Salut ! Devine qui va devenir ton voisin ! [Mathilde]

Une ombre traversa le regard d'ordinaire pétillant de la fermière. Elle avait du mal à oublier cet épisode qui avait obscurcit, d'une façon plutôt dramatique, ce voyage vers Marbrume. La douce Mathilde avait pris une vie. Et l'homme qui l'accompagnait lui avait très justement enseigné que désormais, avec la fange et les dangers démultipliés, c'était elle ou eux. Elle se contenta de hocher de la tête pour acquiescer aux propos d'Alexandre, alors qu'une brise fraîche se levait, chassant les images qui déjà revenaient à son esprit.

- Le vent est du même avis que ton moignon.

Elle regarda la prothèse avec un sourire en coin. Il était curieux que l'on puisse avoir mal à un endroit qui n'existait plus. Ce n'était pas la première fois qu'elle entendait un amputé faire une réflexion à ce sujet. Lorsqu'elle était enfant, le vieux Duval qui avait perdu une jambe disait souvent qu'elle le démangeait, mais elle n'avait jamais su si c'était vrai ou si c'était destiné à faire peur aux enfants.

Elle le suivit jusqu'au cheval et fit une petite moue en réalisant qu'elle serait peut-être contrainte de rester avec les gars chez de Terresang, le temps que l'averse passe. Elle n'avait pas prévu ce retard potientiel. Elle ne s'y faisait pas. La fange et la pluie qui l'amenait avaient tendance à contrecarrer son organisation, qu'elle voulait aussi minutieuse que possible, mais qui, régulièrement, se retrouvait perturbée par la menace.

Elle ne put réprimer l'expression de surprise lorsqu'il la saisit pour la déposer sur la selle. C'est à peine si elle avait eu le réflexe de prendre appui sur ses épaules, pour l'aider. Le vieux bougre ne cessait de la surprendre, et elle comprenait pourquoi, malgré son âge, il faisait partie des grands noms auxquels elle devrait une reconnaissance éternelle pour la reprise du Labret. Elle l'avait vu se battre, quelques semaines plus tôt, et songea qu'il n'avait rien à envier à un jeune homme fringant.

Elle s'installa avec l'air d'une femme totalement satisfaite. Non par parce qu'elle était devant mais bien parce qu'il l'emmenait, une nouvelle fois, sur son destrier, alors qu'elle aurait normalement dû marcher à ses côtés. Elle se retourna alors qu'il se penchait pour ramasser les rênes et lui rendit son sourire.

- Alexandre, voyons, tu sais que je n'ai aucune idée de ce qu'est le protocole.

Elle le regarda un instant. Le grand gaillard qui se tenait contre elle était loin, très loin de l'idée qu'elle se faisait des nobles. Il n'imposait aucune distance, aucune autorité autre que celle qu'il possédait naturellement. Il n'était pas un noble au milieu des gueux, il était simplement un homme qui se mettait au service du bien collectif. Mathilde l'appréciait beaucoup. Parce qu'en plus, il lui avait pardonné ses bourdes lors de la grande rencontre, et ne semblait pas lui en tenir rigueur.

- Ta fille a de la chance d'avoir un homme comme toi pour la protéger. Moi aussi, d'une certaine façon. Merci Alexandre, je sais que c'est pour l'Ordre que je travaille mais... je sais que tu y es pour beaucoup.

Elle avait presque retrouvé son sérieux.

- Alors. En route, monseigneur? Tu sais, je suis sure que tu pourrais m'inculquer quelques petites choses de nobles!

Elle rit doucement, alors que la monture, poussée par un léger coup de talon du Comte, prenait le chemin du retour à un pas soutenu. Le vent apportait les nuages, et les nuages apportaient les fangeux. Mieux valait ne pas traîner. Une fois arrivés à la ferme, ils pourraient se mettre à l'abri et attendre que passe la pluie avant de reprendre le cours de leur journée.