[Terminé] Un héritage convoité (PV Adelaïde de Rougelac)

L’ambiance était lourde dans la pièce. Les deux êtres se jaugeaient du regard, tentant de déterminer qui, de l’un ou de l’autre allait plier en premier. La baronne regardait son mari qui tirait nerveusement sur sa pipe. Elle était bien consciente qu’elle l’avait accoté au pied du mur. Bien consciente qu’elle jouait à un jeu dangereux avec son époux. Adelaïde savait pertinemment qu’elle n’avait nullement la même influence que son rusé de mari. S’il voulait la bâillonner, il aurait très bien pu le faire en un claquement de doigts. Puis finalement, elle entendit le début de parole tant désiré.


«Vous désirez une preuve de bonne foi de ma part ? Je vais donc vous en donner pour votre tribu. Que désirez-vous ? La gestion de mon établissement de la Haute ? Préféreriez-vous peut-être prendre le contrôle sur ma manufacture d'arbalètes ? Ce qui impliquerait de recroiser peut-être le chemin de votre ancien suzerain.»


C’était un très bon début. Pas tout à fait ce qu’elle voulait, mais ils devaient commencer quelques parts. Victor continua son discours en s’approchant dangereusement de la Comtesse, puis, d’une main experte, il réajusta les pans de la robe de la Comtesse avant de se redresser;


«Et pour être complet, vous aurez votre autre gage de confiance lorsque naîtra notre premier enfant, à savoir que s'il m'arrivait malheur, vous seriez régente de mes biens propre jusqu'à ce que notre héritier soit en âge de succéder à nos affaires. Nos biens communs ainsi que vos biens propres vous seront naturellement dus.»


La jeune femme plissa légèrement les yeux, prenant quelques secondes pour penser à ses prochaines paroles. Cette discussion était très importante, un jeu d’échecs parfait ou chacun déployait ses arguments, là où chacun déployait son influence, ses qualités de négociateurs. Si la jeune femme avait réussi une partie, il y avait beaucoup de travail à faire. La comtesse déposa doucement sa main sur celle de son époux, avant de s’approcher doucement de ce dernier. Elle porta la main à ses lèvres avant de déposer un léger baiser, puis glissa sa main sur son ventre qui abritait leur enfant à naître. « Ce n’est guère un gage de confiance, car cela me serait revenu de toute façon. Croyez-vous que je ne me serais pas battu pour mon enfant? Vous m’en avez déjà enlevé un, je ferais en sorte que celui-ci ne manque jamais de rien.» Oh oui, et elle ferait en sorte que cet enfant soit de son côté. Après tout, son influence sur ce petit être ne pouvait qu’être positive. Elle s’approcha un peu plus de son époux avant de poser délicatement la main sur son pourpoint. « Voilà ce que vous allez me donner; je veux le contrôle de la fabrique d’arbalètes et de mes propres affaires. Notamment la scierie que je partage avec Logan. Je n’ai pas eu besoin de votre ingérence pendant de nombreuses années, et mes affaires ont toujours bien fonctionné. » Son regard azuré se releva légèrement pour rencontrer celui du Comte avant de continuer; « Quant à vos soi-disant créances, je ne souhaite en aucun cas y être mêlée. Vous avez probablement déjà assez manipulé ces pauvres âmes… Certain essai de sortir de ce genre de trou, et vous et moi savons que beaucoup tente d’y grimper et échouent. La chute les brises… La désespération s’empare d’eux… et ils ne voient pas d’autre issue.» Les yeux pétillants la jeune femme fit un sourire malicieux a son mari « Je ne serais pas une épouse cruelle au point de vous enlever ce que vous apprécier faire.»


Sourire aux lèvres, la jeune femme passa délicatement ses bras derrière la tête de son époux avant que son regard ne se durcisse. «Et pour votre bâtard qui attend sagement au salon? » Dit-elle en penchant légèrement la tête sur le côté. Cet homme était une menace non seulement pour elle, mais aussi pour son enfant à naître. « L’argent achète le silence d’un homme pour un temps. Mais il y a d’autres façons de l’acheter pour toujours…» Elle s’arrêta la, bien consciente de ce qu’elle venait de demander a son mari. Faites-le disparaître. C’était un ordre, un cadeau macabre qu’elle lui demandait, mais une belle preuve d’affection que son mari pourrait lui faire…

Il avait avoué. Il venait de lui avouer qu’il avait bien tué son premier enfant… Elle avait toujours eu la certitude que c’était le cas, mais voilà que le Comte l’admettait de vive voix… Adelaïde sentit son cœur se briser en mille miettes. Comment un homme pouvait-il se targuer de la vouloir alors qu’il l’avait presque tuée? La jeune femme avala difficilement, cachant sa colère comme un maître. Ce n’était pas le moment de réagir. Elle aurait sa vengeance un jour ou l’autre, mais ce n’était pas le moment… Car voilà qu’il la testait encore une fois! Adelaïde l’avait vu venir, mais elle avait tout prévu. Son mari ne connaissait pas son influence, et c’était parfait ainsi! Mais s’il commençait à tester les limites, il se rendrait bien compte que son réseau était limité… très limité. Mais il y avait au moins une chose sur qui elle pouvait compter, et c’était Bathilde. Et cette dernière était redoutable pour tout savoir ce qui se passait dans cette maison. Y comprit la soi-disant disparition dont s’était vanté son beau-fils haut et fort… Ne faisant guère attention aux domestiques qui avaient des oreilles partout. La jeune femme redressa doucement sa main pour atteindre une nouvelle fois la joue de son mari, le forçant ainsi à soutenir son regard. « Bel essai Victor. » Elle lui fit un léger sourire avant de baisser légèrement la tête, se donnant ainsi un air déterminé, un tantinet moqueur. « Croyez-vous réellement que je vous montrerais ainsi l’étendue de mes capacités? Me donner quelques cadeaux ne veut pas dire que vous gagnez ma confiance. » La comtesse approcha doucement ses lèvres des siennes avant de s’arrêter au dernier moment; « Vous le savez aussi bien que moi que je représente une menace pour… Quel est son nom déjà? » La Rougelac eut une mine faussement pensive avant de continuer en murmurant; « Ah oui… Brad. » Elle rapprocha une nouvelle fois son visage du sien, déposant ainsi le bout de son nez sur la joue de son mari. Leurs lèvres étaient si prêtes qu’elle aurait pu aisément lui voiler un baiser si elle l’avait voulu. Et pourtant elle pouvait sentir sa respiration devenir de plus saccadée, comme si elle désirait l’homme qui la tenait présentement dans ses bras.


Maîtresse dans le jeu de la séduction, la jeune femme laissa le désir grimper entre les deux êtres, elle pouvait sentir la respiration de son mari devenir de plus en plus rapide, et elle avait l’impression de pouvoir sentir son cœur débattre à travers son pourpoint. Elle eut un minuscule sourire avant de baisser le regard pendant quelques secondes, avant de le plonger une nouvelle fois dans l’azur de son mari. « Il y a quelques semaines, vous m’avez fait la promesse de me protéger devant les trois. De ne jamais fuir aucun de mes défis… Allez-vous définitivement briser une promesse que vous avez faite devant les trois? Déjà? Alors que notre union ne vient de commencer? » Habile, la jeune femme le défia du regard. Elle se félicitait déjà pour ce petit discours, pour cette intrigue qu’elle venait de créer simplement en feintant une influence qu’elle n’avait point. Peut-être Victor verrait clair dans son jeu, ou peut-être tacherait-il de combler son épouse, de peur que son influence soit aussi grande qu’elle ne le laissait croire? La jeune femme décida tout de même de donner une certaine influence à son époux, et l’embrassa passionnément pendant quelques secondes, chose qu’il semblait de plus en plus apprécier si elle lisait son regard correctement. Au bout de quelques longues secondes, la jeune Comtesse se recula légèrement avant de lancer une dernière réplique à son mari; « Vous m’avez marié pour le meilleur et pour le pire, et vous avez juré de me protéger, moi, et nos enfants devant les trois. Agissez avant que votre bâtarde de progéniture le fasse. »


Adelaïde se détacha pour tourner le dos à son mari et se dirigea doucement, et surtout élégamment, vers le buffet avant d’ attraper une coupe vide, et la remplit d’eau. La comtesse porta le liquide translucide à ses lèvres avant de vider la coupe d’un trait. Les nausées qui l’accablaient n’aidaient en rien la situation. Elle se devait de rester forte, en contrôle, alors que la seule chose qu’elle avait envie de faire était de rester alité. Elle déposa sa coupe sur le fin ouvrage de bois, avant de porter une nouvelle fois ses doigts sur son ventre plat, caressant doucement le fin brocart de soie qu’elle portait. Elle prit le temps de respirer, avant de se redresser pour faire une nouvelle fois face à son mari. « Vous savez déjà quelles sont les affaires qui m’appartiennent. Et il se trouve que cette affaire se soit portée à merveille avant notre mariage, je ne vois donc pas l’utilité de votre soi-disant droit de regard. » Malgré les temps difficiles, la scierie allait plutôt bien, les transports de bois de Sombrebois étaient réguliers et aucun autre drame ne semblait avoir entaché la relation – pourtant si fragile – entre elle et Hector. Au contraire, son mariage avec le gouverneur de Sombrebois n’aurait qu’aidé à solidifier cette transaction plus qu’importante. Quant à la fabrique d’arbalathète, la jeune femme avait toujours eu de grandes idées, d’où le fait qu’elle avait approché le Comte une première fois. Malheureusement, ce dernier semblait avoir pris beaucoup plus d’intérêt en sa personne qu’en ses qualités de femme d’affaires. « Je peux comprendre pour votre Fabrique, mais vous n’aurez aucun mot à dire quant à ma scierie. » Son ton était ferme, final. Ne restait qu’à voir comment son mari prendrait ses demandes…

La Comtesse ne bougea pas une seule seconde, consciente que son mari tentait de retrouver l’ascendant, de rétablir le contrôle qui tentait de contenir d’une main de fer. Après tout le Comte de Rougelac n’était pas répété pour son laisser allez. Elle avait une idée en tête, et elle continuerait sur cette voie pendant un petit moment; «Vous aviez promis de prendre soin de moi et pourtant, il n’y a pas une journée ou je ne suis pas effrayée. Pas une journée où je n’ai pas l’impression que quelques choses iront mal. Très mal. » Adelaïde expira profondément en plantant son regard bleuté dans celui de son mari. «N’avez-vous jamais pensé à moi lorsque nous ne sommes pas ensemble? Car soyons honnête Victor, je doute fort que notre relation ait quelconques sortes d’amour qui réussise a y germer, surtout lorsque vous vous jetez dans les bras de la première venue. » Elle savait très bien à quoi il pensait, et c’était une pensée des plus légitime. Bien sûr qu’elle se servirait de cet incident aussitôt qu’elle en aurait besoin. Après tout, être mariée au Comte était loin de vouloir dire qu’ils étaient une équipe… Au contraire, ils avaient tenté de travailler l’un contre l’autre depuis des semaines. Chacun avait tenté d’utiliser son influence, son ascendance sur l’autre. «Vous laisserez Bathilde et la moindre personne de ma suite loin de vos manigances. Prouvez-moi que vous méritez de passer le restant de vos jours près de moi. Après tout, n’êtes-vous pas le grand Victor de Rougelac? Vous n’avez guère besoin de votre petite épouse pour tirer certaines cordes.» Un léger sourire défiant vint orner ses lèvres avant de disparaître aussi rapidement qu’il était apparu.


«Pour le reste, je crois que je vais faire confiance à la femme d'affaires que vous êtes. La scierie est et restera sous votre gérance et je vous octroie tout contrôle sur la manufacture d'armes. Bien entendu je me réserve le droit de vous destituer de cette charge si vous veniez à mettre en péril nos intérêts, nos investissements. Faites ce que bon vous semblera, vous avez carte blanche ma mie.»


La jeune femme secoua légèrement la tête, sourire aux lèvres, avant de répondre du tac au tac. «La seule erreur que j’ai faite pour mes affaires a été de vous approcher durant cette soirée en février dernier. J’aurais dû agir dans l’ombre, vous mettre au pied du mur lorsque j’en avais l’occasion. » La jeune femme s’arrêta une seconde, pensive. Était-ce Victor qui était derrière la disparition de Covalt Yersrin? Après tout ce dernier s’était volatisé alors qu’elle lui avait donné une mission des plus délicates, et soyons honnête, elle s’était toujours doutée que le Comte avait développé ses espions dès que ces yeux s’étaient posés sur elle lors de cette soirée. Cette rencontre avait été une grossière erreur, une erreur qu’elle payerait pour le restant de sa vie.


La jeune femme s’apprêta à sortir de la pièce, mais s’arrêta a quelques pas de la porte, elle avait une dernière chose à dire. Une dernière chose sur le cœur… Adelaïde se retourna vers son mari, plissant légèrement les yeux. «Vous avez fait une grossière erreur en tuant notre enfant… » Commença-t-elle. « J'étais une reine sur l’esplanade. On me regardait avec respect, admiration et vous m'avez pris ma couronne. Plus personne ne me regarde de la même façon. On ne voit que la pauvre femme cocue. J’aurais pu être une femme libre et vous avez écrasé la petite chance que j’avais d’être avec l’homme que j’aimais réellement. » Son regard devint rapidement glacial, et son visage se durcit rapidement; « J’étais une mère et vous m'avez privé de mon enfant.» Victor pouvait définitivement la colère dans les yeux de sa femme. Il venait d’avouer la pire chose qu’il aurait pu faire. Adelaïde s’était toujours doutée que ce dernier s’était attaqué à sa progéniture, mais il venait de lui donner la preuve sur un plateau d’argent. Lui avouer qu’il avait commis le crime le plus monstrueux de sa vie. «Vous savez aussi bien que moi que le destin vous rattrapera pour ce que vous avez fait… Enlevez la vie à un être innocent ne restera pas impuni.» L’ambiance semblait bien lourde soudainement, mais la jeune femme n’avait pas terminé; « Essayez encore une fois de m’attaquer et je doute fort que vous respiriez encore longtemps… » Sans rien rajouter d’autre, la jeune femme se retourna pour mettre la main sur la poignée de la porte, prête à partir.