Les coups pleuvaient sur lui, et pourtant, malgré son esprit embrumé et ses hoquets incessants chargés d'alcool, il parvenait à tout esquiver - ou presque. Il ressentit bien une ou deux fois le poing énervé de Clarence lui rentrer dedans, mais ce n'était qu'un petit quelque chose de très discret, une piqure de guêpe tout au plus. Arthur entendit des bruits sourds derrière lui, comme si quelqu'un toquait au plancher avec le visage de quelqu'un d'autre, c'était assez amusant à entendre. Cela signifiait surtout que les choses approchaient de leur dénouement. Le milicien bloqua un énième assaut, tapa droit devant lui et sentit ses phalanges rencontrer quelque chose qui ressemblait à des dents. Il retira vite son poing de là, fit quelques pas mollassons en arrière pour embrasser la scène du regard et se mit en garde.
Norbert gisait sur le sol, le visage éclaté, avec sa donzelle à ses côtés, qui s'assurait qu'il allait bien. Mathilde, elle, était restée en retrait. Apeurée par la colère de son doux mari, elle savait qu'elle en avait déjà trop fait en s'interposant deux fois pour aider Arthur, et elle craignait la conclusion de l'affrontement. Quant à Siegfried, il s'approchait doucement dans l'ombre, triomphant et prêt à assassiner une nouvelle fois. Ne restait plus que Clarence, la lèvre supérieure en sang suite au dernier coup d'Arthur.
L'autre loustic ne se doutait de rien et continuait de frapper. Arthur ne répliquait pas ou presque, il préférait attendre que Clarence se fatigue. Au vu de ses moulinets incessants et de sa corpulence, l'assaillant n'en avait pas pour longtemps avant de s'essouffler. Et puis, maintenant que l'esprit du beau soldat s'était quelque peu éclairci, il parvenait à lire plus facilement dans les mouvements de son opposant, à les anticiper et les rendre inefficaces. Ceux qu'il continuait d'encaisser étaient entièrement imputables à l'alcool, qui étouffait la douleur des impacts.
« Alors... *huff huff* on fatigue, fils de salopard ? *huff* Tu commences à comprendre... *theuheuheu* que t'es foutu ? cracha Clarence, le souffle court.
— Écoutez, mon bon ami, vous êtes de toute évidence épuisé et vos quelques claques m'ont redonné une bonne partie de mes esprits. Vous êtes dans une situation pénible, Clarence. Et en plus, je vais sans doute faire découvrir à votre femme des délices dont elle ignorait tout jusqu'à présent. Un homme propre, déjà, vous puez la biquette d'ici. On a l'impression que vous avez bouffé du cul de chien galeux ! le provoqua Arthur en voyant que Siegfried s'approchait plus près de lui.
— Chiens d'la milice ! Milichiens, voilà c'que vous êtes, raclures ! Fiers d'eux comme des paons, vous pétez plus haut qu'vot' cul doré, tout ça pour quoi, j'vous prie ? Pour que dalle, on est toujours dans la mer... » s'emporta Clarence, s'empourprant à vue d'œil tant il était furieux de se faire ainsi tacler verbalement. Il voulut faire quelques pas en avant mais...
La main du balafré vint lui tapoter l'épaule de façon parfaitement innocente, et Clarence se retourna machinalement pour tomber nez à phalange avec le poing de Siegfried. Ce dernier lui botta ensuite le derrière en lançant un « À toi, Arthur. » qui mettait un terme au combat.
Clarence tituba en direction du blondinet, qui s'était proprement préparé. La droite qui partit provoqua un bruit sourd qui allongea l'homme au sol. Arthur s'empara d'une chaise, sous le regard consterné du tavernier qui avait observé toute la scène sans bouger d'un pouce. Le beau milicien leva ensuite le meuble au-dessus de sa tête et l'abattit avec force sur le dos du pauvre hère complètement à sa merci.
« Un prêté pour un rendu... commenta Arthur avant de revenir lui asséner un coup de pied magistral en plein dans la face. Ça aussi, c'est un simple rendu. Et ça... acheva-t-il en le rouant de violents coups de pied dans le ventre, se souciant peu des bruits de suffocation qu'il émettait. ... c'est pour avoir abîmé mon visage et avoir insulté mes parents trop souvent à mon goût. »
Il se tourna ensuite vers Siegfried et lui serra la main avec force.
« Un plaisir que de savoir qu'on peut vraiment compter sur les copains... Ça ira ? demanda-t-il en attrapant un mouchoir pour essuyer son propre nez qui dégouttait encore de sang.
— M'sire Arthur, pourquoi qu'vous avez parlé d'me faire découvrir des choses, là... des délices ? J'ai jamais donné m'n'accord pour ça, que j'sache... intervint timidement Mathilde, maintenant que les choses s'étaient apaisées.
— À votre guise, ma belle dame. Il serait regrettable de ne pas en profiter après qu'on ait cassé la figure à ces horribles personnages, ceci dit... »
La jeune demoiselle rougit sans donner de réponse cependant. Arthur commanda deux nouvelles pintes de brune et en tendit une à Siegfried. Il fallait trinquer pour célébrer tout ça, non ?