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 De Rikni le coeur du sang félon nourriras [Morion & Ambre de Ventfroid] [Terminé]

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Ambre de VentfroidFondatrice
Ambre de Ventfroid



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MessageSujet: De Rikni le coeur du sang félon nourriras [Morion & Ambre de Ventfroid] [Terminé]   De Rikni le coeur du sang félon nourriras [Morion & Ambre de Ventfroid] [Terminé] EmptySam 12 Nov 2016 - 19:25
Suite de Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait.


10 mai 1165


- Je suis ridiculement indécente.

La voix de la comtesse s’était élevée, fort contrariée, de toute évidence. Perchée sur son cheval, la jeune femme ne cessait de marmonner en regardant Talen harnacher sa propre monture et Morion enfiler ses gants pour terminer de se préparer, avant de la rejoindre sur le cheval qu’ils partageraient tous les deux pour le voyage. Ils étaient tous trois devant les écuries du manoir, et la majorité des domestiques les observait terminer les derniers préparatifs, visiblement tristes de les voir partir. Nul doute que la bâtisse deviendrait bien morne pendant quelques temps.

Ambre de Ventfroid était vêtue d’une robe aux jupons très larges, de mise pour la monte, par-dessus laquelle une longue cape sombre trônait. Le capuchon était encore rabattu, mais il viendrait bientôt masquer la masse de cheveux flamboyants, retenus dans une torsade fermée par une épingle dorée et une mantille assortie. Tout respirait la féminité, mais pourtant, l’épingle à cheveux pouvait se transformer en arme tranchante en cas de besoin, sans oublier l’éternelle dague héritée de Marie de Ventfroid, dissimulée sous sa manche gauche, prête à être dégainée à tout instant. Quelle était donc la raison de la contrariété de la jeune femme ?

Les dents serrées, le dos droit, elle se tenait sur sa monture avec une tenue certes digne mais qui révélait quand même un certain mal-être. En effet, c’était la première fois qu’Ambre de Ventfroid montait à cheval… comme un homme. Toujours éduquée comme une parfaite noble dame, de tout temps, on lui avait appris à monter en amazone, et exclusivement en amazone. Pourquoi diable cette monte n’était-elle pas compatible avec le galop ? La voilà contrainte à monter comme un homme, et même si l’ampleur de sa robe lui permettait de monter habillée comme une dame – car jamais on la verrait vêtue d’un pantalon –, les longs tissus de l’étoffe recouvrant la croupe de l’animal, eh bien la comtesse avait tout simplement les cuisses écartées dans une position tout à fait inconvenante. Aussi, les dents serrées, le visage fermé et légèrement rougi par le déshonneur, elle regardait Morion et Talen depuis la hauteur de son cheval, les priant de se dépêcher un peu et que l’aube allait bientôt être là. Elle leur parla un peu sèchement, soupçonnant les deux hommes de s’amuser de la voir pester ainsi. Diantre. Il n’y avait bien que la fin du monde pour la pousser à reléguer les codes de la féminité derrière elle ! Si les terres sauvages n’étaient pas désormais infestées de créatures mortelles, nul doute qu’elle aurait été capable de faire le trajet au pas, pour conserver la seule monte digne d’elle.
Sachant ses plaintes inutiles, puisque le voyage au galop était indispensable pour leur propre sécurité, elle fit marcher un peu son cheval le temps que les deux hommes ne s’arment et enfilent leurs protections. Se tortillant sur sa monture, cherchant une position plus agréable qu’elle ne trouvait pas, les cuisses ainsi ouvertes, elle mgnmgnota encore un moment entre ses lèvres loin des oreilles des hommes.

Sa contrariété avait au moins le mérite de détourner un instant son esprit du sujet principal de la journée : la traversée. La comtesse avait une peur bleue de l’extérieur. Elle avait vu un seul fangeux dans sa vie : enchainé et mutilé dans une cave, sous bonne garde de la milice. La chose monstrueuse avait déjà été impressionnante et terrifiante en étant diminuée, alors, que penser d’une terre étendue où ils pouvaient se balader en toute liberté, surgir et lui attraper le mollet pour l’arracher à sa monture ? Que penser aussi des bandits et meurtriers de bas-étage, qui n’étaient devenus que plus virulents depuis que la mort frappait à leur perron ? Un tel voyage était terriblement dangereux même pour les plus grands vétérans, alors elle ? Une pauvre petite femme délicate ? Morion l’avait entraînée ces deux derniers jours, elle avait récupéré les réflexes appris depuis le mois de mars, avait pu échanger quelques coups habiles, mais sa maîtrise était encore ridicule, tout comme cette position indécente sur ce foutu cheval. Si un fangeux lui fonçait dessus, cela ne serait que le concert d’une chance inouïe et de la bonne volonté des dieux si sa dague se plantait à temps dans un point vital de la bête.

Bref, Ambre de Ventfroid n’était réellement pas à son aise à l’idée de ce voyage, quand bien même l’arrivée l’enchantait. Visiter le domaine qui était désormais le sien, revoir les sœurs de Morion, apprendre à connaître les hommes et les serfs qui travaillaient pour eux. En sus d’être son devoir, c’était aussi quelque chose qu’elle avait hâte de découvrir. Telle était sa vie désormais : celle de comtesse de Ventfroid. Et même avec la fin du monde, l’on ne pouvait se départir de ses obligations. Elle se montrerait aussi digne que possible, mais à l’heure actuelle, elle cachait habilement ses craintes derrière sa contrariété de femme.
Quand les hommes furent finalement presque prêts, Ambre revint à leurs côtés. Son cheval renâcla un peu, et, après l’avoir immobilisé, Ambre sortit deux petites fioles transparentes de la petite sacoche présente à sa hanche gauche. Le bras tendu vers eux, elle commenta :

- Il y en a une pour chacun. J’espère qu’elles ne seront jamais utiles, mais vous me rassureriez si vous les gardiez.

Elle attendit que Morion et Talen se servent. Offrir une fiole d’eau salée – très concentrée – était devenu une coutume pour Ambre, à chaque fois que Morion sortait en-dehors des remparts. Une coutume qu’elle ne quitterait jamais tant que la Fange serait présente. Ce petit rituel la rassurait d’autant plus qu’il avait sauvé la vie de Morion quelques mois plus tôt.
La jeune femme offrit un sourire bienveillant aux domestiques qui les observaient, inquiets, tentant de les rassurer alors qu’elle était elle-même inquiète. Quitter Sarah et Anne la peinait, mais c’était inévitable. Elle reviendrait très vite, et au moins leur absence leur donnerait une forme de vacances.

Alors que la jeune femme avait ces réflexions, les premiers rayons du soleil embrasèrent l’horizon, annonce du lever du jour. Pas si loin d’ici, les Portes du Crépuscule s’ouvraient bientôt, annonçant la survenue d’un nouveau jour de survie, d’un nouveau jour après la nuit, royaume des bêtes. Malheureusement, les rayons solaires ne seraient pas suffisants pour porter chance aux Ventfroid en ce jour.


Dernière édition par Ambre de Ventfroid le Mar 29 Nov 2016 - 22:26, édité 1 fois
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Morion de VentfroidComte
Morion de Ventfroid



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MessageSujet: Re: De Rikni le coeur du sang félon nourriras [Morion & Ambre de Ventfroid] [Terminé]   De Rikni le coeur du sang félon nourriras [Morion & Ambre de Ventfroid] [Terminé] EmptyDim 13 Nov 2016 - 0:03
Le matin, très tôt le matin, Morion avait fait preuve d’une insupportable méticulosité. Les armes étaient-elles toutes parfaitement affûtées ? Les chevaux parfaitement sellés ? Leurs sabots décrottés, leurs fers polis et décrottés ? Avaient-ils pris le repos nécessaire ? Les domestiques avaient-ils bien pris soin de les faire promener un peu durant la journée pour exercer leurs muscles, avant qu’ils ne prennent la route ? Le risque d’une crame était à exclure, si cela leur arrivait sur le chemin, ce serait un désastre. Avait-on bien pensé à fournir et préparer des vivres assez nourrissants et compacts, durant la journée, afin que chacun puisse avoir des rations correctes avant leur arrivée ? Et les questions de ce type, on pouvait les enchaîner. Lui qui d’ordinaire était du genre à partir au triple galop sans même avoir pensé à vérifier qu’il avait bien ceint son baudrier, il vérifiait scrupuleusement chaque détail. Il n’était pas inquiet, simplement, le fait que sa femme soit avec lui, en connaissance du danger qu’ils s’apprêtaient à affronter, voilà qui changeait la donne de manière drastique. Comme toujours, il ne gagnait en vigilance et en responsabilité, disons, que lorsqu’un tiers élément entrait dans l’équation. Seul, il se serait contenté d’une simple besace remplie du strict nécessaire alimentaire, ainsi que de son arme, celle offerte par sa femme, et pour peu que le temps jouasse en sa défaveur, aurait très probablement poussé sa monture jusqu’à l’épuisement. Pas cette fois de toute évidence.

Une fois parfaitement assuré que tout était en ordre de leur côté, le reste appartenant au destin et aux facéties cruelles qu’il était parfois capable de disposer sur le chemin de ses pantins, Morion put enfin songer à partir. Excepté que sa femme montrait quelques réticences.

Un sourire un brin sardonique aux lèvres, il observait la contrariété des plus évidentes de son épouse, sans prononcer mot. Ridiculement indécente, hein ? Il jeta un regard de biais à Talen, qui tout comme le comte, semblait ressentir une pointe d’amusement moqueuse. S’ils avaient eu assez de montures, ils auraient pu faire la chevauchée à trois, mais dans tous les cas, le rythme à adopter leur imposait ce genre de… déviances. Sa femme serait tout à fait d’accord avec ce terme, il en aurait mis son bras à couper. En espérant par ailleurs qu’il ne le soit pas plus tard dans la journée. Etonnamment, du trio, c’était Talen qui paraissait le plus riche des trois. Revêtu d’une armure de plates légères complète, polie, lustrée, reflétant sans timidité aucune les rayons naissant d’un astre solaire en pleine ascension, il resplendissait. Seule l’humilité transparaissant sur sa face légèrement ridée, barbue, un brin parcheminée par les affres du temps et les épreuves qui lui étaient inhérentes, pouvait témoigner de son sang véritable. Il avait ceint au côté une épée d’excellente qualité, quoique bien moins précieuse que celle que le comte portait au même endroit. Son bouclier, aux armoiries de sa famille, était attaché dans son dos. Prêt à partir, il observait la comtesse, la visière de son casque relevée pour le moment. Il comprenait tout à fait que cela puisse gêner, d’avoir à adopter cette position parfaitement incongrue pour une femme. Néanmoins, les circonstances l’exigeaient.

Morion faisait presque… miséreux, comparé à son domestique. Le cuir dont il était vêtu était certes sorti d’excellentes tanneries, mais il en avait vu beaucoup, et les stigmates des batailles passées étaient présentes malgré la graisse dont il avait été enduit. Il nouait solidement ses gants en observant sa femme. Il n’était pas particulièrement choqué par le visuel qui s’étalait sous ses yeux. A dire vrai Estrée avait été rapidement contrainte à la monte masculine, et il s’était habitué à la voir galoper un peu partout sur son territoire, finalement. Pour Ambre, le plus saisissant était son manque, normal certes, d’habitude à elle. S’offusquer ainsi… Il s’approcha de la monture, une fois ses gants correctement en place. Contrairement à Talen, ses protections étaient ridiculement faibles. A sa gauche était disposée l’épée, et à sa droite, sa main gauche, une dague à large garde effilée comme une aiguille, dont il se servait pour parer les coups et contre-attaquer. Morion avait eu connaissance de l’usage du bouclier, mais son style méthodique et chirurgical, rapide, lui interdisaient un tel accessoire. Tout du moins, il ne souffrait le port d’un objet aussi encombrant.

Posant la main sur la cuisse de sa femme, il eut une moue narquoise. Son ton baissa légèrement afin qu’elle seule ne l’entende. «C’est pour ton bien. Note que tes cuisses écartées seront pressées contre les miennes, ton honneur restera sauf.»

Un ricanement plus tard, il leva les yeux vers Talen, et donna le signal du départ. Le claquement sec et métallique de la visière rabattue du domestique résonna non loin, et il se hissa habilement sur sa monture, prenant la tête du convoi.

Après avoir laissé à sa femme le temps de reculer légèrement, il passa devant. Glissant les pans de sa cape de chaque côté de sa monture, il baissa les yeux vers ses hanches, ceintes par les mains de sa femme, puis éperonna sa monture. Son capuchon était pour l’heure rabattu.

Le trajet fut court jusqu’à la sortie de la ville. Leur passage accrocha quelques regards, certains reconnaissant les deux nobles dont le mariage avait été célébré quelques mois plus tôt, d’autres encore, reconnaissant l’un des acteurs de la conquête du plateau. Et d’autres enfin simplement interpelés par l’armure rutilante de Talen, qui effectivement, agrippait facilement le regard de ses reflets chenus.

«Accroche-toi bien, je doute que tu aies eu l’habitude de tenir un jour une telle cadence, lâcha Morion, la tête légèrement tournée vers elle. Nous nous arrêterons dans quelques heures, à l’orée de Sarrant, puis nous poursuivrons une fois que nous aurons pris le repos nécessaire. Il releva la tête, apostrophant le domestique à quelques mètres devant eux. Talen ? Couvrez nos arrières, nous serons en tête.»

Dès que Talen hocha la tête, Morion partit comme une flèche sur les sentiers pris tous les jours ou presque par les convois qui ralliaient Marbrume et le plateau.

--

En d’autres temps, la balade aurait pu être appréciable, et appréciée. Le soleil brillait de toutes ses forces, nimbant tout le paysage d’une incroyable clarté, qui faisait ressortir chaque détail et chaque nuance de couleur de la nature environnante. Les marais, loin de la route, menaçant les voyageurs de leur silhouette sombre et racornie, n’avaient pourtant aucun espoir de les voir s’aventurer chez eux. Les arbres flétris semblaient ainsi se pétrir d’une sombre fustration, se recroquevillant sur eux-mêmes en une posture irritée, leurs branches crochues dressées vers le ciel en une vaine protection contre l’astre du jour qui les agressait de son éclat.

Impossible de parler durant la traversée. Le vent sifflait, chassant toute protection de tissu qui aurait pu être installée sur leurs crânes, et leur vélocité les empêchait, à Morion et Talen, de profiter du paysage. Il était de toute façon synonyme de danger. Et pourtant cette fois tout semblait baigner dans une tranquillité reposante. Le fléau n’aurait pu être qu’une fable, à cet instant, alors même que leur allure, les visage fermés, concentrés des deux cavaliers, indiquaient clairement le contraire.

Les regards des deux coursiers étaient équivoques. Ils gardaient l’oeil sur le sentier parsemé de traces - il leur arriva même de dépasser un convoi en route pour le Labret, vers le milieu de la matinée - mais également des deux côtés de ce dernier. L’on ne savait jamais où et quand une attaque pouvait survenir. Les fangeux étaient plus ou moins exclus d’office du tableau de chasse de Morion, mais les bannis, les bandits, les coupe-jarrets… Ils ne reculaient devant rien, eux.

Et encore le plus dur n’était pas de maintenir la concentration. Les mains serrées autour des rênes, c’était le corps qui subissait le plus gros du trajet. Même habitué à une chevauchée aussi infernale, les heures passant, il était difficile de ne pas ressentir les contrecoups d’une telle course. Les membres se raidissaient s’endolorissaient au fur et à mesure, perdant de leur souplesse, et menaçant de plus en plus de subir des crampes. Le fessier de Morion, s’il comportait une protection de cuir supplémentaires, commençait également à faire savoir à son propriétaire qu’il n’était guère sage ni respectueux envers lui de le malmener ainsi. Quant aux bêtes, elles avaient également leurs peines. Les cavaliers faisaient peu cas des obstacles minimes de la route. Ornières, racines, irrégularités du terrain, ils forçaient les chevaux à passer outre sans jamais baisser l’allure.

Morion finit par lever la main au bout d’un trop grand nombre d’heures, pour tout le monde. Sarrant était en vue, et là seulement il commença à ralentir. Tournant la tête vers son épouse, afin de guetter un quelconque malaise de sa part, il recentra immédiatement son attention vers le village, poursuivant au trot la course.

«Nous allons nous arrêter une demie-heure, plus si besoin est, le temps de nous restaurer. Nous avons fait le plus dur, le reste sera désormais bien plus facile, désormais que nous nous rapprochons à nouveau d’une forme de civilisation.»

Les paroles d’un homme qui en aucun cas n’avait connaissance du sort qui les attendait, assurément. Ils franchirent calmement, au pas, les premiers baraquements de la ville, délabrés et laissés à l’abandon depuis déjà trop longtemps. Les villes du Labret étant déjà bien suffisantes, il n’y avait eu lieu de reprendre celle-ci. Morion s’y arrêtait presque à chaque fois pour épargner sa monture, plus que lui-même d’ailleurs. Il dirigea d’ailleurs d’une main habituée à cette manoeuvre le cheval vers le centre de la ville. Quelques bâtisses en décrépitude les entouraient. Il arrêta son cheval près du puits central, qui contenait encore, malgré tout, de l’eau. En qualité suffisante pour les montures, ayant pris soin lui-même de remplir des outres pour eux-mêmes.

Les jambes raidies par la course, il descendit en premier, lorgnant sur Talen qui faisait de même, partant explorer subrepticement les alentours à la recherche d’une quelconque présence, hostile ou non, dans la petite ville. Morion tendit les bras vers son épouse, la mine légèrement rosie par le vent, et le soleil, un peu échevelé.

«Nous voici arrivé pour une petite heure. Marche un peu, dégourdis tes jambes. Je vais abreuver les montures, puis nous mangerons un morceau.»

Il joignit geste et parole, plongeant un seau dans le fond du puits, et remplissant des bacs ayant servi à de nombreuses reprises, spécialement installés à cet effet. Ses yeux parcouraient la surface de la ville lui étant accessible d’un simple coup d’oeil. Aucune menace visible, ce qui était pour le rassurer quelque peu mais pas le rasséréner totalement. Les cachettes dans une telle ville étaient innombrables, il le savait bien. Et le soleil, désormais nettement plus haut, apportait une chaleur malvenue, pesante, sur l’ambiance morbide de la cité désertée. Autant le paysage précédemment parcouru était beau, autant ici, tout devenait rapidement malaisant, quand bien même Morion avait eu de nombreuses fois l’occasion de fréquenter les lieux.

«Ambre, peux-tu saisir la besace, sur la monture de Talen ? Il ne devrait pas tarder à revenir.»
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Ambre de Ventfroid



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MessageSujet: Re: De Rikni le coeur du sang félon nourriras [Morion & Ambre de Ventfroid] [Terminé]   De Rikni le coeur du sang félon nourriras [Morion & Ambre de Ventfroid] [Terminé] EmptyLun 14 Nov 2016 - 18:04
Ambre leva des yeux exaspérés vers le ciel à la taquinerie de son époux. Cela l’amusait, de toute évidence. La comtesse savait très bien au fond d’elle que c’était une chose indispensable, elle n’avait pas attendu que Morion le lui dise pour envisager monter à cheval comme un homme. Cela ne l’enchantait pas pour autant, désormais qu’elle avait cette position inhabituelle. Quoique bien mieux stable, être assise ainsi la gênait énormément, mais elle s’en contenterait, jusqu’à la toute fin du voyage. Hors de question de se mettre en danger pour des futilités. Il n’empêchait pas qu’elle se trouvait parfaitement ridicule en sus de faire preuve d’une indécence très peu coutumière.

Peu avant le départ, Morion grimpa à son tour sur leur monture. Le dos légèrement reculé, Ambre le laissa prendre place à son aise avant d’enrouler ses bras autour de lui, solidement. Talen était… rutilant. Ambre n’était pas certaine de l’utilité d’une telle armure dans le cadre de ce voyage, qui se voulait rapide et agile, mais l’on n’était effectivement jamais trop prudent. Elle avait apostrophé Morion, à ce propos, considérant qu’il partait aussi nu qu’un nourrisson venant de naître, mais l’homme avait répliqué que leur monture mourrait d’épuisement si elle devait porter le poids d’une armure en plus des deux nobles, et ce pendant plusieurs heures. Ambre avait grincé des dents sans plus protester ; les chevaux étaient devenus rares depuis la Fange, ils ne pouvaient en prendre plus. Ambre avait omis volontairement de parler de ce souci à son frère Evan, sans quoi ce dernier lui aurait prêté sa monture sans réfléchir, alors qu’il en avait bien plus besoin qu’elle, quelle que soit la situation.

L’aube était là, et promettait une belle journée, sans nuages. Les badauds quittaient déjà la sécurité des murs de leurs maisons pour se déverser dans les ruelles de la ville, et nombre d’entre eux durent s’écarter sur le chemin pour laisser les deux chevaux qui avançaient. Beaucoup de regards se tournèrent, l’on murmura sur leur passage des choses comme « Les Ventfroid ? Où peuvent-ils bien aller ? » ; « Rejoindre leurs terres, sûrement ! ». Ambre avait rabattu la capuche de sa cape, dissimulant aux regards sa chevelure de feu, s’enfermant dans une dignité affichée qu’elle était loin de ressentir à cause de sa monte. Ambre resserra ses bras autour de son mari, et observa la grande rue des Hytres défiler sous ses yeux, jusqu’à ce que les portes du Crépuscule soient parfaitement visibles. Deux mois plus tôt, Morion et Talen partaient, sans elle, au même endroit. Cette fois, elle franchirait les portes de la ville aussi, pour la première fois depuis bien longtemps. Cela faisait presque un an qu’elle n’avait pas quitté l’enceinte de la cité. Comment était-ce, dehors ? Alors que les gardes de la cité leur ouvraient doucement les portes, Ambre sentit une émotion étrange la traverser. Un mélange d’exaltation et de crainte. L’imminence du passage de l’autre côté des remparts lui donna une poussée d’adrénaline, une impression accrue des sens.
Les portes du Crépuscule s’immobilisèrent dans un tremblement, une fois ouvertes entièrement. Les miliciens leur firent un salut de la main, et, alors, leur cheval put s’élancer.

Les premières impressions d’Ambre de Ventfroid sur les terres du Morguestanc étaient qu’elles étaient devenues… calmes. Lugubrement calmes. Malgré le soleil resplendissant, les pissenlits et autres fleurs qui parsemaient les côtés des sentiers, colorant la plaine jusqu’en lisière des marais, malgré les lapins et autres rongeurs qu’on apercevait passer en quelques brèves secondes, la route était vide. Les enfants jouant sur les sentiers d’été, les marcheurs du jour, les commerçants itinérants… Plus personne ne trainait sur les routes, même en plein jour. Tout au plus, ils croisèrent parfois quelques convoyeurs, pressés, concentrés sur leur traversée. Mais la légèreté du monde était perdue, tranchant vivement avec la nature, qui, elle, semblait exploser de vie depuis la baisse brutale d’activité de l’homme en son sein. Au loin, les marais sombres paraissaient plus touffus que jamais, prêts à engloutir chaque visiteur, et l’on imaginait aisément les yeux brillants des fangeux attendant leur heure, dissimulés dans des feuillages ou des flaques de boue… Durant le voyage, Ambre évitait d’y penser, mais malgré elle, la comtesse garda souvent le regard braqué vers le sud, comme si elle voulait guetter l’arrivée d’une créature qui se serait mis en tête de braver l’éblouissant soleil pour les dévorer.

La jeune femme était comme fascinée par le paysage. Des souvenirs revenaient, nombreux, nostalgiques. Bientôt cependant, la réalité du voyage la sortit de sa bulle de pensées et de tristes observations. Le cheval, bien que non lancé au maximum de sa capacité pour le ménager face au poids qu’il devait supporter, avançait à vive allure. Les sabots s’abattaient sur le sentier avec force, dans un rythme entêtant, soulevant des secousses qui faisaient trembler les deux monteurs continuellement. La comtesse n’avait jamais chevauché ainsi, ni dans cette position ni à cette allure, et son corps, peu entraîné, protesta très vite. Son dos, ses hanches, ses fesses, tous subissaient les soubresauts du galop, et la comtesse eut très vite des douleurs et des courbatures. Ses muscles s’ankylosèrent à force d’être trop contractée, son dos, raide comme un piquet, n’arrangeait en rien les choses. Et au plus cela avançait plus l’esprit de la comtesse s’efforçait d’ignorer l’effort que le corps fournissait, sans plus pouvoir se concentrer sur les agréments du voyage.

Après un peu plus de deux heures, ce fut la pause, grâce au ciel. Ambre soupira de bonheur lorsque Morion commença à faire ralentir leur monture. Grimaçante, elle se cambra et se tortilla doucement sur le cheval pour soulager ses muscles endoloris, avant de se laisser glisser à terre à l’aide son époux. Des mèches frivoles s’étaient échappées de sa coiffure avec le vent du voyage, mais la comtesse ne prit pas le temps de s’en occuper. Marchant quelques pas difficiles après une chevauchée douloureuse, elle se dérouilla les articulations.

- Et tu as déjà fait le voyage d’une traite… ? demanda Ambre, sa question étant plus rhétorique qu’autre chose. Elle se demandait comment cela pouvait seulement être possible. Les chevaux, échauffés, buvaient goulument dans le seau présenté par le comte, et ce dernier devait forcément avoir subi les contraintes physiques du voyage, même si dans une moindre mesure que la comtesse, qui elle, n’était jamais entraînée. Elle n’osait imaginer dans quel état de fatigue avait pu rentrer son mari la fois dernière.

Alors que Morion s’occupait des chevaux, pouvant difficilement lui accorder son attention complète, Ambre termina par regarder plus concrètement autour d’elle. Si elle avait trouvé le paysage vide sur la route, lorsque cela concernait Sarrant, c’était bien pire. Les lieux étaient tout simplement désertiques, mais l’ambiance laissée était très différente. Les plaines pouvaient donner une impression de beauté, de nature sauvage, de liberté, même. Là… Tout était… froid. Lugubre. Mortel.
Les bâtisses avaient subi les affres du temps, depuis presque une année sans entretien. Le bois moisissait à de nombreux endroits, les toits étaient troués, les peintures écaillées. Parfois, les portes ne tenaient plus que sur quelques gonds, penchant dangereusement en laissant passage grand ouvert vers les profondeurs des maisons, qui, dans ce contexte, n’en paraissaient que plus inquiétantes. Des déchets traînaient un peu partout. Le village avait été pillé, à de nombreuses reprises, depuis le début du Fléau. Cela se remarquait dans les tonneaux de boisson vidés, les sacs de grains éventrés, ou encore le désordre notable que l’on retrouvait entre les masures. Certaines choses avaient échappé aux pilleurs, cela dit. Une petite poupée d’enfant, déchirée et sale, attira le regard de la comtesse, qui fit quelques pas pour l’observer de plus près. L’image d’une petite fille courant derrière sa mère s’imposa à elle. Courant au milieu des cris et de la terreur, tentant d’échapper aux monstres qui dévastaient le village. La propriétaire de cet entrelâs de chiffons avait-elle survécu ?
Des cadavres gisaient toujours un peu partout dans les recoins du village, également. Mais la comtesse, refusant de s’éloigner trop de son mari dans ce lieu qui ne lui évoquait qu’effroi, ne marcha pas plus loin qu’une dizaine de mètres. Elle n’en vit donc pas. Sans s’en rendre compte, la jeune femme avait commencé à serrer ses mains l’une contre l’autre, comme pour les réchauffer. Ces lieux ne lui inspiraient rien de bon. Les masures offraient beaucoup trop d’angles morts, il était impossible d’avoir tout en visu, et la jeune rousse se sentait donc particulièrement vulnérable. Et ne plus avoir Talen en visuel, parti en éclaireur dans un rayon de trente mètres autour d’eux, n’était pas pour la rassurer.

L’apostrophe de Morion la sortit de ses observations malaisantes, et elle revint auprès de son mari pour lui attraper la besace citée, sur le cheval de Talen. Elle venait tout juste de lui tendre l’objet lorsqu’un bruit métallique résonna dans le village, se répétant en écho sur les façades des maisonnées. Ambre releva rapidement la tête, intriguée, et inquiète, tout à coup. L’on aurait dit le bruit d’une armure recevant un coup. Morion avait entendu aussi, et l’instant sembla se forlonger… Jusqu’à ce que Talen revienne, à peine quelques secondes plus tard.
Le problème – gros problème – c’est qu’il n’était pas seul. Le casque de l’homme avait été arraché, et le coin gauche de sa bouche gonflait déjà à vue d’œil, trace d’un sacré coup qu’il avait pris au visage. Derrière lui se trouvait un autre homme, au visage inconnu, dont le bras recourbé sur le torse de Talen menaçait de lui trancher la gorge. Un second homme, légèrement en retrait, bandait un arc droit sur Morion.

A la vue de ces intrus, le couple Ventfroid avait esquissé des gestes instinctifs. Morion pour dégainer son arme, très certainement, quant à Ambre, elle avait reculé d’un pas, se rapprochant de son mari dans une recherche inconsciente de protection. A la vue de ces gestes cela dit, l’homme qui menaçait la vie de Talen s’écria :

- Pas un geste !

En même temps qu’il s’écriait, quatre autres hommes dont un autre archer surgirent sur le sentier arrière, seule retraite que les Ventfroid auraient pu choisir si l’envie de fuir les avait pris.

- Sinon je vous assure que la tête de votre ami ira rejoindre le sol très rapidement. Vous allez vous éloigner des chevaux tous les deux et poser vos armes par terre, puis les faire glisser vers nous. Toutes.

Il regardait surtout Morion en disant cela, seul qui paraissait armé. Talen était cramoisi de colère et de honte de s’être laissé attraper ainsi. Il avait réussi à mettre à terre un homme, mais son infériorité numérique, malgré son armure, avait vite fait sombrer la situation à son désavantage.
Ambre s’était figée. Cela ne se pouvait. Les dernières observations effectuées autour de Sarrant n’avaient montré aucune activité suspecte, ni de bandits ni de fangeux, sinon les nobles auraient pris soin d’éviter le village pour leur trajet après s’être renseignés. Pouvaient-ils être malchanceux à ce point ? La peur assaillit chaque fibre du corps de la comtesse. Ses yeux étaient légèrement écarquillés, son rythme cardiaque s’était accéléré, mais elle ne savait que faire tout d’un coup, complètement tétanisée. Alors que Morion, le regard prêt à vous glacer sur place, accordait la demande de l’agresseur en serrant tellement les mâchoires qu’il aurait pu s’en briser les dents, Ambre hésitait. Devait-elle retirer son brassard ? Auraient-ils le réflexe de fouiller une femme ? Le dilemme qui s’imposait à elle, et les conséquences qui pouvaient survenir si elle se faisait prendre la mirent dans une angoisse rare. Ambre n’était pas une femme d’action, et n’avait jamais été élevée pour savoir réagir à une menace mortelle. Trop figée par faire quoi que ce soit cela dit, Ambre resta donc très raide, très droite, sans esquisser un seul geste. Elle gardait sa dague.
Alors qu’un des quatre hommes surgis derrière s’approchait du couple pour les fouiller, Ambre resta immobile, les ailes du nez s’écartant au rythme de sa respiration rapide. Elle resta strictement immobile, le cou droit, tentant d’ignorer les archers qui gardaient leurs pointes mortelles droit sur eux. Elle n’osait même pas se rapprocher de son époux, et attendait que l’homme ait terminé de fouiller Morion.

Citation :
Jet d’intelligence bandits : 17.
Raté.

Quand ce fut fait, le bandit posa son regard sur Ambre, sur la pâleur de sa peau, la chétivité de son corps, et ce qu’il vit ne lui fit visiblement pas peur du tout. A un point qu’il en négligea la fouille, et aucun de ses compagnons ne le reprit à l’ordre en lui disant de fouiller la femme. Une négligence qui permettait à Ambre de conserver et sa dague, et son épingle à cheveux. Pour combien de temps cela dit ? Et comment les meurtriers – car c’était tout ce qu’ils paraissaient être – réagiraient-ils s’ils finissaient par découvrir ses armes ? Elle le paierait sûrement cher. Mais ce fut un risque qu’elle fut prête à prendre, ne serait-ce que pour conserver une défense de dernière minute, ou pour s’ouvrir une opportunité de fuite.

- Bien. Attache-les, Raël, lança l’homme qui menaçait toujours Talen de sa lame.

- Je l’sais bien, joue pas au chef, Chris.


- Alors dépêche-toi bordel, on va pas rester exposés dehors pour qu’une escouade de miliciens ou de fangeux nous tombe sur le râble. Attache-les !

Pour toute réponse, Raël cracha par terre, et entreprit de nouer les poignets des nobles dans leur dos solidement. Sèchement, il ferma les plusieurs nœuds, irritant déjà la peau de la comtesse, qui grimaça.

La comtesse était trop éberluée pour parler. Se laissant conduire par leurs ravisseurs, elle restait mutique. Deux des bandits récupérèrent les rênes de leurs chevaux, fermant la troupe à l’arrière, tandis que les autres poussaient et exhortaient leurs prisonniers à marcher plus vite, manquant quelques fois de les faire trébucher. Ils s’en amusaient, se gaussaient de leurs proies, assenant quelques moqueries sur les jupons d’Ambre qui devaient vraiment pas être pratiques pour évoluer ailleurs que sur un tapis rouge.
Ils les menèrent plus loin dans le village, jusqu’à un grand bâtiment, qui, dans le temps, avait certainement possédé du cachet. C’était une ancienne maison de loi, mélange de caserne et de prison sans rôle bien défini, où l’on choisissait ce qu’on en faisait selon les disponibilités du village. Le hall du bâtiment était décrépi, avait subi plusieurs attaques, cela se voyait aux tapisseries déchirées et autres traces sanguines zébrant les murs, mais l’ensemble avait été nettoyé. Les bandits avaient investi les lieux. Ils les firent descendre au sous-sol, indifférents à leur malaise de franchir les escaliers les mains nouées dans le dos.

En bas, la pièce était terriblement fraîche et sombre, malgré les nombreuses torches accrochées sur la pierre à intervalle régulier. Le sol était sale, gras. Il s’agissait d’anciennes geôles, dont la plupart avaient été démontées. Toutes les grilles de fer, à droite, n’étaient plus, libérant un espace de vie important. Les bandits y avaient donc installé une table dans le coin droit, avec trois chaises. Quelques caisses et matériels se trouvaient dans le même coin, ainsi que des couchages de fortune. Sur la gauche de la pièce subsistaient deux geôles de trois mètres carrés chacune, aux grilles en fer forgé, à l’air solide, et aux serrures graissées, témoin de leur usage régulier. Ce ne fut cependant pas tout de suite qu’on y enferma les trois nobles.
Violemment, on les força à s’agenouiller au centre de la pièce, côte à côté. Ambre se cogna les genoux face à la brutalité avec laquelle on lui fit rencontrer le sol, mais elle resta crispée, contrôlant difficilement le rythme de ses battements cardiaques. Son cœur lui battait tellement dans les tempes qu’elle n’entendit presque plus rien l’espace d’un instant.

Le bandit qui avait été appelé Chris les regarda tour à tour. Au-dessus de leurs têtes, dans les étages, l’on entendit des bruits de porte que l’on ferme, des clés que l’on tourne, puis le silence. Un autre homme descendit, et, au total, trois bandits étaient présents sur les six de départ.

- Vous avez tout fermé ? demanda Chris. Bien attaché les chevaux ?

Quand il eut réponse affirmative, un sourire éclaira sa face malveillante, et il prit alors le temps de se concentrer sur son butin. Il pouvait désormais s’occuper à l’abri de ses trouvailles.
Tournant autour des trois sang-bleus, il les détailla, longuement, en silence.

- Deux chevaux, une armure rutilante, des armes de qualité…
Il comptait sur ses doigts en parlant. De beaux vêtements, un état de conservation que peu peuvent se vanter de posséder, ajouta-t-il en pinçant une mèche soyeuse d’Ambre avec un sourire carnassier. Dîtes-moi, qui êtes-vous ? Riches marchands ? Bourgeois ? Nobles ? Combien serait-on prêt à nous payer pour vous récupérer, selon vous ?

L’homme était plein de suffisance. Tout persuadé de sa supériorité, de sa victoire d'avoir attrapé ce qui lui paraissait être un gros poisson, il attendit une réponse, curieux. Ambre resta strictement silencieuse. Un sursaut d’ego l’avait prise, forçant sa volonté à ne pas donner à cet homme ce qu’il désirait. Mais plus que l’ego, c’était la peur qui la motivait. S’il apprenait qu’il avait là sous les yeux une des rares familles nobles de la cité, nul doute qu’il ne tiendrait que davantage à son butin. Alors, elle se tut. Se mura dans le silence, attendant avec une appréhension croissante la violence et la menace.
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Morion de VentfroidComte
Morion de Ventfroid



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MessageSujet: Re: De Rikni le coeur du sang félon nourriras [Morion & Ambre de Ventfroid] [Terminé]   De Rikni le coeur du sang félon nourriras [Morion & Ambre de Ventfroid] [Terminé] EmptyLun 14 Nov 2016 - 22:30
Morion était sûrement moins sensible à l’atmosphère ambiante. Il la connaissait, et l’avait souvent subie et observée lors de ses nombreuses traversées, depuis l’arrivée du Fléau. Et encore, la reconquête du plateau avait rendu les lieux plus sûrs qu’auparavant. Il y a quelques mois, le comte ne s’arrêtait que quelques brèves minutes le temps de laisser aux monture l’occasion de souffler et de relâcher un peu leurs muscles soumis au supplice de leur longue et intense traversée.

Mais les faits étaient là. Par mauvais temps, le plus courant sur le Morguestanc, les maisons délabrées, en passe de tomber en ruines d’abandon et de désespoir, offraient un abri que l’on ne choisissait que de mauvaise grâce. Leurs gueules béantes, donnant sur des pans d’obscurité insondables, n’étaient pas sans rappeler la vie qui autrefois brillait en ces lieux, avant que le Fléau ne l’annihile, ne laissant dans l’air que les traces d’une existence passée, mais néanmoins révolue. Un souffle de vent, et le bois grinçait ostensiblement, déchirant presque les tympans des rares voyageurs qui osaient s’aventurer entre les vestiges menaçants. Alors que les bruits courant étaient tous naturels, ils prenaient une sonorité morbide, pesante, inquiétante, qu’elle qu’en soit leur nature. Le vent devenait un murmure de mauvais augure, une trille innocente devenait un crissement désagréable à l’oreille, l’annonce d’une menace injustifiée, mais que l’esprit interprétait immédiatement comme le signe d’un assaut. Et le beau temps n’arrangeait rien, bien au contraire. L’intense chaleur et l’immobilité générale conjuguées donnaient l’impression cruelle d’un espace figé dans le temps, où tout pouvait cependant arriver, avec brusquerie. L’on n’entendait rien à des mètres à la ronde, l’on ne voyait que ce que les interstices vidés de toute présence entre les habitats voulaient bien nous laisser voir.

La main de Morion se perdit un moment dans l’encolure de sa monture, pendant qu’elle se désaltérait avec voracité, heureuse de pouvoir enfin lapper l’eau vieillie, au goût terreux, mais si bienvenu par ce temps, après une telle chevauchée. Il n’aimait point leur infliger tel traitement, bien que seul le fléau soit à blâmer pour cela. Brave bête, le domaine serait une véritable libération pour elle. Au manoir les chevaux n’avaient en aucun cas l’espace dont ils avaient besoin pour évoluer et s’épanouir, cantonnés à leurs écuries. Les sorties étaient prohibées, sauf en cas d’absolue nécessité. Qui irait, simplement pour dégourdir les pattes des animaux, à l’extérieur des portes, sachant les risques, nombreux, encourus ? Personne, c’était évident. Et un jardin, quand bien même celui-ci appartinsse à un manoir à la grande superficie, n’était qu’une très maigre consolation.

Les yeux relevés vers son épouse, laissant aux équidés la joie d’un rafraîchissement, il hocha la tête, songeant à ses précédentes traversées. Aucune ne fut agréable, se rendit-il compte. «Oui, en effet. Parfois, lorsque le temps se gâte, s’arrêter est beaucoup trop dangereux. Mais seul, les bêtes le supportent un peu mieux. La plupart du temps.»

Morion avait déjà tué une monture ainsi, à dire vrai. Elles avaient beau être rodées aux lourdes charges et aux cavalcades effrénées, elles avaient tout de même leurs limites. Et sitôt qu’elles étaient franchies, ne mettaient guère de temps à mourir.

Il n’aimait pas trop s’arrêter, cependant. Ce genre d’endroits… qui pouvait réellement deviner qui allait leur rendre visite ? Parfois il s’arrêtait, une compagnie de miliciens était déjà présente sur les lieux. Ils partageaient alors un morceau, rapidement, échangeant des nouvelles en provenance de la ville, ou du plateau. Chacun y allait de sa petite anecdote, Morion bien souvent mutique lors de ce genre d’échanges. Et où allez-vous ainsi, comte de Ventfroid ? Sur vos terres ? Il paraît que des fangeux se massent dans les environs, alors soyez prudent. Ce à quoi le comte acquiesçait, poliment, échangeant quelques vagues salutations avant de reprendre sa route.

Un bruit l’alerta. Levant brusquement la tête, alors qu’il vérifiait encore le contenu de la petite sacoche de cuir, il dirigea son regard vers l’origine du bruit. Et elle lui fut bien vite, et bien cruellement révélée. Son bras droit, accompagné par un duo de bandits, visiblement, ou de bannis - comment savoir, et qui s’y intéressait ? - fiers de leur prise, et d’autant plus fiers qu’ils étaient ensuite tombés sur deux autres prises, réduites à l’inaction s’ils ne voulaient pas voir leur domestique et ami mourir.

La main figée sur le pommeau de son épée, arrêtée en plein élan par l’apostrophe claire, Morion observait furieux le coupe-jarret. Ses yeux s’abaissèrent un bref instant au sol, jaugeant la distance qui le séparait de Talen. Bien trop grande. Une oeillade fut adressée à sa femme, lui intimant de façon totalement inutile l’immobilité absolue. La surprise avait en soi suffi à les paralyser, à dire vrai le bandit n’aurait même pas eu besoin de préciser que le moindre geste leur coûterait cher. Une fois n’étant pas coutume, il jura mentalement. Une seconde fois, lorsque le duo se transforma en une vraie troupe, qui avait au vu de sa position et de son organisation attendu un bon moment qu’un butin leur tombe entre les griffes. Voilà qui était chose faite, se dit Morion, amer et impuissant. Il n’aurait pas dû envoyer Talen se perdre dans le dédale de terre et de pierre seul. Nul ne servait de se fustiger désormais qu’ils étaient faits, néanmoins. Sa main trembla un moment sur son arme, hésitante, mais risquer inutilement la vie d’un de ses hommes n’était pas dans ses habitudes, et n’évoquons même pas la présence de sa femme.

Il détacha son baudrier, lentement, bouillant de rage. Il posa le fourreau et la ceinture au sol, puis retira sa dague de son étui de taille, qu’il laissa également au sol. Un coup de pied acerbe dedans l’envoya filer sur la terre battue, laissant voleter à sa suite une gerbe de poussière aux allures narquoises, dans un bruit de papier froissé. Un léger cliquetis retentit lorsque le brigand l’arrêta de la pointe de sa botte. Talen avait déjà été dépossédé de ses armes, et Ambre… Le regard du comte, exempt de toute inquiétude, chacune de ses émotions étant pour l’heure balayée par la méfiance et la colère, s’attarda vaguement sur Ambre avant de l’ignorer volontairement. Il ne voulait pas que l’on puisse en déduire, aux airs qui s’inscrivaient sur son visage, que son épouse était également en possession d’armes. Un indicible soulagement le saisit, lorsque sa fouille, si elle fut minutieuse sur le comte, dont l’envie de rompre le cou de cet homme n’était stoppée que par la présence d’autres personnes qu’il ne voulait pas mettre en danger - plus qu’ils ne l’étaient en tout cas, fut totalement négligée du côté d’Ambre. Il ne savait pas ce qui leur était réservé, mais au cas où… Bénie soit l’idée qu’il avait eu, en imposant à sa femme le port d’une arme dès qu’elle quittait leur demeure. Elle serait très certainement utile un jour. Peut-être même aujourd’hui.

Quelques regards furent échangés avec Talen, sans aucun mot. Le vieil homme avait peu combattu, s’étant rapidement fait prendre au piège, mais s’il avait pu se débarrasser de l’un d’entre eux… Il essayait d’évaluer mentalement la force et l’adresse de ses opposants, à vrai dire. Un bon moyen de s’occuper l’esprit et d’endiguer la rage, une ennemie redoutable dans cette situation. Il ne pouvait rien faire dans l’immédiat, c’était une réalité cruelle, mais inébranlable pour le moment. Il fallait patienter et attendre le bon moment. D’où, peut-être, son calme apparent et son total mutisme. Si intérieurement il était prêt à exploser, il refusait de donner une quelconque raison à leurs agresseurs de les sanctionner. Et s’ils pouvaient se venger à volonté en rouant Talen et Morion de coups, comme le voulait la tradition… L’esprit de Morion envisagea sans peine et avec force obscurité ce qui pourrait arriver à Ambre. C’était très largement dissuasif. Le peu d’envie d’y passer jouait, aussi.

Tout le trajet durant, Morion, s’il garda la tête basse pour ne point donner envie à ses prédateurs de la lui rabaisser d’eux-mêmes, ne lâcha pas le paysage du regard. Ni Ambre. Il voulait savoir où on les emmenait, par où ils passaient, et la configuration des lieux dans lesquels ils seraient retenus. Car visiblement, le meurtre n’était pas prévu immédiatement. Un autre motif de soulagement. Plus ils resteraient en vie, contraints certes à l’inaction, plus il pouvait réfléchir.

Même à genoux par terre, forcé à une position soumise qu’il n’avait jamais dû tenir, de toute son existence, dans un état d’humiliation qu’il n’aurait pas non plus pensé connaître un jour, il gardait les yeux fixés sur eux, cette fois. Puisque visiblement ils n’avaient pas l’air d’une menace, il pouvait bien se permettre cet affront.

Si quelqu’un avait pu, à ce moment-là, se retrouver dans la tête du comte, il y aurait vu les nombreuses images de mort violente que Morion, presque inconsciemment, peignait dans son esprit. Car il les tuerait, cela, c’était certain. En tout cas il ne manqua pas de s’en faire la promesse. Ce genre d’engeances était typiquement de celles qui, aux yeux de certains, étaient responsables de l’apparition du fléau en gage de jugement pour les péchés des hommes. Morion ne pouvait souffrir leur existence, il était même un juge abominablement sévère quant à leur condition. A ses yeux le bannissement, s’il entraînait toujours de funestes conséquences pour ses victimes, était une sanction trop légère en ce qu’elle donnait tout de même un mince espoir de survie à ceux qui étaient mis au rebut. S’il était juge, il les ferait pendre haut et court sans avoir à prendre le risque de renforcer le fléau de la lie du peuple de Marbrume. Ou les réduirait en esclavage. Bref. Il les haïssait par défaut. Là, c’était bien pire.

Accusant la question, il resta silencieux un long moment. Son coeur loupa un battement, avant de reprendre avec le rythme effréné de l’ire qui courait dans ses veines, quand l’homme osa poser la main sur sa femme. Et nul ne doutait qu’il pensait à bien plus que cela. Les dents serrées à se les briser, le teint blafard de colère, il tuait cent, mille, cent mille fois les hommes du regard, bien peu de choses eu égard à la position qu’il occupait.

Hors de question de lui révéler son nom. Il était connu dans la région. Il était évidemment connu partout. L’esprit agité, conservant les quelques brins de lucidité froide qui lui restait pour calculer sans cesse les opportunités qui s’offraient à eux, cruellement peu nombreuses, il se rendit compte que s’ils arrivaient à les faire tourner en bourrique suffisamment longtemps, le sort de ces hommes serait de toute façon scellé. Il avait, comme à son habitude, envoyé une missive à Marianne pour les prévenir de son arrivée. S’ils n’étaient pas là d’ici la fin de la journée, elle allait s’inquiéter, et devant le mutisme de son frère, lancerait immédiatement des hommes à sa recherche. Quant à les retrouver… il fallait prier. Mais surtout, il fallait tenir.

«Personne ne paiera quoi que ce soit pour notre libération, siffla Morion entre ses dents, le ton aussi venimeux qu’il était possible de l’être. Tout ce que vous aurez si vous nous gardez ici, c’est une épée en travers du gosier. Son regard fusilla tous les hommes présents, avant de reprendre un rictus cruel aux lèvres. Tous autant que vous êtes, vous avez commis une effroyable erreur.»

Sa phrase, sonnant comme un jugement divin, avait tout pour faire rire. Il était maintenu à genoux, lié par des cordes abrasives, à la merci de six hommes armés, alors que lui n’en avait plus aucune. Talen était encore à moitié sonné et sans armes, quant à sa femme… C’était elle qui devait se faire le plus discrète, ici. S’il pouvait concentrer leur attention sur lui…

Il ignora les rires moqueurs, et continua, au contraire, à les défier du regard. Il ne voulait pas qu’ils se rendent compte que sa femme avait une arme. Soyons fous, il ne voulait pas qu’ils s’y intéressent tout court.

«Laissez-nous partir, et vous aurez peut-être une chance de vous en tirer indemne. Le cas contraire, commencez à prier.»
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Ambre de Ventfroid



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MessageSujet: Re: De Rikni le coeur du sang félon nourriras [Morion & Ambre de Ventfroid] [Terminé]   De Rikni le coeur du sang félon nourriras [Morion & Ambre de Ventfroid] [Terminé] EmptyMar 15 Nov 2016 - 0:50
Ambre retint son souffle. Son époux était fidèle à lui-même : hargneux, froid et hautain. Son arrogance n’était jamais aussi haute que dans ce genre de situation où on le provoquait, et les bandits avaient réussi à le mettre dans une ire rare. Les propos étaient loin d’être conciliants avec la demande du bandit, et c’était un euphémisme. Morion n’était aucunement en position de menacer, ou de marchander, pourtant il promit à tout le groupuscule de malfrats une mort prochaine. L’ironie divine était réelle, mais les Ventfroid se retrouvaient désormais dans une position similaire à celle qu’ils avaient fait subir à la veuve de Saurell. Enlevés, attachés, sommés de donner des informations, sous peine, il n’était pas bien difficile de l’entrevoir, de torture. Jusqu’à quel point ces hommes seraient-ils prêts à abimer leur marchandise pour les conserver en tant que monnaie d’échange ? Ambre voyait bien comment ils étaient armés, et les animaux sauvages ne devaient pas être les seules victimes de leurs lames. C’étaient des hommes qui vivaient dehors depuis longtemps, peut-être même le début du Fléau, et qui avaient survécu jusque-là. Nul doute qu’ils devaient posséder un talent certain pour la dissimulation, ou pour la violence. Voire les deux à la fois.

Talen en était déjà un dommage collatéral, avec un hématome qui grossissait à vue d’œil sur sa pommette gauche. Le domestique se trouvait au centre des Ventfroid, et à sa gauche, Ambre pouvait entendre sa respiration profonde, hachée, agacée. Il n’était pas dans un meilleur état que Morion : la colère lui vrillait les tripes, et pour lui, plus que pour le couple, il se sentait terriblement responsable de ce qui était en train de se dérouler. Il n’avait pas protégé correctement son seigneur ni sa femme, laissant pire qu’une ouverture aux brigands pour attaquer : un moyen de pression, qui avait forcé les nobles à se rendre sans même lutter. Ambre aurait aimé pouvoir lui parler, le rassurer, mais elle était loin d’en avoir la possibilité, ni l’esprit à ça. Tous ses sens étaient concentrés sur l’instant présent. Jamais, au grand jamais, elle ne s’était agenouillée devant quelqu’un – si l’on omettait les jeux charnels auxquels un couple pouvait s’adonner. Elle était pourtant là, ses genoux raclant le sol, ses jupons trempant dans les souillures ambiantes, les épaules déjà endolories par les poignets attachés en arrière du dos. Mais pire que le malaise physique qui commençait à s’installer, ce fut la brûlure cuisante de l’humiliation qui lui fit le plus mal. Ambre gardait le cou raide, la tête droite, mais ses yeux étaient baissés sur le sol, observant les bottes de Chris qui tournait autour d’eux en les observant. Elle avait frissonné de dégout lorsque l’homme avait attrapé l’une de ses mèches cuivrées, sentant déjà par ce simple geste que le malfaiteur avait vu au-delà de son statut de butin : il jouait de son statut de femme. Mais elle avait gardé la tête droite, le regard toujours baissé sans prendre le risque de provoquer un sursaut de défi. Depuis combien de temps ce fils de putain n’avait-il pas approché une femme dans son groupuscule de puants ? Depuis combien de temps attaquait-il les honnêtes gens, ceux qui avaient le courage de braver la Fange pour ralier le Labret, ou toute autre forme de survie ? Depuis longtemps de toute évidence, à en voir l’assurance de son groupe d’amis, l’assurance de ses gestes, de ses mots. Pas assez longtemps pour parvenir à attraper des nobles en embuscade, cela dit. Leur trouvaille paraissait rare, inespérée, et les hommes n’étaient pas décidés à les lâcher.

Lorsque Morion répliqua avec toute la prestance qui seyait à son rang, Ambre ne put garder les yeux baissés. Ces derniers se relevèrent brusquement, s’arrêtant sur Chris pour noter sa réaction. La comtesse était brusquement tendue, guettant tout geste à l’encontre de son mari. L’homme était resté un instant éberlué par la réplique de Morion. Le comte était la victime, dans cette affaire, et il aboyait beaucoup, pour une brebis. Aussi, passé les quelques secondes de surprise, Chris s’approcha prestement du comte de Ventfroid. Le coup tomba, aussi brutal et violent qu’avaient été les paroles du prisonnier. Morion fut frappé du poing en plein visage, comme Talen une quinzaine de minutes plus tôt. Talen secoua les épaules, en rage, tirant sur ses liens, tandis qu’Ambre laissa échapper une plainte étouffée. Le visage de Morion avait tourné sous le choc, et l’homme attrapa brusquement le visage du comte pour le forcer à le regarder, pressant sur les joues de façon douloureuse.

- Tu crois que parce que j’espère faire de vous trois une monnaie d’échange, je vais vous épargner ? claqua Chris avec un regard haineux. Je peux vous abimer, vous abimer beaucoup, tant que vous restez en vie. Je suis en position de faire des menaces, je suis en position de te mettre une épée dans le gosier, mon grand. Et sois sûr que si tu me convaincs assez de ton inutilité, je n’aurai aucun scrupule à te tuer. Ne va donc pas trop vite en besogne en affirmant que personne ne paiera pour toi. Ça n’est réellement pas à ton avantage.

Derrière, les deux autres malfrats approuvaient de légers ricanements. L’un d’eux s’approcha – le dénommé Raël – comme pour mieux regarder le visage amoché de Morion. Les hommes semblaient avoir senti que de leurs trois prises, Morion était celui qui semblait avoir le plus d’importance. Son arrogance, le fait qu’il fut le premier à prendre la parole tandis que les autres restaient muets… Tout laissait à croire que c’était lui qui tenait les rênes, au quotidien, et la façon dont il vivait sa capture témoignait qu’en temps normal, c’était devant lui qu’on s’agenouillait, et pas l’inverse. Sans parvenir à déterminer l’identité de l’homme qu’ils avaient en face d’eux, les malfaiteurs avaient donc malgré tout l’instinct que Morion n’était pas n’importe qui.

L’homme lâcha le visage de Morion pour se redresser.

- Vous laisser partir, hein… ? répéta Chris en riant de plus belle. Regarde ça, Raël ! ajouta-t-il avec un large geste de la main en désignant le groupe. Combien d’autres chevaux la famille de ces bourgeois pourrait nous fournir, crois-tu ? Combien d’armes, combien de nourriture, combien d’animaux, combien de pièces sonnantes et trébuchantes ? Combien de putes ?

Il se planta de nouveau devant Morion, arrachant sans ménagement la fibule d’argent qui nouait sa cape, pour brandir le petit objet métallique.

- Même leurs attaches vomissent l’oseille ! appuya-t-il avant de jeter le morceau d’argent à travers la pièce. Et il réclame qu'on les laisse partir !

Pour conclure sa petite tirade, un autre coup tomba sur le visage du comte de Ventfroid. Le bruit fut terrible, et quiconque dans la pièce eut pu avoir l’impression de recevoir le poing. Cette fois-ci cependant, Ambre cria.

- Cessez !

Voir et entendre son mari se faire molester lui était insupportable. Elle tremblait, dans une fureur qu’elle n’avait connu que rarement, voire jamais. Elle rageait, mais elle était aussi énormément limitée par son effroi, sa peur qui maintenait chaque fibre de son corps en alerte, et qui la faisait trembler d’oser s’opposer à leurs ravisseurs. Mais elle ne pouvait pas laisser faire ça, tout plutôt que voir Morion se faire tabasser jusque dans un état proche de la mort. Elle avait vu les ustensiles de torture dans son propre manoir, maniés par son propre mari. Elle savait parfaitement jusqu’où ces choses pouvaient aller, et elle se refusait à l’observer sur son époux. Il avait déjà trop souffert, et n’était pas même remis de la reconquête du Labret.
A côté d’elle, Talen lui avait donné un léger coup de coude en soufflant un « non, ma Dame… », mais c’était trop tard. Ambre, surprise par sa propre audace, inspirait et expirait profondément, le regard levé droit sur les yeux de Chris.

- Il ne dira rien. Là-dessus, Ambre ne mentait même pas : elle était persuadée de l’entêtement de son époux. Ne lui faites pas de mal, je vous en prie. Cela ne sert à rien.

Raël se rapprocha de la comtesse tandis que tout le monde avait tourné le visage vers elle. S’agenouillant devant elle, son regard passa de Morion à Ambre, puis d’Ambre à Morion. De son index, il tapota le front de la jeune femme, doucement. Il avait une haleine ignoble, et mâchait quelque chose qui s’apparentait à une friandise en parlant. Ambre serra les mâchoires sous le contact.

- Elle s’était agrippée à ta manche tout à l’heure, renchérit-il à l’adresse de Morion. Et maintenant, elle tente de sauver ta peau en jouant les pauvres effarouchées. Ça serait pas celle que tu tronches toutes les nuits pour les dieux, dis ?

La présence d’un tel lien entre leurs prisonniers parut les ravir. Niveau pression psychologique, ils n’avaient pas mieux. Ils avaient un moyen aisé de vérifier : retirer les gants de leurs prisonniers pour vérifier les alliances. Mais à l'heure actuelle, leurs simples observations leur parurent bien suffisantes.
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MessageSujet: Re: De Rikni le coeur du sang félon nourriras [Morion & Ambre de Ventfroid] [Terminé]   De Rikni le coeur du sang félon nourriras [Morion & Ambre de Ventfroid] [Terminé] EmptyMar 15 Nov 2016 - 3:33
Garder en tête son objectif principal; diriger toute l’attention sur lui. Faire beaucoup de bruit, en vain, faute de pouvoir concrétiser la moindre de ses menaces, garotté comme il était, dans le seul but de maintenir l’attention des ravisseurs focalisée sur lui. Et bien doser son sale caractère, également. Il ne doutait pas une seconde que ces hommes étaient capables de les tuer. Si par malheur il mentait trop bien, et arrivait à les persuader qu’ils n’avaient aucune valeur de rançon, alors ils périraient. Cette option n’était même pas envisageable. Il fallait tenir, le plus longtemps possible. Et morbleu, sa femme était avec lui. Seul, même avec Talen, à l’extrême limite, il aurait pu s’en donner à coeur joie. Son dos en était un excellent témoin : il était hautement résistant à la torture et aux sévices physiques. Quant aux sévices moraux, son orgueil était si rigide que les piques rebondissaient sur lui sans l’atteindre. Mais pas cette fois. La seule présence d’Ambre était un handicap. Pas que pour lui. Il ne tolérerait pas que le moindre mal lui soit fait, mais malheureusement pour eux tous… Si Morion qui exhalait le plus d’autorité et d’importance, Ambre était la plus prompte à attiser les pires convoitises.

La réaction qui suivit son bref discours acrimonieux, il s’y attendait. Il ressentit le choc avec force. Sa tête bascula violemment sur le côté. Sa mâchoire inférieure, emportée par l’élan du coup, émit un craquement sinistre, l’intérieur de sa joue compressé sauvagement par l’impact. Un goût métallique sourdit aussitôt dans sa bouche, un goût familier. Sa vue se brouilla un instant, et une douleur lancinante envahit la moitié droite de son visage, ainsi qu’une intense chaleur. Sa nuque émit une brève protestation contre la soudaine torsion de sa tête, qui se répercuta dans tout son dos, déjà endolori. Un grognement rauque franchit ses lèvres serrées, mais rien de plus.

Le mépris dans son regard quand son visage fut saisi, d’une telle manière qu’il n’était même pas capable de répondre, l’astreinte augmentant un peu plus la douleur déjà infligée, était plus intense que jamais. Il ne pouvait qu’accuser le discours sans rien dire, à part promettre par les deux diamants enragés qui fixaient son agresseur cent morts et mille tourments. Des promesses creuses, s’il en était.

Ne rien dire, surtout. Ne. Rien. Dire.

Il frappa à nouveau. Encore plus brutalement. Morion en fut sérieusement sonné, cette fois-ci. Le goût de sang dans sa bouche se fit plus net, et au travers de son champ de vision brouillé et déformé, voilé d’une brume rouge de douleur, il crut même percevoir une gerbe sanguine s’échapper et aller s’étaler avec indolence sur le sol souillé. La crasse l’absorba, mêlant son sang aux autres ignominies qui traînaient au sol. Il se sentit chanceler, une nausée prendre possession de son ventre. Il ne sentait qu’une partie de son visage, l’autre étant déjà engourdie. Tant que l’on ne la touchait pas. La peau autour de son oeil commençait déjà à bleuir et se tuméfier, limitant à sa vue à un oeil et demi. Et cela allait décroissant. Son esprit gourd fut cependant rappelé brutalement à l’ordre par la voix de sa femme.

La ferme, Ambre !

L’ordre mental fusa, sans aucun effet. Elle venait de commettre une erreur abominable. Talen, qui à côté de lui, s’insurgeait avec futilité contre les traitements infligés à son maître, son presque-fils, blanchit d’angoisse, quand Ambre leva le ton pour faire cesser ces brutalités. Lui-même s’était fait la même réflexion que le comte. Ne rien dire, laisser faire.

Ignorant la douleur caustique dans sa nuque, Morion tourna la tête vers elle. La rage s’était décuplée dans ce qui était encore visible de son regard, dont l’intensité n’avait point chu d’un iota, mais il se teintait désormais d’une pointe visible d’inquiétude. Par les Trois, qu’avait-elle dit ? Ne servait à rien ? Evidemment, que c’était utile, tout le temps qu’ils passaient à s’acharner sur lui, ils ne le passaient pas sur Talen, ou sur Ambre ! Lui était bien plus résistant, bien plus accoutumé aux traitements difficiles ! Il avait combattu, participé à des guerres, avait été violemment battu par son père, et par dessus-tout, il n’était pas enceinte, lui !

Maudissant la toquade insensée de son épouse dans un silence à peine perturbé par sa respiration, devenue sifflante, il cracha un filet de sang au sol. Il jeta un oeil à son domestique. Son seul oeil réellement valide, en fait. Le pauvre homme était un mélange nauséabond d’abattement et de fureur. Furieux contre le traitement qui leur était infligé, par son échec, qu’il y pût ou non quelque chose, et abattu par la tournure que prenait les événements, et son impuissance à y contrevenir. Il se faisait vieux, c’était un fait, mais se retrouver ainsi dans l’incapacité de protéger ses maîtres… qu’on lui donne une épée, il allait à tous leur faire mordre la poussière. Et il en voulait à Ambre aussi. Elle aurait mieux fait de laisser faire son mari. Cela ne lui plaisait pas plus qu’à elle de le voir recevoir des coups. Mais c’était beaucoup plus sage. Un faible soupir franchit ses lèvres. Son regard quittait peu ou pas du tout le sol. Il fallait retrouver un semblant de contrôle sur cette situation désastreuse, même si cela signifiait prendre des coups, encore.

Merde.


Le visage de Morion, lorsqu’il accusa la question du brigand, resta sans réaction aucune. Le visage enflé, cela ne se serait guère vu, de toute façon. Ses yeux se plissèrent légèrement, signe cependant d’une fureur aussi intense que sa mimique était subtile. Il laissa couler le ton obscène et insultant du bandit. Il ne voulait rien dire, ne pouvait rien dire. Tout ce qu’il pouvait faire… Tout ce qu’il pouvait faire, c’était lui cracher au visage. Et c’est ce qu’il fit, avec toute sa hargne. La gerbe ensanglantée fusa sur la distance qui le séparait de Raël, éclaboussant son visage avec un petit ploc discret, ridicule. La trace était néanmoins parfaitement visible.

Et à défaut de leur faire du mal, cela eut l’effet escompté. Raël se releva, furibard, touché en plein dans sa fierté, et sous les ricanements de Chris, encore à côté de Morion, effectua un pas un avant, lui donnant l’élan parfait pour coller sa basque crasseuse en plein dans les côtes du comte, qui ne put contenir un râle de douleur bruyant. Il bascula contre Talen, le souffle coupé, et resta coi, pendant une bonne dizaine de secondes.

«Raël. La voix narquoise de Chris s’éleva, interrompant l’intéressé alors qu’une salve de coups allait à nouveau s’abattre sur le comte. Fous le vieux dans la geôle. Les deux autres valent le coup. Lui… Il eut un reniflement dédaigneux, et cracha au sol juste devant lui. On récupérera son armure une fois crevé.»

Pestant et grommelant, Raël s’exécuta, et traînant sans ménagement Talen au sol, il le balança avec autant de délicatesse comme il le put dans la cellule, avant de refermer la grille.

Un léger hoquet retentit à l’autre bout de la pièce, où avaient été posées leurs armes, boucliers et autres possessions purement matérielles. Euverne, l’archer, était en train de farfouiller dans leur butin, et était tombé sur le bouclier de Talen.

«Les gars… Il se rapprocha de la troupe, et fixa le vieil homme dans la geôle, puis les deux nobles, toujours au sol. Il leva le bouclier, montrant les armoiries qui figuraient dessus. ‘Savez ce que c’est, c’te tour ? Devant l’ignorance générale - bordel, pour une fois qu’il savait un truc et pas les autres ! - il eut un petit ricanement suffisant, puis jeta le bouclier à plat, par terre. ‘Vant d’me tirer à cause des bêtes, j’vivais loin d’ici. Sur les terres d’un mec qu’avait les mêmes affaires. Les Castelmont, qu’y s’appelaient. Des nobles gars.»

Morion, et Talen également, étaient tous deux mortifiés. Leur évidente richesse, par leurs mises, accessoires, leur teint de personnes en bonne santé, loin des cruautés de la fange, qui laissait derrière elle des affamés faméliques et émaciés, pouvait les faire passer pour des bourgeois, des marchands peut-être. Le nom qui venait de résonner avait en revanche allumé un éclat bien vorace dans les yeux des bandits, qui se tournèrent comme un seul homme vers leur prise, qui venait de gagner infiniment en valeur.

Du fond de son âme, Morion priait pour qu’ils n’en restent qu’à la découverte du nom de ses vassaux. Qu’ils n’aillent pas plus loin dans l’historique, par pitié. La seule indication de l’allégeance des Castelmont aux Ventfroid était un flocon de neige savamment gravé, discret, sur le créneau central de la tour héraldique.

Horriblement satisfait, Chris s’était remis à tourner autour des deux époux, comme un fauve autour de proies condamnées.

«Raël, fais sortir le vieux. C’est à lui qu’appartient le bouclier. Le bellâtre l’ouvrira pas, mais lui... La fin de sa phrase resta en suspens, ce qui en disait déjà pas mal sur ses intentions.»

Râlant contre qui voulait bien l’entendre, le grincement de l’ouverture se fit entendre, suivi par les cliquetis métalliques de l’armure d’un Talen qui se débattait inutilement contre Raël, bientôt suivi par l’archer, qui le traînèrent devant les Ventfroid.

«Alors comme ça on est d’la très haute hein… Et eux du coup, c’est qui ? Si lui c’est l’patron, dit-il en désignant d’un geste méprisant du menton Morion, qui suivait l’échange avec inquiétude, c’est qui exactement ?»

Afin d’appuyer sa question, il envoya son pied s’éclater entre le plastron et les jambières, sur l’aine de Talen, qui grogna de douleur, restant muet. Morion grogna de colère, tira sur les cordes avec fougue pour tenter de se libérer. Inutile manoeuvre qui n’eut pour effet que de lui brûler un peu plus les poignets, en sus de faire rire tous ceux qui purent assister à sa lutte futile. Raël, intimement convaincu que le lien entre l’homme et la femme était plus intime qu’il n’y paraissait, s’accroupit près d’Ambre, dague en main, et vint caresser du plat de la lame la joue de la demoiselle, un sourire mauvais, trop mauvais aux lèvres. Ses dents gâtées parurent derrière elles, et un petit ricanement fétide s’ensuivit.

«T-t-t-t. Tu bouges plus mon bon gars. Sinon… Sa dague quitta la joue, et vint caresser de la pointe de la lame la jugulaire de sa proie, descendant vers les clavicules, s’arrêtant juste entre elle. Tu voudrais pas que j’descende plus bas, hein ? Alors tu mouftes pas.»

L’effet fut spectaculaire. Encore en train de s’ébattre, de plus en plus même alors que Raël s’approchait de son épouse, il se figea instantanément, tremblant de colère. Ses dents grincèrent bruyamment.

«Touche-la… Fais perler une seule goutte de son sang, et je t’arrache les yeux, et chaque membre de ton corps misérable,
éructa Morion.»

Seul un rire gras lui répondit.

Talen quant à lui était aux prises avec Chris, et entrouvrit doucement les lèvres. Il avait plus de mal à résister, mais était solide. Il esquissa un faible sourire à l’adresse de son agresseur.

«Vos lacunes en héraldique ne sont pas de mon fait et il ne m’incombe en aucune manière de les combler. Il eût fallu mieux écouter votre catin de mère lorsqu’elle vous contât les exploits de ses plus nobles clients, messire.»

La pique sévère de Talen fut corrigée dans la seconde d’un coup de poing violent de la part de Chris. En plein visage, cette fois, envoyant la tête du domestique percuter le sol. Il resta immobile un long moment, sonné, mais refusant de se départir de son sourire. Une victoire restait une victoire, aussi infime soit-elle.

Pour Morion en revanche la situation virait au désastre pur. Le nom de Talen découvert, Ambre menacée clairement par Raël, et à lui de prendre la décision. Il pouvait refuser de parler. Talen ne le ferait pas non plus, de toute façon. Mais il se ferait brutaliser, démolir même, pour qu’il lâche plus d’informations sur l’identité d’Ambre et Morion. En revanche, s’il l’ouvrait, et révélait leurs patronymes… Talen serait en paix, mais leur tourment n’en serait que pire. Celui d’Ambre également. Combien de ces pourris n’avaient pas rêvé un jour de culbuter une noble femme ? Juste pour voir ce que cela faisait ? Il bouillait littéralement face à ce dilemme. Aucun des choix qui s’offrait à lui n’était viable. Captant le regard de Talen, il serra les mâchoires, sentant une vive douleur traverser la moitié droite de son visage, qu’il ignora, et lui répondit par une oeillade désolée.

«Vous attaquer à de vieilles personnes, est-ce pour vous faire mirer une certaine compétence, ou juste parce que les plus jeunes vous mettent des trempes comme celles que vous mettaient vos parents ?»


La voix de Morion, légèrement étouffée par une joue nettement plus enflée que l’autre, claqua violemment dans la pièce, aussi méprisante et hautaine que faire se pouvait. Les distraire, c’est ce que le comte essayait de faire. Leur faire oublier ces fichus noms, et la maudite découverte de ce putain d’archer. C’est tout ce que Morion escomptait accomplir, pour l’heure.
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MessageSujet: Re: De Rikni le coeur du sang félon nourriras [Morion & Ambre de Ventfroid] [Terminé]   De Rikni le coeur du sang félon nourriras [Morion & Ambre de Ventfroid] [Terminé] EmptyMar 15 Nov 2016 - 21:52
Ambre était déchirée. Son mari lui avait lancé un regard plein d’avertissements, et elle comprit sans avoir besoin de mot : il demandait qu’elle se taise. Grands dieux, il demandait à ce qu’elle l’observe se faire tabasser sans rien dire, sans rien faire pour tenter de l’épargner ! Il ne pouvait pas savoir comme cette demande silencieuse était horrible pour la comtesse. Cette dernière avait mal de voir le comte recevoir coup sur coup ; c’était comme si elle les ressentait en miroir. Elle faisait tout pour conserver la face, pour conserver un visage aussi digne que les deux hommes, et ne pas laisser entrevoir de forme de faiblesse face à leurs ravisseurs. Mais malgré son cou raide et son menton relevé, elle n’en menait pas large du tout. Le sacrifice que Morion était en train de consentir, cela ne pouvait se supporter. L’on voyait déjà les marques rougies des coups de poing sur son visage, la peau tuméfiée ainsi qu’un filet de sang venir rougir sa lèvre inférieure. Il avait chancelé au second coup, et Ambre eut peur un instant qu’il perdît connaissance. Cela ne serait pas plus mal cela dit ; les bandits n’auraient plus les moyens de le molester.
Que faire, que faire, que faire ? Se débattre, s’intercepter entre Morion et ses bourreaux ? Pour qu’ils finissent par se concentrer sur elle ? A quel point son corps pouvait-il supporter la violence sans mettre la vie de son enfant en jeu ? Une question dont la réponse resterait à jamais inconnue, et le dilemme fut terrible pour Ambre. Si elle n’avait pas été enceinte, le choix aurait été beaucoup plus facile. Son mari ou son bébé ? Les dieux n’avaient-ils pas déjà assez secoué sa vie pour lui donner de tels choix à faire ? Pourquoi, pourquoi ? Une sensation d’impuissance terrible prit la comtesse. Un mélange de colère et de chagrin faisait un cocktail explosif dans son esprit, échauffant ses sens.

La comtesse ne voyait pas comment ils pouvaient se sortir de cela. Gagner du temps ? Mais pour quoi faire ? Leur arrivée au domaine était prévue pour le début d’après-midi. Le temps que leur retard devienne réellement inquiétant, et pas seulement justifiable par un voyage ralenti par la fatigue des chevaux, le début de soirée serait là, et avec lui, l’arrivée prochaine de la nuit, rendant toute recherche et toute battue impossible. Personne ne viendrait les secourir aujourd’hui, pas même les sœurs de Morion. C’était tout simplement inévitable. Ils allaient passer la nuit ici. Et le lendemain, lorsque le jour se lèverait, quand bien même Marianne et Estrée envoyaient tout un régiment à leur recherche, il y avait tant de terrain à couvrir. Ils pourraient se trouver partout. Tout près du domaine, au Labret, ou sur le littoral. Oh, ils finiraient bien par comprendre grâce aux témoignages des villageois qu’ils n’avaient jamais atteint le Labret, mais le temps que l’enquête soit faite, combien d’autres heures, jours, se seraient écoulés ? Non, ces bandits auraient tout leur temps…

Ambre lâcha un gémissement plaintif lorsque Morion cracha au visage de Raël. Un geste qui allait forcément donner représailles. Pourquoi fais-tu ça, mon amour ? Ils vont te démolir. Une protestation étouffée sortit de sa gorge lorsque le pied de Raël percuta les côtes de Morion. Elle se retenait, énormément, pour ne pas se mettre à hurler, pour ne pas interférer dans les décisions de son époux. Mais elle n’était pas un homme de guerre. Ne possédait aucune résistance à la torture ni la violence. Elle était ridicule, petite chose fragile et inutile. Raide sur ses genoux, les yeux écarquillés, elle ne pouvait que tortiller ses poignets pour tenter de défaire les liens étroits qui irritaient sa peau, tandis que les bandits ricanaient et traînaient Talen dans une des deux cellules. Le vieux domestique ne fut alors plus entre Morion et Ambre, et cette dernière put jeter un œil sur le côté pour voir son mari à moitié affalé, les côtes endolories, le souffle difficile. Sa cape avait chu au sol, privée de son attache arrachée précédemment. Sa chemise était déjà tâchée de son propre sang. Par les Trois, le comte ne survivrait jamais à un traitement pareil s’il se forlongeait.

Ambre accusa à peine le coup lorsque l’archer Euverne prit la parole. L’information eut grand mal à pénétrer son cerveau. Talen, un Castelmont ? Elle ne le savait même pas. Son époux n’avait jamais donné le nom de son domestique – une autre preuve de ses incessants secrets –, et Ambre n’avait donc jamais fait le lien entre l’homme et la famille actuellement au domaine sous les ordres de Morion. Mais sur le coup, bien que l’information ait de quoi la faire grandement tiquer, elle n’en eut rien à faire. Ils venaient de mettre le doigt sur leur noblesse. La convoitise malsaine qu’elle put lire dans les yeux des trois bandits la fit frémir. Ah ça pour être heureux de leur prise, ils l’étaient sacrément. Ambre voulait s’échapper, courir et courir encore. Sa dague dissimulée sous sa manche gauche lui brûlait le bras tant elle bouillait de l’agripper, mais ses poignets étaient serrés dans les cordes, elle avait beau tirer, rien n’y faisait pour l’instant.
Talen se débattit alors qu’on le traînait hors de sa cellule, désormais qu’il était passé de « vieux inutile » à « vieux noble de grande valeur ». Morion fit de même, se tortillant, tirant sur ses liens en voyant son domestique se faire frapper de nouveau. Ambre le regardait, impuissante, mais la brusque présence de Raël la rappela à l’ordre. Elle se redressa subitement, son cœur ratant un battement avant de repartir de plus belle. La lame de la dague, sur sa joue, lui laissa une impression glacée. Elle ne bougea pas d’un iota, craignant d’être écorchée au premier mauvais mouvement. Parfaitement immobile, elle fut très mal à l’aise en sentant la pointe de l’arme posée entre ses clavicules, et sa cage thoracique se soulevait à un rythme effréné, comme celui d’un lapin en cage. Ambre plongea son regard dans celui de Raël, qui la mirait de tout son soûl, à quelques centimètres d’elle. Elle le sentit humer son parfum ; une bile de dégoût lui monta dans la gorge. L’homme caressait sa peau de la pointe de son arme, flirtant plusieurs fois avec le rebord de sa robe, qui menait vers la poitrine. Les lèvres de la comtesse tremblaient de rage et d’humiliation.

Ils arrivaient dans une impasse. Talen et Morion continuaient avec leurs provocations tandis que les malfrats s’en amusaient beaucoup. Ils avaient la position de force, et visiblement, se satisfaisaient beaucoup de leur passage à tabac. L’entêtement des nobles était une distraction pour eux. Ils paraissaient prêts à continuer des heures durant.
La dernière réplique de Morion lui valut un nouveau coup dans les côtes, assené par Chris. Ce dernier cracha sur le comte, puis releva la tête pour jeter un regard circulaire et observer chacun de ses prisonniers.

- Ça braille beaucoup mais il y en a une qui reste étrangement très silencieuse. Inévitablement, les regards se tournèrent sur Ambre. Il se passa ce qui devait se passer depuis le début : l’on se concentrait sur la cible la plus faible, la plus prompt à céder à leurs sévices. Raël, Euverne, remettez le vieux dans la geôle.

Avec un sourire carnassier, Raël retira sa menace et se releva, libérant Ambre de sa présence. La jeune femme lâcha un long soupir – son souffle était resté bloqué longtemps. Talen avait blanchi, se débattait de plus belle alors qu’on le conduisait vers la cellule, et il en fut de même pour Morion. Chris était décidé à l’enfermer avec son domestique, se libérant de cet élément perturbateur pour se concentrer sur la jolie rousse. Il agrippa le col de la chemise du comte et tira violemment pour le traîner.

Peut-être fut-ce la force mise dans le geste, l’ancienneté du tissu, ou les protestations de Morion qui faisait tout pour lutter contre, mais la vêture se déchira brutalement dans un bruit mat. Une lézarde traversa tout le dos du tissu, laissant la peau du noble à nu. Chris s’arrêta durant quelques secondes, un peu déstabilisé par le déchirement qu’il n’attendait point, mais son regard s’accrocha aux cicatrices qui parsemaient le dos de son prisonnier. Elles étaient inratables, et un accès d’hilarité malsaine le prit soudain.

- Ah ! C’est que tu en as déjà vu de belles, ma parole ! Ma foi ! Euverne, va donc chercher le fouet, je crois qu'on a un connaisseur.


Les mots sonnèrent comme une sentence, et Ambre s’agita. Ils ne… Qu’ils osent. Ils ne pouvaient pas lui infliger ça, n’est-ce pas ? Pas encore ? Comme si Morion n’avait pas déjà reçu assez de coup dans sa vie ! Mais la comtesse se trompait. Grandement.

- Raël, garde-le à l’œil, ajouta Chris une fois que Talen fut de nouveau enfermé en bonne et due forme.

Pour toute réponse, Raël bouscula Morion violemment, le plaquant ventre contre terre d’une féroce pression du pied sur son dos désormais à nu.

- Je suis curieux de voir si c’est pareil chez la fille.

Cette nouvelle phrase donna une toute nouvelle compréhension aux intentions de Chris. Elle releva le regard vers le bandit, et, voyant qu’il s’approchait d’elle pour lui faire elle ne savait quoi, la jeune femme s’élança dans un geste de fuite, rampant à moitié, de façon inutile et pathétique. Chris fondit sur elle, glissa une poigne puissance dans ses cheveux, juste au-dessus de la nuque, et tira pour la traîner là où il voulait qu’elle soit.

- Non non, ma jolie, tu restes là.


Ambre serra les dents, la douleur lui assaillant le crâne alors qu’elle sentit quelques mèches de cheveux s’arracher. Ses pieds raclèrent le sol, en vain, et Chris la fit parcourir quelques mètres ainsi, la plaçant de manière à ce qu’elle soit bien en face de Morion, et que ce dernier, malgré sa position désagréable plaqué contre le sol, puisse la voir toute entière. Quelques mètres les séparaient, ne disant rien qui vaille. Tout laissait à penser à une volonté de se donner en spectacle.

Chris dégaina la dague qu’il avait conservée à la ceinture, observa la brillance de la lame près d’une torche, puis commença à s’amuser. Il s’accroupit derrière Ambre, tirant à nouveau sur les torsades de ses cheveux, pour la forcer à tirer la tête en arrière et rendre gorge. Le plat de la lame vint caresser doucement la peau, juste sous le menton.

- Tes amis semblent particulièrement bornés, mais toi, es-tu de la même trempe qu’eux, petite ? Qu’avons-nous là ? Trois membres des Castelmont, ou toi et ton petit copain êtes encore autre chose ? Il va bien falloir répondre, un moment, si vous voulez repartir entiers.


Ambre fronçait les sourcils, jetait des regards furtifs à son époux, séquestré au sol. Elle croisa son regard, à plusieurs reprises, ainsi que celui de Raël en appui au-dessus de lui, et Talen, derrière, qui luttait inutilement dans sa cellule. La comtesse était dans un état d’angoisse jamais atteint. Elle allait prendre la parole, et Chris le sentit. Doucement mais rapidement, il remonta sa dague pour plaquer la lame contre sa bouche, empêchant tout mot de sortir. Ambre gémit, surprise, raide.

- Chuut. C’est à ton bellâtre de parler. Toi, surtout, ne dis rien.

Son ton était sans équivoque. « Si tu parles, tu le regretteras. » Ambre fronça les sourcils, tremblante. Le ton du bandit était terrifiant, et elle venait seulement de se rendre compte de l’entièreté de sa vilenie. Cet homme était un pervers. Il savait, il avait senti qu’Ambre était la première à pouvoir céder. Pourtant, il ne poussait pas plus loin chez elle. Il ne lui donnait pas de coups pour la faire parler ; mieux : il lui interdisait de lâcher prise. Il s’amusait, en réalité, et voulait que cela soit le plus hargneux de tous qui finisse par se résigner : Morion. Et pour cela, il venait de prendre sa femme en otage. Si c’était la proie la plus faible qui se mettait à tout balancer d’un coup, le jeu n’avait plus aucun intérêt, n’est-ce pas ?

La dague quitta les lèvres d’Ambre, doucement, s’assurant qu’aucun son ne sortait, puis disparut un temps. La comtesse était toujours à genoux, légèrement recroquevillée en avant désormais, comme si elle voulait échapper à son ravisseur planté derrière elle. Mais son geste, instinctif, était pour réduire les angles d’attaque disponibles pour atteindre son ventre. Si elle avait eu les mains libres, elle aurait protégé non pas ses points vitaux de ses mains, mais son ventre. Elle sentait la violence venir, c’était inéluctable.

- Voyons voir ça, désormais.

La pointe de la dague appuya soudain sur le haut du dos de la comtesse. L’autre main du bandit froissa le haut de la robe en l’écartant du corps de la jeune rousse, et, d’un coup sec et vertical, il trancha la vêture jusqu’aux reins. Après avoir rangé la dague à sa ceinture, il écarta légèrement les pans de la robe pour observer le dos de sa proie. Ambre sentit ses doigts intrusifs caresser, griffer la surface de la peau blanche, et elle trembla de dégoût. Son regard était soudain fixé sur un point du sol se trouvant deux mètres devant Morion. Elle refusait de regarder son époux alors que le malfaiteur était en train de faire ce qu’il voulait d’elle. Chris partit dans un grand rire.

- Jamais vu une peau aussi lisse et laiteuse, parbleu. Quelle beauté. Un dos si immaculé… C’est dommage. 'Me viens l’envie de l’assortir à son époux, cette femme-là.

Un « clong ! » retentit alors que Talen se débattit dans sa cellule à l’entente de ces mots. Chris l’ignora, et jeta un regard cruel sur Morion, prostré au sol. Au même moment, Euverne revenait avec un fouet. Ambre le vit à peine, trop choquée, trop concentrée à encaisser ce qui allait lui arriver pour se concentrer sur les détails. Mais il s’agissait d’un vieux fouet, en nerf de bœuf, qui paraissait terriblement efficace. Le simple relief de l’arme avait suffi à faire écarquiller les yeux de la comtesse et à lui faire monter la nausée.

Brutalement, Chris rabattit la robe de la comtesse, pour faire champ libre sur son dos. Il tira sur les épaules du tissu, le faisant tomber jusqu’à ses coudes. Les épaules et la poitrine de la comtesse furent dénudées sous le geste, attirant des sifflets appréciateurs par les deux bandits se trouvant en face. Ambre gardait les yeux terriblement fixés sur le même point sur le sol, l’expression un peu hébétée, comme si elle voulait forcer la terre à l’engloutir. Elle ne réagit même pas lorsqu’elle sentit l’air frais lui caresser la peau. Ses seins blancs, ses bras, l’entièreté de son dos jusqu’au creux des reins, tout était à vue, et il lui fallut une très grande volonté pour ne pas pleurer de rage et d’humiliation. Elle essayait de se détacher de ses émotions, de son corps, anticipant la douleur qui allait être la sienne. Chose difficile.
Chris attrapa le fouet que lui tendant son collègue. Déroulant une longueur appréciable entre ses doigts, il passa la lanière par-dessus une épaule de la comtesse, menaçant la noble d’une caresse lascive. Mais c’était Morion qu’il regardait en faisant ce geste.

- Bien. Je gage que je n’ai pas besoin de te faire un dessin. C’est le dos de ta femme qui recevra chacun de mes coups, et je ne me retiendrai pas. Je vais donc réitérer ma question, une dernière fois. Qui êtes-vous ?
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Morion de VentfroidComte
Morion de Ventfroid



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MessageSujet: Re: De Rikni le coeur du sang félon nourriras [Morion & Ambre de Ventfroid] [Terminé]   De Rikni le coeur du sang félon nourriras [Morion & Ambre de Ventfroid] [Terminé] EmptyMer 16 Nov 2016 - 15:48
Morion n’avait cure de prendre des coups, tant qu’il les prenait lui, et pas sa femme. Tant que son attitude venimeuse et vindicative amusait ses ravisseurs et les poussait à répliquer avec violence, concentrant leur attention sur lui. Il ne se faisait guère d’illusions sur leurs chances actuelles de s’en sortir, qui tendaient vers un néant total. Il savait également que même si l’on venait à leur secours, cela prendrait un temps fou, et que durant celui-ci, les sévices que pourraient leur infliger les brigands pouvaient être aussi variés que cruels. Mais il ne pouvait se contraindre à une inaction totale. Leur passivité, si elle remplaçait le fiel qui exhalait de la gorge du comte, ou comme à l’instant, de son domestique, signerait leur perte à eux trois. L’une des choses qui là, frustrait horriblement le comte, était de ne pouvoir… rassurer, si le terme était utilisable, son épouse. Lui faire comprendre que dans leur état immédiat, prendre des coups était nécessaire. Qu’il parle ou non, ils auraient de toute façon droit à leur lot de paroles et actes dolents, alors s’il pouvait au moins diriger ceux-ci vers une personne plutôt qu’une autre, il ne fallait en aucun cas hésiter. Et quelque part, parvenir à cet objectif infime, c’était en soi une victoire, un moyen de solidifier et forlonger son endurance. Moment qui fut de courte durée.

A trop les amuser en revanche, il avait fini par faire ce qu’il redoutait. Mettre en exergue le silence de son épouse, qui contrairement à eux n’avait pas l’impudence de répondre au détriment de son intégrité physique.

Sa respiration, déjà sifflante à cause des assauts de Chris, se bloqua. Son sang ne fit qu’un tour lorsque claqua la remarque de son agresseur. La vision brouillée par le dernier coup de Chris retrouva d’un coup toute son acuité. Bordel de merde. Inquiet, le sang battant dans ses veines, son regard passa de Talen à sa femme, puis se releva, concentré de hargne pure mêlée d’angoisse, vers Chris. Il se débattit comme un beau diable lorsque l’on tenta, lui aussi, de l’emmener avec son domestique. Peu importe ce qu’ils voulaient faire, il refusait d’être coincé derrière les barreaux d’une cage. Quelle différence cela ferait ? Probablement aucune, si ce n’était qu’il serait très certainement plus proche, et tout autant impuissant, de l’action, quelle qu’elle fusse. Il se débattit si fort malgré les constrictions de ses liens qu’incapable de résister aux torsions et pressions conjuguées de Morion et de Chris, que son haut se déchira dans toute sa longueur, mettant à nu sa peau couverte de stigmates, que ne manquèrent pas de noter ses tortionnaires.

Il ne réagit pas à l’accès jubilatoire de Chris. Il les connaissait mieux que lui, ces cicatrices, et si elles représentaient une part noire et douloureuse de son passé, elles faisaient partie de lui, sans aller jusqu’à en éprouver de la fierté, il savait que sans elles, il ne serait pas un quart de l’homme qu’il était aujourd’hui.

Mais quand il fut question du fouet… De sombres remembrances montèrent en lui, provoquant, pour la première fois de sa vie, une indicible terreur. La première ? Pas exactement. Un sentiment semblable lui avait tenaillé l’estomac lorsque sortant des marais comme un océan turpide et délétère, les vagues de morts ramenés à la vie par le mal avait surgi, s’écrasant comme une lame de fond nauséabonde sur les remparts de Marbrume, emportant avec elle toutes les pauvres âmes présentes, en train de supplier le duc de faire acte de clémence, comme des marins priant Anür de calmer le courroux des cieux et des eaux, alors qu’ils faisaient naufrage. Au fin fond de son être, il sentit chaque parcelle de son corps se glacer d’effroi. Parler des traitements de son père, s’en souvenir… Ce n’était pas toujours chose aisée, il était facile de le concevoir. Mais ces pensées ne soulevaient en lui que quelques désagréables frissons, rapidement chassés par la situation actuelle, le contexte de la discussion, ou la présence, souvent bénéfique, à qui étaient adressés ses propos. Il ne parlait guère de cela qu’à ceux qui voyaient son dos, et nul besoin de préciser qu’ils étaient peu nombreux.

Mais là, la simple vue de l’objet de cuir souleva en lui une foule d’émotions et de sensations qu’il pensait oubliées depuis longtemps. Son dos, comme en écho à ce qu’il voyait, se mit à picoter désagréablement, protestation muette et réflexe à un sort qu’il pensait être le sien. Une vague de nausée le saisit tout à coup, bien qu’il pensât la camoufler de la bonne manière. L’énervement, la hargne et ses rebuffades faisaient d’excellents arguments pour justifier la pâleur de son teint, moucheté en de multiples endroits par les séquelles des coups qu’il venait de prendre.

Mais quelle erreur commit-il, en pensant que le sort qui l’attendait était effectivement le sien. Une plainte sauvage s’échappa de sa gorge lorsqu’il se retrouva ventre à terre, le pied de Raël pressant cruellement sur les lézardes zébrant son dos. Des décharges électriques parcouraient tout son dos, tous ses nerfs, sensation largement amplifiée par la rage, mais il était absolument incapable de se débattre. Le souffle à moitié coupé, il ne pouvait qu’observait sans la moindre possibilité de faire quoi que ce soit ce qui allait suivre.

Ses yeux s’exorbitèrent, lorsqu’il entendit la… suggestion de Chris. L’ire qui était la sienne lorsqu’il s’était disputé avec Ambre, si elle avait pu paraître incontrôlée et démesurée, n’était en comparaison de la fureur qui déformait ses sens et altérait sa raison à ce moment qu’un vague agacement, une légère contrariété passagère. Il en était au point où le froid laissé par la terreur panique qui l’avait saisi en pensant être la cible du fouet s’était mué en une chaleur si intense et vibrante dans tout son corps qu’il aurait pu être nimbé de flammes, personne n’en aurait été choqué. Ils osaient coller leurs sales pattes sur elle, la malmener, caresser son corps de leurs regards emplis d’insanités et de lubricité, ourdissant quelque sombre et obscène projet à son égard. Nul n’avait le droit. Nul n’avait le PUTAIN de droit de la regarder ainsi sans qu’il n’intervienne pour ôter la vision à de tels hommes. Sauf que là, il ne pouvait pas. Tout ce qu’il pouvait faire, c’était regarder. Et c’est ce qu’il faisait. Alors que Talen faisait clinquer son armure de mille bruits, tout aussi hébété de rage que son maître, Morion gardait les yeux grands ouverts, poignards aiguisés découpant tout ce qui se trouvait à portée, cisaillant chaque détail pour mettre en exergue les infects auspices dont ils étaient porteurs. Ahuri de colère, de douleur qu’il était, au lieu de perdre par hébétude des détails de la scène en évolution sous ses yeux, c’était l’inverse qui se produisait. Une vision et une ouïe exacerbée, comme si ses sens, de connivence avec les odieux truands, souhaitaient lui infliger chaque moment avec une intensité décuplée.

Il ne pouvait mettre aucun mot sur ce qu’il ressentait, actuellement. Un sordide mélange entre une puissante envie de faire couler le sang de ces coupe-jarrets, envie de les voir dépérir avec autant de lenteur qu’eux ressentaient de joie à les voir pris au piège et souffrant de leurs piques, de leurs coups, de ce qu’ils prévoyaient, peut-être, de faire. Une colère horriblement violente, dirigée d’une part contre eux, évidemment, mais également contre lui, pour sa négligence au coeur de Sarrant tout d’abord, et maintenant contre son impuissance rageante, contre laquelle il ne pouvait rien faire si ce n’était pester inutilement. Et désormais, l’effroi qui revenait au galop en voyant sa femme soumis à un danger de plus en plus concret et menaçant. Ils avaient trouvé leur proie, les salopards, et entendaient bien en jouer comme ils se devaient de le faire. A cet instant, alors même que la suite était bien pire que ce qu’il pouvait imaginer, toujours persuadé qu’ils allaient se servir du fouet non contre elle, mais contre lui, il aurait vendu son âme à n’importe quelle sombre engeance, pourvu qu’il puisse touts les annihiler.

A la remarque de Chris, il ne put que s’ébattre de plus belle, rageant, grognant, les râles rauques de fureur qui sortaient de sa gorge se muant en borborygmes dénués du moindre sens, n’exprimant que le magma orageux qui se déchaînait en lui. Toucher à sa femme ? Ils en avaient déjà bien trop fait. Oser l’humilier ainsi, violer son intégrité, sa dignité, comment pouvaient-ils seulement oser ?! Si ces truands avaient connu le comte, ils auraient ri de bonne grâce de le voir dans un tel état de folie. Car c’était bel et bien l’impression que donnait Morion; celle de littéralement perdre la raison. Qu’ils se déchaînent contre lui, il pouvait le tenir, de très, très longues heures durant, peu en importait les conséquences ensuite. Si le spectacle d’un Talen malmené était difficile à supporter, voire presque impossible, les deux hommes étaient conscients de la nécessité d’être pris pour cibles, et d’un accord tacites auraient su se résigner. Mais là… Non, là c’était absolument intolérable, invivable, prompt à anéantir toute raison.

Il l’observait, incapable de détourner le regard, alors qu’elle-même fuyait son regard, de honte et de désespoir. Au dessus de lui, à chaque fois que Morion esquissait un mouvement pour se débattre, Raël ricanait, et appuyait avec plus d’insistance sur son dos, lui arrachement d’horribles décharges nerveuses, dont il ne pouvait que se moquer, tant elles étaient peu importantes. Sa femme était là, devant lui, dénudée par la force et la malice, prête à recevoir un supplice qu’il connaissait parfaitement. Outre l’humiliation que cela pouvait représenter de voir sa femme ainsi dévoilée au vu et au su de tous, le déshonneur que cela devait être pour elle, et la hargne que cela lui inspirait, il y avait aussi cet enfant, petit noyau perdu dans ses entrailles. Il ne supporterait pas, pas plus que sa femme, les assauts de Chris. Et il était absolument hors de question, dans ce monde, dans cette réalité comme dans toutes les autres, qu’une seule lanière de cuir vienne lacérer son corps. Il savait ce que c’était. Il le savait même mieux que n’importe qui. Lui avait choisi sciemment, quelque part, de se plier à pareil traitement, conditionnement ou pas. Mais les traces étaient indélébiles, physiquement comme moralement. Non, il refusait.

Il serra violemment les dents, incapable d’anticiper. S’il parlait, qu’allaient-ils faire ? Se déchaîner un peu plus ? Inventer de nouvelles abominations promptes à être infligées à des nobles dont la condition pour l’heure dissimulée ne saurait que les ravir un peu plus, une fois qu’ils sauraient que leur prise avait une valeur qu’ils n’auraient jamais soupçonné ? Et s’il ne parlait pas, inutile de seulement réfléchir; la menace était claire.

Tout autour, les bandits s’étaient rassemblés pour assister au spectacle. Ah ça, ouais, une bonne petite minaudante comme ça, à la peau si lisse, eux qui étaient habituées aux putes gâtées, pustuleuses la moitié du temps, au teint cireux quand il n’était pas en sus de cela altéré par la crasse que déposaient sur elles les nombreux clients dépossédés et dégoûtants, au teint pâle témoin de l’épargne aux affres de l’extérieur, à la constitution si chétive, ouais, ça valait le foutu coup d’oeil. Ils regardaient à peine Morion, contrairement à Chris. Ils semblaient même se foutre royalement de sa présence. Les gestes de Chris leur avait offert à tous une vision délectable, les galbes de chair, abaissés par la gravité, que ses cheveux ne pouvaient pas dissimuler, étaient visiblement une source d’inspiration certaine. D’un coin de l’oeil, il ne fit même pas attention à dire vrai, Morion aperçut la main de l’archer, celui qui avait mis en lumière le nom caché de Talen, passer une main insistante et preste sur son entrejambe, par dessus ses chausses. Et l’attitude était la même chez tous les autres.

Un grognement de plus lui échappa quand Raël piétina littéralement Morion comme l’on s’essuyait le pied sur son tapis. Mis à part que celui-ci était de cher, en ce cas son propre dos, qui émit une violente protestation, ses muscles se tétanisant sous la douleur. Morion ne put s’empêcher de maudire son paternel, à cet instant. S’il n’avait fait cela, au moins aurait-il pu s’accomoder d’un tel traitement sans avoir l’impression que les semelles des bottes boueuses de son geôlier étaient faites de clous et de vis grattant sa peau comme des griffes suintantes. Il fit un effort de volonté pour ignorer la douleur, et après avoir fermé les yeux un moment, s’apprêtant à subir les conséquences de ce que son acte entraînerait…

«Il suffit, finit-il par lâcher entre ses dents. Arrêtez immédiatement. Talen, conscient de ce que le comte était en train de faire, lâcha un grognement, suivi d’un “non” nourri d’urgence, et d’inquiétude, aussi. Morion l’ignora, et soupira brièvement. Je suis le Comte Morion de Ventfroid. Laissez-la donc. Talen de Castelmont est mon vassal. Si vous voulez vous en prendre à quelqu’un, faites donc, mais laissez les tous deux tranquilles.»

Son ton, son regard et son visage étaient horriblement sombres, lorsqu’il lâcha ces sentences. En des temps normaux, si Ambre n’avait pas été là, il n’aurait jamais rien dit. Mais avec des si l’on pouvait refaire le monde. En l’occurrence elle était bel et bien présente, et il pensait également à l’enfant qu’elle portait. Là, tout de suite, rien ne serait trop dur à supporter pour qu’elle puisse échapper un instant à la tourmente. Dusse-t-il en perdre des membres ou finir à moitié mort, il n’en avait cure. La verve de Talen venait de là; il avait saisi la résignation morbide de Morion, et la contestait de toutes ses forces. D’autant plus lorsqu’il vit l’éclat malsain et ravi des bandits qui accusaient la nouvelle. Le seigneur de Ventfroid, rien que ça. Combien de leurs hommes avaient déjà été anéantis par la fougue guerrière de cette catin d’Estrée et de cet ogre d’Edric, déjà ? Ils avaient tenté de piller le domaine, et bien mal leur en avait pris. Et ils s’étaient en sus de ça dispersés, en partie, sur le Labret, et là aussi leur châtiment avait été brutal. Le trio de nobles n’était vraiment, vraiment pas tombé sur les bonnes personnes.
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MessageSujet: Re: De Rikni le coeur du sang félon nourriras [Morion & Ambre de Ventfroid] [Terminé]   De Rikni le coeur du sang félon nourriras [Morion & Ambre de Ventfroid] [Terminé] EmptyMer 16 Nov 2016 - 20:46
Le temps paraissait évoluer dans une unité de temps tout à fait singulière pour la comtesse. Son corps était puant de peur, ses épaules tremblaient légèrement alors qu’elle essayait pourtant de rester digne, ses yeux fuyaient ceux de Morion, obstinément fixés sur le sol, tellement elle craignait qu’il ne voit dans son regard tous les sentiments qui la tourmentaient alors. Elle ne voulait pas lui rendre le choix plus difficile qu’il n’était déjà. Donner leur identité apporterait de réelles raisons aux bandits de tenir à leurs proies, et surtout, leur donnerait des informations capitales sur les moyens que la famille concernée pouvait engager pour retrouver les leurs. S’ils redoublaient de prudence, leurs chances de réchapper devenaient infimes. Et combien de sévices subiraient-ils jusqu’à ce que la rançon soit payée, ou jusqu’à ce que leurs proches viennent tenter une attaque ? Le nom des Ventfroid était connu dans la région, forcément, cela restait un des rares domaines encore debout, avec Traquemont et Sombrebois. Les bandits en auraient forcément déjà entendu parler, s’ils n’avaient pas déjà tâté les terrains concernés. Aussi, pour toutes ces raisons, si Morion conservait son mutisme, elle comprendrait. Elle comprendrait, même si sentir sa peau se déchirer était loin, très loin d’avoir été l’un de ses projets, et cette simple possibilité la laissait dans une attente anxieuse, hébétée. Mais elle était prête à faire face, s’il le fallait. Même si, que son époux lui pardonne, elle n’était pas certaine de pouvoir tenir sa langue à partir d’un certain nombre de coups de fouet.

Elle sentait et entendait Chris derrière elle, ignorait vainement la lanière du fouet qui caressait sa peau dans une provocation destinée à Morion. Ambre ne doutait pas qu’il pouvait le faire, ça non. Malgré la rare qualité de leur proie, malgré la peau satinée, malgré le teint laiteux et la bouche rosée, malgré leur convoitise qui brillait jusque dans leurs yeux à la vue de ses seins, les hommes ne rechigneraient pas à l’abimer. Rien ne les empêchait de la culbuter en suivant, après tout, n’est-ce pas ? Quel malfrat doublé d’un salopard raterait l’occasion de pouvoir se vanter d’avoir troussé la comtesse Ambre de Ventfroid ?
Ambre entendait et voyait en périphérie de sa vision son époux se débattre, tenter d’échapper à la pression de Raël, ce qui n’avait que pour effet de le plaquer plus profondément contre le sol. Elle sentait sa fureur irradier jusqu’à elle, et aurait eu pitié de ceux pour qui cette fureur était destinée, en d’autres circonstances. Actuellement, sa propre frayeur, sa propre adrénaline annihilait toute autre forme de préoccupation.

Quand Morion termina par parler, la comtesse releva brièvement les yeux vers son époux, lâchant un souffle plaintif. Elle n’avait jamais entendu une telle résignation dans ses mots. Talen se débattit contre les grilles de sa cage, dans une cacophonie de bruits métalliques, protestant contre la décision de son supérieur. Ambre ne lui en voulut pas ; là encore, elle comprenait que le domestique eut préféré qu’elle se fasse torturer plutôt qu’il n’aggrave leur situation à eux tous. Mais la comtesse était concentrée sur le visage de son mari, et lui seul. Ses yeux croisèrent les pupilles de son époux après les avoir évitées si longtemps, l’expression navrée, s’excusant silencieusement d’être si faible, d’être un tel poids pour son intégrité. Il n’y eut que lui l’espace de quelques secondes, à en oublier sa nudité, presque, en oublier toutes les autres personnes présentes. Mais l’instant éclata telle une bulle piquée par une aiguille, brusquement, quand le rire gras de Chris se mit à résonner dans le sous-sol.
Ambre sursauta légèrement à ce brusque accès d’hilarité, qui avait accentué indirectement la caresse menaçante du fouet sur le creux de son cou. Elle ferma les yeux par réflexe, pour les rouvrir juste au moment où le malfaiteur reprenait la parole, derrière elle.

- Le seigneur de Ventfroid, rien que ça !

L’homme avait écarté les bras, observant tour à tour ses collègues, hébété de leur propre prise. Raël en avait diminué la pression de sa botte, surpris de ce qu’il avait sous le pied de toute évidence. Il s’agissait d’une surprise ravie, malsaine.

- Par les couilles de Serus, si j’avais su qu’un jour on attraperait cet homme aussi aisément.

- Et elle ? rajouta Euverne, désignant Ambre. Cette dernière lui jeta un regard furtif, avant de se concentrer à nouveau sur le sol pouilleux. Cela fait d’elle la comtesse de ces mêmes terres ?

- Bien sûr que oui, renchérit Raël, au-dessus de Morion. Maintenant qu’ils avaient le nom de cet homme, les liens se faisaient beaucoup plus facilement. Ils parlaient beaucoup de la dame aux cheveux de feu que leur seigneur avait choisi pour femme, au domaine, avant que ces fils de catin nous chassent, et abattent nombre de nos hommes.

Une ombre passa sur les visages des hommes, qui se souvenaient visiblement de moments désagréables. Grands dieux, c’est qu’ils avaient des griefs personnels contre les Ventfroid. Cette information ne pouvait pas plus les desservir qu’à cet instant présent. Au-delà d’une possibilité de rafler une rançon, cela commençait petit à petit à prendre des airs de vengeance.

Chris s’était éloigné d’Ambre sans faire attention, tournant et marchant derrière elle en tripotant son fouet pour continuer à se délecter de la nouvelle. Enfin, quand ses réflexions furent terminées, il reprit la parole. Son sourire ne cessait d’éclairer sa face, et si Ambre ne pouvait le voir, elle l’entendit jusque dans sa voix.

- Eh bien, grand comte de Ventfroid. Toi qui es réputé pour la justice froide avec laquelle tu gères ton lopin plein de bouseux. Je vais t’apprendre ce qu’il en coûte de me provoquer moi et mes collègues, quand bien même tu es né avec une cuillère en argent dans la bouche. Observe les conséquences de ton comportement. Observe bien.

Contre toute attente, sa main s’abattit. Avec force, rage et rancœur. Le fouet siffla dans l’air, et la vitesse avec laquelle il frappa le dos blanc de la comtesse fit résonner le coup en écho dans toute la pièce. Ambre comprit à peine ce qui lui arrivait. Cela avait été si soudain, brutal, et pour le coup, elle avait été persuadée que l’obtention de l’information qu’il désirait aurait calmé les ardeurs belliqueuses. Quelle naïveté.

La jeune femme entendit le coup avant que son cerveau n’enregistre la douleur, qui mit une latence de quelques centièmes de seconde avant d’exploser dans sa chair. Son souffle fut coupé sur le coup, ses yeux s’écarquillèrent, ses muscles s’étaient contractés par réflexe sous l’agression, et elle était tellement choquée que sa bouche n’échappa aucune plainte, trop surprise qu’elle était. Son dos prit bientôt une teinte rosée sous l’agression, en sus de la brûler et la piquer violemment, mais il était utopique d’imaginer que cela serait le seul coup. Et, en effet, contre toutes les protestations de Talen qui s’était mis à insulter toutes les mères du pays dans sa cellule, et Morion, qui avait blanchi à un niveau que l’on n’aurait jamais cru possible, l’homme frappa encore.
Au second coup, Ambre ne put empêcher les stigmates de la douleur s’installer sur les traits de son visage. Le choc était passé, venait maintenant le principal : la souffrance, et encore la souffrance. Elle avait serré les dents, courbé le dos comme si cela pouvait la protéger alors que cela ne tiraillait que davantage une peau désormais meurtrie. La comtesse essaya tant bien que mal de faire front, de n’échapper aucune plainte, de montrer le moins possible les tourments qui étaient les siens, pour son mari, pour Talen. Mais ce fut inutile. Au troisième coup, la lanière du fouet éclata sa peau, ouvrant une plaie nette et aussitôt rougie par le sang chaud qui se mit à perler le long de la colonne vertébrale ; rouge carmin sur peau claire. Ambre échappa un long gémissement en même temps qu’une larme dévalait sa joue, et à partir du coup suivant, ce furent de réels hurlements qui résonnèrent dans la salle.

La comtesse n’avait jamais rien vécu de pareil. Jamais elle n’avait été battue, jamais elle n’avait participé à la guerre, jamais elle n’avait été entraînée à supporter la douleur. Son dos était devenu un maelstrom de douleur et de sang, et chaque fois que sa peau se déchirait un peu plus, la souffrance était décuplée, comme si le fouet gagnait en force au fur et à mesure. Au début, elle avait puisé dans les yeux de son époux, pour y trouver une quelconque forme de courage, une ancre dans cette épreuve qui débutait, mais passés les premiers coups de fouet, il lui fut impossible de tenir le regard. Lorsqu’elle criait, elle avait soit les yeux fermement clos, soit désespérément fixés sur le sol. A chaque accalmie légère entre chaque coup, elle se contractait dans une appréhension terrible, sachant le coup venir mais ne parvenant jamais à déterminer l’instant précis.

Après ce qui parut une éternité, alors qu’en réalité il ne s’était pas déroulé plus de deux minutes, Chris laissa retomber le fouet rougi par le sang le long de son bras. Il avait assené une petite dizaine de coups de fouet, laissant la comtesse au bord de l’évanouissement. La respiration de la jeune femme était saccadée, ses larmes coulaient parfois dans sa bouche, lui faisant goûter leurs saveurs salées. Ambre gardait la tête basse, tremblante, attendant encore un autre coup, luttant contre l’inconscience. Tout était devenu flou autour d’elle, en revanche, la douleur dans ses chairs était très précise, elle. Piquante, chaude, violente, s’aggravant à chaque mouvement, même infime, que pouvaient faire ses épaules.

- Bien ! conclut Chris après sa petite séance. Complètement indifférent à la femme qui souffrait à ses pieds, il regardait Morion. J’espère que tu es fier de toi, Morion de Ventfroid. Grâce à toi, ta femme pourra se vanter d’avoir les mêmes décorations que toi.

Alors qu’un rire terrible parcourait Raël et Euverne, un autre homme fit son apparition dans la pièce, descendant l’escalier.

- Les gars. Henri devrait rentrer bientôt de sa chasse, mais nous avons p’têtre un léger problème. Il jeta un regard circulaire sur les lieux. Depuis les toits, on a repéré un mordeur traînant en lisière du village, à distance encore raisonnable, près de l’entrée des marais, mais assez près pour le voir farfouiller à l’œil nu. Si on peut le voir, il peut faire de même, tout comme nous entendre. Son regard se baissa sur Ambre à genoux au sol, la tête légèrement vacillante, dont les cris avaient sûrement été entendus dans tout l’établissement. ‘Va falloir se montrer discrets pour un temps.

Chris cracha au sol.

- Toujours là pour nous faire chier quand il faut pas, ces enfoirés. J’arrive. Il poussa légèrement Ambre de la pointe de sa botte, la faisant sursauter de façon exagérée, ce qui le fit rire. T’as de la chance, chérie, on fait une pause.

- Mettez le comte avec son copain. La fille, dans l’autre cellule, à part.

Alors qu’on l’attrapait pour la traîner, une nouvelle salve de douleur terrible traversa le dos de la comtesse. Elle lâcha un autre gémissement épouvantable et pathétique. On la jeta sans ménagement dans la cage adjacente à celle de Talen, sans même avoir la décence de lui remonter sa robe, et la jeune femme se laissa choir contre le sol, incapable de se redresser tant la souffrance était innommable. Elle resta prostrée au sol, sur le côté, dos à l’autre cellule, refusant de leur afficher son visage affligé, dont la joue se retrouvait contre le sol frais et sale. Elle resta ainsi, prostrée sur le côté, immobile et tremblante, des larmes coulant à intervalles réguliers sur ses joues.

L’on referma soigneusement à clef les cellules des prisonniers, et les bandits les quittèrent pour surveiller l’évolution d’un prédateur mortel, leur accordant une accalmie qui pouvait durer quelques minutes comme plusieurs heures.
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Morion de VentfroidComte
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MessageSujet: Re: De Rikni le coeur du sang félon nourriras [Morion & Ambre de Ventfroid] [Terminé]   De Rikni le coeur du sang félon nourriras [Morion & Ambre de Ventfroid] [Terminé] EmptyJeu 17 Nov 2016 - 0:40
Il les refusa en bloc, ces excuses muettes. Elle n’avait en aucun cas à s’excuser du sort que les dieux leur avait réservé aujourd’hui. Pourquoi ? La question aurait pu être pertinente, oui. Etait-ce un châtiment pour avoir contrevenu à leur volonté, massacré l’un de leurs émissaires ? Ils n’auraient jamais la réponse à cette question. Là Morion faisait juste ce qui était nécessaire, peu importe ce que cela impliquait. S’il avait effectivement ordonné l’exécution et la chasse de bandits comme lui… Ouais, ils se vengeraient sûrement. Mais en attendant, il ne pouvait guère le savoir. Au moins avait-il le mince espoir qu’augmenter leur valeur, en donnant leurs noms, prolongerait leur espérance de vie. Plus chers ils valaient, plus les autres auraient de scrupules à les anéantir. L’appât du gain s’était immédiatement vu dans leurs yeux à tous, dès lors qu’il avait prononcé ces mots. Il avait, un bref instant, pris le pas sur la lubricité et le vice. Sa seule erreur de jugement fut de penser qu’ils le verraient comme un gibier pouvant leur rapporter un maximum de fric. Pas forcément comme l’homme à cause de qui nombre de leurs amis, si l’amitié ils connaissaient, camarades de truanderies et de violences, avaient été massacrés en représailles à leurs tentatives d’assaut.

Morion ressentit un bref instant de soulagement en sentant la pression sur sa chair diminuer. Il ne bougea pas d’un iota, se contenta simplement de la noter. Dans la croyance résolument idiote de pouvoir faire quelque chose s’il mettait ce relâchement à profit, peut-être intervenir pour… Pour faire quoi, exactement ? S’il se relevait, il était de toute façon saucissonné comme jamais, toute tentative de bravade serait sévèrement punie. L’idée que ces types étaient armés, et eux à leur totale merci lui échappa un bref instant, avant se rappeler à lui, tuant toute velléité d’affrontement. Pour l’instant, en tout cas. Car chacun de ces hommes mourrait de sa main, c’était une promesse établie.

Il ne fut pas surpris de voir la satisfaction sur les traits des truands. Ce n’est pas comme si Morion était anonyme, bien au contraire. Il avait même tendance à être connu au-delà de ce qu’il trouvait tolérable depuis la conquête du plateau, et les efforts qu’il avait mis dans sa tenue. Le ton ombrageux de Raël et le contenu de ses paroles en revanche… merde. Putain de merde. Les dents de Morion se serrèrent, accusant le coup. Ils étaient tombés sur les mauvais. Ce n’était pas surprenant, aussi proche de ses terres, et il aurait peut-être dû s’en douter. Car là, le problème venait de s’épaissir du manteau de la rancune, et c’était un présage des plus mauvais qui venait de tomber, lourdement, comme une pierre, dans l’estomac du comte. Ils n’avaient plus affaire à des brigands qui convoitaient ce que pouvaient leur offrir un rang et une fortune présumée de nobles voyageurs. Ils avaient à faire à des ennemis directs, qui en voulaient autant à son rang qu’à son nom, et ce qu’il signifiait pour eux. Sa colère se fit des plus sombres, quand il comprit qu’il venait de leur donner un motif de plus de rendre leur tourment plus sévère encore. Et sa femme était en première ligne. Par les Trois ce qu’il s’en voulait, à cet instant.

Talen, dans la cellule, était mortifié. Morion n’avait jamais, jamais cédé face à l’adversité, aussi dure fut-elle. Il avait été témoin des nombreuses batailles livrées pour la Couronne, et le comte s’était toujours montré horriblement impitoyable, au point qu’il en devenait parfois un ennemi pour le bien de ses propres hommes. Mais toujours dans un but noble, il fallait le reconnaître. La Couronne avait toujours bénéficié d’une telle dévotion qu’il n’avait cure de sacrifier des bataillons entiers pour peu qu’elle en sorte sainte et victorieuse des affrontements. Mais… Mais là ? Il n’avait attendu que quelques secondes avant de parler. Il lorgna un bref instant Ambre, désolé de la voir dans une telle posture. Son vieux coeur saignait de ne point pouvoir agir, d’être contraint à la plus totale des inactions, alors qu’il avait prononcé le serment absolu de vivre pour servir, de mourir en servant. Il avait toujours beaucoup aimé Morion, c’était évident. En sus de faire office du revers lumineux de la médaille paternelle, il avait toujours mis un point d’honneur à s’occuper du jeune comte comme de son propre fils. Quant à Ambre… Il l’aimait énormément. Il la connaissait depuis peu, mais elle était désormais un peu comme sa fille. S’il restait dans l’ombre, aussi discret que le voulait sa fonction, il appréciait qu’une telle femme soit venue dispenser sa lumière dans la vie du Comte, et répandre sa chaleur dans la demeure restée longtemps froide et morne après l’apparition du Fléau, et la mort des parents comtaux.
Inutile de préciser à quel point le spectacle qu’il avait sous les yeux le rendait ivre de rage et de chagrin. C’était par sa faute qu’ils étaient là. Il avait certes suivi les ordres de Morion, et effectué une mission de reconnaissance cruciale, visant à éviter ce genre d’emmerdements, mais néanmoins… Il ne pouvait pas ne pas s’imputer la responsabilité de tout ce cirque. La culpabilité qui en découlait n’agissait que comme un violent catalyseur à son ire. Il n’arrivait même pas à décider s’il baissait le regard, de honte et de douleur, ou s’il devait, par respect, par honneur et dignité, le conserver sur ses maîtres. Bien qu’enfermé, en relative sécurité, il avait ses propres démons à combattre, et ils étaient de perfides adversaires.

Il eut une bonne dizaine de raisons de s’en vouloir, dans les quelques secondes qui suivit. Il nota chaque pas que fit Chris, écoutant sa tirade avec une angoisse grandissante. Non. Pitié, non. Fermez-là. Ne faites rien, par les Trois, rien du tout. Des prières aussi muettes qu’inutiles.

Au moment où le fouet claqua, juste après que les sifflements, mi-admiratifs, mi-moqueurs des autres qui observaient la séance de flagellation, se soient dispersés dans l’air, le temps sembla se figer pour Morion. Cela dura une brève seconde. Peut-être deux au grand maximum. Un instant qui sembla durer une abominable éternité durant lequel l’écho du coup resta profondément ancré dans l’air, une trace sèche et nette, tout aussi précise qu’elle l’était sur la chair malmenée de sa femme, qui venait de recevoir le coup. Ses yeux s’écarquillèrent plus encore, si cela était encore possible. Cette sombre engeance venait de le faire. Il avait averti et prévenu, il avait là toutes les preuves de la futilité de ses paroles. La rage de Talen était nettement plus brutale et bruyante que celle de Morion, qui se retrouvait pour une fois incapable de prononcer le moindre mot. Il avait les lèvres entrouvertes, encore choqué, comme s’il avait lui-même reçu le coup.

Et la suite n’en fut que pire. Alors que Morion avait l’impression que quelque chose se brisait, s’éteignait en lui, forcé d’assister à ce spectacle, Talen pestait contre l’univers entier, hurlant et rageant, tentant avec une futilité risible de défoncer les barreaux à coups d’épaules, de pieds, de genoux, au mépris de son propre corps. Morion observait sans rien louper de la scène, pas le moindre détail. Il ressentait physiquement chaque coup. Son cerveau, habitué à l’exercice, machinal, dénué d’émotion, calculait avec une précision malsaine le temps du lever de bras, le sifflement mortel dans l’air, et arrivait à deviner avec précision la seconde exacte à laquelle le cuir allait taillader la chair, à laquelle l’écho sec et brutal du cuir détendu allait vriller ses tympans. Il respirait par brèves saccades, comme si ses poumons avaient perdu les deux tiers de leur capacité. Incapable de dire quoi que ce soit. De faire quoi que ce soit. Seulement possible d’entendre et de voir.

Jusqu’à ce que résonnent les premiers cris.

Ils lui lacérèrent le coeur et le ventre. Ambre découvrait le supplice du fouet, Morion celui de l’entendre hurler, impuissant à tout sauf à subir avec elle l’infâme tortionnaire. Il voulait juste que cela cesse, le plus rapidement possible. Ou peut-être qu’il voulait se lever, lui arracher le fouet des mains, fusse avec les dents, lui arracher les tripes, peu importe. Il voulait juste que cela se termine. Chaque nouveau cri était une meurtrissure à part entière, et il n’osait même pas imaginer ce qu’il en était pour sa femme. Alors qu’il le savait très bien. Pâle comme la mort, il attendait, attendait. Redoutait chaque coup, les voyant arriver en avance, subissant la jubilation, l’impatience même des autres pillards qui n’attendaient qu’une chose; qu’il frappe ! Qu’il lui fasse sentir, à cette foutue donzelle, ce qu’il en coûtait de frayer avec eux, et de les blesser dans leur fierté, blesser leur fratrie, leurs compagnons d’armes. Qu’elle bouffe autre chose que le vît de son homme, pour une fois, qu’elle goûte un peu à la douleur de ceux qui vivaient à l’extérieur, à leur force, à leur suprématie. L’atmosphère était devenue irrespirable tant cette joie malsaine l’empuantissait.

Des jours étaient passés depuis le premier coup de fouet. Des jours entiers. Deux minutes qui parurent deux siècles, à Ambre comme à son époux. Lorsque les hurlements se firent sanglots, plaintes étouffées et saccadées, que l’accalmie revint, comme une chape de plomb, perturbée seulement par quelques rires macabres, Morion sembla revenir à lui, émergeant de l’espace temps distordu dans lequel il avait été plongé. Il leva les yeux vers Chris quand il s’adressa à lui. Il ne répliqua pas, même si sa phrase eut un impact énorme sur Morion.

A l’intérieur, bien que son expression ne bougeât pas d’un iota, il se noircit. Il sentit une sombre colère lui tenailler le ventre, et envoyer dans son corps de puissantes vagues. Il percutait enfin de ce qui venait de se passer. Un seul indice filtra; son regard s’assombrit, visiblement. Il avait osé, ainsi. Morion était un homme taciturne, froid, mais juste. Il réprouvait férocement les velléités de vengeance qu’il considérait comme indignes d’un comportement honorable. Autant dire que cette fois-ci, cette considération n’avait absolument plus lieu d’être. S’il ne le sentit pas, les faits étaient cependant là. L’obscurité le gagnait, de plus en plus vite, dévorant chaque parcelle de son être. Il crèveraient, tous. Pas de la main du justicier, ni de celle du noble. Encore moins de celle du soldat. Pis encore, ce serait la main de l’homme, qui viendrait, pour chaque larme versée, pour chaque goutte de sang arrachée au corps de sa femme, pour chaque coup qui lui avait perdue, chaque mèche de cheveux arrachée, abattre son courroux, par pure vengeance. La douleur et la violence s’appelleraient elles-mêmes, il les détruirait en prenant le temps qu’il faudrait pour que réparation soit faite. Il ne réclamait pas le prix du sang. Cette fois-ci, il leur ferait rembourser au centuple ce qu’ils venaient de faire, et il n’en finirait pas avec eux tant que l’horreur qu’il se mettrait en tête de leur faire subir n’atteindrait pas une violence suffisante pour rassasier sa fureur. Et elle avait depuis le premier coup de fouet franchi le stade de l’inassouvissable.

En réponse, et largement en retard, à ses prières d’arrêt, l’on vint les interrompre, leur signifiant la présence d’un fangeux non loin. Morion ne les entendit pas. Il était entièrement focalisé sur l’ouragan qui le dévorait, et sur sa femme. Rien d’autre n’existait, pour l’instant. Il ne se débattit même pas lorsque l’on le balança dans la cellule, l’enfermant avec un Talen passif, angoissé, éteint. Ses yeux errèrent un moment sur le sol pierreux puis remontèrent le tracé des grilles avant de se perdre sur sa femme. Un léger soupir finit par franchir ses lèvres. Un soupir mauvais, qui n’exhalait qu’un parfum de hargne.

Talen releva finalement les yeux vers Morion, lui adressant un regard désolé. Il entrouvrit la bouche pour parler, peut-être formuler une excuse, une parole de réconfort, une promesse de justice. L’on ne le saurait jamais. Avant que la moindre syllabe ne franchisse le seuil de ses lèvres, le comte le rabroua sèchement, avec une brutalité et une causticité peu communes de sa part.

«Tais-toi Talen. Je ne veux rien entendre.»


Son ton était horriblement calme et froid. L’on sentait la tension faire vibrer sa voix, mélange de douleur et de colère, mais elle était bien trop stable. Morion s’était mué en concentré de haine pure, et Talen ne retrouva rien à redire à cela. Là, même lui ne pouvait lutter. Ses yeux quittèrent son maître pour descendre vers sa maîtresse, puis remontèrent sur Morion, qui refusa de le regarder. Il se rapprocha de la grille, se hissant à qui mieux mieux, pour prendre appui contre le mur et la grille en même temps.

«Ambre. Regarde-moi, s’il te plaît. Il répéta son appel une fois, deux fois, sachant très bien combien il pouvait être douloureux de bouger dans cet état-là, combien cela pouvait même être abrutissant de ne seulement que penser. Il l’avait vécu. Pense au Manoir. Pense à notre enfant. Ne pense qu’à cela. Oublie le reste. Surtout oublie-le. Je les ferai tous payer, chacun d’entre eux. En attendant, évade-toi. Je te fais le serment de nous tirer de là. Je te le garantis.»

Sa dernière phrase, lourde sentence au ton lugubre, annonçait surtout une sortie marquée par du sang et des tripes. Mais il fut rappelé à la réalité brutale de leur impuissance par des pas, loin de son champ de vision, provenant de la sortie de la pièce. Raël revenait, le sourire aux lèvres.

«Alors mes mignons.. On se repose ? ‘Tendez que Chris revienne, vous allez voir. Vous auriez jamais du dire Ventfroid devant lui, les gars. Il eut un petit ricanement, et quittant les devants de la cage de Morion et Talen, se rendit devant celle d’Ambre, passant un bout de langue humide sur ses lèvres à seule fin de les humecter, de la plus obscène des manières. Quant à toi… On a pas fini de jouer. Tu sais pas dans quelle merde tu t’es mise, à t’acoquiner avec un type comme lui, dit-il en faisant référence à Morion. Parce que le prix des hommes perdus, c’est toi qui vas raquer. Et par chez nous, y’en a pas mal qui ont pas vu la couleur d’une nénette depuis un bon moment, sans même parler du toucher de vos bonnes petites formes. J’suis sûr que s’ils ont pu s’accommoder d’une pute pleine de cloques et de puces, une bonne comtesse bien fraîche comme toi, même amochée, ça va les faire bander haut et dur. Souffle un coup, on va te faire chanter ma belle.»

Le bruit retentissant de la colère de Morion, matérialisée en un coup aussi violent qu’inutile sur les barreaux, amochant son pied pour seule conséquence, se fit entendre immédiatement après la fin de sa phrase. Jubilant, Raël revint vers sa cage, observant le visage du comte un moment, suitant le mépris et la hargne. Il le toisa de haut en bas, puis se fendant d'un sourire sardonique, lui cracha bruyamment au visage.

«Tu sais c’qu’on dit mon gars. Un prêté pour un rendu. Du coup, si tu veux qu’on t’rende ta femme, tu sais, va falloir nous la prêter.»
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MessageSujet: Re: De Rikni le coeur du sang félon nourriras [Morion & Ambre de Ventfroid] [Terminé]   De Rikni le coeur du sang félon nourriras [Morion & Ambre de Ventfroid] [Terminé] EmptyJeu 17 Nov 2016 - 20:31
Affliction. Douleur. Souffrance. Aucun mot ne serait assez puissant pour décrire ce que la comtesse subissait à cet instant présent. Son dos était devenu un bouillon de supplice, brûlant, arrachant des décharges à chaque respiration qu’elle pouvait faire. Alors, elle respirait le moins possible, aspirant des goulées d’air ridicules, ce qui avait pour conséquence d’accélérer sa fréquence respiratoire pour compenser. Cela dura un temps avant qu’elle ne réussisse à reprendre une respiration moins apeurée : il fallut que ses bourreaux les épargnent de leur présence pour cela. Elle les entendit à peine qui quittaient la pièce pour se concentrer sur une menace d’une autre importance. Il n’y avait que son monde à elle désormais, un monde empli de sang et de désastre. La jeune femme grelotait sur le sol, d’abord d’émotion, son corps encore sous le choc, l’adrénaline battant encore dans ses veines. Bientôt elle grelotterait de froid, à moitié dénudée sur le sol glacial – à part son dos, qui resterait terriblement brûlant et douloureux. La jeune femme sentait le sang chaud couler entre ses omoplates pour venir tâcher les lambeaux déchirés de sa robe, ou salir un peu plus le sol de la cellule. Offrir la vue de son dos ensanglanté à son mari et son domestique soulevait une honte indicible en elle, mais elle n’avait pas la force de leur montrer son visage. Déjà parce que seulement respirer lui arrachait des larmes de douleur alors se tourner n’en parlons pas, ensuite parce qu’elle voulait dissimuler ses traits souffreteux et les larmes qui en altéraient la beauté.

Ambre était prostrée et n’esquissait pas un geste en-dehors des tremblements qui agitaient encore tout son corps. Elle tentait de se remettre, de s’enfermer dans une bulle protectrice. Joue contre le sol, coiffure à moitié défaite autour de son stylet, libérant des mèches flamboyantes venant se souiller par terre, elle enregistra à peine les mouvements derrière elle dans la cellule adjacente. Talen et Morion avaient souffert eux aussi, des ecchymoses nombreuses fleurissant sur les zones où ils avaient reçus coups de poing et de pied. Mais elle n’était plus capable de compatir à leur sort ni de les aider. Elle pleurait en silence, se faisant toute petite, évitant d’afficher aux deux nobles toute l’étendue de son état. C’était tout à fait futile, bien entendu. Morion ne pouvait être leurré sur la souffrance qui était la sienne, l’ayant vécue à de nombreuses reprises durant des années. Il n’y avait personne dans cette pièce qui ne pouvait mieux comprendre son sort que lui. Pourtant, lui épargner la vision de l’état de son visage à cet instant était tout ce qu’elle pouvait faire. L’homme avait déjà vu trop de choses aujourd’hui qui resteraient gravées à jamais dans sa rétine, nul besoin d’en rajouter.

Ce fut la voix de son époux qui la sortit un instant de son monde de souffrance. Elle parvint à s’arrêter sur sa voix, s’y accrocher, même s’il lui fallut une petite latence pour saisir tous ses mots. Le regarder ? Pardonne-moi. Je ne le puis. Elle avait mal, bien trop mal. Elle n’osait pas bouger, pas même dans ses pires cauchemars. Elle échappa un gémissement faible dans un souffle, sans répondre. Si Morion ne pouvait pas voir son visage, au moins pouvait-il deviner qu’elle avait entendu, et qu’un semblant de conscience brillait encore dans les prunelles de la comtesse.
Leur enfant. Oui, elle y pensait. Beaucoup. Il n’y avait que ça qui la faisait tenir à dire vrai. Elle priait les dieux que le supplice n’atteigne pas la vie qui grandissait en elle. Il n’y avait que son futur fils ou sa future fille pour la faire encore lutter à ce stade. Même si, franchement, quel genre d’enfant voudrait rester dans les entrailles d’un tel corps souffrant ? La logique voudrait qu’il s’échappe, qu’il fuit ce ventre si peu propice à accorder des conditions acceptables. Mais Ambre ne voulait pas. Elle refusait de perdre sa chair et son sang pour de sales raclures qui auraient tôt fait de l’engrosser de nouveau par-dessus. Cet enfant, elle le désirait, terriblement. Elle faisait tout pour absorber la douleur, l’absorber assez pour que ça n’atteigne pas les profondeurs de son corps. Grands dieux qu’elle avait mal, mais ça n’était rien, rien face à la douleur qu’une fausse-couche lui laisserait au creux du cœur.

Ambre garda les yeux fixés quelque part dans le vide, ayant à peine besoin des bons conseils de Morion pour les suivre. Elle s’évadait, hébétée, son esprit imposant à elle des images uniquement destinées à la détacher de son corps et ses sensations physiques. Le traumatisme était puissant. Ambre en garderait très probablement des séquelles physiques, mais surtout morales. En attendant, ses pensées voletaient, presque éteintes, dans une accalmie presque béate.
Elle remarqua à peine Raël qui revenait les surveiller. Les yeux toujours fixés dans un coin de sa cellule, dans son monde, elle reconnut cependant la voix. Les paroles du bandit la touchèrent à peine. Elle les entendit, les comprit, mais l’indifférence et l’impuissance qui étaient siennes à cet instant l’empêchait de ressentir de peur supplémentaire. Les menaces du malfrat sonnaient creux. Le supplice du fouet était encore trop proche, les claquements résonnaient encore à ses oreilles. Ambre ne pouvait pas imaginer le futur, même immédiat. Oh, si ces hommes finissaient par effectivement poser les mains sur elle et terminer par lui arracher toute sa dignité de femme, elle se débattrait, hurlerait sûrement. Mais là, elle était juste encore trop abasourdie. Envisager son propre viol était une chose que son esprit refusait en bloc, lui épargnant une souffrance supplémentaire. Pour combien de temps encore ?

La jeune femme sursauta malgré elle à l’agression sonore déclenchée par le coup de Morion dans les grilles de sa cellule, lui arrachant une plainte étouffée face à la décharge que cela propulsa dans son dos. Elle trembla de plus belle, tentant de se calmer - rien ne va te faire mal, rien ne va te faire mal. Raël, lui, était visiblement ravi de servir de garde pour ces prisonniers de qualité. Il prit une chaise en bois et s’y installa à son aide, bien face aux geôles. Il continuait parfois de ses piques et de ses provocations, se délectait de la puissance qu’il possédait face à des nobles – mieux, des Ventfroid ! –, et savourait de façon malsaine la souffrance de ses victimes. Bientôt cependant, l’amusement de provoquer ses prisonniers eut moins de saveur. Le temps se forlongeait, le silence s’installa, longtemps, et il passa donc ce temps à observer les nobles, tout simplement. Et son regard revenait avec une fréquence anormale sur Ambre. Ses yeux caressaient la peau blanche de ses épaules, descendaient sur la courbe de son sein à portée de vue, continuant sa descente lascive, déshabillant dans son imaginaire le reste de ses jupons. La comtesse ne pouvait voir tout cela, recroquevillée au sol, toujours enfermée dans sa bulle. Mais elle resta longtemps un objet d’observation du bandit, qui n’était intéressé par Morion et Talen que pour les insulter ou les provoquer.


Cela dura trois heures ainsi. De toute évidence, les hommes savaient se montrer prudents, et ne lésinaient pas lorsqu’il s’agissait d’un fangeux. Les archers restaient en position dans les étages, guettant tout mouvement suspect. L’établissement devint calme, extrêmement calme et serein, après les hurlements d’Ambre de Ventfroid. L’on pouvait entendre chaque grincement, chaque craquement du bois, chaque sifflement d’air à travers les mauvaises isolations. Trois longues heures durant lesquelles Ambre resta dans son mutisme, sentant son sang se sécher progressivement dans son dos. Ce dernier ne l’élançait plus, du moment qu’elle restait immobile. Elle sourdait toujours cependant, prête à l’assaillir à chaque mouvement. Alors, elle restait strictement coite. De toute façon, Raël était là pour surveiller. Chaque geste qu’elle pourrait faire serait noté par le bandit, et ne pourrait qu’attirer son attention. Pas besoin que pour tromper l’ennui il ne se décide à avancer les tourments de la comtesse, seul.

Après un temps qui parut terriblement long, l’on entendit une porte claquer au rez-de-chaussée. Raël releva la tête, et bientôt, des pas retentirent au-dessus d’eux, à travers le plafond.


Au même moment, dans la pièce à l’étage

Henri venait rentrer de sa chasse avec deux de ses hommes. La matinée avait été belle, ensoleillée, et ses collets étaient parvenus à attraper plusieurs lapins. Un daim traînait dans sa zone de chasse, il le savait, mais il n’avait pas encore réussi à l’apercevoir assez longtemps pour lui planter une flèche entre les deux yeux. Sans compter qu’aujourd’hui… le bandit avait écourté la séance, un frisson désagréable dans l’échine ne l’ayant pas quitté de la matinée. Il avait senti l’aura dévastatrice de la mort rôder dans le coin. Un ou des fangeux se trouvaient près de Sarrant. Il en était persuadé, et craignait que leur cache ne devienne une prison mortelle s’ils ne redoublaient pas de prudence. Il avait peur d’avoir laissé des traces olfactives trop nombreuses cette fois-ci : cette nuit, il faudrait barricader avec un soin tout particulier toute ouverture, et prier que les dieux les rendent invisibles. Pas de bruit, pas un seul ne devait moufter. Il avait commis des atrocités dans sa vie, Henri, mais s’il y avait bien encore une chose qui pouvait le faire chier dans ses chausses, c’étaient ces créatures de malheur.

Cette journée ne serait pas comme les autres, cela dit, et cela ne concernait pas que la chasse. Rentrant dans ce qui servait de salon général au groupe, l’homme jeta un regard circulaire sur ses hommes – dont Chris et Euverne. Henri faisait office de chef de groupe, pas par force, mais plutôt parce que les autres lui avaient naturellement fait confiance au fil du temps pour assurer leur survie à tous. Cette position forçait souvent l’homme à réfléchir un peu plus que les autres – besoin minimal lorsqu’on prenait les décisions.
Retirant ses gants pour les jeter sur le coin de la table, Henri demanda après présenté ses lapins du jour :

- Les deux chevaux, dehors, ils sortent d’où ?

De toute évidence, au vu du sourire qui s’afficha sur le visage de Chris et Euverne, les deux hommes avaient attendu qu’il pose la question pour aborder le sujet. Haussant un sourcil, Henri écouta leur récit. Les trois personnes aux mises très riches faisant halte au village, leur capture, leur torture, et le meilleur pour la fin : leur identité. Henri cligna des yeux. Il avait une meilleure connaissance des noms du Duché que ses hommes – avant la Fange, il était plus ou moins un honnête gars, officiant au port. La ville, il connaissait, et les sang-bleus qu’on pouvait y trouver aussi, même s’il avait jamais aimé ces pisse-d’or.
Cependant, malgré l’air ravi de ses subalternes, Henri fronça les sourcils. Il ne paraissait pas partager la liesse générale. Pas du tout. Se massant les tempes après cette matinée de chasse difficile, persuadé qu’un danger mortel avait rôdé partout, il commença :

- Je vais vous demander de confirmer. Vous avez capturé le couple Ventfroid et leur vassal protecteur ?

- Ouais, chef, ‘sont au sous-sol si tu veux voir.

Henri jeta brutalement son gant à la figure d’Euverne.

- Et, apprenant leur nom, non contents de les avoir déjà en lieu sûr, vous vous mettez à les molester ? L’avertissement roulait dans la gorge, avant d’exploser. AVEZ-VOUS SEULEMENT CONSCIENCE QU’IL S’AGIT D’UNE DES SEULES FAMILLES QUI PEUVENT ENCORE NOUS ENVOYER UN BATAILLON ARME SUR LE RÂBLE !

L’explosion fut brutale, surprenant tout le monde.

- Henri, calme-toi vieux, intervint Chris. Personne ne nous trouvera jamais ici. Pense à toute la marchandise qu’on va pouvoir récolter grâce à eux.

Le chef ricana d’incrédulité.

- Non, Chris, non. La possibilité d’une rançon est devenue caduque à partir du moment où tu as posé la main sur cette femme. Ils ne se satisferont jamais d’un simple échange, désormais que tu l’as brisée. Nous serons traqués, les grands axes deviendront encore plus surveillés… VOUS ÊTES TOUS DES IMBECILES NOTOIRES MA PAROLE !

Un nouveau cri fit trembler la pièce. Henri était furibard, tournant comme un lion en cage au milieu de ces crétins. A travers l’urgence de la situation cependant, il parvenait à réfléchir avec intelligence.

- On met les voiles demain. Tout le monde, sans exception. La ferme, Chris, rajouta-t-il en crachant avant que ce dernier ne l’interrompe. Aujourd’hui il est impossible de partir, y’a des fangeux qui rôdent. Restons discrets pour la nuit, espérons qu’ils passent Sarrant sans noter de présence humaine. Demain, à l’aube, on se tire. Si on reste là, ils nous trouveront, soyez-en sûrs. Il faut en profiter avant que des recherches convenables aient pu être mises en place. Il se frotta l’arrière du crâne, bougonnant. Putain les gars, une bourgeoise, un riche marchand, je ne dis pas, c’est utile pour notre pécule, mais là… on parle des noms qui ont permis la reconquête du Labret au côté de sa Grâce le Duc, bande de connards. Ils ont même la sympathie de Traquemont. Demain on dégage et on regagne notre planque dans la grotte.

Une vague de protestation violente accueillit ses paroles. La grotte était loin d’être un endroit où il faisait bon vivre. Située au sud du Labret, sur la route menant à Estaing, elle avait certes l’avantage d’être inconnue du plus grand nombre, très bien cachée, permettant de se dissimuler de tous. Mais c’était froid, humide, sombre, et beaucoup plus difficile à protéger si un fangeux sentait leur présence.

- Tu n’y penses pas, hein ?

- Fermez-la, trancha Henri. Vous venez de nous mettre dans la merde, tous autant que vous êtes. Si on reste là, ils nous trouveront. Sarrant est tout juste sur le chemin, quel crétin ne fouillerait pas le village ! Je mettrais les voiles dès maintenant si c’était raisonnable, mais on va se faire bouffer là. Si vous voulez que votre plan pourri ait une seule chance de fonctionner, on dégage. Tout le monde. En rage, il se dirigea vers la porte pour sortir, avant de s’arrêter net sur le pas. Ah, et j’ai dit, discrets pour la nuit. Le premier qui refait hurler cette fille, je le tue de mes propres mains.

- Bha. Suffira de lui couper la langue pour se vider en paix.

Raël venait d’entrer, assenant cette phrase qui déclencha quelques rires malgré la mauvaise humeur globale qu’avait laissée Henri. Raël pointa derrière lui de son pouce, et ajouta :

- On entend ta voix mélodieuse jusqu’en bas, Henri. Faudrait se calmer, nos propres prisonniers entendent tous tes plans dignes de Rikni. Pas très pro. Mais, la grotte, t’es sérieux, là ?


Dans les geôles

L’éclat de colère de Henri avait effectivement été entendu jusqu’ici. Perçant à travers le plafond et le fin plancher, les trois nobles purent écouter comme s’ils avaient été présents ou presque, les voix seulement légèrement étouffées par la distance et les couches. Raël, reconnaissant la voix de son supérieur, avait tout d’abord ignoré les éclats, jusqu’à considérer que cela devenait problématique. Laisser entrevoir une telle discordance dans leur groupe était une faiblesse. Aussi que les hommes puissent s’en servir – Ambre étant toujours plus ou moins dans les vapes –, ça n’était pas pour lui plaire. Serrant les dents, il termina par se lever de sa chaise, abandonnant son poste de surveillant, pour grimper les escaliers et aller rejoindre le lion en furie qui beuglait là-haut. Bientôt, les éclats de l’étage se calmèrent, reprenant un timbre de conversation plus discret et replongeant le sous-sol dans un silence de mort.

Ambre avait retenu son souffle tout à coup. Elle accusait les propos qui avaient échappé jusqu’ici, et qui lui avaient brusquement rappelé qu’elle était vivante. Déménager ? Mais… déjà que les chances qu’on les retrouve rapidement ici étaient infimes, si on les déplaçait dans une grotte elle ne savait où au cœur des marais, quelles étaient leurs chances qu’on puisse leur venir en aide ? A Sarrant, des recherches auraient été effectuées, tôt ou tard. Etre entraînés ailleurs signerait leur fin, pour un long moment. Cette simple constatation fut une vraie décharge électrique pour la comtesse. Elle avait écarquillé les yeux, se rendant seulement maintenant compte de ce qu’elle avait sous les yeux. La réalité de sa condition la frappa brutalement, la configuration des lieux s’imposa à son esprit, la présence de Morion et Talen, leurs respirations, tout fut plus net tout d’un coup, comme si elle sortait d’un brouillard épais. Ils ne pouvaient pas se laisser déménager. Cela les ferait rester encore des jours, des semaines, aux mains de ces crevards. Des semaines dans des conditions ignobles, à peut-être se faire violer et tabasser tous les jours, dans des conditions d’hygiène déplorables. Son enfant ne pourrait jamais grandir en ces conditions. Jamais. Ils devaient fuir. Prendre leur situation en main, s’échapper d’eux-mêmes, sans attendre de renforts. Mais comment ? Une petite dizaine de bandits, pour trois nobles, dont une déjà hors-jeu. La nuit arrivait si vite, et avec elle, des ennemis encore plus dangereux.

L’esprit de la comtesse bouillonnait tout à coup, lancé à vive allure. Elle ignorait les raisons d’un tel sursaut de vie, alors qu’elle était partie pour rester encore de longues heures prostrée à tenter de réparer les meurtrissures de son esprit. Mais le sursaut de vie était là. Désormais que c’était le cas, elle semblait voir plus clair. Et ce qui lui apparut très clairement, dans l’immédiat, ce fut l’absence de Raël. L’absence de gardes. La solitude totale.
Brutalement, elle se mit à se tortiller au sol. Elle tira sur ses poignets pour se défaire de ses liens, déclenchant de nouvelles douleurs terribles dans son dos, lui arrachant un autre gémissement plaintif.

Citation :
Habileté d’Ambre : 12
Résultat des dés : 14
Raté.

Elle eut beau se démener et tirer sur ses liens, au prix d’un supplice qui manqua de la faire s’évanouir, rien n’y fit. Les liens étaient trop solidement attachés. Cela ne fit que faire perler de nouvelles gouttes de sang, chaudes, dans son dos et ses plaies encore ouvertes. La comtesse ne s’avoua cependant pas vaincue. Elle prit une très longue inspiration, se préparant à souffrir, serrant les dents. Alors, elle se laissa basculer sur le dos, puis le côté droit, sur le ventre, puis de nouveau sur le côté gauche, dans une roulade qui eut pour effet de la rapprocher de la grille qui séparait sa cellule de celle de Morion et Talen. Elle geignit encore, toute la durée que nécessita l’opération, jusqu’à ce qu’elle puisse se retrouver dos à la grille. Jusqu’à ce que ses poignets attachés derrière elle soient assez proches pour permettre à ses doigts de toucher le métal froid de la geôle.

- Morion…

Sa voix fut désespérément faible. Elle ne sut même pas s’il l’entendit, tellement son souffle était ténu. Morion. Ma dague. Elle eut un brusque geste sec de ses bras, en arrière, pour faire tinter le métal de sa dague contre la fer des grilles. Elle n’avait même plus la force de parler.
Grands dieux, faites qu’il comprenne. Elle ignorait si cela serait utile. Mais il pouvait, en se positionnant correctement, remonter la manche de la comtesse pour agripper le manche de sa dague dissimulée. Même de dos. Peut-être pourrait-il défaire ses liens grâce à cela ? Posséder une ouverture, une surprise face à leurs geôliers ? Elle ne savait pas. Elle était incapable d’agir, elle, dans son état. Elle remettait sa seule arme dans les mains de son époux. Qu’il en fasse bon usage.
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Morion de VentfroidComte
Morion de Ventfroid



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MessageSujet: Re: De Rikni le coeur du sang félon nourriras [Morion & Ambre de Ventfroid] [Terminé]   De Rikni le coeur du sang félon nourriras [Morion & Ambre de Ventfroid] [Terminé] EmptyVen 18 Nov 2016 - 0:44
Les yeux clos, un instant, Morion laissa échapper un soupir fantomatique, qui franchit la grille qui le séparait de son épouse, transie de douleur, loin de lui, s’y évaporant presque aussitôt. De vaines paroles de réconfort et un filet d’air empli de compassion, voilà tout ce qu’il pouvait lui transmettre, pour l’instant. Rouvrant les deux perles éteintes qui formaient son regard sombre, il les laissa voguer quelques secondes sur son dos mutilé. Une inspiration arracha un crissement guttural à sa trachée. Par les Trois oui, il savait ce que cela faisait. Il avait connu pareil traitement quotidiennement pendant plus de dix ans. Il s’en souciait peu vers l’arrivée à l’âge adulte, mais avant ça… Lié à ses propres remembrances, un frisson glacé le parcourut. Pour qui n’y avait pas été confronté avec une horrible et assidue régularité, il pouvait sans le moindre mal imaginer ce que cela faisait.
Il finit par s’arracher à cette vue. A contrecoeur. Il ne ressentait aucun plaisir à voir les lacérations dans le dos de sa femme, mais quel autre soutien qu’un regard compatissant, quand bien même ne le voyait-elle pas, pouvait-il lui apporter ? Un regard pourtant lourd de significations. Elle ne perdait rien à ses yeux. Les choses qui arrivaient… arrivaient, tout simplement. Et si l’heure de la vengeance n’avait pas encore sonné, ses yeux, vissés sur elle, exprimaient une chose; sa honte n’avait pas lieu d’être. Elle restait la comtesse de Ventfroid. Et en vertu de cela, il secouerait terre et cieux pour que justice… non, vengeance soit faite. Lui-même n’éprouvait aucune honte à s’adonner, pour une fois, à un sentiment qui allait à l’encontre de tous ses principes.

La venue et les paroles de Raël ne firent que renforcer cette conviction. Assis dans sa cellule, à quelques mètres de la grille le séparant de la cellule d’Ambre, il observait, par les interstices entre le métal, le brigand satisfait. Il sentait la haine pure le dévorer, petit à petit, et se surprit à la laisser faire, à l’encourager. Qu’aucune pitié, qu’aucune dignité ne retienne sa main lorsqu’elle s’abattrait. Ils les traitaient en animaux ? Fort bien alors. Il ne se gênerait pas pour agir comme tel le jour où sa liberté lui serait rendue. Riez mes braves, tant que vous avez une bouche pour le faire. De sombres visions passaient devant le regard terne de Morion. Il n’y brillait guère plus d’éclat. Les paroles ordurières de Raël ne franchissaient même pas les barreaux, à part peut-être pour Talen, que chaque pique injurieuse, promesse de sévices obscène, faisait se tétaniser de rage. Quand il ne jetait pas un regard inquiet à son épouse, Morion gardait les yeux plongés dans un vide astral, quelque part entre la grille et le sol. Amorphe, il comptait chaque seconde. Sans qu’il ne bouge d’un poil, son attention se dirigeait parfois vers la respiration saccadée de son épouse, guettant un changement peut-être, il ne savait pas. Elle resterait ainsi un long moment, il le savait. L’air ici était frais, musqué. Son dos n’apprécierait pas du tout, la douleur ne s’en irait pas avant plusieurs semaines. Lui avait eu l’avantage d’être traité, pansé, lorsque le fouet huilé de son père s’abattait sur lui. Elle non. Ses dents se serrèrent à cette pensée. Que les Trois l’entendent, faites qu’elle ne contracte aucune malice durant son séjour. A eux non plus, il ne leur pardonnerait pas, autrement.

Talen… Talen. Un homme discret, placide, au mieux délicieusement sarcastique. Et néanmoins nettement plus émotif que Morion. Elevé avec des codes stricts d’honneur et de chevalerie, dans un sens, bien plus stricts que ceux dont Morion avait hérité, il était dans un royal déni de la situation actuelle. Ils ne pouvaient avoir osé. Ils ne pouvaient être de si basses personnes. Ils méritaient sanction immédiate, fusse-t-elle de la main même des Dieux. Dieux qui semblaient n’avoir cure de leur tourment, soit dit en passant. Et la rage le dévorait autant que l’inquiétude. Pauvre maîtresse, dont la vie jusqu’à présent, bien que tourmenté de vile manière par de funestes et mystérieux événements, avait toujours été d’une remarquable tranquillité. Parce qu’elle avait grandi pour une telle vie. Si le fléau avait changé cette destinée, cela ne changeait en rien ce qu’elle était. Et ce qu’elle aurait dû être. Comment pouvait-on seulement infliger pareil supplice à une femme ? Comment pouvait-elle seulement le supporter ? Les questions, sans réponse, fusaient, fusaient, et fusaient encore, se bousculant dans sa tête, cognant dans son crâne. Et quand il observait Morion… ses dents se serraient. La vision de son maître, dans cette position d’abattement absolu, à peine conscient de ce qui l’entourait, mutique et apathique… Il ne l’avait encore jamais connu ainsi, pas même dans son enfance, ou son fanatisme, jugé par ses pairs comme dangereux, allumait cependant une étincelle de vie permanente. De l’azur adamantin dont étaient faits ses iris, l’on ne retrouvait que quelques traces d’un bleu acier terne, mort. Il savait pour autant que Morion n’avait point cessé de penser à ce point. Il soupçonnait même l’exact inverse, et c’est bien ce qui l’inquiétait. Morion n’avait jamais été confronté à ce genre de situations. En y repensant… un amer souvenir le saisit, lui rappelant que quelques années plus tôt, le comte refusait catégoriquement de prendre épouse. Entièrement focalisés sur ses traîtres projets, il avait argué avec son sempiternel sarcasme qu’une femme, voilà bien un chose qui lui octroierait, en plus d’une obligation supplémentaire, de nouvelles faiblesses à exploiter par ses ennemis. Que dire, désormais ? Qu’il avait raison ? Il ne savait pas. Peut-être bien, oui. Si Morion avait été la cible de Chris, il n’aurait pas réagi ainsi. Et s’il appréhendait, tout comme son maître, leur futur immédiat, il redoutait nettement plus le moment où il déciderait de sortir de sa torpeur.

Un moment qui ne semblait point arrivé, cependant. Le domestique tiqua, quand le comte se mit à bouger. Morion appuya son dos endolori et ses poignets contre le mur froid et moite, et se servit de l’étai ainsi créé pour se redresser, petit à petit. Il sentit ses côtes protester vivement, de même que chacun de ses muscles endoloris. Il ignora la douleur, et se rapprocha de l’entrée de sa cellule, dardant son regard sinistre sur Raël quelques secondes, jusqu’à ce que celui-ci daigne enfin lui accorder de l’attention. Les courbes de sa femme prostrée semblait avoir bien plus d’attrait à ses yeux que les deux hommes enfermés juste à côté, néanmoins l’angoissante fixité des yeux de Morion finit par le faire tiquer. Il eut une moue désapprobatrice, mêlant le dédain et la hargne, et lui rendit son regard. Morion mit du temps à parler.

«Vous. Gravez bien l’image de ma femme dans vos yeux. Ils auront une saveur particulière, ainsi, lorsque vous serez contraint de les avaler.
Ses yeux coururent sur la face du bandit, puis le jaugèrent de haut en bas. Son ton était las, monocorde, mais ferme. Dès que vos mains ont empoigné Ambre, vous avez déclaré ouvertement la guerre à la famille Ventfroid dans son ensemble. Puisse les Dieux avoir pitié de vous.»

Il lui adressa comme ponctuation finale un sourire macabre, dénué de joie, simple déformation musculaire en réponse aux visions qui couraient toujours et voilaient son regard, et ignorant les remarques moqueuses et le rire gras de son geôlier, retourna s’asseoir près de la grille mitoyenne de la cellule de sa femme. Il cessa presque aussitôt de bouger, retournant à sa langueur morbide. Talen observa le comte, s’attendant à cette réaction autant qu’il ne la redoutait. Un acte de guerre… était-il sérieux ? Peu apte à anticiper les réactions de son maître, il préféra ne rien dire, mais n’en pensait pas moins. Il venait de déclarer une guerre ouverte à une dizaine de bandits. En son nom propre. Avec tout ce que cela impliquait. Le vieux chevalier se demanda, un bref instant, si Morion n’avait pas juste disjoncté. Et il dut se rendre, au bout de quelques secondes, à l’évidence, une cruelle évidence, de mauvais augure. Morion était aussi sérieux que lucide en prononçant ces mots. Dusse-t-il faire flamber les marais, il n’aurait de cesse de traquer et exterminer ceux qui l’avaient pris lui, Ambre et Talen en otage. Passant par-dessus le crâne baissé du comte, ses yeux se posèrent douloureusement sur Ambre. Il les ferma presque aussitôt, le visage voilé d’un masque amer. Pauvre petite. Il eut un petit soubresaut nerveux, et s’il en avait eu la capacité, aurait même ri. A peine la vingtaine, elle déclenchait une guerre. Sacrés Ventfroid.

---

Après un moment qui sembla une éternité, Morion fut alerté par du bruit, et esquissant un léger mouvement ascendant de la tête, leva un oeil torve vers le plafond, tendant l’oreille. Ah, ça chauffait. Et ça chauffait sec. Il ne perdit pas une seule miette de l’échange fort distrayant et instructif qui eut lieu au-dessus. Enfin, enfin l’un d’entre eux semblait capable d’éveiller deux synapses, et de comprendre ce qui allait leur arriver. Qu’ils luttent donc. Aussi solitaire fut-il, Morion était loin d’être un homme seul, en vérité. Il baissa les yeux vers Raël, qui suivait l’échange autant qu’eux. S’il posa les yeux sur le comte, ce ne fut que pour y voir l’ombre mauvaise d’un rictus qui ne contenait qu’une chose; de la cruauté.

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Au domaine

«Estrée, calme-toi je te prie. Il y a beaucoup de travail, là-bas. Et puis, peut-être ont-ils été stoppés par quelque urgence, des hommes blessés ou que sais-je. Nous avons ponctionné beaucoup des notres pour les envoyer sur le plateau. Son retard peut se justifier d’une dizaine de manières différentes.»

Assise dans le bureau de Morion, Estrée tenait en main, chiffonnée par des heures d’attente et d’inquiétude, la missive de son frère, annonçant son arrivée pour une heure très largement dépassée, désormais. Elle faisait pâle figure. Elle était capable de se déplacer, un peu, mais les traces de sa blessure et de sa convalescence étaient encore clairement visibles. Elle avait maigri, était blafarde, et ses yeux étaient encore voilés d’un épais tulle de lassitude. Elle qui affichait le calme légendaire des Ventfroid en toutes circonstances, elle ne tenait en place que parce que son corps l’y contraignait. Avant d’être la représentante de Morion sur son domaine, elle était avant tout une soeur, et celle-ci se retrouvait fort inquiète de ne voir son frère arriver, lui qui était toujours si hâtif et ponctuel, sans même avoir donné la raison de son retard. Une missive ne mettait que quelques minutes à franchir le plateau pour lui parvenir, l’on ne lui ferait pas croire qu’il n’y avait pas pensé.

«Tu… tu m’énerves. Fais monter Edric. Elle se massa une tempe d’un doigt songeur, les sourcils froncés. Je… Un retard impromptu sans aucune nouvelle, alors que Talen et surtout Ambre sont avec lui, tu y crois, toi ? Le Labret a beau être gardé, il reste dangereux. Il ne maintiendrait pas inutilement sa femme au beau milieu de tout ça. En tout cas, elle secoua l’unique missive qu’elle avait reçu, pas sans nous avertir. Elle soupira. Ton calme t’honore mais il nous dessert. Va faire chercher Edric.

- Pourquoi Edric ? Il ne se montrera pas forcément des plus…


- Parce que son frère est avec Morion, et qu’il le connaît bien, peut-être sera-t-il plus prompt à la réaction que toi, Marianne. Va ! Lança vertement Estrée, déjà lassée de l’entretien. Elle ne s’inquiétait pas souvent, mais dès lors que les émotions perçaient sous sa carapace, elle pouvait se montrer assez horriblement abrasive, comme l’en témoignait le ton acerbe employé depuis le début de la discussion.»

Marianne pinça les lèvres, mais ne répliqua rien. En l’absence de Morion, le pouvoir de décision incombait à sa soeur, elle le savait bien.

Elle revint une dizaine de minutes plus tard, accompagné par le colosse qui revenait tout juste de patrouille. Ses cheveux bruns ébouriffés par le vent et le port de son casque, il avait tout de l’ours en maraude. Marianne n’avait évoqué le sujet de sa convocation que de manière succincte, aussi était-il visiblement très impatient de savoir ce qui motivait une telle urgence. Quand Estrée lui expliqua la situation, il fut tout de même un peu sceptique. Lui-même s’était déplacé plusieurs fois en patrouille au Labret, l’on pouvait facilement être retardé, parfois pour peu de choses. Connaissant Morion en revanche… Et Talen, de surcroît, cette éventualité s’amoindrissait à vue d’oeil. Son regard s’assombrit notablement, il passa une main épaisse dans sa barbe qui l’était au moins autant, songeur.

«Attendons le début de soirée. Si j’m’écoutais, je prendrais la route tout de suite. Je vais faire envoyer céans un torchon à nos hommes là-bas, sait-on jamais qu’ils l’aient vu. Mais on a pas assez d’effectif ici pour se permettre une battue avec la nuit qui va tomber, j’suis navré dame Estrée. Au moins on sera vite fixé sur sa position, si personne l’a vu sur le plateau bah...»


Il haussa les épaules, mais cela n’induisait en aucun cas une quelconque forme de désintérêt. Il ne voulait pas prononcer à voix hautes ces mots-là, et ce qu’ils impliquaient. Il était d’une nature plutôt nonchalante d’ordinaire, mais qu’il s’agisse de Morion ou de Talen… cela le dérangeait nettement plus. Surtout Talen. Estrée ratifia chacune des missives qui serait envoyée, les congédiant tous immédiatement après.

Missives qui reviendraient une par une accompagnée des mêmes mots, en termes équivalents; Morion n’avait été vu nulle part au plateau.

---

Dans la cellule, Morion, qui ignorait tout de l’inquiétude qui commençait à gagner sa famille, bien qu’il s’en doutât un minimum, ressassait ce qu’il avait entendu à l’étage supérieur. Déménager ? Il jeta un regard de biais vers Ambre, les dents légèrement serrées. Elle n’était pas en état de bouger maintenant et ne le serait pas plus demain. Ce serait même pire. Au moindre mouvement, à la moindre torsion du buste, les fluides, le sang, qui auraient commencé à sécher et s’agglutiner aux plaies se déchireraient, laissant couler à nouveau le sang, répliquant et amplifiant la douleur de la veille. Et encore, si l’humidité permettait une quelconque coagulation. Les plaies pouvaient tout aussi bien s’en gorger, et s’enflammer encore un peu plus. Morion avait expérimenté l’une comme l’autre des situations. Néanmoins, il voyait le retour de celui qui semblait être le chef de troupe, ou au moins celui qui avait été capable de réfléchir deux minutes au forfait de ses camarades comme une bonne chose. Tout du moins une salvation temporaire. A moins qu’il ne soit en réalité stupide, il ne réitérerait pas les exactions de ses hommes. Sauf si… sauf s’il décrétait que Morion, Talen et Ambre représentaient un danger plus grand vifs que morts. Là ils auraient du souci à se faire.

il échangea son premier regard avec Talen depuis qu’ils avaient été enfermés tous seuls. S’ils avaient une opportunité de s’échapper par eux-mêmes, ce serait au départ, le lendemain. Et quant à la question du comment, l’un comme l’autre étaient bien incapables de répondre. Avec Ambre dans cet état-là en plus, ils ne risquaient pas d’aller bien loin, ou en tout cas, pas rapidement. Porter la comtesse était une option, oui. Qui les ralentirait. Et cela n’entrerait en jeu que s’ils arrivaient, à deux et demi, à fuir une bande de dix bandits au moins qui n’avaient aucune envie de relâcher leur proie, et qui leur accordaient même une attention toute particulière. A l’une d’entre elles, surtout.
Il tourna brusquement la tête vers son épouse. Ce problème méritait réflexion, mais il s’en occuperait après. Sa femme venait d’esquisser ses premiers mouvements. Que faisait-elle ? Elle devait rester immobile, surtout ! Ses yeux s’ouvrirent plus largement, et il tenta, à voix basse, de l’empêcher de commettre cette bêtise, qui ne ferait qu’aggraver l’état de son dos.

Il posa son front contre le métal froid de la grille, serrant les dents, souffrant avec elle. La lueur du reproche était vaguement visible dans ses yeux, mais il ne dit rien de plus. Il attendit qu’elle vienne à lui, et haussa un sourcil étonné, cependant, quand elle lui fit dos. Il l’observa un moment, ne pouvant empêcher son regard de caresser les meurtrissures sanguinolentes dans son dos, qui soulevèrent une nouvelle vague de fureur en lui. Que les dieux soient témoins de sa colère quand elle frapperait.

Il leva les yeux un bref instant vers l’étage, des bruits de pas l’ayant alerté. Mais rien qui ne vienne vers eux. Il fronça les sourcils, abaissant une nouvelle fois son regard. Il ne comprenait pas pourquoi elle… Oh. Ses yeux s’allumèrent à un éclat aussi tranchant que l’objet auquel sa femme faisait référence, sans bruit. Il se retourna immédiatement, et en appui sur ses jambes pour avoir la hauteur nécessaire à la manoeuvre, retira, par petits à-coups, tordant ses bras à leur maximum, la dague de son étui, serrant le manche aussi fort que possible, avant de le faire précautionneusement glisser au travers des interstices. Il se retourna aussitôt pour lui faire face.

«Ambre. Bouge d’ici si tu le peux, je ne veux pas qu’ils se doutent de quoi que ce soit. Si nous tentons quelque chose… Il baissa le ton. Ce sera demain, quand ils voudront nous faire bouger. Ne fais rien du tout, surtout. Talen et moi ferons notre possible. Et d’ici demain… peut-être que d’ici demain Edric viendra à notre rescousse. Mon retard n’est pas naturel. Ne perds pas espoir mon amour.»

Son discours pressant s’interrompit brutalement. Il se mit à genoux, dague en main, et à force de contorsions, finit par réussir à la mettre dans sa botte. Il aurait probablement cent fois l’occasion de se cisailler le mollet ou le pied, mais tant pis. Là, elle était facilement accessible en sus d’être bien dissimulée par l’épaisseur des bottes de voyage.

Il se remit à sa place, contre le mur, les jambes étendues devant lui. Il fallait juste tenir la nuit, c’était… il espérait que cela serait facile. S’il n’avait aucun doute quant à ses capacités d’y parvenir, pour Ambre en revanche…

---

Au domaine, en début de soirée.

«Edric prévenez immédiatement vos hommes. Vous partez demain matin à la première heure en direction de Sarrant. C’est le seul endroit où Morion se serait arrêté, s’il l’a bien fait. Estrée faisait les cent pas, difficilement, dans le bureau de son frère, désespérément vide de sa présence. Son teint avait encore pâli, depuis qu’elle s’était entretenue avec Marianne. Il s’est passé quelque chose. Fangeux, brigands… Prenez autant d’hommes que nécessaire, je m’en fiche. Je veux que vous le retrouviez. Et vite.»

Edric faisait le pied de grue dans le bureau, à dire vrai au moins aussi inquiet que sa maîtresse. Cela ne ressemblait ni à Talen, ni à Morion de disparaître ainsi sans donner de nouvelles. La route était dangereuse, tous le savaient. Néanmoins, ils n’avaient encore jamais eu affaire à ce cas de figure. Il se contenta de hocher la tête à ses ordres, et descendit immédiatement jusqu’aux baraquements qui abritaient les hommes d’armes du domaine. Hommes qui comprirent immédiatement que quelque chose clochait, à l’absence totale de bonne humeur d’Edric, un homme réputé pour son côté très burlesques et ses incessantes fanfaronnades. Il leur expliqua la situation d’un ton brut, sec et concis, leur ordonnant de préparer en avance leurs provisions, stocks de flèches et autres. Trente hommes avaient été mandés pour la battue. S’ils en croisaient en chemin, ils se joindraient à l’expédition.

Edric retourna au feu de camp central qui marquait les fins sentiers qui se rejoignaient, comme le centre d’une étoile dont les sommets étaient les dortoirs. Il s’assit loin des quelques hommes qui étaient déjà présents, rôtissant le gibier de la journée pour se nourrir. Il grattait en permanence sa barbe, signe de réflexion autant que de contrariété. Il n’aimait pas cela. Il n’avait jamais envisagé que Morion puisse se mettre en tête de disparaître, tiens. Et Talen ? N’en parlons même pas. C’était un domestique, si Edric était rassuré quant au sort de son frère, c’était surtout parce qu’il avait la certitude qu’au Manoir, les choses se déroulaient bien. Et en sécurité. Là… Si quelqu’un avait osé s’en prendre à son frère, ça allait chier, il en faisait le serment.
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MessageSujet: Re: De Rikni le coeur du sang félon nourriras [Morion & Ambre de Ventfroid] [Terminé]   De Rikni le coeur du sang félon nourriras [Morion & Ambre de Ventfroid] [Terminé] EmptySam 19 Nov 2016 - 19:02
- Demain…

Le mot s’échappa de ses lèvres, à moitié plainte moitié résignation. Le lendemain lui paraissait si loin. Il allait falloir passer la nuit, dans cette cellule glacée, à moitié dévêtue, transie de froid et de douleur. Sans soins, sans rien pour lui assurer un rétablissement correct. En soit, ça n’était pas compliqué s’il s’agissait de rester immobile et attendre son heure. Mais la nuit serait longue, et chaque fois qu’un de ces brigands viendrait respirer dans la même pièce, son esprit ne pourrait être complètement tranquille. Elle avait peur qu’ils reprennent leurs exactions, tant sur elle que sur son époux ou son domestique. Raël avait été clair. Malgré l’ordre ultérieur d’Henri sur le calme absolu que leur planque devait posséder en cette fin de journée et la nuit qui allait suivre… Comment un seul homme pouvait réguler les envies les plus primaires du reste de la troupe ?
De plus, rien ne garantissait que Morion et Talen réussissent leur tentative, quelle qu’elle soit. Rien ne lui disait que les deux hommes ne mourraient pas demain lorsque les bandits se défendraient. La comtesse, en offrant sa dague, avait peut-être avancé la mort de son mari. Ne rien lui donner aurait sûrement laissé leurs chances de s’échapper quasi-nulles, mais au moins les hommes n’auraient eu aucune raison supplémentaire de molester Morion et son vassal.
Quant à ne rien faire… Le conseil de Morion était inutile. Bien sûr qu’elle ne ferait rien, elle n’était pas en état de quoi que ce soit. Le moindre geste lui arrachait des décharges douloureuses cuisantes, et cette simple roulade pour atteindre la grille auprès de lui avait été un supplice. Refaire le chemin en sens inverse pour reprendre sa place initiale et ne soulever aucun soupçon lui tordait le ventre rien qu’à l’idée.

Ambre resta de longues secondes immobile contre la grille, le cœur battant. Elle inspirait, expirait, retenait ses larmes pour se préparer à la souffrance de ses chairs. Un gémissement plaintif et anticipatoire roula dans sa gorge, elle trembla de la tête aux pieds. Puis, les dents serrées, elle recommença. Sur le ventre, sur le côté droit… Le passage sur le dos fut ignoble. Ses chairs sanguinolentes raclèrent le sol, faisant encore couler un sang chaud et poisseux entre ses plaies. Elle geignit de nouveau, une salve supplémentaire de larmes imbibant ses joues. Lorsqu’elle fut revenue au centre de sa cellule, elle resta là, chue sur le côté gauche, exténuée par ce simple effort. Tremblante de la tête aux pieds, sa respiration mit longtemps à se régulariser, de même que les plaies dans son dos, qui suintèrent encore de longues minutes. Par les Trois qu’elle avait mal. Combien de temps devrait-elle vivre avec cette douleur ? Combien de temps avant qu’elle ne puisse se mouvoir comme avant ? Combien de temps avant qu’on ne vienne lui faire mal de nouveau ?

Bientôt, les pensées de la comtesse se brouillèrent. Elle plongea à nouveau dans son monde de souffrance, hébétée, l’œil vide et torve. Seuls les mouvements discrets de sa respiration et les clignements de ses paupières prouvaient encore qu’elle était en vie. Elle était lasse, flasque, abandonnée sur le sol, et n’avait plus aucune volonté. Son esprit était vide, hagard, et les tourments de son corps prenaient le pas sur le reste de ses considérations. Très vite, la comtesse se remit à grelotter de froid. Elle s’efforça de ne plus laisser échapper aucun son, ni plainte ni reniflement. La présence de son mari et de son domestique, derrière elle, lui donnait une forme de motivation ou de courage, si l’on pouvait nommer cela ainsi. Mais pour l’instant, seule la pensée de son enfant, petit noyau de vie dans son bas-ventre, maintenait une étincelle d’instinct de survie dans son esprit.

Vingt minutes s’écoulèrent, sans autre perturbation que leurs respirations. Ce délai écoulé, des bruits se firent entendre dans les escaliers, et bientôt, le brigand Henri fit son apparition. Accompagné de Chris, les deux hommes étaient silencieux, mais les traits sur leurs visages étaient tirés. De toute évidence, la discussion n’avait pas été joyeuse. Chez l’un, l’idée de revenir dans la grotte lui restait salement dans la gorge, et chez l’autre, celle de devoir payer les pots cassés de ses hommes lui faisait serrer les dents.
Henri, tout d’abord, examina les affaires de ses otages. Il jeta un regard fugace sur Morion et Talen, les premiers que l’on pouvait apercevoir en pénétrant dans le sous-sol, puis farfouilla. Le bouclier de Talen, dont il admira le blason, la facture de la cape de la comtesse et son attache d’argent, l’épée de Morion, qu’il sortit de son fourreau. Il resta plus longtemps sur cette dernière, tournant la lame selon plusieurs angles pour admirer les reflets des torches sur le métal, et son regard se posa sur le flocon d’argent et les petits rubis de décoration sur la garde. Il fit quelques moulinets avec l’épée, appréciant son équilibre. Quand il eut fait le tour de toute la qualité des possessions qu’il avait sous le nez, il s’avança dans la pièce pour observer ses prisonniers.

Il regarda Morion et Talen tout d’abord. Contrairement à ses hommes, il reconnut le comte de Ventfroid au premier coup d’œil. Il avait eu l’occasion de le croiser à quelques reprises à l’époque où la cité prospérait. Il oubliait rarement un visage, encore moins quand ce dernier appartenait à une cible riche qui descendait parfois dans la basse-ville. Henri nota le regard de Morion, froid, meurtrier, et sa position près de la cellule de sa femme, tel le protecteur qu’il se devait être, mais dont la mission avait bassement échoué en ce jour. Le comte ne reçut qu’un regard plein d’indifférence en retour, et pas même un mot. Continuant son avancée, Henri passa devant la cellule d’Ambre, et son regard se posa sur son dos sanguinolent et ses épaules tremblantes. Ses yeux lancèrent quelques éclats de fureur à la constatation de la bêtise de ses hommes. Il resta un moment ainsi à observer les otages, à calculer, pourpenser, assez longtemps pour que sa présence silencieuse devienne gênante.

- Donne-moi les clés, Chris, et va donc voir les archers, je veux savoir si le fangeux est toujours dans le coin.

Le concerné obéit, quoiqu’un peu sèchement, regardant son supérieur d’un air mauvais. Henri l’ignora, et s’approcha de la cellule d’Ambre pour en ouvrir la porte. La comtesse, lorsqu’elle entendit la grille de sa cellule grincer, échappa une lamentation subite, remuant vainement pour échapper au danger qui s’avançait. La peur lui avait tordu les entrailles subitement, revenant l’assaillir de plein fouet. Lorsque l’homme s’agenouilla à côté d’elle, si près qu’elle put sentir son odeur. La jeune femme se recroquevilla d’instinct.

- Du calme. Je ne vais rien te faire.

Malgré ses paroles, il abaissa un peu plus le tissu de la robe de la comtesse, d’un geste sec. Son regard se posa sur le ventre mis à nu, mais contrairement à ses hommes, aucun éclat lubrique n’y brillait. Il observait le corps de la comtesse pour obtenir des informations, et garda un sérieux exemplaire. L’homme était en train de penser, de calculer. Ambre avait froncé les sourcils, nauséeuse de se sentir observée ainsi, par des yeux qui n’appartenaient pas à son mari.

- Depuis combien de temps l’as-tu engrossée ?

La question s’adressait à Morion, bien évidemment. L’homme avait eu vent de leur mariage récent, et les rumeurs de la grossesse de la comtesse de Ventfroid étaient tout autant parvenues jusqu’à lui, au rythme de ses pérégrinations dans la région. De toute façon, il ne fallait pas être très futé pour deviner qu’après quelques mois de mariage, une femme féconde avait toutes les chances d’être enceinte.

Après quelques secondes, l’homme remonta le tissu abaissé, et recouvrit la comtesse de la cape qui lui avait été arrachée un peu plus tôt. Il avait noté ses grelottements et ses lèvres bleuies, et préférait éviter que sa proie ne meure bêtement. S’il n’aurait jamais eu la bêtise de viser les Ventfroid lui-même, maintenant c’était fait, et il fallait composer avec. Et tenter d’y retirer le moindre avantage possible. L’homme ne possédait aucune compassion pour les contusions arborées par les hommes ou la femme. Dans sa vie il avait torturé lui-même femmes et enfants. Si l’identité de ces otages n’avait pas été si délicate, il n’aurait eu aucun scrupule. Seule la balance bénéfice-risque l’animait à l’heure actuelle. Il possédait une capacité de réflexion que ses hommes n’avaient pas. Et c’était cette réflexion qui marchait à toute allure là tout de suite.

La femme était devenue un poids avec ses blessures. La faire marcher jusqu’à la grotte était inenvisageable. Elle les ralentirait beaucoup trop. Et c’était sans compter son dos sanguinolent, qui aurait tôt fait d’attirer tous les fangeux de la région, même en plein jour. Il suffirait de quelques nuages et d’un ensoleillement modéré pour que les créatures ne se jettent sur eux, trop alléchées par l’odeur de son sang. Pire qu’un poids, elle était désormais un danger pour le groupe dans son entier. Ils ne pouvaient pas l’amener. Mais ils ne pouvaient pas la laisser non plus. Cela serait se défaire d’un moyen de pression essentiel, surtout si elle portait en elle la descendance de la famille. Qu’ils la relâchent ou la gardent, le mal était fait désormais : son mari avait tout vu, et ne s’arrêterait plus à un simple échange. Henri connaissait les nobles et leur arrogance, et ne ferait pas l’erreur de croire à des promesses de non-agression s’il les relâchait. Il valait donc mieux garder la fille. Elle resterait ici, à Sarrant, cachée dans leur planque sous bonne garde, avec quelques hommes qui resteraient en arrière. Henri ne doutait pas de son sort et des actes qui seraient perpétrés par les siens, mais il s’en fichait, tant qu’elle restait sous contrôle et qu’elle ne leur claquait pas entre les mains. Ses hommes étaient doués en dissimulation. Même une fouille minutieuse de Sarrant pouvait ne pas les mettre à jour. Il suffisait de s’enfermer assez loin dans les sous-sols de certaines bâtisses. Puis, lorsque la comtesse serait de nouveau en état de voyager, le reste du groupe serait ramené à la grotte avec tous les autres.

- J’espère pour tout le monde que vos familles seront conciliantes et aptes à la négociation. Si tel n’est pas le cas, vous serez inutiles. Et donc tués.

Sur ces mots d’une indifférence exemplaire, Henri quitta les lieux après avoir refermé soigneusement la cellule d’Ambre, partant surveiller les fangeux au-dehors avant de s’accorder une sieste pour sa journée éprouvante.


Le retour d’Henri eut le mérite de ralentir les ardeurs des bandits. Aucune autre exaction ne fut perpétrée en cette fin de journée. En réalité, les plus virulents attendaient seulement que leur chef ne s’endorme pour revenir rôder au sous-sol. La présence inhabituelle d’une femme en leur planque les rendait infâmes, voire imprudents. Même l’arrivée du crépuscule ne parvint pas à leur faire oublier la jeune rousse à la peau satinée qui attendait sagement les cuisses ouvertes dans leurs fantasmes les plus fous.
Le crépuscule. Ambre le sentit venir, même si aucune fenêtre ne permettait d’en apprécier la présence, là où elle était. La bâtisse des brigands se fit silencieuse, très silencieuse, au point qu’on put entendre au-dehors les bruits des criquets s’installer. Mais les criquets se turent bien vite, plongeant la nuit dans une ambiance angoissante. D’autres bruits troublèrent la quiétude de Sarrant. Des grattements. Des seaux renversés. Des coups sourds. Des bruits de pas et de course. Des reniflements, des râles gutturaux. Les fangeux étaient sortis, et visiblement, il n’y en avait pas qu’un.

Dans sa cellule, Ambre avait les yeux ouverts, tétanisée. Elle se sentait prise au piège, littéralement. Si l’une de ces choses parvenait à forcer une ouverture… au moins les bandits ne pourraient plus jamais la toucher, mais alors ils mourraient dévorés. Ou mourraient de faim, enfermés dans des cellules dont les clés étaient perdues quelque part dans le gosier de ces choses.
La comtesse n’était pas habituée à les entendre. Sur l’Esplanade, le manoir était assez haut et éloigné des remparts de la basse-ville pour que leurs grattements et leurs coups contre les murs ne se répercutent jusqu’à eux. Le ressac de la mer berçait les oreilles des nobles plus que les gargouillements des fangeux. Ici, Ambre entendait tout. Ces choses puaient la mort jusque-là. Ils grattaient, traquaient des proies potentielles. Et bientôt, il fut certain qu’ils les avaient trouvées.

Un coup sourd retentit contre la porte d’entrée de la planque des bandits. Un coup étouffé mais qui retentit jusqu’au sous-sol, se répercutant sur les murs humides. Chris et Raël, qui étaient actuellement chargés de la surveillance des prisonniers, se redressèrent d’un bond sur leur chaise, relevant le menton vers l’étage. Un autre coup sourd retentit.

- Tout a bien été barricadé, hein ?

- Ouais, répondit Raël. Tout, même les fenêtres aux étages et les faiblesses possibles dans le toit. On n’a pas lésiné.

Malgré tout, les hommes n’étaient pas complètement sereins. Le ou les fangeux qui s’acharnaient, frappaient, grattaient contre la porte leur soulevaient des frissons le long de l’échine. Ils étaient de sales connards, mais ils n’ignoraient pour autant pas la peur. Et ces créatures étaient tout à fait aptes à déchaîner leur côté le plus froussard. Devant l’insistance des bêtes dehors, il était clair qu’elles avaient senti une présence humaine. Pour la première fois depuis des semaines qu’ils vivaient ici.

- A peine le crépuscule et ça commence comme ça… murmura Chris, peu à l’aise. ‘Va falloir faire gaffe, s’ils s’acharnent pendant des heures, même malgré les renforcements…

Un hurlement à en glacer les tripes retentit dehors, hurlement mélange de rage et de frustration. Les fangeux n’aimaient visiblement pas ne pas parvenir à pénétrer la bâtisse. Raël grinça des dents, dardant son regard sur Ambre.

- C’est sa faute. Elle a beuglé comme une truie la moitié de l’après-midi. Maintenant ils doivent sentir son sang.

Incapable de ressentir des remords et d’admettre que c’était plutôt la faute à leurs actions si le danger mortel des fangeux s’était fait plus présent, l’homme resta bloqué sur la comtesse, poings serrés.
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Morion de VentfroidComte
Morion de Ventfroid



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MessageSujet: Re: De Rikni le coeur du sang félon nourriras [Morion & Ambre de Ventfroid] [Terminé]   De Rikni le coeur du sang félon nourriras [Morion & Ambre de Ventfroid] [Terminé] EmptyDim 20 Nov 2016 - 4:42
Il avait sincèrement mal pour elle, en la voyant se contorsionner, malgré la douleur, pour augmenter l’écart entre eux. Physiquement, d’une part. Son tourment il l’avait connu, avec une couche de crasse en moins certes, mais pendant de nombreuses années. Et il savait pertinemment, que même si par miracle ils réussissaient à s’évader le lendemain, sans se faire capturer à nouveau, les choses n’iraient pas mieux avant longtemps. Douze ans après la fin de son “traitement de choc” dispensé par son paternel, il souffrait encore régulièrement. L’abus des coups jouait beaucoup, mais s’en remettre, à plus forte raison dans ce genre de conditions d’hygiène déplorables, prendrait un temps considérable, il était inutile de le nier. Le sang allait finir par complètement cesser de couler, mais cela ne se ferait pas sans mal. Chaque mouvement, qu’il fusse de son fait ou du leur, s’il était forcé, brusque, et surtout, dans un intervalle trop court, ce qui serait très certainement le cas rouvrirait les meurtrissures. Il l’avait expérimenté à de nombreuses reprises. Même une sortie de lit précautionneuse pouvait ainsi rouvrir les flots sanguins et brûler le dos une nouvelle fois. Viendrait ensuite la longue cicatrisation. Plus tard, même aidée par des onguents et cataplasmes, elle serait difficile à supporter. Les prurits (:v) provoqués par la reconstitution des chairs seraient… sévères. Et forcément, hors de question d’y toucher. Et une fois cela fait, les élancements continueraient, pendant longtemps. Sur une durée impossible à déterminer.

Morion se demandait, à cet instant, dans un éclair de curiosité macabre, si leurs tortionnaires savaient seulement quels étaient les maux que pouvaient causer un simple fouet. L’avaient-ils seulement expérimentés eux-mêmes, avant d’en venir à l’utiliser contre des personnes innocentes ? Il refoula brutalement l’éclair de rage qui le traversa lorsque les images fugaces, et néanmoins cinglantes, des coups de fouet s’abattant sur Ambre lui traversèrent l’esprit. Que vienne rapidement le temps où il pourrait la venger. Il se fichait de rester une semaine enfermé, brutalisé, tant qu’il pouvait à la fin de tout cela leur faire payer au centuple, et plus encore même, les tourments infligés. Ils mettraient du temps à mourir, voilà une chose qu’il pouvait certifier. Il avait soigneusement gravé dans son esprit le visage d’Euverne, Chris, Raël. Ces trois-là… Il s’en occuperait avec un soin des plus particuliers. Les autres seraient, pour l’heure, purement et simplement massacrés. Si en revanche ils s’adonnaient aux mêmes plaisirs pervers que leurs compagnons…

Il ferma les yeux, un long moment, se laissant totalement absorber par l’obscurité bienvenue que lui offraient ses paupières désormais closes. Son souffle ralentit. Il ressentait de forts élancements au niveau des côtes, le pied de Chris s’étant montré particulièrement violent et précis en terme de frappes. Son visage était complètement engourdi, dissimulant une douleur sourde, bien que largement supportable à cet instant. Dérangeante, étourdissante, au maximum. Il écoutait, du peu qu’il pouvait en entendre, en tout cas, entre les craquements du palier supérieur, les grincements réguliers de l’armure de Talen, qui commençait, malgré tout, à prendre l’humidité, la respiration de sa femme. Il ne craignait pas pour sa vie. Pas encore. Mais, dans un élan masochisme, visant à alimenter sa soif de vengeance et sa colère, il guettait chaque irrégularité, chaque plainte étouffée, même la plus faible. C’était tout ce qu’il pouvait faire, là, immédiatement. Parler n’aurait aucun effet, si ce n’était attirer le courroux ou de nouvelles brimades des oiseleurs de malheur ci-haut. Cette attente était bien moins supportable que les moments où on lui distribuait joyeusement des coups. Tandis qu’une part de lui essayait de se détacher du lieu sordide, d’anticiper la nuit, et surtout le lendemain, l’autre restait tout proche de sa femme, tout du moins, aussi proche qu’il lui était possible de l’être. Il haïssait son impuissance notoire à faire quoi que ce soit pour alléger son tourment. Il restait logique; quand bien même eût-il les mains libres, il n’aurait rien pu faire. Entre la faiblesse actuelle de sa femme et son état, il n’aurait même pas pu la toucher. La déplacer, encore moins. Tout au plus aurait-il pu lui murmurer quelques paroles de réconfort. Et bien que futiles, elles lui étaient même là interdites. Ça rôdait, là haut. Ça surveillait. La plupart d’entre eux étaient très contents de leur prise, et suffisamment arrogants, voire stupide, pour se penser éminemment supérieurs. Et dans les faits, il était difficile de leur donner tort, il était vrai. Malmenés, solidement attachés, et pour ne rien arranger, coincés derrières de solides grilles d’acier. L’on pouvait sans peine douter de toute capacité des captifs à s’enfuir.

Ce qui n’était pas le cas de ceux qui avaient un minimum de jugeote. Henri, par exemple, qui devait fort bien se douter que Morion ne resterait inactif que parce qu’il y était obligé, et que là, dans l’immédiat, c’était stupide de sa part de tenter quoi que ce soit. Mais la moindre occasion leur serait fatale. Le comte réfléchissait avec une froide ardeur à toutes les situations qui pourraient se présenter à eux, et qui comportaient un risque de mort, à défaut d’être nul, au moins acceptable. Et il y en avait peu. S’ils sortaient cette nuit, ils étaient morts. Les bandits n’auraient rien à faire, simplement les laisser se jeter eux-mêmes dans la gueule du fléau.
Ce que Morion craignait vraiment, c’était que l’un d’entre eux se rende compte d’à quel point l’état d’Ambre était grave et restrictif pour tout déplacement envisagé. Même remonter au rez-de-chaussée était inconcevable, à l’heure actuelle. Et cela serait à peine mieux le lendemain matin.

Il serra les dents. Quoi qu’il envisageât, dans ses ébauches d’équations et de plans d’action, sa femme aurait à souffrir plus encore. Il adressa, muet, de nombreuses imprécations à l’encontre de ces salopards, mots qu’il n’aurait probablement jamais osé prononcer à voix haute tant ils frôlaient l’impiété. Un frisson désagréable électrisa son échine, de la plus mauvaise des façon. L’un de ses souvenirs de maltraitance s’était odieusement mélangé à la scène qui s’était déroulée plus tôt. Les mêmes coups, le même air fat sur le visage de Chris, distribuant avec la même violence perverse les taillades de cuir sur le dos d’Ambre. Et tandis qu’elle hurlait, hurlait encore, ses propres stigmates ouvraient à nouveau un flot carmin à l’air vicié de la prison. Chaque coup trouvait un écho physique en lui, un écho si fort qu’il lui cisaillait tout autant les chairs qu’elle.
Il ouvrit les yeux, quelques secondes, son souffle s’étant accéléré sensiblement lorsque la vision avait chu devant ses yeux. Le temps de se convaincre de sa fausseté, de reprendre une goulée d’air terreux et humide. La brutalité d’un tel fantasme l’écoeura. Il bougea légèrement contre le mur, chassant les picotements qui avaient commencé à longer les chairs pâlies par le fouet. Plus jamais. Ni pour lui, ni pour elle. Et il n’aurait jamais dû avoir à les mentionner tous deux dans cette pensée. Jamais.

Leur moment de tranquillité relative fut cependant d’une assez courte durée. La vingtaine de minutes qui s’écoula fut… stagnante. Les yeux mi-clos, son regard terne évoluait dans la cellule, ignorant presque tout ce qui l’entourait. Il passait, distrait, sur le relief des pierres les entourant, s’abîmait dans la contemplation des grilles. Il en suivait le tracé, un moment, relevait par réflexe les tâches de rouille, les nombreuses rayures qui perturbaient l’harmonie relative du fer. Il s’arrêtait sur un rivet moins bien fixé que les autres, faisait le tour de son aspect biscornu. Et finissait par lâcher la quadrature d’acier pour laisser ses prunelles, comme attirées par un aimant, s’en retourner vers sa femme, qu’il observait de longues secondes, presque sans la voir, au travers des grilles. La lumière allait déclinant, les torches ne dispensant qu’un éclat distordu que les faibles lueurs en provenance de l’étage, par la cage d’escalier, ne rehaussaient plus depuis longtemps. Mais il percevait aisément les éclats sombres et tranchants, contrastant avec sa peau si peu de temps auparavant si lisse et douce, des plaies encore ouvertes. Il voyait les coulées de sang, et même les boursouflures des chairs autour des lacérations. Hypnotisé, l’estomac pris dans un étau, il suivait le tracé laissé par le cuir. Les lésions s’entre croisaient, parcouraient toute la surface de la peau. Une profonde amertume le prit, tandis qu’il poursuivait sa course lugubre dans son dos. Ceci n’était que la face visible du traumatisme. Ils lui avaient brisé sa femme. Ils la lui avaient brisée. Son souffle se bloqua un instant, le temps que la déferlante qui s’abattit, un mélange mauvais de fureur, de tristesse, et d’angoisse reflue.

C’est le moment que choisit Henri pour pénétrer dans les geôles. Alors c’était lui, leur chef. Morion darda, brutalement de retour à la réalité, un regard mauvais sur le personnage dont les hommes avaient perpétré l’irréparable. Il le jaugea intégralement, ne laissant aucun détail lui échapper. Pour ceux qui étaient à sa portée. C’était visiblement le seul qui avait eu la présence d’esprit de se rendre compte qu’ils avaient fait une bourde monstrueuse. Dont lui-même ne connaissait probablement pas l’étendue, tout compte fait. Ils n’avaient jamais vu un Ventfroid en colère. Encore moins lorsque celui-ci était motivé par la haine. Morion se dit avec un cruel sentiment de satisfaction qu’il le découvrirait tôt ou tard.

Quand il pénétra dans la cage, Morion se releva gauchement, prestement, un grognement furieux raclant sa gorge. N’allaient-ils donc jamais la laisser tranquille ? Après la gueulante poussée plus tôt, il comptait finalement prendre sa part du butin, lui qui avait le pouvoir de s’isoler de ses hommes si l’envie lui en prenait ? Morion appuya son front contre le métal froid et moite. L’avertissement, qui se voulait rassurant l’on suppose, d’Henri, mit l’ire de Morion temporairement en suspens. Il l’observait comme un fauve jauge sa proie, suivait ses mains, guettait l’expression de son visage, cherchait tout indice pouvant trahir les mauvaises intentions du chef de la harde. Il ne trouva rien. Sans se départir de sa vigilance, il attendit. Encore, et encore, pendant que ses mains indignes s’affairaient sur le corps de son épouse. L’envie de franchir ces maudits barreaux lui tordait sérieusement les boyaux, mais il se força à ne rien faire, ne rien dire. Il était un homme intelligent. En tout cas plus que ses hommes. Des moyens de pression, il pourrait en trouver beaucoup plus. Et surtout… Ambre était à sa totale merci.

La surprise provoquée par la question d’Henri provoqua un léger mouvement de recul, chez lui. Il ne s’y attendait pas. Il resta ainsi quelques secondes, l’esprit flottant entre ciel et terre, avant que son visage ne se ferme à nouveau à toute émotion, exceptée la violence. Depuis suffisamment longtemps pour que tu le remarques, chiure de fangeux.. Mots qui restèrent, fort heureusement, bloqués dans sa gorge. La vue de l’homme calme, dénué d’intention obscène, pour le moment en tout cas, n’était en aucun cas motif à soulagement. Tous étaient coupables. Même lui, qui avait été absent. Il le haïssait, aussi sûrement qu’il haïssait Chris, Raël, et toute cette horde d’animaux dont les patronymes ne servaient qu’à marquer pour Morion une manière différente de les tuer. Ils n’avaient pas plus d’identité que des animaux. Quand Henri, après avoir couvert sa femme, s’apprêta à partir, la voix rauque et éraillée du comte, par un manque de salive et un silence trop long, s’éleva, faible, mais perceptible. «Avant les premiers bourgeons.»

Il avait gardé les yeux fixés sur son épouse, en disant cela. Il craignait sérieusement pour la vie de son enfant, en faire mention avait rendu ce fait visible, l’espace d’un instant. Il se demanda l’espace d’un instant à quel point ces hommes avaient perdu foi, pour anéantir une vie qui n’avait même pas eu le temps de se concrétiser. Quels risques ils étaient prêts à encourir pour satisfaire leurs pulsions les plus sauvages. Ses sourcils se froncèrent, et son regard fusa une dernière fois vers Henri, avant qu’il ne quitte définitivement la pièce.


«Gageons surtout que vos jambes fonctionnent mieux que votre esprit. Les Ventfroid feront brûler tout le duché, s’il le faut.»

Et la menace n’était qu’à peine exagérée. Ce n’était pas lui, qui était aux commandes, cette fois. C’était Estrée. Et contrairement à lui, elle, pouvait se montrer d’une rare violence dans ses décisions.

---

Au domaine.


La situation était clairement désastreuse. Estrée ne tenait pas en place, et maintenant, même Marianne, qui avait pourtant tout fait pour apaiser le tourment de sa soeur, arguant que le retard de Morion était naturel, justifiable, se retrouvait à court d’arguments. Toutes les missives qui étaient parties du château, à l’attention de leurs hommes, de miliciens, de dignitaires, de toute personne susceptible d’être entrée en contact avec le comte étaient revenues vide de toute confirmation. Et du temps avait passé. Trop de temps. Dans le doute, ils avaient même fait envoyer une missive au manoir. Morion avait peut-être oublié quelque chose, ils avaient peut-être été contraint à un retour brutal. Mais non. Herbert, paniqué par les suppositions d’Estrée, leur avait immédiatement, quémandant l’aide de tous les domestiques, pour griffonner d’une patte désordonnée, chaotique, dysorthographique à en saigner les yeux, qu’il n’avait, lui non plus, eu aucune nouvelle depuis le départ du comte.

Il faisait nuit, désormais. Au bas du château, comme tous les soirs, de nombreux feux brûlaient entre les baraquements. De nombreuses torches étaient plantées à intervalles réguliers dans l’espace qui séparait la bâtisse massive des grilles entourant l’enceinte intérieure du domaine. Une myriade d’éclats orangés qui scintillaient, des fanions dans la tempêtes pour les avertir de la présence d’intrus, et surtout, de fangeux. On pouvait les entendre à l’extérieur, mugissant, grognant, se massant sous le couvert des arbres. Tous les réfugiés, les chevaliers étaient massés, eux, aux pieds des épais murs du castel. Ils se rassemblaient autour des brasiers, échangeaient sur leur journée, plaisantaient, consommaient leurs rations. Il régnait une excellente ambiance, là, en bas. Au contraire de l’esprit martial et froid qui avait gagné le bureau de Morion, et ne l’avait plus quitté. Edric, Marianne et Estrée étaient tous trois autour du meuble de bois, sur lequel avaient été disposées toutes les cartes du Duché qu’ils avaient pu trouver, la plupart annotées par le comte lui-même.

«Morion et Talen se sont forcément arrêtés à Sarrant. Ambre est avec eux, et il est très peu probable qu’il ait tenté une chevauchée d’une traite.. Son cheval ne l’aurait pas supporté. Estrée fronça les sourcils, ses yeux fixés sur l’icône représentant la ville fantôme. Les brigands ne sont pas rares, là-bas. Les bâtisses abandonnées offrent des dizaines et des dizaines de cachettes. C’est sur la route du plateau, presque tous les convois passent par là. C’est proche des marais, qui offrent une voie de repli pour les plus fous.»

Edric hocha la tête, tout à fait d’accord avec Estrée. Néanmoins, des réserves s’imposaient à lui. Sur le terrain, il y était, il savait que ce serait une recherche au moins difficile. Au pire, infructueuse.

«J’suis d’accord mais… Comme vous l’dites bien. Sarrant c’est un nid à merdes. Vous pouvez vous planquer n’importe où, personne saura jamais où vous êtes. Fouiller toute la ville prendrait un temps fou. Y’a des greniers, des caves, des silos à grain vidés… Faudrait tout raser, si on veut être sûrs de les retrouver.»

Estrée leva un sourcil, visiblement contrariée. Même affaiblie, elle restait autoritaire, et surtout détentrice de tous les pouvoirs, en l’absence de son frère. Elle eut une moue colérique, et darda un regard tranchant sur Erdric. Putain c’qu’elle ressemble à l’autre quand elle fait ça, jura mentalement le chevalier.

«Donc la solution est simple. Vous me retrouverez mon frère, sa femme, et votre frère. Si pour vous, démolir chaque baraque de ce maudit patelin est la seule solution, alors je veux entendre vos coups de masse d’ici. Démolissez-le donc. Mais ramenez-les, tous les trois, et en vie.»

Edric haussa les épaules. Que pouvait-il dire ? Non ? Pas à Estrée. Et au pire… Il poussa un léger soupir, contrit. Quelques masses en plus dans l’équipement ne ralentirait guère la trentaine d’hommes qui viendraient avec eux. Il ne comptait pas démolir sérieusement Sarrant, il fallait être réaliste. Mais si Estrée en envisageait sérieusement la possibilité, cela changeait la donne. Le pire était sûrement qu’il n’hésiterait pas à le faire. Marianne surprit d’ailleurs la moue d’Edric, et souhaitant ralentir les ardeurs démesurées de tout un chacun, pointa du doigt un vieux plan de la ville. Il datait beaucoup, même eux avaient eu du mal à le retrouver dans leurs archives.

«Avant d’envisager de raser une ville entière…
Marianne haussa légèrement la voix, redressant les épaules lorsque le regard de sa soeur, tyrannique et quelque peu enfiévrée, et celui d’Edric, aussi inquiet qu’agacé par cette situation, se posèrent sur elle. Si Morion s’est arrêté à Sarrant, c’est avant tout pour les montures. Il a dû les faire boire, forcément, et le meilleur endroit pour cela… c’est un puits. Ici… Ici, et là. Elle pointa successivement les trois endroits où il y en avait. Le temps a été clément. Vos hommes trouveront peut-être des traces à proximité des points d’eau, messire Edric.»

Il entrouvrit les lèvres, un peu surpris. Diantre, c’est vrai q’elle en avait un paquet dans la caboche, celle-là. Son mutisme et sa timidité avaient tôt fait de vous le faire oublier. Il se mordit la lèvre inférieure, hésitant, puis finit par hocher la tête gravement.

«La petite a raison. Je diviserai mon bataillon en escouades de dix hommes. On pourra plus rapidement trouver des traces. On le retrouvera, m’dame Estrée. Soyez confiante. Et je prendrai quelques masses, dans le doute.»

La légèreté de la dernière phrase d’Edric ne choqua personne. Il était le premier à plaisanter lorsque la situation se faisait urgente. Personne n’y rit, cette fois, mais elle détendit quelque peu les traits crispées des deux soeurs Ventfroid, pour qui la tension était à son comble. Elle s’exprima d’ailleurs quelques minutes plus tard, quand Edric, cartes en main, était redescendu pour briefer ses hommes sur le sauvetage qui se profilait.

«Estrée, je t’en prie, il faut que tu te détendes, que tu fasses confiance à Edric. Je te rappelle que son frère est lui aussi porté disparu avec Morion. Il joue au lourdaud mais il ravagerait le duché tout entier pour lui, et tu le sais. Toi, tu n’es pas en état de te faire un tel sang d’encre. Sois raisonnable.»

Estrée ne répondit pas immédiatement. Coincé dans les ailes isolées du château, bâti sur un à-pic rocheux, le bureau de Morion possédait deux larges fenêtres donnant droit sur la mer. C’est là que regardait Marianne. La mer était plate, silencieuse, n’émettant par ses vagues éclatées sur les rochers en contrebas qu’une faible respiration iodée, dont les effluves remontaient jusqu’à la fenêtre, que l’aînée Ventfroid avait ouverte.

«Morion est le dernier homme Ventfroid encore vivant à ce jour. Il n’a pas encore d’héritier. Pis, sa femme, qui le porte en elle, est avec lui. S’il disparaît, c’est notre nom qui disparaît avec lui. Elle poussa un long soupir, et tourna un regard morne vers Marianne. Et penses-tu que les Mirail pardonneront la perte de leur fille aînée alors que c’est Morion qui l’a entraînée dans tout cela ? Elle se détourna d’elle, retournant à la contemplation de l’étendue aqueuse aux couleurs d’encre. J’en doute. Ils sont peut-être bons, mais je ne pense pas que l’étiquette de doux rêveurs qui leur était volontiers attribuée soit toujours de mise si un membre aussi important de leur famille venait à disparaître.»

Elle ferma les yeux un petit moment, lasse. «Nous devons les retrouver coûte que coûte. Il n’y a aucune autre option. Laisse-moi désormais, petite soeur. Il faut que je dorme.»

---

A Sarrant.

Talen et Morion guettaient tous deux chaque bruit en provenance de l’extérieur. Ils étaient tous deux, surtout Morion, assez familiers de ces bêtes. Même s’il ressentit un très désagréable picotement dans la jambe, lorsqu’il se remémora ses déboires avec eux, il était capable de mettre facilement sa crainte évidente de ces créatures, pour étudier leur nombre éventuel, définir leur position. Quand ils devinrent plus actif, il se mit à réfléchir, sans mot dire. Ils n’étaient pas seuls, ici. Chris et Raël, s’ils portaient, une fois encore, leur attention sur Ambre avant que les fangeux ne se manifestent plus concrètement, pouvaient toujours l’entendre.

Le regard de Morion quitta le plafond et les murs pour venir s’abattre sur les deux brigands, visiblement inquiets. Et ils avaient de quoi. Si l’une de ces bêtes seulement pénétrait les lieux, ils avaient toutes les chances d’y passer. Néanmoins… le regain de vivacité du comte aurait également dû les inquiéter. Il se redressa légèrement, sur ses genoux, observant tour à tour Talen, les grilles, les brigands, et enfin, sa femme. Il s’appuya une fois d’abord, de tout son poids, sur la grille mitoyenne à la cellule de son épouse. Rien ne bougea, évidemment. Ses yeux descendirent au sol, pour y jauger des qualités des fixations. Solides.

Par petits mouvements, il se décala, quittant la proximité de sa femme, pour se rapprocher de Talen. Il l’avait ignoré toute la journée ou presque. Il ne voulait entendre ni excuses de sa part, ni discours moralisateur. Talen était un des rares hommes, sinon le seul, à pouvoir cerner les humeurs de Morion rapidement, et souvent avec justesse. Et le comte était devenu… vil. La douleur qu’ils avaient osé infliger à sa femme, elle l’avait rendu méchant. Au sens le plus pur du terme. Ils me l’ont brisée, une phrase qui avait résonné sans fin dans sa tête, le poussant aux confins de la rage, à la limite, très ténue, qu’elle tenait avec la folie vengeresse.

Quelques mots, discrets, passèrent. De brefs murmures. Des idées, soufflées entre deux craquements sonores, deux accalmies entre les coups sauvages distribués contre les portes. A la faveur d’un hurlement. Le regard de Talen brilla. Non de satisfaction, mais d’effroi. L’idée de Morion ne lui plaisait pas du tout. Tout comme le fait de ne point avoir le choix. Le comte se leva, doucement,et se rapprocha de l’entrée de sa cellule, fixant les deux infects gardes dont ils avaient hérité.

«Vous connaissez bien ces sales bêtes, n’est-il pas ? Il leva les yeux vers le plafond. Son teint blafard, bleui et violacé en plusieurs endroits, lui donnaient un aspect aussi laid qu’inquiétant. Ces geôles m’ont l’air solides. Les portes faites de bois, résisteraient-elles, par contre, à la fureur d’un ou plusieurs fangeux ? Si nous les énervions encore plus, pour voir ?»

Le ton sifflant de Morion fut suffisant pour les alerter quelques secondes, et il put constater, avec une immense satisfaction, leur incompréhension.

Clong.

Le premier bruit résonna avec brutalité, suivi d’un léger écho, dans la pièce.

Clong.

Le deuxième, plus fort encore, s’abattit une nouvelle fois, cette fois suivi par un cri guttural qui n’avait rien d’humain, et des grattements proches d’eux, au niveau du mur.

Clong.

Les bruits s’enchaînaient. Talen, ordonné par Morion, s’était rapproché de la grille d’entrée. Et prenant l’élan nécessaire avec sa jambe, envoyait cogner son soleret contre le métal, provoquant un bruit désagréable. Vraiment désagréable. Et pas que pour eux. Dehors, les échos étaient perçus. Et ils réagissaient. Les coups redoublèrent d’intensité, de toutes parts.

«Qu’allez-vous faire, s’interrogea Morion, dont le sourire cruel finissait de parachever son aspect malsain, nous arrêter, ou aller aider vos camarades, qui risquent d’avoir besoin d’aide ? La nuit va être longue. Surtout pour vous.»
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Ambre de VentfroidFondatrice
Ambre de Ventfroid



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MessageSujet: Re: De Rikni le coeur du sang félon nourriras [Morion & Ambre de Ventfroid] [Terminé]   De Rikni le coeur du sang félon nourriras [Morion & Ambre de Ventfroid] [Terminé] EmptySam 26 Nov 2016 - 20:24
Ambre tremblait dans sa cellule, sous le doux tissu de sa cape, qui était parvenu à la réchauffer un peu. Mais le froid l’avait reprise, et avec lui, l’effroi commençait à s’installer. La comtesse ne réussissait plus à rester enfermée dans son monde hébété, son esprit à moitié absent, déconnecté pour oublier la douleur. Non, il avait décidé de redevenir aussi acéré qu’un rasoir, l’adrénaline commençant doucement à gagner de nouveau sa circulation sanguine et accélérer le rythme de son cœur. La jeune femme avait retrouvé un niveau de conscience satisfaisant, et les informations qui assaillaient ses sens étaient loin, très loin de la rassurer. Elle entendait les monstres dehors, et leur simple présence soulevait une angoisse puissante dans son ventre. La jeune femme sentait la mort organiser son voile tout autour de l’établissement. Cela la terrorisait, tout simplement.

Elle n’était pas une combattante. N’avait jamais tenu une arme ou quoi que ce soit pour se défendre. La réalité de la fange ne la frappait que bien plus désormais qu’elle était en-dehors des remparts de Marbrume, en pleine nuit, à entendre les râles gutturaux de ces ignobles monstres. Pour la première fois de sa vie, Ambre de Ventfroid avait peur de mourir. Les risques étaient décuplés, depuis qu’elle était prisonnière de ces sales chiens de bandits. Et maintenant… son propre époux décuplait les risques, à exciter les bêtes dehors, à leur donner des preuves supplémentaires de leur présence. Grands dieux, mais que faisait-il ? Ambre était figée de frayeur dans sa cellule, recroquevillée dans une position pour éviter le plus possible les douleurs de son dos. Désormais, elle tressaillait à chaque coup d’armure de Talen sur les barreaux, à chaque parole forte de Morion, dont les échos remontaient jusqu’aux oreilles des monstres. Par tous les dieux, comment pouvait-il être sûr qu’ils étaient en sécurité entre ces barreaux ? Un fangeux était un monstre sanguinaire qui ne reculait devant rien dès lors qu’il avait une cible sous le pif. Il suffisait de briser la serrure, ou arracher les gonds des barreaux avec leur force surhumaine…

- Morion…


Ce fut une réelle plainte qui s’échappa des lèvres de la comtesse. Les yeux écarquillés, elle lui demandait d’arrêter. Ses actions la terrifiaient, et elle se crispait chaque fois qu’un coup sourd retentissait sur les grilles. Dehors, les fangeux exultaient. Ils les sentaient, les entendaient. Ils feraient tout pour briser les défenses de cette maison, cette nuit. Durant des heures. Jamais ils n’abandonneraient, pas tant que le soleil ferait son retour. Et encore. Les plus bornés d’entre eux resteraient à l’ombre d’une maison voisine plutôt que se retirer dans les marais, guettant l’occasion, guettant les mouvements et les sorties. Sarrant était un nid mortel. Exciter les fangeux n’était pas une solution viable pour la comtesse. Ça n’était là que l’avis d’une femme qui n’avait aucune expérience dans la guerre et dans la stratégie, mais la peur qui lui tordait les tripes à l’idée que les fangeux pénètrent cette maison, quand bien même ils tueraient leurs geôliers… Non, juste non. Le risque était bien trop grand pour leur vie. Pour celle de leur enfant.

Ambre tira sur ses poignets irrités et ligotés, gémissant de douleur sous ce simple geste. Rester immobile tandis que tout était fait pour que le fléau de ce monde ne s’abatte sur eux… C’était une sensation d’impuissance ignoble. Faible, exténuée, douloureuse, la jeune rousse n’avait même plus la force de servir ses propres intérêts.

Les bandits, eux, par contre… Ils s’étaient redressés de leur siège brusquement, après le bordel organisé par Talen et Morion. Le regard noir, ils s’approchèrent de la cellule des deux hommes, une haine mortelle sur le visage. Ils brûlaient de hurler pour leur demander de se taire, de laisser leur rage les submerger, d’aller tabasser leurs prisonniers. Mais tout cela ne ferait que du bruit supplémentaire. N’attirerait que davantage la mort sur eux tous. Impuissant et en colère, Chris referma sa main sur l’un des barreaux de la grille, serrant à s’en blanchir les phalanges.

- Je vous promets qu’une fois que le problème des fangeux est réglé, vous allez morfler.

Chris, sans plus tergiverser, abandonna la pièce en courant grimper les escaliers et rejoindre les archers à l’étage, qui avaient déjà commencé à lâcher des flèches sur les fangeux amassés contre la porte d’entrée barricadée. Raël, cependant… ne bougea pas. L’envie de tuer Morion était nettement visible sur son visage. Mais il garda un calme olympien. Sortant les clefs de sa poche, il se dirigea vers la cellule d’Ambre – encore – et ouvrit la grille en grand. La respiration de la comtesse s’accéléra tandis qu’elle commençait à paniquer, autant de se savoir la cible de ce pervers que de voir sa cellule grande ouverte alors que des fangeux menaçaient de pénétrer les lieux. Bizarrement, là tout de suite, elle aurait préféré rester hermétiquement enfermée, dans une sécurité somme toute relative, mais un minimum présente. Raël ne rentra pas dans la cellule de la jeune femme, ni ne la menaça physiquement. Il reprit place sur sa chaise à son poste de surveillance, conservant les clefs des cellules sur lui.

- Continue donc, lança-t-il, méchant. Je suis certain que son odeur appétissante embaume les lieux et a déjà atteint leurs narines délicates. D’entre tous, elle sera la première cible avec tout le sang qui brille encore, s’ils parviennent jusqu’ici. Es-tu prêt à risquer la vie de ta femme pour sauver ta peau, Ventfroid ?

Le bandit était fort satisfait. Il ne considérait visiblement pas nécessaire qu’il remonte aider ses camarades, pour l’instant. Ils étaient assez nombreux en haut pour renforcer les barricades et commencer à abattre des fangeux depuis les fenêtres avec des flèches. Surveiller les prisonniers et leurs coups en douce restait essentiel. Quant à la fille, ouvrir sa cellule restait peu risqué, contrairement à ouvrir celle des hommes, qui avaient bien plus les moyens de se défendre et d’attaquer. Ambre de Ventfroid, même sa prison désormais grande ouverte, ne pouvait que rester prostrée au sol dans sa douleur, en plus de faire une piètre combattante. Attendre la mort, voilà tout ce qu’elle était capable de faire.
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