Tout était lié [PV : Seren]

Astrid se promenait. Rester à Marbrume avait tendance à la déranger de plus en plus, les grands espaces et le voyage lui manquaient. Marcher dans les rues, visiter chaque recoins, connaître toute la ville, c'était ce qui lui permettait de s'imaginer qu'elle était encore un peu libre et encore un peu en voyage. Aujourd'hui, elle traînait au Labourg.
C'était tout l'inverse d'un quartier chic, mais au moins on pouvait y rester relativement au sec même en automne parce qu'il n'y avait pas beaucoup d'humidité en dehors de la pluie. C'était aussi une raison qui avait poussé Astrid à choisir le Labourg comme destination. Il n'y avait de toute façon pas beaucoup d'autres choses qui pouvaient pousser quelqu'un à se promener là uniquement pour le plaisir. Il y avait néanmoins l'ennui, aussi. Ce jour là, Astrid avait choisi de ne pas travailler, et elle s'occupait pour vaincre l'ennui.
Les rues étaient étroites, les habitations semblaient à moitié en ruine. Un endroit sympathique. Astrid commençait à se dire qu'elle aurait mieux fait d'essayer de trouver une raison de traîner autour de l'Esplanade. La vue aurait été autrement plus agréable. D'un autre côté, elle aurait eu beaucoup plus de chance de croiser des miliciens et ça ne lui plaisait que moyennement. Finalement, le Labourg ce n'était pas plus mal. Voilà au moins un quartier où il ne viendrait à l'esprit de personne de la juger à propos de son travail de cartomancienne ou de prostituée.
Elle portait comme toujours une jolie robe, bleu foncé, qui la mettait en valeur. Ses cheveux étaient bien en place, mais elle ne portait pas les bijoux qu'elle aimait avoir au front habituellement. Ça lui donnait un air un peu plus discret. Alors qu'elle époussetait le bas de sa robe, qui avait traîné légèrement contre le sol, afin de s'assurer qu'elle reste propre, elle entendit quelque chose. Un air qui lui semblait familier.
Sa promenade en devint un peu plus passionnante, elle avait désormais un but à court terme : trouver d'où venait ce son, et surtout où elle l'avait déjà entendu. Elle marcha un peu, se fiant à ses oreilles plus qu'à sa vue pour une fois. Elle n'eut pas beaucoup de trajet à faire pour atterrir sur une place qui semblait bien pleine, mais où la musique résonnait plus fort. Il y avait du monde, mais Astrid se décida à approcher en se frayant un chemin à travers le foule. Le visage des musiciens lui dirait peut-être quelque chose ?
Non, elle ne reconnut aucun d'entre eux lorsqu'elle réussit à voir distinctement leurs visages. Alors elle resta un peu à écouter sans bouger, en essayant en vain de se remémorer ce que cet air voulait dire et où elle l'avait déjà croisé... Déçue, parce qu'elle n'arrivait à rien, Astrid commença à faire demi-tour. Elle s'éloigna un peu de la masse compacte qui écoutait la musique, et tourna la tête pour regarder un peu autour d'elle avant de quitter la place. Et elle la vit.
Astrid avait remarqué un visage qui lui semblait aussi familier que la musique, un peu plus loin. C'était celui d'une charmante demoiselle qui semblait observer avec attention la scène, mais être un peu plus intéressée par la foule que par le spectacle. La cartomancienne s'approcha de cette personne, elle avait son prénom sur le bout de la langue, elle était sûre de l'avoir déjà vue...

-Seren !

C'était presque un cri qui lui avait échappé lorsque finalement elle l'avait reconnue. Elle courut pour franchir les quelques mètres qui les séparaient encore, décidément bien trop heureuse de la revoir ici. Ce fut à ce moment là que la musique lui revint en mémoire. Tout était lié.

Seren semblait partager la joie d'Astrid lors de ces retrouvailles pour le moins inattendues. Elle parcourut avec joie une partie de la distance qui les séparaient, si bien qu'elles s'etreignirent rapidement avec bonheur. Astrid sentait les caresses de son amie dans ses cheveux, mais se contentait de la serrer fort dans ses bras. Quand elle était arrivée à Marbrume, quand elle avait décidé de rester ici pour échapper à la Fange contrairement à ses compagnons qui avaient préféré la liberté... Elle s'était retrouvée seule dans une ville inconnue, seule sans personne dont le visage lui rappellerait quelque chose. Et là, sans s'y attendre, elle se retrouvait à tenir dans ses bras sa vieille amie Seren pour laquelle elle s'était inquiétée. Astrid était particulièrement émue.

- Tu es magnifique ma puce, tu as tellement grandit ! 

La chanson de terminait alors, et Seren semblait bien décidée à emmener son amie retrouvée faire un tour avec elle. Mais Astrid ne comptait pas laisser sa presque grande soeur s'en sortir aussi bien. Après tout elle venait de l'appeler "ma puce", ce qui avait toujours eu le don d'énerver Astrid lorsqu'elle était enfant et qu'elle souhaitait passer pour une grande fille. Ça méritait bien un peu d'humour.

- Toi aussi tu es magnifique, mais tu n'as pas vraiment changé! Je ne suis même pas sûre de pouvoir dire que tu as grandi !

Astrid rit, laissant l'enthousiasme de son acolyte reprendre le dessus alors qu'elle l'emmenait avec elle.

-Viens, je vais te présenter à mes compagnons et tu me parleras de toi !

Astrid suivit Seren sans rien ajouter, sourire aux lèvres. La plupart des spectateurs s'était déjà éclipsée, même si les musiciens n'avaient pas terminé depuis très longtemps. Il n'était pas difficile de s'approcher à présent, il n'y avait plus besoin de jouer des coudes ou de se faufiller. Pendant qu'elles franchissaient les derniers mètres qui les séparaient du reste de ce qui devait être la nouvelle troupe de Seren, Astrid ne put pas s'empêcher de prendre la parole. Ça faisait si longtemps qu'elle ne l'avait pas vue ! Ça lui rappelait ces longs mois de voyages et de spectacles, où elle chantait et dansait le soir devant la moitié d'un village pour se terrer le lendemain dans la tente de cartomancie, en ayant toujours à l'esprit qu'un de ces jours, elle pourrait croiser des gens comme elle, comme eux, comme Seren. Des gens qui voyageaient, qui connaissaient les difficultés de la route autant que des représentations, et qui généralement ne refusaient jamais de travailler ensemble si le spectacle pouvait devenir meilleur.

- Je me suis inquiétée pour toi ! Mais, tu as quitté tes anciens camarades? Depuis quand es-tu ici ? Et qu'est-ce que...

Astrid ne termina pas sa phrase. Elle était finalement parvenue à hauteur des musiciens et ils semblaient curieux. Le regard qu'ils lançaient à Seren paraissait interrogateur, mais ça ne gênait pas la cartomancienne qui se trouvait être elle-même curieuse, et ravie de rencontrer ceux qui partageaient le travail de Seren.

- Bonjour !

Astrid tourna la tête vers son amie, pour savoir si elle comptait véritablement la présenter ou la laisser se présenter elle-même.

Les présentations furent rapidement faites. Les membres de la troupe de Seren avaient l'air plutôt sympathique, et Astrid se présenta avec enthousiasme à son tour. Elle ne se souviendrait certainement pas des prénoms ni des rôles dans dix minutes, mais ce n'était pas si grave. Il fallait du temps pour apprendre à connaître des personnes, et de toute façon la cartomancienne était surtout là pour parler avec Seren. Elles devaient à voir tant de choses à se dire! Apparemment elle partageait cet avis, car dès qu'Astrid eut fini sa propre présentation, Seren demanda à ses amis de s'occuper dece qu'il restait à faire et entraîna à nouveau Astrid par le bras.
Une fois qu'elles furent seules, Seren commença à lever le voile mystérieux qui entourait son existence ces derniers temps. Astrid l'écoutait avec attention.

- J’imagine bien ton inquiétude, j’ai ressentie la même pour toi et pour mes parents. Mais j’ai reçu une lettre disant qu’ils avaient trouvé refuge chez l’un des nobles de l’Esplanade. Lequel je n’en sais rien je n’ai plus de nouvelles depuis …

La cartomancienne allait répondre quelque chose mais le signe que lui fit son amie la coupa dans son élan. Au lieu de parler, elle vint la rejoindre sur son lit. Comme au bon vieux temps des discussions entre deux petites filles.

-  J’ai quitté l’ancienne troupe, oui. Ils étaient trop étroits d’esprit. J’ai fait un spectacle chez le Baron de Sombrebois avec de nouvelles figures et un numéro équestre incluant un bâton enflammé. Les invités étaient estomaqués ! 
Mais c’est le genre de chose que ses vieux ronchons auraient refusé de faire …

Astrid sourit. La joie de Seren était palpable alors qu'elle racontait cette petit aventure, et la prostituée était certaine que le spectacle avait dû être magnifique. Elle ne s'étonnait pas qu'Hector, qu'elle connaissait plutôt bien maintenant, ait fait appel au talent de Seren et à son audace. Astrid était plus peureuse, peut-être que comme l'ancienne troupe elle avait essayé de dissuader son amie d'une telle folie... Mais elle savait que Seren ne l'aurait pas écouté et que le résultat aurait été aussi grandiose que prévu. Ça avait toujours été comme ça, même quand il ne s'agissait que de leurs petites bêtises d'enfants. Seren était la courageuse entre les deux.

- Ça devait être incroyable, j'aurais adoré te voir !.... Sûrement après avoir voulu te raisonner, évidemment!

Astrid fit un clin d'oeil à son amie, mais elle remarqua bien vite qu'elle paraissait alors songeuse. Il y eut un léger silence, avant qu'elle ne se prenne à nouveau dans les bras l'une de l'autre. Ça faisait du bien, ça montrait qu'on n'était pas fou et qu'on ne parlait pas à des fantômes...
Astrid ne sentit pas les quelques larmes qui tombèrent sur sa robe, mais elle reconnut tout de suite le léger reniflement de son amie. Elle pleurait.

-S’il te plaît, reste avec moi ...

Astrid serra un peu plus fort ses bras autour de Seren. Elle ne comptait pas sortir de Marbrume, et l'endroit le plus lointain où elle savait pouvoir se réfugier était Sombrebois. Et pour le moment, elle voulait juste profiter de ses retrouvailles avec sa meilleure amie d'enfance. Celle qui savait tout, celle qui savait qu'Astrid n'avait pas de parents mais ne l'avait jamais jugée, et celle qui savait aussi qu'elle montait plutôt mal et qui en avait toujours ri.

- Je suis là, je ne compte aller nulle-part. J'ai ma tente dans Marbrume tous les jours pour mes cartes, je ne change pas d"auberge souvent, et si un jour je devais m'absenter je n'irais pas plus loin que Sombrebois. Ne t'en fais pas. Et s'il te plaît ne pleure pas, sinon je vais pleurer aussi et on n'en sortira plus...

La voix d'Astrid tremblait déjà un peu, elle était au bord des larmes elle aussi. Mais elle avait pourtant des choses à dire, qui pourraient peut-être aider Seren. Ce n'était pas le moment de se taire.

- J'ai l'occasion d'aller sur l'Esplanade de temps en temps. Tu voudrais que je me renseigne au sujet de tes parents ? Je ne suis pas sûre d'arriver à quoi que ce soit mais, je peux toujours essayer...

Astrid écouta Seren avec attention. Il était parfois incroyablement utile de se décharger de ses angoisses en les exprimant à quelqu'un d'autre, en particulier quand on était assuré que la personne en face allait comprendre. Comment aurait-il pu en être autrement ? Se battre pour manger c'était son lot à elle aussi. Sinon elle ne se fatiguerait pas à vendre son corps. La cartomancienne ne pouvait la attirer toujours autant de monde, c'était une mode, pour fonctionner ça devait rester exotique. Ici, il fallait en plus faire attention à ne pas finir accusé d'hérésie. Rien de bien plus agréable que de devoir s'excuser à chaque spectacle comme le faisait Seren.
Mais la cartomancienne n'en dit pas un mot parce qu'elle était là pour écouter son amie. Elle comprenait la responsabilité presque cruelle qui reposait sur ses épaules quand elle pensait aux jeunes gens qui l'accompagnaient. Mais quoi ? Aurait-il était mieux de courir le monde avec la Fange ? La troupe d'Astrid l'avait cru et maintenant ils étaient probablement tous morts. Seren avait fait le bon choix, aussi dur soit-il.
Finalement, après avoir parlé de tout ce qui lui faisait tant de peine, la cavalière sourit. Voilà qui réchauffait le coeur d'Astrid ! Leurs retrouvailles allaient probablement retrouver un peu de la chaleur qui en avait marqué le début. Elles étaient là l'une pour l'autre maintenant, elles se serreraient les coudes en cas de besoin. Plus de solitude, mais l'assurance d'une vieille amitié pour les sortir de leurs problèmes.
Seren avait bondi pour se remettre sur ses pieds avant de s'étirer tout en regardant son invitée.

- Dit moi ma puce, tu te souviens de la chanson au trésors ? Celle avec la Taverne du Poney qui tousse ? 

Un sourire malicieux s'étira sur les lèvres d'Astrid. Comment aurait-elle pu oublier ? Elle s'étonnait même de ne pas y avoir repensé plus tôt alors qu'elle se retrouvait à Marbrume, ville au prétendu trésor justement.

- Évidemment! Je me souviens, j'avais appris à la chanter avec ta troupe, et après je voulais plus m'arrêter! Hadrien n'en pouvait plus, et le reste de la troupe non plus je crois. Je l'avais en tête pendant des jours...

Hadrien, ménéstrel responsable de la partie chant et musique, celui qui lui avait appris à chanter et qui connaissait sûrement tous les poèmes, tous les contes, toutes les balades du monde connu... Le pauvre avait dû souffrir d'entendre la même ritournelle en boucle pendant des jours. Ça expliquait sans doute qu'il n'ait jamais voulu l'intégrer à leur spectacle.

- Ce qui est sûr, c'est que je cracherais pas sur le trésor ! Ça m'éviterait pas mal d'ennuis, termina-t-elle en songeant aux nuits si paisibles, seules, qu'elle n'aurait pas à partager avec de vieux pervers en manque.

Alors, elle se mit à fredonner l'air en riant à moitié. Cette chanson était un de leur très bons souvenirs. Astrid se demandait si Seren avait aussi été touchée par l'overdose musicale qui avait contaminé tout le monde une fois que la cartomancienne avait connu les paroles... Est-ce qu'elle lui demandait si elle s'en souvenait pour mieux se moquer d'elle? Peut-être. Mais ce n'était pas grave.

Danser, voilà bien une autre spécialité d'Astrid ! Surtout quand la chorégraphie était la fois si simple et si connue, et ne faisait qu'accompagner une ritournelle sans âge. Elle ne se fit pas prier pour rejoindre Seren dans son chant autant que dans ses gestes quand celle-ci vint la tirer par le bras. C'était la danse de leur enfance, une danse de joie, une jolie ronde qui leur rappelait de joyeux souvenirs et les Trois savaient qu'elles en avaient besoin. Les gens comme elles avaient toujours vécus à part, en voyageant de village en cité en hameau, se retrouver coincées derrière les murs d'une citadelle leur était étranger autant que pénible. Mais au moins elle étaient deux à présent.
Seren s'arrêta finalement pour se précipiter sur un coffre. Astrid, intriguée, se plaça naturellement derrière elle pour observer ce qu'il contenait et ce qu'elle allait en sortir. S'il y avait une différence entre les deux demoiselles, c'était peut-être sur le rangement. La cartomancienne était organisée, méthodique et presque maniaque. Dans sa chambre à l'auberge tout était toujours maladivement propre et rangé. Voir son amie de toujours mettre un tel désordre dans sa tente la mettait presque mal à l'aise et alors qu'elle éparpillait des possessions sur le sol, la cartomancienne les récupérait pour essayer au moins de former un petit tas.
D'un air tout à fait victorieux, Seren brandit un genre de parchemin qu'elle étala sur sa table basse sans aucune considération pour ce qui s'y trouvait et qui déménagea malheureusement sur le sol. Astrid ramassa tout ça d'un air consterné et amusé en même temps, jusqu'à apercevoir le doigt de son amie qui pointait une ruelle sur une... Carte. Astrid ne savait pas lire, mais elle se débrouillait bien avec une carte si on lui montrait au départ où elle se trouvait.

- Que dirais-tu d'aller le chercher, ce trésor !

Elle se mit à rire. Ce trésor n'était certainement qu'une légende pour gamins mais au fond elle ne pouvait pas s'empêcher d'y croire un peu. La petite voix du "et si jamais..." ne pouvait pas se taire dans son esprit rêveur et elle était obligée de considérer avec sérieux la proposition de Seren.

- Je préférerais le trouver plutôt que le chercher, mais pourquoi pas ? Ah, j'aurais dû apporter mes cartes, on aurait peut-être eu un indice...

Elle jeta un regard tout autour d'elles, constatant qu'elle n'avait pas réussi à enrayer le désordre mit par Seren.

- Mais sérieusement, range ça avant ! Je te jure t'as pas changé... Dit-elle avec un air faussement énervé mais surtout moqueur. Qu'est-ce que ce sera quand t'auras le trésor et le manoir qui va avec ? Tes serviteurs vont te détester, tu sais ?

Seren regarda autours d'elle. Elle y était allée un peu fort ...
Elle regarda Astrid d'un ai espiègle et répondit d'une voix sauve.

-J'aurais un mari qu'ils détesteront encore plus !

La jeune femme se releva et entreprit de replier ses vêtements usés. Soudain, elle s'arrêta et regarda Astrid des pieds à la tête avant de se regarder elle-même. La cartomancienne était tellement plus féminine qu'elle. Seren avait un peu honte de se laisser aller comme ça. Doucement elle s'approcha d'un coffre un peu plus orné que les autres, elle s'accroupi devant et hésita à l'ouvrir. Elle en sorti une robe cuivré, pareil a celle d'Astrid. Puis elle réfléchit quelque instants. Et se tourna à nouveaux vers sa complice.

- Je ne suis pas sûre qu'une robe soit la tenue adaptée a une chasse au trésor !

Elle lui lança alors un ensemble composé d'une chemise de lin épaisse et d'un pantalon de cavalier.
D'un clin d’œil elle sorti une dague de sa botte et la présenta par la garde a son amie.

- Au vu des endroits indiqués par la chanson, il vaut mieux que tu mettes ça et que tu garde une dague sur toi. Tu sais t'en servir ?

Tout en attendant la réponse, Seren entreprit de ranger le reste de ses affaires. Puis elle ajouta :

- Nous remettrons nos robes à notre retour pour aller nous promener !

J'aurais un mari qu'ils détesteront encore plus ! 

Astrid ne savait pas si ce qui l'amusait le plus était la phrase en elle-même ou le ton particulièrement suave qu'avait pris Seren pour la prononcer. Mais bon, ce qui comptait c'était que l'appel au rangement lancé par Astrid avait été entendu par la cavalière qui avait entrepris de ranger ses affaires et en particulier de replier ses vêtements. Son arrêt soudain surprit la cartomancienne, qui se demandait si elle allait lui reprocher ne pas l'aider mais il n'en fut rien. Elle vit son amie la regarder avec attention avant de se regarder elle-même mais le mal était fait. Astrid se sentait mal à l'aise. Les hommes la regardaient, la détaillaient, la dévoraient bien assez du regard... Elle pourrait bien se passer du même jugement de la part de Seren... Mais son amie semblait avoir quelque chose en tête puisqu'elle s'intéressa à un autre coffre qu'elle n'avait pas encore ouvert avant d'en sortir une très jolie robe. Seulement elle ne semblait pas décidée à l'enfiler. De toute façon ce n'était pas trop le genre de Seren jusque là... Elle était rarement en robe, parce que c'était difficile pour monter à cheval et en particulier de manière... Acrobatique.

- Je ne suis pas sûre qu'une robe soit la tenue adaptée a une chasse au trésor ! 

La cartomancienne ne pouvait pas la contredire à ce sujet, effectivement. Heureusement pour elle -ou pas- sa presque grande soeur avait des vêtements à lui prêter. Ce serait donc à Astrid de sortir de sa zone de confort, soit. Elle enfilerait la tenue que lui confiait Seren...

- Merci, répondit-elle simplement en attrapant ce qu'elle venait de lui lancer.
- Au vu des endroits indiqués par la chanson, il vaut mieux que tu mettes ça et que tu garde une dague sur toi. Tu sais t'en servir ?
- J'en ai déjà une oui, elle montra le fourreau qui pendait à sa ceinture. Mais je t'avoue que je ne sais pas m'en servir. Je n'en ai pas vraiment l'occasion...

Seren avait repris le rangement, mais apparemment elle était assez efficace et ça ne dura pas longtemps.

 Nous remettrons nos robes à notre retour pour aller nous promener ! 
- Elle va me manquer d'ici là... Mais bon, il faut ce qu'il faut pour devenir riche j'imagine! J'ai presque l'impression de jouer un rôle...

Astrid tourna le dos à Seren pour ôter sa robe et enfiler ce qu'elle venait de lui prêter. Pas de fausse pudeur entre elles. La taille convenait tout à fait, mais il fallait avouer que ça changeait beaucoup et que c'était presque un peu étrange de la voir comme ça. Ça venait sûrement du fait qu'elle avait encore ses bracelets et autres bijoux...

- En tout cas t'as pas intérêt de te dérober, je veux et j'exige de te voir en robe à notre retour ! Fais honneur à ton futur mari, ajouta-t-elle pour la blague.

Seren avait toujours apprécié l'humour d'Astrid, même quand il fallait avouer qu'il n'était pas très bon. C'était sûrement une partie de ce qui rendait leur amitié si solide, avec tout ce qu'elles avaient vécu ensemble et la similitude de leurs conditions respectives. Elles savaient toutes les deux ce qu'était une vie de voyages, une vie à se faire regarder de travers dans chaque nouveau village, pour échouer à Marbrume à cause de la Fange. Seren finit par reprendre son calme, devant Astrid qui n'avait pas cessé de la fixer du regard en souriant pour essayer de la faire replonger dans son éclat de rire. Ça faisait tant de bien ! Une vraie amie ici, une qu'on peut tutoyer et à qui on peut tout dire, une qui sait certaines choses avant qu'on les lui raconte. La seule chose dont elle ne lui avait jamais parlé c'était la prostitution, et elle se demandait subitement si, ces 9 dernières années, Seren s'était douté de quoi que ce soit. Ce n'était néanmoins pas le moment.
Comme souvent la plus âgée se montrait la plus entreprenante et elle n'hésita pas à saisir sa cadette par le bras encore une fois pour l'inciter à s'asseoir près d'elle devant la carte. Il fallait préparer leur chasse au trésor! Les paroles furent d'abord difficiles à se remémorer, mais Astrid avait tant répété la ritournelle aux oreilles de tout le monde y compris Seren que les deux jeunes femmes n'eurent pas vraiment de mal à reconstituer toute la chanson. L'étape suivante fut de repérer les lieux mentionnés, mais la carte les aida bien pour le premier nom mais malgré le fait qu'elles avaient déjà eu un aperçu de la ville au cours de leurs promenades, les deux autres ne leur disaient rien. Les noms étaient étranges, et le quartier plutôt angoissant, Astrid le savait bien. Mais elles avaient pour le moment ce sentiment d'invincibilité ou presque que seules peuvent connaître deux personnes si proches qui se retrouvent après une séparation si longue.

-Mon sens de l'orientation est rouillé a force de resté enfermée entre ces murs ... 
- C'est pas une question de sens de l'orientation, on a juste pas encore traîné au bon endroit !

Elle sourit toujours à son amie, bien évidemment. Mais il était vrai qu'il faudrait faire attention et elle en était consciente. Elle avait été agressée plusieurs fois, et même si c'était souvent à cause de clients elle n'ignorait pas que le reste des quartiers les moins fréquentables était peuplé de personnes capables de la même chose. Elle ne souhaitait néanmoins pas partager ce genre d'expérience personnelle avec sa presque-grande-soeur pour le moment.
Seren semblait bien loin de ces réflexions finalement, elle se leva souplement. La cavalière émérite remplit une besace avec à boire et à manger. La cartomancienne était surprise, n'allaient-elles pas dans une auberge ? Elles devraient y trouver à manger non ?

- Au cas ou on se perdrait ...

Ah. Bien vu. Mais pourraient-elles vraiment se perdre ? Marbrume n'était pas si grande elles retrouveraient toujours leur chemin non ? Enfin, Seren semblait convaincue au point de tirer la langue à Astrid qui fit semblant, avec beaucoup de conviction, d'en être profondément choquée. Elle saisit néanmoins la main tendue de sa camarade et se releva avec grâce, comme toujours, prête pour leur escapade sans trop savoir ce qui les attendait non plus.
Seren était si impatiente qu'elle traina son amie à l'extérieur avec une vitesse inattendue jusqu'au feu de camp. Il fallait bien annoncer à tous ceux qui dépendaient de Seren qu'elle allait s'absenter ! Astrid ne serait certainement pas capable de diriger tant de gens, elle n'avait pas les épaules. Mais elle se débrouillait bien pour rassurer les gens, et aussi pour les embobiner. Astrid maniait mieux sa langue que sa dague. Et heureusement, parce que Seren semblait ne plus savoir quoi dire devant les jeunes gens qu'elle allait abandonner quelques heures à peine. Ils ne paraissaient pas très débrouillards.

- Allons, je vous la rends bien vite. C'est pas difficile: vous avez qu'à rester ici si vous savez pas quoi faire, ou faire un tour pour mieux connaître la ville. Si vous restez dans le coin et que vous vous promenez à plusieurs ça peut être très sympathique, glissa-t-elle pour les inciter à rester en groupe sans trop les inquiéter. Profitez bien, vous risquez de ne pas avoir du temps libre très souvent, il serait dommage de le passer à vous inquiéter n'est-ce pas ?

La plupart semblaient assez réceptifs à cette prise de parole. Sachant qu'il s'y trouvait des artistes elle reprit :

- Mon professeur de chant nous disait toujours que l'inspiration vient de ce qu'on vit, alors profitez, ça vous fera peut-être une belle chanson.

Astrid se tourna vers Seren. Il fallait toujours conclure ce genre de choses par un petit mot directement venu du chef des opérations. Sinon ils allaient se retrouver avec des jeunes perdus qui risquaient de vouloir les accompagner par simple peur de se prendre en main deux heures. Insupportable.

Le silence n'eut pas le temps de devenir gênant mais Astrid aurait apprécié que son amie comprenne un peu plus vite et ne la laisse pas la regarder d'un air insistant pendant plusieurs secondes. Elle aurait peut-être dû lui donner un coup de coude ou la pincée discrètement mais elle ne faisait plus ce genre de choses depuis longtemps... Peut-être qu'elle devrait s'y remettre avec Seren...

- Allez, oust ! 

Clair, simple, précis. Seren aurait pu s'adresser de la même manière à un cheval et en cela Astrid la reconnaissait bien. Elle n'aurait pas choisi cette formule, personnellement, mais elle ne trouvait finalement pas grand chose à redire. L'auditoire avait l'air convaincu, certains formèrent des groupes, d'autres semblèrent insensibles à l'annonce. Seren choisit de s'éclipser au plus vite, craignant sans doute de se faire déranger avant son départ ou peut-être même qu'on les suive. Astrid n'y vit aucun problème et elles se retrouvèrent à courir dans les rues. Heureusement qu'elle n'avait pas gardé sa robe !
Enfin, la marche redevint leur allure normale une fois qu'elles furent suffisamment éloignées du camp au goût de Seren, et dès qu'elles eurent repris leur respiration elles purent se mettre à discuter tranquillement.
Astrid riait beaucoup en écoutant les souvenirs de Seren mais elle ne s'arrêta pas là. Elle rajoutait toujours un petit détail à l'anecdote, remettait une ou deux péripéties dans l'ordre, rappelait la parole exacte d'une de leurs victimes. En cela elles faisaient une bonne paire, elles étaient encore capables de compléter les souvenirs de l'autre avec naturel, comme il leur arrivait parfois de terminer les phrases de l'autre, surtout quand elles étaient plus jeunes.
Mais ce qui l'émut le plus fut le rappel du duel que Seren avait provoqué pour la défendre. Astrid n'avait jamais eu de talent pour empêcher les gens de s'en prendre à elle mais elle avait toujours pu compter sur Seren.

- Je ne sais même pas si je t'avais remerciée, sur le coup, se rappela-t-elle, je crois que j'avais simplement dû te disputer parce que tu t'étais battue !

Astrid se remit à rire. Il fallut encore marcher un moment avant de tomber sur une auberge digne de la légende: à moitié en ruine, on aurait dit qu'elle tenait encore debout par une intervention divine ou magique. Rien d'autre ne semblait pouvoir l'expliquer. L'enseigne était tellement recouverte de crasse qu'elle devait pouvoir expliquer pourquoi le poney était censé tousser. Seren regarda son acolyte, et Astrid hocha la tête d'un mouvement sec. Il était l'heure.
Seren avança et ouvrit la porte. Astrid entra à sa suite dans l'auberge. Sa première réaction fut de se dire qu'elle avait bien fait de ne pas mettre sa robe. C'était le genre d'endroit où toute demoiselle pouvait facilement se faire considérer comme un bout de viande à en juger par les regards étranges que leur lançaient déjà certains clients. Comment un établissement aussi délabré pouvait-il encore accueillir du monde ? La faute à la Fange, sans doute.
Prenant son courage à deux mains, Astrid s'approcha du comptoir. L'homme qui se trouvait derrière avait tout sauf l'air sympathique et la cartomancienne fit l'effort de se rappeler qu'elles n'avaient aucune autre piste pour le moment. Il allait donc falloir lui parler. Il devait bien connaître le quartier, non ?

- Bonjour, excusez-moi s'il vous plaît...

L'homme commença par lui lancer un regard surpris et méfiant : elle n'était pas une habituée. Mais il se ravisa en observant ses magnifiques yeux bleus et son joli visage. Il n'alla pas jusqu'à sourire mais il sembla tout à coup moins hostile.

- Hmmmm ? Répondit-il. Un genre de grognement qui valait sûrement un "Oui ? En quoi puis-je vous aider ?"
- Auriez-vous déjà entendu parler du "pont aux trolls" ou de la "gueule du monstre" dans le quartier ?

Astrid sortit sa botte secrète, un mignon petit battement de cils, mais ça ne suffit pas cette fois.

- Vous comptez boire quelque chose ou juste me saouler avec des questions ?