Marbrume


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 Authentique [ Marwen ]

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Elisabeth GardefeuApothicaire
Elisabeth Gardefeu



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MessageSujet: Authentique [ Marwen ]   Authentique [ Marwen ] EmptyLun 14 Nov 2016 - 0:24
La nuit venait à peine de tomber lorsque l'apothicaire souffla la dernière bougie de sa boutique et mit le nez dehors. Habillée d'une discrète robe aux teintes grises que quelques laçages tenaient bien cintrée autour de la taille de leur propriétaire, une grande et unique escarcelle à la ceinture, Elisabeth se faufila sans hésiter à l'extérieur. Le couvre-feu tombait une ou deux heures plus tard, ce qui lui laissait le temps d'aller au point de rendez-vous et de revenir, si tout se passait bien. Il fallait qu'elle se rende dans la Hanse, ce n'était donc qu'une promenade de santé.

Le contrat était très simple : elle devait aller dans le petit entrepôt commerçant d'un gros bourgeois et faire l''authentification de certaines pièces rares. Bien qu’elle ne s’y connaisse pas en antiquités, elle avait en revanche tout le matériel et les qualités requises pour attester de la composition d'un métal rare. Pour faire simple, elle devrait mettre à profit ses connaissances pour prouver que les breloques que le gus lui mettrait entre les mains étaient bien en or et non en cuivre ou en ferraille teintée. C'était facile, rapide et indolore, elle n'avait pas besoin de sombrer dans l'illégalité, juste d'être discrète quant à ses aller-retours et cela ne demandait pas beaucoup de composants pour faire le test. La somme promise était intéressante, suffisamment pour que la demoiselle accepte tout du moins.
Voilà pourquoi elle se retrouvait à gambader dans les rues à une heure assez tardive, tandis que tous les ouvriers du jour se changeaient en ivrogne du soir. Les tavernes commençaient à se remplir, on chantait et on parlait fort pour chasser l'ennui ou la peine. Quelques traînards rentraient chez eux et les derniers commerçants fermaient leur boutique pour la nuit. La jeune femme n'eut aucun mal à se frayer un chemin du Vieux Marché jusqu'aux abords de la Hanse.

Le temps s'était beaucoup radoucit, si bien qu'elle pouvait se contenter de sa robe et de ses jupons, ainsi que d'une longue écharpe qu'elle avait enroulé autour de son cou et passé sur sa tête pour se faire une capuche. Ses cheveux étaient détachés, elle ne voyait aucune raison de devoir les nouer.
Les entrepôts se trouvaient le long d'une petite place où des étals vendaient de tout et de rien, principalement un peu de nourriture ou des bougies, à la sortie de l'hiver. La nuit tombait encore assez vite et les chandeliers devaient brûler plus longtemps, il fallait répondre à la demande. Animée en journée, la place était cependant déserte une fois la nuit venue et l'apothicaire la traversa d'un pas vif pour entrer dans le troisième bâtiment, une haute maison à colombage qui comptait une poulie au premier étage pour hisser les lourds chargements.

Comme prévu, la porte de service était ouverte et Elisabeth pu se glisse sur la pointe des pieds à l'intérieur, loin des regards indiscrets. Aucune lumière n'avait été allumée, mais les volets étaient ouverts et la lumière d'un croissant de lune, certes mince mais trônant dans un ciel parfaitement dégagé, suffisait pour deviner les obstacles qui pouvaient se dessiner devant soi. Discrète comme une ombre, la demoiselle se faufila jusqu'à un empilement de caisse d'où lui provenaient des murmures. Deux silhouettes sombres étaient en train de converser, l'une bedonnante, l'autre plus grande et plus sèche. Il ne faisait pas assez clair pour que l'on puisse distinguer les visages, mais Eli savait que le plus gros était son commanditaire. En revanche, elle ignorait qui était l'autre et l'idée de se retrouver piégée entre deux inconnus ne lui plaisait pas beaucoup. Evidemment, elle ne venait pas totalement désarmée, mais quand elle devait sortir ses aiguilles c'était déjà que quelque chose clochait.
S'annonçant dans un discret froissement de tissu, elle devina que le bourgeois sursauta en se retournant tandis que l'autre ne fit que tourner la tête. D'abord surprit, le commanditaire de cette rencontre soupira de soulagement en reconnaissant la silhouette féminine de celle qu'il avait employé et s'approcha d'elle.

« Enfin, vous voilà ma chère ! Je commençais à me demander si vous avez rencontré des problèmes en chemin, cela aurait été fort fâcheux. »

Sa voix était un chuintement désagréable à entendre et il empestait le parfum de mauvaise facture. Pourtant l'odeur de l’entrepôt évoquait plutôt des essences de bois et de vernis de menuiserie. La jeune femme ne pouvait que deviner vaguement les traits du bonhomme grassouillet mais elle savait qu'elle ne manquait pas grand-chose : il avait le visage flasque et l'allure pâteuse, le nez un peu boursouflé qui trahissait une trop grande consommation de spiritueux.

« À qui le dites-vous. Mais non, il n'y a eu aucun incident majeur. Pouvons-nous procéder rapidement à l'examen ? »
« Ah, oui... Les artefacts. Et bien à ce propos... »

Le type se dandinait à présent dans l'ombre et sous son capuchon improvisé, Elisabeth fronça les sourcils. Ça sentait le coup fourré et ça lui déplaisait très fortement. L'autre continua en essayant de se justifier.

« En vérité je n'ai pas encore les produits en ma possession. Mais ils me seront livrés justement cette nuit, et je me suis dit alors "pourquoi ne pas faire d'une pierre deux coups ?". Voilà pourquoi vous allez accompagner ce sieur jusqu'à l'endroit de la livraison, pour évaluer sur place. Nous gagnerons ainsi du temps si les artefacts sont des faux ! »
« Il n'a jamais été question de me faire courir à travers la ville pour votre commerce illégal ! Est-ce que j'ai l'air d'être une passe-muraille ? Vous avez demandé mes compétences en alchimie, pas en recèle de bibelots ! »
« Allons mon enfant, vous ne craignez absolument rien ! Mon ami ici présent vient de recevoir la promesse d'une récompense supplémentaire pour assurer votre protection, il ne vous arrivera rien. Et je n'accepterais aucun artefact si vous n'êtes pas présente pour me certifier sa valeur. Vous voyez ? Vous ne courrez aucun risque. Ce sera une corse très rapide, vous avez ma parole. N'est-ce pas ? »

Il se tourna vers son autre contact, quêtant un peu de soutient de son côté.
Le cœur de l'apothicaire manqua un battement lorsqu'elle reconnut la personne qui se trouvait là, en face d'elle, depuis le début. Il devait s'agir d'une mauvaise blague...
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Marwen l'EsbigneurContrebandier
Marwen l'Esbigneur



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MessageSujet: Re: Authentique [ Marwen ]   Authentique [ Marwen ] EmptyLun 14 Nov 2016 - 15:37
Quartier de la Hanse, un entrepôt comme un autre. Ou presque, détailla l’Esbigneur. Celui-ci avait l’avantage d’avoir encore ses lourdes portes ferraillées, contrairement à celles de ses homologues qui béaient sur un grand trou noirâtre. Les temps étaient durs, et, avec eux, les ambitions et la témérité des gredins n’avaient cessé d’augmenter, atteignant des sommets d’efficacité ou de brutalité. Plus d’un marchand n’avait fait florès que pour voir l’intégralité de ses possessions disparaître du jour au lendemain, devant dès lors mettre la clef sous la porte et s’en aller vivre dans la rue, comme tous ces moins que rien qu’il avait moqués du haut de sa richesse. Lui-même avait écarté quelques barreaux de fenêtres fortifiées pour se glisser dans ces bâtiments recelant de mille merveilles, et il n’était jamais trop tard pour partir en exploration tout en profitant d’une mission que l’on venait tout juste de lui confier. Se rendre dans une cache pour constater ou non de l’arrivée d’une dernière commande.

Rien de plus simple pour lui, qui connaissait toutes les ficelles du métier, ou presque, et qui avait la fâcheuse habitude de se glisser dans les endroits les plus perdus de Marbrume afin d’éviter la garde lorsque tombait le couvre-feu. Voyager de cache en cache, emprunter de sombres venelles et des passages souterrains pour se rendre d’un point A à un point B, il le faisait quotidiennement. Dès lors, que Marwen pût le faire de nouveau pour une petite somme d’argent, et le voilà qui accourrait prestement.

L’entrepôt, lieu de rendez-vous avec le noble ou bourgeois qui l’avait convié à cet abouchement, exhalait des fragrances bucoliques et champêtres, et une once de quelque chose de plus… Particulier. Caustique, capiteux, mais somme toute pas si désagréable au nez. Marwen ne put retenir un petit sifflement admiratif en découvrant ce qu’abritait l’édifice. Plusieurs piles de bois s’amoncelaient contre un des murs, fraîchement coupées, et les troncs s’étalaient de toute leur longueur, occupant l’espace. L’Esbigneur, comme un loup entré dans la bergerie, marchait tel un prince au milieu de tout cela, caressant d’une main légère ces longs rondins, portant ses doigts à son nez, sentant cette odeur que l’on avait eu tendance à oublier. Il fit même couler de la sciure entre ses doigts, comme un enfant émerveillé. C’était que le bois, en ces jours, coûtait extrêmement cher, du fait de sa rareté. Il n’y avait plus véritablement d’arbres dans Marbrume, et si les marécages aux alentours regorgeaient de ces précieuses futaies, c’était sans compter la présence des fangeux qui venait corser le tout. Rares étaient les bûcherons qui osaient sortir en dehors des murailles, et les lourds tombereaux nécessaires au transport des arbres abattus ne ralentissaient que trop dangereusement le convoi en cas d’attaque. Et puis figuraient quelques meubles çà et là, de l’ébène, du chêne, de l’hêtre… Une véritable petite fortune.

Mais Marwen fut rapidement interrompu par son mécène qui vint le rejoindre en le voyant arriver. Un type bedonnant, faussement affable et enjoué, quoique l’appréhension et l’incertitude trahissaient quelque peu au travers de son expression. Des types de la haute qui frayaient avec le vulgum pecus, Marwen en connaissait bien trop, et tous, pour une raison ou pour une autre, se comportaient de la même façon, totalement en dehors de leur attitude habituelle. Il y avait un brin de vanité et de compassion, une volonté de jaspiner simplement pour ménager ceux que la nature avait moins gâtés qu’eux. Cela ne l’empêcha pas de causer avec le gus, quelque peu, parlant du contrat, de l’objet de la mission, de la localisation, et de la somme promise. L’Esbigneur, fidèle à lui-même, en profita également pour se renseigner sur l’entrepôt et connaître les habitudes de son propriétaire. Peut-être lui rendrait-il une petite visite un jour ou l’autre, mais dans un cadre beaucoup moins formel et annoncé.

Mais voilà que sa mission s’annonçait légèrement différente de celle pour laquelle il avait été mandaté. Le mondain lui expliqua que, en sus de se rendre sur les lieux de contrebande, l’Esbigneur devait accompagner une certaine personne pour des raisons qui lui seraient communiquées plus tard. Il fleura l’entourloupe, et fronça les sourcils en mirant son vis-à-vis. Ce n’était pas tout à fait cela, l’idée de base.

« Ce n’est pas que ça me fait chier, mais un peu quand même, en fait. Je n’ai pas l’habitude que de travailler à plusieurs, je suis plutôt du genre solitaire pour ce type de mission. Au pire je laisse un gus sur le tas, pour ouvrir une porte ou un passage restreint, mais je préfère stipendier un milicien ou une connerie du genre. Ce qui n’est aucunement notre cas, n’est-ce pas ? »

Mais le bougre avait de la réserve, autant dans ses explications que dans la somme qu’il pouvait allonger pour convaincre Marwen. Et ce fut surtout ce dernier point qui acheva de le rallier à sa cause. Le fait de se taper un traînard dans les pattes, pour des raisons qui ne le concernaient pas véritablement, l’emmerdait pas mal, mais si son mal pouvait être allégé par quelques espèces sonnantes et trébuchantes, alors pouvait-il se contenter d’une petite grimace de circonstance, tout de même, de souffler, fallait pas déconner, et de terminer par accepter, presque de mauvais gré.

Ce fut sur ces entrefaites que le gus que devait escorter Marwen arriva à son tour, derrière cet amas de caisses propice à tout patricotage. Le commanditaire de cette petite opération se tourna vers lui, et les mots qu’il choisit s’adressèrent davantage à une femme qu’à un homme, ce qui ne manqua pas de faire grogner le contrebandier. Encore une foutue grognasse que l’on venait lui fourrer dans les pattes, qui allait se plaindre continuellement, qui gémirait à la moindre difficulté, qui rechignerait à tremper les pieds dans l’autre. Bref, le genre de bonne femme que l’on rencontrait quotidiennement dans la capitale mais que, eu égard à leur nature, l’on ne pouvait changer. Et peut-être qu’il s’agissait là d’une bonne chose, en fin de compte. Qu’elles commencent à s’évaltonner un peu, et ça ne tarderait pas à être la merde.

Mais quelque chose lui traversa l’esprit lorsque la nouvelle venue se mit à répondre. Un mauvais pressentiment, une influence néfaste qui lui pesèrent sur la conscience comme sur les épaules. De nouveau, l’Esbigneur fronça les sourcils, mais plus du tout pour les mêmes raisons. Il en profita tout de même pour grappiller quelques informations sur ce qu’il ne connaissait pas encore. Ainsi donc, la bougresse devait être présente sur les lieux afin d’examiner… La marchandise refourguée en contrebande, assurément. Faisant l’inventaire de toutes les donzelles, vieilles ou jeunes, qu’il avait en répertoire dans son esprit, il n’en vit pas une qui pût s’apparenter de près ou de loin à son activité. Marwen ne tarda pas à se retrouver en écoutant la femme ; il semblait que, elle aussi, n’avait pas tout à fait été mis au jus de ce qui se tramait ici-bas. Le mondain avait pour lui quelques réserves à avouer la totalité de ses objectifs, dispensant avec trop de soin et de précautions de menus détails qui pouvaient faire toute la différence. Pourquoi diable tant de cachotteries ? L’on n’était jamais trop prudent, certes, mais tout de même.

Cela dit, l’étrange sentiment qui l’avait envahi jusque-là se propagea plus encore dans son corps et son âme lorsqu’il écouta l’experte en il ne savait quoi riposter. Il blêmit instantanément, et son regard alla même jusqu’à mirer les sources de lumière afin de vérifier qu’il demeurait bien dans l’ombre. Cette façon de répondre et de se comporter, cette attitude bravache et endêvée, sévère, austère, cette manière de s’emporter de la sorte, et, surtout cette voix… ! Après avoir blêmi, il se décomposa tout simplement.

Le richard s’était tourné vers l’Esbigneur, quêtant du soutien, mais celui-ci n’avait aucunement prêté attention à ce qu’il venait de dire pour se justifier. Les yeux acier du contrebandier s’étaient rivés sur ce visage dissimulé par une longue écharpe ou quelque cache-nez, dans un souci de discrétion ou d’anonymat. Il se pouvait qu’il se trompât, mais, définitivement, il lui fallait en avoir le cœur net. Tant pis pour l’entregent, la courtoisie ou ces autres conneries, même s’il s’agissait, potentiellement d’une simple inconnue dont il venait tout juste de faire la rencontre, et ce geste ne laisserait assurément pas une première impression positive. Mais en comparaison de ce qu’il redoutait, ce n’était pas grand-chose. Ayant repris ses esprits, bien que difficilement, il s’approcha de la nouvelle venue avec un air de détermination ancré sur le visage et, allant droit au but, arracha, quoique la mort dans l’âme, le foulard qui lui masquait les traits. Il retint de justesse un juron.

La sorcière. Elisabeth. Forcément, putain, forcément. Il devait s’agir d’une mauvaise blague.Il recula prestement, comme si ce simple contact lui avait filé la lèpre, comme s’il venait de poser la main sur un tison brûlant.

« Fallait que je sache. Tu sais bien qu’il fallait que je sache », lui balança-t-il afin de s’expliquer. En vérité, cela sonnait surtout comme une excuse. Il en était presque contraint ; après ce qu’ils avaient tous les deux vécu et traversé, elle ne manquerait pas d’en prendre ombrage, et s’ils étaient vraiment forcés de s’allier pour cette excursion vespérale, alors autant éviter d’envenimer la situation dès le départ. Voilà qui était plus facile à dire qu’à faire. Une bonne femme, oui, effectivement. Mais il aurait dix fois préféré celles auxquelles il avait pensé.

Marwen se remembrait cette fois-là où il s’était éclipsé de la boutique où il avait passé deux jours, où Elisabeth l’avait soigné. La façon dont ils s’étaient séparés, aucunement en bon terme. A vrai dire, pour le contrebandier, c’était pire que cela. C’était comme un membre que l’on avait tranché à moitié et que l’on avait abandonné là, totalement en plan, laissant la nature et le temps le rafistoler, plutôt de le de confier aux bons soins d’une main humaine. Cette séparation n’avait pas été faite comme il se fallait, comme s’il avait manqué quelque chose, une parole, un geste. Et il avait eu l’intention de consoler, peut-être, la sorcière, de lui déballer encore quelques mots sincères, bien que maladroits, alors qu’il avait été témoin de ses sanglots et de ses larmes. Mais après ce qu’il lui avait fait, après la façon dont elle l’avait éconduit en retour, il n’avait pas pris cette initiative et avait disparu en silence.

Les mains bandées, le coude en sang, et les poumons encombrés, il avait marché dans le froid du Morguestanc jusqu’à l’un de ses abris, tremblotant. Là, le contrebandier avait passé un sale moment, sans le sou, sans rien à manger, en proie aux courants d’air. Il avait dû se mouvoir jusqu’à une autre de ses cachettes pour récupérer un peu d’argent qu’il avait planqué là. Par la suite, Marwen n’était pas revenu voir la sorcière. Il n’avait pas osé, peut-être, avait eu peur de cette nouvelle rencontre, de lui faire face-à-face une fois encore, après avoir laissé en suspens tant de hargne et de regrets. Il avait laissé ses mains meurtries à quelques rapides connaissances, payé des putains pour qu’elles lui refissent ses bandages. Certes, jamais le travail n’avait été aussi beau et propre que celui de l’apothicaire, mais au moins avait-il protégé ses membres un tant soit peu. En matière de logement, de quoi se mettre au chaud pour de bon, une chambre, une cave calfeutrée de vieux sacs de grain, ou des combles accumulant la chaleur de la salle de séjour avait fait l’affaire. Le valétudinaire s’en était remis, lentement mais sûrement. Et là, il se trouvait confronté à elle, une fois de plus, sans jamais y avoir été préparé.

Un long silence, certainement, avait plané sur leurs retrouvailles. Ou peut-être qu’elle s’était feinte d’une remarque acerbe après que l’Esbigneur lui eût arraché son écharpe. Dans tous les cas, quelque chose s’en trouvait perceptible, dans l’air, et le mondain, lequel tenait la chandelle à sa manière, n’avait pas manqué de le ressentir. Il les observait, l’un après l’autre, tournant le regard vers le contrebandier, puis vers la jeune femme. S’il semblait surpris, au moins n’était-il pas le seul.

Mais il se devait que de retrouver une contenance. Lui qui avait été si loquace en compagnie du mondain s’était soudainement tu depuis trop longtemps.

« J’aurais de loin préféré que vous nous dissiez tout en une seule et unique fois, déclara-t-il à leur entremetteur, plutôt que de balancer à gauche et à droite des informations à l’un puis à l’autre. C’eût été bien plus simple et bien moins louche pour nous, ‘voyez ? Mais ouais… Puisque j’ai donné ma parole et que j’ai reçu un supplément en plus… Je prendrai soin d’elle et assurerai sa protection. »

Il regarda la sorcière bien droit dans les yeux, la défiant d’ajouter quelque chose, de se fendre d’une remarque sarcastique à son encontre. C’était comme si on lui offrait une seconde chance, quoiqu’en lui forçant la main, et ladite chance ne serait aucunement facile à saisir. Mais il s’y efforcerait. Il y avait toujours des souvenirs que l’Esbigneur n’avait pas digérés, quand bien même aurait-il fait volontiers table rase du passé. Mais pour ça, encore, il s’agissait d’une chose plus facile à dire qu’à faire. Peut-être même, en fin de compte, était-il devenu plus rigide et tendu avec Elisabeth qu’elle ne l’avait été auparavant en sa compagnie, lors de leur première rencontre.

Il avança vers elle après avoir hésité l’espace d’un instant.

« T’es partante ? Ou bien cette simple idée te dégoûte-t-elle peut-être ? Réponds franchement, je n’en prendrai pas ombrage. Mais je veux savoir, dès le début, si… »

Là, l’hésitation était bien réelle, et, plutôt que des mots, il effectua un petit geste de la main, expressif, de ceux qui englobaient toutes les actions et tous les sentiments du monde.
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Elisabeth GardefeuApothicaire
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MessageSujet: Re: Authentique [ Marwen ]   Authentique [ Marwen ] EmptyLun 14 Nov 2016 - 18:45
Marwen avait ce genre de visage qui pouvait se reconnaître facilement une fois qu’on l’avait un peu observé. Et l’apothicaire avait eu tout le temps de le regarder, qu’il soit en train de sourire narquoisement ou de la menacer d’un air sombre. Malgré le peu de lumière présente, elle devinait très bien l’angle d’une mâchoire solide, un peu saillante, le profil d’un nez droit qui pouvait donner l’air sévère et ce regard tranchant qu’il aimait tant mâtiner d’insolence. Une longue cicatrice en travers de l’œil, qui descendait tout le long de la joue, une autre en travers de la lèvre, qui s’arrêtait sur le menton. Elle ne connaissait l’origine d’aucune d’elles. Pour ça il aurait fallu qu’ils se parle pour autre chose que se hurler dessus ou se renvoyer la balle en essayant de toucher là où ça fait mal.
Sans réfléchir, elle amorça un mouvement de recul lorsqu’il s’avança et tourna la tête en voyant qu’il levait une main vers elle. Mais le coup ne vint pas, il se contenta de repousser un peu brusquement l’échappe qui lui couvrait la tête et plongeait son visage dans une ombre trop prononcée pour qu’il puisse voir à travers. Elle se morigéna intérieurement d’avoir réagi de la sorte, mais trop tard.

Au lieu de se fendre d’une remarque moqueuse à ce sujet, le contrebandier se justifia d’une voix blanche. Pour toute réponse, Elisabeth détourna les yeux et remit son écharpe correctement, ramenant ses cheveux sur son épaule comme si sa mise lui importait plus que de répondre à l’énergumène.
La dernière fois qu’elle l’avait vu, il essayait de lui jeter des excuses à la figure en maugréant qu’il préférait boitiller dans la maison ou dans la rue que de rester au lit pour couver sa maladie. À bout de nerf après avoir usé toute sa patience et avoir reçu le choc du déchaînement de violence qui aurait dû lui être destiné, elle avait à son tour maudit tout ce qui lui passait sous la main en se défoulant sur son matériel avant d’aller se réfugier dans sa propre chambre pour évacuer un peu de pression et quelques larmes trop salées. Elle ne l’avait même pas entendu partir et lorsqu’elle s’était relevée, prête à affronter de nouveau les yeux gris acier de son patient, il avait tout simplement disparu. Enfilé ses frusques et prit la poudre d’escampette.

Ah, elle c’était retrouvée bien con la donzelle. Évidemment, elle lui avait dit d’aller se faire voir et de dégager de chez elle, mais pas un instant elle n’avait pensé qu’il puisse vraiment le faire. Il s’était simplement évaporé, sans un au revoir ou même une méchante parole, il l’avait abandonnée sur un « pardon » et un « merci » plus que maladroit qui lui avait laissé un goût amer de conversation interrompue. La jeune femme s’était attendue à le voir débarquer le soir venu, quand il en aurait assez de trembloter dehors ou qu’il aurait faim, un peu comme les chats qui décident de fuguer avant de se souvenir qu’ils sont mieux chez eux que dehors. Mais personne ne s’était pointé chez elle de toute la soirée, ni de toute la nuit. Peut-être reviendrait-il le lendemain alors, comme elle le lui avait suggéré ? Point du tout. De Marwen il n’était resté que des souvenirs cuisants et une porte en piteux état, un peu de sang sur le plancher et un lit défait dont il avait fallu changer les draps pour éviter qu’ils ne gardent de la fièvre.
Elisabeth avait passé les jours suivants à osciller entre culpabilité, inquiétude et révolte, sursautant au moindre grincement de plancher, s’attendant à voir débarquer la dégaine du contrebandier dans sa boutique pour réclamer les soins qu’elle lui avait promis avec force protestation quant au fait qu’il était obligé de se rétablir loin de la chaleur et du confort qu’elle lui avait apporté. Pourtant il ne revint jamais et elle finit par mettre de côté cette histoire pour pouvoir se concentrer sur son quotidien, ses clients, ses contrats et tout le reste.

D’une rapide œillade, elle constata qu’il était plutôt en forme et en bon état. Au moins il avait survécu et s’était débrouillé sans elle, que ce soit avec sa fièvre ou ses mains en miette.
Comme ne temps n’était pas encore aux explications et aux derniers souvenirs qu’ils avaient en commun, l’Esbigneur revint sur ce que lui disait le grassouillet en affirmant que s’il était peu délicat de ne pas donner tous les termes du contrat en une seule fois, il assurerait tout de même sa part du marché. Cette déclaration sembla soulager grandement le bourgeois.
Elisabeth échangea un regard avec son désormais protecteur officiel et n’ajouta rien pour le contredire. Au-delà de l’idée que c’était Marwen qui assurerait son intégrité, elle n’aimait pas l’idée de devoir jouer encore une fois les anguilles pour aller récupérer le trésor d’un type qui resterait le cul bien au chaud, mais si le contrebandier s’était fait promettre un supplément pour jouer les gardes du corps, elle pouvait sûrement faire de même. Il lui fallait au moins ça pour qu’elle accepte de risquer ses miches dehors.

Sur cette réflexion, son compagnon d’infortune la surprit en lui demandant franchement si elle était partante ou si elle préférait rejeter tout en bloc. Il fallut un instant à la jeune femme pour comprendre tout à fait la question et un autre pour peser les pour et les contre de cette affaire. C’était risqué, c’était parfaitement illégal et elle devrait encore une fois obéir aux directives du type le plus agaçant qu’elle connaisse. Mais aussi stupide et fou que ça puisse paraître, elle se sentait rassurée que ce soit ce même type qui assure qu’elle rentre saine et sauve. Peut-être qu’il était cinglé et énervant, mais il était compétent, elle ne pouvait pas le lui enlever. C’était aussi une occasion (étrange) de démêler un peu leur dernière conversation. Ou tout du moins de la clore correctement.

« Non c’est… Ça me va. Mais à une seule condition. »

Elle se tourna cette fois vers leur avide client et le toisa avec dureté.

« Le tarif annoncé n’était que pour l’inspection des pièces que vous auriez à présenter. Si vous voulez que j’aille risquer ma peau, il va falloir compter le double. »
« Q-Quoi ? Vous n’y pensez pas ! »
« Oh que si ! Et pas d’entourloupe. Sinon vous regretterez amèrement d’avoir joué au receleur de pacotille. »

Le type piétina, fulmina certainement en son for intérieur, sembla bouillir un moment avant de lâcher qu’il doublait effectivement son salaire. Satisfaite de cet accord, Elisabeth hocha simplement la tête et se rangea d’un pas du côté de Marwen.

« Si vous n’avez plus rien à ajouter messieurs, je crois qu’il est préférable de se mettre en chemin tout de suite. »

Le dos un peu trop droit, les épaules crispées, elle reprit le chemin vers la porte à grandes enjambées contrariées. Le bourgeois affecta de prendre un mouchoir pour s’éponger le front et tenta un sourire de connivence avec le contrebandier.

« Et bien… Quel dragon ! Avec elle au moins vous ne risquez rien contre la milice, haha ! Eumh. »

La jeune femme sortit de l’entrepôt, à la recherche d’un peu d’air frais et en ressassant ce qui venait de se passer. Difficile de démêler ce qui s’agitait dans sa tête à cet instant précis. Elle ne savait pas si elle était contente de retrouver Marwen en vie ou si elle avait envie de l’assommer avec un des tronçons de bois à portée, si elle préférait lui hurler dessus ou se taire. Il n’avait pas l’air à l’aise non plus et cela au moins la rassurait.
Les bras croisés, entortillant nerveusement une mèche de cheveux autour d’un doigt sans y prêter attention, elle attendit que l’Esbigneur la rejoigne. Peut-être avait-il encore discuté certains termes du contrat avec leur employeur… Tant que ça ne la concernait pas, elle n’avait pas besoin de savoir.

« Le couvre-feu prend effet dans une heure. On est peut-être pas obligé de descendre dans les égouts tout de suite, non ?... »
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Marwen l'EsbigneurContrebandier
Marwen l'Esbigneur



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MessageSujet: Re: Authentique [ Marwen ]   Authentique [ Marwen ] EmptyLun 14 Nov 2016 - 23:00
Au moins, Elisabeth n’avait rien dit lors du long regard qu’il lui avait lancé. Au moins, elle avait accepté cette mission en sa compagnie, bien que partiellement illégale s’ils ne se pressaient pas avant le couvre-feu. C’était une grande avancée. Pas de remarque agressive et mesquine, pas de refus tout net et brutal devant leur commanditaire. Il était des fois où l’Esbigneur n’accordait que peu d’importance à son ego et à sa réputation, et d’autres où, au contraire, il y veillait tout particulièrement. Cela dépendait de la situation ou des gens concernés. Là, en l’occurrence, il s’agissait respectivement des deux dernières options ; son estime de soi lui importait à cause d‘une personne présente céans même. Le contrebandier ne se remembrait que trop leur dernière rencontre, où il avait essuyé un sacré mépris qui l’avait affecté plus que de raison. Un nouveau déni l’eût marqué plus profondément encore, qu’importaient les raisons évoquées, les justifications relatives au caractère interlope et potentiellement dangereux de leur escapade nocturne. Il ne regrettait qu’une seule chose ; que la sorcière eût remis en place son cache-nez. Il aurait voulu voir son expression, lire en elle la façon dont elle avait vécu cette nouvelle rencontre. Là, il ne devait se fier qu’au ton de sa voix et à sa posture naturelle. Marwen n’avait eu droit qu’à un mouvement de recul alors qu’il avait tendu la main vers elle. La crainte, certainement, de se manger un coup. Enfin, là également, au moins, n’avait-elle rien rajouté.

Si fait, la jeune femme avait accepté la mission que leur avait confiée le mondain, mais à une condition. Fort heureusement, celle-ci ne lui était pas destinée. Se tournant vers leur entremetteur, elle lui asséna un nouveau tarif qu’il n’avait pas le droit de refuser et, après avoir protesté, très certainement pour la bonne forme, le gus finit par s’y plier. Il se fendit d’une petite remarque qui déclencha une vague de souvenirs dans l’esprit de Marwen. Il ne risquait rien avec elle face aux miliciens, venait-il tout juste d'affirmer en se forçant à rire, un peu gauche ? Le contrebandier revit cette fameuse scène où elle se tenait à son bras, déguisée en putain lorsque lui l’était en noble, face à une poignée de briscards qui la déshabillaient littéralement du regard, pour le peu qu’il restait encore à découvrir. Pour un peu, ils se seraient mis à baver et l’auraient sautée sur place s’ils en avaient eu l’occasion. Il y avait certes la façon dont elle avait répondu au coutilier, mais cela n’avait en rien entravé le désir des types qui avaient reluqué celle dont il avait désormais la charge.

« Mmh… Ouais, je suis pas trop sûr », lâcha-t-il davantage pour lui-même que pour apporter une réponse à son client, en regardant du côté de la sorcière qui en avait profité pour s’éclipser au-dehors. Il ne tarda pas à la rejoindre ; il connaissait tout de l’emplacement, du lieu de la rencontre, et n’avait pas d’autre question à poser à son commanditaire. Il la surprit pensive, mirant le lointain, quelque peu dans le vague, peut-être, en train d’entortiller une mèche autour de son doigt. Oui, il valait mieux commencer à s’y mettre tout de suite, et, si possible, en évitant de passer par les égouts.

Bien que perturbé, voire véritablement gêné par cette affaire et la présence de la sorcière, Marwen ne put se fendre d’un rire concis mais amusé en écoutant les souhaits d’Elisabeth. Et il aurait très bien pu continuer sur cette voie-là, celle d’une once de joie et de détachement, de légèreté et de nonchalance, comme il savait si bien le faire d’ordinaire, mais ses pensées le ramenèrent très rapidement sur le sentier de la gravité et du trouble.

« Ah, merde, c’était mon idée première. Tu préfères pas ? Les trous d’eaux abyssaux, les fangeux, les chaînes… Vraiment, j’aurais pas cru, moi. Mais non, pas besoin de tout cela où l’on doit se rendre. Par ailleurs, je ne pense pas même qu’il y ait un souterrain y menant… T’sais… Les égouts… C’était dangereux, oui. Ça puait la merde comme pas possible, encore que tu me diras que j’y suis habitué légèrement, depuis le temps. On pataugeait dans la gadoue, ça collait aux bottes et c’était dégueulasse. Mais… Bha, j’m’y suis bien marré. »

L’Esbigneur ne préféra pas développer, laissant là une énorme quantité d’embarras et de sous-entendus, comme une vaste et imposante bulle qui menaçait d’éclater à la moindre parole de plus. Il passa outre, et ses enjambées se firent imperceptiblement plus longues. Que la sorcière y piochât ce qu’elle désirait comprendre, là-dedans.

Marwen et Elisabeth suivirent tous deux une série d’allées et de venelles qui menaient continuellement vers la zone portuaire, et cela se ressentait dans le dénivelé du terrain. Les ordures et les eaux usées ruisselaient dans les caniveaux pavés ou au beau milieu de la rue, dans un sillon de boue, et chacun de ces petits torrents en rejoignait un autre. Dans les plus basses parties de Marbrume, en bordure de mer, tout cela devenait rapidement des fleuves crasseux et tortueux sur lesquelles un passeur venait poser une grande planche de bois, garantissant aux chalands de conserver les pieds secs pour une petite piécette. De temps en temps, une pente plus abrupte que les autres venait que très légèrement chauffer les mollets des partenaires nouvellement retrouvés, alors qu’ils devaient forcer pour refréner leur pas, tout poussés vers l’avant qu’ils étaient. Ils avançaient vite et bien dans la capitale, motivés par l’arrivée inexorable du couvre-feu. Cette fois-ci, contrairement aux fois précédentes, il n’y avait pour le moment pas de gardes pour leur obstruer le passage, pas de détours méandreux à effectuer, par de rempart pour se dresser devant eux, et pas même un type totalement imbriaque pour les ralentir.

Les places et les grandes artères se vidaient de plus en plus alors que la nuit était tombée depuis quelque temps déjà, et seuls demeuraient les plus téméraires des habitants, ou les plus louches. Ils sentaient quelques paires d’yeux les suivre sur leur passage, du côté du contrebandier comme de la sorcière. Quoique, peut-être plus encore à l’encontre de la jeune femme. L’on devait assurément se demander pourquoi une donzelle se baladait de la sorte, à la faveur d’un crépuscule bien installé, les traits dissimulés derrière une grande écharpe. A un moment, une crécelle retentit au loin, et le bruit se rapprocha de plus en plus jusqu’à ce qu’ils fussent contraints de la croiser dans une petite ruelle escarpée. Faisant la grimace et fronçant le nez, l’Esbigneur se tint bien loin de cet oiseau de malheur porteur de la lèpre, se ratatinant contre le mur pour éviter tout contact, tout germe capable de le contaminer en un instant. C’était qu’une fois que vous la chopiez, cette merde, vous vous retrouviez condamné. Alors peut-être avait-il l’air ridicule, ce grand gaillard aplatit le long d’un mur, mais il préférait encore cela plutôt que de se décomposer à petit feu. Avec cette saloperie, le titre de la saynète que l’on jouait Place des Pendus, « Prête-moi ta main », pouvait carrément être pris au sens propre.

Mais le contrebandier eut encore l’occasion de s’illustrer à sa manière. Une bestiole, rogne et agressive, vint se jeter sur les chaussures de la sorcière, de les mordre, de les tirer, avant de leur aboyer hargneusement dessus. Un chien, tout petit certes, mais qui compensait sa taille par sa témérité et sa rage. Peut-être était-il même atteint de cette maladie, par ailleurs.

« Un mâle, très certainement, balança Marwen en regardant la crevure de clébard s’exciter sur le cuir et la toile d’Elisabeth, et cela juste avant qu’il ne daignât changer de cible pour s’attaquer à lui. Ouais, bon, pas de commentaire, je te prie. »

En fait, cette putain de bestiole le rendait dingue à s’acharner ainsi sur eux. Pas de poil ou presque, la peau rêche, les lèvres roses et plissées, le museau plat et de minuscules crocs saillants, elle avait tout de ces chiens à la con à qui on laisse tout faire, et qui s’autorisaient dès lors n’importe quoi. Y compris les importuner de la sorte. Car en dépit des mouvements brusques ou d’une expression imperturbable, la saloperie n’en démordait pas. Et ces aboiements… Définitivement, ça le rendait fou.

L’Esbigneur, sentant sa patience s’amenuiser à grande vitesse, regarda à gauche et à droit, derrière lui et devant lui, précautionneux, mais l’air hésitant. Hélas, il y avait toujours des connards pour protéger ribon-ribaine ces cabots de merde. De véritables zélés, prêts à donner leur vie pour eux, alors qu’il s’agissait là des pires créatures du monde, si ce n’était les fangeux. Alors, ni une ni deux, après s’être assuré que personne n’était dans les parages, il se mit à accélérer brutalement le pas, à courir sus à la bestiole. A vouloir lui coller un bon coup de pied dans la gueule, à lui défoncer sa tronche, à le faire voler dans les airs, le plus loin possible.

« Viens, viiiens que j’te dis, putain de saloperie, reviens me gueuler dessus, fils de pute ! »
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Elisabeth GardefeuApothicaire
Elisabeth Gardefeu



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MessageSujet: Re: Authentique [ Marwen ]   Authentique [ Marwen ] EmptyMar 15 Nov 2016 - 1:14
C’était rassurant de savoir qu’ils n’auraient pas besoin d’aller se vautrer dans la boue. Parce que avec ses jupes et ses bottes, l’apothicaire n’était vraiment pas dans une tenue faite pour jouer les aventurières. Les braies ce n’était pas sa tasse de thé, mais il fallait dire que c’était bien pratique quand même.
Le souvenir qu’elle gardait de leur si charmante promenade dans les égouts ne semblait pas être tout à fait le même que celui de Marwen. Il s’y était bien amusé ? Vraiment ? C’est vrai que ce n’était pas lui qui avait été poussé vers un trou ou qui s’était fait peloté pendant que des fangeux venaient passer le bonjour. Mais bizarrement, Eli se dit qu’il ne faisait peut-être pas allusion à cela pour lui rappeler des mauvaises choses… Peut-être parce qu’il n’avait pas cet air narquois pendu au visage. Juste un demi-sourire pas si méchant que ça. Dans le fond, ils s’en étaient sortis et elle avait même pu découvrir un petit sanctuaire antique qui n’était pas déplaisant à visiter, si on oubliait l’odeur. Finalement, ça n’avait pas été un si mauvais épisode à vivre, bien qu’elle ne souhaitât pas réitérer l’expérience de sitôt.

Elle emboîta le pas au guide en trottinant pour le rattraper.
Ils descendirent à un bon rythme jusqu’à rejoindre le quartier du Goulot. Les pavés se mirent à disparaître un à un sous la boue, s’espaçant de plus en plus jusqu’à ce qu’il n’y ai plus que de la terre gluante sous leurs bottes. Les petites rigoles que creusait l’eau croisaient et recroisaient la rue principale, obligeant la demoiselle en robe à faire des sauts de cabris chaque fois qu’elle voulait préserver un peu sa vêture de la vermine et de la souillure. Marwen avançait d’un bon pas, ce qui l’obligeait à suivre en gardant le rythme. Elle ne voulait surtout pas se plaindre et jouer les geignardes, pour le moment personne n’avait ouvert les hostilités et c’était très bien ainsi. D’ailleurs ce mutisme mutuel avait quelque chose d’apaisant. Au lieu de se bouffer le museau comme deux bêtes furieuses, ils se jaugeait du coin de l’œil en silence pour essayer de deviner ce que l’autre pouvait penser, ce qui s’était passé après leur dernière rencontre, ce qui était gardé bien au chaud comme reproche pour être sorti plus tard et ce qui ne l’était pas. Le contrebandier avait eu plusieurs occasions déjà de se moquer d’elle comme il le faisait souvent, mais il n’en avait saisi aucune et cela ne manqua pas de mettre la puce à l’oreille de l’apothicaire.

À mesure qu’ils descendaient dans le sombre quartier où la milice ne faisait pas souvent de ronde, la population désertait les rues et il ne restait alors plus que ceux qu’on n’aurait jamais souhaité croiser, même de jour. Eli avait peut-être été mieux avisé qu’elle ne le pensait d’avoir pris de quoi se faire un peu discrète et instinctivement elle pressa le pas pour ne point s’éloigner de son garde du corps temporaire. C’est qu’il y avait ici des gueules patibulaires qui avaient l’air de se demander ce qu’elle foutait dans les parages et s’il n’y avait pas moyen de profiter de ça, là, en passant.
La rencontre la plus dangereuse ne fut cependant pas celle à laquelle ils s’attendaient et elle n’eut rien d’une surprise. La jeune femme avait déjà vu des lépreux et elle avait même déjà soigné une forme de lèpre peu avancée, mais ce n’était pas agréable à voir pour autant et si elle ne rasa pas les murs comme Marwen, elle s’arrangea néanmoins pour se trouver le plus loin possible du pauvre hère. Ça faisait un peu de peine à son cœur de guérisseuse de ne pas pouvoir apaiser ou écourter les souffrances de quelqu’un, mais elle ne pouvait pas à elle toute seule soigner tout Marbrume et éradiquer tous les maux du monde. Sa générosité avait ses limites et elle n’était pas une si bonne âme pour se sacrifier en portant une assistance bénévole à ce genre de miséreux.

Leur deuxième rencontre, une rue plus bas, fut un peu plus mouvementée. Sortie de nulle part, une vilaine bête à peine plus grosse qu’un chat et certainement galeuse comme pas deux se jeta sur eux en aboyant tout ce que sa petite gueule édentée pouvait et pour passer sa mauvaise humeur, il s’attaqua à une bonne d’Elisabeth. Elle eut bien sûr un mouvement de recul sous l’effet de la surprise et releva un tantinet ses jupes pour pouvoir chasser l’animal qui n’en démordait pas. Heureusement, il avait de très petits crocs et les bottes étaient épaisses.

« Non mais… dégage ! Aller ! Raah, mais lâche moi ! »

Elle agitait son pied, tirait et poussait la bestiole mais rien à faire. Cette fois, son guide ne la loupa pas, mais le ciel crut bon de le punir pour cet écart de conduite et la vilaine petite teigne se décida à changer de cible pour tenter sa chance avec le cuir de l’Esbigneur. Grondant et aboyant tout son saoul pour ce grand dadais qui essayait de lui faire peur, le cabot se rua sur les bottes pour en mâchonner la pointe et faire succomber l’adversaire. Et sur ces faits, le passeur perdit patience et se mit à invectiver l’animal en lui courant après, jetant un coup de pied de-ci de-là pour essayer de lui faire passer l’envie de s’en prendre à ses chaussures. Le diablotin à fourrure ne semblait pas plus intimidé que ça et continuait de gueuler tout en esquivant les tatanes avec brio, ce qui en disait long sur son expérience de la vie dans la rue.
Et le spectacle était à mourir, si bien qu’après un instant à contempler la scène, Elisabeth partit d’un rire étouffé par son écharpe et qu’elle peinait à vraiment contenir. Le ridicule de cette situation lui éclatait au visage et elle ne pouvait tout simplement plus s’arrêter de rire face à ce duel improbable. Si bien que les larmes lui montaient aux yeux et qu’elle se tenait presque les côtes pour retrouver son souffle.

Le corniaud dut prendre ce rire pour un terrible affront car il revint vers elle à la charge en jappant comme un beau diable, semant derrière lui son agresseur qui n’avait toujours pas réussi à faire autre chose que des courant-d ’air devant son museau. Étrangement prise au jeu, la jeune femme calma son rire juste le temps de traverser au pas de course la rue en bondissant par-dessus un ruisseau d’eau sale et sauta avec agilité sur un empilement de cageots qui s’appuyait contre le mur souillé d’une masure. Hors de portée de la méchante petite gueule, elle s’accroupit sur son piédestal en ramenant ses jupes contre elle et nargua l’animal qui ne pouvait pas sauter jusqu’à elle.
Au même moment, un volet s’ouvrit et une matrone au faciès disgracieux leur brailla d’arrêter ce raffut avant de jeter une gamelle d’eau par sa fenêtre. Par bonheur, il ne s’agissait pas d’un pot de chambre plein ! Les éclaboussures retombèrent sur le chien qui geignit et décida que cette fois, l’adversaire était trop fort. Ventre à terre il déguerpit de là où il était venu, disparaissant au coin d’une ruelle de mauvais augure.

Toujours perchée loin de la gadoue et des liquides déversés par les fenêtres, Elisabeth se redressa en lissant machinalement sa robe, un reste d’hilarité sur les lèvres.

« Vu comme cette bestiole t’a gueulé dessus, j’aurais plutôt dit que c’était une femelle. »

D’un petit bond elle redescendit sur le plancher des vaches. Il leur restait certainement du chemin à faire et l’heure avançait. Mais elle ne regrettait pas cette drôle de rencontre qui l’avait fait bien rire. Les miliciens ne pouvaient rien contre Marwen et sa duplicité, mais le cabot du Goulot le tenait en échec sans même frémir !

« J’ai toujours préféré les chats, avec eux on n’a jamais ce genre de problème. »

Elle adressa un sourire à son guide avant de remettre son cache-nez correctement pour se préserver des regards indiscrets et de l’odeur fleuri du quartier. Cette fragrance de poisson pas frais, les relents d'algue que la marée venait parfois déposer contre les murs, l'odeur de pisse aux coins de rue, c'était tout un bouquet qui vous parfumait les vêtements et les naseaux à vous en faire pleurer si on prenait une trop grande inspiration. Les gens du coin ne fleuraient jamais bon la pâquerette, c'était même comme ça qu'on les reconnaissait.
Un peu plus bas dans la rue, une taverne était ouverte et accueillait tout un tripot de marins, pochetrons et brigands au son d’un vieil accordéon essoufflé. C’était la fête ce soir, semblait-il. Mais pour passer devant sans risque, l’apothicaire devrait rester bien dans l’ombre de son guide et se faire le plus petite possible parce que le délicat fumet du Goulot, justement, elle ne le portait pas. Pas plus que la vêture, la démarche, la dégaine ou quoi que ce soit d’autre. Et ça, pour une raison mystérieuse, les sacs à vin le flairaient à une vitesse qui rendrait jaloux n’importe quel chien de chasse. Cet obstacle n’était rien face aux fangeux des égouts, mais par précautions Elisabeth se rapprocha un peu plus de Marwen en essayant de rester le plus cachée dans son ombre.
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Marwen l'EsbigneurContrebandier
Marwen l'Esbigneur



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MessageSujet: Re: Authentique [ Marwen ]   Authentique [ Marwen ] EmptyMar 15 Nov 2016 - 19:02
Ce fut une véritable danse qui s’organisa alors, mais les participants n’étaient aucunement d’humeur galante, ce jour-là. Marwen poursuivait le clébard en gueulant plus fort que la bestiole ne lui aboyait dessus, et une envie de meurtre lui prenait les tripes. Pour un peu, et il en eût presque dégainé sa dague pour fondre sur le chien, mais encore aurait-il fallu qu’il pût le toucher. Il courait comme un fou derrière la saloperie qui ne cessait de japper, sautant par-dessus les flaques d’eau, escaladant quelques caissons crevés qui gisaient sur le côté, dans une mare de boue, que pour mieux se casser la gueule, dans sa précipitation, lorsqu’il tentait d’en descendre. L’Esbigneur balançait des coups à gauche à droite, frappant l’air et quelques parois déjà fortement endommagées par les crues que connaissait le quartier portuaire du Goulot. Mais jamais ne parvenait-il à atteindre sa cible, aussi habile et souple qu’elle n’était teigneuse. Le contrebandier s’en rendit compte avec un moment de retard alors que les éclats de rire d’Elisabeth résonnaient depuis un bout de temps, lointain, dans ses oreilles ; celle-ci s’en amusait fortement. Mais son ire à l’encontre de ce foutu clebs l’avait presque rendu sourd à toute chose extérieure. Lorsqu’il réalisa tout cela, qu’il était l’objet de cette farce non voulue, son état, sa colère, empira que plus encore.

Rapidement, toutefois, voyant que Marwen ne décolérait pas et que ses gestes se faisaient plus amples, plus véhéments, la saloperie changea de cible, oubliant l’homme pour s’attaquer cette fois-ci à sa partenaire. Bien qu’elle eût protesté de prime abord en se voyant être chargée par la minuscule petite chose, Elisabeth ne s’en formalisa pas autant que le contrebandier, et décida de courir prestement pour se mettre en hauteur, inattrapable. L’Esbigneur pouvait le sentir, quand bien même portait-elle un foulard qui lui dissimulait les traits du visage, mais un grand sourire satisfait et victorieux devait venir ourler ses lèvres. Ouais, en fait, elle avait simplement préféré fuir face à une telle connerie de chien. Elle était belle, la victoire.

La clef du succès, afin de mettre en déroute leur téméraire assaillant, vint de manière inattendue. Une bonne femme au faciès disgracieux leur aboya à son tour après avoir violemment ouvert la fenêtre de sa maisonnée, autant de férocité que n’en avait montré que le cabot. Afin de témoigner de sa colère, que nul ne devait ignorer, elle versa sans plus attendre le contenu de quelque récipient sur eux, et ce flot croupi et malsain éclaboussa la bestiole qui rendit gorge. Sans demander son reste, elle s’enfuit au loin ; Elisabeth redescendit de son piédestal, et la mégère referma la fenêtre.

Toujours aussi satisfaite, l’apothicaire, revenant vers Marwen, ne manqua pas l’occasion de le brocarder vilement, prétextant que, en fait, il devait assurément s’agir d’une femelle. Il suffisait de voir le comportement de la bestiole pour en être persuadé.

« Tu parles d’expérience, sorcière ? grommela-t-il. Ça va, t’as rapidement compris la technique, semblerait-il, en allant te planquer sur une caisse face au cerbère. Je gage que c’est ce que l’on appelle avoir du chien. »

Bien qu’il fît froid, le peu d’air chaud montant bien haut dans cette nuitée sans nuages, Marwen ressentait encore l’émotion de sa dernière course, et soufflait quelque peu une buée tiède dans le grand air. En comparaison de la chasse qui venait d’être donnée, ils reprirent un train de route bien plus tranquille.

« Ouais, moi aussi, je préfère les matous. Au moins, eux, ils savent ronronner. Jamais vu un chien capable de ça. Et puis c’est propre, c’est bien moins con, hein, ça va pas chercher un bête bâton, c’est silencieux, et c’est indépendant. Bref, que du bonheur. »

Lui n’aimait pas tant que cela ces longs silences prolongés. Même si l’absence de parole ne le dérangeait aucunement, tout dépendait des personnes présentes, et là, dans cette escapade, il trouvait cela… Délicat, gênant. Toutefois, à force que de la côtoyer de nouveau, même sans trop forcément se parler et demander des nouvelles de l’autre, cette même incommodité s’effaçait peu à peu. Il avait eu en tête, pour représenter leur affinité, l’image d’un membre à moitié arraché que l’on aurait laissé aux bons soins de la nature pour le réparer, que l’on aurait laissé distordu, consolidé d’un fragile cartilage. En vérité, ce simple fait de fréquenter de la sorte détenait l’effet bénéfique que de redresser ledit membre et d’accélérer franchement la cicatrisation. En partie. Et Marwen commençait à redevenir ce qu’il avait toujours été, tout en prenant d’infimes précautions malgré tout.

La clameur braillarde d’une taverne vint les perturber dans leur progression. En bordure de la route, renfoncées sous les encorbellements de hauts et bancals bâtiments, les fenêtres illuminaient les environs, renvoyant la nitescence flamboyante d’un âtre frémissant. Plusieurs brutes les regardèrent déambuler, un bras nonchalamment passé par les ouvertures, une chope de pisse d’âne à la main. D’autres se tenaient appuyés contre les murs noirs qu’avaient parfois léchés les flots tumultueux de l’océan, et esquissèrent quelques pas dans leur direction, mirant la jeune femme qui passait là. Les interrogations des badauds continuaient, semblait-il, à son encontre. La démarche féminine mais pressante et discrète, comme si elle tentait de les fuir, et c’était sans doute cela qui attirait leur attention intéressée. Quelque chose de mystérieux émanait de sa personne, par ailleurs, en la présence de ce foulard qui lui dissimulait ses traits, et seuls ses yeux émeraude scintillaient dans la nuit. Voilà qui leur donnait assurément envie de le lui retirer pour découvrir ce joli visage qui devait s’y cacher.

Elisabeth avait rapidement compris qu’elle était l’objet de toutes ces attentions, et contrairement à d’habitude, plutôt que de monter au créneau, elle préféra accélérer le pas pour se faire toute petite, se planquant dans l’ombre de l’Esbigneur. C’était certes compréhensible et plus sage, mais cela ne manqua pas d’étonner légèrement le nouveau protecteur.

« Pourquoi te planquer ? J’ai cru voir que t’adorais être au centre de l’attention. Tu te rappelles de cette fameuse nuit, où t’étais au beau milieu de tous ces vaillants et braves miliciens ? Tu t’y portais comme un charme. Ouais, ça doit être une question de vêture, à n’en pas douter. »

L’espace d’un moment, il fut tenté de se débiner et de la laisser ainsi, exposée aux regards et aux quolibets égrillards de tous. Par amour des complications, de la provocation, et du danger, également. Mais il s’agissait là d’un comportement qu’il avait déjà adopté, des années auparavant, et cela n’avait pas du tout bien tourné, pour lui comme pour la personne concernée. Il s’en passerait bien, surtout en la présence de la sorcière. Alors, ignorant toutes ces remarques que pouvaient leur diriger les gus, plus ou moins lourds et insistants, laissant présager une « belle soirée » pour Marwen en compagnie de sa donzelle voilée, il fit de l’ombre à la jeune femme, mais dans le bon sens du terme. Il s’autorisa même, bien qu’ayant fortement hésité, à glisser une main légère dans son dos pour l’inviter à presser le pas, et ce fut ainsi qu’ils disparurent au coin de la rue, tel un couple aux yeux des spectateurs.

Cette même rumeur criarde disparut que pour mieux être remplacée petit à petit par le doux clapotis de l’eau. Parvenus en bordure des quais, sur quelques vieux pontons de bois, l’océan se perdait à perte de vue, et la lune gibbeuse se reflétait sur l’once dans toute sa splendeur éternelle. Le vent, faible dans les ruelles étranglées de la capitale, gagna en force, s’engouffrant dans de petits claquements sous leur vêture, portant loin les vagues sur la grève. Après avoir délaissé les rustres avinés, Marwen s’était détaché de la sorcière, et avait repris la marche afin de la mener jusqu’au lieu de rencontre. Ils descendirent encore une série de pontons dont certaines marches, rongées par les eaux et le sel, craquelaient sur leur pied. Il y en avait même de tant abîmées qu’ils n’osèrent poser le pied dessus, et qu’ils s’aidèrent de la rambarde pour s’y suspendre afin de passer l’obstacle.

Ils plongeaient tous deux en direction de la mer et se faisaient absorber par la falaise de l’Esplanade qui les surplombait de sa hauteur, à une encablure de là. En bas, ils descendirent d’un dernier quai, et, un degré plus bas, furent sur une toute petite plage qui s’enfonçait dans les ombres.

« Mouais. Bon, je crois que, vu la tronche de la mer et de la lune, va falloir se mouiller les pattes. »

La plage n’était qu’en vérité une mince piste sinueuse enchristée entre les vagues et la roche, et qui s’amenuisait à mesure qu’ils avançaient vers le nord, toujours plus rongée par la mer. Celle-ci était haute, et bientôt, Marwen ainsi que la sorcière durent jouer les acrobates sur des rochers humides et couverts de mousses. Vint le moment, enfin, les eaux immergèrent totalement la plage, juste sous l’Esplanade.

« J’ai beau avoir dit que je te protégerai et tout et tout, mais bon. J’espère que tu ne m’en voudras pas si je ne porte pas. Mon dos, sans compter que… je reviens de loin… toussa-toussa. »

Marwen grimaça quelque peu, toutefois. Les mots s’étaient agglutinés dans son esprit, et il les avait proférés bien trop rapidement, avant toute analyse. Il n’avait retenu que trop tard l’effet de sa dernière convalescence après avoir quitté la boutique de la sorcière, et se maudissait que d’avoir ramené ça, peut-être, sur le tapis, même si ce qu’il venait de dire pouvait relevait de l’insignifiant.
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Elisabeth GardefeuApothicaire
Elisabeth Gardefeu



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MessageSujet: Re: Authentique [ Marwen ]   Authentique [ Marwen ] EmptyMer 16 Nov 2016 - 17:21
Le butor de fond de cale qui se vautrait dans une taverne crasseuse, elle savait ce que c’était. Mais dans le Goulot, les poches à vin étaient particulièrement hargneuses et il fallait s’en méfier comme de la peste. Elisabeth ne s’aventurait jamais aussi loin dans le quartier depuis qu’elle était en âge d’attirer un peu trop l’attention et jamais seule non plus. La remarque de l’Esbigneur lui fit maugréer quelque chose à propos de la galanterie exacerbée de la milice de l’Esplanade en comparaison avec l’es manières des truands du Goulot, mais rien de plus. Faire un scandale en pleine rue à cette heure-ci n’était pas envisageable et depuis leur dernier accrochage, cette histoire de robe passait pour du pipi de chat. Heureusement, son sémillant compagnon ne jugea pas utile de l’agiter comme un bout de viande devant ces chiens galeux affamés et se fendit même d’un geste dont il sous-estima sans doute le potentiel de réconfort qu’il apporta.

D’un bon pas ils quittèrent les ivrognes et les habitations pour aller vers les docks et descendre, avec force précautions, jusqu’à une petite plage. Heureusement que le ciel était clair et la lune bien brillante, sans quoi ils se seraient retrouvés en difficulté pour y voir quoi que ce soit. La mer venait parfois lécher la semelle de leurs bottes. L’apothicaire ne contredit en rien son guide à propos de la marée car même pour un navigateur novice il était évident que l’heure n’était pas à la promenade sur la côte. Pourtant il leur fallait continuer et la jeune femme finit par retirer ses bottes pour mieux sentir les rochers sur lesquelles elle devait marcher. De toute façon, l’eau était froide et ce n’était pas en gardant des chaussures trempées qu’elle arrangerait son cas, alors autant les préserver.
Les lacets de ses bottes attachés entre eux puis passés sur une épaule, les jupes relevées, elle failli rentrer dans Marwen quand il s’arrêta pour constater que la voie était bloquée. D’un rapide coup d’œil par-dessus son épaule, elle confirma les choses et esquissa sous son cache-nez un sourire sans joie.

« C’est ce qui arrive quand on décide d’aller courir les rues plutôt que de rester au lit. Personne t’as dit que c’était chiant une convalescence ? »

Sans s’attarder plus sur le sujet, elle dépassa Marwen et mit sans hésiter les deux pieds dans l’eau. Par Anür, c’était froid ! Réfrénant une terrible envie de faire demi-tour pour aller se terrer devant un bon feu, Eli remonta ses jupes avec l’habileté de celle qui va régulièrement à la pêche aux coquillages et jeta un regard noir à l’Esbigneur pour le mettre au défi de faire une remarque.

« Commences pas à me chauffer les oreilles, hein ! Tu vas pas m’faire croire que ça t’offusque de voir mes mollets. »

Un brin réchauffée par son indignation un peu théâtrale, elle prit les devants et se remit en marche, de l’eau jusqu’en-dessous du genoux. La plage de pierres lisses sous ses pieds se dérobait parfois à cause du ressac, la faisant vaciller dangereusement avant qu’elle ne retrouve son équilibre.
Lorsque quelque chose lui frôla la cheville, elle ne put s’empêcher de pousser un piaillement de surprise et faire un bond en arrière, se heurtant au contrebandier qui marchait sur ses pas.

« Y a quelque chose dans l’eau ! »

Inutilement paniquée, elle se mit à fouiller l’onde noire du regard jusqu’à ce qu’un nouveau frôlement la fasse sursauter. Démontrant un réel talent pour le saut de biche, elle rejoignit le rocher le plus proche en levant les genoux bien haut et en scandant des « beurk-beurk-beurk-beurk-beurk ! » dans son écharpe. La sensation gluante et froide provenait très certainement d’une algue, mais il était aussi possible qu’il s’agisse d’une petite pieuvre que la marée avait fait remonter sur la plage. Et Elisabeth ne supportait pas le toucher collant et glacé de ces bestioles, même si leur encre était bien utile.
De nouveau perchée en hauteur, elle foudroya du regard la mer en la maudissant silencieusement. Ne manquait que les rires de l’Esbigneur et ceux des mouettes pour qu’elle sente tout à fait bien !

« J’en ai marre ! Marre des égouts, marre de la mer froide en pleine nuit, marre de risquer mon cul dans des missions à la con, marre de croiser ta route sans arrêt ! » Elle s’adressait cette fois à l’homme qui trempait dans l’eau en sa compagnie. « Depuis que je suis tombée sur toi, tout part à vau-l’eau dans ma vie ! Déjà, tu te pointe toujours partout, tout le temps, et si possible au mauvais moment ! Et je ne sais pas pourquoi, mais t’as décidé que je serais ton bouc émissaire, certainement parce que tu supportes pas qu’une bonne femme puisse l’ouvrir devant toi ! Et mes contrats, ils étaient jamais dangereux ou compliqués avant, maintenant je me retrouve là, coincée avec toi qui te fous de ma gueule en permanence quand t’as pas juste envie de me ravaler la façade à coups de poings ! D’ailleurs ! Parlons-en de tes poings ! »

Malgré son agacement et plus certainement sa lassitude de se trouver toujours en difficulté, la jeune femme ne hurlait pas et veillait à garder un ton assez bas pour ne pas attirer l’attention sur eux. C’était sans doute inutile, mais elle préférait prendre plus de précautions que nécessaire. Le froid commençait à la faire grelotter et malgré son écharpe, ses lèvres avaient bleui.

« Je me suis embêtée à retirer écharde après écharde et toi, tu t’es barré pour laisser un troufion terminer le travail ! Et je suis certaine qu’il a fait ça comme un porc, mais toi t’étais juste bien content de pas avoir à simplement respecter ma vie privée ! T’es…T’es juste parti ! Tu t’es cassé sans… Sans dire au revoir ! T’es jamais revenu ! T’étais encore malade, j’avais pas terminé de… Oh et puis merde ! Tu me casse les couilles, voilà ! Où est-ce qu’on va d’abord ? »

Une vague plus grosse que les autres s’écrasa contre le rocher et se chargea de refroidir les velléités d’Elisabeth en l’arrosant copieusement d’eau salée. Elle retira son écharpe d’un geste brusque en prenant les dieux à témoin que ce genre de chose ne lui arrivait que quand elle était en compagnie de Marwen et tenta d’essorer le tricot.
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MessageSujet: Re: Authentique [ Marwen ]   Authentique [ Marwen ] EmptyMer 16 Nov 2016 - 19:31
L’Esbigneur non plus ne préféra pas s’étendre sur le sujet, ne proposant, en guise de réponse à ce qui n’avait été qu’une petite plaisanterie, quoiqu’elle lui eût échappée, qu’un éloquent grognement bougon. Ça, pour sûr, les jours après lesquels il avait quitté Elisabeth appartenaient à ceux qu’il classait parmi les pires de son existence, que ce fût d’un point de vue psychologique comme physique. Inutile d’en remettre une couche et d’accorder raison à la sorcière. Celle-ci s’était avancée sur la grève inondée après avoir retiré ses bottes, et pataugeait désormais dans l’eau tout en remontant ses jupes. En dépit de la froideur de la mer, capable de hâter toute personne qui y traînassait, Elisabeth prit le temps de se retourner pour lui décocher quelques paroles de mise en garde. L’Esbigneur leva bien haut les mains en ricanant quelque peu, dans une attitude de pure franchise et innocence.

« Ah non, penses-tu ! Je dirais même que c’est très léger, tout ça. Tu m’as habitué à mieux. Mais si tu veux, l’on peut toujours demander conseil à tes p’tits copains de la taverne que l’on a dépassée, là. Y devraient apprécier, les bougres. »

Et toute remontée par cette petite menace qu’elle lui avait servie, la jeune femme prit rapidement les devants, accélérant la marche que pour bien vite réfréner sa course quelques pas plus loin. Car effectivement, l’on n’y voyait goutte, dans l’ombre imposante de l’Esplanade dont les murailles en bordure de mer se découpaient à une petite centaine de pieds, peut-être, au-dessus de leur tête. La falaise avait absorbé la pleine lune, mais, fort heureusement, l’onde tranquille et clapotante de la mer la réverbérait assez pour qu’ils sussent où poser les pattes. Ils y allaient toutefois à grand renfort de précautions, tâtant du pied et des mains, assurant leurs prises et leur stabilité sur chacun de ces rochers qu’ils prenaient d’assaut.

Marwen, lui, n’avait point retiré ses bottes ; c’était une sensation, certes désagréable, qu’il connaissait depuis bien trop longtemps maintenant pour s’en formaliser à présent. Il avait appris à vivre avec, que ce fût en traversant les égouts ou en naviguant jadis le long de la côte du Morguestanc. C’était peut-être pour cela qu’il ne tombait que rarement malade, et la dernière fois où il avait été gagné par la fièvre, c’était assurément parce que tout son corps avait été à demi immergé dans un caniveau, et qu’un bon coup sur l’arrière du crâne n’avait pas manqué de l’affaiblir.

Soudainement, le contrebandier se retrouva avec une sorcière dans les bras, qu’il harpa maladroitement afin qu’elle ne trébuchât pas dans les eaux noires. Elle avait glapi, faisant un petit bon de surprise, et arguait qu’il y avait quelque chose dans la mer, la fouillant d’un regard apeuré.

« Bha, ouais, du sel, quoi. C’est la mer. Tu savais pas ? »

Et à l’Esbigneur de se gausser avec force et travers tout en observant le manège paniqué d’une Elisabeth grognonne. Ses protestations à l’encontre d’une créature invisible que Marwen n’avait ni ressentie, ni vue, continuèrent encore de longues secondes, et si la sorcière comme son guide avaient peiné à retrouver leur assiette en se juchant sur des rochers recouverts d’algues, voilà que cette première, sous l’effet de la peur, gravissait tous les obstacles avec une facilité déconcertante. Amusé plus qu’autre chose, le contrebandier se pencha dans l’eau, la farfouillant d’un bras, et, lorsqu’il le ressortit, il tenait une pleine poignée d’algues dans la main.

« Tiens, je vais te chatouiller les mollets lors de notre ascension. Ça a l’air de drôlement te motiver, tout ça », rit-il en agitant les plantes aquatiques. Mais cette nouvelle plaisanterie ne fut aucunement du goût de l’apothicaire, et ce fut comme si quelque chose en elle céda tout d'un coup. Elle craqua, prenant à partie la mer, le ciel, leur mission, et Marwen lui-même. Lui la regardait les yeux ronds, étonné, voire même impressionné par cette déferlante aussi soudaine que véhémente. Il cilla, tiqua, ses algues, dont il avait complètement oublié l’existence, toujours ancrées au creux de sa paume.

Il y avait certes un fond de vérité, effectivement, mais tout de même. Elisabeth lui reprochait son existence, le fait de croiser perpétuellement sa route, ses moqueries, les travaux toujours plus compliqués et difficiles dont elle devait se charger en sa compagnie. Ses romancines se portaient tout autant sur la fureur qui l’avait gagné lorsqu’elle l’avait logé et nourri, sur ses mains qu’il avait explosées contre la porte de sa chambre privée, sur le travail qu’elle avait commencé pour le soigner mais qu’elle n’avait jamais pu achever, et, enfin, sur sa fuite, et cela, sans même lui dire au revoir. Il ne savait dire s’il y avait là de la colère ou du regret, une lassitude exacerbée ou de l’amertume.

Oui, il y avait du vrai dans tout cela, dans tout ce que la jeune femme venait de lui balancer à la figure. Toutes ces choses qui demeuraient entre eux comme une véritable barrière, comme un barrage qui menaçait de céder, libérant dans son sillage les émotions et les remembrances les plus extrêmes. Ce sujet était voué à être de nouveau amené sur le tapis, quoi qu’il eût pu se passer, sans quoi la cicatrisation ne pourrait jamais avoir lieu. La plaie resterait pour toujours ouverture, suppurante, rongée par les vers et les remords. Et il ne tenait qu’à eux de la refermer définitivement, de la couturer sous forme d’une belle cicatrice ou, à l'inverse, d’une chéloïde. Mais il fallait bel et bien clore ce sujet, un jour ou l’autre.

Toutes ces vitupérations n’accrurent aucunement l’endêvement de Marwen, au contraire. A parler de plaie et de balafre, sa blessure intérieure ne se rouvrit que plus encore, et tout ce qu’il s’était interdit, tout ce qu’il avait ressenti en quittant la bâtisse d’Elisabeth s’imposa à lui, brutalement, comme un torrent emportant tout sur son passage. S’il comprenait certains blâmes de la sorcière, il y en avait d’autres qu’il réfutait, au moins partiellement.

« Parce que tu penses vraiment que j’ai sciemment fomenté toutes nos plus belles rencontres ? Tu crois que l’environnement dans lequel l’on évolue me plaît ? Tu sais pourquoi j’y prends parfois autant de légèreté, et que je me marre de tout et de rien ? Parce qu’il n’y a plus que cela qui me reste. Même si je sais que l’on va tous crever un jour ou l’autre, demain, dans un mois ou un an, je ne baisse pas les bras pour autant, et je tente de survivre avec cynisme, certes, mais un cynisme qui m’amuse. Sans ça, autant se pendre directement. Quant à mes poings… »

Marwen hésita sur les mots, le ton à donner à ses phrases. Il ouvrit les lèvres pour une première fois, mais aucun mot n’en sortit. Il les ferma subitement, se les mordant quelque peu, et décida de se décharger de ce qu’il avait et ressentait toujours, de ces remords pourris qui ne manqueraient pas de gonfler en lui, putréfiés, s’il ne les exorcisait pas maintenant.

« Ouais, j’ai laissé des incapables me soigner, prendre soin de mes blessures après toi. Ouais, je suis parti comme ça, sans… Sans te le dire. Mais… C’est parce que c’est que tu m’as presque ordonné de faire, et pour une fois de ma vie, j’ai suivi ce genre d’injonction. Que crois-tu ? Je sais bien que, au fond, t’as ressenti la même chose que moi, lorsque j’ai fracassé ta porte, et que tu t’es défoulée sur tout ce qui était à portée de main dans le seul but d’apaiser tes émotions fulminantes. Tout comme moi après que tu m’aies fait tourner en bourrique. J’ai bien vu ces larmes que tu tentais de dissimuler, j’ai bien entendu tes reniflements de l’autre côté du mur. D’ordinaire, je me contrefous de tout ça. Mais là, j’étais la mort dans l’âme, dans l’hésitation la plus totale. Alors tu veux, savoir ? Tu veux vraiment savoir, Elisabeth ? »

Il était décidé à aller au bout des choses, à avouer ce qu’il n’aurait jamais confessé en temps normal. Car s’il ne le faisait pas, alors n’y aurait-il jamais d’autre opportunité pour le faire, qui tomberait assurément comme un cheveu sur la soupe. Et il en garderait de gros remords, une fois de plus.

« Je savais que j’étais en partie responsable. J’avais envie de m’excuser, de… Putain, de te consoler, même. D’avoir un geste de paix, de réconfort, j’en sais rien. Je suis pas bon pour ça, que dalle. J’avais le moral à zéro, j’étais comme dépouillé de tout, et je me foutais bien de mes blessures en constatant ton état. Mais ouais, je suis malgré tout parti comme un voleur. Par lâcheté, j’imagine, parce que j’ai jamais trop fait ça. Mais aussi parce que je m’étais déjà excusé, à ma façon -maladroite, j’en suis conscient. Et que tu m’as envoyé bouler comme jamais on m’avait dit merde. Tu étais dans ta chambre privée, autrefois verrouillée par cette clef que tu m’avais bassement montrée, placée tout juste hors de ma portée. J’ai compris le message, après. Alors… Que veux-tu. La moindre parole, le moindre geste pour te dire quelque chose, m’excuser, même, encore, dans cette même chambre… C’eût été comme… Déplacé. Et j’étais certain de me prendre encore un bon gros vent, que je n’aurais pas supporté de souffrir. Alors, j’ai suivi ta directive, en pensant que ce serait mieux pour toi comme pour moi. De partir, et de ne plus jamais nous revoir. »

Le vent qui soufflait, les embruns de la mer, qui s’en prirent par ailleurs à la sorcière, l’odeur du sel et le froid qui leur mordait les pieds et les jambes de ses crocs acérés… Marwen n’y prêtait pas attention. Il n’avait pas envie de rire à la vision d’Elisabeth tentant tant bien que mal d’essorer son cache-nez. Il n’osait même plus la mirer directement, et préférait observer sans véritablement la voir, le regard perdu vers l’horizon infini, les contours flous de sa silhouette et de son attitude. Trop d’aveux, de confessions, de vérités et de regrets qu’il n’était aucunement habitué à révéler. Il gardait cela pour lui, enfoui dans sa mémoire. Là, le contrebandier avait tout abandonné. Et de cette blessure à l’âme, il ne savait pas s’il en portait mieux ou pire.

« Et… Nous voilà de nouveau. Foutu destin de merde », laissa-t-il échapper à la faveur de la nuit, en constatant de manière bien évidente que les dieux, dans leur humour des plus insaisissables, avaient décidé de les réunir une fois de plus. Ses yeux se posèrent sur les algues qu’il tenait toujours, et il s’aperçut que ses jointures comme ses phalanges étaient devenues blanches comme la mort à force d’avoir serré les poings. Il les ouvrit brutalement, et les plantes coulèrent doucement vers les abysses, ballottées par la marée, un peu comme lui-même.

« Faut… Faut suivre encore la falaise sur une courte distance, là. Et puis il y aura une petite crique, une petite grotte. C’est un ancien coin de pêcheurs, ça, mais la mer ayant grignoté l’accès, il a été délaissé au fil des années. Désormais, ce n’est plus qu’un repère oublié, ou un très bon endroit pour y arrimer une barque lestée de marchandises douteuses, en attendant de stipendier l’officier chargé des taxes et du port. D’ailleurs, nos contacts arriveront à bord d’une gabare, à ce que j’ai cru comprendre. »

Le contrebandier leva la tête en direction du ciel, cherchant la lune, mais ne parvenant qu’à trouver son image, au beau milieu de la mer.

« Mouais… Bha je sais pas trop quelle heure il est. Mais vu le moment où l’on est parti, je crois qu’il va falloir attendre une heure ou deux avant qu’ils n’arrivent… »

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MessageSujet: Re: Authentique [ Marwen ]   Authentique [ Marwen ] EmptyMer 16 Nov 2016 - 22:51
S’attendant à quelques railleries sur la sensiblerie féminine ou à une bonne grosse colère, Elisabeth se retrouva bien mouchée face au déferlement d’aveux qui lui tomba dessus. La tête obstinément baissée sur sa foutue écharpe, elle se sentait à la fois honteuse et soulagée. Cette histoire l’avait miné beaucoup plus qu’elle ne le pensait et de tout faire sortir lui donnait l’impression d’être à la fois plus légère et plus…vide. Comme si le remord et l’inquiétude avaient creusé, à l’intérieur, et qu’à présent qu’on les avait fait sortir il restait une tanière inoccupée.
Puis, savoir que le contrebandier était juste trop gauche pour pouvoir dire les choses correctement, mais que l’envie y était, lui procura autant de gêne qu’une étrange satisfaction. Un sourire en coin, bien caché derrière ses cheveux, fleurit sur son visage et ses doigts s’entortillèrent dans les mailles humides de son tricot.

Qu’aurait-elle fait s’il était permis d’entrer pour tenter de rattraper les choses, au lieu de disparaître ? Il n’avait pas le droit de venir dans sa chambre, elle avait même été jusqu’à le narguer quand il avait cru pouvoir y faire intrusion. Mais s’il était simplement venu la chercher pour parler, ou juste passer un bras en travers de ses épaules, même simplement s’asseoir en silence à côté d’elle, l’aurait-elle laissé faire ou aurait-elle aboyé après lui pour le faire partir ? Elle ne se souvenait que trop bien de son état de fatigue et d’énervement à ce moment-là, c’était peut-être plus sage qu’il ne l’ait pas fait… D’un autre côté, elle n’avait pas pour habitude de houspiller les gens qui se souciaient vraiment de son sort. Et après lui avoir fait comprendre qu’elle le rendait hargneux, parfois, savoir que son moral avait un tant soit peu d’importance à ses yeux aurait certainement été bénéfique. Tout du moins ça l’était à présent qu’il le lui disait.
Et ce sagouin arrivait à la faire se sentir coupable d’avoir été si harpie. Après tout, il était alors malade et ivre, tout le monde se montrait sous un joue nouveau et assez désavantageux dans ces moments-là. Connaissant le personnage, elle aurait dû prévoir qu’il serait insupportable.

Un genre de silence très gêné s’installa et malgré qu’elle ne souhaite pas le faire se prolonger, Elisabeth ne trouva pas tout de suite le courage d’ajouter quelque chose. C’était peut-être plus simple d’embrayer directement sur l’affaire qui les avait menés jusqu’ici, mais cela aurait été se montrer terriblement ingrate avec l’effort que venait de fournir son guide.
Elle s’y reprit à trois fois avant de pouvoir prononcer des mots intelligibles.

« C’est… Gentil. D’avoir voulu… Enfin de t’être excusé. Et c’était mesquin de ma part de te narguer. Je voulais juste… C’est toujours toi qui me tourne en ridicule, pour une fois que j’étais certaine de gagner, j’ai sauté sur l’occasion. Mais c’était inutilement agaçant… Et tu n’étais pas en état non plus. Pardon pour ça. »

La jeune femme renonça à extraire toute l’eau de son écharpe et se contenta de la tenir à la main normalement. Avec le vent c’était bien pratique tiens… Ses cheveux déjà humides d’embruns étaient rabattus sur le côté par le vent qui venait du large. Il faudrait qu’elle songe à les recouper un peu.

« Et tu m’as fait peur. Ça me rend mauvaise quand on me fiche la trouille comme ça. Tu n’arrêtes pas de me rappeler que je suis toute seule, que je ne peux pas me défendre, que je suis juste une femme… Tu crois peut-être que je ne le sais pas ? C’est pas faute d’essayer, mais je sais bien qu’au fond je suis pas capable de me défendre vraiment… T’avais pas besoin de me prouver que tu es plus fort que moi, c’était juste… violent. À cause de la Fange, moi c’est tout ce qu’il me reste, de montrer les dents. Laisse-moi faire semblant. Ça trompe peut-être personne, mais ça me rassure. »

Avec beaucoup de vigilance, elle descendit de son rocher glissant pour revenir sur la grève, les pieds dans l’eau. Tant pis pour les algues, elle ne pouvait de toute façon pas avancer plus loin sans marcher dedans alors… Eli fit un geste comme si elle allait parler mais abandonna en cours de route avec un léger soupir. Ils s’étaient juste montré aussi con et bornés l’un que l’autre dans cette histoire. Le plus surprenant étant certainement qu’ils en avaient tout le deux beaucoup plus souffert qu’ils ne l’auraient cru.

Après un bref échange de regard, ils reprirent la marche en silence pour rejoindre la petite crique et au moins se mettre au sec plutôt que de risquer la pneumonie en jouant les pêcheurs de crevette les pieds dans l’eau. La falaise escarpée s’arrêtait brusquement et se creusait alors, comme si on y avait donné un coup de cuillère géant. Une plage de galets que la marée avait épargnée s’enfonçait sous la voûte que formait la falaise, creusée par la mer. L’endroit était parfaitement camouflé depuis le sommet des rempart ventrus de l’Esplanade et insoupçonnable depuis le port. Il fallait certainement venir du large pour voir cette entrée où la houle marine s’apaisait pour venir lécher cette mince bande de terre en douceur.
L’apothicaire ne fut pas mécontente, après un peu d’escalade et quelques bonds de cabris, de pouvoir poser ses pieds frigorifiés sur une surface un tantinet moins humide. Sans hésiter elle se rencoigna dans le fond de la plage, à l’abris de l’eau et du vent, pour dérouler sa robe autour de ses jambes et s’asseoir en ramenant ses genoux et ses pieds contre elle. Les tremblements la secouaient de la tête aux pieds et ses ongles aussi étaient bleus à présent. Dommage qu’ils ne puissent pas faire un feu quelconque.

« J-J’aurais m-mieux fait de t-t’attendre au p-port. Ça p-pue mais au m-moins j-j’aurais été au sec. Une ou d-deux heures, hein ? On f-fais quoi en attendant ? J-j’ai pas pris mon jeu de c-cartes. »

Les bras verrouillés autour des genoux, elle frissonnait comme un moineau en hiver qui essaye de gonfler ses plumes pour se tenir chaud. Un moineau un peu bougon, même si c’était plus pour la forme qu’autre chose. À force de trembler comme une feuille, la jeune femme parvint à retrouver une sensation de chaleur, d’autant plus que le vent ne venait pas sans cesse plaquer leurs vêtements contre leur pour y insinuer ses doigts froids. Sa mâchoire finie par arrêter de claquer.

« Tu vas retomber malade si tu restes avec des bottes trempées à cette saison. Tes mains… Elles sont guéries ? Ça ne te fait pas mal quand tu… » Elle mima le geste de refermer le poing puis d’étirer ses doigts. « Tu avais un doigt cassé. Je peux voir ? »

Elle dénoua ses bras de ses genoux. Ses mains à elle étaient sans doute très froide, mais de penser à autre chose tenait les frissons à distance. En plus ils avaient un sacré bout de temps à attendre et à part dormir, il ne restait pas grand-chose à faire. Eli présenta ses mains en coupe pour inviter Marwen à se laisser examiner un instant. Plus que regarder, elle allait surtout essayer de deviner au toucher si les articulations étaient gonflées ou anormalement raides, ce qui pouvait dégénérer avec l’âge en une paralysie partielle de la main ou une perte de sensibilité des doigts.

« J'espère que tu dors ailleurs que dans des cimetières, quand tu es malade. Ça me fendrait le coeur de savoir que tu as récupéré de la fièvre entre deux tombeaux, grelottant et délirant dans ton sommeil, comme le premier jour après que je t'ai ramassé dehors. »

C'était un peu piquant, mais fondamentalement vrai. Sans parler de l'impression d'être responsable de cette érance alors qu'elle avait de quoi le soigner et l'abriter le temps qu'il recouvre la santé.
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MessageSujet: Re: Authentique [ Marwen ]   Authentique [ Marwen ] EmptyJeu 17 Nov 2016 - 1:14
Les excuses avaient été proférées, d’un côté comme de l’autre, en sus de quelques remerciements pour la sollicitude avouée. Et l’on s’était regardés de profil, sans rien oser ajouter d’autre, dans ce silence maladroit et perceptible que venait briser la mer et son ressac. Oui, Marwen savait pertinemment qu’il lui avait causé grande peur ; cela, elle le lui avait déjà dit. Elle n’avait plus rien pour elle, plus de famille, peut-être pas d’amis sur qui compter, et, ès qualités de femme esseulée, devait tenir sa boutique en bravant tous les dangers qu’apportaient ce monde bouleversé et la bassesse humaine. L’Esbigneur n’aurait assurément pas dû le lui remembrer également, il en avait parfaitement conscience. Mais il avait toujours eu ce côté gaillard et phallocratique qui pouvait parfois s’estomper, mais que rien, sûrement, ne pourrait totalement effacer. Et le fait que cette petite apothicaire avait voulu faire prévaloir sa supériorité en profitant de son ivresse et de sa maladie l’avait rendu si fou de rage, surtout à cause de ses moqueries et de tout ce qu’ils avaient enduré, qu’il en était venu à se comporter de la sorte… Et à l’épargner par la même occasion, pour diverses raisons.
Mais le contrebandier décida d’en rester là et de ne pas davantage continuer ce débat sur les motivations de chacun. Celles-ci avaient déjà été suffisamment explicitées, et nombre de confessions avaient tout autant déjà été faites, renouant plus ou moins les affinités de chacun. Et pour cette nouvelle escapade nocturne, c’était tout ce qui comptait.

Poursuivant leur route, pataugeant dans l’eau qui clapotait tout autour d’eux et qui, quelquefois, cherchait à les désarçonner d’une vague plus puissante que les autres, ils finirent par atteindre la petite crique creusée dans la falaise. Avec cette avancée de la grève au détriment de la roche, l’eau avait cédé du terrain, libérant plein de petits galets qui auraient fait pleurer les enfants en bas âge, courant pieds nus sur cette plage. Il ne pleuvait pas, actuellement, mais si cela devait arriver, au moins pourraient-ils se mettre à l’abri.

Elisabeth n’attendit pas par ailleurs le caprice du temps pour s’y mettre, allant s’asseoir tout au fond de la petite baie, contre le bas de la falaise. Elle grelottait quelque peu d’avoir eu les pieds trop longtemps dans l’eau froide, et se tenait les genoux recroquevillés contre elle afin de conserver un maximum de chaleur. Marwen vint la rejoindre, un peu plus à l’aise avec le temps froidureux.

« Tiens, prends ma veste. » Et, joignant le geste à la parole, il ôta son vêtement pour le déposer sur les épaules tremblotantes de la sorcière. Et afin de dispenser davantage de chaleur et de garder celle-ci, pour lui comme pour elle, le contrebandier vint à son tour se poser au sol, tout contre elle. Mais il n’y avait pas que son corps qui frémissait dans le vent ; sa voix faisait de même, comme elle le lui démontra bientôt.

Contrairement à ce que la jeune femme lui dit, lui se trouvait fort content de sa présence, qui était de toute façon mandatée pour la mission qu’ils avaient tous deux reçue. Cela avait permis de remettre les choses au clair entre eux, de s’expliquer, une fois de plus, d’atténuer les possibles tensions, les regrets, et les remords. Mais cela, l’Esbigneur s'abstint de le lui dire. Egalement, bien que cela fût égoïste, il préférait, pour cette possible longue attente, être accompagné plutôt que de demeurer seul.

« Bha, t’avais pas le choix. Et puis ça craint un peu, tu l’as bien vu. Parce que j’ai une mission à respecter auprès de notre bon et cher commanditaire, je ne t’aurais pas laissée là, quand bien même les pochetrons avaient l’air de bien t’apprécier, et que tu aurais été entre de bonnes mains, si fait. Moi, j’ai bien un jeu de dés, tout au pire, même si, bon… un dé, c’est sacré, ça ne se prête pas, alors il faudrait que tu aies les tiens. D’autant plus que quelques-uns des miens sont pipés. Puis… Que pourrait-on parier ? Nos paies ? Tu dois pas être assez joueuse. Un verre ? Pourquoi pas. Sinon, il y a toujours l’option qui m’enchante le plus. Tu perds, tu retires un vêtement. » Il lui décocha un clin d’œil, que pour mieux se justifier, eu égard à l’expression que ne manquerait pas de lui faire la sorcière, s’il la connaissait si bien que ça. « Ça va, ça va, je sais, il fait trop froid. Je déconnais… A moitié, huehuehue. »

En revanche, Marwen n’eut pas d’autre choix que de retirer ses bottes ; ordre de sa guérisseuse, plus ou moins. Il s’en fichait quelque peu, mais ne préférait pas argumenter en refusant. Après tout, les enlever ne coûtait pas grand-chose si ce n’était quelques secondes, et, du temps, ils en possédaient presque à profusion. Vint alors la question de ses mains.

« Une sale raideur dans le petit doigt, ouais, c’est… Bizarre, je ne saurais dire. Mais bon, c’est ma senestre, alors, je m’en fous un peu, ça change rien. Je peux toujours faire ce que j’effectuais auparavant avec elle, si ce n’est une certaine gymnastique. Tiens, ça, par exemple, regarde. »

Il dressa le bras et la main en face de lui, à l’attention de la mer, et gueula soudainement, tout en faisant le geste approprié que tout le monde connaissait :

« Enculé ! »

Mais si l’index de sa main gauche se leva bel et bien, le petit doigt l’imita tout autant, ce qui changea radicalement le sens de la gestuelle. En d’autres mots, son signe ne voulait plus rien dire.

« Ouais, je sais, c’est pas trop le feu, mais bon. Que veux-tu. Genre ça a fait pousser des liens entre ces deux doigts-là. Merci Anür, sérieux, c’est n’importe quoi. Je te raconte pas, avec la prochaine donzelle que je vais… Ouais, bon, oublie. Tiens, tu voulais voir. Pas très joli, mais bon. »

Il lui montra ses mains, et tout particulièrement la gauche, apposant son poignet sur le genou relevé de la sorcière pour éviter d’avoir à les tenir dans les airs trop longtemps, comme un con. A plusieurs endroits, la peau et le cal, alors tannés par le travail et les basses tâches, se décoloraient soudainement au profit d’une chair nouvelle, plus douce et sensible. A d’autres endroits, au contraire, si ses doigts se nuançaient toujours d’un rose très pâle, y figuraient de longues cicatrices membraneuses, légèrement boursouflées. Ces chéloïdes apportaient un relief disgracieux à l’aspect de ses poings fermés, et cette crispation ne les faisait ressortir que davantage encore. Quant au petit doigt facturé, Marwen n’aurait su dire s’il s’avérait gonflé.

« J’sais pas trop. Je crois pas. »

Elisabeth lui confessa alors qu’elle espérait qu’il n’eût pas à dormir dehors ou dans un aître, comme ils l’avaient déjà fait, tous deux. L’espace d’un instant, il se demanda, eu égard à cette soudaine sollicitude, s’il ne devait pas lui mentir pour ménager ses craintes. Puis il haussa les épaules, avant de répondre :

« Si, mais bon, ce qui est fait est fait. J’ai survécu, alors, qu’importe. Enfin, il n’y a pas eu que des cimetières dont je chéris mes chers voisins, il y a aussi eu des greniers perdus, une écurie, tiens, une fois, même si j’ai dû par la suite graisser la patte du palefroi qui m’a surpris au réveil pour me jeter doucement dehors, pas trop fort. Le plus drôle, dans l’histoire, c’est que ça m’a coûté un peu moins cher qu’une de ces auberges crasseuses, souillées par toute la misère de ces réfugiés, où la paille est de pire qualité encore. Après, t’as les typiques bordels. Ça coûte un peu plus cher, mais si tu sais où te rendre, c’est d’assez bonne facture. Et puis t’es accompagné, ce qui est non seulement utile pour refaire les bandages, mais aussi pour se tenir au chaud. »

Après un petit moment, Marwen s’allongea sur les galets, observant, là-haut, les rebords de la falaise qui les surplombaient tous les deux. S’il baissait un peu le regard, en direction de la mer, alors constatait-il toute sa vastité, et les étoiles qui scintillaient au-dessus d’elle.

« C’est typiquement le genre d’endroit où l’on pose la question de savoir quel est le plus beau souvenir de ta vie, ou une connerie du genre. J’oublie l’existence post-fangeuse, ou je l’occulte ; elle n’a plus rien à voir avec celle que l’on mène de nos jours. Et pour cause… J’ai beau réfléchir, concernant cette dernière, après l’arrivée des bestioles, je n’ai pas véritablement de merveilleuse réminiscence. Tout au plus, et ce ne sont que des moments où j’arrive à me tirer hors d’affaire, la sensation d’être toujours en vie. Ou bien mettre le grappin sur une sacrée cargaison, ou bien piller une belle et bonne somme à son adversaire au cours d’une partie de dés. C’est tellement… Pauvre, en dépit de cette richesse gagnée. Mais bon, d’un autre côté, je n’ai pas trop d’autres espoirs, pas d’autre volonté, pas de souhait de famille àlakon qui rendent tous les crédules et les ingénus heureux, va savoir pourquoi. Par contre, je collectionne les pires. Sacrée vie, ouais, putain… Tssss. Vivement que l’on crève tous. »

Ils parlèrent un peu, encore, ou beaucoup, ou pas du tout. Toujours fut-il que le temps s’égrena plus ou moins rapidement en fonction de leur volubilité ou de ce qu’ils firent, et que, au bout d’un moment, ils s’aperçurent qu’une embarcation venait droit sur eux.

« Ah bha enfin, c’est pas trop tôt. Non pas que ta compagnie me soit déplaisante, sorcière, mais… Tu vois, quoi. » Grand sourire.

La gabare arrivait lentement mais sûrement, voguant tranquillement sur la mer qui l’était tout autant. Arrivée à l’orée de la plage, sa proue n’hésita pas à mordre le sable, sa coque étant à fond plat, et trois types sautèrent par-dessus bord pour hisser le bateau un peu plus sur la grève, évitant qu’il ne reparte à la flotte.

« Un bougre et une bougresse. Ouais, j’imagine qu’il n’y a pas trop de confusion à se faire », lança un des types, un mauvais sourire en coin. A vrai dire, ils avaient tous aussi l’air patibulaires que pouvait l’être Marwen lorsqu’il ne balançait pas deux ou trois conneries à droite à gauche, en se fendant de son petit sourire sarcastique ou profondément taquin. L’Esbigneur comme la jeune femme se sentirent observés sur tous les angles, comme si l’on jugeait de leur valeur, de cette mission qui leur avait été confiée. Puis les trois arrivants se concertèrent du regard, leurs rictus s’agrandissant. Sûrement que le duo avait passé l’épreuve, car un des types monta prestement dans l’embarcation pour y chercher deux coffrets.

« J’imagine, à n’en pas douter, que vous savez pourquoi vous êtes là », fit-il en tendant les cassettes dans un mauvais sourire, un peu arrogant. Marwen les prit rapidement en grippe. C’était tout à fait le genre de reître ou de ruffian qu’il exécrait. Alors aussi pauvres qu’il ne l’était lui-même, ils étaient soudainement parvenus à s’attirer les faveurs d’un noble, de quelque manière que ce fût, et la richesse que celui-ci leur accordait les rendait que trop vaniteux, à péter plus haut que leur cul. Cela se sentait dans leur être, dans les regards qu’ils jetaient à la sorcière, comme si elle leur appartenait déjà, et le contrebandier, étant pourtant bien un homme, ressentit lui aussi cette détestable sensation. Plus encore, voilà que les gus leur collaient aux basques, frôlant les épaules et les fesses d’Elisabeth… Et même celles de Marwen. A tous les coups, il y avait, dans ce groupe, un putain de suceur de queue, et ça, c’était pire encore qu’une grognasse qui tentait de faire la belle, selon lui. Ils veillaient bien trop près sur eux, surveillant que les chargés d’analyses ne s’essayeraient pas à chaparder quelques trésors. Ce que contenaient les boîtes, même s’ils n’en étaient pas sûrs, devait assurément détenir une certaine valeur. Et pour cause, Marwen laissa échapper un petit sifflement.

Les coffrets d’ébène s’ouvraient simplement, mais leur plafond, à l’intérieur, s’ornait d’arabesques dorées qui tranchaient admirablement sur le bois noir. Rien que les motifs valaient leur pesant d’or. Ce qu’ils recelaient s’avérait peut-être moins stupéfiant, mais tout de même. De l’argenterie à la nitescence éclatante, au blason finement ciselé, aux gravures grandiloquentes, et au poinçonnage de qualité. Il était difficile de douter de leur authenticité, et Marwen, qui n’était pas un débutant en matière de contrebande, avait les yeux qui brillaient. Il en oublia presque la salope de mercenaire qui le suivait d’un peu trop près.

« Vous avez chopé ça où, sans déconner ? Que ce soit dans une grotte perdue ou à l’Extérieur… La conversation est incroyable, c’est pas possible…
- T’occupe… Mais ouais, t’as raison. C’est justement parce que ça semble être trop beau pour être vrai que notre maître cherche à savoir. Alors, la donzelle, vu que c’est bien toi, me paraît-il, qui es chargée de faire des… tests. Tu t’y mets ? Verdict ? »
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Elisabeth GardefeuApothicaire
Elisabeth Gardefeu



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MessageSujet: Re: Authentique [ Marwen ]   Authentique [ Marwen ] EmptyJeu 17 Nov 2016 - 23:33
Emmitouflée dans la veste qu’elle n’avait pas mis longtemps à accepter, Eli s’abstint difficilement de rire lorsqu’elle constata le doigt d’honneur raté. Elle était toujours fatiguée et lassée de son crapahutage ainsi que du froid, mais le geste grossier était si bien déformé par une articulation rebelle qu’il en était tout simplement ridicule. Marwen n’avait pas l’air plus contrarié que cela d’avoir un doigt en vrac, bien qu’il trouve des applications quotidiennes un peu fâcheuses, mais l’apothicaire prit tout de même le temps de regarder ses mains, profitant d’avoir un genou comme table d’opération pour examiner les autres articulations. La peau s’était rien refermée, même s’il restait des marques à cicatriser et rien ne semblait infecté. Elle testa une à une les phalanges de chaque doigt, les repliant et les dépliant selon une méthode visiblement bien rodée.
Amusant ça, elle avait passé déjà pas mal de temps avec le contrebandier mais jamais elle ne s’était attardé sur ses mains. Pourtant on pouvait dire qu’elle était experte dans le domaine et c’était souvent quelque chose qu’elle regardait en premier chez les gens. Les paumes calleuses, des cicatrices plus ou moins bien soignées, les phalanges déjà noueuses, il avait les pattes abîmées et plutôt rêches, mais elles témoignaient d’un travail quotidien. Elisabeth avait déjà entendu certaines clientes fortunées se plaindre de la rudesse des paumes de leur mari, préférant visiblement des mains douces et bien entretenues, mais elle-même ne partageait pas tout à fait ce genre de goût, bien que son propre père n’ait pas eu les mains très abîmées en raison de son travail. Peut-être à force de côtoyer Leudast ?

Habilement, elle massa dans le creux de sa paume le doigt abimé qui ne voulait plus se plier correctement, essayant de chauffer un peu l’articulation grippée pour la faire travailler sans douleur. Le pauvre Esbigneur lui narra ses déboires avec le haussement d’épaule de celui qui fait avec, et elle se sentie un peu désolée pour lui. Être malade était déjà assez déplaisant sans qu’il y ait besoin de se trouver dans un lieu inconfortable en plus de cela. Mais il semblait avoir trouvé la compagnie de quelques filles de joie plutôt réconfortante, même si leur savoir-faire en matière de bandage devait raser les pâquerettes, alors elle n’allait pas trop le plaindre non plus et certainement pas à voix haute. Pour un type dépouillé et souffreteux, il ne s’en était pas trop mal tiré.
Pliant et dépliant avec précaution le doigt brisé, Eli sentit l’articulation peiner un peu à faire le travail, mais elle ne refusait pas tout à fait de bouger, ce qui était plutôt engageant.

« J’ai l’habitude des mains cassées et des doigts qui ne fonctionnent plus. La première personne que j’ai soignée, c’est un fils de forgeron. On a le même âge, on était tout piots quand on s’est rencontré. Il a eu la main à moitié broyée par un coup de marteau. Je m’occupe de lui encore aujourd’hui, quand il fait trop humide et que ça le fait trop souffrir, j’ai une pommade pour ça. Alors si tu ne veux pas finir comme lui, avec un gant en métal pour te permettre d’utiliser ta main, t’as intérêt à te repointer à la boutique pour que je veille un peu au grain. »

Le contrebandier s’affaissa jusqu’à s’allonger, beaucoup moins frileux que sa compagne qui restait repliée sur elle-même, enveloppée dans sa robe et la veste trop grande pour elle. Têtue, elle ne lui avait pas lâché la main et continuer de tourner, tordre et replier la phalange pour l’assouplir. Le pire à faire était sans doute de laisser un membre cassé immobile après que l’os soit réparé. C’était le meilleur moyen pour le transformer en pierre.
L’Esbigneur se fendit alors d’une tirade défaitiste en regardant la mer qui fit lever les yeux au ciel à l’apothicaire, mais lui arracha également un sourire amusé. Pour un type mal embouché qui se plaignait de sa situation, il avait surtout fait preuve d’une rage de vivre plutôt exceptionnelle, du moins devant elle. Difficile de croire qu’il avait hâte de mourir et d’en finir. Et venant de lui, ce n’était pas très étonnant qu’il ne cherchât pas à se marier. Il faudrait être un peu fêlée pour vouloir de lui comme mari.

« Ah bon ? Je te voyais pourtant bien en compagnie d’une jolie paysanne aux nattes blondes et entourée par une ribambelle de marmaille sautillante, te satisfaisant du bonheur simple de regarder l’herbe pousser et tes quelques chèvres chier devant ta porte en attendant que ta gentille petite femme fasse à manger. » Elisabeth lui lança un sourire railleur avant de s’adoucir pour reprendre sur un ton plus aimable. « C’est sûr, c’est la merde et on n’est pas prêt de trouver une solution au problème. Mais je n’ai pas envie de mourir tout de suite. Je sais bien que si les fangeux passent les portes, je serais parmi les premiers à me faire bouffer, mais je suis quand même curieuse de savoir ce qui va se passer, si on va trouver un remède, si les dieux vont intervenir ou si on va juste tous se changer en fangeux et monter une ville de fangeux. »

La conversation dura encore un moment avant que le silence ne retombe. Mais un silence bienvenu et plutôt apaisé. Sans le froid et la mer toute proche, cela aurait presque pu être agréable. L’apothicaire rendit sa main au contrebandier lorsqu’elle estima qu’elle ne pouvait rien faire de plus pour son petit doigt défectueux en l’absence de baumes ou de plantes dont elle avait le secret et se contenta de poser son menton entre ses bras pour regarder la mer à son tour. Elle failli d’ailleurs s’endormir et ce fut la voix de son camarade d’expédition qui la réveilla tout à fait. Une petite embarcation arrivait vers eux, avec à son bord un équipage réduit. Le temps qu’ils poussent sur le sable leur coque de noix, les deux envoyés nocturnes étaient debout, tout à fait réveillé et tout à fait sur leurs gardes.

Parce que les tronches des butors qui venaient de débarquer n’inspirait pas vraiment confiance et leur sourire encore moins. Elisabeth remit son masque d’hostile méfiance et croisa les bras pour se donner une contenance et surtout avoir ses aiguilles à portée de main.
Les vautours leur tournèrent autour et elle failli gronder comme un chien de garde lorsque l’un des couillons lui tourna autour en la dévisageant de la tête aux pieds, laissant traîner une main dans son sillage pour bousculer un peu ses jupes. Et voir que Marwen était sous étroite surveillance également ne l’aida pas à se sentir soutenue.

Le trésor dont ils avaient la charge émerveilla le contrebandier comme un enfant devant un cadeau et elle eut envie de lui coller une bonne taloche derrière la tête pour le réveiller et lui rappeler en compagnie de qui il se trouvait. Est-ce qu’il fallait qu’il sente le type se frotter à lui pour avoir les yeux sur autre chose que les coffrets ?
Avec un grognement mécontent, elle prit l’une des petites cassettes en bois des mains du truand qui les tenait et la fourra dans les paluches de son contrebandier pour ne pas avoir à approcher l’autre, mais il se penchait tellement sur elle pour « vérifier » qu’elle ne dérobait rien qu’elle pouvait sentir son haleine contre sa joue. Les dents serrées de se sentir si brutalement renvoyée à un rôle de potiche tout juste bonne à être pelotée, la jeune femme envoya un coup de coude bien placé dans les côtes de l’indiscret personnage, sous prétexte d’aller plonger la main dans sa besace. Elle se contenta d’un « oups » qui n’avait rien de désolé et s’équipa d’un petit morceau de tissu et d’une fiole dont elle seule savait quel était le contenu. Les motifs devaient être en or et si c’était le cas, elle le saurait très vite. Si les métaux précieux étaient justement si précieux, c’était d’une part pour leur rareté, d’autre part pour leurs caractéristiques.

Sans hésiter ni lésiner sur la quantité, elle imbiba le carré de tissu et le passa sur les dorures. En dehors d’une légère trace humide sur le bois, cela n’eut aucun effet notable, mais elle s’intéressa surtout au chiffon lui-même. Le résultat lui fit hocher la tête et elle prit d’office la seconde boîte pour la poser dans l’autre main de Marwen et lui infliger le même traitement. C’était faire d’une pierre deux coups puisque maintenant, c’était eux et non plus le trio de racoleuses du dimanche qui était en possession des coffres.
Celui qui semblait être vaguement le chef de cette troupe de macaques mal dégrossi posa sa grosse paluche crasseuse sur l’épaule frêle de l’apothicaire et se pencha pour regarder ce qu’elle faisait, appuyant sciemment sur elle pour lui faire courber le dos et la tête. Mais têtue comme une mule qu’elle était, la donzelle fit mine de rien et passa à un autre produit. Même opération, cette fois avec une poudre fine ressemblant à de la farine et dont elle enduisit certaines pièces d’argenterie avant de les frotter un peu avec un nouveau morceau de tissu. Encore une fois, l’opération ne laissa pas de trace et elle ne dit pas si c’était une bonne ou une mauvaise chose. Elle se contenta d’échanger un regard avec Marwen pour lui signaler silencieusement qu’elle avait terminé et qu’elle voulait se tirer de là au plus vite. Mais le type qui la tenait ne semblait pas du même avis et pesta bien haut. Peut-être se sentait-il floué ou peut-être qu'il avait simplement besoin d'un prétexte, mais l'apothicaire l'avait senti venir : cette rencontre ne se terminerait pas avec plus de peur que de mal.

« Alors quoi ? C’est tout ? C’t’une bouffonnerie ton truc ! C’est juste pour ça qu’on s’est fatigué ? Attends voir, j’vais nous trouver une bonne raison d’être venu. »

Ni une ni deux, il tira en arrière la jeune femme pour mieux la faire tomber entre ses pattes et lui attraper les poignets tout en restant derrière elle, bien hors de portée des coups qu’elle aurait pu lui balancer. Il arborait un sourire victorieux et se faisait un plaisir de forcer Elisabeth à lever les bras bien haut pour qu'elle s'épuise perde l'équilibre à chaque ruade furieuse. Ce qui ne l'empêcha pas d'essayer. Son complice aux mains baladeuses lâcha un rire gras et s’approcha pour couper toute retraite vers la falaise, visiblement habitué à cet exercice en équipe.

« Cassez-vous bande de porcs ! Z’avez fait votre boulot alors maintenant allez pourrir en enfer et foutez-moi la paix ! Toi, t’images pas un instant me toucher ! »

Elle se débattait, tirait sur ses bras, crachait des insultes toutes plus fleuries les unes que les autres et cherchait à se défaire de la poigne mais c’était peine perdue et l’autre allait pour lui attraper les jambes et la soulever, l’œil avide et la tronche d’un clébard qui n’a pas mangé depuis des jours et à qui on propose une pièce de viande. Une pointe de panique lui traversa le cœur, malgré la colère prédominante.

« Marwen, putain ! Aide-moi ! »
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Marwen l'EsbigneurContrebandier
Marwen l'Esbigneur



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MessageSujet: Re: Authentique [ Marwen ]   Authentique [ Marwen ] EmptyVen 18 Nov 2016 - 1:18
L’instinct des plus développés de Marwen lui indiqua prestement que le grognement d’Elisabeth lui était tout à fait destiné, et cela alors même qu’il venait de s’extasier devant la qualité des objets. Allons donc, peut-être qu’elle avait coutume que de manger avec de tels ustensiles ou d’en trouver de semblables à chaque coin de ruines oubliées, mais, pour lui, cela demeurait tout bonnement incroyable. A vrai dire, l’on aurait dit que l’argenterie sortait tout juste d’un tiroir, et l’Esbigneur s’était gratté la tête plus d’une fois en songeant à cela. D’un autre côté, rien ne stipulait que ces pièces eussent été véritablement trouvées dans quelque cachette ou temple perdu. Mais c’était ainsi qu’il avait vu les choses lorsque cette mission lui avait été confiée. Authentifier les métaux de reliques anciennes datant d’un temps jadis.

Par ailleurs, le contrebandier reçut rapidement l’un des petits coffrets entre les pattes, ce qui l’emmerda quelque peu. Il le tint, bien évidemment, mais cela le gênait dans ses mouvements ; de vieux réflexes et une certaine cupidité, tributaire de la sensation coutumière ressentie par celui qui n’était pas bien riche, l’obligeait à manipuler l’objet avec la plus grande attention, voire une certaine déférence. Et vu la façon dont les trois types se comportaient avec eux, il faudrait bientôt jouer des mains… Mais pour se défendre, contrairement aux ruffians qui les reluquaient de trop près. Et le petit geste de la sorcière pour se dépêtrer de celui qui lui collait au cul n’y fit rien ; l’homme se montra que plus téméraire et entreprenant encore, à lui tourner autour. Définitivement, il y avait davantage que la simple vérification afin d’empêcher qui que ce fût de voler discrètement un couvert en argent.

La jeune femme se livra à ses expérimentations savantes dont Marwen n’y comprenait goutte, quoique cela ne semblait pas si compliqué, si l’on s’était permis de le lui expliciter. Frotter du bois avec du tissu mouillé, cela devait être dans ses cordes. Restait à en déduire le résultat. Et le voilà qui se retrouva avec un second coffret dans les pattes, un par main. Marwen tiqua, secouant imperceptiblement la tête en direction d’Elisabeth, comme pour lui faire partager le fait que ce n’était peut-être pas une bonne idée, mais celle-ci tâchait déjà de mener une nouvelle expérience. Par ailleurs, en la voyant ainsi astiquer un couteau tenu verticalement à l’aide d’un nouveau tissu, l’Esbigneur manqua de se fendre d’une petite blague égrillarde, mais, eu égard aux trois gus qui les surveillaient, et à leur attitude, il se dit que ce n’était pas forcément une bonne idée non plus, et s’abstint de tout commentaire. Et pour cause.

Le reître qui veillait sur la sorcière se tenait tout contre elle, dans son dos, et le voilà qui apposa sa main sur l’épaule de la jeune femme. La façon dont il se comportait, la manière avec laquelle il appuyait sur Elisabeth comme pour la trousser, tout cela avait quelque chose d’affreusement dérangeant. Et Marwen crut apercevoir l’ombre d’un tout autre geste, aucunement celui auquel il s’attendait, de celui que l’on effectue pour sortir une arme.

« Eh, dégage de là. Ecarte-toi d’elle, je te le dirai pas deux fois.
- Tiens, nous avons là un preux chevalier. Et où est donc passée ton armure ? A moins que tu ne sois qu’un pauvre pécore qui voudrait se la réserver pour toi tout seul ? Faut partager, eh !
- Les gars, oubliez pas pourquoi on est là, putain… », renchérit nerveusement le gus qui collait aux basques de l’Esbigneur.

Ce dernier, tenant toujours les deux coffres dans ses mains, vit le type à qui il s’était adressé effleurer avec un air mauvais le cou d’Elisabeth. Dans le même temps, celle-ci se redressa soudainement, et, dans un regard, lui indiqua que tout était terminé, et qu’il fallait se barrer de là. Marwen n’était l’on ne pouvait plus d’accord ; les chances n’étaient clairement pas en leur faveur. Mais le chef de toute cette petite clique ne voyait pas la situation sous le même angle. La petite entrevue qu’il avait eue avec la sorcière dut lui paraître bien trop raccourcie, et sa gestuelle lui avait chauffé l’esprit plus que de raison.

Ce fut à ce moment-là que les évènements prient un tout autre tournant. Sans qu’il n’eût rien vu venir, Marwen s’effondra sur le sol après avoir reçu un puissant horion derrière la nuque, et les cassettes chutèrent dans le sable. Il ne comprit pas, ne constata qu’un énorme voile blanc, puis noir devant les yeux, et sentit que l’on se débattait un peu plus loin, sur la grève. Et surtout, ce fut les cris de la sorcière qu’il perçut le plus, bien que de nouvelles voix s’y ajoutèrent rapidement. Dans un premier temps, il y eut cette même voix nerveuse, peu confiante. Celui qui s’était trouvé derrière l’Esbigneur. Celui qui avait assurément tenté de l’assommer, par ailleurs.

« Mais merde, vous foutez quoi ! On doit la rapporter vivante et en bon état à l’autre bourgeois, là. Le plus vite possible, et se débarrasser de l’autre. Pas la…
- Oh, ta gueule, Eric. On va pas lui faire de mal, t’en fais pas. Que du bien, même. Maintenant, si tu préfères te branler, bha te gêne pas. Et occupe-toi d’achever l’autre zigoto plutôt que de nous faire chier. Alors, on en état où, ma jolie ? »

Le voile s’estompait lentement mais sûrement devant le regard de Marwen, qui s’était piteusement mis à genoux. Il se secoua la tête, incapable de penser comme il se devait, bien qu’il pressentît l’urgence de la situation, pour Elisabeth comme pour lui. Le contrebandier crut discerner deux silhouettes qui maintenaient une troisième en la clouant au sol. Une quatrième, la plus proche, celle dudit Eric, sans doute, se tourna vers lui, et l’Esbigneur le sentit quelque peu étonné de le voir toujours conscient, quoique légèrement vacillant. Ce dernier mobilisa toutes ses ressources pour se jeter sur lui, profitant de sa surprise. Dans son état, c’était maintenant ou jamais. L’autre ne s’en trouva que plus ahuri encore, et, dans un geste défensif, chercha à agripper sa dague. Voilà qui prenait bien une ou deux secondes en plus, et Marwen décida d’opter pour la voie la plus rapide ; ignorer sa propre lame pendue à sa ceinture, et user de ses poings. Ce fut très certainement ce qui lui donna l’avantage ; son adversaire avait à peine eu le temps de poser sa dextre sur la poignée de son coutelas que l’Esbigneur avait fondu sur lui. Il ne pouvait pas se défendre à temps, avec son geste de retard.

Les insultes et la géhenne de la sorcière continuant à résonner au loin, bien que trop proches dans sa tête à son goût, l’Esbigneur alla au plus vite. Tuer son adversaire en l’étranglant ou en le cognant jusqu’à ce que mort s’en suivît prendrait trop de temps. Il se contenta de lui broyer les yeux, le plus simplement du monde, sans pensée aucune. Un hurlement déchirant retentit dans la petite grotte, couvrant les cris de la jeune femme, et une silhouette couchée sur le sol se débattit, griffant et mordant aveuglément le sable tout autour d’elle. Mais son bourreau était déjà passé à la cible suivante.

Ce même hurlement avait assurément réfréné les ardeurs des deux compères aux envies aussi lubriques que violentes, car ils délaissèrent la sorcière. Il y eut cet instant de flottement où ils ne comprirent à leur tour pas tout à fait ce qui s’était tramé, instant que saisit Marwen pour dégainer sa lame.

« Eric ? Putain de…. »

Ils se levèrent brutalement, non sans coller une gifle magistrale à Elisabeth afin de calmer ses potentielles ardeurs belliqueuses et vengeresses, et imitèrent le contrebandier. Ça puait tout simplement la merde pour ce dernier. Le flot d’adrénaline s’était écoulé dans ses veines, le laissant un peu pantelant après avoir éliminé à sa façon le troisième brigand. Sa vision ne s’était pas tout à fait bien rétablie, et un certain vertige lui faisait voir trente-six chandelles. En outre, Marwen était davantage un bagarreur des rues qu’un maître escrimeur. En fait, plutôt que de se battre, il s’esbigna au moindre coup qui lui fut porté. Il ne chercha jamais à attaquer ; la moindre fente ouvrirait que trop sa garde, à deux contre un, et celui qu’il n’agresserait pas aurait tout le loisir de venir lui découper un bras. Ce fut un ballet maladroit de pas chassés et de course en arrière qu’il effectua, tournant en rond, usant du peu de relief mis à sa disposition pour tâcher de n’avoir qu’un seul et unique adversaire en face de lui. Ses parades se révélèrent gauches, ses esquives encore plus, et il y laissa plusieurs estafilades sans vraiment parvenir à atteindre ne serait-ce que l’un de ses ennemis. Ce deux contre un le désavantageait bien trop. Son souffle devenait frénétique, et il ressentit bientôt cette envie de vomir qui vous prenait le ventre, à force d’être trop contracté, de bouger dans tous les sens, et de voir la mort manquer de déferler sur vous à chaque seconde.

« Sorcière, putain, fais quelque chose ! »

Et pendant ce temps-là, le quatrième homme continuait de geindre en harpant le sable, à se lever et à courir en direction des cris, les yeux dégoulinant d’un sang d’encre.
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Elisabeth Gardefeu



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MessageSujet: Re: Authentique [ Marwen ]   Authentique [ Marwen ] EmptyVen 18 Nov 2016 - 2:13
Elle s’était égosillée, avait donné des ruades dans tous les sens, frappé des pieds et des poings tout ce qui lui était possible de frapper, mais à deux contre une, c’était inégal. Jetée à terre et immobilisée, elle parvint à mordre une main qui tentait de lui attraper l’épaule et se prit une gifle en retour, mais pas assez forte pour l’arrêter. Sa jambe se déplia comme un ressort et cette fois elle parvint à toucher en plein dans le mille, coupant le souffle au premier des deux gus tandis que l’autre essayait de la retenir.
Dans la panique et la fureur, il n’existait plus rien autour d’elle et le temps semblait s’être dilaté. Chaque seconde durait une éternité, elle avait l’impression de déployer à chaque instant plus d’énergie encore que celui d’avant et voyait venir avec horreur le moment où elle serait trop épuisée pour se battre. Si seulement elle avait les mains libres pour attraper ses aiguilles ! Elle leur crèverait les yeux, leur trouerait la gorge, les transformerait en tas de pustules purulentes !

Où était Marwen ? Elle venait d’entendre un grand cri, qui couvrit les siens et ses deux adversaires se redressèrent, attirés par quelque chose. Mais du contrebandier elle ne vit pas la moindre trace. Cela faisait pourtant au moins une heure qu’elle se débattait, n’est-ce pas ? Peut-être même deux, tant cela lui avait semblé long.
Sans demander leur reste, les deux babouins en rut se relevèrent précipitamment, non sans lui avoir collé une baffe magistrale qui l’assomma à moitié. Par réflexe elle se tourna sur le flanc et se tint la tête entre les mains, perdant un instant ses repères, la vue brouillée. Heureusement, l’agitation quelques mètres plus loin ne manqua pas de lui rappeler que ce n’était pas le moment de faire une sieste et elle sortit tout à fait de son brouillard en comprenant que si les deux rustauds l’avaient lâché, c’était pour mieux s’attaquer à Marwen qui avait mis hors course le troisième larron. Et son appel ne tomba pas dans l’oreille d’une sourde.

Elle tenait enfin l’occasion de leur faire comprendre la grossière erreur qu’ils avaient commise.

Tirant d’un repli invisible dans ses manches deux longues aiguilles creuses, Eli se jeta sans la moindre once d’hésitation sur l’adversaire lui faisant dos qui agitait le moins son arme. Elle bondit comme une furie et lui planta à deux mains une de ses armes dans la base de la nuque avant de l’extraire d’un geste sec en s’écartant de deux pas. Le soudard avait poussé un rugissement de douleur et titubé sous l’élan avec lequel Elisabeth lui était rentré dedans, puis il s’était retourné vers elle, le visage déformé par la haine et une main plaquée contre le cou.
Tout d’abord il tenta d’attraper la responsable de sa douleur, mais son geste fut gauche et vain. Après trois pas dans sa direction, alors qu’elle reculait d’autant qu’il avançait, son expression fut parcourue d’un spasme étrange et il se mit à dévisager la jeune femme avec un air d’incompréhension totale.

« Salope ! Qu’est-ce que… »

Un nouveau spasme agita cette fois tout son corps et ses jambes se dérobèrent sous lui. Puis en quelques instants, son état se dégrada horriblement. Tout d’abord il se mit à convulser, face contre terre et ses yeux se révulsèrent. Ses derniers mots ne furent qu’un borborygme écœurant alors qu’il s’était mis à baver une mousse jaunâtre. Dans son cou, à l’endroit de l’injection, la peau avait gonflé au point de faire une sorte de bosse noirâtre dont il était difficile dans le noir de savoir s’il s’agissait de sang ou de tissus nécrosés.

La jeune femme ne s’attarda pas sur cette victoire car la victime de Marwen n’était pas tout à fait morte et ses vagissements emplissaient tout l’espace de la crique alors qu’il était parvenu à tituber jusqu’au contrebandier et à s’accrocher à lui avec la force du désespoir. Quant au type encore debout et en meilleur état que ses compagnons, il n’en démordait pas mais semblait avoir suivi du coin de l’œil le sort de son comparse empoisonné et cela avait quelque peu tempéré ses ardeurs. Cela lui apprit également qu’il ne fallait pas tourner le dos à la sorcière et il avait utilisé son jeu de jambes pour avoir en visuel ses deux adversaires et pouvoir continuer à faire pleuvoir les coups sur celui qui se trouvait le plus proche.

Alors, incapable d’utiliser sa seconde aiguille empoisonnée, Eli agit par réflexe. Ce genre de geste qui remonte à on ne sait quelle époque, comme de shooter dans un ballon ou de lancer une fléchette et qui peuvent resurgir dans un moment incongrue, sous l’effet de la peur, de la colère, de la joie. L’apothicaire retira d’autour de son cou l’écharpe qu’elle avait remise, faute de savoir où la ranger, et la jeta en boule au visage du type armé.
Ce dernier ne s’attendit probablement pas à une attaque de ce genre et resta con la demi-seconde nécessaire au tricot pour l’atteindre. La jeune femme, à cette distance, ne fut pas certaine d’avoir touché sa cible, mais elle avait tenté d’offrir une fenêtre de tir pour le contrebandier qui n’en menait pas large pour l’instant, un véritable boulet humain accroché autour des jambes.
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MessageSujet: Re: Authentique [ Marwen ]   Authentique [ Marwen ] EmptyVen 18 Nov 2016 - 14:36
Et l’Esbigneur continuait de reculer devant les assauts de ses deux opposants, qui ne cessaient de tenter de l’attaquer par tous les côtés. Ses plantes de pied lui cuisaient bien, sur les galets, nus qu’ils étaient. Pourquoi diable avait-il écouté à la sorcière, à retirer ses bottes ? Il avait eu l’idée de donner un coup de pied dans le sable ou ces petits cailloux ronds afin de, peut-être, détourner l’attention de ses adversaires ou de les aveugler l’espace d’un moment. Mais en s’imaginant ses orteils heurter ainsi la roche, il abandonna bien rapidement cette tactique au profit d’un violent juron. Ah, et s’ils n’avaient pas eu leurs armes, ces fieffés enfoirés, aussi. Il était assuré qu’à deux contre un, à mains nues, il leur aurait explosé le crâne. Quoique, avec le coup qu’il avait pris à la nuque, Marwen en demeurait moins certain. Et là, il jouait les acrobates et les saltimbanques à faire des sauts de cabri, à s’abaisser malencontreusement et à esquiver du bassin. N’existaient plus, dans son monde, que ces deux éclairs blancs qui se fendaient dans sa direction, frénétiquement, et le jeu consistait à ce qu’ils ne le touchassent pas.

Soudainement, le combat marqua un temps d’arrêt en la présence d’une silhouette qui se jeta avec hargne dans le dos d’un des gus, et celui-ci afficha une expression aussi douloureuse qu’étonnée. Il fit rapidement volte-face, cherchant son agresseur, et Marwen l’eût bien pourfendu s’il n’y avait pas eu son comparse qui lui barrait le chemin. Elisabeth, bien entendu. C’était plus ou moins cela à quoi il s’était attendu lorsqu’il lui avait demandé d’agir. Ses petits maléfices et sortilèges, que ce fût ses piqûres ou ses poussières magiques. Mais là, ce fut bien plus brutal que tout ce qu’on lui avait donné l’occasion de voir.

Le type moucheté à la nuque fit quelques pas, agitant éternellement sa lame avec la visée d’embrocher la sorcière, mais il s’arrêta net, se rendant compte que quelque chose clochait dans son corps. L’Esbigneur crut qu’il perdait la sensation de ses membres, comme il l’avait déjà expérimenté, à ses dépens, mais ce fut pire encore. Il aboya quelques jurons avant de soudainement être pris de violentes convulsions, les lèvres baveuses. Le sol l’appela à lui comme il s’écrasait, les spasmes lui labourant le corps, puis il s’immobilisa dans la mort.

Chacun, si ce n’était Eric, avait observé avec un malaise certain cette mort que nul ne souhaitait connaître ; Marwen comme son dernier adversaire s’était interrompu tacitement, sans véritablement s’en rendre compte, que pour admirer, avec une curiosité obscène, le spectacle qui venait de leur être donné. Tout cela reprit bientôt lorsque l’aveugle télescopa le contrebandier, et l’agrippa fermement pour lui entraver les mouvements. Le dernier reître repartit à l’assaut immédiatement, souhaitant ardemment profiter de cette occasion en or.

L’Esbigneur rejeta avec véhémence cette première offensive avant de s’attaquer à ce foutu boulet qui lui limitait sa marge de manœuvre. Le gus bataillait bec et ongle pour le faire chuter, mais, la vue lui manquant, il se retrouvait aussi vulnérable qu’un nouveau-né. Un puissant coup de coude dans le nez, un horrible craquement suivi d’un nouveau cri de douleur, et le gars cessa toute velléité offensive.
Elisabeth entra une fois de plus en scène en balançant son cache-nez au visage du dernier ruffian, et que le tissu eût été mouillé par la mer, lui conférant un certain poids qui le rendit plus gênant, plus rapide et plus précis une fois balancé dans les airs, se révéla être une très bonne chose.

Le brigand demeurait si focalisé sur chacun des mouvements de son adversaire qu’il réagit au quart de tour, prêt à obvier toutes les menaces, et ce fut ainsi, très certainement, qu’il considéra cette vêture. Voyant la chose fuser dans sa direction, il para promptement. Trop promptement. Le tissu arriva avec une seconde de retard dans sa trogne, et le bougre se retrouva bien con, ne sachant comment se comporter entre sa main droite qui tenait toujours sa lame et son visage recouvert du cache-nez. Le voyant aveuglé l’espace d’un instant, Marwen se fendit en avant, et son ensis trancha profondément la hanche de son adversaire, juste au-dessus de l’iliaque. Nouvelle attaque, nouvelle blessure, qui lui arracha à moitié la jambe. Le corps tomba, agonissant, se vidant de son sang, et Marwen ne réitéra pas l’erreur d’Eric. Il écrasa le poignet droit de celui qui avait tenté d’abuser de la sorcière, le rendant inoffensif, et lui troua le cœur.

A son tour, Marwen lâcha son arme, et, après avoir vérifié qu’Eric restait toujours à terre, encore en vie mais incapable du moindre mouvement, il s’effondra tout autant, reprenant son souffle. Son ventre et tous ses muscles s’étaient contractés plus que de raison, l’envie de vomir lui prenait aux tripes. Il fallait qu’il respirât, qu’il retrouvât un meilleur rythme cardiaque, le sien étant bien trop emballé.

« Ça va, toi ? » demanda-t-il à Elisabeth en s’épongeant le front de son bras. Il avait l’air exténué d’un athlète venant de courir un marathon, mais, plus encore, c’était surtout celui du pauvre hère, qui qu’il fût, qui avait bataillé pour sa vie. Il avait chaud, bien trop chaud, dans cette nuit pourtant froidureuse, et les quelques embruns de la mer ne venaient que plus encore rafraîchir l’atmosphère.

« Une… Une vie tranquille… Avec une bonne petite…. Petite femme blonde qui me fait à manger… Et des gosses. Pour un peu, pour un peu… J’dirais presque oui. Ah putain… ! Mais ça serait presque trop morne, tout ça. Pas assez… Galvanisant. Sa mère. »

Au rythme de la buée qui s’échappait de ses lèvres, sa respiration redevenait plus souple, plus tranquille. Il se redressa, prenant malgré tout appui sur ses cuisses.

« Je viendrai dans ta boutique, mais pas que pour ma main, ouais. J’vais avoir des putains de courbatures, à faire le zouave comme ça. C’est plus de mon âge. Me faudra, sorcière, un bon massage, huehuehue. Et merci pour le coup de main, par ailleurs. »

Le contrebandier récupéra son arme et avança en direction du dernier brigand encore en vie. Celui-ci gémissait dans son coin, aveugle, le nez brisé, ensanglanté, et peinait à respirer. Toutefois, il n’avait en rien perdu de son ouïe, et, lorsqu’il entendit les galets frémir sous le poids de l’Esbigneur, qui se rapprochait de plus en plus, il se mit à reculer frénétiquement en balançant la tête de gauche à droite, encore incertain d’où proviendrait la prochaine attaque. Un rapide coup d’œil permit à Marwen de s’assurer qu’il n’était plus armé. Il le harpa pas l’une des jambes, et ce soudain contact arracha un nouveau hurlement de terreur au type qui n’y voyait goutte. Il s’accrocha comme il le pouvait aux galets qui roulaient entre ses mains alors même qu’on le tirait en direction de la plage, suppliant, sanglotant.

« Alors, mon gars, tu vas me dire à quoi rime toute cette petite mascarade, sans quoi, tu vas aller nourrir les poissons.
- Je sais pas, je sais pas ! rétorqua l’autre d’une voix diablement suraiguë. Je sais rien, je sais juste que vous seriez là, que… Qu’on devait faire genre il y avait des objets à évaluer, et pendant ce temps, on devait en profiter pour vous neutraliser…
- Me tuer, moi.
-… Non, non ! Je… La preuve, je vous ai pas tué, je vous ai juste assommé !
- Pourquoi neutraliser la sorcière, alors ?
- La sorcière ?
- … Elisabeth, la donzelle, fils de pute, s’emporta quelque peu Marwen, qui avait oublié ce tic de langage à l’encontre de sa compagne de misère.
- Je sais pas, je vous jure ! C’étaient les ordres, voilà tout, on devait juste, après, l’emmener au gros bourgeois, dans un entrepôt de la Hanse. J’en sais pas plus, messire, je vous jure ! »

L’Esbigneur demeura un moment interdit, ne sachant que penser de toute cette affaire qui le dépassait quelque peu. Il sortit sa dague, silencieusement, dans un geste équivoque, avant de lever la tête vers la sorcière.

« Quelque chose à ajouter, une précision, question à lui poser avant de… le libérer ? »
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Elisabeth GardefeuApothicaire
Elisabeth Gardefeu



Authentique [ Marwen ] Empty
MessageSujet: Re: Authentique [ Marwen ]   Authentique [ Marwen ] EmptySam 19 Nov 2016 - 23:33
L'affaire avait été rondement menée, terminée vite et bien au moment où une ouverture s'était présentée pour l'Esbigneur. Le dernier truand se retrouva donc à terre, mit hors course définitivement tandis que le dernier compère rampait misérablement au sol. Elisabeth enjamba sans sourciller le corps auquel elle avait arraché la vie et rejoignit Marwen avec une ombre de sourire pour attester de son bon état de santé. La tension qui habitait ses épaules se relâchait doucement à présent que leur vie n'était plus en jeu.
Étrangement, la jeune femme n'avait plus vraiment peur depuis qu'elle avait pu prendre en main ses armes de prédilection. Bien sûr, elle était fébrile et sur le qui-vive, mais il ne lui restait rien de plus qu'un vague arrière-goût de colère ainsi qu'une bonne dose de dégoût pour ces types, l'envie de se frotter avec une brosse en crin pour retirer tout souvenir de leurs sales pattes, mais elle n'avait pas peur. Pas comme lorsque le contrebandier s'était brutalement énervé sur sa porte, par exemple. Ces hommes avaient eu ce qu'ils méritaient et elle ne s'attarderait pas sur leur sort plus que nécessaire.

« Galvanisant ? Ouais, pourquoi pas. J'aurais bien deux ou trois exemples d'activité galvanisante qui ne mettre pas ta vie en jeu, mais on va se contenter de celle-là. »

Elle esquissa un sourire et retira la veste qui lui avait passé l'Esbigneur pour la lui rendre. Il allait en avoir besoin, bientôt il aurait aussi froid que s'il avait fait un plongeon dans la mer. Elle la lui passa sur les épaules avec une expression de "mais bien sûr" lorsqu'il évoqua le massage.

« Un massage pour sa seigneurie juste pour quelques courbatures ? Si tu devais me sauver tous les jours, je serais sur la paille à l'heure qu'il est ! Nous verrons, nous verrons... »

L'apothicaire ne se sentait pas de dire non à son sauveur du soir car elle lui devait tout de même d'être en vie ou plus simplement, d'être intacte. Ce n'était pas la première fois qu'elle avait à faire à des babouins tels que ceux qui gisaient au sol, mais c'était toujours en journée ou dans des zones habitées, là où elle avait toujours pu s'en tirer seule. Cette fois, elle aurait été bien en peine de s'en sortir sans l'aide de son compère.
Leur attention se porta en même temps sur le type qui rampait par terre et Marwen s'occupa de ramener le poisson au sec pour pouvoir l'interroger. Le pauvre aurait mieux fait de mourir rapidement. Il geignait et se tordait sur les galets pour ne pas prendre de coups, incapable de se défendre contre quiconque. L'était dans un sale état...

Pourtant la jeune femme ne montra pas beaucoup de pitié pour lui et s'approcha pour l'écouter parler. Elle fronça les sourcils avec cet air sévère qui lui seyait si bien et qu'elle tenait de son paternel. Qu'est-ce que c'était que cette histoire de la ramener au gros tas qui les avait embauché ? Elle ne comprenait pas la finalité de l'histoire. Quand son comparse lui demanda si elle avait quelque chose à ajouter, elle lui fit signe d'attendre un moment, le temps qu'elle réfléchisse. Ce qu'elle fit d'ailleurs à voix haute pour partager ses doutes avec Marwen sans se soucier du pauvre erre au sol.

« Ça n'a pas de sens. S'il voulait simplement sauter une bougresse, il n'avait pas besoin d'engager un contrebandier pour faire passer de la fausse marchandise. C'est du temps et de l'argent dépensé pour rien. Les tests sont clairs : l'argenterie est vraie, les dorures aussi. Alors est-ce que tout ça lui appartient déjà et n'est qu'un accessoire de mise en scène ? Dans ce cas je voudrais bien savoir pourquoi, tiens ! »

Elle s'approcha du blessé et s'accroupit à côté de lui pour qu'il sente bien que c'était à lui qu'on s'adressait.

« Tu veux nous faire gober que vous avez été payé pour nous montrer ces jolis petits coffrets histoire de nous occuper pour ensuite tuer l'un et enlever l'autre ? C'est débile. Je pense plutôt que vous avez essayé de vous taper le beurre, l'argent du beurre et pourquoi pas la crémière tant qu'à faire. »
« Non, c'est vrai ! C'est l'autre qui nous a payé pour ça ! Et on devait pas vous tuer, juste vous mettre hors jeu. Pitié ! On d'vait vous ramener dans son entrepôt à la Hanse... Un des derniers avec encore des marchandises dedans, dans un coin tranquille ! On devait pas se faire repérer, vous assommer et garder que la fille, enfin, vous ! »

Elisabeth leva les yeux au ciel, agacée et se redressa pour s'éloigner. Elle n'en savait pas plus et apparemment, lui non plus. Mais l'idée de se faire doubler lui déplaisait fortement et elle voulait à présent riposter. D'un hochement de tête, elle fit signe à Marwen qu'elle n'avait plus rien à ajouter et le laissa œuvrer comme il voulait, préférant s'occuper de ramasser le butin. Car malgré tout, il y avait là de bien belles pièces et ça aurait été dommage de les perdre. Rassemblant autant d'argenterie qu'elle put en trouver pour les remettre dans les coffrets, elle reconstitua le trésor au moins en majorité.

« On peut au moins se consoler avec ça... J'ai comme dans l'idée qu'on sera pas vraiment payé pour avoir ramené ses petites affaires à ce gros lard. Mais je me sentirais encore mieux si on pouvait lui rendre la monnaie de sa pièce ! Et pourquoi pas, avoir le fin mot de l'histoire, bien qu'elle me déplaise beaucoup puisque j'en suis la marchandise principale. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi tout cirque. Tout à l'heure, si tu n'avais pas été là ou si tu n'avais pas été...toi, il aurait aussi bien put m'assommer dans le noir et faire ce qu'il voulait ensuite. Pas besoin de nous faire crapahuter jusqu'à cette crique. »

Ce mot lui tira une grimace et elle sembla réfléchir en entortillant de nouveau une mèche de cheveux autour de son doigt, dans un geste réflexe. Il fallait qu'elle trouve rapidement, si elle voulait coincer le bourgeois et lui faire cracher un peu d'or et la vérité, c'était sa seule occasion. Mais toute seule, c'était peine perdue.
Son regard revint au contrebandier.

« Et toi, t'en penses quoi ? Tu te contente de ça avant de filer ? »

Elle espérait qu'il lui dirait que non, que sa fierté serait un peu atteinte d'avoir été berné de la sorte, mais elle ne voulait pas trop en attendre de lui. C'était peut-être elle qui voulait trop foncer tête baissée... S'il décidait d'aller se cacher dans son trou avec sa part sur trésor, Eli ne pourrait ni l'en blâmer ni l'en empêcher. Il avait mérité de choisir ce qu'il voulait faire par la suite.


Dernière édition par Elisabeth Gardefeu le Mer 23 Nov 2016 - 21:38, édité 1 fois
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