Salut ! Devine qui va devenir ton voisin ! [Mathilde]

Ronces, mauvaises herbes, lierre sur les bâtiments, carcasses d'animaux, palissade trouée … la ferme familiale qui était autrefois aux Colbleu -cette famille a était décimée par la Fange- ne faisait pas réellement envie mais le profane ne voyait pas ce que le Vicomte de Terresang avait en tete. Il avait les plans de cette magnifique fermette en mémoire et celle-ci ferait un excellent Quartier Général annexe pour l'Ordre de l'Astre d'Azur dont le Seigneur de Terresang allait superviser les opérations secondaires pendant qu'un représentant de son entourage resterait à Marbrume.

Il avait longuement réfléchi pour s'installer au Labret, la terre qu’il avait aidé à reprendre et dont sa main en avait était le prix, il en avait plus que marre de la Cité de Marbrume qui corrompait son âme de guerrier mais aussi celle du noble seigneur qu’il avait était autrefois mais cela allait changer, il voulait changer d’air et surtout rester éloigner des intrigues mondaines de la Cité Franche qui commençait à corrompre même les meilleurs et ce qui lui avait donné raison c’était les négociations pour la main de sa chère belle sœur … il avait usé de stratagèmes tellement honteux à sa position pour arriver à de multiples accords commerciaux avec des nobles souhaitant la main de celle qui était autrefois son amante.

Les travaux n’étaient pas encore commencé, il voulait attendre le début avril pour cela, que les convois de l'Ordre puissent arriver en toute sécurité … il ne serait pas là tout le temps donc il voulait voir les travaux à faire et établir une liste, au moins il saura de quoi ses contacts parleront quand il recevra les missives énonçant les rapports de chantier.
Il se tenait là à l’entrée du domaine où il pouvait voir les bâtiments délabré … le bâtiment principal avait besoin d'un coup de neuf mais rien d'insurmontable. L’écurie avait un énorme trou dans la toiture et les box avaient également besoin d'un coup de neuf … en plus d’enlever les carcasses de chevaux cela allait sans dire. Les deux granges qui avaient peu servi depuis deux devaient être démoli, le bois était pourri et les structures très fragiles … la palissade ou plutôt le début de palissade était pourri, il fallait fortifier tout cela. Il rentra alors dans le domaine, les champs étaient morts … on voyait encore les épis piétinés et défraîchis… les mauvaises herbes régnaient en maître mais toujours rien d'insurmontable.

Il était accompagné de trois cavaliers en plus du Maître Constructeur de l'Ordre qui étaient là pour établir les travaux à faire, il avait d’ailleurs envoyé quelqu’un pour prévenir Mathilde de sa venu … cette fermière qui lui avait fait forte impression et qui avait décidé de signer un accord commercial avec l'Ordre mais Alexandre voyait en la veuve Dumas autre chose qu’une simple relation professionnelle, une relation d’amitié pouvait également naître … la vie au Labret serait d'autant plus agréable.

Il avait les mains sur les hanches à contempler le futur quartier général de l'Azur, d'ici il pourrait envoyer des expéditions sur tout le Labret et même faire travailler des ouvriers agricoles aux champs pour avoir un plus gros rendement de nourriture mais également pour le Roi, Alexandre savait qu’il pouvait aider le Roi d'une tout autre manière que combattre la Fange même si il n'allait pas raccrocher loin de là … il ferait juste d'une pierre deux coups, cela amortirait peut être le coup du loyer de ce domaine.

Il entendit alors des sabots qui tapaient le sol, il eut un grand sourire et sans se retourner il annonça tout haut.

« La Dame du Labret est parmi nous ! »

- ... et sa rurale escorte, messire.

Mathilde n'était pas arrivée seule. Juchée sur sa fidèle jument, la fermière était désormais encombrée de cinq travailleurs qui oeuvraient chaque jour dans ses champs, supportant ses conseils toujours plus directifs durant le jour, et reposant leur carcasse dès qu'ils le pouvaient à l'étage de sa grange qu'elle avait aménagé provisoirement. En ce lendemain de jour de relâche pour la ferme, Mathilde avait cru bon de profiter de l'occasion d'avoir une ferme abandonnée sous la main pour apprendre à ses ouvriers les bonnes façons de remettre un champs en route après un abandon.

Depuis près de deux semaines, elle s'était noyée dans le travail. La disparition de Lisbeth l'avait complètement retournée. Elle ne le savait pas, mais elles étaient passées par toutes les étapes d'un amour passionnel bien qu'interdit, lequel avait conduit à la mort de la flamboyante rousse au tempérament de feu. Moralement éprouvée par les hauts et les bas de cet amour intense, et pourtant éphémère, la terrienne l'avait laissée partir, pensant qu'il ne lui serait jamais possible de vivre normalement cette histoire, dont elle ne pourrait jamais parler à qui que ce soit. Quatre jours plus tard, les ouvriers étaient arrivés et la vie de la ferme avait radicalement changé. La sienne aussi.

- Alors c'est bien vrai, Alexandre de Terresang est de retour au Labret. Follement épris du charme de la campagne et des roturiers qui la peuplent, il quitte le luxe de l'Esplanade et le raffinement de ses habitants pour s'installer dans une ferme où le confort élémentaire n'existe pas encore.

Le ton était taquin, elle exagérait un poil les choses pour le plaisir de renouer avec cette complicité née quelques semaines plus tôt, alors que l'auguste nez s'écrasait dans la boue du Labret. Elle avait compris qu'en l'absence de cour, elle pouvait faire abstraction d'un protocole qui ne servait qu'à donner l'illusion d'un certain pouvoir. Elle garda néanmoins les petites piques qu'ils savaient s'échanger pour plus tard. La présence de quatre personnes autour de lui la poussait à garder un semblant de respect hiérarchique dû au rang qu'il occupait dans la société. Elle inclina respectueusement la tête pour le saluer, lui, puis ceux qui l'accompagnaient.

Elle descendit de cheval, défit une sacoche pour la mettre sur son épaule et s'adressa aux gars en quelques mots seulement. Ils savaient ce qu'ils avaient à faire, elle leur avait donné toutes ses explications durant le trajet. Toutes. Trois fois. C'est dire s'ils avaient hâte de se mettre à l'ouvrage pour ne plus l'entendre. Ils partirent avec la grosse Marguerite pour se mettre au travail. Les champs avaient besoin d'être labourés pour aérer la terre et empêcher la mauvaise herbe de s'étendre. Tant qu'elle n'était pas en graines, mettre ses racines à nu suffirait à s'en débarrasser. Elle détailla la ferme, son solide bâtiment principal, ses granges dans lesquelles même un banni n'oserait s'abriter, sa palissade à retravailler. Elle haussa les sourcils face au travail qui attendait le noble.

- Eh bien... dit-elle en rejoignant Alexandre, c'est un beau défi. Le corps de logis va être ta priorité n'est-ce pas? Tu n'auras pas besoin de grange dans l'immédiat, mais j'imagine que tu vas profiter des charpentiers qui vont arriver chez moi pour faire d'une pierre deux coups?

Elle le regarda enfin, lui tendant la main avec un sourire complice.

- Bienvenue au Labret, cher voisin.

Alexandre eut un large sourire en entendant la jeune Dumas … il fallait dire qu’elle lui avait laissé une forte impression agréable et surtout … cela faisait bien longtemps qu’il ne s’était pas aussi senti à l'aise avec des personnes … en fait, sur l'Esplanade, il était constamment sur ses gardes, la noblesse était un terrain de jeu dangereux dont Alexandre avait apprit les ficelles dès son plus jeune âge mais il se faisait vieux et plus cela allait, et plus il ressentait une envie de tout envoyer balader, il n'avait plus envie de dormir que d'un œil au risque de se faire poignarder ou alors de soupçonner un poison dans sa nourriture. Ici, il était de retour à ses origines au milieu du purin, du bétail , des champs … cela lui rappelait sa jeunesse d'antan même si son père n'avait jamais apprécié qu’il aide les serfs aux travaux agricoles.

Il s’était retourné entre ses pensées pour voir la jeune femme qui resplendissait … 'fin plus que quand elle était à Marbrume, la ville lui avait fait l'effet d'un coup de poing dans le ventre et cela s’était ressenti, même sur la plus pure des personnes, la Cité-Franche avait la fâcheuse habitude de corrompre son âme et c’était avec joie qu’il reconnaissait la demoiselle qui lui avait offert l’hospitalité sous une pluie battante.

« Aux yeux d'un profane, le Labret est peut être qu’un lieu de perdition sans confort tout juste bon pour cultiver mais aux yeux d'un ancien seigneur de la campagne, je vois là le bon air frais qui n'est pas pollué par des intrigues, des gens qui ne feront pas tout pour éradiquer un quelconque rival et quant au confort, je préfère une paillasse à un lit douillet … je suis heureux de vous revoir, Demoiselle Dumas. »

Il se mit à remarquer avec amusement que la jeune fermière avait déjà pris en main son groupe d’élèves en formation pour les travaux agricoles, elle ne perdait pas de temps apparemment et c’était tres bien … l'Ordre avait besoin de ce genre de leader qui prenait les choses en main et qui ne lambinait pas … après c’était une originaire du Labret, ce n’était guère étonnant !

Elle detailla alors la ferme, oui, Alexandre le savait … ces trois mois de travaux allaient être laborieux mais c’était un challenge ! Il voulait cette ferme pour ses opérations,. Elle était proche d'Usson qui plus est, il allait y établir un bureau de recrutement pour l'Ordre …cela n’allait pas être bien difficile de trouver des personnes apte à rejoindre l'Astre, ils seraient heureux de suivre le Vicomte, l'un des nobles qui les avaient aidés à reprendre leur terre et qui avait perdu une main pour cela !

« Nous allons retaper cette ferme ainsi que l’améliorer, il y a suffisamment d'espace pour construire un ou deux baraquements pour ceux qui vivront ici, le Bâtiment principal servira de base de commandement ainsi que mon logement … la palissade sera entièrement rénové tout en l'avançant un peu pour contrer les possibles attaques Fangeuses et Bannies.

Quant aux ouvriers sur ton propre chantier, ils devront finir avant tout ta grange, je vais faire finir le peu d'ouvriers qu’il me reste, veux qui ne sont pas sur d'autres chantiers comme celui du Mur de Sombrebois et lorsque cela sera fini, je pense que d'ici début juillet, je m'établirais. »

Il lui serra alors la main qu’elle lui tendait, il sentait qu’il allait se plaire ici et pas uniquement parce que la demoiselle y était mais parce que le Labret était habité par des gens simples qui ne se préoccupait pas de la hiérarchie nobiliaire et il fallait le dire Alexandre s'en fichait bien.

« Comment s'est passé ton retour de Marbrume ? »

Demanda t-il tout en voulant changer de sujet de discussion avec la jeune fermière, il pensait que leur partenariat reposerait sur cette relation amicale.

- Fais-moi livrer du sarrasin, je m'assurerai de le semer à temps. Une fois récolté, la terre sera plus ou moins débarrassée du chiendent qui est en train d'envahir tout. On pourra commencer à récolter les grains au milieu de l'été, avant les grandes récoltes. Prévois un banquet pour remercier les voisins qui aideront à la corvée, quelque chose de simple, pas besoin d'étaler tes richesses, seulement ta reconnaissance. A la fin du mois de septembre, on sèmera du seigle, qui sera prêt à être récolté au printemps prochain. Ta terre sera bien enrichie et tu auras pu vendre deux récoltes.

Elle plissa les yeux en regardant la terre. Oui, ça serait parfait. Une fois la ferme remise sur pieds, la terre pourrait apporter un revenu permettant d'amortir les dépenses d'Alexandre, sans doute considérables. Le seigle était prisé, parce que long à récolter. Il n'était pas la priorité des paysans du Labret, qui préféraient miser sur deux voire trois récoltes durant l'été pour contrer la famine de l'année et faire des réserves suffisantes pour l'hiver prochain. Le prix du seigle allait exploser, c'était évident, en plus d'offrir à la terre abandonnée tout ce dont elle avait besoin pour retrouver son efficacité d'antan. Elle le regarda en souriant.

- Quelle équipe! L'homme aux bâtiments, la femme aux champs! Je devrais t'engager chez moi! Elle éclata de rire. De toute évidence, Mathilde était dans son élément et travailler la terre lui faisait le plus grand bien. Je suis contente de te savoir tout proche. L'air du Labret te va bien, tu sais. Elle n'en dit pas plus. Plus tard, peut-être, lorsque les acolytes du Vicomte seraient partis, elle lui ferait part de l'attitude radicalement différente qu'elle avait observée chez lui, lorsqu'ils étaient en ville.

- Le retour a été euh... honnêtement? Bien sûr, honnêtement. C'était tout ce qu'il attendait d'elle, une honnêteté à toute épreuve, qui tranchait radicalement avec les intrigues de l'Esplanade. En deux temps. J'ai cru que j'étais suivie et menacée. Un mercenaire que j'ai croisé sur la route m'a prise sous son aile pour la suite du trajet et, finalement, la menace ne s'est jamais montrée. Elle éluda sciemment que le mercenaire était une femme, et que celle-ci avait été irrésistible, avant de finalement disparaître. Elle haussa les épaules face à ce constat un peu embarrassant. Une peur non fondée. Ridicule hein? Sans doute parce que j'avais encore un certain nombre de craintes vis-à-vis de notre accord. Je t'avoue que retrouver ma terre m'a fait le plus grand bien. Je ne suis vraiment pas faite ni pour la ville ni pour le monde dans lequel tu évolues. Ma place n'est nulle part ailleurs qu'ici.

Et Alexandre le savait. Ce n'était pas pour rien qu'il l'appelait la Dame du Labret. Le clin d'oeil amical était empreint de sagesse.

- Les ouvriers de l'Ordre sont donc à Sombrebois? Je croyais que le bourg était perdu, le baron qui s'y trouvait autrefois y retournerait donc?

Elle était surprise. Sombrebois n'était plus qu'un lointain souvenir. C'est là qu'elle avait laissé deux de ses soeurs, avant la Fange. Elles y avaient pris époux et s'étaient installées là, si loin d'elle. Sans doute n'avaient-elles pas survécu, comme les autres.

Mathilde réprima un frisson et referma les pans de sa lourde cape sur elle. En cette fin du mois de mars, les journées étaient encore parfois fraîches, et l'inactivité n'aidait pas la fermière à combattre le froid.

- Tu me fais visiter? Tu sais, tu n'es pas le seul de l'Esplanade à t'installer dans les environs. J'ai présenté mes condoléances à de Beauharnais avant de quitter Marbrume, et il m'a fait part de ses intentions de s'installer à Usson... Il se peut que n'aies pas d'autre choix que de t'en faire un allié...

Alexandre se mit à écouter attentivement la demoiselle qui lui expliqua ce qu’il devait faire pour rentabiliser ses dépenses … quelles dépenses, d'ailleurs ! Alexandre était bien obligé de payer son propre chantier, bien sûr cela allait appartenir à l'Ordre mais il montrait une totale transparence dans les dépenses des Terresang et même si il en était le dirigeant, il ne voyait pas pourquoi il allait faire ça gratuitement … d'ailleurs le chantier à la ferme Dumas allait également être payé par Alexandre mais il comptait bien garder tout cela secret … en tout cas d’après les dires de la demoiselle, les deux récoltes allaient le rentabiliser , bon … il s'en chargerait sitôt qu’il rentrerais à Marbrume.

Quelque-chose le turlupinais par contre … la demoiselle Dumas avait dit quelque chose qui fit tilter le Vicomte. « L'Homme aux bâtiments, la femme aux champs » … il se mit à lui sourire observant le domaine agricole qui était encore en état des lieux par son Maître Constructeur et surveillé par ses hommes.

« J’apprécie ton aide ma chère Mathilde mais … j'ose espérer que tu ne feras pas des allers et retours entre ta ferme et celle-ci tous les jours pour voir comment vont les champs. Je pense que tu auras suffisamment de travail comme cela et je ne veux pas que tu tombe de fatigue. » Était-ce de l’inquiétude ? Très certainement , il se sentait responsable de tout cela et surtout de la tournure de la vie de la jeune femme qui allait arriver.

Le seigneur de Terresang se mit alors à gratter sa barbe qui avait était taillée récemment -tout comme ses cheveux restants d'ailleurs- apparemment, la demoiselle avait eu son lot de péripéties même si il n'y avait pas eu de dommages ou encore d'attaque, c’était rassurant. Au moins, elle n'avait pas à eu subir les affres de l'aller qui l'avait mené sur le chemin de la réalité qu’étaient cces temps troublés.

« Oui, le bourg a était reprit l’année dernière, alors que j’étais encore marié, mon ex femme a mené une rénovation du bourg et actuellement, le mur est rénové … cela ne me plaît pas, je voudrais tellement laisser ce bâtard de Sombrebois crever tel le chien qu’il est mais ceux qui sont avec lui n'ont rien demandé et le Rougelac qui est devenu le Gouverneur de Sombrebois a proposé une coquette somme – 3 450 écus en fait- de quoi renflouer les coffres de l'Ordre et recruter plus de monde notamment ici. »

Son sourire disparut lorsqu’en passant vers la maison principale, la jeune fermière qui avait froid dû au temps encore hivernal de cette fin de mois de mars, lui sortit comme ça du tac au tac que son ancien allié allait également être de la partie au Labret … bordel de merdasse, qu'est ce qu’il foutait là le noble roturier ? Il voulait être au calme de tout lieu où la noblesse résidait mais voilà que le connard de Beauharnais allait s'installer au Labret.

« Je n'ai que faire d’alliés comme Beauharnais, avec lui, je n'ai plus besoin d’ennemi. Il s'est amusé à me parler comme le dernier des merdeux et a insulté ma belle sœur de catin, je me fiche bien de savoir qu’il a perdu son père, sa femme et compagnie, je ne vais pas aller m'excuser de mon comportement envers lui alors qu’il m'a ouvertement insulté, tu peux t'en faire un allié si tu le désiré mais pour moi la question a déjà était traitée »

- Je ne vis que pour travailler, Alexandre. Je suis une femme de la terre, le labeur ne m'effraie pas, tu devrais le savoir. Tu ne m'as pas enrôlée pour le soin que je porte à préserver ma petite personne du moindre signe de fatigue mais bien parce que tu me sais capable d'apporter une aide non négligeable à l'Ordre. Elle sourit. Je priorise ma ferme, ici c'est trois jours de travail pour le démarrage, et deux semaines de récoltes à temps partiel. N'importe qui pourra surveiller d'ici à la maturation du grain, même un noble apprenti paysan dit-elle en coulant un regard malicieux vers Alexandre. Et puis ça me permet de montrer à mes élèves comment remettre un champs en route, c'est un apprentissage nécessaire compte tenu de leur avenir.

Mathilde écouta Alexandre parler, avec toute la franchise qui le caractérisait, d'Hector de Sombrebois. De toute évidence, il ne l'appréciait pas. Elle nota que Sombrebois était lié à un certain Rougelac, qu'elle ne connaissait absolument pas, mais qui semblait rouler littéralement sur l'or, compte tenu de la dépense qu'il avait engagée. De quoi renflouer les caisses de l'Ordre et lui permettre de continuer sa mission.

- Alexandre... murmura-t-elle alors qu'ils approchaient de la maison tu deviens tout rouge... Arrête de te fâcher, c'est mauvais pour ton coeur. Elle lui offrit le sourire le plus taquin qu'elle avait. Elle savait qu'il avait un tempérament plutôt sanguin, et que la moindre contrariété prenait des proportions énormes, mais il fallait qu'elle le raisonne.

- Tu n'auras pas vraiment le choix, s'il s'en vient réellement à Usson, ce n'est pas pour s'y tourner les pouces. Ni pour faire valoir son titre qui, soyons honnêtes, ne vaut pas plus qu'une paire de chaussures, ici. Les autres n'étant plus en vue, elle le prit tout naturellement par son bras valide pour continuer la promenade. Vous vous êtes copieusement insultés, mais le plus sot des deux sera celui qui refuse tout contact avec l'autre. On est au Labret ici, on n'a pas d'autre choix que de se serrer les coudes pour tirer le meilleur de ce terreau fertile. Tu n'es plus vraiment vicomte ici, tu es un homme parmi tant d'autres, un homme avec certains moyens et certains contacts qui permettront à toute la région de se développer. Ce sont tes actions que les gens verront, pas tes intrigues de cour. Tu es l'un des héros du Labret, les gens d'ici vont avoir des attentes énormes quant à ce que tu peux apporter. Et ça inclut la paix.

Elle savait qu'elle avait raison, mais ne s'attendait pas à ce qu'Alexandre acquiesce. Peut-être que ses paroles trouveraient écho en lui, plus tard, lorsque leurs chemins se croiseraient.

- C'est qui le Rougelac? Encore un noble? On ne travaille que pour les nobles alors?

Ça, ça l'enchantait moins. Dans son esprit, Mathilde travaillait pour les nécessiteux, par pour les nobles jupons de l'Esplanade. Naturellement, elle imaginait que chaque noble disposait d'une fortune colossale, et qu'en les réunissant autour de la table de l'Ordre, la fortune en question serait mise à disposition du bien commun et donc du peuple. En cela, la fermière avait bien des choses à apprendre.

La jeune femme épatait presque Alexandre qui lui expliquait qu'elle n'était pas dans l'Ordre pour préserver sa petite personne … si seulement les mondaines étaient aussi moins personnel que la Dame du Labret, le Vicomte s'était mis à sourire … il savait qu'il ne servait à rien de continuer, la jeune femme s’obstinerait dans son entreprise mais qu'importe ! Cela lui faisait plaisir assurément … par contre, ce qui ne plaisait pas à Alexandre c'était le fait que la jeune femme semblait décider à jouer les entremetteuses pour rapprocher les deux nobles qui s'étaient séparés lors d'une dispute … pourquoi faire ça ? Elle n'avait rien à y gagner et le Vicomte de Terresang encore moins !


Il ne voulait plus avoir à faire quelque chose avec cet homme qui avait osé l'insulter alors qu'il n'était même pas comte ! Il n'était qu'un moins que rien ! Un pauvre milicien qui avait abandonné sa famille pour la vie facile du roturier sans responsabilité ! Et le coeur du vieil homme allait très bien ! Il n'avait pas non plus cinquante ans … il était certes assez vieux mais pas au point de ne plus s'énerver un peu ! Bon, la situation l'amusait un peu mais il ne voulait pas s'amuser de ce qui se passait devant ses yeux !


 « Mathilde. » Elle se tourna vers elle, mettant sa prothèse sur son autre bras pendant qu'elle mettait sa main sur son bras valide. « Beauharnais est trop brut de décoffrage pour comprendre un traître mot ce que je lui dirais et je suis beaucoup trop fier pour parler à ce surplus d'huile de rein et je me fiche bien de savoir que je ne suis pas qu'un simple homme, c'est bien pour ça que je m'installe ici et c'est pas pour revoir les mêmes têtes que j'exècre que je me m'installe au Labret. »


Voilà que la fermière semblait suspicieuse, la jeune femme pensait que l'Ordre bossait uniquement pour les nobles … non, bien sûr que non ! Il fallait clarifier cette chose au plus vite.


 « Mon futur beau-frère par alliance qui va se marier avec ma belle sœur… et non, nous ne bossons pas pour les nobles … disons que l'Ordre fait quelques travaux pour ces derniers en échange de sommes rondelettes contrairement à ceux qui peuvent pas se payer le luxe de se payer un toit … voyons cela comme un juste retour des choses … dis-toi que je paye de ma poche cette rénovation et que l'argent va directement à l'Ordre. »

Elle cligna des yeux en l'écoutant, un sourire moqueur s'étirant sur ses lèvres.

- Ah c'est sur que toi, tu n'es aaaabsolument pas brute de décoffrage. Elle pouffa de rire et regarda Alexandre avant de reprendre son sérieux. Je ne me mêlerai pas de vos histoires, à toi et à Beauharnais, mais tu verras... le temps me donnera raison.

Elle en était certaine. Bien des familles s'étaient opposées, au Labret, au fil du temps, mais elles avaient toujours fini par trouver un terrain d'entente pour le bien commun. Ici, plus qu'ailleurs, il n'était plus permis de stagner à cause d'une dispute. La survie de Marbrume en dépendait et, si le Comte tenait ses engagements, Mathilde savait qu'Alexandre ne pourrait pas faire autrement que d'aller à la forge d'Usson. Beauharnais finirait bien, lui aussi, par avoir besoin de Terresang. Et si leurs brouilles faisaient en sorte de diviser le voisinage, ils finiraient exclus de la communauté, et vivraient en parias dans un Labret où les conditions de vie deviendraient particulièrement difficiles pour eux.

- J'espère que la noblesse continuera à avoir besoin de l'Ordre pour un certain nombre de choses, alors. Des nobles autres que toi, parce que tu vas finir sur la paille. Ma paille, pensa-t-elle, en ayant l'image fugace d'un Alexandre en paysan, bottant le foin pour le faire sécher. Elle retint un pouffement de rire devant le grotesque de la scène.

-Tu sais, c'est un peu le bazar à la maison avec l'arrivée des gars mais... je suis vraiment heureuse de les avoir vus débarquer. Quelques jours avant, trois hommes ont essayé de se servir dans ma grange. Je me sens un peu plus en sécurité maintenant, ça me fait du bien. Elle devait bien l'admettre, il n'y avait rien de plus plaisant que de se savoir à l'abri des personnes mal intentionnées, ou du moins parée à les recevoir avec une force de frappe bien plus imposante que ses flèches. L'hiver avait apporté son lot de visites indésirables, elle était désormais soulagée de ne plus avoir à s'en inquiéter.

- J'y pense... comment l'Ordre va-t-il s'administrer, si tu es ici? Tu prévois des va-et-viens entre la ville et ta ferme?

Alexandre se mit à sourire, oui, les familles paysannes devaient -par le passé- se serrer les coudes mais et alors ? Chez les nobles c'était la même chose ! Dans l'ancien temps, un seigneur devait se serrer les coudes avec ses compères pour aider leur suzerain, si ils ne le faisaient pas … eh bien, ils finissaient soit sur l'échafaud soit sur un trône soit en exil … un peu comme les paysans du dit Labret mais qu'importe ! Le Seigneur de Terresang n'allait pas se rabaisser à se mettre à genoux devant le Seigneur-Roturier de Beauharnais pour lui demander pardon, ça non !


Il écouta alors attentivement la jeune femme presque avec amusement … la fermière était forte mais les cinq hommes qui allaient être formés comme ouvriers agricoles allaient lui procurer une certaine sécurité, c'était des bons gars et ils ne tenteraient rien … il crut tout de même discerner une certaine forme de moquerie taquine … ah, si elle savait que c'était peut être ce que voulait Alexandre mais il n'en dit rien, ce n'était pas son genre de penser cela, il respectait la fermière rien de plus … oh oui, il ne se passera jamais rien … ils n'étaient pas du même monde et personne ne comprendraient ce genre de relation.


Il se recula alors quand elle lui demanda comment l'Ordre allait être administré … devait-il lui avouer tout de suite ? Le pourquoi du comment, il allait s'installer au Labret … il regarda le sol une petite seconde puis eut un léger sourire triste, ils étaient maintenant derrière le bâtiment principal loin des hommes … néanmoins, il regarda la jeune femme avec une certaine appréhension.


 « J'aimerais te montrer quelque chose … ou plutôt quelqu'un … j'aimerais que l'on se rende à Usson … et je te dirais comment l'Ordre sera administré, qu'en dis-tu ? Nous n'en sommes pas loin et cela ne nous prendra que vingt minutes tout au plus. »

Mathilde fit une petite moue. Alexandre se faisait tout à coup bien trop mystérieux à son goût. Elle avait vu son mouvement de recul lorsqu'elle avait posé la question de la gestion de l'Ordre, et percevait maintenant une hésitation dans sa voix qui ne lui annonçait rien de bon. Pourquoi, lui qui s'était jusqu'ici montré on ne peut plus honnête avec elle, semblait tout à coup tourner autour du pot. Quel coup fourré préparait-il?

- Quelqu'un? À Usson? Alexandre de Terresang, qu'est-ce que tu n'oses pas avouer? Elle fronça les sourcils et mit les mains sur ses hanches, comme une mère s'apprêtant à réprimander son fils. Mais Alexandre n'en dit pas plus. Devant son silence, assourdissant, Mathilde, qui n'avait aucune patience, baissa les armes.

- Soit. Je veux revenir ici bien avant le coucher du soleil, je dois rentrer avec les gars avant la nuit.

Il hocha de la tête, lui assurant qu'ils seraient de retour dans moins d'une heure. Elle soupira. Moins d'une heure, à condition qu'ils soient à cheval. Marguerite était au champs, utilisée par les hommes pour les labours, et si elle les interrompait, sa main-d'oeuvre si précieuse tombait sans travail, sans rien à apprendre, tandis qu'elle, leur formatrice, s'en irait sur la route pour une raison inconnue. Impensable. Mathilde eut une idée et esquissa un petit sourire malicieux.

- Je vais devoir partager ta monture, la mienne est occupée.

Elle partit à rire. La prenait-il au sérieux? Sans doute pas, mais lorsqu'ils rejoignirent le cheval d'Alexandre, elle se hissa sur la selle et lui fit une place pour qu'il monte à son tour, derrière elle. Il grogna que l'un de ses amis lui prêterait son cheval, mais elle refusa et lui fit signe de s'installer là, sur la selle qu'elle tapotait délicatement. Il finit par obtempérer, comprenant qu'il n'avait aucune chance qu'elle l'accompagne s'il ne partageait pas son cheval.

Elle lui passa les rênes, de sorte qu'il soit obligé de maintenir une main de chaque côté de sa taille, tandis qu'elle se tenait au pommeau. Elle remua les épaules pour se blottir contre son torse, et sentit son chignon lui effleurer le nez. Elle lui jeta un regard malicieux par-dessus son épaule.

- En avant, cher voisin. Parlez-moi donc de ce secret qui vous tourmente tandis que vous me menez d'un pas tranquille vers le mystérieux inconnu d'Usson. Elle lui fit un clin d'oeil et rit, alors qu'ils se mettaient en route sous les yeux ébahis des compères du Vicomte, légèrement choqués par l'indécente posture dans laquelle la dame du Labret et son seigneur se retrouvaient.

La fermière salua les compagnons du Vicomte d'un geste royal, affichant un grand sourire aux lèvres. Le silence de l'homme qui se trouvait derrière elle traduisait son degré d'exaspération. Il était tellement gêné qu'il en avait perdu ses mots. Elle rit jusqu'à ce qu'il desserre enfin les lèvres pour entamer son récit.

L'histoire des portes, Mathilde en avait entendu parler. Sans doute y avait-il eu moult exagérations dans les récits terribles de ces gens laissés à la merci des fangeux, devant les portes que Marbrume. Dans une taverne où l'alcool avait le don de rendre la moindre anecdote de vie digne des plus grandes épopées, le nombre de morts avait probablement été décuplé, comme les larmes du patriarche, mais elle en avait entendu parler. Pourquoi Alexandre avait-il envoyé sa femme et sa fille chez le de Sarosse? Peu importe. Le résultat était le même : elles étaient mortes. Au moins, il n'était pas l'un de ceux qui avaient eu à assister, totalement impuissant, à la mort de leurs proches depuis le haut des remparts.

Mathilde écouta la suite du récit, retenant ses questions pour ne pas interrompre ce moment où de Terresang se confiait à elle. Elle ne savait pas trop pourquoi, mais il avait cette tendance à lui raconter sa vie là où elle gardait la sienne secrète. Mais qu'y avait-il de secret à garder, lorsqu'on avait une vie aussi banale que celle d'une fermière? Retrouver sa femme après sa transformation avait dû être à la fois une terrible épreuve et un grand soulagement. Pouvoir pratiquer un rituel funéraire, même s'il consistait à brûler le corps du mort, était une étape importante dans le processus du deuil. Ainsi, le Vicomte avait pu commencer à panser les blessures de son âme, mais pas toutes.

Mathilde fronça les sourcils lorsqu'Alexandre expliqua que l'un de ses hommes avait cru apercevoir sa fille, portée disparue, vivante. Ils arrivaient à Usson. Elle comprit que c'était ici que l'héritière avait probablement refait sa vie. Se laissant glisser au bas de la selle, aidée par Alexandre, elle lui offrit un regard plein de compassion.

- Elle est ici? Tudieu, si la fille était à Usson, Mathilde la connaissait probablement, ne serait-ce que de vue. Elle passa rapidement en revue les visages de celles qu'elle rencontrait fréquemment autour du four commun ou dans les échoppes qu'elle fréquentait. Claire... voici Claire...

Mathilde leva les yeux pour repérer celle qu'elle avait croisée à la taverne lors de livraisons. Elle étouffa un juron.

- Claire est ta fille?! Bordel de merde Alexandre, Claire est ta fille? Tu en es sûr?! Mais... Voilà qui expliquait au moins la perte de mémoire de cette fille, arrivée un beau matin à Usson à la recherche de choses à faire pour survivre. Elle avait croisé la route de Mathilde à la taverne, et la fermière lui avait proposé quelques petites tâches sur la ferme, jusqu'à ce qu'elle finisse par tomber sur Arthur qui s'était révélé être un aide-maraîcher de premier choix. Mathilde regarda Alexandre et le serra dans ses bras, oubliant qu'ils étaient au milieu d'un gros village où tout se sait en quelques minutes à peine. Bien sûr que tu sais. C'est merveilleux! Et affolant! Elle relâcha son étreinte et le regarda gravement, les mains posées sur ses épaules. Alexandre... Claire a travaillé pour moi, il y a quelques mois de cela. Je suis navrée de te dire que ta fille est une fermière assez nulle. Elle lui sourit. En réalité elle n'était pas la pire d'entre tous, mais il était vrai qu'elle n'avait de toute évidence pas ça dans le sang.

- On va la saluer? Comment tu comptes t'y prendre pour qu'elle recouvre la mémoire?

Alexandre se disait qu’il aurait peut être dû faire comme tout noble : ne rien dire, séquestrer son héritière dans une cave et faire en sorte de lui faire retrouver la mémoire mais non … il n’était pas comme ça. Il ne voulait pas brusquer les choses … Mathilde l'avait prit dans ses bras pour le réconforter ? Peut être. Le Vicomte en avait besoin ? Il n'en savait rien. Il ne savait plus quoi penser, sa vie commençait à se refaire petit à petit malgré le Fléau qui était entrain de ravager le Royaume de Langres … mais qu’importe. Il avait devant lui, la jeune demoiselle qui était sa fierté, son sang mais il ne voulait pas forcer les choses c’était hors de question… peut être que la jeune Claire sera l'objet d'une réconciliation avec une certaine personne.

Le Seigneur de Terresang se fit lâcher par l’étreinte de Débardeur de la fermière et il hocha négativement la tête … bien sûr qu'elle était mauvaise fermière, elle avait un rang de Vicomtesse et même si Alexandre était proche du peuple, il refusait que son bijou ne soit dans les champs mais il lui autorisait quelque fois de partir pour quelques jours avec une escorte, aider les paysans en distribuant piécettes et nourriture pour les plus pauvres. Il se mit à sourire … devaient-ils aller la voir ? Non, le sang bleu se disait que ça ne serait pas lui rendre service du moins pour le moment, il se détourna de la blonde qui avait entreprit de prendre une cagette de légumes pour se rendre dans la taverne.

« Claire à une nouvelle vie et je ne veux pas être celui qui ira la briser. Je souhaite que Claire profite un temps soit peu de cette accalmie … elle aura tout le temps de retrouver la mémoire et se rendre compte que son ancienne vie n'est qu’un enchainement de malheurs , tu comprends ? Je veux faire ça en douceur, apprendre à connaître cette nouvelle jeune femme et tenter de concilier sa nouvelle et son ancienne vie. »

Je veux faire ça en douceur.

Mathilde hocha de la tête, d’un air entendu. Elle ne prendrait aucune initiative, ne ferait aucune allusion, ferait attention à ne commettre aucun impair, mais garderait un œil attentif à chacun de ses passages à Usson. C’est alors qu’elle réalisa, devant le visage grave du Vicomte, que cette joie de retrouver son enfant était peut-être aussi une source d’inquiétudes et de tristesse profonde. S’il ne voulait pas la brusquer, il ne pouvait pas non plus la protéger, ni même améliorer son quotidien. Il ne pouvait qu’être un étranger qu’elle croisait à de rares occasions, dans une petite bourgade qu’elle avait fait sienne, avec le temps. Qu’adviendrait-il si elle décidait d’épouser un fermier? Et comment réagirait-elle si, d’un coup, la mémoire lui revenait?

- S’il y a quoi que ce soit que je puisse faire pour toi, au sujet de Claire, dis-le-moi, d’accord?

Que pouvait-elle dire de plus? Rien. Elle n’avait pas pris le temps de connaître Claire. Comme bien des gens, elle avait eu droit aux grandes lignes, mais la fermière n’avait jamais cherché à comprendre ce qu’elle pouvait ressentir face à cette absence de souvenirs. Elle n’avait pas creusé ses angoisses, n’avait pas chercher à l’aider plus qu’il ne fallait, trop préoccupée par ses propres malheurs et la nécessité de survivre, et de faire tourner la ferme sans sombrer dans la mélancolie.

- Est-ce qu’elle t’a dit où elle vivait? Qu’as-tu pu apprendre?

Imitant de Terresang, Mathilde cessa de regarder Claire entre deux coups d’yeux vers Alexandre. Bon sang, quelle situation étrange. Retrouver son enfant et ne pouvoir partager sa joie avec elle qui ne se souvenait de rien. Un nuage sombre qui venait obscurcir ce qui aurait dû être l’un des plus beaux moments de sa vie.

Claire continuait sa journée on ne peut plus banale et routinière, mais sur la place d’Usson, plusieurs badauds commençaient à reluquer en direction du noble, avec lequel la fermière avait sagement repris une distance tout à fait acceptable pour la société, évitant ainsi des rumeurs aussi fausses qu’inutiles. On n’était plus vraiment habitués à voir du beau monde, à Usson. Aymeric de Beauharnais avait fait une apparition, puis on avait entendu parler d’Alexandre de Terresang qui reprenait les bâtiments d’une ferme, pas bien loin de la bourgade. Le second, évidemment, bénéficiait d’une certaine aura compte tenu de sa présence lors de la reprise du Labret. Et on le regardait maintenant avec la même admiration que son nom seul avait évoqué chez Mathilde, la première fois que le Comte avait annoncé qui était le commanditaire de sa mission pour l’Ordre.

- Je crois que si tu veux rester, il va soit falloir nous trouver une occupation, soit trouver un coin tranquille. Ta présence éveille la curiosité murmura-t-elle en faisant un mouvement du menton pour indiquer un petit groupe de passants chuchotant non loin d’eux.

 « Elle vit dans une des chambres de l'auberge … cela me rassure mais j'ai tout de même laissé un de mes gardes occuper la chambre voisine … je n'ai pas confiance en l'humanité. »


Alexandre avait en effet mené sa petite enquête discrète, faisant mine d'être un voyageur venu de Marbrume, discutant gentiment avec la demoiselle … avec sa dégaine et sa manière de s'habiller, il était passé pour un vieillard gâteux mais son homme de l'ombre lui avait donné un complément d'information … c'est ce qui lui a d'ailleurs permis de faire en sorte de toujours avoir un œil sur elle, à défaut de ne pouvoir la serrer dans ses bras et faire en sorte qu'elle retrouve sa mémoire, il pouvait garder être sûr qu'elle était sauve.


 « Je ne parle pas pour toi, Mathilde … mais ce que nous avons vécu en allant à Marbrume pour la réunion devrait te ranger à mon opinion, n'est ce pas ? »


Oui … cette maudite bande de brigand qui avait retirée une part de l'innocence de la jeune fermière, elle avait tuée pour la première fois et c'était une part de son humanité qui avait payé le prix de ce geste pourtant primordial.


Il observa alors les badauds autour de lui … il en connaissait certain, il en avait escorté jusqu'à ces terres salvatrices, il en avait sauvé aussi. Mathilde avait raison … il fallait partir d'Usson avant que les Labrétiens ne lui prennent le peu de cheveux qui lui restaient … c'est que ça pouvait être un peu trop reconnaissant ces choses là.




 « Partons, de toute manière je crois qu'il ne va pas tarder à pleuvoir … mon moignon commence à me faire mal. »


Dit-il en lui montrant sa prothèse avec un sourire, cette main manquante qui était dorénavant son symbole de renouveau dans cette vie, il était vrai qu'il avait remarqué que lors des changements de temps, son membre fantôme se manifestait avec des élancements … que voulez vous, c'était des trucs de vieux, d'autres avaient des douleurs au genou, des rhumatismes plus douloureux, lui avait une main fantôme qui se manifestait et pour le moment la douleur était supportable mais cela n'allait pas tarder à empirer, il fallait qu'il mette les onguents que l'alchimiste Delorme lui avait prodigué.


Ils arrivèrent alors rapidement au cheval et avant que Mathilde ne dise quelque chose, il la prit en dessous des aisselles comme une petite chose et l'installa sur la selle … vous voulez appeler Alexandre, vieillard et manchot ? Allez y mais vous ne lui enlèverez pas sa force physique.


 « Tu es une fois de plus devant mais ne t'y fais pas trop, jeune fermière … et évite donc les scènes qui dépasse le protocole s'il te plait, les rumeurs vont aller bon train. »


Dit-il avec un immense sourire pendant qu'il enfourchait son cheval et se trouver dans la position initiale du départ.