Quand un visage familier rassure [Terminé]

29 septembre 1165

Les songes s’enchainaient. Ethaïs se retournait encore et encore dans son lit. Les draps en coton trempés de sueur s’enroulaient autour de son être tel un linceul. Depuis plusieurs semaines, ils étaient présents. Ils revenaient par période. Un cri perça l’obscurité de la pièce, puis le silence fit rage.

Malgré la fin septembre et l’arrivée imminente de l’automne, une chaleur pesante régnait en maitre dans le bordel où travaillait la jeune femme. Elle se réveilla en sursaut quelques minutes après un deuxième hurlement. « Que se passe-t-il donc si tôt ? » s’interrogea-t-elle un œil à moitié ouvert. Entortillé dans les draps et la fin couverture, elle s’agaça tentant d’en sortir.

« Zut ! » siffla-t-elle entre ses dents avant de tout jeter au sol.

« Encore une lessive à faire. » pestiféra-t-elle, une sérieuse migraine l’envahissant.

Ce n’était pas sa journée apparemment. Les filles s’agitaient à l’extérieur de sa chambre, elle entendait les martellements des talons sur le parquet ainsi que les bruits des lattes craquants sous leur pas. Intriguée, un châle sur les épaules pour couvrir les quelques bleus sur les bras, elle s’avança et ouvrit sa porte en grand. Elle s’avança vers l’escalier d’un pas prudent. Une créature déboula alors derrière elle. Un chat. Ethaïs écarquilla les yeux. Tout ce bruit et ce remous ménage pour un simple chat !

Epuisée par les enfantillages de certaines, et le manque d’autorité des plus vieilles, elle retourna dans sa chambre avant de claquer la porte. Les murs en tremblèrent. Iris s’avança vers la seule fenêtre qui donnait sur une cours privée. L’ouvrant en grand, les rayons transpercèrent le voilage accroché pour garder une certaine intimité par rapport au voisinage. Eblouie, elle plissa les yeux et regarda le désastre qu’était son lieu de travail. Des corsets jonchaient le sol, ainsi que plusieurs châles, le lit était défait et les autres paires de draps entrain de sécher, une coupe de champagne avait été renversée sur le tapis, le rendant collant…

Un soupire s’échappa de ses lèvres tandis qu’elle ramassa les premières affaires pour remplir une panière en oseille.

« Puis-je entrer ? » Demanda une des filles tout en toquant timidement à la porte

« Euh… Un instant ma belle »

Les cheveux en bataille, elle continua rapidement son rangement en prenant soin de camoufler la tâche d’alcool avant d’aller ouvrir.

« Qu’y a-t-il ? »

« Dépêche-toi ! Tu as vu l’heure les premiers clients arrivent. »

« Comment ça les premiers clients arrivent ? Il est à peine dix-sept heures. » S’offusqua Ethaïs en tournant les talons à son interlocutrice.

« Dix-sept heures ! Bonne blague. Bref habille toi et cache la misère qu’est ta chambre. »

Iris scruta la pièce en long et en large. D’un pas pressé, elle ramassa les dernières affaires et planqua la panière derrière les rideaux de manière à ce qu’elle soit invisible pour le client ou Fenrir si ce dernier se décidait à inspecter les lieux. Déjà épuisée alors que la nuit s’annonçait longue, Iris attrapa de la lingerie propre ainsi que sa brosse à cheveux et la petite bassine d’eau pour se laver grossièrement. Tant pis, ce soir c’était au naturel qu’elle s’afficherait. Pas le temps de se pouponner ou autre.

Vêtue d’un corset rouge pâle avec quelques perles formant un motif sur le devant, ainsi qu’une jupe longue fendue sur toute la hauteur de ses jambes, Ethais descendit les escaliers d’un pas discret. Elle était en retard et n’avait pas spécialement envie de se le faire reprocher une nouvelle fois. Sur ses bras, des hématomes violets étaient visibles. De petites tailles, la forme laissait devenir des traces de doigts.

Le salon était déjà rempli. Plusieurs filles aguichait les hommes, d’autres discutaient, un verre de vin à la main. « Mince, la tâche et la coupe… » Se souvint-elle en se mordant les lèvres. Discrète, la jeune fille se posa sur un divan libre récupérant une pomme qui se trouvait dans une corbeille. A vrai dire, elle n’avait pas même pas eu le temps d’avaler un repas avant de commencer. La soirée s’annonçait longue…

Daïn fit un bâillement sonore tout en dévoilant ses dents en sortant de la caserne. Il était de garde depuis huit heure du matin et il était passablement fatigué mais il vit en regardant le soleil qui était encore relativement haut dans le ciel que l'heure n'était pas l'heure de se coucher. Il réfléchit a ce qu'il pouvait faire.

Aller à la taverne? Non, cela faisait déjà trois fois cette semaine et ce n'était que vendredi.
Rentrer chez lui et ne rien faire? Non, il avait envie de sortir un peu et Renard avait assez de nourriture pour tenir deux jours.
Ah, pourquoi pas aller dans un bordel non pas pour consommer, ce qu'il avait déjà fait hier mais juste un brin de discussion. Les professionnelles malgré, le mépris que leur portait les gens normaux, étaient souvent plus intéressantes que la plupart des gens. Au moins elles ne se prenaient pas au sérieux et étaient plutôt sincères quand on prenait la peine de les écouter.

Il se dirigea vers un sommelier et acheta une bouteille de bon champagne. Il alla ensuite vers la maison close qu'il connaissait la plus proche. Il y rentra d'un coup et lança un "Bien le bonsoir gentes dames!"

La plupart des filles présentes eurent un mouvement de recul en voyant un milicien débarquait comme cela, armé en début de soirée. Cela signifiait une inspection et elles n'aimaient pas cela.

Puis, elle reconnurent la tête d'imbécile heureux du milicien qui se tenait devant eux et se rassurèrent.

La tenancière s'approcha de Daïn "C'est pour quoi monsieur Emulsin? Pour consommer?"

"Je vais consommer une petite discussion et voici avec quoi je vais payer" dit-il en posant la bouteille sur le comptoir.

"Payement accepté, je te l'enlève de ton ardoise".

"Je t'en remercie."


Les deux semblaient bien se connaître, ils ressemblaient à des vieilles connaissances qui s'apprécient mutuellement depuis un certains temps. On pouvait le voir au regard complices qu'ils se lançaient et au ton qu'ils employaient quand il parlait à l'autre. Plein de fausses formules de politesse.

Le trognon de pomme à la main, Ethaïs se retourna sur le divan pour comprendre la capitation des filles pour le bel homme qui faisait son entrée. Un milicien. Elle ne réagit point, mais n’en pensait pas moins. Les inspections étaient de plus en plus fréquentes en ce moment pour tenter de faire les maisons closes malsaines de la ville. Cela ne l’étonnait donc guère de le voir ici.

Un soupire passa ses lèvres tandis qu’elle se massait avec vigueur la nuque. Cette dernière avait les muscles très contractés. Depuis deux nuits, il faut dire qu’elle était malmenée par les clients. Néanmoins, elle ne put s’empêcher de garder un œil discret sur l’homme. Elle ne savait pas pourquoi, mais son visage lui était familier. Pour autant, elle n’avait pas souvenir d’avoir déjà satisfait ses besoins sexuels. « Peut-être avons-nous juste échangé quelques mots au cours d’une soirée. » Songea-t-elle, des mimiques rythmant son visage.

D’un geste lent et à la fois qui se voulait gracieux, elle se leva pour jeter son déchet dans l’une des corbeilles prévues à cet effet. Curieuse de la présence du milicien mais souhaitant surtout fuir les clients peu fréquentables, Iris s’approcha doucement.

« Bien rare de vous croiser en ces lieux serait mentir monsieur. » Dit-elle d’une voix légère, sortant de la peine ombre que lui offrait la porte du salon

Iris se passa une main dans sa chevelure fauve pour les ramener sur sa poitrine. Ce soir, ils n’étaient pas spécialement coiffés, ni même ornés de bijoux comme à son habitude.

« Puis-je vous être utile d’une quelconque façon ? Partager une coupe en parlant, ou même plus si vous le désirez. Si vous souhaitez de ma présence, je suis libre pour la soirée… A part si vous êtes ici pour une inspection des lieux. » Renchérit-elle avant de marquer une pause tout en réfléchissant.

« Quoique… Si cela avait été le cas, je suppose que Monsieur LeBlanc serait ici à ma place. »

Le tenancière sourit en voyant Iris arriver.

"Tu ne connais pas notre cher Daïn?" Dit-elle en mettant une grande claque dans le dos à Daïn "Ah, c'est un client régulier et c'est en quelque sorte notre protecteur. On lui fournit la liste des miliciens qui viennent ici pendant leurs heures de travail et en échange, il rattrape les mauvais payeurs et leur fait payer des intérêts pour le retard."

Daïn enleva ses gants, dévoilant des mains avec quelques cicatrices un peu partout. Peu profondes à chaque fois mais visibles.


"Dis comme ça, on dirait que je suis un ripou. Je ne fais que faire respecter la loi... En tout cas, non, je ne viens pas faire une inspection, je connais quasiment cet endroit par cœur et de toute façon, ce n'est pas mon boulot."

Daïn regarda la jeune femme qui lui faisait face, ils devaient avoir a peu près le même âge tout les deux mais les blessures du jeune homme lui donnait un air plus âge.


"En tout cas, je serais ravi de partager cette bouteille en ta compagnie. Par contre, je n'irais pas plus loin qu'une petite discussion. Mon ardoise est déjà suffisamment grande." dit le milicien en servant son champagne dans trois flûtes et en prenant une.


"Au point où tu en est, il faudrait encore une dizaine de bouteille comme celle-là pour payer tes dettes. Au fait, Tes parents sont riches non. Ils doivent avoir assez d'argent pour te payer cette dette non? Pourquoi tu ne leur demande pas?"

"Je suis un adulte. Il paient ma maison, c'est déjà bien assez. S'ils se mettaient à contrôler mon budget loisir. Çà serait le bordel... C'est le cas de le dire. Et puis, je ne n'avais plus ma date, je ne reviendrai plus. Et ça serait bien dommage, tu as toujours autant l’œil pour choisir tes filles" dit-il en lâchant un clin d’œil a Iris.

Ethaïs, curieuse, fixa la main du milicien discrètement. Elle remonta ensuite vers son visage pour ne pas paraitre impolie et lui donna son plus beau sourire. D’un air attentif, Iris avala toutes ses paroles sans broncher d’un millimètre, les mains derrières le dos. Ainsi était-il un habitué, peut-être que cela expliquait que son visage lui rappelait quelqu’un. Néanmoins, la jeune prostituée, n’avait jamais eu l’honneur d’honorer un seul de ses services. « Peut-être veut-il une fille particulière ? Ou alors il est entiché d’une des filles. » Songea-t-elle les yeux rivés sur son interlocuteur.

Iris baissa les yeux et se mit à ses tripoter machinalement les mains, comme si le stress s’emparait de son être. Elle ne comprenait pas toute la conversation, mais n’interrompit pas la discussion pour autant. Quand le silence se mit à régner en maître dans le hall d’entrée, la jeune femme s’avança et lui tendit une de ses mains.

« Suivez-moi, nous allons nous trouver un coin tranquille pour partager ces coupes. »

Tandis qu’ils commencèrent à quitter la pièce, Iris avait mille questions en tête, mais avait-elle le droit de lui en poser ? La coupe de champagne à la main, ils se retrouvèrent dans le salon. Un brouhaha interminable en sortait lui vrillant les tympans. Sans même lui poser la question, elle s’engagea dans le grand escalier qui menait aux chambres des filles. Bien que la sienne fût encore non nettoyée, ils seraient au moins au calme. Pour discuter, cela était quand même plus calme.

Sur le seuil de la porte, elle s’empara d’une petite clé dissimulée au niveau de sa poitrine pour ouvrir sa demeure, ou du moins la seule pièce privée qu’elle possédait.

« Excusez-moi de son agencement, j’ai eu quelques problèmes ces dernière jours. Elle n’est pas très présentable, mais au moins nous ne serons point dérangés par les nombreuses filles qui sautent sur tout ce qui bouge. » Dit-elle doucement, en voyant une de ses collègues non loin d’eux.

Ouvrant la porte, peu de lumière en jaillit. La chambre était plongée dans la pénombre de la nuit. Seul le rayon lunaire permettait d’entre-apercevoir les formes des différents meubles. D’une main hasardeuse, Iris posa sa coupe sur la petite commode juxtaposée à la porte et chercha une bougie pour l’allumer. Elle ne manqua pas de toucher le pied du guéridon, faisant vaciller le vase posé dessus.

« Ah la voilà » S’exclama-t-elle comme un triomphe.

En quelques secondes, la pièce prit des couleurs. La bougie fut posée sur la table de chevet, d’un pied discret, Iris fit glisser sous le lit un énième corset qui trainait encore.

« Prenez donc place à mes côté ou sur la chaise qui se trouve juste à côté de la commode, là où vous êtes. » Dit-elle tout en essayant d’éclairer le petit coin de la pièce où se trouvait la fameuse chaise.

« J’ai cru comprendre que vous avez des problèmes de dettes avec la maison. Je dois avouer que je suis impressionnée que vous les régliez. Je sais que de nombreux clients disparaissent dans la nature sans jamais redonner de nouvelles. Et dire qu’après nous en payons les frais… »

Elle se leva pour attraper sa coupe de champagne et en but quelques gorgées.

« Excellent en tout cas. Cela faisait bien longtemps que je n’en avais bu un avec autant de goût. »

Ethaïs repensa alors à la tâche qui devait trôner non loin de leur position. « Heureusement que la pièce n’est pas assez éclairée. » Songea-t-elle tout en se rasseyant.

« Je parle beaucoup et monopolise la parole, veuillez m’en excuser… » Dit-elle d’une voix douce tout en baissant la tête.

Daïn sourit à la jeune femme et se leva, sa coupe toujours à la main et la laissa passer en s'inclinant comme un majordome devant une reine "Après vous mademoiselle" puis, il ricana de sa propre blague.

« Excusez-moi de son agencement, j’ai eu quelques problèmes ces dernière jours. Elle n’est pas très présentable, mais au moins nous ne serons point dérangés par les nombreuses filles qui sautent sur tout ce qui bouge. »


Ils rentrèrent dans la pièce et une fois la lumière allumée, Daïn regarda autour de lui et observa la pièce.

"J'ai toujours bien aimé l'ambiance qu'il y avait dans ces chambres. Je ne sais pas pourquoi."


"Prenez donc place à mes côté ou sur la chaise qui se trouve juste à côté de la commode, là où vous êtes."



"Permettez moi juste d'enlever ma côte de maille et mon épée, histoire que je ne fasse pas craquer votre lit sous le poids."


Il battit avec la côte de maille pendant environ deux minutes avant de l'enlever et posa son épée par terre. Puis, il s'installa à côté de son interlocutrice.

« J’ai cru comprendre que vous avez des problèmes de dettes avec la maison. Je dois avouer que je suis impressionnée que vous les régliez. Je sais que de nombreux clients disparaissent dans la nature sans jamais redonner de nouvelles. Et dire qu’après nous en payons les frais… Excellent en tout cas. Cela faisait bien longtemps que je n’en avais bu un avec autant de goût.  Je parle beaucoup et monopolise la parole, veuillez m’en excuser… »


Le milicien sourit, posa sa coupe de champagne au sol et caressa gentiment la tête d'Iris.


"Je suis venu pour discuter, si j'étais le seul à parler, cela serait ennuyeux non? Et puis, j'ai toujours préféré les filles bavardes aux tombes. Concernant mes dettes, je les ai surtout car souvent j'oublie de payer en partant et vu que cela m'arriver souvent, ça s'accumule. Ce qui fait que des fois, quand la dette est trop grosse, je dois me balader en ville avec une somme d'argent importante pour pouvoir payer. Mais bon, pas grand monde oserais faire les poches à un milicien."


Il regarda la fille qui lui faisait face, il la trouvait belle et se dit que la prochaine fois qu'il consommait ici, il la choisirait.


"Au fait, vous pouvez me tutoyer et m'appeler Daïn, il n'y a aucune raison de me vouvoyer. Comment vous appelez vous au fait?"

Iris lui fit signe de faire ce qu’il le mettait le plus à l’aise. Elle tentait d’imaginer, la chaleur et la lourdeur que devait représenter l’armure et autre. Elle plaignait ces hommes lors des longues journées d’été. De temps à autre, quand elle les croisait au niveau des remparts de la ville, elle avait envie de lors offrir un peu d’eau de sa gourde en peau de bœuf. Elle, qui ne supportait déjà pas la chaleur, avait vraiment de la peine pour la milice.

N’intervenant pour l’aider, elle attendit patiemment qu’il eut fini. Après tout, elle n’y connaissait pas grand-chose au niveau de tout cela, et avait plus peur de le ralentir que de lui fournir une aide réelle. Ethaïs le scruta de la tête au pied. C’était un bel homme qui se cachait sous cet amas de ferraille. Elle se surprit à rougir doucement et se cacha de la lumière émanant de la bougie. « Quel âge pouvait-il avoir ? » S’interrogea-t-elle, son visage exprimant sa pensée.

Quand il vint s’assoir sur le lit, elle profita de la caresse pour se rapprocher un peu plus et laper quelques gouttes de la liqueur se trouvant dans sa coupe. Malgré les cicatrices, sa main était douce. Elle ferma les yeux en écoutant ses paroles, profitant de l’instant. C’était tellement rare de croiser des hommes de cette sorte ici. Intérieurement, elle espérait un jour pouvoir lui offrir quelques plaisirs charnels.

« En effet, une tombe est ennuyant, mais les hommes n’aiment pas pour autant les femmes très bavardes. D’autant plus ici. »

Elle marqua une légère pose et vint poser la tête sur son épaule. Ce geste était peut-être déplacé, mais elle recherchait une chaleur humaine qui ne lui était accordé que très rarement.

« Je m’appelle Iris, mais dans la vie courante mon nom est Ethaïs. Choisissez celui qui vous plaira le plus, j’ai l’habitude d’entendre les deux. »

Le verre à la main, elle tendit le bras pour le poser sur la table de chevet. En réalité, seuls les filles et le gérant utilisaient le deuxième. Cependant, elle se sentait en confiance et l'atmosphère était bien différente qu'avec les autres clients.

« Je dois avouer que vous m’intriguez Dain »

Elle se mordit légèrement la lèvre.

« Pardon, tutoyer quelqu’un est rare et je n’ai pas l’habitude. Ma question te paraitra peut-être indiscrète mais quelle fille viens-tu voir normalement ? Ne prends pas cela pour une once de jalousie ou tout autre sentiment. Je reste une femme curieuse. »

De sa main, elle passa ses doigts au niveau des cicatrices de Dain. Elle en avait vu des estropiés, mais ils étaient rares que les mains soient blessées ainsi. A vrai dire, elle ne savait pas spécialement comment engager la conversation et aiguiller cette dernière. Les clients venaient pour se vider la plupart du temps et en dehors de Fenrir ou des filles, elle ne partait pas dans des grands laïus.

« En effet, une tombe est ennuyant, mais les hommes n’aiment pas pour autant les femmes très bavardes. D'autant plus ici. »



Daïn soupira à la remarque de la jeune femme. Elle avait raison. Dans cette société, pour les femmes, il valait mieux se taire et rester dans l'ombre de son mari. C'est d'ailleurs pour cela qu'il avait refusé toutes les propositions de mariage qu'il avait eu car les femmes qu'on lui présentait étaient soient horribles, soient bêtes comme des manches à balais.


"La majorité à le droit d'être bête mais elle ne me fera jamais penser comme elle. La philosophie du "sois belle et tait-toi" ne m'a jamais plut. Il faut dire que si je me marie un jour, il faut que ma femme ait du caractère pour me supporter " dit-il en souriant, tout en pensant à Aénor, allait-elle lui répondre un jour. Il l'espérait sincèrement.



« Je dois avouer que vous m’intriguez Dain »


"Merci du compliment"

Il rigola un peu. Oui, il c'était l'effet qu'il faisait à beaucoup de monde. Il était ce qu'on pouvait appeler un drôle de type.


«Ma question te paraîtra peut-être indiscrète mais quelle fille viens-tu voir normalement ? Ne prends pas cela pour une once de jalousie ou tout autre sentiment. Je reste une femme curieuse. »


La question surprit Daïn, il ne l'avait pas prévue du tout. Il se gratta la nuque à la recherche de répondre.


"Euh pas le peine de te justifier pour poser des questions, je suis là pour ça. De plus, ça ne me dérange pas d'en parler avec toi mais souvent, je le fais au hasard, je vais souvent avec la première fille que je croise quand j'arrive. Il m'arrive des fois d'en demander une précise en fonction de mon humeur. Mais c'est rare. Il y a tant de personnes différentes qu'il serait stupide de ne pas toutes les essayer... Euh... Cette phrase était un peu bizarre mais bon... Ce que je veux dire, c'est que ça fait six ans que je viens ici et je ne me suis pas encore lassé..."


Il vit que ses cicatrices aux mains intriguaient la jeune femme. "Je me les suis faites en brisant une vitre avec mes poings, j'étais dans une maison en feu et mon épée était bloquée, j'ai donc dût le faire à la main, sans gants et voilà le résulta" Il sourit, se remémorant la scène.

Ethaïs eut peur de le mettre mal à l’aise avec cette question et était prête à s’excuser quand il brisa le silence pour son plus grand soulagement. Elle était d’ailleurs étonnée d’apprendre qu’un homme tel que lui est refuse plus d’une main et qu’il s’intéressait davantage aux femmes de caractères. Il fallait bien l’avouer, cela n’était pas commun et eut un petit effet sur la jeune femme. Elle avait entendu depuis sa plus tendre enfance les mêmes phrases, de la part d’hommes comme de femmes. « Pour une fois que quelqu’un navigue à contre-courant… C’est une perle rare » Songea-t-elle le sourire aux lèvres et le teint légèrement rosé.

Elle but ses paroles sans broncher, se redressant légèrement pour le regarder dans les yeux et ne pas paraitre impolie.

« Tu sais, un homme comme toi ne cours pas les rues et ne fréquentes encore moins les endroits comme celui-ci. Même si je ne te connais que de visu, tu es aimable, gentil et un minimum attentionné. »

Elle marqua une légèrement pause reprenant son souffle, le corset était légèrement trop serré.

« Je rejoins ton avis concernant la philosophie inculquée aux femmes et j’espère qu’un jour cela changera. »

Iris sourit davantage et ses paumettes rougirent d'autant plus.

« Sinon pour revenir à la réponse de mes questions qui étaient relactivement indiscrètes, je dois vous avouer que j’ai déjà entendu auparavant des clients voulant toutes nous testaient et cela ne me choc guère. Bien au contraire, comme tu le dis si bien, nous sommes toutes différentes autant dans notre manière d’agir au lit, que nos désirs, notre beauté, notre personnalité et j’en passe. »

Elle termina sa coupe et la reposa à l’endroit où elle était, la table de chevet.

« Quand à ta main, je trouve cela bien courageux de ta part. Etait-ce pour sauver une vie ou la tienne ? De plus, tant mieux si tu ne vous lasses pas des lieux, j’aurai au moins une chance de te revoir une fois que tu m’auras faussé compagnie au petit matin. » Dit-elle avant de se rendre compte de son aveu.

Elle baissa les yeux sur ses mains qui commencèrent à s’agiter sous la tension nerveuse qui augmentait. « Quelle sotte ! » Se dit-elle intérieurement.

Daïn aimait bien cette fille, elle était ce genre de personne avec qui il était reposant de parler et à qui discuter était un vrai plaisir. Malgré leurs conditions de vie très différentes, ils arrivaient à trouver un terrain d'entente et pouvaient apprécier l'autre à sa juste valeur.

« Tu sais, un homme comme toi ne cours pas les rues et ne fréquentes encore moins les endroits comme celui-ci. Même si je ne te connais que de visu, tu es aimable, gentil et un minimum attentionné. »


Daïn rougit un petit peu et se gratta la nuque. On pouvait sentir qu'il aimait bien se faire mousser mais que ces compliments lui allaient droit au coeur.


"Hé bien c'est très gentil de ta part. J'estime que c'est ce que tout le monde devrait être mais on se rend compte que je suis une exception." Il regarda Iris dans les yeux. "Tu es une fille intelligente et intéressante. Je t'aime bien" il lui sourit chaleureusement.


Il vit cependant que son interlocutrice avait du mal à reprendre sa respiration. "Ton corset te fait mal?" Puis il pouffa tout seul de rire "Je me disais que le corset était le côte de maille des prostituée et j'imaginais mon sergent en corset. C'était rigolo."


Il se remémora ensuite la raison de sa blessure à la main "Huum... de tête je traquais le chef d'un réseau de prostitution illégal. Cet enfoiré capturé des jeunes femmes, les droguait et les forçaient à travailler pour avoir leur dose quotidienne. Ce n'est normalement pas mon domaine d'action mais il avait capturé une des fille d'une maison close que je devais "protéger", ce qui m'a obligé à agir."


Il fut cependant surpris par la fin de la phrase et dit, d'une voix toujours gentille "Que veut tu dire par là?"

Iris fut tout autant touchée que le milicien face à ces remarques. Elle en rougit de plus belle à tel point que ces pommettes la faisaient un peu souffrir. Son sourire s’agrandit pour venir totalement franc et naturel. L’atmosphère était détendue et la soirée bonne. Elle était si heureuse de passer du temps en sa compagnie loin des pervers et de leurs exigences.

« Oui mon corset me fait souffrir, comme bon nombre de dames prostituées ou non. Il me sert, Satine a un peu busé de sa force en me le mettant. Mais on s’y fait tout comme tu t’y fais de porter ton armure sous une chaleur de plomb. Mais si cela ne te dérange pas, j’aimerai que tu m’aides à le délasser que je puisse me mettre à mon aise et profiter pleinement de ta présence sans manquer de perdre connaissance. »

Elle marqua une pause lui tournant le dos pour lui montrer les deux ficelles se croisant et passant dans les multiples œillets.

« Imaginer son sergent en corset doit être drôle en effet. Cela m’est d’ailleurs déjà venu à l’idée de voir les hommes nous infligeant de telles tenues en portaient un l’espace de quelques minutes. Qu’ils comprennent un peu que nous ne sommes pas des objets d’expositions et que les vêtements devraient être adaptés à une vie de tous les jours. Et non servir à embellir un corps. »

Elle gratta l’épaule, un moustique venait de la piquer.

« Protéger les prostituées est un noble devoir. D’autant plus d’hommes de ce genre. Les personnes nous oublient bien souvent et nous voient comme des ramassis de maladie et de débauches. » Dit-elle d’un ton sec. Elle avait d’ailleurs horreur de croiser au détour d’une ruelle des commères se permettant ce genre de commentaire.

« Mes dernières paroles étaient dites sans y réfléchir, c’était spontanée et si ces dernières étaient déplacées, je m’en excuse d’avance. »

Elle tourna légèrement la tête pour regarder son visage et ses expressions.

« Ce que je souhaitais dire par là en évoquant le fait que vous êtes amené à revenir … »

Iris marqua une légère pause, cherchant ses mots.

« J’aimerai revoir un homme comme toi plus souvent. Partager ma couche comme des moments de tendresses ou des discussions allant jusqu’au petit matin. C’est pourquoi je suis ravie que tu ne te lasses pas de l’endroit et que tu reviendras un jour. » Dit-elle avant de reprendre d’une voix douce, presque mélodieuse.

« De te revoir en réalité. »

"Ah, la côte de maille n'est pas le pire, le pire c'est le gambison qui est en dessous. Je crève de chaud dedans mais, bon, je suis payé pour porter ça et puis ça peut me sauver la vie. Les corsets arrêtent beaucoup moins bien les coups d'épée"

Il fit craquer ses doigts puis, il se concentra pour défaire le corset. Il l'avait déjà fait avant mais c'était toujours aussi compliqué.

"Enfin!! J'ai réussi. Si je n'avais pas la flemme, je ferais une petite danse de victoire. Au fait, pour le test du corset, je passe mon tour. Je n'ai qu'une faible envie de tester."

« Protéger les prostituées est un noble devoir. D’autant plus d’hommes de ce genre. Les personnes nous oublient bien souvent et nous voient comme des ramassis de maladie et de débauches. »

La jeune femme se laissa faire. Quoiqu’il en dise, il était plutôt doué. Certains auraient abandonné après les deux premiers œillets, ou alors auraient pris épée ou dague pour les couper. D’ailleurs, elle détestait cette pratique, les rubans coutaient chers et sa paye était misérable.

« Tu passes ton tour ? Tu n’es pas très courageux. » Dit-elle en rigolant.

C’était bien la première fois que le rire d’Ethais raisonnait entre ses murs avec un homme. Elle avait oublié à quel point cela faisait du bien. Elle bascula la tête en arrière et se retourna. Le buste nu s’imposa aux yeux de son interlocuteur, mais elle n’était pas plus gênée que cela.

Lui faisant face entièrement, elle écouta avec attention ses réponses. Il avait bien raison. Le moral par moment était au plus bas, d’autant plus quand un client s’amusait à l’humilier ou la maltraiter verbalement pour assouvir un quelconque fantasme.

Elle passa ses mains dans ses cheveux et les rabattit sur sa poitrine. La longueur était suffisante pour cacher également le nombril. Cependant pour ne pas mettre dans l’embarras Dain, elle se leva pour prendre une chemise de nuit. Elle termina de se déshabiller devant son interlocuteur n’ayant pas de paravent dans sa chambre. Sa jupe tomba à terre dévoilant le reste de ses formes ainsi que ses bas. Elle passa alors la chemise et vint se rassoir sur le lit.

Après ce long silence, Iris prit la parole, un peu décontenancé de la proposition.

« Je suis surprise d’une telle proposition. N’as-tu pas peur de la réputation que tu pourrais obtenir ? Je veux dire… »

Elle marqua une pause avant de reprendre.

« ‘Fin tu sais les ragots courent vite et je ne souhaite pas ternir ta réputation. Néanmoins, j’aimerai partager ta demeure et faire une pause de tout ceci. Voir un peu le monde extérieur et le mode de vie de gens normaux, entre guillemet. »

Elle sourit légèrement se rapprochant de lui, une main parcourant son torse.

« Mais je tiens à souligner et que tout ceci m’émeut énormément. »

Il rigola de bon cœur avec Iris. Il sentait que cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas rit d'aussi bon cœur et cela lui fit plaisir. Il se sentait véritablement utile.

Daïn n'était pas du genre prude, des femmes nues il en avait vu un certain nombre et se contente de légèrement rougir et d'avoir un regard légèrement voyant. Plus par respect pour la demoiselle que réellement pour se cacher la vue de ce corps. Il savait que les femmes avaient une tolérance au louchage surs leurs arguments qui n'était pas sans limite. Cependant, cela ne semblait pas gêner son interlocutrice. Il continue donc de parler, sa parole restant fluide du début à la fin.

« Je suis surprise d’une telle proposition. N’as-tu pas peur de la réputation que tu pourrais obtenir ? Je veux dire… »


Le milicien hausse la épaule, l'air de dire "Et alors?"


"Ma réputation? Je m'en fiche. Ceux qui diront du mal de moi ne méritent pas que je m'intéresse à eux. De plus, je suis le protecteur de deux-trois maisons closes en ville. Il ne semble pas invraisemblable que j’emmène une fille chez moi si jamais elle était menacée. Je ne pense pas que les gens se posent trop de question. Et puis, je le répète, je me fiche de ma réputation personnelle. Pour la milice, je suis un élément sûr et pour la société, je suis le fils de riches marchants qui a choisit de devenir milicien au lieu de peintre. Ils ne voient pas au delà."

Daïn laissa Iris le toucher, lui caressant tendrement les cheveux. Il avait l'impression qu'ils se connaissaient depuis longtemps alors que cela faisait même pas une heure qu'il se connaissaient.

"Si tu es d'accord, nous irons voir ta cheffe, je ne pense pas qu'elle me refuse quelque chose. Tout de suite même, si tu le souhaite." 

Iris posa sa tête au niveau de la poitrine de son protecteur et écouta son cœur battre. C’est ainsi qu’elle reconnaissait les beaux parleurs à des gens peu honnêtes. Le cœur s’emballait vite à la sortie d’un nouveau mensonge.

« Les gens ne voient jamais au-delà des apparences, apportant parfois des paroles ou rumeurs pouvant détruire la personne concernée. J’ai vu plus d’un homme en faire les frais et je ne souhaite pas qu’un jour cela t’arrive. Des femmes comme moi ont besoin de ton aide et de ton soutien. Tu es un bien précieux pour nous toutes et la société par la même occasion. »

Les regards du milicien ne l’avaient pas laissé indifférentes, loin de là. Elle semblait le connaitre depuis des années et se confiait à un homme qui aurait pu être son mari, son aman, son frère.

« Fenrir n’y verra pas d’objection je pense, ni même la tenancière. Ils tiennent à moi et m’ont vu grandir entre ces murs. Qui plus est, je n’ai jamais pris un seul jour de libre contrairement à
certaines et je ne demande pas un salaire ou des affaires dépassants les limites de l’imaginable. »

Elle se mordit les lèvres jusqu’au sang. Partir elle n’attendait que cela, mais avait aussi peur d’être déçue et d’en attendre trop de Dain.

« Si cela ne te dérange pas, partir au plus vite m’irait le mieux. Je commence à étouffer ici et j’ai besoin de me ressourcer pour être vraiment utile et agréable à la clientèle, sans quoi je risque d’avoir des remontrances. »

Elle se redressa et déposa un délicat baiser sur sa joue.

« Merci en tout cas d’avoir franchi ces portes ce soir. »