaucoup de sang sur les mains et il avait été acteur malgré lui d'un cycle de haine perpétuel. Parfois, le sens de sa justice, ses valeurs pour la chevalerie pouvaient justifier certains actes commis. D'autres fois, il ne pouvait que se haïr pour ne pas avoir eu le courage de briser l'engrenage pervers dans lequel il avait été inséré depuis sa plus tendre enfance. Mais tout ceci appartenait au passé, désormais, le temps était venu de vivre et de peut-être devenir un acteur sur lequel Marbrume devrait compter ces prochaines années.

Inspiré et forme par l'ancien Châtelain de Corbeval et maintenant sa fille unique, Yseult de Traquemont, Eadwin de Rivenoire avait encore très certainement beaucoup de choses à donner. Rivenoire, sa famille ne pouvait pas s'étendre comme ça. Après tant de souffrances, la vie lui offrait enfin l'opportunité de prendre sa revanche et de penser pour la première fois à son propre blason. Il ignorait encore bien entendu avec quelle Noble il allait former des épousailles, une alliance, des fiançailles mais la simple certitude qu'Yseult serait-là pour le soutenir le réconfortait un peu dans cette entreprise difficile pour un néophyte. Après tout, Eadwin était franchement plus habitué aux petites amourettes, aux coups d'un soir plutôt que d'une relation sérieuse et durable. Pour cela, aux Noirjardins, sa notoriété l'avait grandement aidé. Le gentilhomme n'était pas à plaindre et on pouvait supposer qu'il avait plutôt bien profité. Cela dit, depuis l'apparition de la Fange et l'abandon des terres de Corbeval, Eadwin n'avait presque pas pensé à ce genre de choses, à la possibilité de retrouver un jour le plaisir charnel. Mourir ne lui faisait plus vraiment peur et entre l'expédition du Labret et l'aventure à la mine de Tourbepierre, le chevalier avait retrouvé confiance dans ses capacités. Ce ne fut pas facile mais Traquemont parvint à s'imposer comme un acteur indispensable pour la sûreté et l'avenir de l'humanité. L'idée d'être relégué à celui qui s'était blessé les premières semaines et ne faisait que profiter du succès de ses pairs gêna sans nul doute Eadwin. Quoi de mieux alors pour reprendre confiance en lui que de participer auprès de sa matriarche et de ses pairs chevaliers à des opérations drapées par le succès ? Ce même succès qui tombait désormais sur Traquemont, reconnue par une bonne partie de Marbrume comme étant indispensable n'était cependant pas l'effet recherché. Il fallait comprendre par là que les objectifs étaient très simplement de bâtir une forteresse imprenable par la Fange pour prendre le temps de trouver une solution à cette crise majeure. Le désir de vengeance, cette conviction selon laquelle le genre humain devait être vengé, tout cela avait donné du baume au cœur de la monarque d'Eadwin pour se reprendre et à la fois assurer et assumer la survie de ses ressortissants. Cette dernière avait d'ailleurs attribué une autre mission à Eadwin, beaucoup plus personnelle. Il s'agissait de trouver un Prêtre de la Sainte Trinité qui serait volontaire pour s'occuper, à plein temps de préférence, partiellement si nécessaire, de la chapelle de Traquemont. Eadwin reconnaissait bien là sa maîtresse, elle ne laisserait rien au hasard et si la foi pouvait insuffler de nouvelles forces aux troupes de Traquemont, c'était une ressource presque gratuite qu'elle ne s'empêcherait pas d'utiliser. De plus, si elle avait confié cette tâche qui pouvait pourtant paraître banal à Eadwin, c'est qu'il y avait vraiment une excellente raison derrière. Ainsi, dans son épopée, en plus de rendre visite à cette chère Elisabeth Gardefeu au Bourg-Levant, il devrait faire une halte au Temple. Anür, Serus et Rikni accueilleraient bien une âme vaillante dans leur plus grande forteresse encore sûre, n'est-ce pas ? A vrai dire, Eadwin ne savait pas vraiment s'il verrait là-bas Philippe de Tourres. Rencontrer Sélène de Colombel ou Jehan d'Elrisor était une option tout à fait envisageable. Peut-être pouvait-il demander au nom de Traquemont, sous une forme de faveur, que l'on accorde à son fief un agent de la Trinité pour y prononcer les divers rites. Cela semblait être le meilleur moyen de procéder, il était persuadé que le Temple accorderait cette faveur à sa monarque.

« C'est une journée presque trop belle pour faire quelque chose de fatiguant. Je crois que je vais rester là à t'admirer. »

A la mi-journée, Eadwin de Rivenoire s'était rendu au port afin de découvrir cet endroit. Réputé pour être une valeur sûre en terme d’approvisionnement, il fallait dire que Marbrume faisait une bonne cure de poissons. Si on savait de la Fange qu'elle se cachait la journée dans les zones d'ombre des marais, camouflée dans les eaux peu profondes, on ne la connaissait pas bonne nageuse à traquer des proies dans la zone du port. Lorsque l'on s'aperçut qu'il était un chevalier, on lui conseilla de ne pas trop fréquenter la zone sud mais de se diriger vers le nord, dans cette partie du port qui donnait à peu de chose près sur l'Esplanade. C'était donc le large, l'horizon qu'Eadwin était en train de fixer d'un air rêvasseur. Il fallait dire qu'à Corbeval, il n'y avait pas la mer qui environnait le paysage. Cette vision avait donc une allure d'échappatoire, il ne pouvait s'empêcher d'imaginer ce qu'il y avait bien au-delà de cette bande bleue. Probablement une étendue d'eau encore plus grande d'après les érudits. Peu de gens étaient connus pour avoir tenté le grand voyage et aucun n'était revenu, se perdant probablement ou succombant à la force de nature grondante. Il paraissait alors bien futile d'imaginer une terre saine, épargnée par toute corruption, non souillée par la Fange, prête à accueillir le dernier bastion de l'humanité connu en cas de situation létale désespérée. Pourtant, cette même futilité avait un goût, une allure tout à fait rassurante. Cela rappelait à Eadwin qu'il ne fallait jamais perdre espoir et continuer de se battre pour espérer améliorer les choses, drastiquement si cela était possible.

« J'ai été si têtu au point de risquer de ne pas te rencontrer, la belle bleue ? Ha, Yseult ne plaisante peut-être pas lorsqu'elle me dit ronchonneur. »

La brise soufflant dans sa chevelure courte, en bordel et piquante, elle se révélait être plutôt régénératrice. Cette journée ensoleillée laissa place à une nouvelle curiosité : à quelle fréquence le mauvais temps pouvait-il bien jouer un mauvais tour aux petites expéditions maritimes pour pêcher des produits frais de la mer ? Si on pouvait aisément faire face à la brise, il valait mieux s'affaler dans la tempête. Un proverbe de marin à tout casser, très certainement. Le chevalier n'avait jamais connu l'expérience de monter sur un navire et de partir en pleine mer. Il se satisfaisait déjà de savoir monter son cheval, c'était amplement suffisant pour un garçon à l'époque qui n'avait jamais montré de prédisposition pour cet art. De ce fait, Eadwin de Rivenoire se sentait beaucoup plus à l'aise sur le plancher des vaches. Pas de problème de vertige mais au moins, lorsque l'on composait avec une surface sûre sous ses pieds, c'était une chose à laquelle on avait pas besoin de penser en plein combat. Ces combats, avec sa bouteille bien consommée, il ne les comptait plus vraiment. Entre son côté défenseur de la veuve et de l'orphelin, les règlements de compte pour la solde de son suzerain, les tournois nobles… Le chevalier de Traquemont jouissait indéniablement d'une certaine expérience. Lorsqu'il s'agissait de mettre en avant ses qualités et ses atouts, Eadwin avait la fâcheuse tendance de devenir un peu arrogant. Pour taquiner la jeunesse chevaleresque, par exemple, il appréciait rappeler sous forme de boutade à moitié sérieuse tout de même que leur différence de niveau équivalait à la distance entre la terre et le ciel. En réalité, il s'agissait plutôt d'une question d'expérience. Cette expérience qui permet de reconnaître ses erreurs lorsque nous les recommençons. L'expérience, fruit du temps et de la bêtise de l'humanité. Pour apprendre, il faut essayer, quitte à se planter lamentablement. Des échecs, le chevalier de Traquemont en avait quelques uns dans son sac. Le plus dur avait été de réaliser qu'il n'avait pas été capable de protéger son amie d'enfance, Astrid, de la cruauté du père Corbeval. Un des moindres était davantage une gifle que l'on pouvait récolter en faisant un commentaire salace à une femme peu enclin à une douche d'humour.

« La nuit ne va pas tarder à tomber. Je devrais me mettre en quête d'un lieu où dormir. Bourg-Levant, ce doit être par là d'après ce qu'on m'a dit. »

D'après ce qu'on m'a dit. Ah la belle bourde ! L'expérience aurait dû servir à Eadwin pour se souvenir qu'il n'était pas toujours très sage d'écouter les dires du premier venu. Inconsciemment, il prit la direction du Goulot dans les bas quartiers. Réputé pour être le gît le plus malfamé de tout Marbrume, il ne serait probablement pas dérangé lorsqu'un potentiel agresseur se rendrait compte de la carrure du mastodonte. De plus, il était armé et son épée longue en découragerait plus d'un. Cela dit, se rendre là-bas à la tombée de la nuit, c'était se préparer à voir Marbrume dans sa pauvreté et sa misère. Il ne se rendit pas immédiatement compte de sa regrettable erreur mais l'Ours de Corbeval fut d'abord captivé par toutes ces masures en très mauvais état. Dans les rues, il y avait des hommes, des femmes et des enfants à peine habillés qui faisaient la manche. Cet endroit ne pouvait définitivement pas être l'entrée du Bourg-Levant et Eadwin n'aurait su l'expliquer mais ses yeux voulurent contempler la misère de ce bas monde. Ainsi, sans prendre conscience du véritable danger environnant, le chevalier de Traquemont s'engouffra dans les ruelles sordides du Goulot. Visiblement, c'était une zone plutôt abandonnée par les forces de sécurité de Marbrume. Il pouvait les comprendre, pourquoi risquer sa vie pour des pauvres vivant dans la crasse ? C'était encore une inégalité qui ne faisait pas sortir Eadwin de ses bottes mais qui le touchait tout de même en temps qu'être humain. Les prostitués qui préféraient travailler de nuit commençaient à sortir de leurs repaires, pour peu qu'elles en possédaient vraiment un. Par endroit, des gens commençaient à s'amasser pour commencer à faire littéralement la queue avec l'argent péniblement gagné ou encore pire, volé.

« Misère… Tu as l'air malin maintenant. Par où suis-je venu exactement ? »

Voici un petit problème à régler. Plutôt abasourdi par la pauvreté de ces lieux, Eadwin de Rivenoire ne s'était pas vraiment repéré et marchait depuis un moment à travers le Goulot. Quel fils de putain cet individu qui l'avait sûrement consciemment envoyé ici. Le temps était devenu très nuageux, sur le tas, Eadwin n'avait pas vraiment de moyen de distinguer le Nord du Sud. Il savait que l'une des deux directions était plutôt salvatrice tandis que l'autre risquait de lui apporter de vrais ennuis. Il restait toujours une solution : arracher des indications à un passant mais il fallait reconnaître un autre problème. C'était plutôt gênant de paraître en la qualité d'un chevalier perdu ne sachant pas retrouver son chemin. Serait-ce vraiment judicieux d'avouer cette faiblesse à un potentiel malfrat ? On lui demanderait sûrement de payer quelque chose en retour et concrètement, il n'avait pas à le faire. Il déclencherait alors une bagarre et se ferait remarquer. Il fallait donc trouver une astuce mais laquelle, au juste ? Il n'en eut de toute façon pas le temps. « Garde ! » cria-t-on. Puis « De l'aide, s'il vous plaît. » Tout d'abord, Eadwin se demandait si cette « chose » qui était en train de fondre sur lui s'adressait bien à lui. Lorsqu'elle s'effondra contre son bras, le doute n'était plus permis. Il la dévisagea pendant quelques secondes et se demanda qui elle pouvait bien être. Comme ça, dans la pénombre, elle avait l'allure d'une prostitué mais avec le visage d'une personne raffinée. Un doute selon lequel elle pouvait elle non plus ne pas appartenir à ce bas monde germa dans l'esprit d'Eadwin mais il n'était sûr de rien. C'était peut-être une prostitué qui n'avait pas eu le temps de se maquiller avant de commencer à vendre son corps ? Et si elle n'en avait pas les moyens, en fait ? Non, Eadwin n'avait pas le temps de philosopher là-dessus. Peu importe qui elle était, dans la situation présente, c'était une belle petite tête blonde qui était venue le percuter avec juste ses yeux pour le supplier de mettre un terme à sa suffocation.

« Mademoiselle ? Mademoiselle ? Que se passe-t-il ? »

Elle ne répondit pas. Elle était vraisemblablement épuisée en plus d'être en état de choc. A tout instant, Eadwin se rendit compte que son cœur était sur le point de lâcher. Peu importe son problème, c'était quelque chose de plutôt sérieux. Le temps n'était donc plus aux bonnes manières et aux agissements, le chevalier de Traquemont ne prit donc pas de gants et la gifla une première fois. Son esprit était désolé de faire preuve de cette violence mais il fallait regagner, captiver son attention. Son regard, quant à lui, faisait preuve d'un mélange de sérieux et d'inquiétude déconcertante. Loin de se douter qu'il tenait entre ses bras la fille de Samuel Montoya, Luna, Eadwin était plutôt occupé à se demander quels problèmes cette potentielle prostitué allait bien pouvoir lui attirer. Une soirée de merde s'annonçait en perspective. Maintenant, il se demandait pourquoi Yseult l'avait envoyé à Marbrume !

« Du calme, dites-moi ce qui s'est passé. Je vais faire mon possible pour vous aider. Mais d'abord, vous devez vous calmer et articuler correctement. »

Oui, Luna Montoya était peut-être tombée sur son salvateur, son chevalier sauveur du jour. Peut-être que dans tout ce merdier, elle était tombée sur le seul homme capable de lui venir en aide et d'assurer sa protection en même temps. Ce ne fut pas facile à comprendre mais visiblement, elle avait été agressée et ses bourreaux étaient en train de faire du mal à l'une de ses amies. Il fallait peser le pour et le contre. Elle avait une amie ici ? Ou alors elle était venue accompagnée. Pour l'heure, il ne demanda aucun nom, jugeant la situation suffisamment préoccupante pour se passer de politesse et de courtoisie. Eadwin ne pouvait pas douter un seul instant du traumatisme qu'était en train de vivre Luna. Il fallait donc essayer de la rassurer et de la mettre en confiance.

« Je ne vais pas vous abandonner. Je suis quelqu'un qui peut résoudre tout vos problèmes. Pour cela, vous devez me guider jusqu'à votre amie et me laisser m'occuper du reste. Combien sont-ils ? Ils sont armés ? Alcoolisés ? Leur corpulence ? Qui est votre amie ? A quoi ressemble-t-elle ? Qu'est-ce qui s'est passé pour vous mettre dans une telle situation ? »

Les questions fusaient mais s'il obtenait des réponses, cela aiderait grandement Eadwin à mieux comprendre la situation et surtout élaborer une stratégie. Quelques trous, il saurait les gérer avec aisance. Des gars armés et en pleine possession de leurs moyens, c'était une autre histoire et là, seul l'effet de surprise pourrait peut-être lui offrir une issue favorable. Pendant le trajet, il garderait un œil attentif sur Luna. On pouvait parier que la présence rassurante du colosse qui faisait preuve de bienveillance envers elle suffirait déjà à la calmer quelque peu et à la mettre en confiance. En tout cas, Eadwin se souviendrait de ne plus jamais se perdre dans un endroit aussi peu fréquentable.
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MessageSujet: Re: On peut dormir, la ville veille... [Eadwin & famille]   On peut dormir, la ville veille... [Eadwin & famille] EmptyLun 13 Juin 2016 - 4:36
Il faisait peur, là.

Aussi grand que certaines des ombres qui n'avaient pas lieu d'être sous ces étoiles trop pâles, il donnait l'impression d'être un ogre. Et sa carrure de molosse nourri de viandes jusqu'à ce que sa panse éclate et ayant fait ensuite mille exercices pour échanger embonpoint contre muscles ajoutait à l'illusion.
En sentant le contact de ses doigts sur ses joues, bien moins doux encore que ceux qui l'avaient précédé, elle reprit conscience. Puis enfin en se remémorant - fort lentement puisqu'une seconde lui parut des heures - en gros la situation, elle crut un instant qu'elle s'était fourvoyée. Elle n'avait pas trouvé d'aide et il était de ces monstres impassibles qu'elle fuyait, envoyé sans doute par Rikni pour la traumatiser un peu plus. Un début de cri trop faible pour être audible autrement que comme un murmure jaillit de ses lèvres rendues pâteuses par sa perte de connaissance trop courte. Une prière désespérée et courte fut mentalement lancée à la déesse.
Elle menaça de s'effondrer tandis que chaque parcelle de sa peau se faisait tremblante et que ses yeux recommençaient à percevoir plus distinctement. Ses mains agrippèrent mollement à celui qui la tenait. Les dires bourrus de l'homme ne l'atteignirent pas vraiment, du moins pour les premiers. Tout au plus furent-ils à son oreille des grognements d'ours mal léché ; la jeune fille était malgré tout trop perdue encore dans cet état amorphe qui signe la fin d'un réveil forcé d'un sommeil tout aussi peu voulu. Cet endroit où, parce que la tête et le corps font ce qu'ils souhaitent sans accord de l'esprit, la réalité prend des allures troublées de cauchemar ou de rêverie, selon son visiteur et son histoire.

C'étaient ses jambes et l'émotion qui l'avaient coincée, là, dans les bras de l'inconnu. Ce furent ses joues encore chauffées par les paumes qui les avaient malmenées qui l'aidèrent à reprendre contenance en partie. Et la lueur d'inquiétude qui ne quittait pas les yeux de son sauveur la rassura alors autant que l'avalanche de questions qu'il lui posa ensuite, une fois qu'elle eut bazardé quelques mots qui lui semblaient incohérents. Un résumé trop succinct et abracadabrant.
Il n'allait en tout cas pas la tuer. Ni l'abandonner, promettait-il, d'une voix basse. Elle prit le parti de le croire, pour que son malheur ne se retrouve pas doublé encore. Aussi, le geste maladroit qu'elle tenta d'accomplir un bref instant pour se séparer de lui fut-il interrompu. Elle s'appuya davantage sur son héros, tendue, fouillant le regard aussi sombre que le ciel en une prière muette, ne réagissant à aucune des questions qu'il lui posa.
Un temps, du moins. Celui de vérifier que l'angoisse de l'homme ne se transformait pas en quelque chose de pernicieux, peut-être. Comme si cela seulement pouvait lui offrir une preuve de sa sincérité. A moins que ce ne fut simplement parce que la pauvrette n'avait plus de salive pour hurler réellement ou lui expliquer plus en détail la vérité et qu'elle espérait donc qu'il lirait dans son bouleversement tous ces détails qu'il requérait. Chose qui se confirma par une petite toux trop sèche qu'elle camoufla d'un dos de main lorsqu'elle ouvrit les lèvres une énième fois. La langue qu'elle passa sur sa bouche ensuite y ramena quelque humidité bienvenue.
Dans tous les cas, elle parut dans le second temps prendre de profondes inspirations avant d'enfin hocher la tête.

" D...Deux. "

Balbutia-t-elle finalement, babillant tel un enfant angoissé qui ne sait pas ses chiffres. Elle avait toujours peur, il fallait la comprendre, de ce qui pouvait arriver, de ce qui n'avait pas été et de ce colosse qui lui permettait de ne pas finir le cul ensanglanté dans le caniveau. Il était bien trop habillé pour le coin, en témoignait le tissu peu rugueux qu'elle sentait là, sur le dessous de ses avant-bras qu'elle n'avait toujours pas totalement lâché et qu'elle n'avait pas noté spécialement. Elle n'avait non plus jamais perçu auparavant le propriétaire de ces frusques, ou du moins ne s'en souvenait guère. Pourtant il était marquant, avec ces balafres faites antan. Et puis...
Ce n'était pas qu'elle avait oublié qui elle était, mais une petite voix dans sa tête lui susurrait uniquement à présent en fond qu'une châtelaine retrouvée dans les bras d'un galant, quelque soit son rang à lui, risquait fortement mille désagréments. Que Père et Mère seraient déçus s'ils apprenaient ce qu'elle avait subi cette nuit, mais plus encore si elle se laissait aller davantage encore devant ce... Cet inconnu visiblement âgé, à la chevelure si courte, mais que les étoiles doraient de reflets argentés. Malheureusement pour sa conscience, Luna n'était toujours pas en état assez correct pour penser aussi loin, aussi le sermon ne reçut-il aucune réponse ou presque, même physiquement parlant. Elle n'était pas capable de se reprendre pour le moment, l'idée même lui filait entre les doigts tel du sable trop fin. Comme trop de choses raisonnables.
Toujours choquée, elle referma ses paupières trop blafardes, puis papillonna des cils quand il parut qu'elle s'était peut-être encore évanouie. Elle tituba, à nouveau. Ses yeux se re-dévoilèrent et se baissèrent pour cacher on ne savait quoi à l'homme. Cherchait-elle déjà comment rattraper ses manquements à l'étiquette alors qu'elle était à peine capable de faire trois pas peu droits ? Ou alors espérait-elle endormir davantage la méfiance de cette personne armée pour lui piquer sa bourse plus tard telle la catin mauvaise qu'elle était potentiellement ? Sans doute aucune de ces choses.

" Ils étaient... Deux, messire. "

Expliqua-t-elle encore, à peine plus fort. Les mots ne voulaient pas sortir normalement de sa gorge étranglée par l'affolement. Et s'ils étaient là ? Juste derrière cet inconnu ? Ou s'ils avaient fait demi-tour en le voyant ? Sa petite voix lui rappela - sans que cela ait un quelconque lien - son état déplorable, son épaule un peu trop découverte à présent qu'elle ne la tenait plus, mais elle ne l'écouta pas davantage qu'auparavant. Son front se plissa encore. Martille, Martille était-elle en danger encore plus important qu'elle n'y songeait jusque là ?

" Ils ont... Ils étaient ici. Et chez Martille. Je vous en prie. Sauvez la ! "

La donzelle releva le menton, suppliante. En temps normal sans nul doute la timidité l'aurait-elle tétanisée sur place, mais il apparaissait que le désespoir faisait des miracles éphémères sur le caractère à défaut d'en faire sur le teint. Il n'enlevait pas tout, loin de là, mais ses pauses dans les phrases étaient moins dues à ses habituelles manières qu'à lui. Le rouge ne revenait pas se fixer aisément sur ses pommettes, même si les gifles accortes leur en avait rendu ; blanchâtre apparaissait être leur nouvelle mode.
Bien d'autres détails étaient aussi notables, telles que ses mains posées par exemple sur un autre qu'elle. La promiscuité d'une tare était devenue une aubaine, étrangement et sa lâcheté se transformait en courage fébrile, comme lors de chez Monseigneur de Tourres.

Elle causait en tout cas comme s'il pouvait savoir qui elle était, la seconde brindille maltraitée. L'interrogation qu'elle lut en lui lui prouva qu'elle s'était plantée. Et puis n'avait-il pas dit lui-même juste avant qu'elle devait l'y conduire ? Fichtre, la peur ne lui permettait vraiment pas de reflechir comme il le fallait. Bon, au moins lui avait-elle appris le prénom de celle qu'elle n'était pas. Martille.
Luna, elle, ne voulait presque plus rien pour elle, à présent qu'elle avait trouvé un mur vivant capable de faire s'envoler les moineaux bourrés avides de soirées étoilées qui l'avaient poursuivie. Tous ses problèmes personnels tels que rentrer chez elle et se faire discrète, elle savait pouvoir les surmonter seule, pourvu qu'on lui laissa - bien accompagnée - le temps de recouvrir en partie l'usage de ses jambes. Le reste... Cela n'était sans doute pas gérable, même pour un chevalier servant de son ampleur.
Il n'avait point à sa merci quelques magies sauvages capables d'effacer les monstrueux souvenirs qui avaient dégommé son corsage. Tout ce dont elle avait besoin, donc, à l'heure actuelle était qu'il se charge de Martille tout en ne s'écartant pas, afin qu'entre elles les femmes puissent ensuite se rassurer, pleurer humainement si besoin était, puis se séparer le cœur apaisé d'avoir survécu à un évènement de plus. C'était là le meilleur des remèdes pour ses mollets éreintés. Avec le repos à la maison, plus tard. Quelques soirs ensuite, oui, au moins. Quelques nuitées pour embrasser Père et Mère, leur dire qu'elle les aimait. Rentrer. Elle voulait repartir dans ses draps de flanelle à peine moins brodés que les cols de dentelle de Mère. S'y réfugier. Et si sa promesse à l'égard de Martille ne résonnait pas sans fin, sans doute aurait-elle déjà prié son cavalier de la conduire à la porte des Anges ou chez la milice pour obéir à sa peur.

Elle fit glisser une paume peu assurée sur le poignet gauche de son géant compagnon, posa des doigts trop crispés dessus en chuchotant un : " Par là, si cela ne vous importune. " qui manquait de certitudes. Son bras droit s'étira vers une direction tandis que sa main se pressait délicatement sur les muscles travaillés. Comme si elle voulait enfermer cet animal là, au traits taillés dans un marbre trop dur, avec une laisse de chair juste assez fine pour qu'il ne la sente pas. A moins que ce ne fut tout simplement involontaire. Ou nécessaire pour qu'elle-même ne tombe pas.
Ce à quoi ses jambes répondirent qu'elles n'étaient pas d'accord en déséquilibrant leur maitresse plusieurs fois. On aurait presque pu la croire ivre, mais elle ne sentait en rien l'alcool. Et puis l'enfant Montoya, à chaque fois qu'elle manqua de se ramasser sur un rien lança à son invité quelques regards chargés de culpabilité. Sa paume droite n'ayant rien à faire puisqu'elle guidait son chevalier, celle-ci revint se poser sur son épaule à elle, pour chercher à camoufler un peu les dégâts, mais dû fréquemment s'en dégager. Un petit son de frustration proche du hoquet accompagnait ses mauvaises chutes qu'elle rattrapait de son mieux, soit en utilisant Eadwin comme poteau, soit le mur le plus proche.
Le premier put s’apercevoir qu'elle lâchait rapidement sa poigne sur lui s'il s'en montrait peu satisfait, ne la remettant en place qu'en cas d’extrême urgence et avec des excuses. Elle ne s'écartait de plus de deux pas de même que s'il faisait vent de se saisir de son arme. Pour fuir plus aisément si le besoin revenait se faire sentir, peut-être ? Fallait-il encore qu'elle ait une chance vis-à-vis de l'homme de Traquemont.

En tout cas elle qui connaissait le Goulot comme sa poche chercha aussi son chemin les premières ruelles, hésita à deux voir trois croisements. Le choc qu'on lui avait fait subir avait altéré temporairement certains de ses souvenirs, tel que le nom donné à la rue là, qui traversait l'autre avec les plaques rouges ou qui faisait une boucle avec celle nommée d'après... Quoi encore ? Un cheval, non ? Bref, ils se perdirent une dizaine de minutes durant lesquelles la damoiselle fit de son mieux pour se rappeler et évoquer le tourment dont elle était la cible. Sans parler de sentiments, elle dressa un portrait de ses agresseurs le plus réaliste possible pour elle. Elle ne se remémorait déjà plus leur visage exact, dans tous ses détails, mais se souvenait des points importants. Comme si son esprit voulait évacuer la réminiscence dès à présent et la remplacer par d'autres plus agréables. Pour qu'elle se rappelle que la bonté existait encore. Toujours, le prouvait son escorte. Enfin...
La longueur d'une barbe, la petite cicatrice sous l’œil droit de l'un, les yeux de l'autre, leur taille et leurs mains trop imposantes, agrandies par l'horreur. Elle décrivit tout cela en plus de l'amère odeur aigre d'alcool. Des gestes décalés, hagards, mais point dénués de toute volonté. Cependant, sur le but de ces mouvements, sur ce qu'ils avaient touché et pourquoi, elle ne dit rien, se contenant pour son interlocuteur d'un air mi-hautain ou fébrile, peut-être, mi-douloureux s'il osa lui redemander. Elle ne souhaitait pas en parler, chuchotaient alors ses yeux, tout autant que ses doigts qui se remettaient à trembler. Et s'il osait insister, le temps de quelques rues, elle ramenait dans son giron ses poignets graciles pour camoufler un peu plus ses angoisses.
De madame Martille, elle parla avec respect de sa silhouette qu'elle jugeait altière. De sa douceur et de son manque d'amour pour les rumeurs. Le quartier ne la méritait pas, même si elle ne l'avoua pas à son guerrier. Elle était belle, trop belle donzelle à qui la vie avait trop repris, joli visage en haillons. Et dans ces lieux où le pêché était on ne pouvait plus banal, sa si rare et originale vertu avait disparu, mais pas ses espérances.

Les dix minutes passèrent donc, entrecoupées de ces mots qu'elle jetait parfois pour répondre à ses anciennes interrogations et aux nouvelles qui suivaient, quand enfin elle parut remarquer qu'elle se montrait fort impolie.
Un début de sourire peu heureux, mais parfaitement courtois, vint étirer ses lèvres et elle inclina la tête.

" Veuillez je vous prie excuser mes manquements, messire. Alors même que vous m'obligez. Je... Je ne souhaitais vous manquer de respect. L'on me nomme Luna."

Elle ne lui manda pas le sien, ni s'il habitait dans le coin. Cela ne la concernait pas et presser de questions quelqu'un qui l'aidait n'était guère dans sa nature dès le départ : cela n'aurait-il était bien piètre remerciement ?
Il n'y avait en tout cas guère eu de visite importune durant tout ce temps où le géant et la fillette - puisqu'en taille, il y avait entre eux une différence de bien trente centimètres - avaient avancé à fort lente cadence, pour que la damoiselle réapprenne à mettre un pied devant l'autre sans piquer du nez sur la terre battue toutes les minutes. Elle si angoissée avait ensuite désiré presser le pas, mais son corps avait refusé ce futur carnage en menaçant d'à nouveau lui faire rencontrer la boue noirâtre et lui couper le souffle.
Il était assez amusant de mirer le faciès de la damoiselle lorsqu'elle songeait à ce fait. Elle déprimait à l'idée qu'on ne puisse rien faire pour son amie en danger assez rapidement et que ce serait sans doute sa faute, tout en espérant, égoïstement, que messire Eadwin ne la quitterait pas. Son regard se chargeait d'espoir quand il mitraillait le fin fond d'une rue, de douleur tandis qu'elle faisait changer de chemin, encore, son acolyte dont elle n'avait guère le nom, d'un peu de honte ensuite lorsqu'elle murmurait que l'on serait bientôt arrivés.
Bientôt prit cependant vingt minutes de plus à ce rythme, durant lesquelles ils eurent plus que le temps de discuter. Notamment lorsqu'elle murmura encore :

" Je ne sais comment vous remercier, messire.... Si je puis faire quoi que ce soit dans la limite des mes moyens pour vous complaire... Une fois cette affaire terminée, vous... Aurez vous l'amabilité de me le signifier ?"

La nuit cacha de son mieux la rougeur qui décida à ce moment précis de revenir sur ses joues. La balade lente avait permis à la jeune fille de se recomposer une façade tout de même moins troublée et ce fut presque avec surprise qu'elle s'exprima des minutes plus tard sur un autre sujet :

" Nous voici arrivés. "

Fit-elle alors. Et elle se crispa de nouveau, le regard hanté et perdu vers le dernier étage d'une battisse penchée.
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Artorius



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MessageSujet: Re: On peut dormir, la ville veille... [Eadwin & famille]   On peut dormir, la ville veille... [Eadwin & famille] EmptyLun 13 Juin 2016 - 9:41
La présumée prostituée était en train de se réveiller péniblement dans les bras d'Eadwin de Rivenoire. Il pouvait lire la peur dans le regard de la pauvre Luna Montoya. Elle ne savait pas sur quel pied danser avec lui, c'était certain. Etait-il vraiment le salvateur qu'elle avait tant espéré ou bien son nouveau bourreau ? Allait-il apaiser sa peine et porter sa douleur sur ses épaules ou au contraire s'apprêtait-il à l'enfoncer davantage dans son malheur ? Ses joues encore chauffées et rougeoyantes par ses précédents pleurs montraient une chose certaine : soit elle était une pleure de première ordre, soit elle avait rencontré un très sérieux problème. Son corps tremblait comme une feuille morte, c'était à peine si le chevalier de Traquemont pouvait la tenir correctement contre lui. Il fallait dire que là, comme ça, dans la pénombre, Eadwin de Rivenoire faisait peut-être effectivement peur. Son visage ne témoignait pas la moindre sympathie envers elle, il était simplement curieux et un brin dérangé par cette situation. Il fallait le comprendre : par un mensonge, le chevalier s'était retrouvé en plein début de nuit dans le Goulot, ce quartier malfamé qu'aucun Noble digne de ce nom ne souhaitait fréquenter. Ajoutant à cela celle qui voyait comme une prostituée, le visage, l'expression d'Eadwin de Rivenoire ne pouvait pas inspirer la confiance. Pourtant, il avait fait des efforts dans l'emploi de ses mots car peu importe la situation, il devait garder son allure, ses notions de chevalerie. L'ironie du sort, c'était peut-être bien qu'un chevalier tenait en ce moment-même une Châtelaine dans ses bras. Entre le fait d'être une bonne personne, de venir en aide à celle qu'il pensait être une fille de joie et le fait de l'abandonner à son triste sort, la frontière était très mince.

Cependant, il n'abandonnerait pas Luna Montoya en ayant sur la conscience sa véritable identité. Non, il resterait auprès d'elle car il avait déjà formulé sa volonté de résoudre son problème. Un jour, sa bonté d'âme le perdrait peut-être. A vrai dire, il ne savait pas encore dans quelle aventure il s'engageait mais c'était aussi cela qui faisait l'essence-même d'un chevalier digne de renommée. Toutefois, agir en toute discrétion ne serait peut-être pas une mauvaise idée. Il ne voulait certainement pas être la victime d'une rumeur contant sa nuit sanglante à venir dans le Goulet. Sérieusement, la descente d'un chevalier dans le Goulet pour régler des comptes, personne ne voudrait cette étiquette. D'ailleurs, il avait été prudent. Il n'avait ni révélé son nom, ni son titre à la victime qu'il tenait toujours dans ses bras. Elle comprendrait, en voyant plus tard le mastodonte de fer avec une source de lumière artificielle qu'il n'était cependant pas un milicien. On équipait pas des individus-là avec des armures de plaques. Elle serait peut-être alors rassurée lorsqu'elle se rendrait compte qu'elle était en train de remettre sa vie entre les mains d'un chevalier aux mœurs relativement bienveillants. Elle n'était peut-être pas si poisseuse que cela, finalement, et avait eu beaucoup de chance de tomber nez-à-nez sur lui. Régler ses problèmes d'un soir, oui, il s'y engageait. Lorsque Luna Montoya tenta de se séparer de lui, il la retint. Eadwin de Rivenoire avait bien vu comment elle avait chancelé pour venir jusqu'à lui. Une vilaine chute n'était pas souhaitable. Cela la perturba probablement davantage mais il ne savait pas vraiment pour quelle raison, elle prit la décision de placer ses espoirs en lui. Soudainement, elle se servit du chevalier comme d'un appui pour se maintenir debout et répondit enfin à l'une des questions d'Eadwin de Rivenoire.

« Deux... »

Eadwin de Rivenoire afficha un léger sourire plutôt serein. Si le problème de cette pauvre demoiselle se limitait à deux hommes dans le Goulot, il pensa qu'il avait déjà eu bien pire situation à affronter jusqu'à présent. Certes, il ne connaissait encore rien d'eux. Peut-être s'agissait-il de deux bandits ficelés et formés comme lui. Que pourrait-il faire face à deux répliques ? Il portait son armure et il était armé très convenablement. Il trouverait une solution, il en était certain. Cela faisait peut-être deux minutes désormais que Luna Montoya était posée contre le chevalier et ce dernier déduisit que ses poursuivants n'était pas à ses trousses. Pourquoi ne pas simplement lui demander où elle vivait pour la ramener chez elle ? Fichtre, elle n'accepterait jamais d'abandonner son « amie » s'ils avaient la moindre chance de la sauver. Cependant, l'absence de deux individus à la poursuite de Luna Montoya faisait craindre à Eadwin de Rivenoire que c'était la pauvre Martille qui subissait en ce moment les vices de ces deux messieurs sans foi ni loi. Le plus triste était que le pire était à venir. Il découvrirait tôt ou tard que l'un des deux criminels n'était autre que l'époux de la prostituée avérée en détresse. Eadwin de Rivenoire était donc très loin d'imaginer dans quel bourbier il avait accepté de plonger en venant en aide à cette âme perdue. C'était aussi cela le métier de chevalier lorsqu'on était loin de sa suzeraine de longue date, Yseult de Traquemont. Il essaya un quelconque instant de se mettre à sa place, de façon un peu présomptueuse peut-être mais honnête. Qu'aurait-elle ordonné ? Il le savait très bien. Il n'était pas question de laisser à l'abandon une personne du peuple qui quémandait de l'aide, même s'il pouvait s'agir d'une putain notoire. Il soupira, songeant une nouvelle fois que sa bonté le perdrait un jour. Luna Montoya semblait si atteinte, si brisée par la situation qu'il ne songea même pas un seul instant que tout ceci puisse être une comédie visant à l'acculer dans un coin pour dépouiller en groupe. Quelque part, la venue d'un type aux allures chevaleresques dans le Goulot avait déjà se répandre à travers différents réseaux.

« Je crois que corriger deux individus malhonnêtes est à ma portée. »

Il se rendit bien compte qu'elle était mal à l'aise en sa compagnie. S'il avait été capable de comprendre ses véritables origines, il aurait saisi la problématique. Avec son épaule dénudée, ses habits tombants, c'était tout à fait déshonorable pour une Noble d'être sauvée dans ces circonstances-là. Il était pourtant bien incapable de faire se rapprochement et se demanda donc ce qui pouvait bien clocher chez elle. Il préféra mettre ceci sur le compte de sa détresse palpable. Lorsqu'elle le supplia de partir à la recherche de la fameuse Martille pour lui venir en aide, il fut définitivement persuadé qu'elle devait être en train de passer un sale quart d'heure.

« Conduisez-moi. Je vais faire ce que je peux. Vous resterez derrière moi, je ne veux pas prendre le risque que vous soyez blessée. »

Par expérience, il savait reconnaître ceux qui connaissaient l'art de se défendre et ceux qui remettaient plutôt leur vie entre les mains des autres. Très visiblement, Luna Montoya appartenait à cette seconde catégorie. L'avertissement était donc de vigueur car Eadwin de Rivenoire ne s'attendait pas à une autre alternative que celle d'un combat. Ainsi, ne pas avoir sa jeune protégée dans les jambes lui permettrait d'affronter la situation plus sereinement. Elle attrapa finalement son poignet, avec délicatesse, et ouvrit les enjambées. Il ne savait pas combien de temps la jeune fille avait erré dans le Goulot jusqu'à tomber sur lui, fuyant donc ses odieux poursuivants, mais il était évident que Luna Montoya était déjà à bout de souffle, aux limites de son endurance. Pourtant, elle était la seule à pouvoir les guider jusqu'à Martille. Il n'y avait rien qu'il puisse faire pour soulager son apparente douleur si ce n'était espérer qu'ils trouvent leur chemin du premier coup. Ensuite, comme il l'avait déclaré, Eadwin de Rivenoire prendrait ses responsabilités et endurerait à son tour les souffrances de la jeune femme. C'était ce qu'il était, prêt à subir et souffrir à la place d'une tierce personne.

La marche dura tout au plus dix minutes. Ils échangèrent uniquement ce qui était nécessaire. Au bout de deux soixantaines de secondes, il s'était rendu compte qu'elle peinait à retrouver son chemin. C'était compréhensible, la pauvre jeune fille s'était d'abord concentrée sur sa pauvre survie plutôt que sur le fait de retenir la couleur d'une maison ou l'orientation d'une pancarte. Lui-même ne retiendrait pas grand-chose, il fallait dire qu'il ne souhaitait pas revenir par ici de si tôt. Ah, s'il tombait nez à nez sur ce charlatan qui l'avait induit en erreur plus tôt dans la journée, il lui collerait bien son poing dans le visage pour lui rendre la monnaie de sa pièce. Cela dit, il apprendrait peut-être tôt ou tard la vérité au sujet de Luna. Luna de Montoya. Il n'en croirait d'abord pas ses oreilles car si la probabilité de croiser un Noble par ici à une telle heure était presque nulle, existante tout de même car ils en étaient la preuve incarnée, la perspective deviendrait intéressante. Il deviendrait Eadwin de Rivenoire, le chevalier de Traquemont venu en aide à la Châtelaine de Montoya, Luna. Cela aurait quelque chose d'invraisemblable mais pourtant si véritable à la fois.

« Luna ? C'est un joli prénom. » dit-il, avec un sourire sympathique. « Je suis Eadwin. Tu peux m'appeler Ead' si tu le souhaites. »

Pour une prostituée, elle avait de très bonnes manières. En général, elles étaient plutôt réputées pour avoir un franc parler légendaire et l'emploi de mots plutôt crus. Il ne l'avait pas encore réalisé mais à chaque fois qu'elle prenait la parole, c'était avec bien trop de politesses et d'excuses prononcées. Si bien que pour lui, elle préservait cette étiquette de « Luna, la prostituée du Goulot. » Cela expliquait également pourquoi il utilisait soudainement le tutoiement pour s'adresser à elle. Un chevalier tutoyant une châtelaine, la situation n'en serait que plus comique lorsqu'il se rendrait compte plus tard de son erreur. Évidemment, quiconque ici pouvait s'appeler Luna. Ce n'était pas un privilège réservé à la damoiselle de Montoya. Quelque part, cela arrangeait aussi sûrement ses affaires de ne pas être reconnue par l'un de ses pairs. Oh, s'ils se côtoyaient d'ici quelques années, peut-être en riraient-ils ensemble de bon cœur. Enfin, il ne fallait pas mourir avant, damoiselle de Montoya, n'est-il pas vrai ? Sinon, il serait bien impossible de partager de tels moments, hein ! Quelle amusante supercherie, elle devait être TOUT SOURIRE. Vingt minutes, ce fut le temps nécessaire pour revenir au point de départ, là où Martille et Luna s'étaient brièvement croisées. Elle montra à nouveau un brin de politesse surprenant pour une proposition douteuse. Après tout, une prostituée expérimentée n'aurait-elle pas formulé cela différemment ? Par exemple… « Quand ce sera terminé, viens me voir, je te montrerai des trucs qu'aucune femme que tu as rencontré ait pu te faire. J'ai un déhanché à te faire perdre tout tes moyens, mon joli. » Mais non, rien de tout cela. La proposition était bien trop chaste pour évoquer un tel service. Et si elle était seulement en phase d'apprentissage ? Non, ce n'était pas le moment de faire des suppositions sur l'identité de cette curieuse damoiselle.

« Elle vit là-haut ? Mhm. Attend-moi ici. S'il y a quelque chose de suspect, hâte-toi de me rejoindre mais ne regarde pas. Je ne sais pas encore comment cela va se passer. »

Au moins, l'avertissement était lancé et s'il y avait fort à parier qu'elle serait effrayée par la moindre ombre se rapprochant d'elle, Luna Montoya assisterait aux premières loges à la prochaine scène à venir. Comme une ombre, le chevalier de Traquemont s'enfonça donc dans la pénombre de la bâtisse. Quatre étages, c'était tout ce qui le séparait de son but. Il ne prit pas spécialement le temps de noter les détails de la cage d'escalier car il fallait se hâter. Toutefois, en dépassant le troisième étage, son sang commença à se glacer. Il s'arrêta pour être certain de ce qu'il était en train d'entendre. Sérieusement, un mélange de pleurs et de gémissements… ? Dans un dernier effort, il couvrit la distance restante entre l'escalier et la porte de l'appartement tant attendu.

« Pourquoi est-ce que l'on m'a refilé une pétasse pareille… ? Martille… T'as laissé filer la poule aux œufs d'or, la Mont... » entendit-il brièvement, avant d'enfoncer la porte d'un coup d'épaule bien élancé. A une seconde près, l'identité réelle de Luna manqua de ne plus être un secret. « Mais il veut quoi celui-ci ? Il voit pas qu'on est occupés à apprendre les bonnes manières à une salope ? »

C'était donc elle, Martille. Une femme de toute beauté, assurément, prise dans de sales draps, littéralement. Quelle fut donc la surprise d'Eadwin de Rivenoire lorsqu'il tomba nez-à-nez avec cette scène perverse et sordide. Martille était à moitié nue, en pleurs, en train d'être prise en levrette par un inconnu tandis qu'un autre, celui qui venait de s'adresser à lui, tenait fermement sa tête et ses épaules en lui donnant des gifles. Pendant l'interlude, Luna Montoya avait précisé que l'un des deux hommes serait le mari de Martille. Instinctivement, il espérait, il souhaitait que ce soit celui qui était en train de la pénétrer avec violence. Il ne savait pas qu'il se trompait lourdement à ce sujet. C'était trop. Lorsque l'on était un chevalier, il fallait être prêt à faire face à beaucoup de situations, mais là, voir cette pauvre demoiselle réduite à la condition d'un morceau de viande à baiser, c'était trop.

« Aidez-moi… Par pitié… Aidez-moi... » supplia-t-elle en remarquant la présence d'une tierce personne du coin de l’œil.

« Mais tu vas la fermer, oui ?! » cria l'ami du mari de Martille, en la bourrant de plus belle. « T'as pas entendu le chef ? Tu dégages sinon on te fait la peau. »

Eadwin de Rivenoire se sentit mal, très mal. Il était fortement désappointé d'assister à une scène de la sorte. Peut-être commençait-il seulement à réaliser qu'il était dans le Goulot de Marbrume, ce lieu de pauvreté et de misère où des choses bien plus sordides que ceci pouvaient se dérouler. Le chevalier de Traquemont était habitué aux horreurs de la guerre, à la violence, à l'humiliation d'êtres chers. Mais pas cela. Non. Même son ancien maître qu'il ne portait pas dans son cœur ne lui avait jamais demandé de violer une femme. Tout à coup, Eadwin de Rivenoire commença à voir rouge. Il adressa, aussi courte et risible fut-elle, une prière à la Sainte Trinité. Oh, il espérait ne pas trop se laisser aller mais ces deux messieurs méritaient la correction de leur vie. Non, il serait la main de la Justice, le vraie Justice, celle qui donnerait raison à cette pauvre Martille. Le Havre d'Anür ne pouvait définitivement pas accueillir ces deux gros porcs. Aujourd'hui, il allait donner à nouveau la mort.

« Vous ne méritez pas d'être jugés par le fil de mon épée. Non, une mort plus lente et plus douloureuse vous attend. »

« Mais il croit sérieusement pouvoir faire quelque chose contre nous… ? »

« Il arrive ! »

« Hein ?! »

La furie sanguinaire était lâchée. Madothere eut à peine le temps de se retirer de l'antre honteusement humide de Martille que le chevalier de Traquemont vint lui asséner un coup de genou, renforcé par son armure en plaques, dans le flanc gauche, ce qui le propulsa contre le mur juste à côté. Il serait sonné pour quelques instants. Le second, Mehanise et mari de la femme violée et tourmentée, poussa cette dernière puis attrapa la dague située à sa ceinture. Courageusement, ou avec beaucoup de témérité, il attaque Eadwin de Rivenoire de face. La lame glissa sur son avant bras, protégé par cette plaque salvatrice et il put alors contre-attaquer en saisissant ce lâche par la gorge afin de le soulever dans les airs et de commencer à l’étouffer.

« Non ! … S'il vous plaît… Ne faites pas de mal à mon époux… Il… Il… Il m'aime malgré tout ! ... »

C'était bien futile. Si les propos de Martille atteignirent bien les oreilles d'Eadwin de Rivenoire, il ne le reposa pas à terre. La poigne s'était très largement adoucie.

« Vous êtes sûre ? Est-ce cela que vous appelez de l'amour ? C'est ignoble, sans nom. Un être aussi abjecte ne peut pas vous aimer. »

« Vous vous trompez… Nous n'avons pas toujours vécu ici… Je n'étais pas une… p... »

« Je ne comprends pas tout mais votre collègue, Luna, semble croire que vous étiez en danger de mort. C'est pour cela que je suis ici. »

« Et maintenant, tu la ferme ! »

Un coup de massue. Mince, Eadwin de Rivenoire avait baissé sa garde en se laissant toucher par les supplications et les explications de Martille. Madothere eut le temps de reprendre ses esprits, remonter ses bas, ceinturer tout cela, s'emparer d'une massue et de fracasser cette dernière sur la tête de son ennemi au sang-bleu. Sur le coup, il relâcha Mehanise, le mari qui était en train de suffoquer. Eadwin de Rivenoire tomba lourdement à la renverse et ni d'une, ni deux, les deux brigands se jetèrent sur lui pour faire pleuvoir une pluie de coup de poing sur son visage.

« Arrêtez ça ! Vous ne voyez pas qu'il n'est pas d'ici ? On aura des ennuis avec la Milice ! »

Ces avertissements n'étaient pas suffisants. Pour l'instant, Eadwin de Rivenoire était en train de subir avec fracas. Des perles de sang ne tarderaient pas à teinter sa barbe ébouriffée de quelques semaines. Une intervention extérieure salvatrice ne viendrait pas pour l'instant, supposant que Luna Montoya assistait à peine à la situation. Son sauveur, son preux chevalier était malmené. Elle s'en voudrait, c'était certain. Mehanise, l'esprit revêche, attrapa à nouveau sa dague et la logea derrière son genou gauche, là où elle pouvait glisser entre les armatures fixant les pièces de l'armure d'Eadwin de Rivenoire. Ce dernier poussa une sorte de râle d'agonie, la douleur était très vive. S'il ne faisait rien, il allait clairement mourir. Dans un soupçon de lucidité, il parvint à reprendre le contrôle de la situation. Il donna un franc coup de pied avec sa jambe valide à Mehanise et en confrontation singulière, Madothere n'avait pas la moindre chance. Ainsi, il l'attrapa à la gorge avec sa main gauche et envoya une série de nombreux coups de poings gantés en plaque dans son visage. Le nez, les tempes, le front, tout en serrant son cou avec la ferme intention de lui retirer la vie. Face à une telle hargne et une telle violence, Madothere plongea au moins dans l'inconscience. Furieux et galvanisé par cette première victoire, en preux chevalier qu'il était, Eadwin de Rivenoire se redressa et attrapa sur une table à côté de lui le premier objet contondant à sa disposition : un marteau. L'envie de fracasser le crâne de Mehanise ne manquait pas, bien au contraire, mais c'était une autre leçon qu'il allait lui offrir. Sonné, le mari de Martille était à sa cruelle merci.

« Tu
Vas
Respecter
Ta
Femme
Ou
Je
Te
Jure
Que
Je
Vais
Revenir. »

Un coup de marteau par mot, ni plus ni moins. Il visa précisément sa main et son bras droit. Des fractures s'annonçaient déjà. Des os brisés, dont les doigts, les poignets, etc. Nul doute que Mehanise hurla à la mort, sous les yeux de son épouse, impuissante et à la fois soulagée. Son calvaire était terminé.

« TOUTES LES FEMMES. »

Eadwin de Rivenoire se laissa tomber sur le côté en grimaçant. Sa jambe gauche lui faisait plutôt mal, le scélérat n'avait peut-être pas eu le temps de remuer le couteau dans la plaie comme avec un certain Grim Torren dans une autre histoire mais sa résistance à la douleur possédait certaines limites. Des gouttes de sang commençaient d'ailleurs à fuir de ses jambières, signe définitif que ce salopard ne l'avait pas manqué. Enfin, les deux ennemis étaient neutralisés, le chevalier de Traquemont pouvait désormais reprendre son calme et respirer plus sereinement.
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Luna Montoya



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MessageSujet: Re: On peut dormir, la ville veille... [Eadwin & famille]   On peut dormir, la ville veille... [Eadwin & famille] EmptyMar 14 Juin 2016 - 6:17
... Et l'ogre se fit milicien, méritant potentiellement l'armure qui enserrait ses muscles. Il allait s'occuper de ces faquins lui avait-il signifié précédemment, et maintenant montait les noueux escaliers qui le séparaient de l'appartement minuscule où Martille devait se trouver. Si elle n'avait pas trouvé refuge ailleurs. Fier héros, garde de la ville sans écusson, il faisait craquer les marches en s'éloignant vers ses proies... Ou pas.
L'homme serviable dont le trajet lui avait permis de découvrir de nouveaux traits n'avait pas plus d'idées que sa protégée sur l'endroit où pouvaient se trouver ces monstres alcoolisés, ces brutes sans cervelle. A bien y réfléchir, ils étaient sans doute déjà revenus en effet sur leurs pas en s’apercevant que leur proie secondaire leur avait échappé, mais rien n'était assuré. Qui pouvait certifier ce qui traversait leurs nébuleux neurones alcoolisés ? Était-ce trop espérer qu'ils se soient perdus eux aussi ?

Luna lança aux alentours un regard d'angoisse pure, regrettant déjà la chaleur du bras qui l'avait supportée durant leur trajet. Ah, ne craignait-elle pas davantage, là, sur le seuil vide de toute autre chose que des fissures ? Et si le duo de malfrats avait réellement tardé ou les avait suivis ? Et si d'autres venaient ? Après tout elle ne percevait pas grand chose dans cette ruelle si obscure que même les étoiles ne s'y risquaient pas énormément. La vérité qu'elle déduisit de ses observations affolées la fit gémir, une fois totalement seule. Elle étouffa rapidement le son, mais ne put rien contre les frémissements qui lui secouèrent ensuite le dos. Même replier ses mains sur ses épaules n'y suffit point. La peur qui avait commencé à s'amenuiser, légèrement, délicatement, le temps de retrouver la maisonnée source de tous ses tracas rejaillissait sur le coup, suffisante, et prétendait à nouveau guider complètement ses gestes.
Ainsi, peu agile et titubante, l'enfant Montoya reprit après moins de cinq minutes de solitude son trajet vers l'intérieur. Vers là où avait disparu le titan aux traits rendus âgés par le temps. Ce qu'elle regagna en assurance en songeant qu'elle allait retrouver un sauveur, à certaines rares avancées, se perdit aux suivantes. Et si... Et si finalement tout cela n'était pas une bonne chose ? Si elle s'était trompée sur... Ead ? Messire Eadwin, tel était son nom. Bref si elle s'était fourvoyée et qu'à présent Martille subissait pire ? Non. Non. Se murmura-t-elle tandis que son souffle se précipitait encore. Il ne fallait pas penser ainsi. Ne s'était-il pas montré un tout petit peu galant, malgré ses grossières claques et l'emploi d'un tutoiement qu'elle n'avait pas eu le cœur à corriger ?
Il ne l'avait molestée que pour la réveiller. Et puis qu'on lui dise "tu" n'était après tout pas une nouveauté, même si la plupart de ses rencontres lui donnaient du "vous", surtout ironique il fallait l'avouer. C'était qu'elle faisait tâche dans ces ruelles sordides avec ses vêtements trop riches et trop propres. Elle n'était pas de ces demeures aux vitres de plomb brisées et on lui faisait ressentir.
On ne pouvait vraiment pas, en temps normal, la prendre pour une habitante des lieux. Elle était trop fraiche, trop innocente, trop douce, trop pâle et bien éduquée. D'ailleurs ceux ici connaissaient tant sa bouille et son boitillement que même si elle avait revêtu des loques, elle ne serait pas passée inaperçue. La petite aux chaperons colorés n'avait rien, aux yeux de la plupart de ses protégés et de leurs amis, d'une des putains ou matrones désargentées que le Goulot créait avec plaisir. Pour les autres, elle n'était qu'une ombre de plus à éviter et dont nul ne se préoccupait guère. Une morte en sursis, comme toutes les femmes qui battaient la terre poussiéreuse de ces lieux abandonnés par les riches.

Elle s'aida des murs antan blanchis à la chaux et qui a présent apparaissaient noircis par la nuit et les ans pour gravir les droites marches accidentées. Il régnait un froid sec dans cette cage tout en hauteur qui glaçait les os aisément. Elle ne le ressentait qu'à peine, gelée de l'intérieur par de sombres pressentiments sans base. S'il était un complice, ou un mauvais qui avait volé son harnachement ? Que se passerait-il ? Devait-elle faire demi-tour et courir à la milice ? Non. Son corps supportait uniquement à grande peine la montée qu'elle lui infligeait. Alors traverser la cité était hors de question. Elle n'avait donc au final que deux choix : s'arrêter dans l'ombre noire d'un palier et s'y faire petite, ou continuer à grimper et percevoir de son propre regard ce qui se passait là-haut. L'effroi de ce qu'elle pouvait potentiellement y découvrir ne dépassa pas son besoin de se sentir en paix de peur de subir davantage et elle avala les marches de son mieux. Plusieurs fois elle manqua de tomber autant à cause de ses jupes que de son éreintement. Le souffle court, elle dut même s'arrêter au troisième un bref instant, les yeux fermés, pour ne pas s'évanouir encore.
Ses mauvaises rencontres n'étaient pas encore assez nombreuses, avant ce soir, pour qu'elle ait revu auparavant son jugement sur les dangers hypothétiques de ses promenades presque journalières. Nonobstant cela, maintenant, elle était effarée, effrayée comme si chaque noirceur mouvante cachait des mains mauvaises prêtes à se saisir d'elle. N'étaient-ce pas des dents qui luisaient, là, albâtres et étincelantes sur le coin d'un mur ? Et ce reflet qui jaillissait d'une bordure de fenêtre, ne ressemblait-il point un coutelas ? Oh, les deux monstres l'avaient retrouvée ! Ou n'était-ce que chimères ?
S'évertuer au calme ne changea rien, mais au moins la terreur lui permit-elle de terminer rapidement son trajet.

Elle s'arrêta devant la porte d'où des cris jaillissaient si forts qu'ils s'entendaient de loin. Si elle avait pu en ouïr précédemment, à présent au moins les comprenait-elle. Martille sanglotait, au milieu de bruits sourds. Elle priait un bourreau, en résumant son histoire, d'épargner une vie à laquelle elle tenait. Sans doute pas la sienne. Le juge et juré lui répondit plus bas, d'un ton qui lui rappela celui de son chevalier servant et elle se mordit les lèvres en tentant de supputer ce que le bois lui camouflait.
Messire Eadwin menaçait-il un allié de la puterelle qui était venu prêter main forte ? Même si c'était dans le but de retrouver la truandaille qui les avait toutes deux fort malmenées, cette option l'horrifiait. Bien heureusement, d'un coté, Madothere lui prouva qu'elle se fourvoyait et percevait du mal où n'en n'était pas. La scène qu'elle s'imaginait s'envola avec un hoquet de stupeur alors qu'il s'écriait. Le bruit d'un coup donné trop fortement sur une surface à demi-métallique accompagna le hurlement masculin et précéda d'autres sons incompréhensibles. - Une échauffourée de celles dont elle n'avait pas l'habitude, emplies de violence et de haine.

Le grincement des gonds de la porte lui parut résonner plus fortement que les halètements et grognements humains lorsqu'elle poussa le panneau pour apercevoir le spectacle que le trio d'hommes offrait. Elle s'ouvrit à la volée en rugissant donc, comme si elle n'avait attendu que l'on inscrive l'empreinte de ses doigts pour ce et dévoila l'horreur. La solution à laquelle la châtelaine invitée n'avait pas souhaité même penser se réalisait. Messire Eadwin avait retrouvé les deux vilains dont faisait partie l'hôte de ces lieux et se faisait violenter par ces hommes patibulaires et avinés.
Le peu de couleur qui lui était revenu se fit la malle tandis que ses yeux se posaient sur tout et rien à la fois. Elle vit Martille, sans la voir et le... Les affaires de famille d'un homme en partie nu ne la choquèrent pas davantage que l'image odieuse renvoyée par le guerrier qu'elle avait laissé aller en premier. Il avait presque l'air d'une tortue renversée et aurait imité l'animal sans doute, s'il n'avait pas eu d'entrainement lié au port de son armure.
Ce fut en tout cas l'impression qui se dégageait de chaos terrifiant qui la traumatisa le plus. On haletait, dans un mélange d'odeurs de sang et de sueur salée. Les poings, armes improvisées et pieds massacraient tout ce qu'ils rencontraient. Les expirations était courtes, mais fréquentes et sonores. Les yeux de certains hagards et emplis de cruauté. Les meubles de la salle, rares, n'avaient pas trop souffert de l'invasion, mais il n'y avait guère plus de place pour une spectatrice pas totalement innocente. Les tissus de tenues étaient froissés, recouvrant des accrocs récents. La chandelle sur une table au fond de la salle, enfermée dans un pot crade, mais transparent éclairait le tout en offrant une lumière trop peu floutée pour ne pas lui donner un air menaçant de plus.
Il ne restait en tout cas - ou elle ne perçut - rien près du seuil pour servir de bouclier et elle déglutit, alors que ses jambes refusaient de la faire fuir comme elle l'entendait. Martille hurla des palabres sans intérêt. Tout ce qui importait était que messire Eadwin allait mourir et les méchants gagner.
Son attention se reporta malgré elle plus en détail sur l'hypnotisant combat qui se déroulait. Tout était perdu. Il fallait recommencer à courir. Maintenant. Repartir dans les sordides ruelles, s'y reperdre et ne plus tomber. Il fallait veiller à ne pas se faire attraper à nouveau. Résister. Combattre l'évanouissement, les jambes qui lâchaient prise. Mais ses bottines s'étaient soudées au sol et refusaient d'entendre sa supplique silencieuse.
Elle ne pouvait pas rester alors qu'elle ne voulait juste que s'effondrer et voir, par miracle, accourir la milice sauver ce confrère que l'autre femme avait dit venir d'ailleurs. Ailleurs ? Elle n'y réfléchit pas tout de suite, trop heureuse que son corps se soit soudainement entendu avec son esprit et lui ait au moins permit de s’agripper au fin pendant de mur qui servait à refermer l'ouverture où elle se trouvait. Ce n'était qu'une maigre victoire en cette nuitée assombrie par de malsains ouvrages, mais c'était déjà mieux que rien.
S'ensuivit la réalisation d'un autre espoir moins secret : messire Eadwin reprit le dessus par quelques coups fort bien placés. Martille avait sans doute déstabilisé son époux et son ami en gueulant, puis en faisant mine d'accourir vers la petite Luna terrifiée. Zig-ziguant mieux encore qu'un escrimeur malgré ses jupons mal ficelés et son corsage défait, elle se réfugia à la porte à son tour et se saisit du bras de sa compagne pour ne plus le lâcher. La jeune fille, elle, de la main qui dépendait de son bras ainsi encerclé vint aussi trouver un peu de réconfort auprès de son amie d'infortune. Elle serra, jusqu'à ce que ses articulations palissent, le tissu rêche qui camouflait les cuisses de la putain.
Ni l'une ni l'autre ne se plaignit de ce qu'on se faisait subir. Ce n'était guère le moment de craindre de nouveaux bleus quand devant elles, l'ogre défenseur de ces dames se saisissait enfin d'un marteau...

... Le duo féminin s’aperçut qu'il avait retenu son souffle lorsqu'il eut, en un instant semblable, un hoquet de douleur tandis que les doigts de l'épousé sursautaient sous l'outrage que leur faisait subir le titan armuré. On aurait pu compter le nombre de coups que le futur victorieux porta aux petits cris muets que poussèrent les deux femmes. A leurs tressautements, de moins en moins violents à chaque fois que les râles de la seconde victime de leur vindicte se faisaient de plus en plus ténus.
Cependant, il n'y avait nulle âme prête à comptabiliser le score obtenu par le gagnant de ce combat clandestin. Et quand le vainqueur s'étala tel un tronc d'arbre sur le plancher, on n'entendit guère de hurlements victorieux ou d'échanges de paris. A la place se tint un étrange silence, troublé uniquement par des respirations forcées, et qui donna l'impression un moment que la danse du temps s'alentissait.
Les secondes ne se firent cependant pas heures, et il fallut réellement de menues minutes, tout au plus, pour que les dames qui avaient fini par s'enlacer de terreur, se séparent vivement. On tremblait de partout et le teint s'était fait d'ivoire virginal. Les cils papillonnaient, trop tourmentés pour rester à leur place. Pourtant, à pas peu lourds, mais fébriles, elles trouvèrent le courage de s'avancer auprès des corps étalés. Dire qu'elles ne rêvaient toutes deux que de se blottir contre un mur et de tout oublier aurait été un pléonasme.

Martille donna un coup de pied faible, puis bien plus agacé dans la carcasse d'un des vaincus et enfin dans celle de l'autre. Une fois assurée qu'aucun ne répondait, toujours bien mal fagotée, elle tourna son regard devenu absent par la force des choses vers celui qui s'était élu représentant des opprimées. Elle ne prononça pas un mot, sans doute incapable de parler, mais hocha la tête une fois qu'elle eut capté les yeux de son interlocuteur. Titubant, elle entreprit ensuite d'aller fouiller vers la table et le coffre rabougri qu'elle cachait et qui devait servir à ranger tous ses ustensiles et vêtements.
Luna, elle, n'eut aucune pensée pour leurs agresseurs, mais toutes pour l'être qui les avait sauvées de représailles plus importantes. A présent que la bataille s'était terminée, la culpabilité de l'avoir mené au danger la submergeait. Et tandis que sa compagne s'occupait des loqueteux, elle s'agenouillait auprès du blessé, faisant fi du reste de sa toilette. Inquiète, le choc toujours guère totalement passé, elle força son attention à chercher tout signe de blessure. La vue du sang lui fit poser, quelques secondes, ses mains sur ses genoux à elle, mais elle se reprit bien vite en serrant les poings. Elle ouvrit la bouche, la referma sans s'exprimer. A la seconde tentative, cependant, elle réussit à prononcer un intimidé et coupable :

" Souffrez-vous beaucoup ? "

Ses doigts s'approchèrent de la jambière alors que leur hôtesse revenait auprès du duo. Elle tendit un linge - une chemise d'homme à peu près propre - à la châtelaine et lui conseilla en une palabre et un geste d'appuyer, sans parler d'enlever quoi que ce soit au blessé. Enfin, d'un ton bien trop morne pour la situation, elle expliqua qu'elle allait chercher de l'aide, sans donner de détails. Sans doute avait-elle besoin de s'écarter un peu, aussi. De ne plus voir son aimé aussi mal en point, ni de se rappeler ce qui s'était passé. Elle disparut donc en passant par le seuil toujours ouvert, les lacets de sa tenue sempiternellement trainants dans le vide.
Et le temps passa, encore.

Comprenant qu'elle était la seule debout, Luna apparut se sentir d'autant plus mal à l'aise dès que Martille ne fut plus en vue et l'affolement menaça une fois encore de la gagner. Elle n'était pas apte à défendre qui que ce soit, elle incluse, si les brigands se relevaient. Fort heureusement, aucun ne fit mine de le faire et elle continua à appuyer sur l'armure avec son chiffon, sans défaillir. Sans oser regarder encore Eadwin dans les yeux, à part timidement en de rares fois. Comme si sa blessure camouflée et par la ferraille et par le tissu et les deux k.o vers qui elle tournait parfois la caboche en sursautant nécessitaient même sa vue.

" Je ne sais... Je ne sais comment vous remercier. "


Finit-elle par ajouter cependant dans ce silence qui devenait trop pesant. Car Martille avait subi encore, elle ne pouvait l'ignorer, même sans avoir catalogué tout ce qui l'entourait. La belle habitante des lieux ne pouvait qu'avoir pris des coups en plus, puisque les hommes étaient revenus avant eux et la fin de cet état de fait, plus que n'importe quoi d'autre, valait la peine que la petite noble trouve le courage d'enlever la boule de sa gorge pour parler. Il n'y avait après tout pas foule pour l'entendre. Juste l'homme qui venait d'être leur héros.
De ses graciles doigts libres et tremblotants, elle arrangea en un geste vain et futile une mèche de sa chevelure échevelée derrière son oreille droite. Le mouvement bien trop habituel ne lui apporta hélas pas le réconfort qu'elle aurait aimé en tirer. Il aurait fallu pour ce que son armure à elle, sa robe, soit toujours complète. Ses lèvres se serrèrent alors pour ne devenir qu'une ligne - il fallait bien s'empêcher de vouloir pleurer -, puis se redessinèrent en un sourire penaud, frémissant de haut en bas et nullement joyeux. De quoi espérait-elle, malgré tout, redonner un gain de vitalité à son patient qu'elle mira à nouveau.

" Dès que de l'aide viendra nous... Nous ferons quérir un docteur. Mais puis-je messire faire... Enfin vous être d'une quelconque utilité autrement ? "


Sa voix ne portait toujours pas haut et de petites notes aigües s'en échappaient.
Elle bougea légèrement de position - d'un centimètre ou deux -, ses genoux subissaient encore le contrecoup de la soirée, mais elle ne se plaignit pas. Assise le dos droit auprès d'un homme qui une heure auparavant lui était encore inconnu, sans chaperon, entourée de deux autres représentants du sexe masculin, dans une chambre où l'odeur du sexe quoique faible se mêlait à celle du sang, de l'alcool et de la sueur, son aspect général peu reluisant, Luna avait pile ce qu'il fallait pour déclencher un scandale ou deux. Si du moins telle avait été son intention et qu'elle avait été capable d'y songer.
Hors là, sa place lui apparaissait presque... Normale. Puisque l'homme les avait sauvées, il fallait vérifier qu'il serait soigné. Elle lui devait au moins cela avant de s'occuper d'elle-même et de fuir loin. Dans un endroit qui à présent lui semblait à une éternité : ses draps à elle.
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MessageSujet: Re: On peut dormir, la ville veille... [Eadwin & famille]   On peut dormir, la ville veille... [Eadwin & famille] EmptyJeu 16 Juin 2016 - 19:17
Un silence de mort s'était installé dans cet appartement du quatrième étage de l'immeuble situé quelque part au milieu du Goulot. Trois hommes, partageant des douleurs bien différentes étaient à terre. La coalition entre Madothere et Mehanise ne fut pas suffisante pour vaincre le preux chevalier, non, l'homme qui était devenu leur bourreau, leur fin. Madothere n'avait pas seulement été étranglé, non, il avait également été la victime d'une pluie de coup de poings fracassante. Il était à terre, totalement inconscient, aux côtés de son « ami », Mehanise, qui ne jouissait pas d'un bien meilleur sort. Eadwin de Rivenoire avait littéralement martelé sa main et son bras droit avec l’ustensile du même nom. S'il survivait à tout ceci, il risquait de ne plus jamais pouvoir s'en servir. L'homme avait crié, il avait hurlé à la mort tout le temps où le chevalier de Traquemont usa de sa violence brutale et sans merci contre lui. Eadwin, quant à lui, ne pouvait pas prétendre être dans sa meilleure forme. Le violeur et l'époux de Martille avaient esquinté son minois, en plus de parvenir à planter une dague derrière son genou gauche. Dans le feu de l'action, il était probable qu'aucun d'entre eux n'ait jamais remarqué que Martille s'était réfugiée auprès de Luna. Eadwin, jusqu'à présent, était plutôt occupé à penser à sa douleur réelle. Il regrettait, un poil, d'avoir été têtu. Ce n'était pas une défaite, certes, mais cette victoire avait un goût amer. Un chevalier, se perdant dans Marbrume pour atterrir dans le Goulot en pleine nuit, était venu en aide à deux prostitués. Pourtant, lorsqu'il avait fait face à l'horreur, à cette pauvre Martille en train d'être pénétrée en soumise, tenue fermement par un époux cruel et pervers, il avait jugé qu'ils ne méritaient pas d'être découpés par son épée. Ainsi, il ne s'était pas servi de cette arme qui lui aurait évité ce fâcheux contretemps. La cerise sur le gâteau, c'était que payer le prix de son arrogance l'agaçait lui-même, au plus haut point. Privé de sa mobilité habituelle, il ne se sentait plus du tout en sécurité dans le Goulot, pour peu qu'il ait déjà ressenti cette impression, s'en était pas moins certain.

« Je crois que je vais avoir besoin d'aide, cette fois... »

Allongé sur le sol, il pencha la tête pour chercher Martille du regard. Elle pouvait bien lui filer un coup de main puisqu'il lui avait empêché de vivre un moment fort désagréable jusqu'au bout. C'était peut-être une putain mais on pouvait parier que dans ces conditions-là, elle n'en avait pas tiré le moindre plaisir. Il remarqua ensuite Luna, la Luna qu'il pensait toujours être la paire de Martille, une « pute », et pensa qu'elle devait être trop effrayée pour l'attendre en bas. Depuis combien de temps était-elle ici ? Est-ce qu'elle l'avait vue s'emporter férocement contre les deux agresseurs ? Lui-même pensait qu'il avait peut-être été un peu loin. En réfléchissant un peu, il n'était pas très probable que la Milice ne se dérange pour une telle affaire. Dans ce pauvre quartier, les règlements de compte devaient être légion et dans le fond, voir Marbrume se désengorger de sa mauvaise herbe devait faire les affaires des uns et des autres. Il tardait tout d'un coup à Eadwin de Rivenoire d'apercevoir la Porte des Anges pour la franchir. A l'Esplanade, il était certain qu'il serait plus en sécurité que par ici. Tandis que Luna vint jusqu'à lui pour s'agenouiller à ses côtés, Martille vérifia bel et bien que les deux grossiers personnages étaient morts. Une forme d’anagramme très révélatrice, ils l'étaient bien.

« Est-ce que je souffre beaucoup… ? » répéta-t-il, avec un léger rire nerveux. La question était partiellement stupide mais il n'osa pas se moquer d'elle tant il perçut la graine d'une sérieuse inquiétude dans son regard. « Les chevaliers ne souffrent jamais lorsqu'ils viennent en aide à une damoiselle en détresse. »

C'était un zéro à un. Luna venait tout à coup d'obtenir une information forte intéressante. Son salvateur, son héros était ni plus ni moins un chevalier. Elle devait se douter qu'il n'était pas un milicien lambda, mais un chevalier dans le Goulot ? Réellement ? Elle ne serait peut-être pas si surprise que cela, considérant que elle-même, Châtelaine de son rang, s'était mise en grave danger dans ce lieu indésirable et indésiré. Bien sûr, Eadwin de Rivenoire souffrait mais par fierté, il ne l'avoua pas. Il préféra s'en tenir à cette formulation typique d'homme courageux et téméraire pour ne pas inquiéter la belle en détresse. Comme dans les contes de fées, c'était bien mieux ainsi. Martille était moins… sotte ? Était-ce vraiment le mot ? Non, elle avait assisté aux premières loges aux péripéties du chevalier. La brutalité des coups portés, son moment de vacillement. Il avait beau être un colosse, les frappes encaissées avaient été réelles. Le bruit de la chair qui battait la chair n'avait absolument rien de simulé. Elle-même avait été frappée à plusieurs reprises par ses deux bourreaux avant que le chevalier de Traquemont n'intervienne pour la sauver de cette situation sordide. Pour le moment, Eadwin de Rivenoire était immobilisé au sol, sa jambe blessée recroquevillée pour permettre à Luna d'épancher le sang avec la chemise d'homme.

« Tu n'as rien à faire… Je ne veux pas de remerciements… Je... »

Quelque chose clochait. Quelque chose était hors norme. Jusqu'à présent, Eadwin de Rivenoire n'avait pas eu le temps d'observer fixement, dans une condition de repos, la Châtelaine Montoya. Son regard était fuyant, elle n'osait pas le regarder dans les yeux mais lui ne se priva pas pour l'observer de haut en bas. Elle ne portait pas les habits d'une catin et encore moins ceux d'une pauvre. Il fallait y remettre un peu d'ordre, certes, tant sa tenue avait été chamboulée et malmenée par toutes ces péripéties mais en complétant le tableau, il devint plutôt net que Luna était plutôt richement vêtue. Quelle était donc cette mascarade ? Pas encore de quoi lui attribuer le titre de Montoya cela dit. Seulement de sérieuses suspicions quant à sa véritable personne. A vrai dire, en reprenant les choses dans le bon ordre, il ne savait pas qui avait été mise en danger la première. Martille pouvait bien avoir été l'agressée et Luna, prenant la fuite, être venu à sa rencontre pour quérir son aide. Ce n'était pas la réalité mais pourtant, il n'était pas si loin que ça de la vérité. Il remarqua également que Luna Montoya ne se sentait pas en confiance ici. Elle avait compris qu'en cas de danger, le chevalier ne pourrait peut-être pas la défendre cette fois.

« Tu sais, Luna… Il n'y a plus de danger. Si tu l'es encore, mes forces vont me revenir et je vais botter les fesses de ceux qui te veulent du mal. »

Eadwin de Rivenoire, même s'il n'en était pas certain, voulait essayer d'être rassurant. Luna n'avait pas la pêche, trop inquiète de ce qui allait advenir d'elle. Il était d'ailleurs bien loin de se douter de ce qu'elle pouvait réellement penser. La petite Châtelaine Montoya, sauvée par un chevalier de Traquemont dans le Goulot, quartier le plus malfamé de Marbrume. Si cela s'ébruitait, son honneur et sa réputation seraient mis à mal. Tout de même, Eadwin tendit une main pour attraper le haut de sa robe et la relevant un petit peu pour couvrir son épaule nue. Oui, il lui paraissait maintenant évident qu'elle ne pouvait pas être une prostituée, sans savoir qu'elle pouvait être de la famille Montoya pour autant.

« Tout s'est passé si vite… Nous n'avons pas eu le temps d'échanger beaucoup… Seulement des nécessités… Ces odieux personnages ne t'ont pas fait de mal, au moins ? »

Il avait maintenant le temps de s'intéresser plus amplement à elle. Une première chose évidente était alors de s'assurer qu'elle ne souffre pas plus que lui. Il souhaitait qu'elle soit juste choquée d'avoir été poursuivie par ces deux monstres. Monstres ? Il déglutit soudainement. Alors qu'elle devait probablement être en train de lui répondre, il se redressa partiellement pour se mettre presque assis en jetant un regard pressé et inquiet aux deux cadavres. Il soupira, se rappelant qu'il y avait encore quelque chose à faire. Il attrapa alors la chemise d'homme, faisant comprendre à Luna qu'elle pouvait la lâcher, et se fit un garrot tant bien que mal pour faire cesser l'hémorragie. Il commença alors à ramper, se servant du bas de son corps et de son bras droit pour se déplacer vers l'un des deux premiers cadavres.

« Je suis désolé, Luna. Je dois encore faire quelque chose… Si je ne le fais pas, il risque d'y avoir d'autres victimes. Si je ne le fais pas… Ils vont rejoindre le Fléau. »

Elle ignorait encore qu'il était de Traquemont, l'un de ces braves qui combattait la Fange depuis des mois dans le cœur des marais de l'Obliance. Il l'avait appris durant son séjour à Marbrume, le Temple de la Sainte Trinité exigeait que l'on brûle les cadavres pour éviter tout problème avec le corps d'un défunt. A Traquemont, ce procédé était également employé lorsque l'on avait le temps et si ce n'était pas le cas, on pouvait toujours leur couper la tête ou leur arracher le cœur. Il ne savait pas vraiment sur Luna comprenait ce qu'il venait de raconter mais cela lui était bien égal. En agissant ainsi, il allait sauver d'autres vies. En s'approchant de Mehanise, il ramassa le couteau qu'il avait tenté d'utiliser contre lui tantôt et le rapprochant donc de sa poitrine. Il jeta un coup d’œil hésitant vers Luna, en espérant qu'elle eut le réflexe de regarder ailleurs. Il ne souhaitait pas la choquer d'avantage mais cette opération passait avant ses états d'âmes. Ainsi, il logea profondément le couteau dans la cage thoracique du défunt pour le remuer à l'emplacement supposé de son cœur. I répéta l'opération, à des endroits similairement proches, pour gagner la certitude qu'il n'avait pas manqué l'organe vital.

« Sans cela, ils vont devenir des Fangeux. J'espère que tu comprends. »

Il se hissa ensuite à hauteur de Madothere, le porc qu'il avait surpris en train de souiller sexuellement parlant Martille tout à l'heure. C'était celui qui avait réussi à l'agresser d'un coup de massue par surprise. Eadwin de Rivenoire ne regrettait pas de les avoir tués, il avait fait bien pire que ça dans sa vie jusqu'à présent, mais l'idée d'avoir rendu veuve une femme, même battue par son propre mari, le poussait à réfléchir quant à la portée de ses actes. Lorsque le Haut-Prêtre de Tourres, Philippe, lui avait demandé de consacrer le reste de son existence à répandre le bien au travers de ses actions et à lutter contre la Fange, ce n'était pas vraiment ce qu'il s'était imaginé faire pour obtenir sa rédemption. Tant pis, ce qui était fait était fait. Ainsi, il planta à nouveau le couteau dans le second cadavre en suivant le même procédé.

« Humpff… Ils ne méritent pas une telle attention… Mais s'ils se relèvent, nous ne pourrons vraiment rien faire. »

Eadwin de Rivenoire abandonna donc les deux cadavres pour revenir auprès de Luna. Il fallait maintenant réfléchir à une issue de secours, une porte de sortie. Il avait remarqué que Martille s'en était allée, mais où au juste ? Il n'allait pas tarder à le savoir. Grâce aux explications d'Eadwin, même si elle ne le consentait peut-être pas, elle devait au moins avoir compris l'importance d'achever les deux hommes pour de bon. Le calme venait à nouveau de s'installer, s'accaparant toute l'atmosphère ambiante. Luna fit à nouveau preuve d'une politesse déconcertante pour la prostituée qu'elle ne pouvait définitivement pas être. Lorsqu'elle demanda donc si elle pouvait être utile, il attrapa avec délicatesse ses deux mains et les posa contre son genou blessé.

« Je te laisse surveiller ma blessure. » dit-il, tout d'abord, en fermant les yeux comme pour se reposer. « Ah… Au fait, je suis Eadwin de Rivenoire, Chevalier de Traquemont. Si tu veux vraiment faire quelque chose pour moi, lorsque l'on te demandera ton avis sur ma Châtelaine, Yseult de Traquemont, est-ce que tu pourras exagérer un petit peu et dire des bonnes choses sur elle ? »

Il rit de bon cœur, comme pour essayer de détendre l'atmosphère. Il venait tout juste de sauver des vies, c'était donc le moment idéal pour intimer l'idée à Luna qu'elle était en redevable envers sa forteresse et sa châtelaine. En vérité, Traquemont n'agissait pas pour gagner des faveurs personnelles mais se contentait de suivre son instinct et ses valeurs. Cela dit, si une jeune femme pouvait répandre de bonnes rumeurs à leur sujet, ce serait vraiment bénéfique pour mieux se faire accepter par Marbrume. Soudainement, une voix presque familière s'éleva pour mettre un terme à leur conversation. Il s'agissait de Martille, de retour avec un homme, un médecin.

« Messire le Chevalier, Damoiselle Montoya, je suis de retour avec un guérisseur. Il va vous aider. »

Un médecin, c'était plutôt une bonne nouvelle. Eadwin de Rivenoire soupira de soulagement juste avant de… Hein ?! Elle venait vraiment de prononcer « Damoiselle de Montoya » Luna Montoya ?! La jeune châtelaine connue à travers Marbrume portant le même nom ?! Il cligna des yeux et se redressa vivement en observant Luna, l'air presque, non, l'air vraiment choqué.

« Vous… Vous… Vous… Vous êtes... »

La situation devint tout à coup on ne peut plus ridicule. Vraiment, il avait sincèrement pensé que la Châtelaine Montoya était une prostituée du Goulot ? Même s'il n'y pouvait rien, il se sentait mal à l'aise de faire cette constatation. Plutôt brusquement, la scène porta à confusion. Le regard que Eadwin lança à Luna était à mi-chemin entre de la colère, du désarroi et de l’incompréhension. En colère, il l'était parce qu'il ne s'était pas douté un seul instant qu'elle puisse être une Noble. D'incompréhension, parce qu'il ne comprenait pas ce que la damoiselle Montoya pouvait bien faire ici. Du désarroi… Parce que même lui pouvait à peine mentalement supporter ce qui était en train de se passer. Oh, il n'allait pas la lâcher comme ça, elle allait devoir lui rendre des comptes.

« Luna de Montoya. Vous êtes… Luna Montoya. »

Il n'en revenait pas, comme s'il refusait d'admettre cette évidence. L'attitude de l'intéressée paraissait désormais encore plus gênée qu'avant, sans doute décontenancée d'être mise à nue ainsi devant son sauveur. Peut-être avait-elle espéré qu'il ignore cette étrange vérité jusqu'au bout et le perdre de vue dans le Bourg-Levant, non loin de la Porte des Anges. Ils n'auraient pas été obligés de la passer ensemble. Maintenant, les choses étaient un peu différentes. Sauf contretemps regrettable, il fallait parier que Eadwin de Rivenoire conduirait Luna Montoya jusque chez elle. Il ne pouvait pas la laisser prendre la route seule, pas après s'être mise en danger de cette façon-là. C'était à la fois irrationnel et irresponsable !

« Vous allez devoir m'expliquer certaines choses. Je me sens si… bête. Oui, bête, c'est le terme. Je vous ai prise pour une… résidente du Goulot ! … Et je découvre maintenant que vous êtes Luna Montoya ?! Ahhhh, fichue jambe ! »

« Calmez-vous, Messire le Chevalier. Ce n'est pas si grave. Vous avez sauvé la Damoiselle Montoya et la putain du coin. Arrêtez de bouger, sinon le médecin pourra rien faire pour vous. »

Martille était bien plus sage qu'elle ne voulait bien le paraître jusqu'à présent. Elle ne pouvait pas comprendre la colère, l'emportement d'Eadwin vis à vis de cette situation. En même temps, il fallait être lucide, en connaissant la vérité dès le début, peut-être se serait-il contenté de quitter le Goulot sans prêter la moindre attention à Martille. C'était une sorte de mal pour un bien peut-être, finalement. Le médecin se consacra ainsi donc à la tâche qui lui incombait, analysant et traitant la plaie sanglante du chevalier avec des herbes médicinales. Il pourrait ensuite lui faire un solide bandage et essayer de minimiser un peu les bleus qui ornaient son visage.

« Dès que je peux marcher, nous partons. Je dois vous mettre en sécurité, Damoiselle Montoya. Nous ne sommes pas à l'abri, ici. »
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MessageSujet: Re: On peut dormir, la ville veille... [Eadwin & famille]   On peut dormir, la ville veille... [Eadwin & famille] EmptyMar 21 Juin 2016 - 6:27
Il est en train de craquer. Songea-t-elle tandis qu'un petit rire nerveux s'élevait de ses lèvres à lui.
Il est gravement choqué. En conclut-elle et sa mine se fit affolée, comme si elle avait en elle des savoirs de médecin incomplets. Mais peut-être était-ce réellement le cas, bien que totalement déformés. Après tout, Mère, elle aussi, plongeait dans l'hystérie chaque fois que Père se montrait trop désagréable avec elle et de sa gorge tremblante sortaient alors des notes aiguës, aigres et agités. Le traitement indiqué dans ces moments-là, ceux où elle marronnait, était fort simple : laisser filer les heures en faisant tapisserie à son coté. En silence, si cela était possible. Ainsi l'on évitait de devenir témoin actif de ses imprécations.
On ne pouvait hélas en faire autant avec le pauvre hère en armure lourde et sa blessure gouttant. N'avait-il pas déjà perdu plus de l'équivalent d'une grosse saignée ? Ou bien avait-elle mal estimé ces tâches couleur vin qui commençaient à bien trop salir le parquet ? Ah, le savoir se vidant de son sang n'arrangeait rien à l'affaire. Il souffrait donc bel et bien, cet homme qui se présentait tel un chevalier. Mais la phrase tenant plus d'une discussion badine que de celle d'un mourant eu au moins le mérite de calmer en partie l'effroi qui la saisissait.

Il n'allait pas décéder maintenant. Ou peut-être que si ? N'y avait-il pas dans toutes familles des histoires étranges de personnes se mourant et se comportant avec plus de fermeté et de délicatesse qu'auparavant ? Oui, non, ces gens-là généralement n'étaient-ils pas plongés avant tout dans une léthargie que le messire n'avait pas subi ?
Elle pria mentalement les dieux – tous les trois – de guérir son protecteur d'un soir, de faire disparaître la vilaine plaie et de rendre serein son mental, alors que Eadwin tentait de la rassurer encore en ajoutant qu'elle était en sécurité. Ah ne délirait-il pas le brave homme ? Si, sans doute un peu, puisqu'il approcha l'une de ses mains tannées de son épaule dénudée.
Et la jeune fille devint cramoisie, sans pour autant se mouvoir. A peine baissa-t-elle un peu plus la tête et se tendit-elle davantage légèrement. Offrir le luxe de la toucher ainsi à un inconnu était rare. Mais aucun ne l'avait défendue autant d'un autre coté.

«  Je… N'ai aucune plaie. »

Réussit-elle à murmurer doucement et mécaniquement en faisant « non » de la tête à l'intention de son interlocuteur tandis qu'il s'inquiétait des sévices qu'on avait pu lui faire subir. Elle ne le mira pas pour autant, ne se sentant point prête à lire dans son regard une pitié qu'elle n'estimait pas mériter pour des abus qu'elle n'avait pas eu à vivre. Ils auraient pu faire pire. Bien pire. Elle s'en tirait à bon compte avec des bleus, des petites bosses à force d'avoir voulu courir et s'être ramassée contre un mur ou deux et des affaires déchirées. Et à présent qu'elle avait goûté à un avant-goût de leurs capacités, les monstres du Goulot l'effrayaient. Comme tout à l'heure, dans les couloirs. Dans l'escalier en colimaçon qui lui avait paru si petit, si étouffant, si grand et si empli de ténèbres mauvaises à la fois. Elle en percevait partout, même dans l'air simple et vicié.

Elle ouvrit la bouche, tenta d'ajouter quelque chose pour minimiser les dégâts qu'elle avait dénombré, mais n'y parvint pas. Les doigts de l'homme s'approchaient des siens. Elle les retira vivement tandis qu'il se saisissait de la chemise et la nouait fermement. Et la donzelle profita de l'interlude pour le dévisager brièvement et la remarque de Martille en profita pour revenir en sa mémoire. Il venait d'ailleurs. Mais où était-ce, ailleurs ? Etait-il un réfugié comme il y en avait tant depuis le début de la fange ? Un mercenaire allant par monts et vaux ? Un guerrier du Labret ? Ou de Traquemont ?
Nulle réponse ne lui vint ; elle qui ne savait faire de différence entre du fer moyen ou d'excellente qualité ne put déterminer de quelle zone exactement son chevalier provenait. La suite lui prouva juste que l'intuition de sa compagne d'infortune s'était montrée bonne. Il venait bel et bien d'ailleurs. Il n'y avait nul doute à cela, se murmura-t-elle en tentant de se relever pour rester proche de lui, inquiétée en le voyant se mettre à ramper vers les cadavres. Il venait d'ailleurs, c'était obligatoire. Parce que personne ici ne lui avait parlé de l'utilisation de cette méthode pour expédier les morts directement dans le jardin d'Anür sans ni passer par la case fangeuse ni gagner une seconde vie.
Et la jeune fille qui s'était redressée sur ses pieds, à peu de distance d'Eadwin, eut à peine le temps de chanceler jusqu'à un pot crasseux qu'elle vomit toute la bile que contenait et ne contenait pas son ventre vide. Elle ne termina que tardivement de rendre toute l'horreur qu'elle avait vécu. Et à peine s'humecta-t-elle la bouche avec un mouchoir tiré de son sein que son protecteur s'était déjà réinstallé à l'aise. Un coup d’œil vers les cadavres lui assura qu'il avait terminé son ouvrage déroutant, tant les torses mâles étaient couverts d'un rouge qui ne laissait pas de place au doute. - Il y avait trop de fleurs écarlates pour qu'ils ne soient pas moribonds pour de bon.

Titubant, elle revint auprès de son sauveur - à un pas à présent - et lui reproposa donc poliment et en balbutiant de s'occuper de lui, ce qu'il accepta en lui prenant les mains une fois qu'elle se fut presque affalée à son coté . Le tout la fit lâcher le morceau de tissu qu'elle portait encore parfois à ses lèvres, mais elle ne chercha pas à le ramasser.
La mention ensuite de son nom à lui l'aurait fait pâlir davantage si cela avait été possible, mais ses joues d'albâtre ne pouvaient plus atteindre le stade en dessous de leur blanc actuel sans devenir translucides. Au moins cela cacha-t-il en partie son trouble que ses poignets trahirent. Elle faillit en effet relâcher le bandage qu'il lui avait mis dans ses menottes et ne se rattrapa qu'à grande peine. Ses cils battirent un instant vivement.
Un noble. Elle avait donc eu le droit à la totale ce soir et se retint de défaillir en se mordant la langue. Un sang-bleu et des emmerdes qui allaient en mener d'autres encore. Oh que souhaitaient lui faire payer les déités ? Il allait falloir qu'elle interrompe ses ballades nocturnes. Ou pas, de toute manière, elle n'oserait plus y retourner seule, elle le ressentait déjà. Il y allait avoir un scandale, peut-être. S'il apprenait qui elle était d'une manière ou d'une autre et ne se montrait pas discret. Père allait être dévasté, Mère aussi. Il… Elle… S'ils se recroisaient simplement plus tard, ne pourrait-elle donner le change en faisant croire que la femme qu'il avait secouru cette nuit n'était pas elle, mais une lui ressemblant terriblement ? Pouvait-elle acheter son silence ?
Elle hocha la tête, absente, en l'entendant poser une question. Que voulait-il encore ? Elle n'avait entendu que le son, pas les palabres. La voix de Martille la fit se tourner à moitié et vivement vers la porte. Une sensation de vertige la prit suite à ce geste trop rapide et en entendant son nom de famille. Si bien qu'elle dut s'appuyer sur une paume qu'elle flanqua sur le sol en déglutissant pour continuer à se tenir à peu près bien assise.

Oops !

… Le horriblement tremblant sourire très très très penaud et tout autant gêné qu'elle lui offrit ne parut guère faire un quelconque effet sur le chevalier de Traquemont ou l'émouvoir un temps soit peu. Le regard qu'elle intercepta de sa part ne lui laissa aucun doute : il n'était pas heureux de ne pas avoir appris son appellation auparavant. Choqué par sa conduite, sûrement, il devait maintenant la considérer telle une enfant perdue de réputation et elle se sentit à nouveau baisser le menton. L'air de rien, si ce n'était celui d'une jeune élève se faisant gronder par son professeur, elle chuchota, piteusement, suite à sa répétition à lui, un terme qu'elle ne réservait qu'à peu :

« Mon seigneur. Je… Suis honorée de vous rencontrer. »

Honorée, elle l'était. Enfin en partie. Pas vraiment, mais si, en même temps. Elle était honorée, oui, d'avoir été sauvée par si illustre personnage. Quelques rumeurs à son sujet avaient traversé les hautes et lourdes murailles de Marbrume et elle se surprit à se traiter d'idiote. L'Ours devant elle ne répondait pas totalement aux critères qu'on lui avait chuchoté à l'oreille. Il ne tenait pas tant que cela de l'animal. Oh il était bien velu à sa manière, l'homme fidèle de Dame Yseult, mais il n'avait ni croc, ni griffes, si ce n'était son épée à sa taille. Et s'il s'était montré rustre par certains aspects ce n'était que parce qu'il ne connaissait guère son rang, comme il lui expliqua indirectement ensuite. De même il n'apparaissait point si chaotique que l'on le laissait entendre. Ou peut-être l'était-il réellement, mais ailleurs, face aux fangeux par exemple que l'on disait peu de taille vis-à-vis de sa vindicte.
Bref, elle était honorée, vraiment, de mettre son nom sur son visage. Et pas du tout. Parce qu'ils n'avaient jamais été présentés avec bienséance et parce qu'il l'avait trouvée dans un état atroce. Et puis parce qu'il avait le pouvoir, à présent, de détruire toute sa vie. En un mot, un seul et unique, il pouvait réduire à néant toutes ses chances de faire un mariage permettant à sa famille de subsister jusque la fin des temps. Une palabre qu'elle n'était pas assurée que l'honneur ne le forcerait pas à prononcer. Voilà qu'elle se retrouvait donc doublement condamnée. Juste parce qu'elle avait souhaité une fois encore partager de la nourriture.

Le dos à nouveau bien droit suite aux paroles déplacées et dignes d'une cour qu'elle avait prononcé, elle inclina la tête à l'égard de messire de Rivenoire en un « oui » intimidé en réponse à ses interrogations non posées, puis se redressa lentement pour que le médecin ait toute la place nécessaire à son art. Il semblait que la présence reconnue d'un autre sang-bleu ainsi que le rappel de son nom lui remémorait peu à peu ses devoirs les plus importants : toujours bien se comporter, notamment, que la circonstance prête à s'évanouir ou à rire aux larmes de désespoir. Ou encore oser requérir de l'aide dignement auprès des bonnes personnes. Et ce fut presque en parfaite invitée, si l'on exceptait le tremblement qui traversait sporadiquement ses mains et ses lèvres, qu'elle demanda de sa voix douce à Martille un objet féminin indispensable à sa fierté blessée :

« ... Auriez-vous s'il vous plaît une… Une longue cape, ma dame, à me prêter ? »

Les yeux de la péripatéticienne se détournèrent d'Eadwin qu'ils n'avaient pas quitté au profit de Luna. Et bientôt la damoiselle fut observée à nouveau, jusqu'à ce que leur hôtesse ait fini de décider qu'elle avait fait le tour des déchirures qui bordaient la tenue de la donzelle en question. Elle se dirigea vers son coffre, sans un regard pour les cadavres qui ornaient son parquet ou du badinage pour les vivants.
De là, elle ne sortit guère le vêtement tant désiré, mais un pichet qu'elle vida en partie dans un duo de chopes peu travaillé. D'une main experte, elle en tendit ensuite une au chevalier affalé, puis l'autre à la fille Montoya qui s'était éloignée assez lentement vers la porte, comme pour s'écarter le plus possible de leur bourru ange gardien sans pour autant le fuir. La sang-bleu avait failli chuter une fois, dans son entreprise, sa patte folle étant trop engourdie et éreintée. A présent elle s'était arrêtée, les doigts de sa main gauche effleurant parfois le mur le plus proche pour l'aider à tenir droite et debout.
Le breuvage quant à lui piquait la bouche, les papilles de la langue, le palais puis la gorge. Trop brut, trop fort, plus décapant qu'autre chose, il n'en restait pas moins une merveille pour l'endroit. Un délice trop cher pour un ivrogne que de la pisse alcoolisée suffisait à saouler.
Luna manqua de s'étrangler à la première gorgée et n'en tenta point une seconde. La chopine changea alors de paume en silence lorsque Martille lui refila un manteau tiré de sous la paillasse qui couvrirait assez les déboires de sa robe. L'alcool restant disparut en trois gorgées gloutonnes dans la panse de la putain, puis la choppe fut à nouveau remplie et proposée au soigneur occupé . On ne gâchait rien, ici.

« Je vais voir si les voisins sont levés. Si vous restez ici, personne viendra vous embêter. »

Fit à la cantonade l'habitante des lieux rapidement et mornement avant de mater à nouveau et en particulier le chevalier trituré par l'herboriste.

«  Restez calme et laissez-vous soigner si vous voulez vraiment vous tailler vite. Mais moi j'ai besoin d'aide, pour mettre le corps de mon mari et celui de son ami là où il faut. »

Elle se dirigea vers le seuil, s'y arrêta et fit une grimace en tournant la tête pour mirer encore l'homme armuré. Pensait-elle à faire enterrer et non brûler les monstres ? Non, peut-être pas puisqu'elle ajouta simplement :

«  Et quoi que vous dise l'autre, j'l'ai déjà payé. »

L'autre devant être, sans nul doute, le rebouteux. Dans tous les cas, on entendit bien vite l'escalier grincer. Le son des pas lourds de la veuve qui résistait pour ne pas se montrer éplorée se fit décroissant pour la seconde fois. Puis un court silence s'installa, comme la dernière fois, sauf que maintenant ils étaient trois en plus des cadavres…

Le manteau en laine grisâtre et non teinte avait peu fière allure. Sur le dos de la nobliaute qui le gardait fermé comme s'ils se trouvaient tous en plein air dans le froid, il apparaissait plus gros qu'il ne l'était réellement. Au moins était-il chaud et sa chaleur avait-elle visiblement calmé quelque peu les tremblements de sa nouvelle propriétaire. Ainsi camouflées, ses imperfections propres la choquaient moins, réellement. Son armure était redevenue presque complète grâce à sa maille régulière. Plus aucun bout de peau indécent n'était en effet plus visible et même ses mains graciles se cachaient à moitié dans les plis de la laine.
Elle frissonna à nouveau cependant, quand ses yeux se portèrent sur les morts, puis encore sur Eadwin. Le médecin s'appliquait à ouvrir quelques fioles qu'il tirait d'un sac préparé sans doute en urgence pour soigner un blessé dont il ne savait rien. Lui donc, tout à son travail, n'avait pas remarqué que l'inquiétude qu'elle éprouvait pour la santé mentale de son patient avait disparu inconsciemment depuis un bout de temps – quand il s'était nommé. Un fou à moitié mort ne connaît pas son nom, non ? -, mais avait été remplacée par d'autres craintes ainsi que d'autres questions sans réponses. N'avait-il guère dit qu'elle ne risquait rien à son coté et ce malgré ses blessure à lui ? Alors pourquoi vouloir la ramener à l'Esplanade, même si elle ne mandait que cela tant qu'il ne réveillait pas toute sa maisonnée ? Allait-il la sermonner longuement ? Pourrait-elle se glisser dans ses draps bientôt ? Vite.
Elle ferma ses paupières quand son regard fut à nouveau attiré malgré elle par les cadavres trucidés et se remordit l'intérieur des joues. Puis, après une inspiration, la jeune femme déambula tel un somnambule bourré vers la fenêtre crasseuse pour fixer les contours flous de l'extérieur et ne plus rien percevoir d'autre.
Messire de Rivenoire méritait des excuses. Il lui fallait lui en donner.

«  Je vous prie de pardonner ma méprise, mon seigneur. Si j'avais su que vous étiez noble e... Dès notre rencontre…  »

Elle ne termina pas sa phrase balbutiée alors, entrouvrit les pans qui la couvraient et posa des doigts sur la vitre. Je ne vous aurais jamais abordé. Ou plutôt si. Ne mens pas Luna. Malgré tout. Il était mon seul espoir visible. Sa vue trouble était fixée sur un ailleurs qui n'était pas le reflet d'Eadwin à qui elle tentait de refiler un temps soit peu d'intimité sans trop s'éloigner au cas où l'on avait soudainement besoin d'elle.

« Je me suis fourvoyée… Sans véritablement le souhaiter plus que cela. Je veux dire que… »


Reprit-elle plutôt, après deux trois secondes, s'enfonçant dans des explications liées à sa conduite de plus en plus pourries et dignes d'une petite fille.

« Vous savez combien donner son nom à un ou… Ou une inconnue dans le Goulot n'est pas sans risques. Si le fait que vous étiez un fripon déguisé s'était avéré…  »


Conclut-elle piteusement avant de souffler avec un soulagement évident et sans lui reprocher d'avoir eu la même prudence à son égard à elle. Par politesse une fois encore, sans nul doute.

« Mais fort heureusement tel n'était pas le cas . Il… »

Encore un silence. Eadwin put entendre son interlocutrice prendre une grande inspiration. Dans le reflet de la vitre, il ne fut pas trop difficile de la percevoir fermer ses paupières et enserrer doucement ses poings, de telle manière à ce que ses ongles s'enfoncent dans ses paumes. Elle parut décidée à se concentrer sur le sol pile devant ses petons à elle.

«  Je vous promet les réponses que vous souhaitez. Si vous… Enfin de même, mon seigneur si un scandale devait éclater je… J'en prendrai l'entière responsabilité.  »

Elle hocha la tête, à peine, avant de reprendre un énorme souffle pour lâcher, le plus solennellement possible dans son état :

«  Je vous le jure, si... Cela est votre désir et sur tout ce que je possède de plus cher au monde. Le… Les conséquences d'une telle rumeur vous atteindront le moins possible. »


Oh comprendrait-il seulement par là qu'elle désirait que tous deux en évitent un - de scandale - de par leurs actions une fois au sein de l'Esplanade ? Entre autre, bien entendu. Ne pas prévenir ses parents - et quiconque en fait - de son escapade ayant mal tourné serait un plus bienvenu, si le chevalier n'y voyait rien à redire.
Elle osa prier mentalement Anür pour que son sauveur ne prenne pas mal son souhait de le protéger indirectement à son tour en se proposant comme l'unique coupable si tout se déroulait mal. Après tout, venir à son secours lui avait déjà couté plus qu'il n'en fallait. Il n'était pas juste qu'il soit le seul à payer... Et l'honneur n'appartenait pas qu'au mâles en armure.
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MessageSujet: Re: On peut dormir, la ville veille... [Eadwin & famille]   On peut dormir, la ville veille... [Eadwin & famille] EmptyVen 24 Juin 2016 - 0:47
Il avait provoqué des vomissements inutiles à Luna Montoya. Il ne les regrettait pas vraiment, convaincu que ce qu'il avait fait était nécessaire… mais vain. La triste réalité, c'était que Eadwin de Rivenoire faisait preuve d'une certaine méconnaissance. Contrairement à ce qu'il revendiquait, les deux brigands ne se relèveraient pas s'ils n'avaient pas été mordus au préalable. De plus, planter une dague dans le cœur éteint, d'une façon plus ou moins préventive ne servait à rien. Par expérience, il savait que ceux qui étaient destinés à se relever dans la Fange pouvaient accomplir cette funeste tâche en moins d'une heure. Il allait falloir prévenir la Milice et les conduire les cadavres au Temple de la Sainte Trinité pour les brûler. Accompliraient-ils cette tâche en moins d'une heure ? Il n'y croyait pas vraiment. Depuis les deux décès, dix bonnes minutes s'étaient déjà écoulées. Selon les témoignages, certaines victimes pouvaient mettre plusieurs jours avant de basculer dans le camp de l'ennemi commun. Comment pouvait-on agir efficacement contre cela ? Sans preuve tangible, Eadwin de Rivenoire pensait qu'il suffisait de percer leur cœur ou de couper leurs têtes avant qu'ils ne se relèvent dans la Fange. Ce n'était pas un sujet qu'il avait traité comme un spécialiste et comme on parvenait souvent à purger ces soucis-là par le feu, ce genre de situations demeuraient exceptionnelles. On ne retiendrait alors que deux choses : il se trompait lourdement et Luna Montoya vomit. (#sexy) Le plus grave, c'était certainement d'avoir réalisé le pot-aux-roses. Elle faisait une bien piètre prostituée désormais et il comprenait d'où venait cet air chérubin et ses nombreuses preuves de politesse. Elle paraissait néanmoins tout aussi, voire plus gênée que lui. C'était tout à fait cocasse comme situation après tout. En temps normal, Eadwin de Rivenoire n'aurait jamais du se trouver ici et il y avait fort à parier que Luna Montoya ne se mettait pas en danger aussi régulièrement lors de ses descentes dans le Goulot.

« Honorée ? Ah. Peut-être. Je suis aussi honoré mais également désappointé. »

C'était comme si il ne comprenait pas vraiment ce qui était en train d'arriver. La Châtelaine de la famille Montoya, Luna ? Curieusement, ce n'était pas la première fois qu'il entendait parler d'elle. Tout d'abord, en Janvier de l'an 1165, Yseult de Traquemont lui avait assez simplement confié qu'elle serait l'une de ces jeunes têtes à suivre dans les années à venir, ces familles qui ne seraient pas à négliger. Ensuite, il fit le lien avec la nièce de son père Samuel, Aelys de Beauval qu'il rencontra au moins une fois lors du mariage de Ventfroid. C'était donc elle, la fameuse Luna ? Il ne savait pas vraiment comment réagir. Il lui en voulait un peu de ne pas s'être présentée avec son titre mais serait-il venu au secours de la vraie prostituée de l'histoire ? Il n'en était pas moins certain. De plus, commencer à s'agiter alors que le médecin était en train de soigner sa blessure au genou gauche serait très certainement une mauvaise idée. De plus, elle semblait craindre quelque chose mais il n'aurait su dire quoi. Il ne pouvait pas se douter qu'elle craignait de savoir qu'il pouvait maintenant faire de sa vie un cauchemar en dénonçant cette regrettable esclandre à laquelle elle était liée. Non, Eadwin de Rivenoire n'agirait certainement pas comme ça. Pourquoi se mettre à dos une Châtelaine à qui il venait juste de lui sauver la vie ? Tout au plus, il retiendrait qu'elle avait une sérieuse dette envers lui. En fonction d'événements à venir, c'était beaucoup plus intéressant.

« Je ne comprends pas vraiment ce que vous faites dans le Goulot. Ne songez pas encore à me demander ce que moi je fais ici, là n'est pas le sujet ! » dit-il, en prenant un ton de façon à la réprimander. Il fallait qu'elle comprenne qu'elle avait mis sa vie en grave danger. C'était intolérable et enfin, il se rendit compte que la divulgation de cette information pourrait nuire à sa réputation. « Vous êtes venue seule ? Sans escorte ? Il n'y a donc aucun chevalier, aucun garde du corps pour vous accompagner en supposant que votre présence ici est… légitime ? » gronda-t-il. « Vous avez de la chance d'être tombée sur moi, sérieusement. Qu'est-ce que diraient vos parents s'il vous arrivait quelque chose ? Et Aelys ?! »

Aelys. On y était. Il venait de lâcher l'information pas tellement attendue mais sortie du cœur. Connaissant la couturière depuis le mariage de Ventfroid et à l'égard de ce qu'ils avaient bien pu partager ensemble, peu importe la teneur, il savait que Luna comptait pour son amie. Il pensait donc qu'en lui faisant se rendre compte que des proches tenaient à elle en les citant, cela lui permettrait de pleinement réaliser la bêtise qui l'avait conduite à se mettre en danger. Pour Eadwin de Rivenoire, le jugement était sans appel. Lorsque l'on était Luna Montoya, on ne pouvait pas s'aventurer dans le Goulot sans une personne de confiance apte à la protéger. C'était fou, dangereux et insensé !

« Je pourrai même ajouter qu'à cause de vous, je vais boiter salement pendant quelques jours. Mais… C'est ma responsabilité, j'ai choisi de vous venir en aide et de me mettre en danger, donc je ne vais pas le faire. »

Oui, il boiterait pendant quelques jours, certes, mais Luna Montoya vivait avec cela depuis bien plus longtemps. Il ne l'avait pas encore remarqué. Il ne s'était pas interrogé lorsqu'elle avait peiné tout à l'heure à suivre son rythme dans les rues délabrées du Goulot, pensant simplement qu'elle avait du se faire mal à cause d'une chute malvenue. Oh, si ce sujet tenait à cœur à la jeune fille, peut-être verrait-on enfin jaillir un soupçon d'orgueil ? En sa qualité de châtelaine, elle pouvait tout à fait choisir de remettre le chevalier de Traquemont à sa place si elle jugeait que cela était nécessaire. Ce n'était pas sa suzeraine, seule Yseult possédait son allégeance mais il ne tenait pas non plus spécialement à mal se faire voir par la représentante des Montoya.

Martille apporta ensuite les capes, puisqu'il en demanda également une pour lui, ainsi que les boissons pour ses deux invités de fortune. Il fallait être prudent, analyser davantage la situation. D'un moment à l'autre, Luna Montoya pouvait décider que le chevalier avait suffisamment servi et l'abandonner ici, notamment si elle pensait qu'il pouvait représenter un réel danger pour sa réputation. Elle serait peut-être cependant bloquée par la peur de faire une nouvelle mauvaise rencontre. La sortie du Goulot n'était pas la porte à côté et même s'il allait boiter comme elle, il était lourdement armé et apte à les défendre. Elle ne le savait pas mais Eadwin de Rivenoire excellait beaucoup plus avec un potentiel défensif plutôt qu'offensif. Si Yseult lui donnait l'ordre de tenir une position, de bloquer l'accès à une issue, ce n'était pas n'importe qui qui pourrait le déloger. De plus, il ne pouvait pas vraiment laisser Luna s'en aller toute seule. Apprendre le lendemain qu'il lui serait arrivé quelque chose alors qu'il avait la possibilité de l'en empêcher, ce serait tout bonnement insupportable. Il ne pouvait pas abandonner cette jeune sang-bleu alors que la noblesse était aujourd'hui menacée de disparaître. Comme Yseult de Traquemont le lui avait si bien dit, Luna Montoya représentait l'avenir de l'humanité. Du moins, c'était comme cela que Eadwin de Rivenoire considérait les choses.

« Désolé mais cet alcool ne donne pas très soif. »

Il renifla seulement, se montrant bien moins téméraire que Luna Montoya. C'était plutôt un comble, non ? Sur ce champ de bataille-là, elle prenait une longueur d'avance. Il ne faudrait pas oublier de remettre les pendules à l'heure, non mais. Ne s'en offusquant pas, et au contraire, profitant même de cette pinte supplémentaire, Martille l'ingurgita sans sourciller puis s'absenta en leur laissant quelques recommandations. Oui, il était grand temps de penser à faire quelque chose de ces deux cadavres. Il tourna la tête vers le médecin lorsque Martille lui adressa sa mise en garde. Vraiment ? Elle avait déjà payé pour lui ? Le regard de Eadwin de Rivenoire voulut tout dire. Si il tentait de l'arnaquer, il pouvait tout à fait lui rendre au centuple. Quant à la Châtelaine Montoya, elle avait rejoint la fenêtre pour éviter de regarder à nouveau les deux cadavres. En avait-elle seulement déjà vu d'aussi près ? Assassinés sous son regard ? Ce n'était peut-être pas le moment mais il osa se poser la question. Il regrettait presque d'avoir agit ainsi, faisant preuve d'autant de violence alors qu'il aurait pu régler cela de bien d'autres manières. Il ne pourrait pas l'avouer mais un sentiment de honte était en train de s'emparer de lui.

« Vous ne pouviez pas savoir. Tout s'est passé si vite. »

Elle était en train de se fourvoyer en excuse et en justification, estimant qu'elle en devait au chevalier de Rivenoire. Il ne pouvait pas blâmer cet élan d'honnêteté dont il était lui-même si friand et reconnaissait même davantage avoir pensé jusqu'ici à ses propres tracas et moins à ceux de Luna Montoya. Effectivement, s'il avait bel et bien représenté son seul et unique espoir, jusqu'à preuve du contraire, il avait détenu le potentiel d'être sa toute fin, sa damnation. Il fallait la comprendre, la pauvre petite. Secouée brutalement aux prises d'un ours féroce et peu galant dans une ruelle du Goulot, cela aurait été un événement bien trop traumatisant. Il comprit donc son hésitation et les raisons pour lesquelles elle avait tenter de cacher son identité. Pourtant, cela ne retirait rien à ce qu'il avait pu dire tout à l'heure. Elle avait été inconsciente de venir dans le Goulot sans protection rapprochée.

« Nous discuterons dans un lieu plus convenable, vous... »

Elle lui coupa presque la parole. Pourquoi parlait-elle d'assumer un scandale ? Elle était prête à assumer tout cela pour lui ? Pourquoi donc ? Pour être tout à fait franc, elle venait de le surprendre de façon plutôt agréable. Il n'en attendait pas tant, il n'était qu'un chevalier, chevalier qui lui avait sauvé la mise, certes, mais un chevalier tout de même. Il lui semblait ne pas mériter une telle considération. C'était… gentil et honorable, deux choses qui ne pouvaient pas laisser Eadwin indifférent.

« Mon seul désir, c'est celui de m'assurer que vous rentrerez bien auprès des vôtres. Je supporterai très difficilement d'apprendre une regrettable nouvelle. C'est une parole de vieil homme mais les jeunes femmes de votre génération ont aujourd'hui des responsabilités peut-être plus fortes qu'auparavant. Je mériterai le fouet si je vous perdai. »

Yseult de Traquemont, Grâce de Brasey, Luna Montoya, Ambre de Ventfroid et d'autres jeunes femmes. D'une façon ou d'une autre, le monde s'orienterait autour de leurs choix et de leurs conséquences. Certaines en avaient vraisemblablement conscience, était-ce le cas de la Châtelaine Montoya ? Puisqu'elle était venue ici sans la moindre escorte, il avait comme l'ombre d'un doute. Chacune détenait de fantastique et merveilleux pouvoir d'engendrer la vie. Il fallait les aider, certes, mais dans une époque où la noblesse était en déperdition et où le taux de mortalité grimpait de façon exponentielle… Eadwin de Rivenoire considérait comme un devoir de s'assurer que Luna Montoya rentre bien chez elle et comprenne ses erreurs. En tant qu'ancien, c'était les responsabilités qui lui incombaient. C'était en tout cas sa façon de voir les choses à l'heure d'aujourd'hui, ce n'était pas à l'abri de changer demain.

« Vous plaisantez ? Je ne vais pas prétendre que je me fiche de ce que l'on pense de moi mais… Cela ne me servirait-il pas que l'on sache qu'un étranger a réglé les soucis d'une native dans le Goulot ? Un chevalier apportant son aide à une châtelaine… Enfin, n'y pensez pas. »

Il se redressa, tant bien que mal. Le médecin ne tarderait pas à se retirer, l'application du traitement étant terminée. Un bandage en lin, il ne fallait pas attendre une grande qualité de tissu par ici, ornait son genou gauche. Appliqué à la tâche, le soigneur avait fait cesser les saignements, lui faisant part des recommandations habituelles. Il ne faudrait pas qu'il fasse trop d'efforts, et blablabla, et blablabla. Blabla. Blabla blablabla. Évidemment, le chevalier de Traquemont ne l'écouta que d'une seule oreille très peu attentive. L'échange avec Luna Montoya lui occupait bien trop l'esprit pour être honnête. Remerciant tout de même le brave homme déjà payé par Martille, ils le laissèrent se retirer en rappelant tout de même qu'il ne fallait plus tarder à régler la question des deux cadavres.

« Écoutez, Damoiselle Montoya. J'espère seulement que vous comprenez la gravité de la situation. S'il est nécessaire d'étendre cette discussion, nous le ferons dans un lieu plus approprié. Cette nuit, vous êtes de ma responsabilité.  »

Tant bien que mal, il équipa à nouveau les pièces d'armures par dessus sa blessure. Pour la première fois depuis de longues minutes, il offrit également un sourire chaleureux et bienveillant à Luna Montoya. Oui, il avait tenu le rôle désagréable de l'homme qui réprimandait la jeune fille qui avait fait une bêtise mais il était persuadé qu'elle serait assez intelligente pour reconnaître qu'il avait raison. Il ne connaissait peut-être pas tout de ses motivations et elle n'avait nullement besoin de le lui confirmer. La seule chose qui importait, c'était qu'elle ne commette pas une seconde fois la même erreur. Il s'enveloppa ensuite dans la cape mise à disposition par Martille. Il avait beau avoir l'air massif là-dessous, cela cacherait à peu près sa dégaine de militaire.

« Je ne veux pas vous interrompre mais je pense avoir réglé l'histoire de ces deux-là. J'ai alerté la Milice, des voisins vont m'aider à les descendre. C'est pas à vous de vous salir davantage les mains… Vous devriez filer d'ici maintenant si vous voulez pas qu'on vous pose des questions. Je vais dire aux autorités qu'ils se sont entre-tués... »

Eadwin de Rivenoire lança un regard interloqué à Martille. Allaient-ils vraiment croire une telle version ? Cela paraissait trop gros. Il voulut bien prendre la parole mais elle sembla le voir venir et répondit à ses doutes avec une facilité presque déconcertante.

« J'vais raconter une bonne part de vérité. Mon époux offrait mes services à l'autre victime et il s'est montré violent. Il a voulu me défendre mais il s'est montré plus fort. » expliqua-t-elle, tout en allant ramasser la dague utilisée précédemment par Eadwin de Rivenoire. « Et par légitime défense, j'ai réussi à tuer l'agresseur. Vous en faites pas pour moi, j'arriverais bien à donner crédibilité à cette histoire devant la Milice. On est dans le Goulot, ils s'attarderont pas trop pour un règlement de compte. »

Martille. Eadwin de Rivenoire était redevable envers Martille, une prostituée du Goulot. Effectivement, de cette façon-là, il y avait de fortes chances pour que la Milice ne cherche pas trop à tremper son nez dans une histoire de règlement de compte en pleine nuit dans le Goulot. Sa seule préoccupation, c'était que ces deux-là ne se relèvent pas dans la Fange. Égoïstement, si cela devait arriver, il espérerait être déjà très loin. Il ne serait pas en mesure de tenir tête à une seule de ces deux créatures dans son état et le revers de la noblesse le saisissait avec une tenaille. Luna Montoya devait rentrer chez elle à tout prix, même si cela signifiait sacrifier quelques pauvres. Cette vérité le dérangeait profondément et il ne manque pas de la garder pour lui-même.

« Merci, Martille. J'ai une dette envers vous. Je suis désolé de ne pas avoir pu régler cette affaire-là autrement. Pour votre mari, enfin… Je ne vous oublierai jamais. Partons, Damoiselle Montoya. »

Elle aurait certainement quelques mots à son égard, il lui laisserait alors le temps nécessaire pour les lui transmettre. Ensuite, il veillerait à ne rien oublier qui puisse trahir leur présence. Lorsqu'il en fut assuré, il invita donc Luna Montoya à le suivre de très près. Effectivement, le voisinage était en train de s'agiter. Il ne savait pas trop de quoi il avait l'air mais on ne lui prêterait pas facilement une identité de chevalier tant il s'était suffisamment bien couvert. La descente des escaliers fut lente mais pas sans douleur, difficulté qu'il s'efforçait de ne pas laisser transparaître sur son visage. Il préférait serrer les dents plutôt que se plaindre dès lorsque son genou le tirait. Cette longue marche ne serait pas de tout repos, il en était certain.

« Vous resterez proche de moi. Tenez-moi le bras, peut-être nous prendra-t-on pour un père et une fille avec un peu de chance. Nous ne devons pas éveiller les soupçons quant à nos difficultés à marcher, ainsi, nous prendrons une all... »

Et à nouveau, ce fut comme un choc. Elle prétendait ne pas avoir été blessée, ne pas avoir mal. Pourquoi peinait-elle à se déplacer comme lui ? Il y avait comme une anguille sous roche, quelque chose qui avait du lui passer sous le nez mais dont il était incapable de mettre le doigt dessus.

« Vous êtes certaine de ne pas être blessée… ? Je crois me souvenir que vous aviez du mal à marcher, tout à l'heure... »

Ce n'était pas le moment d'évoquer un sujet aussi sensible mais c'était peut-être ce qui faisait d'Eadwin… Eadwin. Il avait un certain talent pour se rendre compte de certaines choses dans des moments qui n'étaient pas vraiment propice à cela. Il ne fallait pas trop tarder, peut-être que Luna Montoya avait conscience de l'inquiétude qui était lisible sur les traits du visage de son chevalier servant d'une nuit. Il semblait vraiment craindre une nouvelle agression, profitant de leurs faiblesses pour dépouiller deux nobles. Après tout, ils étaient-là depuis un moment et l'intervention forcée d'un chevalier dans les parages avait du se répandre dans certains coins environnants. Cette fois-ci, s'ils avaient un nouveau problème, il n'hésiterait pas à dégainer son épée et à se montrer très impressionnant pour tenter de le résoudre.
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MessageSujet: Re: On peut dormir, la ville veille... [Eadwin & famille]   On peut dormir, la ville veille... [Eadwin & famille] EmptySam 25 Juin 2016 - 2:09
Il était honoré, disait-il à son tour, mais désappointé. Comme, potentiellement, tout noble ou presque normalement constitué lorsqu'il rencontre une de ses égales hors des habituelles présentations solennelles. Comme tout homme qui découvre qu'une jeune fille bien rangée s'est jouée en partie de lui, sans doute. Malgré tous les quiproquos qui avaient précédé, elle avait espéré qu'il ne la mirerait pas telle une vilaine débavée par quelques mauvaises habitudes. Et sa réaction rendit Luna plus honteuse encore ; elle ne désirait pas déplaire davantage à son héroïque chevalier du jour. Il l'avait sauvée après tout et tenté de la réconforter quoique brusquement. Elle lui devait la vie ainsi que celle de Martille.
Par respect pour ce qu'il avait fait et son rang, elle l'écouta l'admonester en silence, ses mains reprenant le trajet de son dos dès qu'il termina une première phrase. Son menton qu'elle avait finalement relevé pour le mirer au travers des reflets de la fenêtre se rabaissa tandis qu'il argumentait à propos de la présence de garde du corps. La femme se fit enfant grondé, de ceux trop sages pour oser riposter et préfèrent laisser passer la tempête avant de tenter de se faire pardonner encore.
Sauf que voilà, il prononça alors les palabres qu'il ne fallait pas. Parents et Aelys. Et les poings se serrèrent, camouflés par la cape de laine lourde. Un éclair d'un semblant de colère et de honte passa dans le regard bleu. Il ne sait pas qu'ils savent, mais me croient en sécurité. Il ne faut pas qu'il l'apprenne. Comment les jugerait-il ensuite ? Elle ne dit donc rien, passant sous silence le sourire de sa cousine qui en faisait autant qu'elle si ce n'était plus ou la gentillesse toute fraternelle de son géniteur.

Mais il avait raison pour sûr. Elle avait couru des risques ce soir et était prête à le reconnaître, tant qu'on ne rapportait rien à ses ainés. Tout comme le fait qu'elle en avait sans doute couru d'autres, auparavant. Sans le savoir, comme messire Alaric le lui avait fait remarquer aussi. Combien d'hommes avait-elle croisé qu'elle n'avait pas réussi à lire par ignorance ?
Elle ne le referait pas, tenta-t-elle de murmurer pour apaiser son interlocuteur, mais quelque chose retint sa voix. L'habitude peut-être, sa manie de liberté ou alors l'envie d'être utile puisqu'elle ne l'était pas entourée dans leur manoir, ou trop peu au temple où d'autres aidaient déjà. A moins que ce ne fut la crainte que son père s'inquiète si dès demain elle ne chipait plus rien à la cuisine. La petite Montoya n'avait qu'un désir pourtant pour ce soir : quitter ces ruelles emplies de tourments et ne plus y remettre les pieds. Mais son besoin pressant serait-il présent à jamais ? Elle ne pouvait l'assurer.
Si. Je crois. Se chuchota-t-elle tandis qu'il ruminait à propos de ses blessures. Son chevalier avait souffert, par sa faute. Et parce que, pour une raison qu'elle ne parvenait pas à définir encore assez, elle s'était faite agresser. Dans sa tête, à l'heure actuelle, un tel geste empli de violence ne pouvait pas provenir d'autrui sans qu'elle n'y soit pour quelque chose. Elle avait dû déplaire aux assaillants, sans doute, d'une manière ou d'une autre et il y en avait d'autres, probablement. Dans les ombres, là, qui n'attendaient que son prochain passage pour finir le travail commencé. Enfin. Songer à ce futur-là n'était pas une priorité et les derniers qui s'y étaient risqués étaient à présent morts et elle… Il faut garder la tête droite et sourire.

Incapable de relever le visage, elle s'obligea tout de même à sourire de nouveau, timidement, coupable et bouleversée par tous les événements de la soirée. Lui parlait maintenant d'une rumeur à propos d'une châtelaine et d'un héroïque noble qui pourrait le servir. Il ne comprenait pas. Si le murmure s'épanouissait, on risquait aussi de croire qu'il pouvait l'avoir brusquée. Forcée à des gestes qu'ils n'avaient pas effectué. Tout ça parce qu'ils étaient seuls ou en compagnie de petites gens dont la parole n'avait rien de valable.
Le point de vue de leurs pairs changerait alors sur lui, surtout si son parent en rajoutait avec indignation ou au contraire se taisait trop. L'alcool qu'il ingurgitait et sa tendresse le rendaient imprévisible quant à ses réactions si l'on portait l'affaire à ses oreilles. Il suffirait sinon de deux trois mots de Mère lors d'un thé et Eadwin de Rivenoire, si la partie était bien jouée, se ferait alors percevoir tel un monstre sous un habit de gentilhomme. Ou on les forcerait à se marier. Pour faire oublier les dégâts. Non, vraiment. Un tel chuchotement ne pouvait que desservir les deux parties déchues alors. Mais comment lui expliquer les rouages de l'Esplanade puisqu'il apparaissait ne pas les entendre dans les détails ? Un son nouveau y faisait toujours plus de tracas que de bienfaits.

Elle se tint toujours droite et muette alors qu'il résumait toute l'engueulade qu'il ne lui avait pas fait subir encore. Elle se força à jouer continuellement à la dame, à hocher quand il se tut la tête, bien consciente qu'elle n'échapperait pas à cette discussion qu'il lui promettait à mi-mots. Il voulait des réponses, lui avait-il dit, mais pas maintenant, même si les interrogations avaient été posées. Elle avait elle aussi besoin de lui fournir des informations pour qu'il ne commette pas de faux pas. Pour qu'il comprenne, au moins un peu son point de vue. Qu'il ne la perçoive pas comme une horreur. Mais, comme il le laissait entendre, dans un lieu où deux cadavres ne lui serviraient pas de chaperons trop tranquilles et où un rebouteux n'entendrait pas tout, comme les habitants du coin. Outre que sa voix à lui portait loin et que les murs ici étaient fins, leur situation restait actuellement terriblement inconvenante…
Elle s'apprêta à essayer de saluer timidement sa prévenance après un coup d’œil au morts, mais Martille choisit cet instant pour rentrer et la força au silence. Encore.

Et la jeune fille, qui paraissait à certains moments aux abois tant de petits frissons la parcouraient, releva cette fois le menton. La coureuse de rempart expliqua qu'elle avait décidé d'enchoser les décédés en leur faisant porter une partie de la culpabilité de l'horreur qu'elles avaient subi et de ses conséquences. Ainsi, dans sa version, le seigneur de Rivenoire n'existait pas, pas davantage que le guérisseur ou la menue Luna. Il n'y avait que deux hommes que l'alcool, la jalousie et la connerie avaient tourné en ridicule, les expédiant suite à une riole ayant mal tourné dans une partie du havre d'Anür miséreuse. Deux hommes et une femme qui n'était qu'objet entre leurs mains caleuses et s'était relevée, s'en sortant en héroïne. Une dame mehaingniée qui allait longuement payer, sans doute, dans le futur, l'absence de protection d'un épousé qu'elle chérissait malgré ses tares…
Les voisins qui par quelques sons avaient pu prendre connaissance de la présence de deux sangs-bleus ne diraient rien, Luna le savait. Du moins tant qu'aucun aimait trop les coupables désignés, pas un n'avait de raison pour les revanchier. Après tout, on était dans la partie sombre de la cité, là où chaque habitant se faisait sourd ou muet s'il n'avait vraiment rien à gagner.
Elle hocha encore la tête, suite aux dires d'Eadwin en s'inclina légèrement eu égard à la veuve qui les avait hébergés le temps des soins.

«  Si vous trouvez mon balluchon… Gardez-le pour vous, je vous en conjure. Je vous en ferai parvenir de… D'autres. Si je le puis. »

Rajouta-t-elle d'une voix trop basse en pressant tendrement les mains de la rescapée avant de se suivre à la suite de son gardien pour la nuit. Peu désireuse une fois encore de subir trop fortement le courroux de l'impatient chevalier, toujours inquiète à propos d'un potentiel scandale, elle ne rajouta rien alors qu'elle avait trop à dire à la belle hôtesse des lieux. Il valait mieux partir maintenant tandis que le seigneur paraissait mieux disposé que plus tard, après lui avoir laissé le temps de penser à ronchonner. Elle pourrait aider Martille autrement. Peut-être. Plus tard. Aussi tenta-t-elle aussi de coller son pas à celui de l'homme, se forçant à avaler de nouvelles distances que son corps épuisé aurait bien souhaité éviter.
Sa bonne volonté ne dura cependant pas. Malgré ses blessures, il restait un géant au final et elle fut essoufflée au bout de trois avancées. Bientôt cependant elle le perçut s'alentir à son tour tandis qu'ils passaient le seuil de la demeure et il l'enjoignit à prendre son bras.
Père et fille. L'idée était douteuse, mais elle ne s'en offusqua pas et en sourit même davantage, toujours gênée et coupable. Surtout quand elle se remémora avoir croisé son paternel ici même à quelques ruelles près. Quelle ironie si le protégé qui l'avait sauvé d'une mort par bouffe de vomi alors découvrait qu'il n'était pas son unique géniteur dit. Ne la classerait-il pas alors comme une… Une dame de petite vertu ? Ah quelle importance ? La nuit ne pouvait pas empirer de beaucoup de manières à dire vrai. Et il valait mieux qu'elle s'inquiète pour l'après porte des anges, point pour ce qui la précédait. Cette question de potentiel scandale ou rumeur n'avait toujours pas été réglée.

Elle posa ses doigts graciles sur la plaque tout comme Eadwin le lui avait ordonné et se surprit à le dévisager, là, sous les étoiles. Pas longtemps, un coup d’œil à peine prononcé au travers de ses cils. Il était grand, ceci elle l'avait déjà remarqué aussi bien à l'aller qu'à la lumière de la chandelle. La lueur décidée de son regard n'était pas davantage nouvelle. Cependant, elle ne comprenait plus pourquoi avant elle s'était méfiée de lui ; il ressortait de sa personne une impression de puissance. Comme s'il considérait que le monde devait tourner selon des règles qui n'appartenaient qu'à lui. Mais n'est-ce pas le cas de tous les hommes? Non, sans doute pas. Messire Alaric ou messire Azhim par exemple n'avaient pas cette aura. Ou peut-être que si, mais cachée. Ce qui expliquerait pourquoi ils l'apeuraient tous autant qu'ils étaient à leur manière.
De plus la carrure de son protecteur actuel prouvait qu'il s'était livré par plus d'une fois à des travaux de guerre. Tout comme sa manière de retourner le combat qui avait eu lieu précédemment. Ou ses traits durs... Bref, elle s'était fourvoyée pleinement en songeant qu'il pouvait être forban ou brigand. Son état d'alors pouvait-il pardonner en partie sa faute ? Elle n'en n'était pas sure et s'apprêta à renouveler de maigres excuses. Il l'interrompit à nouveau sans le vouloir dans son effort de parler en remettant en cause ses efforts pour mettre un pied devant l'autre.
Un air surpris se peignit sur ses traits à elle, le temps qu'elle comprenne de quoi il causait.

« Je vous remercie de… Vous en préoccuper. Tout va bien. »

Lui répondit-elle donc après un silence, sur un ton de badinage bas, mais teinté de regret. L'habituel mensonge jaillit suite aux remerciements. Sempiternel, il revenait se caser souvent ici et là dans le but de rassurer quiconque la croisait. Elle allait bien. Même quand elle allait mal.
Elle baissa le bout de son nez pour vérifier que ses doigts libres enserraient toujours la cape autour de sa robe déchirée et mira devant eux.

«  Il… Je n'ai jamais pu bien marcher, mon seigneur.  »


Rajouta-t-elle ensuite, en maudissant son boitillement qui avait empiré avec la fatigue. Ce soir, il l'ennuyait et la désespérait en la faisant tituber et manquer de se renverser plusieurs fois. A l'instar d'hier elle l'oubliait fréquemment, ayant appris à vivre avec depuis son enfance, mais jamais elle n'avait eu autant besoin de compter sur ses jambes que maintenant et il fallait espérer qu'elles ne la lâcheraient pas. Elle devait pouvoir rentrer, ou alors le chevalier tenterait sans doute de faire prévenir une personne de la maison pour venir la chercher ou essayerait de la porter quitte à se blesser davantage.
Ces deux options étaient inenvisageables pour le chaperon rouge devenu marron et sans panier. D'un parce que si Père apprenait qu'elle avait failli finir déflorée ou blessée, il l'empêcherait de sortir cette fois pour de bon et de deux parce Mère risquerait de faire une attaque en découvrant ce que sa puînée faisait de ses nuitées. Dans son entourage direct, Adélaïde – et les servantes - étaient les uniques à songer que la gamine se reposait de nuit et ce malgré ses cernes qui ne ternissaient jamais.  Les détromper n'était point à l'ordre du jour. Ou de la matinée. Enfin bref. Il fallait les laisser dans l'ignorance, ce qui serait impossible si l'on réveillait quelqu'un pour elle…


Elle remarqua, après peu de minutes, que sortir du toit de Martille lui avait fait du bien. Tout comme se diriger vers chez elle, ne plus avoir de preuves visibles sous le nez de ce qui lui était arrivé calmait les battements de son cœur. Elle se raidissait toujours à chaque mouvement perçu qui n'était pas de leur fait, à chaque bruit étranger à leurs corps, à chaque ombre trop importante ou encore quand elle devait trop s'appuyer sur son généreux sauveur ; mais elle avait tout de même moins peur. On lui avait juré de la défendre si quoi que ce soit se déroulait et si courir n'était plus dans ses capacités, elle avait foi en cette promesse. Le seigneur Eadwin s'était après tout jusque là montré homme de parole. Il avait vaillamment vaincu un duo, lui qui était seul. Outre qu'elle n'avait de toute manière pas de choix à part le croire, elle savait à présent que les deux mâles imbibés ne se redresseraient plus pour venir tripatouiller ce qu'ils n'avaient pas le droit de toucher. Ils étaient loin. Et morts, sans doute. Dégoûtants et horriblement décédés. Oui. Messire de Rivenoire l'avait dit et vu qu'ils n'avaient pas couru après eux, c'était que c'était vrai. Puis qui pouvait se relever de coups atroces dans le cœur ? Même si elle croyait les deviner parfois, ici et là, ce n'étaient que des chimères. N'est-ce pas ?

« Si nous passons par la droite, là… Nous arriverons plus rapidement. Si vous le souhaitez. ».« Nous pourrions prendre tout droit, ce… C'est un raccourci possible. ».

Murmura-t-elle à des intersections en lui laissant le choix à un moment de suivre sa voie ou non. Elle se retenait de guider l'habitant de Traquemont de force dans ce dédale de rues souillées, s'étant rappelée à temps qu'aucun homme n'aimait les ordres directs d'après Mère… Ou qu'on se montre trop consciente de ses faiblesses se souvint-elle aussi en le forçant à ralentir parfois d'une menue pression sur le bras.
Il fallait qu'il économise ses forces lui aussi pour parvenir à l'Esplanade. Il était blessé. Cependant lui proposer de s'arrêter risquait de le mettre de mauvaise humeur. N'était-il pas un peu bourru et déjà en colère par sa faute ? Aussi chaque fois qu'elle crut lire un semblant de grimace sur ses traits qu'elle mirait par fréquents, mais timide coups d’œil, usa-t-elle de ce stratagème quitte à en abuser et les faire marcher à la vitesse d'escargots.

Vint la sortie du Goulot et avec elle une sensation vertigineuse de… Liberté ? Non, le mot était loin d'être le bon, cependant, il y eut clairement un changement dans sa manière de se tenir. Elle sembla se libérer de certaines craintes quant aux espaces les plus ténébreux et aux bruits les moins douteux. Son regard se fit moins traqueur quand elle fixait ce qui les entouraient et plus flou. La fatigue l'aidait sur ce dernier point et ses angoisses reflueraient sans doute dès lors qu'elle serait reposée. Mais pour l'instant elle appréciait presque à nouveau le paysage qui se dévoilait devant eux.
On était aux heures où au-dehors commençait à s'étendre un brouillard dense tel un mur de briques, rempart inexorable qui isolait de tout contact pensant la cité survivante. Les instants dans l'enceinte de la ville en question s'alanguissaient, au rythme de l'avancée lente des volutes grisâtres chargées d'odeur de déchets, de mer ou de marais selon où l'on se trouvait. Elles s'effilochaient ici, en voiles cotonneux filtrant la lueur froide des étoiles. A l'intersection de certaines de ces écharpes, les hautes maisonnées tout comme les rues se dévoilaient, elles, davantage, troquant leur coloris noircis contre des bleuis qui rappelaient l'eau salée mouvante. Des objets aux teintes de porcelaine resplendissaient ici et là, attirant à eux toute la luminosité naturelle. Ainsi le décor d'une fenêtre ou celui d'un panneau de taverne agrippait l’œil plus sûrement que la lanterne posée un peu plus loin.
Il faisait froid, humide et triste, au final. Cependant l’atmosphère complaisait à Luna dont la caboche la comparait à celle qu'elle avait ressenti dans le goulot. Un gouffre de ténèbres noir et sans fond, qui maintenant lui paraissait moins pesant. Ils avaient réussi à fuir. Grâce au seigneur de Rivenoire.

Elle lui offrit son premier vrai sourire, l'un de ceux toujours tremblants, mais plein d'espérances crédules et atteignant ses yeux, en battant le pavé.

«  Je ne puis que vous remercier encore. »

Même sa voix avait retrouvé un semblant de vie, maintenant qu'ils ne se trouvaient plus dans les lieux maudits qui avaient vu naître leur rencontre. Elle parvenait à parler presque normalement. Doucement et moins timidement. La peur du scandale l'étreignait toujours, mais sa joie éphémère de s'en être sortie sans trop de dommages pouvait presque faire plaisir à présent à voir. A moins qu'en fait, elle devenait simplement davantage nerveuse au fur et à mesure qu'ils avançaient ? Cela pouvait expliquer pourquoi elle serrait davantage le manteau emprunté contre elle au risque de faire blanchir ses articulations. Ou pourquoi, une fois à la Porte, l'effroi se lut un bref instant sur ses traits.

« Me détaillerez-vous Traquemont ? Si cela vous complait... »

Demanda-t-elle avec une hésitation tandis qu'ils passaient le seuil gardé malgré leur tenue peu royale. Sans doute utilisait-elle la requête première du chevalier pour tromper ses angoisses renouvelées. Car quiconque ils croisaient, à présent, risquait de les dénoncer par pur plaisir de méchanceté.

« Que je puisse parler de… Davantage en bien de votre Dame. »

A moins qu'elle ne le fit pour éviter le nouveau sermon qu'elle s'attendait à recevoir maintenant qu'ils se trouvaient en sécurité ?
Toujours fut-il qu'elle continua à le guider, délicatement, vers la demeure de ses parents.
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MessageSujet: Re: On peut dormir, la ville veille... [Eadwin & famille]   On peut dormir, la ville veille... [Eadwin & famille] EmptyLun 27 Juin 2016 - 18:15
Un jour, sa curiosité lui jouerait quelques tours, il en était à peu près certain. Elle avait beau être docile, suivre ses recommandations, se plier à ce qu'il disait, n'osant peut-être pas protester car elle ne savait pas comment se comporter avec son héros. Elle était rassurée d'être sous la protection d'un noble mais avait également peur de tout ce que cela pouvait impliqué. Quant à lui, il souhaitait seulement la ramener chez elle en un seul morceau. Il ne savait toujours pas en quel honneur il avait fait sa rencontre dans le Goulot. Quelque part, elle pouvait remercier le citoyen qui avait menti à Eadwin de Rivenoire un peu plus tôt dans la journée. Il était curieux de constater ce qu'un mensonge pouvait provoquer. Venir en aide à une Châtelaine dans le Goulot de Marbrume était plutôt original et il se souviendrait très longtemps de cette aventure. Il s'était battu pour une jeune femme dont il ne connaissait rien, qu'il avait soupçonné d'être une putain. Luna Montoya avait quant à elle assisté à son arrogance, son refus de se comporter en chevalier face à l'horreur en apportant la justice avec le fil de son épée. Aussi, savoir qu'il était devenu le salvateur d'une noble native de Marbrume pouvait l'enorgueillir un peu plus. Elle le lui confierait un peu plus tard mais il était entre autre parvenu à embellir Traquemont. Il n'était pas la peine de le mentionner mais en quelque sorte, Luna Montoya avait une dette envers eux.

« … Je suis désolé. Je ne m'en étais pas rendu compte. »

La jeune femme était donc boiteuse de naissance. Il ne s'attendit pas du tout à une telle révélation. Il comprenait pourquoi elle avait autant peiné à le guider à travers les sombres ruelles tout à l'heure. En connaissance de cause, il l'aurait très certainement portée, qu'elle fut une noble dame ou une femme de petite vertu. A vrai dire, l'idée lui effleura l'esprit mais faire une telle proposition serait très probablement malvenue. Il ne savait pas vraiment comment vivait Luna Montoya, quel regard portait sa famille sur son handicap mais le fait était qu'elle était ici, dans le Goulot, avec lui. Du coup, il comprenait encore moins ce qu'elle pouvait bien faire ici toute seule. Lorsqu'il saurait que c'était pour venir en aide aux plus pauvres, il la regarderait sûrement avec une certaine admiration. Il lui accorderait aussi un soupçon de témérité et de courage, même si cela ne suffirait pas à éteindre la bêtise dont elle avait fait preuve à ses yeux.

« Nous devons faire vite malgré tout. Je vous protégerai du moindre danger mais je préférerai nettement une marche sans accroche. Je ne m'attendais pas vraiment à tuer deux personnes ce soir. »

Il n'exprimait pas vraiment des regrets même s'il se sentait un peu mal en considérant qu'il avait assassiné l'époux de Martille. Ses pensées étaient controversées car de sa position, il ne pouvait pas comprendre comment un tel ménage pouvait fonctionner. Il se souvint qu'elle avait évoqué ne pas toujours être une catin et vivre autrement par le passé. Était-ce donc les conséquences indirectes de la Fange ? Pour Eadwin, les nécessiteux étaient de pauvres gens et il savait ô combien il avait de la chance d'être un Rivenoire. S'il devait un jour perdre son titre de chevalerie pour une raison où une autre, il pourrait toujours courtiser une bourgeoise ou faire valoir ses talents avancés dans l'art de se battre pour se cacher dans l'ombre d'un quelconque seigneur. Depuis qu'il avait tout perdu en étant enfant, il savait mieux que quiconque qu'il ne fallait négliger aucune option et veiller à garder une porte de sortie, surtout si l'on tentait le diable. Jusqu'à présent, on pouvait donc dire qu'il était plutôt prudent même si cela ne s'affichait pas sur son visage. En terme de témérité, Luna Montoya avait par exemple tout à apprendre de son aîné. Ce soir, il avait donc tué l'époux d'une femme qui lui était finalement venu en aide mais sa bonne conscience lui dictait qu'elle se relèverait. Pour honorer Martille, pour permettre que d'autres personnes ne tombent pas dans la misère, il redoublerait d'efforts pour essayer de mettre un terme à la Fange. Il devait y avoir tant d'autres Martille, tant de personnes dont il pourrait faire son étendard lorsqu'on lui demanderait pourquoi est-ce qu'il se battait (#jesuisMartille). Oui, il lui devait au moins cela.

Les intersections se succédaient et ils ne devaient pas avoir très fins en marchant à une allure plus ou moins soutenue côte à côte. Parfois, elle lui proposait de prendre à droite plutôt qu'à gauche. C'en était presque déconcertant, à quel point Luna Montoya connaissait-elle cet endroit ? Il n'était pas idiot, il comprit assez rapidement qu'elle connaissait très bien le Goulot. Pourquoi venait-elle si souvent par ici ? Il y avait forcément une « bonne raison. » Quelque chose qui méritait à ses yeux de prendre le risque du sacrifice. Tout à l'heure, lorsque Martille s'était proposée d'endosser les responsabilités des crimes d'Eadwin de Rivenoire, elle ne l'avait pas nécessairement fait pour lui. Elle l'avait davantage fait pour Luna Montoya. Quel lien la jeune femme avait alors avec la prostituée ? Elle l'avait appelée « Damoiselle Montoya », cela voulait donc dire qu'elle connaissait son titre et ses origines. C'était une énigme, une énigme à laquelle il ne savait pas donner de réponse et pourtant, elle était sous son nez. L'incarnation de l'innocence et de la bonté, une petite tête blonde qui voulait juste venir en aide à son prochain pour se faire une place dans un monde où il était de plus en plus difficile de se tailler une place. Combien de boiteuses prendraient de tels risques ? Certainement pas beaucoup.

« Je ne sais pas encore ce que vous faisiez ici mais… Vous êtes courageuse, Damoiselle Luna. »

Damoiselle Luna. Luna. Il trouvait ce nom plutôt joli et agréable à prononcer, il lui allait plutôt bien. Il n'oubliait pas qu'elle était une Châtelaine mais en étant son aîné, après lui avoir sauvé la vie, tandis qu'ils marchaient ensemble et qu'elle lui tenait le bras, il pouvait bien utiliser son prénom. De plus, cela permettait à ce vieil ours un peu mal léché de détendre l'atmosphère autour de lui. Il avait déjà pardonné qu'elle ne se présente pas à lui dès le début sous sa véritable identité puisqu'il en comprenait les raisons. Eadwin de Rivenoire ne souhaitait pas lui laisser l'image d'un vieux ronchon ennuyeux, ce n'était pas encore ce qu'il était. Puis, ils avaient assez souffert tout les deux pour une première rencontre. Il n'était pas mécontent de partager les douleurs de la jeune femme.

« Après tout, on peut dire que cette aventure, c'est plus de peur que de mal, non ? »

Il lui offrit un sourire bienveillant et rassurant. Elle lui tenait le bras, marchait à ses côtés, considérait à juste titre ce qu'il avait fait pour elle. En d'autres termes, il avait gagné une part de sa confiance. C'était donc quelque chose qu'il pouvait bien récompenser avec un sourire sincère. Cela l'aiderait sûrement à la détendre, à moins considérer qu'il tenait sa réputation entre ses mains, même si cela restait vrai. Ah, elle avait vraiment de la chance d'être tombé sur un homme droit comme Eadwin de Rivenoire. Tout ce qui lui importait, c'était qu'elle en tire des leçons. Jamais plus elle ne devrait s'aventurer par ici toute seule. C'était un peu cruel mais il espérait qu'elle ait eu suffisamment peur pour comprendre cela. Il vint enfin ce qu'ils espéraient tout les deux, voir le Goulot derrière eux. Ils s'en étaient sortis, sans vivre une nouvelle péripétie inconvenante. Il eut alors une pensée pour Martille et les miliciens qui devraient porter les cadavres jusqu'au Temple de la Sainte Trinité. Il espérait qu'ils ne soient pas des blessés de cette terrible journée du mois de Janvier dans la Herse, lorsque seize Fangeux emportèrent deux-cent trente-deux citoyens avant d'être abattus. Apprendre le lendemain ou dans quelques jours qu'il serait responsable d'un nouveau carnage porterait un sérieux coup à son moral, surtout en considérant que Martille couvrirait ce honteux larcin. Il n'y avait donc qu'à… croiser les doigts ?

« Je ne veux pas de remerciements. J'ai fais ce qui devait être fait. » lâcha-t-il, presque hargneux alors que Luna Montoya lui offrait son premier sourire radieux. « Mais merci... »

Après tout, la reconnaissance ne faisait jamais de mal entre gens de bonne volonté. Il ne restait donc plus qu'à traverser une petite partie du Bourg-Levant avant de rejoindre la Porte des Anges. De ce fait, il ralentit lui-même très nettement le rythme de la marche. Pas seulement pour elle, mais aussi pour lui car sa jambe le tirait. Cet endroit, il le connaissait bien mieux. Son amie apothicaire, Lizzie, y possédait sa boutique, le Crapaud Apothicaire. Il avait également sauvé la vie d'une érudite, Louise Ochaison et celle de son fils, Maël, d'un incendie qui fit sans nul doute parler de lui. Il n'en avait pas la certitude mais peut-être que l'atelier de couture d'Aelys de Beauval, la charmante cousine de Luna Montoya s'y trouvait sûrement aussi. Il n'y avait pas à dire, entre la crasse ou la soie, le choix était vite fait lorsqu'on avait le choix. Eadwin de Rivenoire était maintenant rassuré, plus rien ne risquait d'arriver à Luna Montoya et il pourrait alors tenir sa parole. En parlant de la Porte des Anges, ils y arrivèrent enfin. Le chevalier de Traquemont prit les devant et s'adressa à la garde.

« Bonsoir. Nous sommes Eadwin de Rivenoire et Luna Montoya. L'heure est peut-être un peu tardive mais nous souhaiterions rejoindre l'Esplanade. »

Les gardes se regardèrent, qui pouvait bien se présenter à eux à une heure pareille ? Désormais, le nom d'Eadwin de Rivenoire devait commencer à se faire connaître à la Porte des Anges mais reconnaître Luna Montoya, qui était bien plus habituée à passer par ici, donna rapidement crédit aux paroles du chevalier de Traquemont. Ils ne se firent donc pas prier bien longtemps et les laissèrent accéder à l'Esplanade. Ce n'était pas trop tôt, il avait l'impression d'attendre cela depuis des heures alors que leur aventure devait durer depuis à peine une heure et demi. C'était probablement l'émotion et les doutes qui donnaient l'allure au temps de s'écouler bien plus rapidement. Cette fois-ci encore, ce fut Luna Montoya qui mena la marche. Il n'avait aucune idée d'où pouvait bien se trouver sa demeure. Elle voulait en savoir un peu plus sur Traquemont et sa Dame, Yseult. Oui, cette petite tête blonde était vraiment une bonne personne. Tôt ou tard, lorsqu'il lui demanderait encore une fois comment elle pouvait le remercier, il lui aurait certainement dit de rendre les honneurs à Traquemont lorsqu'on lui demanderait son avis dessus. Elle avait donc anticipé malgré elle ce que Eadwin pourrait bien lui dire. Toutefois, avant qu'il ne commence à répondre, la Châtelaine Montoya trébucha, montrant bien qu'elle était à bout de force. Il ne lui demanda pas vraiment l'autorisation mais il glissa alors une main derrière sa nuque et l'autre derrière ses genoux pour la porter contre lui. Mince alors, ceux qui verraient la scène depuis leurs fenêtres à cette heure si tardive ou bien matinale, cela dépendait du point de vue, pourraient rapporter une situation bien cocasse. C'était donc en princesse qu'elle allait faire son retour parmi les siens.

« Traquemont… C'est un fort trapu et solitaire que nous avons investi pendant notre fuite vers Marbrume. Nous venons d'une terre lointaine au Morguestanc, plus à l'Ouest… Elle s'appelle Corbeval. Yseult a abandonné ce nom pour adopter celui de notre forteresse. Que pourrais-je bien vous dire… ? Notre activité principale, c'est la lutte contre la Fange. Nous appelons cela… Venger le genre humain. » commença-t-il à expliquer. Elle devait être en train de l'observer du coin de l’œil, maintenant qu'elle pouvait totalement se reposer contre lui. Elle avait juste à lui indiquer discrètement quel chemin il fallait prendre. « Oui, la vengeance fut notre premier vecteur, notre première motivation. Mais aujourd'hui, les choses changent un peu. Il est infime mais nous nourrissons l'espoir de sortir de cette crise. Il ne s'agit pas de se battre pour mourir au combat mais plutôt une lutte pour écrire un nouveau lendemain dans lequel nous serons victorieux. Je veille personnellement à ce que ma Châtelaine ne s'abandonne pas totalement à sa rancœur et bien d'autres sujets participent également.  »

Il pensait notamment à Geoffroy du Nouet, ce chevalier bien plus jeune que lui qui était parvenu à adoucir les ressentiments d'Yseult de Traquemont. Pour sa part, il ne savait pas s'il y était pour grand-chose mais l'idée seule que c'était possible lui permettait de ne pas se sentir inutile comme il le fut lorsqu'il s'était blessé au début de l'automne jusqu'au milieu de l'hiver.

« Maintenant, nous ne nous battons pas pour Marbrume mais avec elle. Yseult est une femme forte et franche, la dame la plus implacable que je n'ai jamais rencontré. Elle a toujours un coup d'avance sur son ennemi, elle tient cela de son père qui était un fier et redoutable seigneur de guerre. Elle ne s'arrêtera pas avant de tomber sur quelqu'un ou quelque chose d’insurmontable pour elle. La vie à Traquemont est plutôt hostile et éphémère mais c'est le prix à payer pour se battre dans l’œil de la Fange. J'ai rencontré à Marbrume des gens qui sont reconnaissants pour ce que nous accomplissons là-bas. C'est plutôt galvanisant, la reconnaissance s'obtient avec le mérite.  » raconta-t-il. Jusqu'à présent, elle n'en apprenait pas beaucoup plus sur lui mais cela ne saurait tarder. « Je préférerai être à Traquemont plutôt qu'ici pour me battre avec mes frères et mes sœurs d'armes mais je dois accomplir certaines choses pour ma maîtresse. Avant l'Opération Labret, je ne suis venu qu'une fois à Marbrume, c'était pour le mariage du Comte de Ventfroid. C'est là-bas que j'ai rencontré votre cousine, Aelys. Désormais, je dois continuer à fréquenter Marbrume pour mieux la connaître et la comprendre. Je ne le pensais pas mais je commence peu à peu à m'attacher à cet endroit. »

Ils arrivèrent enfin devant le domaine des Montoya. Il la reposa à terre tandis qu'elle lança sûrement des regards suspicieux. Quelqu'un était-il déjà pour les recevoir ? Il ne savait pas encore quoi, mais Luna Montoya devait sûrement se poser des questions sur tout ce qu'il venait de lui raconter, en plus du fait qu'il y avait encore quelques détails à régler. Toutefois, le chevalier de Rivenoire se montra plutôt initiateur et prit une dernière fois la parole avant de la laisser à la Châtelaine Montoya.

« Damoiselle Luna. J'ai réfléchis à ce que vous avez dit tout à l'heure. Je suis prêt à vous laisser assumer vos responsabilités et ainsi… Je suivrai ce que vous déciderez de faire vis à vis de tout ce qui s'est passé ce soir. Si vous désirez que je taise à jamais cette nuit, personne n'en entendra jamais parler. Si vous souhaitez que je m'en aille sur le champ pour vous protéger, nos chemins ne se croiseront plus jamais. Je suis dévoué à respecter votre volonté, Châtelaine. »

Luna Montoya avait donc les clés et les cartes en main. C'était peut-être surprenant, surtout après avoir revendiqué qu'il avait encore bien des choses à lui exiger, mais il prit la décision de lui laisser gérer leur stratégie. Elle avait beau être bien plus jeune que lui, il respectait au plus haut point le fait qu'elle lui était hiérarchiquement parlant supérieur dans les rangs de la noblesse. Il s'en tiendrait donc à sa seule et unique volonté. Elle était libre de le remercier davantage ou de le blâmer si elle estimait que cela était nécessaire. En tout cas, il suivrait cette idée selon laquelle il devrait pour le moment se plier à cette exigence. Le fait était cependant qu'il n'avait pas vraiment envie de partir. Il trouverait sûrement cela injuste si elle faisait le choix de la facilité, de faire comme s'il n'existait pas. En agissant ainsi, Eadwin de Rivenoire avait donc une idée derrière la tête. Il souhaitait voir quel genre de morale dictait les faits et les gestes de Luna Montoya. Il désirait voir quel crédit elle portait vraiment à tout ce qu'il avait bien pu lui rapporter. Et puis, elle ne devait peut-être pas s'attendre à ce qu'il la considère comme son égal, voire bien plus, après tout ce qui était arrivé. Bref, on pouvait parier que les choix de Luna Montoya auraient un impact très important sur un peut-être… avenir commun.
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MessageSujet: Re: On peut dormir, la ville veille... [Eadwin & famille]   On peut dormir, la ville veille... [Eadwin & famille] EmptyMar 28 Juin 2016 - 2:40
Il proposa des excuses à un propos qui l'étonna et elle le mira surprise quelques secondes. Les gens se montraient généralement peinée pour elle ou honteux de la voir boitiller. Ne pas entendre de pitié dans le ton de son interlocuteur lui complaisait donc grandement.

« Vous n'êtes en rien responsable de mon handicap. Pas davantage que mes parents. Aussi vous n'avez guère à mander pardon seigneur.  »

Elle hocha la tête pour appuyer ses dires.

« Surtout lors… Lorsque vous m'adressez un compliment en disant ne vous en être guère aperçu.  »

La cadette du duo fit « oui » encore tandis qu'il enchaînait sur son souhait d'une marche rapide. Elle ferait de son mieux, comme prévu, mais ralentirait donc leur avancée si elle estimait cela nécessaire. Ce qui arriva parfois, notamment quand le chevalier décida de nouveau de la couvrir de fleurs en lui adressant d'énièmes palabres incongrues.
Elle parut donc encore surprise après s'être faite craintive à propos d'un ombrage qui noircissait une entrée de ruelle. La peau de ses joues reprit une teinte plus foncée d'après l'éclairage naturel. Un petit silence s'établit que seuls la nuit et le son de leurs souffles brisèrent un moment. Avant qu'elle ne le fasse à son tour en murmurant, comme si elle avait peur que parler normalement attire d'autres ennuis. A moins que la marche l’essoufflait trop déjà :

«  Vous vous fourvoyez, je le crains. Je… N'ai rien de courageux.  »

Elle leva le menton, mira un instant les astres pâles dans le ciel noir. Il sembla qu'elle cherchait ses mots puisqu'elle ne reprit que quand il eut résumé leur soirée en hésitant grandement.

«  Je n'ai rien d'une guerrière, mon seigneur. Il… Je ne vais pas à la guerre par exemple qui me paraît si horrible. Je me demande toujours où chacun y trouve le courage d'y mourir. Je crains de... D'aimer trop la vie pour ne pas être lâche. Alors je ne peux qu'admirer ceux qui comme vous sont prêts à exposer la leur pour la cause de tous.  »

Elle demeura pensive en portant deux de ses doigts non posés sur le chevalier sur sa bouche à elle. Mais le geste fit rouvrir sa cape et elle se pressa pour la refermer.

« Ce n'est que l'envie, mon seigneur, qui guide mes pas. »


Rajouta-t-elle avant de conclure avec un regret évident :

« Et il n'y a pas de courage dans un désir. Simplement de l'égoïsme. »

Il lui avait dit que ce n'était pas l'heure des explications et voilà qu'elle se laissait aller à babiller. C'était mal et dû sans nul doute à ses nerfs. Semblant trouver cependant ses dernières paroles à double-sens, elle se mordilla la lèvre avant de reprendre à nouveau :

« Je suis confuse. Veuillez je vous prie me pardonner. »


Sa main qui tenait l'amas de laine posé sur son dos fermé se resserra davantage. Elle inspira profondément avant de continuer d'une voix toute douce :

« Vous… Vous avez raison, bien sûr. Il y a eu grâce à vous et votre vaillance plus de peur que de mal. Il m'est doux d'avoir croisé votre route.... Et je remercierai aussi les dieux pour cela. »

Tout en leur demandant de veiller sur les deux morts pour qui leur rencontre n'avait rien apporté de délicat.. Ils avaient beau avoir été des monstres, ils étaient humains. Enfin ils l'étaient quand le duo les avaient quittés.

.. Le reste du trajet se passa sans anicroches, donc. Si ce n'était qu'à la fin. Ils pénétraient dans le repaire noble de la cité quand son compagnon fit quelques mouvement impromptus qui la firent se raidir.
Il l'empoigna en effet, telle une princesse dans un conte de fée. De celles qui ne doivent pas mouiller leur robe dans une flaque boueuse et qu'un merveilleux prince vient à saisir pour les porter délicieusement. Et avant qu'elle n'ait eu le temps de dire stop ou de faire autre chose que hoqueter, elle se retrouva dans les bras robustes de messire de Rivenoire, à humer son odeur au plus près et à apprécier la froideur du métal qui le recouvrait. Les effluves du sang se mêlaient à celles de l'homme. Une petite pointe âcre liée aux efforts qu'il avait dû faire aujourd'hui. Des herbes. Rien d'horriblement dérangeant lorsque l'on est habitués à traînasser dans le Goulot, mais quelque chose de légèrement… Envoûtant ? Pour une jeune fille en fleurs nourrie d'histoires de chevaliers héroïques en tout cas.
Et elle en demeura coïte tandis qu'il lui expliquait des nuances de Traquemont qu'elle ne retint pas, troublée par cette promiscuité qu'elle n'avait pas quis. Elle n'avait pas eu peur lorsqu'il s'était saisi de sa nuque et ce quand bien même la brûlure des doigts des monstrueux pauvres gens s'y trouvait toujours. Peut-être parce qu'il ne lui en avait pas laissé le temps d'avoir la trouille. A présent cependant, elle se mit aux aguets vis-à-vis de ses doigts forts, incapable de rendormir la méfiance qui venait de s'éveiller.
Il m'a sauvée. Se gronda-t-elle, même si cela n'expliquait pas la familiarité qu'il s'autorisait avec ce geste. Il ne me fera rien. Il me ramène à la maison. Ou plutôt pas. Il lui faisait quelque chose réellement : il lui offrait un souvenir auquel s'accrocher. Un petit moment où les convenances n'étaient pas malgré leur sang. Il l'aidait, malgré elle. Mais en même temps augmentait d'autant plus de chances de scandale…
Elle eut la mauvaise idée de se dandiner un peu, n'osant requérir le droit de descendre de son perchoir à haute voix, de peur qu'il entende son esprit batailler dans son ton. Une grimace dût passer sur les traits d'Eadwin ou alors elle comprit qu'elle se fourvoyait puisqu'elle s'arrêta presque aussi. La position n'était pas désagréable et rappelait des lectures. Cependant c'était aussi… Mal. Dérangeant. Inhabituel. Il était homme. Et puis il était blessé. Davantage qu'elle, même si elle sentait qu'elle allait étouffer à force de retenir sa respiration. Ah oops. Elle ne respirait plus trop. Contrôler son souffle avant tout, c'était ce qu'il fallait faire, oui, puis réfléchir à une méthode pour qu'il la laisse retourner boitiller sans l'offenser...

Elle eut le temps pour le premier point, mais pas le second. A peine trouva-t-elle de menues palabres pour lui quémander le droit de marcher qu'il la déposait devant le manoir de ses aînés et elle se retint de jeter un regard noir à la façade tant aimée. Ils étaient arrivés… Et l'heure de… Quoi ? L'homme la surprit encore en la mettant devant un choix. Elle recula d'un pas en faisant face à son interlocuteur. Elle savait bien qu'il avait de l'honneur et de la courtoisie, elle l'avait vu, là-bas dans le ventre de Marbrume. Mais qu'il ne tombe guère totalement le masque une fois à l'Esplanade dépassait ses attentes. Combien de leur race jouaient aux aimants aux abords du Temple avant de se faire serpents une fois à l'abri des manants ?
Puis vu comment il l'avait tenue, elle avait aussi craint qu'il refuse de la quitter avant d'avoir passé la porte d'un coup de pieds pour la déposer au seuil de son boudoir, alertant ainsi toute la maisonnée. Mais voilà il lui offrait au contraire de la liberté. Une chose si peu commune dans leur monde. Un moyen pour que les réminiscences du soir, dans leur ensemble, deviennent rapidement un cauchemar lointain puisqu'elles seraient étouffées. Une voie pour éviter des tracas. Qu'il suivrait, promettait-il. Tant qu'elle l'énonçait avec un ton fier sans doute.
Et comme trop souvent, elle n'en n'eut pas le courage.

Ainsi au lieu de lui dire de décamper, de ne jamais chercher à la revoir avant d'avoir été officiellement présentés, elle songea à sa blessure à lui. Aux efforts qu'il avait employé pour la distraire de tous ses soucis et des horreurs vues et vécues. A sa colère, légitime, quand il avait découvert qu'elle se jouait de la vérité. Aux propos qu'ils devaient toujours tenir.
Pouvait-elle oublier le tout sans se sentir coupable ? Non. Cela demandait une dose de méchanceté qu'elle ne possédait pas. Il lui fallait donc trouver une solution plus honorable et… Discrète.

Le bout de ses doigts, hésitant, revint se poser sur le bras du cavalier sans monture. D'un pas lent, toujours titubant, elle les fit se glisser vers l'entrée de la cuisine. Une petite porte sans intérêt, bien moins travaillée que la principale, mais qui n'en restait pas moins peu brute.
Le manoir puait un luxe plus ou moins ancien. Il restait après tout fort beau, comme chaque demeure noble ou presque. Dans le quartier, celles dont les volets étaient clôturés par des planches en bois ou tout simplement inexistants étaient rares. On percevait peu de toiles d'araignées grandissantes aux décorations des étages. Faire correspondre à son rang l'apparat des personnes comme des lieux restait une compétence éminemment usitée.
Aussi ne pouvait-on que se douter que la devanture des pièces fermées ici et là camouflait des lieux en mauvais état. Pas délabrés, simplement… Oubliés. On ne les faisait pas visiter ces chambres aux dorures plus ou moins extravagantes dont les murs et les meubles restants étaient couverts d'une couche de poussière assez importante pour qu'un enfant puisse jouer à dessiner dedans avec ses doigts. Parce qu'il ne fallait pas montrer le début d'une déchéance visible, ou faire éternuer ses invités.
C'était pour ces mêmes raisons que les parties habitées voyaient leur décoration être chamboulée fréquemment. On mouvait un tableau de tapisserie pour camoufler une fissure. Un meuble pour cacher la trace laissée par l'art déplacé. Le jardin noble se faisait gentiment vider, par endroits, pour des roses finement placées devant une tache qu'il ne fallait pas laisser deviner. Dans quelques mois ou années sans doute retrouverait-on chez l'un ou chez l'autre des pots posés à même le sol. Et le décor inquiétant et fou ferait sourire. Mais bref.
Pour le moment donc, rien n'apparaissait vermoulu ou brisé comme dans les parties de la cité plus appauvrie. Les entrées tenaient grâce à toutes leurs charnières et ne hurlaient pas à chaque coup de vent. Les charpentes ne s’effondraient pas davantage que les galeries. Les rideaux ne s'effilochaient pas ou ne tombaient pas davantage en poussière à cause de vilaines mites non chassables que les draps dès qu'on les touchait. Il faisait donc toujours bon d'y vivre dans l'Esplanade. Pour peu les chaumières énormes vues de l'extérieur, avec leurs cours propres, donnaient presque l'impression que la fange n'était pas. Que tout allait bien. Merveilleusement bien.

Luna chuchota encore sur le trajet, mais cette fois pour une raison autre : elle ne souhaitait guère réveiller ses aînés. Père et Mère dormaient du sommeil du juste, si elle ne s'abusait. Les servantes aussi, si elles avaient terminé trop tard pour rentrer dans leur foyer. Pour éviter de percevoir leurs faciès angoissés devant sa tenue, furieux devant son accompagnement, ou encore déçus par les explications qu'elle ne désirait pas donner donc, elle se fit plus discrète encore.
Son autre main lâcha en partie sa cape, le temps de se débrouiller pour réussir à en tenir un bout en place tout en relevant un peu ses jupes afin qu'elles ne froufroutent pas trop.

« Je vous dois bien des choses, mon seigneur. »

Fit-elle en inclinant la tête sur le côté.

« Et voici que vous m'obligez encore. Vous… Nous devons parler. Mais je crains que la situation ne s'y prête guère encore. »

Elle passa la langue sur ses lèvres, paraissant se rappeler qu'elle était éreintée et assoiffée par leur voyage. Si tel était le cas pour elle, sans nul doute était-ce la même chose pour son sauveteur qui ne mandait rien que ce qu'elle pouvait lui offrir.

« Même si… Si nous n'avons jamais été présentés officiellement, je serai là, si un jour vous le nécessitez. Cependant je… Il… Il vaudrait mieux que vous comme moi oublions cette nuitée et nous en défendions. »

Elle se mit à bafouiller, mal à l'aise à propos de ce qui lui venait en tête et qu'elle n'expliqua pas réellement.

« Les rumeurs, mon seigneur, même si elles peuvent complaire sont vraiment… Plus violentes qu'une épée, parfois. Et je ne vous veux du mal. Ou… Ou vous voir prendre sur vous des devoirs que ni mes pères ni vous n'aviez songé à mettre sur vos épaules.  »

Elle releva le menton et le mira gravement.

« Comprenez-vous ? Vous…  »

Un petit soupir franche lui échappa.

« Je crains de ne pas agir bien. Mais je ne sais que faire d'autre... Pour protéger les réputations de ceux qui nous sont liés et la vôtre. Tout est… Tout est né de ma faute et pourtant j'aimerais n'avoir potentiellement mis à mal aucun. »

Une fois devant la porte, donc, la jeune fille relâcha ses jupes, referma encore sa cape qui, dans ce décor, n'avait pas sa place. Elle se détacha de l'homme lige de Dame Yseult, puis, lentement, s'inclina. Bien trop bas, sans doute, pour saluer un simple chevalier.
A nouveau elle sembla se préoccuper du sol sous leurs pieds en s'exprimant encore :

« Pour ce soir… Permettez-moi d'au moins vous faire l'honneur de notre cuisine avant notre séparation. Un bon verre de vin le temps de vérifier votre blessure au moins, mon seigneur… Du moins si vous le désirez vous attend. »

Il n'aurait pas été de bon ton de le laisser de toute manière partir dès à présent ; s'il se vidait de son sang sur la route pour là où il vivait, cela aurait fait mauvaise image. Après tout il s'était blessé en la protégeant et s'était peut-être rouvert en la portant. De même, elle ne pouvait se permettre de le faire attendre à l'extérieur. Il suffirait d'un passant trop curieux. Bref, le faire rentrer lui apparaissait la seule solution possible, même si dangereuse...
Il faudrait aussi trouver une méthode pour empêcher l'accès à cette partie commune où nul feu ne brûlait vu l'heure. Et qu'ils soient discrets, si l'homme acceptait sa proposition. Énormément furtifs, même… Dès fois que pour une fois, Mère décide de ne pas faire la grasse matinée et se trouve quelques plaisirs à tenter des recettes directement cramées. Cela voulait malheureusement dire aussi qu'elle ne pouvait guère aller se changer et se refaire une beauté tout de suite.
Mais trouver une bougie pour ausculter son patient n'allait pas être ardu, au moins. C'était une moindre consolation.
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Aelys De BeauvalCouturière
Aelys De Beauval



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MessageSujet: Re: On peut dormir, la ville veille... [Eadwin & famille]   On peut dormir, la ville veille... [Eadwin & famille] EmptyMar 28 Juin 2016 - 17:36
Le temps filait vite et ne revenait jamais en arrière. L'on était déjà au mois de Mai 1165 et il avait semblé à Aelys que des années s'étaient écoulées là où seulement quelques mois avaient laissé leur emprunte dans son quotidien. Il y avait eu le mariage Ventfroid qui avait fait grand bruit, puis les commandes de clients avaient triplées en l'espace de quelques semaines, la faisant crouler sous la charge de travail et lui donnant une renommée qui, si elle était bienvenue, apportait également son lot d'épuisement face à la masse de créations qu'on lui demanda. Sa rencontre avec Callista d'Ayguemorte marqua un tournant pour le moins singulier autant qu'il fut choquant, se retrouver à repriser la tête de cadavres nobles sur leurs corps décapités la plongeant dans des états de renfermement qui perduraient parfois pendant plusieurs jours, faisant naitre quelques inquiétudes auprès de ses parents comme de ses proches, à qui elle ne manquait pourtant point de sourire pour les rassurer au mieux. La jeune femme gagnait en maturité en même temps qu'on la confrontait à la cruauté de ce monde, lequel s'avéra être plus terrible encore quand on fit une seconde rafle pour le Labret, quémandant ses talents pour œuvrer auprès des gens qui vivaient désormais sur ce maudit plateau. Acceptant de bon cœur, persuadée qu'il s'agissait également de son devoir, elle y demeurait près de deux semaines et eut le temps, hélas, d'y croiser quelques Fangeux qui eurent le mérite d'achever de lui ouvrir les yeux sur l'horreur de ce monde qui était le leur. Sans aller jusqu'à parler de traumatisme, bien qu'on en fut guère éloigné, la couturière revint à Marbrume sans plus guère parler, s'enfermant dans sa chambre durant une longue semaine en refusant de voir quiconque. L'on fit venir un médecin qui déclara qu'elle ne souffrait d'aucun mal et que les prières aux Dieux l'aideraient à se remettre. Peu après alors que Mai commençait, la vie reprit son cours et la fille De Beauval semblait aller de nouveau bien, délaissant cependant les Bas-Quartiers pour se concentrer uniquement sur son travail et l'aide occasionnelle qu'elle apportait au Temple.

Vin le jour où sa chère Tante à qui elle rendait visite lui confia désirer faire confectionner une nouvelle robe et, ayant connaissance des qualités de sa nièce et de son art, lui demanda si elle voulait bien s'en occuper et ainsi lui permettre d'obtenir une tenue qui rivaliserait avec celles des plus belles Nobles de la cour. N'étant point du genre à faire payer son travail au même tarif avec sa famille qu'avec de simples clients, Aelys accepta de la lui produire à un prix fort raisonnable et elles convinrent ensemble, à la demande de l'épouse de Samuel, que ceci demeurait leur secret à elles seules. Ainsi mirent-elles en place des visites régulières sous couvert de s'enquérir de la santé l'une de l'autre, profitant de ces heures pour ajuster les réglages et les différents détails. En ce jour de Mai, la jeune femme avait travaillé tardivement et sa chère Tante l'avait invité à dîner, fit mine de la raccompagner à l'extérieur puis, profitant que ni Samuel ni Luna ne s'occupaient d'elles, la fit passer par la petite entrée pour qu'elle monte à l'étage dans la chambre d'ami où elle l'y rejoignit peu après. S'amusant de ces cachoteries et trop heureuse de pouvoir échanger divers potins en sa compagnie, Adélaïde veilla tardivement en compagnie de sa nièce et l'invita de ce fait à dormir sur place, refusant de la laisser arpenter les rues à une heure trop avancée de la nuit.

C'est ici que prend place notre histoire, alors que Luna et Eadwin sont en train de remonter l'avenue de l'Esplanade et que la fille De Beauval, prise d'une soif nocturne, s'est relevée pour descendre en cuisine se servir un peu d'eau. Craignant de réveiller qui que ce soit ou même d'attirer l'attention, c'est pieds nus et sans la moindre bougie pour éclairer son chemin qu'elle se faufila, en robe légère de nuit, jusqu'à la pièce où elle se servit une coupe et prit place sur une chaise en bois pour réfléchir. Elle songeait beaucoup depuis qu'elle était revenue du Labret, bien plus qu'autrefois et avec une plus grande gravité, chose qui lui donnait parfois l'air plus âgée que ce qu'elle n'était et faisait naitre quelques plissements de front qui allaient la vieillir prématurément à ce rythme-là. Toute à ses réflexions, elle ne perçu que tardivement le léger chuintement d'une voix qui chuchotait et qui lui sembla familière, la faisant se lever de sa chaise et poser la coupe vide sur la table. S'approchant de la porte, elle hésita, tendit l'oreille... et reconnu sa cousine qui semblait s'adresser à quelqu'un, sans qu'elle ne parvienne à comprendre ce dont il était question. Poussant doucement le battant de bois pour l'empêcher de grincer, elle s'avança d'un petit pas.

- Luna ?

La silhouette de la Châtelaine se découpait dans la pénombre, mais à ses côtés se tenait un homme d'une grande taille, un colosse qui projetait une ombre telle que Aelys eut d'abord un léger mouvement de recul, avant que ses yeux habitués à l'obscurité ne reconnaissent les traits d'une personne qu'elle n'aurait jamais cru revoir en ces lieux.

- ... Eadwin ?!

Ayant parlé un peu trop fort sous le coup de la surprise, la fille De Beauval porta une main à sa bouche comme pour en retenir le surplus de son, puis regarda les deux discrets tour à tour, avant de réaliser que quelque chose clochait dans leurs tenues et, tout naturellement, ce fut vers sa cousine adorée qu'elle se précipita, notant l'état de ses vêtements.

- Que s'est-il passé ? Es-tu blessée ?

Une odeur de sang flottait dans l'air malgré les soins reçus, c'était une odeur qu'elle avait eu l'occasion de sentir à de trop nombreuses reprises ces derniers mois, au point qu'elle serait à jamais gravée dans son esprit et ne pourrait point être oublié. Palpant les épaules de Luna, Aelys portait sur elle un regard chargé d'une inquiétude qui menaçait de se changer en angoisse faute de réponse.
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MessageSujet: Re: On peut dormir, la ville veille... [Eadwin & famille]   On peut dormir, la ville veille... [Eadwin & famille] EmptySam 2 Juil 2016 - 16:22
Ils ont failli tous me tuer.

Je m'attendais pas à croiser du monde dans ma propre cuisine la nuit faut dire, pas autant. Et j'étais en pilotage automatique, en train d'assurer les tâches nocturnes propre aux vieux alcooliques. On se rend pas compte quand on est jeune, mais c'est épuisant toute cette maintenance. Y a cette histoire de prostate dans les fraises, déjà. Puis je me relève souvent pour boire un peu, et c'est pas joli à voir. Je dors vraiment pas assez. J'ai une gueule de bois de vingt ans en retard. Vraiment, vraiment pas joli. Toi tu te rends pas compte, t'es jeune, mais j'peux te dire que c'est une créature genre gollum qui est en train de tituber vers la cuisine.

J'ai encore mes vêtements de la veille, parce que j'ai perdu co.... je me suis endormi dans le fauteuil de mon bureau. Principalement pour éviter ma femme. J'ai pas le manque de dignité de faire chambre séparée, mais s'endormir dans un fauteuil tout habillé c'est pas pareil non ? C'est accidentel alors ça compte pas comme un vrai divorce ou je sais pas quelle horreur immorale et décadente. C'est beaucoup mieux comme ça. Puis faire le trajet bureau-cuisine m'évite la difficile épreuve de l'escalier dans le noir avec trois grammes dans le nez. Quand il faut, je le descends sur les fesses, mais depuis que je sais que Luna fait des promenades nocturnes j'fais des complexes. Personne devrait voir son père se traîner le cul par terre comme un chien plein d'oxyures.

J'arrive en titubant dans ma cuisine. Pas de lumière mis à part les braises dans le foyer et la lumière de la lune par les fenêtres. Perdu dans mon petit monde de migraines persistantes et d'aigreurs d'estomac, j'ai crispé mes doigts secs autour d'un broc en terre caché dans un placard derrière un sac de grain pour les poules - les-dites poules destinées aux faucons. C'est le fameux Vitriol du Père Montoya, fait à partir de fruits trop vieux, de sucre et de levure dosés au pifomètre. C'est immonde, mais il y a de l'alcool dedans. Ca me permet de refaire le niveau quand on est au milieu de la nuit et que j'ai envie d'aller me coucher sans me mettre à voir des insectes courir partout - je te raconterai ces histoires là plus tard, quand tu seras grand.

Et alors que je relève le nez et que j'allais me gratter les fesses, je remarque qu'il y a déjà trois personnes dans la cuisine. Ils m'ont regardé faire mon petit parcours comme un vieux chat malade sans m'interrompre.
J'avale de travers et je me mets à tousser comme un cancéreux en perdition. Le coup de la surprise. Je reconnais ma fille, bien sûr, ma nièce, mais c'est surtout le grand connard inconnu qui me perturbe. Et leur attitude à tous. Elle est pas... détendue. Quelque chose cloche.

- Luna ?

Ma voix porte faiblement parce que j'ai trop de glaires qui bouchent le passage. Juste parler me déchire la tête en deux, j'ai envie de m'écrouler sur le plan de travail derrière moi et me laisser mourir. Je déteste la nuit. Je me sens trop mal. Mais l'inquiétude prend le dessus parce que Luna a l'air bizarre.
Je traverse la cuisine à toute vitesse pour un mec à demi mort, renversant une casserole au passage. De plus près je remarque que ses vêtements sont bizarres, ils sont... déchirés. L'homme a du sang sur lui, mais je note ça comme un détail auxiliaire à l'état de ma fille. Qu'est ce qu'il y a ? Qu'est ce qui s'est passé ? Mes pupilles se dilatent de panique, ma bouche s'assèche, l'angoisse vient me déchirer le ventre parce que la seule chose que je comprends, c'est que quelque chose de mal s'est passé, en rapport avec le type armé dans ma cuisine.

Puis, alors que je suis à deux pas de ma progéniture, quelque chose vient m'écraser violemment la poitrine. Disons que statistiquement, les hommes dans la cinquantaine, alcoolique, qui mangent mal, sont pas les plus qualifiés pour apprendre mauvaises nouvelles au milieu de la nuit après s'être envoyé une grande lampée de liqueur. Du coup y a moment de flottement pendant quelques secondes où je me tiens la poitrine et où tout le monde se demande - moi le premier - si je vais pas crever d'une attaque là maintenant. Je me visualise une seconde m'éclater le crâne sur le buffet à vaisselle et tomber raide mort. Mais finalement non, mon coeur me lâche pas et la vie continue. Mais ça m'a mis un sacré coup de frein. Moi j'étais parti pour hurler et secouer tout le monde hein.

- ... s'pase quoi ?
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ArtoriusChevalier
Artorius



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MessageSujet: Re: On peut dormir, la ville veille... [Eadwin & famille]   On peut dormir, la ville veille... [Eadwin & famille] EmptyMar 5 Juil 2016 - 1:56
Luna Montoya était définitivement une bonne personne. Il ne savait pas encore pourquoi elle s'était aventurée seule dans le Goulot, quelle idée saugrenue avait bien pu lui passer par la tête, mais elle ne souhaitait que du bien à son chevalier servant. Elle prétendait qu'elle serait là pour lui s'il avait un jour besoin de ses services et suggéra qu'il valait mieux que l'aventure de ce soir ne reste qu'un secret entre eux. Dans l'absolue, Eadwin de Rivenoire se fichait bien de faire savoir qu'il avait secouru une jeune Châtelaine dans le Goulot de Marbrume. Contrairement à Luna Montoya, il ne se rendait pas forcément compte de l'impact des rumeurs sur deux personnes issues de la noblesse. Toutefois, il respecterait son choix car il avait décidé de suivre son avis. Il se doutait bien qu'elle n'agissait pas ainsi sans raison mais il n'était pas évident pour le protecteur de devenir le protégé. Celui qui avait l'habitude de tirer sa lame et de se munir de son bouclier pour défendre la veuve et l'orphelin devait-il vraiment laisser une inconnue l'art des mots à sa place ? Elle était peut-être plus douée que lui.

« Tout ira bien, Damoiselle Luna. J'accepte votre invitation, je vous accorde qu'une coupe me ferait le plus grand bien. »

Sa jambe lui faisait mal également mais il s'agissait du domaine de l'inavouable. Il ne voulait pas la laisser penser davantage qu'il puisse être tiraillé par sa blessure, il percevait déjà qu'elle était du genre à s'inquiéter facilement. Sa bonne conscience lui dictait donc de ne pas la faire de sentir davantage responsable pour sa plaie importune. De plus, il ne sentait pas le sang couler le long de sa jambe. Il pouvait se tromper car elle devait être encore partiellement endormie par les herbes médicinales mais il n'avait pas forcé dessus depuis qu'ils avaient quitté le Goulot. Cela le dérangerait certainement de boiter quelques jours mais il n'avait pas le droit de s'en plaindre, pas devant quelqu'un qui connaissait cela depuis sa prime jeunesse. Il se demandait encore plus dans ces circonstances pourquoi elle se rendait toute seule dans les bas quartiers. Cette question ne quitterait sans doute jamais son esprit avant de recevoir une réponse convaincante. Ils se rapprochèrent donc de la petite porte en bois grinçante qui donnait sur la cuisine de la demeure des Montoya mais coup du sort ou du destin, elle s'ouvrit avant même que Luna ne put poser sa main sur la poignée. Il jeta un regard en coin à sa petite voisine qui semblait catastrophée. « Oh mon dieu, non, pas ça ! On va me voir avec le grand chevalier… Zut alors. »

Ce n'était pas possible. Il connaissait cette silhouette vêtue d'une robe légère. La splendeur de sa chevelure d'or, les traits de son visage, elle lui rappelait quelqu'un qu'il avait croisé il n'y a pas si longtemps que cela. Dans la pénombre, il eut à peine du mal à la reconnaître. Soudain, l'évidence le frappa. Luna Montoya. Cousine. Aelys de Beauval. Aelys était vraiment ici, devant eux ? Cette même Aelys qui l'avait repoussé suite à un enchaînement de maladresses pendant le mariage de Ventfroid juste avant l'Opération du Labret ? Oui, c'était bien elle. Elle n'avait pas vraiment changé pour Eadwin de Rivenoire, elle était toujours aussi jeune et resplendissante.

« … Aelys… Quelle surprise. »

En effet, elle était vraiment inattendue. Lorsqu'il n'était pas foncièrement occupé, il lui arrivait de repenser à ce qu'ils avaient vécu le jour du mariage de Ventfroid. Il n'y avait pas de regret et avec les mois qui avaient filé, il avait pensé qu'il ne la reverrait plus comme son instinct le lui avait suggéré lorsqu'elle avait quitté ses bras dans le fameux couloir du Manoir de Mirail. Elle n'était pas dupe et morte d'inquiétude, se précipita sur sa chère et tendre cousine pour prendre de ses nouvelles. Comme ça, ils avaient l'air de deux vagabonds qui revenaient d'une altercation. Dans la précipitation, ils entrèrent donc tout les trois dans la cuisine. Ce n'était pas désagréable de quitter la noirceur et la froideur de l'extérieur. Il resta cependant à l'écart, étant bien conscient qu'il venait d'entrer dans l'intimité d'une famille qu'il respectait à sa juste valeur.

« Elle va bien, elle n'a pas été blessée. »

Et soudainement, si ce n'était pas suffisant, une tierce personne vint rejoindre le semblant de fête qui avait l'air de s'organiser. Demandez la cousine, demandez la fille et vous aurez le paternel de cette dernière. Il ne le reconnut pas car il ne l'avait jamais croisé mais il se doutait bien que pour se promener à une heure si tardive dans la cuisine du domaine des Montoya, il ne pouvait être que Samuel. Interloqué, il nota le manque d'élégance et de raffinement du père de Luna Montoya qui pensait être seul jusqu'à présent. Ce fut à son tour de faire par de son inquiétude pour sa fille, laissant bien entendu le chevalier au second plan. Deux options s'offrirent alors à Eadwin de Rivenoire. Se taire et laisser à Luna la responsabilité de justifier cette mascarade ou alors de se comporter en… Eadwin. Nul besoin d'un lancé de dés pour se décider, il remarqua bien que la jeune femme était à la fois tendue et perdue. Elle avait espéré pouvoir cacher son salvateur pendant un certain temps mais cette option était vaine. Se raclant la gorge, Eadwin fit donc tomber le drap qui recouvrait toute son armure par terre. Si Aelys le savait déjà, Samuel pourrait immédiatement déduire qu'il était un chevalier.

« Mon Seigneur, c'est un honneur de rencontrer le père de la damoiselle Montoya. » dit-il, en frappant l'emplacement avec son poing droit tout en s'inclinant. « Je peux tout vous expliquer, si vous permettez. » suggéra-t-il, notifiant bien que tout ce qu'ils voulaient, c'était bel et bien des explications, il enchaîna avec la première idée qui lui traversa l'esprit. « Bourg-Levant. J'ai assisté à l'enlèvement de votre fille au Bourg-Levant. Deux hommes, armés, l'ont traînée jusque dans le Goulot. Je les ai suivis, aussi vite que le poids de mon armure peut le permettre. Je suis intervenu juste à temps, juste avant qu'ils ne décident de commettre l'irréparable, l'inacceptable. L'intégrité et l'honneur de votre fille sont saufs, ses agresseurs ne seront plus jamais de ne toucher ne serait-ce que sa chevelure, vous pouvez me croire. »

Il observa alors Luna Montoya du coin de l’œil. Ce mensonge semblait plutôt cohérent et pas très éloigné de la vérité, si ce n'était qu'il n'avait pas sauvé sa fleur comme il le prétendait mais plutôt interrompu le viole de son amie prostituée, la fameuse Martille. Il ne savait pas non plus s'ils étaient susceptible d'accrocher à sa version des faits, il allait falloir que Luna Montoya lui donne un petit coup de main pour la rendre plus crédible. Elle pouvait le lire dans son regard, elle qui venait de partager presque une nuit en sa compagnie. Aelys serait sûrement suspicieuse en considérant qu'elle connaissait les activités nocturnes de sa cousine adorée. Enfin, Eadwin de Rivenoire était persuadé d'avoir fait le bon choix. C'était à lui de protéger la réputation de Luna, il était le chevalier protecteur. S'il eut envie de faire les choses autrement, il avait préféré faire ce que lui avait dicté son honneur et plus simplement encore sa façon d'être.

« Veuillez m'excuser, mon Seigneur. Je suis Eadwin de Rivenoire, chevalier de Traquemont sous la coupe de sa Châtelaine, Yseult. » ajouta-t-il, s'inclinant à nouveau. Dans ces moments-là, la politesse n'était jamais de trop. « En revanche, j'ignore ce que votre fille faisait au Bourg-Levant seule et sans escorte. »

Oui, cela l'agaçait de ne pas savoir. Il avait dit cela sous le coup de la colère montante, il n'y avait sûrement pas la moindre chance pour que la concernée ne dévoile les vrais raisons de ses malheurs de ce soir devant son paternel et sa cousine. C'était une façon de comprendre que s'il était compréhensif et bienveillant, sa patience connaissait certaine limite et qu'il était capable de tenir tête aux plus audacieux du moment qu'il ne leur manquait pas de respect impunément. Il prit bien soin de ne pas s'enorgueillir devant eux du fait qu'il avait sûrement sauvé la vie de Luna en finalité. Ils étaient libres de le comprendre par eux-même, il n'avait nullement besoin de le faire remarquer. La parole revenait donc désormais à celle qui s'était faite discrète depuis un court moment. Têtes braquées dans sa direction, l'heure pour elle de donner des explications était venue.
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MessageSujet: Re: On peut dormir, la ville veille... [Eadwin & famille]   On peut dormir, la ville veille... [Eadwin & famille] EmptyMar 19 Juil 2016 - 4:58
A peine avait-il accepté son invitation et en avait-elle éprouvé un soulagement frustré que la porte de la cuisine s'était ouverte et ce autrement que sous la pression de ses doigts trop pâles ou des siens trop armurés. Luna avait retenu son souffle, soudainement, avant de reconnaître la voix appartenant au délicieux fantôme se dressant sur le seuil. Aelys. Puis ensuite, tout s'était encore enchaîné. Comme chaque fois, un ennui n'arrivait jamais seul.
Aux soucis dans le Goulot s'était donc jointe son aînée, puis… Son père. Il n'y en avait pas deux sans trois. Enfin. Lui était plus aisément reconnaissable au moins, même dans la pénombre et pour une femme ayant une vue pourrie : elle le côtoyait tous les jours et à son regard il n'y en avait pas deux comme lui puisqu'il était le seul homme de la maisonnée. Se traînant autant que sa cousine apparaissait agitée, il avait vaqué presque automatiquement vers une cachette qu'elle n'avait guère songé à fouiner jusque présent, dans un bout de la cuisine peu intéressant à son goût, et en avait sorti un truc qu'il avait porté à ses lèvres.
Indifférente aux palpations de sa cousine, sans doute sous le choc de voir sortir un duo de ses parents de l'ombre l'une des seules nuits où vraiment elle aurait préféré ne percevoir personne et se blottir dans son lit toute seule, sous ses coussins, Luna avait suivi son paternel du regard, de plus en plus pâlotte à chaque seconde. Même la tenue complètement indécente de sa cousine et le geste éminent de grattage de fesses de son géniteur n'avaient pas attiré de commentaire provenant de l'enfant blonde. C'était dire combien elle était passablement éprouvée.

Elle n'avait paru sortir en partie de sa torpeur que quand son adorable et alcoolique père s'était mis à chanceler, se tenant la poitrine comme si son cœur allait en jaillir violemment. Dire qu'ils partageaient à petite dose le même sentiment aurait été un pléonasme, même si les risques cardiaques pour la jeune fille étaient moindres ; elle entendait en fait simplement son sang pulser, là haut, sur ses tempes, sa respiration s'était faite diaboliquement chaotique, elle frémissait aussi sans trop savoir si c'était d'éreintement ou de culpabilité et son sein lui faisait mal de même, mais pour d'autres raisons. Le fait qu'elle avait encore fait une connerie notamment en était une. L'idée que papa était malade en était une autre. Les paroles que l'on pouvait prononcer ne surpassaient en tout cas pas le bruit du liquide rouge tant apprécié en sauce tartare par les fangeux. Tout, outre les doigts crispés de son paternel paraissait lointain, comme des morceaux d'un rêve qui nous échappent au réveil.
A présent tandis qu'Eadwin sortait le début d'une explication abracadabrante en s'inclinant, la damoiselle s'avançait vers Samuel. Inquiète, effrayée par les pensées qui se bousculaient, incapable de parler ou de faire réellement attention à quoi que ce soit qui n'était pas son papa, elle s'approcha de lui donc. L'odeur de l'alcool qu'il n'avait pas régurgité étrangement la rasséréna lorsqu'elle fut capable de la sentir, tout comme ce qu'il maugréa. Et sa main libre, celle qui ne tenait pas sa cape fermée et qui s'était relevée pour toucher son aîné se rabaissa dans le vide avant de se camoufler sous la large étoffe.

La fille Montoya dut cependant s'y reprendre ensuite à plusieurs fois pour prononcer le moindre mot. Le public était trop large, la situation beaucoup beaucoup trop embarrassante et troublante et ce fut donc un silence coupable qui suivit en premier les dires du chevalier. Elle glissa un coup d’œil à son sauveur, rebaissa la tête, en fit de même avec son paternel, ramena son attention sur le sol, puis offrit le même regard à Aelys. L'envie de camoufler ses paumes dans son dos en attente d'un sermon la titillait, cependant elle se rappela à temps sa robe mal en point et, à la place, raffermit sa prise sur ce qui camouflait les vilaines déchirures.

« Peut-être pourrions-nous… Nous occuper de votre blessure en premier lieu mon seigneur ? »

Oui bon, ce qu'elle finit par réussir à dire ne résumait pas vraiment tout ce qu'elle avait en tête. Mais son ton, une note trop haute et l'éclat dans son regard pour qui y voyait assez prouvaient assez son affolement naissant depuis un moment. De même que la blancheur de ses phalanges et de ses joues si le besoin s'en faisait sentir. Ni le début de colère contenue du chevalier, ni son mensonge qu'elle n'avait guère totalement écouté n'avaient dû l'aider à se décider à propos de son discours.
Elle déglutit, parut à nouveau se rappeler qu'une deuxième blonde qu'elle aimait se trouvait dans le coin et se tourna un peu trop vivement vers elle, chancelant un peu alors. Le vouvoiement lui vint aux lèvres naturellement, après tout elles n'étaient pas seules et les habitudes ont la vie dure, même en période de stress.

« Ma cousine vous.. Pourriez-vous le recoudre s'il le faut une fois que… Que nous serons décentes ? Si... L'on nous permet de nous retirer.»

Après tout, il ne manquait plus que Mère dans cette fête improvisée, aussi ses envies de prudence précédentes s'étaient-elles envolées. Une de plus ou une de moins pour la discussion qui s'annonçait ne changerait plus grand-chose, autant alors se faire propres. Surtout que dans leurs armures, elles pourraient toutes deux mieux tenir tête aux deux hommes respectés si l'occasion le nécessitait. Une dame n'était jamais aussi vulnérable que mal habillée, n'était-ce pas ce qu'un professeur d'étiquette lui disait un temps et ce qu'elle ressentait en ce moment en partie ?
Sa main libre refit surface et ramena une mèche de cheveux potentiellement inexistante derrière une oreille en tremblotant. Il fallait juste espérer qu'en pénétrant dans sa chambre elle ne ressentirait pas l'envie pressante de prendre la fuite pour de bon et de s'y enfermer. Celle-ci était déjà présente, à dire vrai, mais pour le moment elle se savait capable d'y résister.
Luna mira à nouveau le sol, n'osant plus fixer quiconque alors qu'elle marmonnait, de sa voix ayant repris une douceur et une hauteur normales, son sempiternel mensonge coupé cette fois avec de la vérité.

«  Le seigneur de Rivenoire s'est assuré que… Que j'aille bien... »

Elle hésita à nouveau, bien consciente que l'on attendait toujours d'elle des explications qu'elle ne parvenait point à formuler. Expliquer à un inconnu devant ses aînés qu'elle sortait souvent seule était inimaginable, même s'il était son héroïque chevalier de la soirée. Père serait alors sans doute obligé de réagir pour ne pas laisser croire qu'il cautionnait, ou alors risquait de se trouver dans une position désagréable. Et puis elle risquait de se faire gronder pour ne pas avoir été d'autant plus prudente, non ? Elle n'en n'avait pas vraiment besoin ce soir.
Non, vraiment, elle ne pouvait rien dire. Le dialogue aurait été tout autre si le chevaleresque guerrier et elle avaient eu un semblant de solitude, mais à présent il fallait trouver autre chose. Un truc ou un autre qui ne lui demanderait pas de mentir, mais qui ne mettrait pas mal à l'aise son papa.
Elle tergiversa avec elle-même et faillit argumenter pour remettre à un horaire moins indu la confrontation. Le tout afin de permettre à son esprit épuisé de trouver d'autres idées et de laisser ses nerfs lâcher dans l'intimité de sa chambre.

« Mon père s'il vous plait... Offrirez-vous à notre hôte de quoi se repaître ? »

S'entendit-elle finalement proposer. Non visiblement, dans certaines situations, Luna Montoya maniait bien moins l'Art des mots que le chevalier de Rivenoire, bien qu'elle ait pu laisser entendre malencontreusement le contraire précédemment.
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