Qu’ils arrivent. Avec leur baluchons et leur familles. Avec des rumeurs, des rumeurs terribles. Les morts se relevaient et marchaient, et ils ne se contentaient pas de ça. Ils tuaient. Ce fut alors le Grand Exode vers Marbrume. Des groupes de soldats avaient tenté de combattre les créatures, les armées du Roi furent décimées. Il n’y avait plus d’autre choix. La famille Pyrit, alors restée à Najac pensait à rejoindre leur fille, en sureté derrière des murailles épaisses.

« Geralt, si même les nobles dans leur château bien gardés fuient, crois-tu que ta forge va tenir ces choses en respect?»

Elle criait à présent. On n’avait que rarement vu Aline mère se mettre en colère après son époux. Là, elle était d’une hystérie qu’on ne lui avait jamais connue. Geralt avait les bras croisés, le petit ne comprenait pas vraiment le sujet de la querelle, mais voyant sa mère dans tous ses états commençait à s’agiter.

« Si même l’or ne peut les protéger, il faut que nous partions également, avant que Marbrume ferme ses portes !

Ce qu'elle en sait, c'est que sa famille lui raconta. On vendit tout ce qu’on put vendre, on prit de quoi se tenir au chaud et des denrées qu’on avait fait séchés, des choses qui se conservaient. Mais on ne voulait pas partir sur des rumeurs. Deux mois s'écoulèrent avant que des troupes de soldats ne se déversent sur le duché. Ceux qui travaillaient près des mines avaient cru à une invasion militaire, mais les bannières des ennemis étaient invisibles. Alors les rumeurs vinrent à eux, matérialisés en marcheurs. Un mort s'était relevé du cimetière de Najac, avait immédiatement sauté à la gorge de la vieille dame qui entretenait les tombes. La violence de la scène poussa un jeune homme à se saisir de la pelle qui reposait le long du mur pour se défendre. Mais la créature était rapide et puissante. On le vit tombé aussi vite que la vieille femme. A partir de là, on abandonna le reste. Si la créature s'en pris à d'autres, ce n'était pas au Pyrit. On entendait que les cris de paniques, alarme qui annonçait le départ. Quelques minutes plus tard, on entendit crier que les deux cadavres du cimetière s'étaient relevés eux aussi. On pensait qu'ils étaient peu nombreux, mais ils étaient soudain des milliers à couler sur le flanc des montagnes comme une vague de corruption qui détruisait toute vie humaine sur son passage.

La population s'était éparpillée autour des villes du plateau, s'enfuyant par les sentiers et les bois pour rejoindre la route. Mais ils n'y trouvèrent bien souvent que la mort violente. Instinctivement, tous fuyait vers la ville fortifiée à l'est du duché. On espérait que les murs de pierre étaient suffisamment haut pour empêcher l'intrusion de ces créatures dans l'enceinte. Ce que l'on redoutait le plus c'était de croiser un autre marcheur qui les décimeraient tous. Alors que des vaillants s'étaient fait égorgés comme des pourceaux, ils étaient affaiblit par leur voyages. S'ils venaient à se faire attaquer, une seule de ces créatures les anéantiraient tous. Pire, les hommes eux-même avaient perdu la raison. La certitude que la fin de toute chose arrivait inhibait certain de toute retenue, de tout respect pour les autres. On volait tant que possible, c'était à chacun pour soi. Et tant que les morts dévoraient son prochain, on avait quelques secondes pour courir et espérer prendre un peu d'avance. Alors qu'ils parlaient tour à tour, le regard des membres de sa famille se figeaient derrière un voile sinistre. Ils avaient vu des horreur que l'imagination ne saurait retranscrire fidèlement. Ne pas voir le mal qui menace. Ne pas savoir où il se cache. Ne pas savoir quand on va mourir. Savoir que l'on va mourir de manière atroce. Ils serraient l'arme qu'ils avaient emmené, même quand ils somnolaient. Des gens mourraient pendant leur sommeil.

Beaucoup de gens moururent éveillés aussi. Des mains des morts, ou des vivants. Certains s'étaient suicidés et avaient tué leurs enfants pour être sûr de ne pas se faire déchiqueter vivants. Ceux-là revenaient alors, transformés par la fange en ce qu'ils redoutaient le plus, grossissant plus encore les rangs de l'enemi monstrueux.

Elle avait du mal à croire que sa famille ait survécu à cette histoire sordide. Et enfin la ville fortifiait se dressait à l'horizon. Marbrume était un autre monde, tellement différent du Labret, on aurait dit un autre pays. Ils arrivèrent enfin aux portes de la ville, épuisés, amaigris par la route. On rassemblait des valeureux pour les enrôler à la milice. Geralt Pyrit n'eut pas de mal à trouver une occupation. Faut dire qu'avec tous ces miliciens à équipé, ses talents étaient les bienvenus. Même en sa qualité de forgeronne, personne ne prenait Eurybia au sérieux, on la traitait au mieux, comme une apprentie, au pire, comme la fille de papa qui cherche de l'attention en mettant des tenues qu'aucune femme convenable n'oserait mettre en public. C'est donc encore derrière l'enclume de Geralt qu'Eurybia commença vraiment à forger à Marbrume. Avant ça son échoppe était déserte. Son idée de la grande ville chic s'effritait un peu plus à chaque remarque déplaisant qu'elle encaissait, à chaque commentaire graveleux qu'elle ignorait. Peut-être qu'un jour elle n'y prêterait plus attention.

Les miliciens reprirent peu à peu les villes de la région, du moins celles qui n’étaient pas en ruines. Lorsque Najac fut libérée, les Pyrit choisirent de repartir sur le plateau, dans leur forge, près des mines. Quant à Eurybia, elle choisit de rester à Marbrume où elle se sentait utile, et où elle cherchait à faire ses preuve en temps que Forgeronne Pyrit. Elle ne se doutait pas encore les épreuves qui l'attendait. Si on s'était accommodée d'elle à Najac sans trop de remarque, c'était qu'elle était la fille du forgeron, l'aura de son père la protégeait du sexisme et des railleries. Ici, elle serait seule ici. Femme forgeronne,Avant de partir, son père lui offrit un cadeau utile en ces temps troublés : un puissant marteau de guerre incrusté de pyrites sur son manche.