Tomber sur un os [Xandra & Marwen].

La rousse était bien incapable de savoir ce qui l’emportait sur la colère ou le soulagement. Bien sur elle lui avait accordé un tantinet de confiance, la réaction de Marwen était saine et logique mais elle n’avait pu mettre de côté l’idée que ce type essayait de la lui faire à l’envers. De son côté il était normal que sa confiance soit relative, surtout qu’elle avait avec brio “perdu” leur petite conversation. Qu’il remette en question ses capacités à rouler une patrouille entière était, il fallait l’admettre un peu vexante mais guère étonnante.

« ...Bha ouais, il demeurait toujours le risque que, après notre charmant tête-à-tête dans cette taverne, tu en aurais pris ombrage, tu m’aurais pris en grippe, et que tu aurais décidé de me mettre un coup de couteau dans le dos en allant aussitôt me dénoncer à tes soldats, là. C’était une hypothèse, une conjecture, et je suis du genre à prendre mes précautions. Alors sois pas fâchée, chérie... »

C’était donc ça. C’est que c’est homme ignorait encore à quel point, ce qui avait le don de mettre Xandra dans des situations franchement foireuses, était sa capacité à pardonner. Elle avait peut être raté sa vocation de religieuse. Enfin, fallait le penser vite. Puis c’était dans sa nature, elle tendait la main à tout et n'importe quoi, surtout les chiens perdus, bannis à l’occasion.

- Si je t’avais pris en grippe je me serais dégagé de ton étreinte bien avant d’arriver dans cette cour et je n’aurais pas prit le risque de me faire voir avec toi à emmerder Anémone. Je serais rentrée depuis longtemps chez moi.

C'est ce qu'il aurait fallu faire...

Un demi mensonge, si Xandra coulait des jours “heureux” dans la milice, qu’elle était restée droite dans ses bottes élimées, le fait est que...Le baratin et la chasse au trésor lui avait franchement plu, peut être un peu trop en l'occurrence. C’était assez inquiétant, mais il serait temps réfléchir plus tard parce qu’il venait d’ouvrir le sac et déjà Xandra louchait sur son contenu.

« Bon, notre Anémone n’était peut-être pas aussi riche que prévu -ouais, t’as ma promesse que je cherche pas à te duper, ma grande, mais c’est déjà pas mal, en fin de compte. »

- Pour le temps passé, ça valait le coup.

C’était qu’un cambriolage, quand on était paranoïaque, ce qu’elle avait été avant de se ramollir un peu en changeant de “carrière”, prenait parfois des jours d’organisation. Là même si les pièces qu’il lui faisait miroiter entre ses doigts ne valaient plus grand chose, c’était toujours un plus non négligeable. Peut être, peut être qu’ils tenaient là le moyen pour elle de quitter son vieux grenier pour un logement plus...décent. Après tout, même si ce soir encore son passé s’était rappelé, de manière fort agréable, à son bon souvenir, il était peut être temps de passer à autre chose.

- Ce n’est pas un problème ça.

A défaut qu’il l’ait gardé à la bonne, elle avait un contact que l’alcool ou l’argent rendrait ouvert à la discussion. Xandra écoulerait ce qu’il y avait à écouler et si elle se faisait un peu avoir par le négociant, par principe pour ce qu'elle était, ce ne serait pas l’arnaque non plus, et surtout, surtout, il fermerait sa gueule.

Le regard s'était fait plus noir en voyant la bague lui passer sous le nez, mais sans Marwen elle n’aurait pas su ou creuser, n’aurait pas creuser tout court d’ailleurs et serait rentré en sale état, vu le bouge où elle s’était pointé la bouche en cœur, avec ou sans Marwen les choses auraient probablement mal tournés. Avec une certaine délicatesse, la rousse lui avait piqué le collier des mains pour le lorgner de plus prêt. Les perles étaient vrais à n’en point douter. Un sourire se dessina sur son visage avant qu’elle ne le lui rende, pour l’instant.

- Très bien, il est a moi, la moitié des pièces aussi. On s’occupera de la répartition ensemble.

Si Xandra se moquait bien que la tombe reste en l’état, parce qu’a priori elle n’allait pas recommencer, hein, elle n’allait pas recommencer ? Elle comprenait bien que la situation était différente pour lui. Avec une petite moue presque jalouse, la jeune femme se remit en marche.

- Dépêchons nous. J’ai hâte d’en finir.

Xandra le gardait à l’oeil, si elle avait put grogner, elle l’aurait fait. Qu’il n'essaie pas de s’envoler avec le butin, même si elle en doutait à présent. Après tout il aurait pu le faire toute à l’heure et venir reboucher le trou plus tard, sans elle. Mais ! Il était bien capable de vouloir la mettre à contribution pour pelleter et prendre la poudre d’escampette ensuite.

De retour à l’intérieur non sans avoir vérifié avec sérieux et patience les alentours, ils étaient revenus jusqu’à la tombe béante d’Anémone.

- Laisse le sac bien en vue s’il te plait...

Sur ces mots, Xandra lui tendit sa pelle.

Revenir aussi sereinement dans le dos de la rousse, avec une nonchalance teintée de moquerie, avait été un petit plaisir que l’Esbigneur n’avait pu s’empêcher de s’offrir. Le sourire espiègle, le ton ironique et la confiance qu’il exhibait avaient de quoi provoquer la colère de plus d’un, comme il l’avait déjà appris à ses dépens, et le contrebandier se posait bien la question de connaître la réaction de Xandra. Cette dernière fut plus difficile à juger que prévu, oscillant très certainement entre le soulagement, l’indignation, et la colère, et Marwen ne put évaluer le sentiment qui prévalait le plus. Mais qu’importait ; il n’y eut pas de mouvement brusque et désordonné, de lame que l’on tire soudainement de sa botte pour la planter avec un geste rageur dans le corps de son prétendu adversaire. Il en avait connu, des comme ça.

En réalité, après une petite phrase de justification qui expliquait, avec bien davantage d’assurance qu’elle n’en avait possédé alors, qu’elle se serait aisément débarrassée de sa personne, la milicienne reporta toute son attention et sa curiosité sur le sac que tenait constamment l’Esbigneur. Des fois, il ne fallait pas grand-chose pour faire naître un sourire sur quelques tristes visages, et le contrebandier avait remarqué que tout ce qui brillait avait l’étrange capacité d’illuminer le plus chagriné des faciès. Là encore, ce fut le cas pour Xandra, dont la commissure des lèvres s’ourla en voyant miroiter les trésors oubliés de la tombe d’Anémone. L’or avait aussi cette faculté de pouvoir oblitérer tout regret, tout scrupule, alors même qu’un sacrilège avait été proféré. Elle s’empara avec un empressement certain du collier désigné, faisant ruisseler les perles entre ses doigts, et cette agréable sensation lui fit bien vite oublier la bague qu’elle n’obtiendrait pas. Si Xandra était satisfaite, alors Marwen l’était tout autant ; voilà une bonne chose de faite, qui s’était réglée à l’amiable, dans un partage aussi équitable qu’il avait pu être possible d’effectuer.

Ils se remirent en marche, entrant de nouveau dans le cimetière, jusqu’à parvenir à la cavité creusée dans la terre, découvrant la tombe pillée. Xandra manifesta une inquiétude à peine voilée, craignant que le contrebandier ne tentât de la fourvoyer, et il fut convenu que le sac devait demeurer bien en vue.

« T’as peur que je m’esbigne de nouveau alors que je suis revenu comme un prince, juste pour toi, princesse ? Ingrate, va », lui rétorqua-t-il, mais il y avait bien davantage d’un amusement léger dans sa voie que d’indignation. Ils touchaient tous les deux à la fin de leur petite escapade nocturne, et celle-ci s’était réalisée dans les meilleures conditions qui fussent. Difficile que de feindre la mauvaise humeur, surtout lorsqu’elle n’avait pas raison d’être. En constatant l’état de la sépulture, la milicienne tendit sa pelle au contrebandier, lequel possédait toujours la sienne, dans son propre sac.

« Ah, on s’échange nos pelles, désormais ? J’aurais plutôt été d’avis de se les rouler, mais bon, ça nous retarderait, et ça t’empêcherait tout autant de bêcher. Parce que pense pas que je vais être le seul à tout reboucher, hein. Tiens, prends donc la mienne. »

Après cet échange d’outils qu’un regard extérieur trouverait fort courtois, très poli, et totalement inutile, ils se mirent tous deux à creuser dans le monticule de terre, et jetèrent des pelletées dans la tombe, par-dessus le cercueil. La patrouille ayant été éconduite par les soins de Xandra, ils ne furent plus dérangés dans leur labeur ; le couvre-feu régnait toujours dans la capitale, et les bonnes gens tentaient rarement que de l’outrepasser, à plus forte raison encore dans un cimetière que la croyance populaire rendait parfois hanté. Mais point d’ombre d’Anémone planant sur leur épaule, prête à déchaîner sa colère ancestrale sur les misérables qui avaient osé profaner ses restes, non. Il n’y eut que de la terre que l’on jetait, et un trou que l’on reboucha avec cette dernière.

Lorsque tout ceci fut accompli, Marwen reposa sa pelle et se frotta les mains.

« Voilà une bonne chose de faite. Bon, le partage, désormais ? »

Il s’empara du sac, toujours aussi bien laissé en vue, et, le prenant à l’envers, le vida complètement sur le sol. Ils étaient ainsi certains qu’aucune piécette ne resterait à l’intérieur, et un rapide coup d’œil de l’Esbigneur à l’intérieur le confirma. Ce fut pour le moins très simple ; Marwen conserva la bague et tendit le collier de perles à sa partenaire. L’espèce sonnante et trébuchante, quant à elle, fut partagée en deux tas égaux, et ils récupérèrent chacun une petite poignée de couronnes d’or anciennes.

« Rien de moins, rien de plus, pour toi comme pour moi, mais c’est déjà pas mal, ouais, pour le temps que ça nous aura pris. En vrai, je crois bien que jamais dans ta vie de milicienne tu auras gagné cette somme-là. Enfin, si tu parviens à négocier un bon prix de ce collier. Sur ce, laisse-moi donc reprendre ton second sac, là, que j’aille le ranger où je l’ai trouvé. A l’avenir, chérie, si jamais il te prend de nouveau l’envie de te faire passer dessus par toute une taverne et qu’au dernier moment, tu veux plus, fais-moi signe, l’on pourra de nouveau s’arranger. Ou si jamais t’as un truc pas net à faire ou qui fait chier du côté de la milice… A voir l’affaire, mais moyennant de l’oseille, là aussi, je suis sûr que l’on pourra s’arranger. Ou si tu t’ennuies tout simplement, par l’une de ces longues soirées d’hiver… »

Il lui lança un clin d’œil équivoque, rieur, lui fit un dernier salut, et s’en fut dans la nuit.