Une bien sombre histoire [Libre] Terminé.

-Janvier 1165

Le mot était venu d'un informateur, une putain des bas quartiers aurait des informations à propos de disparitions étranges au Labourg, c'est pas comme si personne disparaissait jamais par là-bas, mais ça devenait trop fréquent. Qu'on retrouve un gamin du cru tabassé à mort dans une ruelle était triste mais pas vraiment inhabituel, au moins on retrouvait les corps, que les travailleuses et les passants commencent à s'évanouir dans la nature c'était autre chose.

L'ordre fût donné de creuser tout ça, hors de question selon le Sergent qu'un malade se ballade librement en ville, on en a déjà assez sur les bras entre les fangeux et les bannis, on va pas laisser traîner cette histoire.

La catin en question attendait dans une ruelle derrière un bordel, elle disait avoir vu quelqu'un traîner un corps dans une allée la veille au soir, mais la dégaine du type était louche, pas le genre de ceux qu'on croise par ici, ganté et encapuchonné, entièrement en noir, une allure d'assassin. Elle avait filé sans demander son reste et chargé un môme du quartier d'aller prévenir la milice, le quartier est déjà assez dangereux comme ça disait-elle.

«Et forcément c'est sur moi que ça tombe, cette histoire sent presque aussi mauvais qu'une ruelle du Goulot, c'est pas bon...»

Il l'avait suivie jusqu'à la ruelle en question et avait erré un moment avant de remarquer des traces dans la fange ignoble qui recouvrait le sol, traces de pas qui menaient jusqu'à l'entrée d'une cave encore plus sombre et puante que l'allée.

«Quand faut y aller...»

Le verrou de la porte n'eut aucun mal à sauter tant le bois était décrépi et le métal rongé par l'humidité et la pourriture ambiante, l'intérieur ne s'avéra pas mieux, une série de marches usées et glissantes s’enfonçaient en tournant sous la terre, le faible éclat d'une torche vacillait dans son alcôve, nappant la pièce en contrebas d'une lueur diaphane et d'ombres tremblotantes. Au delà de l'odeur de moisi et de renfermé, celle très caractéristique et entêtante du sang, et derrière, un parfum d'horreur, comme si les murs eux-mêmes exsudaient une peur sans nom, comme si la terreur la plus noire imprégnait chaque recoin des lieux.

«Putain mais c'est pas vrai!»

A l'intérieur un carnage sans nom, des chaînes pendaient du plafond et des murs, au milieu des tables où s'entreposaient divers instruments douteux trônait un chevalet et sa pauvre victime, méconnaissable au-delà de l'entendement, affreusement mutilée, impossible de dire s'il s'agissait d'un homme ou d'une femme tant les dégâts étaient étendus, et le corps ensanglanté. Les tâches de sang frais sur le sol et le chevalet recouvraient d'autres tâches plus sombres donc plus anciennes, voilà où ils étaient tous passés. Et comme un verre d'eau au visage, tout lui revint brutalement, comment il était rentré chez lui après sa journée aux champs, pour découvrir l'horreur de ce que les fangeux avaient laissé de sa famille, de son monde, de ses rêves...

Tandis qu'il s'agenouillait pour vomir il entendit une porte grincer au fond de la pièce...

Sale affaire...

Siegfried, ayant pour mauvaise habitude de fourrer son nez là où les autres grillaient leur flair, était parti se paumer dans les quartiers boueux, suivant une rumeur de taverne selon laquelle un aliéné commettait des enlèvements en toute impunité. Ce genre d'histoire faisaient peur aux troufions mais, évidemment, le gaillard au faciès cramé voyait là une opportunité de fracasser des crânes sans avoir à se soucier de la justice. Après tout, cela faisait partie intégrante de son boulot.

En chemin, il rencontra un groupuscule de trois courtisanes qui firent étalage des services qu'elles pouvaient rendre. Bien qu'alléché par la perspective de goûter aux cuisses de l'une d'entre elles, le jeune milicien se ravisa car il était en mission. Tâchant d'ignorer ses instincts primitifs, il se concentra sur l'essentiel et posa quelques questions. Subitement bien moins aguichantes, les donzelles firent part de certaines informations dont elles avaient eu vent dans la journée.

Dans le coin, on parlait vaguement d'une silhouette sans visage qui passait furtivement d'une ruelle à l'autre. On évoquait également des histoires de corps traînés au bout de cette même allée, hypothèse que rien ne venait étayer, la pluie effaçant toute trace d'un quelconque crime. Malgré tout, les catins parlaient d'une cave dont personne n'osait s'approcher. C'était maigre, mais suffisant pour éveiller la curiosité du jeune bagarreur en quête de glorieux combat. Saluant les petites en promettant qu'il repasserait quand il aurait achevé son service, Siegfried reprit la route.

Son enquête le mena à la fameuse localisation. Il en examina l'entrée un instant, c'était répugnant... La boue, la crasse et le foin venaient gober ses semelles comme de curieux sables mouvants citadins. S'embourbant dans cette mélasse, il se déplaça maladroitement tel un porteur d'échasses pour faire le tour de la structure. Une fois de l'autre côté de l'allée, il détailla le sol un moment pour finalement distinguer quelque chose de louche sous un gros tas de foin. Dégageant le tout de quelques coups de pieds, il découvrit avec stupeur la présence d'une trappe habilement camouflée. Passage secret, sortie de secours ? Un seul moyen de le savoir...

Armé de courage, mais surtout de son épée qu'il empoignait comme un sauvage, le soldat ouvrit la fameuse trappe. Une puissante odeur de charnier vint lui chatouiller les narines et lui arracher un gargouillement gastrique significatif: les remugles de charognes n'étaient pas faits pour les hommes, même les plus costauds. S'il ne voyait rien d'autre qu'un escalier, il se doutait bien de ce qui l'attendait en bas. Inutile de chipoter plus longtemps, le voilà lancé. Une marche, une autre, et son pied se posa sur une matière non-identifiée, suffisamment gluante pour le faire chuter violemment. Dans un fracas assourdissant, il roula, se retrouva tout en bas et se cogna la tête contre la pierre, ce qui le sonna pour un bon moment.

...

L'éveil fut rude, son sommeil n'ayant pas été des plus confortables. Blessé à l'arcade, Siegfried se retourna sur le dos en toussotant mollement. Il avait froid, il était trempé, plein de sang et de flotte, et son mal de crâne valait bien mille gueules de bois. Mais plus important que le probable rhume qu'il allait se farcir, il y avait du bruit pas loin.

Le milicien retrouva rapidement sa lame et s'aida d'un mur pour se redresser. La structure glacée suintait, comme tout dans cet abject cloaque par ailleurs, et le contact ignoble de cette surface curieuse lui rendit ses facultés olfactives. Ca puait la mort, et pas qu'un peu, mais son nez s'y était habitué durant son sommeil improvisé, lui épargnant ainsi un vomi bien mal venu.

Et qu'est ce qui suintait comme ça, par ailleurs ? Son oeil unique s'adapta finalement à l'obscurité ambiante, et il réalisa la sinistre réalité de ce lieu. Un sacré charnier, où d'innombrables cadavres découpés comme des pièces de boucherie étaient entreposés. Du gros boulot, pas abattu en un jour, et peut être pas par un seul homme. Ce bruit, dans la pièce voisine, c'était sûrement le responsable de ce carnage.

Sanguin comme il était, Siegfried se colla trois baffes de sa main libre afin de se remettre d'aplomb, il serra son épée et partit vers la salle adjacente avec une seule idée en tête, bousiller de la cheville. D'un délicat geste du poignet, il fit discrètement bouger la porte et entendit alors un gargarisme mystérieux. Ni une, ni deux, il fonça tel un boulet de canon et enfonça brutalement la porte en poussant un beuglement monstrueux. Avec sa tête d'épouvantail grillé et son cri de guerre digne des plus grands barbares, il aurait fait peur à n'importe quel bouseux du coin.

Une violente douleur lui saisit les entrailles, tant le cauchemar ambiant était insurmontable, même pour quelqu'un qui comme lui avait vu son lot d'horreurs, les fangeux c'est une chose, des bêtes décérébrées, des zombies inconscients mus uniquement par leurs instincts primaires. Mais ça c'est autre chose, le ou les salauds qui ont fait ça n'ont aucune excuse, pas même la folie, surtout pas la folie.

Une porte nichée dans la pénombre grinça doucement, et plissant les yeux il scruta les ténèbres pour voir un hurluberlu couvert de sang débouler en tenue de combat arme au poing et hurlant comme un damné, les intentions du gus sont claires, ça va charcler. Et c'est qu'il a une sale tronche le type en plus, du genre pas commode, mais l'air familier en même temps.

«Attends c'est pas ce type, Siegfried? La recrue qui s'est fait balafrer dans une taverne douteuse des bas quartiers? Le type était descendu picoler seul et sans armes dans un tripot puant et décrépi, avait cherché la bagarre et s'était réveillé défiguré, il avait eu de la chance de se réveiller tout court, la plupart du temps les comiques comme lui finissent par flotter dans les égouts ou les eaux du port. Le problème c'est qu'il m'a pas reconnu, et qu'il a l'air bien déterminé à me faire sauter les rotules, et plutôt deux fois qu'une.»

Par chance, il avait pas l'air d'y voir grand chose avec son arcade éclatée et le visage couvert de sang, et s'étala de tout son long en trébuchant sur une pierre saillante.

«Du calme, tu me reconnais pas? Et puis qu'est-ce que tu fous là, me dit pas que c'est toi qui as fait tout ça?!»

Le type avait l'air un peu sonné et dans tous les cas pas en état de se battre, ça lui laissait un peu de temps pour explorer le reste de ce charnier sordide. De la porte maintenant ouverte dans le fond émanait une puanteur d'outre-tombe insupportable, c'était donc là que ces pauvres gens finissaient, et vu l'état de certains, enfin de ce qu'il en restait, ils étaient plutôt récents, pour ce qui est des autres les rats et la vermine ont achevé de les rendre in-identifiables.

Il y en avait des dizaines ici, tous affreusement torturés, mais par qui, et dans quel but?

En revenant dans la pièce principale il remarqua au milieu de tout le bazar entassé sur les tables collées aux murs, un petit carnet relié de cuir, aux notes griffonnées. Et voilà que l'autre reprenait ses esprits, ça tombait bien parce que Séraphin ne savait pas lire, peut-être que lui saurait?

La seconde pièce étant encore plus sombre que la précédente, Siegfried ne manqua pas de se coincer les pattes et de s'effondrer de tout son long, face contre terre. En situation de combat, c'était la mort assurée mais, fort heureusement, son vis-à-vis n'avait rien de malveillant. Une voix vaguement familière s'éleva dans les ténèbres, celle d'un collègue milicien dont il avait plus ou moins oublié le nom, quelque chose qui rimait avec "sapin", de mémoire...

Un peu honteux d'avoir subi deux chutes en si peu de temps, le balafré se redressa mollement et constata l'étendue des dégâts, le voilà beau. Entre son sang, celui des victimes qu'il avait recueilli dans sa chute et le supplément de boue, il aurait du boulot pour nettoyer sa tenue. A ce stade, elle était plutôt bonne à jeter qu'autre chose. Reniflant un bon coup, la recrue rengaina son arme et salua son compagnon d'un léger mouvement de tête.

"Bien sûr que non ça vient pas de moi, je charcute pas la populace pour le plaisir. 'Pis heureusement que j'suis pas très adroit aujourd'hui, j'aurais pas voulu te fendre le crâne, désolé pour ça..."

Une intervention très amicale et constructive, digne de lui donc. Siegfried décida d'ôter l'un de ses gants pour s'éponger un peu le faciès afin de se rendre plus présentable; mais c'était peine perdu considérant l'état du modèle de départ. Le second milicien, quant à lui, était déjà affairé à enquêter sur les lieux du crime supposé. Entre autre, il venait de faire la découverte d'un carnet. Siegfried, inapte à la lecture et à l'écriture, comptait sur son camarade pour traduire les inscriptions qui maculaient les pages tâchés. Mais au regard hésitant que lui lança ce dernier, le bagarreur comprit aussitôt que cette nouvelle pièce à conviction demeurerait indéchiffrable pour le moment. Haussant les épaules, la recrue lança :

"On est bien avancés tiens... Tourne donc la page, y'a p'têt des gribouilles à regarder. Et c'est quoi ton nom déjà ?"

Deux têtes d'enclume tout juste bonnes à jouer du sabre, avec pour seul outil un papelard qu'ils ne sauraient comprendre ? Les Divinités manquaient cruellement de clémence, comme à leur habitude. Nullement découragé malgré tout, Siegfried décida d'arpenter les lieux en quête d'indice. Son estomac solide lui permettait de faire face au cadavre monstrueusement défiguré qui trônait au beau milieu de la pièce. Tout en se frottant le menton, il examina la gravité des blessures avec un sérieux sans faille. Il ne parvint qu'à une conclusion hâtive et instinctive, mais jugea bon d'en faire part à son collègue.

"A vue de nez, j'opterais pas pour une séance de torture. Quand on veut bousiller un gaillard pour qu'il cause, on va pas lui amocher la gorge à la scie. Pour moi c'est du meurtre sauvage d'un ravagé du caisson, une attaque d'un pourri qui jouit dans la douleur de son prochain. Ouaip. Qu'est-ce t'en penses ?"

Siegfried s'éloigna ensuite de la charogne et enjamba le foutoir pour retrouver son camarade.

Jusqu'à présent le butin était maigre, un monceau de cadavres, un torchon indéchiffrable, un collègue taciturne et une armée de mouches, de rats et d'autres bestioles peu engageantes, Il allait en falloir plus, beaucoup plus, et il avait le sentiment d'avoir découvert quelque chose de gros, de très gros, on n'effleurait ici que la surface d'une affaire infâme et sordide. Reste à trouver quelqu'un capable de lire ce qui était sans doute de la propagande de psychopathe, les élucubrations d'un esprit malade.

«On est bien avancés tiens... Tourne donc la page, y'a p'têt des gribouilles à regarder. Et c'est quoi ton nom déjà ?»

«Moi c'est Séraphin, et toi Siegfried c'est ça? T'as pas l'air de t'y connaître plus que moi, rien d'autre que des griffonnages et des tâches de sang comme partout dans cette foutue cave.»

«A vue de nez, j'opterais pas pour une séance de torture. Quand on veut bousiller un gaillard pour qu'il cause, on va pas lui amocher la gorge à la scie. Pour moi c'est du meurtre sauvage d'un ravagé du caisson, une attaque d'un pourri qui jouit dans la douleur de son prochain. Ouaip. Qu'est-ce t'en penses ?»

«T'as raison, je vois pas ce que ça peut être d'autre. Il va nous falloir de l'aide, mais en attendant on va retourner voir la catin qui m'a vendu l'info, elle avait trop peur pour me dire quoi que ce soit de plus mais t'as l'air du genre persuasif, et tant pis si on doit la brusquer un peu.»

Un rapide et dernier examen des lieux ne leur révéla rien d'autre, et ils s'en furent, ravis de retrouver l'air libre et frais et d'abandonner ce charnier aux mouches. Direction le bordel, ils iraient faire leur rapport ensuite, et la milice enverrait des hommes brûler les corps, même s'il semblait peu probable que les corps se relèvent, dans le doute, personne n'avait envie d'une armée de morceaux de fangeux semant le chaos dans les rues.

Séraphin, le nom lui revenait. Siegfried continua d'observer les lieux avec curiosité, Portant une oreille attentive à ce que son collègue avait à lui dire. Une catin à secouer, disait-il ? Pas de problème, c'était très largement dans ses cordes. Mesquin comme il était, le balafré laissa échapper un rictus de croquemitaine. Il avait beau être désormais considéré comme le bras armé de la loi, il demeurait néanmoins une petite brute sachant abuser de ses pouvoirs pour obtenir des résultats. Avec une certaine fierté mal placée, il répondit en faisant rouler ses épaules.

"Ca me va, camarade. J'ai pas pour coutume d'amocher les donzelles mais si elle refuse de causer, je lui montrerai qu'il vaut mieux avoir peur de moi que d'un soi-disant tueur. Ca promet d'être convivial."

Il accompagna ses dires d'un rire mauvais et Séraphin décida alors qu'il était temps de quitter le tombeau, et le balafré lui emboîta le pas aussitôt, ne souhaitant pas avoir à subir plus longtemps la vue et l'odeur de ce macabre spectacle. Chassant les mouches en secouant son gant devant son visage, il fut bien soulagé de recouvrer l'usage complet de ses cinq sens. Une fois extirpé de cet enfer, Siegfried prit une grande inspiration, préférant le parfum de pisse à celui de cadavre, et de loin. Séraphin pointa leur prochaine destination du doigt, et les voilà repartis.

"Vivement qu'on crame tout ça, j'te l'dis."

Siegfried faisait déjà peur aux enfants par défaut, mais sa récente mésaventure le rendait terrifiant. Les passants le dévisageaient furtivement, croyant sans doute qu'il revenait d'un combat. En se penchant sur la question, la recrue réalisa alors que l'état de son arcade n'allait pas non plus en s'arrangeant. Une nouvelle cicatrice qui viendrait s'ajouter à sa collection déjà bien chargée, rien de grave en somme. Un peu de sang s'écoulait périodiquement, venant lui chatouiller le nez en maculant son faciès d'un pourpre sauvage. Jurant et crachant sur sa malchance du jour, il tâcha de maintenir la cadence malgré les vertiges qui le saisissaient par moments.

Les voilà bientôt arrivés, et le bagarreur fronça les sourcils en apercevant le bâtiment dont la salubrité comme la clientèle semblait douteuse. Que pouvait-on espérer d'autre d'un bordel des bas quartiers, cela dit ? S'humectant les lèvres tout en portant une main à son épée avec une anxiété visible, le jeune guerrier accorda un regard en biais à son frère d'arme et fit part de ses inquiétudes, à sa manière.

"J'veux pas jouer les rabats-joie, mais j'sais pas si le patron sera enchanté de nous voir. Les miliciens, c'est pas bon pour le commerce, surtout ceux avec une trogne comme la mienne. Tu penses qu'ils vont faire des histoires ?"

Le quartier est louche, lugubre et malsain. Un dédale de ruelles sombres et sordides, où l'obscurité épargne aux yeux ce que les autres sens ne pouvaient pas rater, ça sentait la fange et les ordures, chacun de leur pas s’enfonçait dans le sol en provoquant un tonnerre de bourdonnements d'ailes et de crissements de pattes en tous genre, il n'y a pas que des gens ici, loin de là.

Les rares passants encore assez fous pour s'aventurer dehors à cette heure avancée de la nuit les dévisageaient d'un air mauvais, des ombres furtives aux coins des rues et derrières les fenêtres, ça sentait le traquenard à plein nez, et la bande de margoulins qui lanternait au pied du bordel était pas là pour les rassurer, de la canaille tout ce qu'il y a de plus locale, élevée à la mandale, et à la haine de l'uniforme.

"J'veux pas jouer les rabats-joie, mais j'sais pas si le patron sera enchanté de nous voir. Les miliciens, c'est pas bon pour le commerce, surtout ceux avec une trogne comme la mienne. Tu penses qu'ils vont faire des histoires ?"

Un des types s'avance, l'air menaçant, son regarde vide contrastant avec la taille de ses bras, il a l’œil mauvais, le nez écrasé et des aérations dans le râtelier, et il transpire une bêtise crasse, une arriération dangereusement imprévisible. De mieux en mieux.

«On va pas tarder à le savoir, mais prépare toi, vu le genre d'idiots à qui on a affaire, ils vont pas chercher à discuter très longtemps, je pense pas qu'ils osent buter des miliciens, mais si on déclenche une bagarre ça va finir en émeute.»

L'idiot s'avance en faisant craquer ses phalanges.

«Y veulent quoi les pantins, y sont perdus? Barrez vous d'la si v'voulez pas qu'on s'muse un peu 'vec vous»

La bande de pochards en haillon rigole grassement, et une odeur infecte de mauvaise gnôle et de chicots pourris envahit la ruelle, la tension monte d'un cran, le collègue à coté commence à faire craquer sa nuque, il a envie d'en découdre, et ces macaques l'ont bien senti.

«On se calme, on veut juste parler à la rouquine et on s'en va, deux trois questions et c'est tout, ou tu préfères qu'on revienne avec un régiment entier?»

''Ça va pas ou quoi? Tu veux nous faire tuer?''

Le type plisse les yeux comme pour essayer de comprendre, puis grogne, et fonce.

La dernière chose que Séraphin voit est le poing du type qui s'écrase contre sa tempe, et Siegfried qui hurle comme un sauvage et fonce dans le tas, puis le noir complet...

Parmi tous ses défauts, Siegfried possédait néanmoins une qualité: un sens infaillible de la camaraderie. Alors quand le poing d'un colosse venait cogner contre la tempe de l'un de ses collègues, il voyait rouge. Cette fameuse manie qu'il avait de toujours conserver nerveusement une main sur son fourreau finit par lui servir, car le balafré dégaina aussi vite que son bras le lui permit. Le gros costaud possédait un cuir bien solide, mais pas de quoi parer une lame.

L'épée courte fila à toute allure vers le bras du géant, pour venir broyer l'os et trancher l'air. Un claquement, puis un hurlement, et le voilà qui se jetait au sol en hurlant de douleur. Siegfried récupéra son arme d'un habile mouvement de poignet, cette dernière s'étant enfoncée profondément dans la chair du pourceau. D'un coup d'oeil rapide, il analysa les menaces potentielles et constata que les comparses du blessé ne semblaient pas jouasses. Pour éviter toute forme de vengeance immédiate, il décida de jouer sa carte maîtresse, celle de la terreur.

Un sourire carnassier apparut sur son faciès déformé par la rage sanguinaire et, d'un coup magistral, il laissa tomber son arme sur le crâne du titan gisant, faisant taire les cris ignobles de ce dernier instantanément. Cet acte de barbarie, probablement indigne d'un soldat, venait sans doute de sauver la vie du jeune milicien et de son collègue. Siegfried extirpa lentement l'acier ensanglanté du cerveau de sa victime puis orienta la pointe vers les malfrats.

"J'vous préviens, les crasseux. Y'a eu suffisamment de sang versé pour ce soir mais j'peux tout à fait en rajouter une couche si l'besoin s'en fait sentir. Et j'le ferai de bon cœur, parce que j'préfère un bordel jonché de cadavres plutôt qu'un bordel peuplé de connards."

Le monologue était sans doute convaincant pour qui possède une cervelle, mais les trois gorilles qui lui faisaient face ne paraissaient pas vraiment impressionnés. Ils avaient tous vu et entendu bien pire, et ce depuis leur naissance. En les voyant s'avancer vers lui, le balafré comprit immédiatement qu'il ne s'en tirerait pas grâce à des mots. Ces bouseux ne travaillaient pas ici, ils n'avaient donc pas à nettoyer derrière eux quand ils tranchaient la gorge d'un milicien un peu trop assuré.

Un peu ébranlé par la situation, Siegfried effectua un moulinet avec son arme et se prépara pour ce qui allait suivre. Ca risquait de très mal se dérouler. Et subitement, des volets claquèrent au dessus de leurs têtes, et une vieille femme vêtue d'un rouge criard se pencha à la fenêtre en beuglant:

"C'pas bientôt fini ce foutoir ? Siegfried ! Cesse donc tes âneries et monte nous rejoindre au lieu de jouer les gros bras ! Quant à vous, les affreux, vous avez intérêt à me débarrasser le plancher si vous ne voulez pas avoir affaire au grand patron !"

Les trois gueux, visiblement bien plus secoués par ce discours-ci que par le précédent, décidèrent de prendre la fuite sans plus de cérémonie, laissant derrière eux la dépouille de leur ami. Un homme encapuchonné sortit de l'établissement, salua Siegfried d'un hochement de tête et pointa Séraphin du menton. Un peu penaud, le bagarreur se racla la gorge et lâcha doucement :

"C'est... un ami. J'aimerais qu'on l'fasse monter, histoire qu'il crève pas de froid. Il a pris un mauvais coup."

L'employé haussa mollement les épaules d'un air détaché et aida le balafré à ramasser le milicien assommé. Séraphin chavirait méchamment et vacillait entre le sommeil et l'éveil, mais en tout cas le coup porté n'avait pas été fatal. Sacrée enquête cela dit, de pire en pire...

Une fois entrés, les trois hommes furent rapidement rejoints par la vieille qui jeta un regard noir à Siegfried avant de frapper violemment du poing contre la rambarde de l'escalier. Cette femme plutôt bien en chair portait le poids de l'âge mais avait su conserver une élégance certaine malgré ses conditions de vie déplorables, disons qu'elle faisait de son mieux... Cette dernière le sermonna et l'intéressé, quant à lui, baissa les yeux comme un enfant pris sur le fait.

"Siegfried ! Que tu m'demandes de pas dire à tes copains soldats que tu viens tringler mes filles tous les mois, je peux l'comprendre et je l'accepte. Mais que tu viennes buter des sagouins devant mon établissement en imaginant que j'vais rester là les bras croisés, alors ça ! Mais c'est que tu es blessé en plus, et regarde-moi ta tenue, tu ressembles à un fangeux, et un fangeux dégueulasse en prime ! Viens te débarbouiler, p'tit con, tu me fatigues !"

"Pardon, Linda..."

A l'aide de son écharpe, elle fouetta à plusieurs reprises le visage du grand brûlé en vociférant puis, d'un ton dédaigneux, elle lâcha à l'attention de l'homme au capuchon:

"Amène-le à Myrtille, celui-là, qu'elle lui panse ce vilain trou qu'il a dans la face. 'M'fatiguez tous !"

Honteux, le balafré suivit la Dame dans sa piaule tandis qu'on portait son collègue vers une chambre voisine. A vouloir garder ses sales petits secrets pour lui, le balafré avait bien fini par les foutre dans la panade. Car s'il n'avait pas honte d'aller se détendre avec des donzelles, il assumait bien moins de se pointer dans les bas quartiers pour économiser son salaire...

Mince, parmi tous les bordels du coin, il avait fallu que Séraphin trouve son informatrice ici.

Entre deux pertes de conscience, il avait aperçu Siegfried qui jouait de la lame avec les malandrins, et c'était pas beau à voir, quand il rouvrit les yeux le colosse était allongé par terre, sa cervelle sur les genoux et son moignon qui finissait de frétiller sur le sol, le tout dans une gerbe de sang qui se mêlait à la fange. S'il puait déjà de son vivant, il empestait la charogne quelques minutes à peine après sa mort, l'endroit n'allait pas tarder à être envahi de mouches. Au moins vu l'état de sa boite crânienne, celui là ne risquait pas de se relever, aucune urgence donc, il finirait de patauger dans la merde comme il l'avait fait toute sa vie.

On l'avait porté jusqu'à l'intérieur du claque, et tandis qu'on l'amenait dans une chambre il saisit des bribes de conversation, quelque chose à propos d'un «grand patron»... Alors comme ça on dépense sa solde en poules au rabais, et c'est qu'il a l'air de bien connaître la maquerelle, mais c'était la seule raison pour laquelle ils étaient encore en vie, alors ça valait bien quelques cachotteries.

L'intérieur de la bâtisse était plutôt propre, pour un bordel des bas quartiers, ils y étaient en sécurité et ça leur permettrait d'interroger la rouquine au calme, du moins quand le balafré aurait fini de se faire engueuler.

"Siegfried ! Que tu m'demandes de pas dire à tes copains soldats que tu viens tringler mes filles tous les mois, je peux l'comprendre et je l'accepte. Mais que tu viennes buter des sagouins devant mon établissement en imaginant que j'vais rester là les bras croisés, alors ça ! Mais c'est que tu es blessé en plus, et regarde-moi ta tenue, tu ressembles à un fangeux, et un fangeux dégueulasse en prime ! Viens te débarbouiler, p'tit con, tu me fatigues !"

D'ordinaire fier et arrogant, Siegfried n'en menait pas large, mais ça allait pouvoir leur être utile, les filles seraient plus enclines à parler avec un régulier qu'avec un inconnu en uniforme.

«Je pense qu'en plus de quelques explications, tu me dois des présentations, mais merci quand même vieux, je te dois une fière chandelle. Il nous reste plus qu'à questionner la fille, et trouver quelqu'un capable de lire ce foutu carnet.»

La fameuse Myrtille, une petite brune au sourire enjôleur, était affairée à éponger le sang qui maculait le visage de Séraphin. Bien vite, ils furent rejoints dans la chambre de fortune par la propriétaire des lieux ainsi que Siegfried, toujours aussi déboussolé. Ce dernier avait laissé ses protections de côté, ne conservant que sa chemise, son pantalon et ses bottes. Après s'être raclé la gorge et adossé à un mur, il se lança dans ses explications vaseuses.

"J'te présente Linda, la propriétaire des lieux. En effet, c'est pas la première fois que je passe par ici. C'est même... plutôt très loin d'être la première fois. J'connais plus ou moins tout l'monde ici, le personnel comme les habitués. Cette rouquine dont t'as parlé, par contre, ça me dit rien de familier. Tu peux nous éclairer, Linda ?"

Faisant toujours la moue, la vieille femme s'était munie d'un éventail troué qu'elle agitait furieusement vers son visage, comme pour chasser la colère de son visage ridé. En râlant un peu, elle se décida finalement à prendre la parole.

"Ouais, t'as encore jamais eu l'occasion de lui tripoter les miches, Siegfried. C'est une nouvelle, elle a toujours bossé dans le coin mais elle nous a rejoints récemment. 'se fait appeler Lavande la petiote. Pas très original comme surnom, c'est loin d'être la seule "Lavande" du coin justement. Elle discute pas beaucoup avec nous autres, elle fait son boulot un peu dans son coin."

Tapotant ses doigts contre le mur, Siegfried demeura silencieux un moment. Il tâcha de ne pas insister sur la partie visant à l'humilier encore davantage, et décida de se concentrer sur l'essentiel.

"Elle est là, on peut lui poser quelques questions ?"

"Lorsqu'il s'agit d'abuser de l'hospitalité des bonnes gens, t'es pas le dernier ça c'est sûr. Très bien, j'vous accorde ça aussi, mais tu m'en dois une p'tit con ! Et si tu me l'amoches, la Lavande, tu pourras plus te plaindre d'avoir une face comme la tienne parce que j'irai te la couper, ta tête ! C'est aussi valable pour ton comparse !"

"Compris..."

"La petite est dans la chambre du fond, j'imagine qu'elle doit être en train de se pomponner un peu pour le service. Allez-y."

Siegfried remercia la gérante, qui s'esquiva d'un air théâtral avant de retourner au rez-de-chaussée, suivie de près par Myrtille qui gloussait comme une poule en lançant des regards aguicheurs à Séraphin. Le balafré tendit une main à son collègue pour l'aider à se relever, et ils prirent la direction de la chambre qu'on leur avait indiqué.

"Pour ce qui est du carnet, j'ai un collègue qui saura s'en charger. Vuk, un ami avec qui je patrouille souvent. Il doit traîner dans le coin, le connaissant, c'pas une lourde affaire que de le contacter. Et pour ce qui est des malandrins de tout à l'heure, t'en fais donc pas, j'en ai vu d'autres et c'est pas mon genre de laisser un compagnon crever dans une impasse."

Avec une douceur et un calme qui ne lui ressemblaient guère, le jeune soldat bien moins hostile qu'à son habitude se plaqua de profil contre la porte fermée et toqua doucement.

"Lavande ? Peut-on entrer ? On est de la milice et Linda nous a autorisés à venir te poser des questions, c'est important."

La petite était assise face à une coiffeuse en bois dans l'angle de la pièce aux murs lambrissés, la pénombre et les tentures dissimulaient une partie de son visage, mais même dans l’obscurité il était impossible de manquer le fait que la fille était terrifiée, encore plus que la dernière fois, visiblement leur petite incursion dans cette foutue cave n’était pas passée inaperçue.

“N’aie pas peur, on est juste là pour te parler, j’ai l’impression que tu te doutes de ce qu’on a découvert, mais j’ai besoin d’en savoir plus, et de réserver une potence pour ces fumiers.”

“Non mais vous rigolez ou quoi? Que deux miliciens descendent aux putes c’est pas bien nouveau, mais vous vous pointez en demandant à me parler, et massacrez du chaland à tour de bras. Tu crois qu’ils vont en penser quoi? Les mêmes miliciens qui ont découvert leur planque, j’ai plus qu’à quitter la ville, je préfère encore me faire bouffer par les fangeux que de me faire tomber dessus par les bannis, maintenant partez, vous en avez déjà assez fait.”

Des bannis à Marbrume? C’était encore pire que ce qu’il avait imaginé, mais ça expliquait en partie le carnage qu’ils avaient laissé, ces types là sont déjà cinglés et n’ont plus rien à perdre, alors on va les traquer et leur prendre la seule chose qu’il leur reste, leur vie.

“Bon je crois qu’elle nous dira rien de plus, qu’est-ce que t’en penses? Des bannis, ça sent pas bon, à ton avis ils se planquent où? Je pencherais pour les égouts, à mon avis ils rafflent et zigouillent la populace dans les bas quartiers et retournent se planquer sous terre, en cherchant bien on doit même pouvoir sortir de la ville par les canalisations. Allons trouver ton collègue et ensuite on ira fouiller un peu à trois, à mon avis ça vaut mieux.”

Ils remercièrent Linda pour son aide et s’excusèrent des tracas qu’ils avaient causé, par chance elle appréciait vraiment Siegfried, et ils s’en tirèrent avec un sermon et une tape sur la tête, rien de bien méchant en somme. Dans la rue le tapage qu’ils avaient fait avait attiré les curieux, mais en voyant le visage ensanglanté de Séraphin et le regard de tueur de Siegfried, ainsi que la mare de sang au sol, ils déguerpirent sans demander leur reste. Et les deux compères se mirent en quête de l’ami Vuk Loufiacre, qui devait patrouiller non loin de là.

Siegfried réajusta son équipement qui n'était pas beaucoup plus propre qu'à l'arrivée. Ca commençait à le lasser, d'être ainsi couvert de crasse, de sang et de flotte. Mais c'était sans doute un aspect de sa profession, après tout. Savoir oublier ses caprices au profit de la réussite de la mission, voilà une idée suffisamment glorieuse pour faire oublier au balafré l'humiliation dont il venait d'être victime. Il appréciait cette vieille femme autant qu'il la détestait, mais il aimait surtout les services que ses filles proposaient, bien évidemment.

Les voilà le nez dehors, replongé dans la fange de ce quartier hideux. Siegfried renifla bruyamment et cracha un bon coup sur les morceaux restants de sa précédente victime. Le temps qu'ils pansent les blessures de son collègue et fassent un brin de causette, l'employé chargé du nettoyage avait déjà fait disparaître la majeure partie du bordel causé. C'était ainsi que ça se passait ici, on crevait et on était oublié en un coup de vent.

"Vuk doit êtres aux abords du quartier. On a des patrouilles pas loin à cette heure-ci. Suis-moi."

Et comme Siegfried connaissait bien son collègue, il ne tarda pas à le retrouver. Ce dernier flânait tranquillement au lieu de bosser. Quelques miliciens furetaient à droite à gauche, visiblement concentrés sur la tâche qui leur était assignée. Contrairement à eux, le branlotin était adossé contre un mur de pierre et observait vaguement les passants, ou plutôt les passantes... L'estropié laissa un petit sourire apparaître sur son visage, et il mit un petit coup dans l'épaule de Séraphin pour l’interpeller.

"Le voilà... Eh Vuk ! Tout s'passe bien mon ami ? T'sembles débordé, comme à ton habitude. Tes responsabilités de soldat te pèsent donc tant que ça ?"

Petite boutade sans méchanceté, ils se moquaient l'un de l'autre sans cesse, de toute façon. Faisant signe à Séraphin de le suivre, il s'avança vers son compère et laissa les deux gaillards se présenter. Les questions et explications viendraient plus tard.

".....7......hum...3......oh ! 10 !"

Les bras croisés, adossé contre un mur, une jambe repliée pour avoir l'air badass. Le milicien échangeait des regards flatteurs avec les jolies passantes. Les maris jaloux ne pouvaient cependant rien dire à ce représentant de l'orde.
Cela faisait maintenant trois bonnes heures que le jeune homme se baladait en ville.

L'occupation préférée de Vuk était de noter les formes des passantes, il avait appris, au fil de ses séances, à faire abstraction des habits, il ne voyait que les sublimes courbes du corps féminin, parfois trop grosses, parfois trop plates, mais quelques fois merveilleusement harmonieuses.

"Eh Vuk ! Tout s'passe bien mon ami ? T'sembles débordé, comme à ton habitude. Tes responsabilités de soldat te pèsent donc tant que ça ?"

"Quoi ? Tu n'en crois pas tes y-..oups."

Une pique pour une pique, c'était ça l'amitié entre Vuk et Siegfried, pas besoin de s’embêter avec les petites attentions d'ami à ami, et puis comme le disait si bien le Balafré : "ET PIS ON EST PAS DES SODOMITES NOUS" (Généralement suivit d'un coup de poing dans l'estomac. Généralement celui de Vuk).

"Qu'est ce qu'il se passe vieux frère ? T'as encore besoin d'argent pour te vider ce soir ? ..6."

"J'te préviens si tu veux aller à la taverne....beurk, 2. ...Bah c'est d'accord."

Vuk remarqua que son compère était couvert de sang, enfin, comme d'habitude, mais cette fois un peu plus, et du sang à peine séché. Et il remarqua aussi l'homme qui l'accompagnait, pour le coup il n'y avait aucun doute possible sur ce gars là, grand costaud, rasé de près, cheveux très courts, les traits durs. Si il n'était pas milicien, il n'était rien du tout. A coté de se gros costaud, Siegfried avait l'allure d'un enfant tout juste sorti de la puberté. Pourquoi un autre milicien l'accompagnait-il ? Et tout ce sang... Dans quelle embrouille avait-il été se fourrer celui-là, et dans quelle embrouille allait-il fourrer (au sens amical) ce bon vieux Vuk ?

"...J'te le dit de suite je nettoie pas tes conneries."

Siegfried jeta un regard en arrière pour tenter de comprendre à quoi son partenaire attribuait des notes. Lorsqu'il comprit la source d'amusement de son collègue, le balafré sourit jovialement et s'attarda sur un petit popotin bien sympathique, et s'humecta les lèvres avec une classe légendaire qui faisait tout son charme. Il laissa échapper un murmure.

"Celle-ci mérite bien un neuf... Mais j'suis pas venu pour discuter fessier !"

Son oeil se porta ensuite sur Séraphin qui attendait patiemment à ses côtés, et le bagarreur se souvint qu'il avait mieux à faire à l'heure actuelle. Vuk insinua alors que Siegfried avait encore commis des méfaits. Faussement offusqué, le balafré éclata de rire et tapota l'épaule de son compère et ami puis, pointant Séraphin du doigt, il reprit en ces termes :

"Mais de quoi tu parles ? Ce type c'est Séraphin, un collègue ! Tête en l'air que t'es, tu le reconnais même pas alors qu'on le voit régulièrement aux Quartiers. On est sur une enquête, et c'est pas n'importe quelle affaire mon gars, c'est du malpropre."

Indiquant à Séraphin qu'il était temps de passer aux choses plus sérieuses, il demanda à voir le fameux carnet qui leur avait causé tant d'ennuis et le plaqua sur le torse de son ami lettré. Un sourire malicieux au lèvres, Siegfried l'ouvrit à la première page et colla les gribouilles sous le tarin de Vuk.

"C'est sordide comme truc, le sang que tu vois là n'est pas à nous. J'ai été contraint de refroidir un civil un peu violent, ça s'est pas fait sans mal. J'te passe les détails juteux mais, dans les faits, on a découvert l'existence d'un foutu charnier. Merde, c'était pas beau à voir. Cadavres empilés, instruments de torture, pire que nos cachots et c'est peu dire, hein Séraphin ?"

Sans attendre de confirmation, il se racla à nouveau la gorge et termina son discours explicatif, toujours aussi enjoué malgré l'aspect dramatique de son propos. Après tout, il avait vu bien pire sur le champ de bataille.

"Alors on a juste trouvé ce bidule, en plus de la bidoche bien sûr... puis, après avoir interrogé des... des gens du coin, il apparaît que c'est un coup des bannis. Pour Séraphin comme pour moi, c'est de la gribouille sans intérêt. Mais j'sais bien que t'es talentueux dans ce domaine, alors j'me suis dit que tu pourrais nous aider. Et qui sait ? Peut être qu'après un coup de filet pareil, on pourra se payer une belle prime, voir même une promotion !"

L'oeil brillant, il laissa son ami s'adonner à la lourde tache qu'était le décryptage. Savoir lire et écrire, c'était pas une compétences des plus courantes par ici. Malgré ses défauts, Vuk savait se montrer utile et Siegfried comptait souvent sur lui.

"...Ah mais oui ! Séraphin ! Séraphin de la milice ! ..Séraphin le milicien !...Séraph' comme on l'appelle...."

Vuk n'avait AUCUNE idée de qui était ce gars. Un milicien certes, mais il n'avait pas envie de retenir tous les visages inintéressant de son boulot. Puis merde, il était bien là à noter les culs. Pourquoi venir le déranger pour un vulgaire bouquin...
Il soupira.

"Pff...ouai vas y fais voir ton truc."

Vuk regarda la première page.

"...c'est écrit : "celui qui trouve ce livre en premier est un con."

Il tendit le livre, mais devant les regards pas convaincus le moins du monde, il reprit sa lecture.

"C'est bizarre votre livre là...On dirait un recueil de poèmes, les phrases n'ont aucun rapport entre elles. Tenez par exemple ça :

Citation :: "N'est pas mort à jamais qui dort dans l'éternel,
En d'étranges éons, la mort même est mortelle. "

Ca veut rien dire, c'est quoi un "éon" ?

Vuk feuilleta l'étrange ouvrage. Petit à petit, son visage blasé s'assombrit. Il regarda la couverture, aucun titre, des symboles presque effacés.
Le contenu du carnet était vraiment bizarre, quelque fois les suites de mots ne voulaient strictement rien dire, mais quelque fois leur sens était clair.

"Je sais pas trop...On dirait...Un manuel, une espèce de guide pour faire un truc...C'est vraiment bizarre. Y avait des cadavres là où vous l'avez trouvé c'est ça ?
Ca m'étonne pas, écoutez ça :

Citation :: "La fontaine sanglante qui sommeille en chacun, la prendre à pleines mains.
Mélanger, moudre, boire, ne plus craindre la mort..."

C'est sordide comme truc..."

...

Oh écoutez !

Citation :: "La fange évite le sacré. La fange n'attaquera pas.
Boire la fontaine sanglante. Et la fange vous ne craindrez pas."

Vuk avait peur de comprendre. Un remède contre les fangeux ? Toute la réalité trembla dans son esprit. Des tonnes de questions envahirent son esprit. "Possible ?" "Pas possible ?" "Mensonge ?" "Vérité ?" "Sacrifice ?" "Fontaine sanglante ?"

Sur la dernière, un message attira l'attention de Vuk. Il semblait plus récent que le reste. Une différente écriture, partiellement illisible.

"Cet Immense Mépris Est Trop Inconcevable Et Rentre Encore.
Rendez-vous de nuit."

"Euh...Là par contre ça veut vraiment rien dire. Et puis les premières lettres elles sont trop grandes par rapports aux autres il est bizarre le gars qui a écrit ça."

...

"OH PUTAIN ! C.I.M.E.T.I.E.R.E ! Le cimetière ! Le gars à qui appartient le bouquin avait rendez vous au cimetière de nuit !....'sont complètement con de mettre des messages comme ça.