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 Perte et fracas | Mathilde

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AlcideMilicien
Alcide



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MessageSujet: Perte et fracas | Mathilde   Perte et fracas | Mathilde EmptyMer 17 Juil 2019 - 20:31
6 mai 1166 - Usson - Plateau du Labret.


Lorsqu'ils avaient besoin de quelque chose, dans la milice, comme d'une brosse et d'un savon local, ils pouvaient espérer les réquisitionner auprès des habitants. Ce qu'Alcide fit en fin de matinée, tambourinant à la porte d'une maison ; cas de force majeure ! C'était soi-disant pour le Sergent, alors forcément, la demande étant dérisoire et le soulagement totale, on lui donna ce qu'il voulait ; qu'il parte sans s'attarder...

A midi tapante, donc, le milicien se lavait. Non pas avec des fleurs... mais avec l'eau du puits, comme les fabliaux du Temple l'indiquaient pour soigner son hygiène. Se frictionner énergiquement, et le dos, et les dessous de bras, et la plante des pieds, et caetera. A l'écart dans la petite étable reconstituée en dortoir, il ne saurait dire combien de sceau il déversa sur lui-même ; peut-être sept, ou huit. Comme un sou neuf, la peau clair et reluisante, confortablement installé dans l’abreuvoir qu'il improvisa en baignoire...

Ça ne valait pas les étuves ou les bains en laiton qu'on trouvait sur l'Esplanade, mais le machin fit l'affaire, une fois celui-ci vidé, nettoyé, puis rempli d'eau propre... Ah, et ce savon. Un produit artisanal originaire du Labret ; du suif de chèvre, une pointe d'huile d'olive et quelques plantes odorantes ; ça sentait bon comme la lavande.
Les bras satinés reposés sur les rebords, le milicien s'était à demi-submergé, cachant son nez sous la surface comme s'il s'agissait d'une écharpe... Il fixait la grosse Charlotte. L'éclat de prédation dans le regard, prêt à surgir du trouble des eaux comme un alligator. Parce qu'il avait faim. Et qu'elle était appétissante. Elle était incapable de le voir venir, ne se doutant de rien, naturellement innocente, pas bien difficile et d'une patience infinie ; Charlotte, pauvre Charlotte... l'unique vache laitière qui résidait encore là, broutant le foin à l'autre bout de l'étable.

Il ne voulait pas les entendre, à dire vrai... Les tympans sous l'eau, entouré d'agitation, ses comparses s'affairaient maintenant qu'ils étaient congédiés au repos, chacun installé autour d'une table spécialement dressée pour les jeux de hasards. Le roulement des dés agrémentait leurs bavardages, beuglant et s'esclaffant de rires gras. Ça parlait encore du Goulot. Ou plutôt... du Chaudron. Il tenta d'y prendre part, mais en vain... C'était encore trop personnel. Il aurait mieux fait de délaisser ses acolytes et reporter son bain pour s'en aller saluer les habitants, où il tâcherait de rendre les sourires, s'inclinant avec respect pour ces dames qu'il croiserait tandis qu'il parcourait les chemins du village en direction du temple.

Prier. Ou pas ; la dernière fois le prêtre s'était rué sur lui, le mettant au fait des dernières rumeurs venues de Marbrume. Incapable de répondre aux questions auxquelles il le soumettait, quand il lui demanda s'il risquait de voir apparaître des gens mordus cherchant asile dans le Labret... Tout cela avait une drôle d'odeur. Alcide voyait ses officiers venir d'ici, le sur lendemain. Et la forme douteuse, et le fond lourd de sens, que prendraient les ordres. Le bailli et ses prévôts leur promettait la marque des bannis si la milice leur mettait la main dessus ; laissant des infectés hors des murs et livrés à leur sort. Et accessoirement, dans les pattes du Bataillon externe.

Merci...

Des fidèles de la Trinité, se disait la hiérarchie, comme lui. Alors pourquoi ne songeaient-ils pas d'abord à la quarantaine à terre ou en mer, comme on le fit pour l'équipage des navires frappés de fièvre maligne ou par la peste ? Le monde tournait fou depuis longtemps déjà, mais il s'était peut-être mit à marcher sur la tête avec le sacre de son nouveau Roi...

Et dire qu'autrefois le peuple avait la perspective d'un avenir radieux sous la nageoire bienveillante d'Anür. Tout le monde le savait. Personne n'en doutait. Le Royaume tout entier s'y reposait, mais maintenant, après tant d'affliction, le mortel ne se confiait plus forcément devant les Trois. L'équilibre que garantissait le Culte vacillait, en même temps que d'autres persistaient dans leur voie, dans l'espérance et la foi. Pas plus tard qu'hier, une oreille maladroitement attentive aux murmures des priants, comme figée sur le qui-vive, lui indiqua que certains s'en écartaient. Ils voulaient tout en ce cauchemar. Tout, et tout de suite. Rédemption ou pas... Là où pour d'autres, l'heure était aux purifications, pendant que la vogue était à la sécurité. Et ils en avaient joués, les habitants d'Usson, dignes de respect, consolidant et bénissant les édifices. Il fallait bien que ça aboutisse un jour ou l'autre et que ça touche tout le monde. Que ça descende dans l'existence ; ce besoin de sécurité. La sécurité devant la faim. La sécurité devint la faim! Et pour tous les vivants la même chose ; le repas substantiel.

La sécurité. Malgré ces longues minutes plongé dans la marée des commentaires confus de ses frères d'arme... rien y faisait. Il avait beau laisser son esprit sur des choses concrètes, et non moins alarmantes, elle était toujours là... Il lui suffisait d'un instant pour qu'elle surgisse dans le spectre de ses pensées ; une seconde, peut-être deux, pour perdre le fil de leur conversation... Mathilde.
Venir chercher les denrées, chez elle, plutôt lui qu'un autre et au quotidien, était le prétexte pour continuer à se voir. Fin avril, à un moment plus idéal que ne l'était celui-ci, il l'avait invitée à le rejoindre pour une promenade fixée en ce jour de mai, loin de se douter de ce qui arriverait. Elle lui avait dit se rendre à Marbrume pour le Sacre, et depuis... il était sans nouvelle. La promenade n'était pas importante ; qu'il puisse savoir seulement, qu'il sache d'une manière ou d'une autre, et au-delà du soucis d'une pluie de grêle avant les récoltes, si elle était bel et bien de retour, sauve et sans morsure. Pourvu qu'elle vienne.

- Hé bah alors. C'est pour le fangeux qu'tas prit pour ta chienne, qu'tu t'fais toute belle comme ça ?

Le tisonnier fulminant dans les tréfonds de ses pupilles pivota len-te-ment sur l'importun, Alcide chargeant le trait ardent d'un regard vers celui qui le perturba... Le son asphyxié tapait ses tympans submergés, et lui donna l'impression que le milicien qui se penchait sur lui formulait des syllabes amorphes et vides de sens...

Et aussitôt, en un jaillissement d'eau, sa main fulgurante quitta le rebord pour lui musser le visage dans ses doigts ! Cette petite gueule inopportune et détenue dans sa serre, devint SON oeuvre abstraite ; oculaires écarquillés, les joues compressées, la bouche efflorescente et les babines qui fleurissent. La risible et douloureuse grimace.

Ah, j'sais pas. Il y avait comme un amalgame qui ne passait pas...

Alcide le repoussa, l'homme malhabile se vautrant à terre. Accompagnant le geste, il se déplia de toute sa hauteur, surgissant enfin de la surface des eaux. Maintenant debout, la peau mise à nue, les ondulations saillantes de son corps encore coulantes du fluide savonneux, il toisait son comparse. Puis quitta l’abreuvoir, passant son rebord aussi simplement qu'une marche d'escalier, pour que la démarche inflexible reprenne ; chacun de ses pas repoussant son homologue, celui-ci qui rampait sur son derrière pour s'en écarter, comme s'il s'attendait à être piétiné.

- Mauvais jour, Lupin ?

La voix monocorde du Coutillier Malfort s'éleva dans la petite étable, son œil valide quittant les pages de son livre pour se lever sur lui. Le vétéran de Traquemont s'était adossé tout contre l'encadrement de la double porte, l'observant depuis l'entrée, mais... il n'eut aucune réponse. Alcide laissa l'homme qu'il dévisageait s'écraser sur le mur d'en face, pour qu'il puisse s'y aider et se relever, le Lupin attrapant plutôt un linge propre pour l'enfiler autour de sa taille. Prêt à se sécher et s'habiller de vêtements neufs, comme si de rien n'était.


___________________________


L'esprit lui-même, le sien, ne lui répondait plus rien. Il lui fallait revenir en arrière alors, parmi les habitants, n'importe lesquels. Une heure plus tard. En ce début d'après midi, le Lupin opta pour la place du village, se trouvant proche de l'herboriste. Un moment seul, laissé au semblant de quiétude, perturbé uniquement par le brouhaha du centre lointain. Il n'était pas difficile dans ces moments, car même soucieux, il fallait qu'il retourne là où tout recommence ; il fallait revenir avec eux pour espérer une diversion, que ses pensées puissent voguer dans l'ailleurs.

Difficilement, à dire vrai... Au calme, dans la pénombre d'une toile de lin soulevée par-dessus un étale, où son regard s'était posé sur des fleurs. Le milicien divaguait encore. La sensation lui vint que son museau pourfendait l'air, Alcide se laissant projeter tel un aigle planant dans les hauteurs et par-dessus les toits du village. L'homme méditait ; l'olfaction de ses sens pourléchait le parfum des plantes, les ruisseaux proches, fendant le bouillonnement des cascades, flottant entre les branches et les champs. Puis filait droit au loin, sous les arches et dessous les arcades des bâtiments qui s'élevaient sur les abords des sentiers. Les pierres, la terre, la roche grondait de puissance, là où l'écoulement du temps, lui aussi, en sapait le vestige des maisons abandonnées. Son esprit glissait ainsi longuement sous la pénombre, à l’heure où sous les humbles toits de chaume, quelques villageois prenaient encore leur repas, jusqu'à la ferme Dumas... Elle va bien... Et si elle ne pouvait venir, alors il irait frapper à sa porte, mais... Pas les mains vides.

- Ah, Soldat Lupin, qu'est-ce que ce sera ? C'pour le Sergent j'suppose ?
- Pour le Sergent. Oui...

Alcide opina, par défaut, pour répondre à l'herboriste qui s'improvisait fleuriste. Son attention ne se détâchant pas d'une rose, il s'interrogeait. Est-ce qu'elle plairait à Mathilde ? Mais... Une rose ? ... Non, la rose portait un message chargé de sens et Mathilde voulait du temps. Le choix, surtout. Il aurait voulu quelque chose de rouge, quelque chose qui flamboyait ; comme la passion. Malheureusement, les fleurs à sa disposition et qui décorait à foison le présentoir n'étaient pas d'accord avec lui. Il n'aurait droit qu'aux fleurs du mois de mai, pour le moment. Ce qui n'était déjà pas si mal, détaillant plus attentivement les plantes exposées sur l'étale fleuri. Hm, les tulipes. Non, c'était la fleur de Rhys. Du muguet ; trop amical, trop commun. Ah tiens, il y avait aussi du Jasmin, mais... non plus. Il eut alors un éclair dans les yeux, levant les sourcils, ayant trouvé son bonheur ; prêt à constituer son cadeau pour la jeune femme qui lui était inspirante, et toute en nuance.

- Je vais prendre un bouquet de ça. Ajoutez-y un peu de ça, et... Un peu de ça.

Impassible, il tendit quelques pièces au marchand. Ne pas avoir l'air trop impliqué, parce qu'on ne se méfiait jamais assez des mots. Ils n'avaient l'air de rien, sans dangers, mais facilement tordus dès qu'ils arrivaient par l'oreille. C'était cousu de fil blanc, dans le Labret. On ne les reconnait pas spécialement, et puis les voila qu'ils faisaient trembler, et dans son faible et dans son fort, capable d'alourdir plus encore la situation de la fermière. L'improvisé fleuriste acquiesça et s'exécuta alors, naturellement, rassemblant les fleurs qu'il désigna, constituant alors un bouquet avec une prédominance de Lilas aux pétales bleus, agrémenté de lys et quelques tiges seulement de Calla.

L'homme lui tendit alors les fleurs, Alcide soulevant ses mains hors de sa cape, comme prêt à prendre délicatement dans ses bras un bambin. Ses yeux vert-mousse trahissaient son émerveillement ; son regard uniquement barré par le rayon éclatant du soleil. Il scintillait...


Dernière édition par Alcide le Lun 19 Aoû 2019 - 13:12, édité 8 fois
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MessageSujet: Re: Perte et fracas | Mathilde   Perte et fracas | Mathilde EmptyMer 31 Juil 2019 - 20:27
Depuis le Goulot, la rumeur de l'invasion fangeuse avait couru, dans les rues de Marbrume pour se buter contre les grandes portes des murailles de la ville. Un temps seulement. Lorsqu'on les avait rouvertes le lendemain, elle avait jailli de son confinement pour rebondir, de bouche affolée en oreilles attentives, et se propager le long des chemins de campagne en quelques jours, depuis les faubourgs jusqu'aux confins du Labret, où étaient arrivés les premiers rescapés de cette horrible journée. Parvenue à Usson tard le 4 mai 1166, la première vague avait raconté son expérience traumatisante, sa fuite au milieu d'une foule terrorisée, sa peur de mourir piétinée par ses semblables ou dévorée par les goules, et le miracle d'être encore en vie. Elle avait annoncé que d'autres groupes de labrétiens arriveraient le lendemain, et les jours qui suivraient.

Le 5 mai 1166, une seconde vague était arrivée, amenant avec elle d'autres nouvelles, celles des nouveaux bannis, des mordus obligés de quitter la ville avec la possibilité de s'enrôler comme milicien de l'externe. La ville avait commencé à être fouillée de fond en combles pour trouver les mordus cachés, mais aussi les sectaires qui semblaient être responsables du désastre. On parlait aussi des milliers de blessés et du manque d'effectifs et de place pour les soigner. Plusieurs endroits avaient été réquisitionnés pour les entreposer avec un minimum de confort. Certains mourraient des suites de leurs blessures et leurs corps rejoindraient les bûchers qui brûlaient jour et nuit depuis l'invasion.

Le 5 mai 1166, les premiers enrôlés se présentèrent à la caserne d'Usson, tandis que d'autres continuaient leur route vers les villages plus lointains qu'était Najac et Salers. Le Labret serait bientôt regarni en effectifs pour assurer une sécurité qui, aux yeux des paysans, devenait plus précaire. Combien de temps ces hommes et ces femmes, mordus par le fléau, rejetés par la ville et par les Trois, mettraient-t-ils à se transformer en goules prêtes à dévorer ceux qui portaient à bout de bras la survie de l'humanité? Usson se fit plus méfiante, gardant en mémoire les événements de 1165. Étranger rimait avec danger, et les ussoniens, d'habitude accueillants et serviables, tournèrent ostensiblement le dos aux nouveaux venus qui se retrouvaient livrés à eux-mêmes. Ils se serreraient les coudes pour préparer l'arriver d'autres mordus, et former un groupe en marge de la bourgade... à moins qu'ils ne partent plus loin, plus à l'Ouest.


***


Le 6 mai 1166, Alcide Lupin prenait un bain, à l'heure où les honnêtes gens travaillaient durement pour cultiver la terre et continuer de vivre comme si tout était normal, comme si la mort ne s'approchait pas d'eux un peu plus chaque jour. Le début de quarante-huit heures de repos, une permission spéciale suite à plusieurs services et faits d'armes importants que le coutillier souhaitait célébrer. S'il aurait dû se réjouir de ces deux jours de liberté, le milicien était d'humeur maussade. Personne ne lui avait rendu visite à la caserne, personne n'avait trouvé une excuse valable pour le sortir de sa routine de travail et lui voler un baiser pour le rassurer. La fière Mathilde ne faisait pas partie des premières vagues de voyageurs de retour de l'enfer, sinon, elle aurait fait un crochet par Usson avant de regagner sa chaumière.

Le Lupin avait songé qu'elle serait chez elle, et que, pour une raison quelconque, elle l'y attendrait malgré sa promesse d'être au rendez-vous. Peut-être s'étaient-ils mal compris, trop occupés à échanger des baisers vibrant d'un espoir de vie meilleure, à deux. Il lui avait fait préparer un bouquet de lilas, dont l'odeur embaumerait la petite chaumière, gardienne des secrets de leur amour naissant. C'est en accueillant le bouquet que l'oreille d'Alcide capta une conversation dans son dos. La patrouille revenait.

- La bouillie habituelle, sans les petits à-côtés de la veuve, c'est d'un triste disait le dénommé Lapointe.
- M'en parle pas. On aurait dû insister auprès des gars et leur dire qu'elle nous donne toujours un p'tit quequ'chose! lui répondit Bertholet.
- N'empêche... j'espère qu'elle va rev'nir. Si elle était en ville quand c'est arrivé, y a des chances qu'elle se soit faite coincer par une goule... Un si joli brin d'femme... répliqua le premier en soupirant. Non pas que la veuve Dumas l'intéressât réellement, mais les victuailles dont elle faisait don aux miliciens venaient agrémenter le quotidien des hommes. Et si la fermière ne revenait pas, personne n'était assuré que son successeur ferait de même.

Le premier donna un coup de coude au deuxième en voyant un Alcide fraîchement lavé, la barbe taillée, les cheveux peignés, un bouquet dans les mains. Ils s'approchèrent de lui, avec une certaine méfiance. On lui connaissait des réactions un peu brusques, ces derniers temps, et il valait mieux s'adresser avec une certaine politesse. Par chance, Lapointe avait un minimum d'éducation.

- Dis donc Lupin, si c'est pour r'mercier la veuve Dumas pour ses bons légumes que tu fais tout ça, donne-toi pas tout c'mal. Elle est pas là. On r'vient de la ferme, personne l'a vue. Il soupira, affichant un air contrit. Va p'tre falloir qu'on s'fasse à l'idée que les Trois l'ont rappelée et qu'elle nous donnera plus ses bons p'tits légumes, hein Lupin? Qu'es't'en dit?


Dernière édition par Mathilde le Mer 7 Aoû 2019 - 16:58, édité 1 fois
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AlcideMilicien
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MessageSujet: Re: Perte et fracas | Mathilde   Perte et fracas | Mathilde EmptyJeu 1 Aoû 2019 - 13:01
Surement le mot veuve associé au joli brin de fille qui attira le regard d'Alcide sur les miliciens Lapointe et Bertholet qui apparurent non loin. Ils discutaient de la bouillie et de l'absence des petits agréments que leur offrait, sans doute, celle qui devait être la jeune Dumas. Qui d'autre que la brune aux yeux noisette avait cette attention pour la garnison ? ... Personne ! Elle méritait les mille courbettes qu'ils faisaient quotidiennement, parfois sous la contrainte et les menaces, aux pieds des nobles qui encombraient le Labret.

Le Lupin plissa des paupières à l'approche des deux hommes, des flammes dans un regard qu'il braqua sur le coup de coude que donna le premier au deuxième. Anticipant déjà, plus par habitude que tout autre chose, le néant abyssal que suggérait les commentaires de ses homologues. Le duo l'aborda donc.

- Dis donc Lupin, si c'est pour r'mercier la veuve Dumas pour ses bons légumes que tu fais tout ça, donne-toi pas tout c'mal. Elle est pas là. On r'vient de la ferme, personne l'a vue. Il soupira, affichant un air contrit. Va p'tre falloir qu'on s'fasse à l'idée que les Trois l'ont rappelée et qu'elle nous donnera plus ses bons p'tits légumes, hein Lupin? Qu'es't'en dit?

- Se faire à l'idée de quoi ? Le timbre glacé dans sa voix sous entendait qu'il avait très bien compris la question quand il les mira chacun leur tour, droit dans les yeux. Vraiment, Alcide ne pouvait en vouloir à Bertholet de prendre des précautions en laissant d'abord parler son homologue. Quoique le sort de la jeune Dumas ne semblait pas plus les inquiéter que cela... Et cet air badaud sur leurs traits, bonté divine. A cette pensée, sa main empoigna sitôt Lapointe par le col pour l'attirer à lui, face à face. - Qu'elle ne vous donnera plus de bons p'tits légumes, hein ? HEIN !?

Lapointe tint son casque valdinguant d'une main pour éviter qu'il ne tombe, son binôme tâchant d'apaiser la situation en s'interposant dans l'espoir de les séparer. - Oh ! Ooh Lupin ! Calme-toi, caaalme-toi !

- Si c'est tout ce qui t'inquiète, j'peux t'en donner moi, des légumes. Et à ces mots sifflant à travers ses dents, Alcide enfourna le bouquet de Lilas dans la bouche de son interlocuteur, l'écrasant sur son visage tandis qu'il étouffait, se débattant, les pétales bleu jaillissant de toutes parts à ses babines !

- T'es satisfait, là ? Dis-moi que t'es SATISFAIT.

La question n'était pas de savoir si la réaction était excessive. La question étant du point de vue de qui pouvait-elle l'être ? La mécanique habituelle de la plèbe locale qui faisait tranquillement son petit marcher s'était arrêtée, bouchée bée... Mais au fond, qui le connaissait à Usson ? Qui pouvait bien en avoir quelque chose à foutre de savoir d'où venait le Lupin ? L'Être, cet étron, l'objet mis en cause sur lequel allait se déverser la médisance de masse, devait être avant tout insignifiant, aussi nul que possible, aux yeux de la populace. Sinon, ça ne marchait pas. Les œufs pourris pouvaient se répandre sur lui et c'est tant mieux, il serait plus soigneusement dépourvu d'aspérités ; que toutes sa surface soit absolument lisse, que rien ne puisse susciter l'attention. C'était bien connu que le bon peuple ne devait surtout pas être gêné ; uniquement par la décervelante bêtise. Le Lupin avait déjà perdu la femme de sa vie ; et ça l'avait tué une première fois. Était-ce si excessif de succomber à la colère froide quand ces deux niais lui annonçaient aussi sottement qu'il la perdait pour une seconde fois ?

Enfin, compte tenu des circonstances, c'était difficile pour lui de s'en tenir à ce que la jeune femme lui avait dit. Attendre dix jours d'absence avant de s'inquiéter ? Et puis quoi encore, imiter docilement le piquet sur la place d'Usson ? Ni une, ni deux, pour s'en débarrasser, Alcide catapulta froidement un crochet du gauche dans la mâchoire de Lapointe, l'homme perdant l'équilibre se renversant dans l'étale de fleurs !

- Va dire au Sergent que Mathilde Dumas est portée disparue, puis insiste : elle est un pilier de la région, qu'il en va du bon maintien de l'agriculture dans le Labret, et donc... de son propre équilibre alimentaire. Fit-il en repoussant d'un bras Bertholet pour l'inciter à la célérité.

Il ne se faisait aucune illusion sur les intentions de ses supérieurs. Quant à lui, il avait quarante-huit heure de permission pour la retrouver. Après quoi, il serait jugé pour désertion si Langlois jugeait son comportement inapproprié. Alcide ne s'attarda donc pas d'avantage en gesticulations, marchant d'un pas énergique en direction de l'écurie de la petite caserne du village.

Sur place, le Lupin bouscula alors le premier garçon d'écurie qu'il croisa, pour lui ordonner sitôt - Fais savoir qu'on a piqué le cheval de Langlois. Ça le motiverait peut-être à suivre ses traces. Et tandis que le jeune homme s’exécutait à toute hâte tant il semblait paniqué, Alcide quant à lui ne s’attendait certainement pas à un miracle soudain, s'engouffrant dans l'un des box à chevaux pour délier la longue d'une noble monture qui se trouvait là. Au hasard, à dire vrai. Il ne s'agissait peut-être pas de celui de Langlois, il l'ignorait. Qu'importe, c'était sans importance, celui-ci était à ses yeux un bon coursier, alors naturellement le Lupin s'en empara.

Il enfourcha vertement l'animal, pieds à l'étrier avant de taper des talons pour le faire avancer. Un petit trot tout d'abord pour ne pas attirer plus que nécessaire l'attention de la plèbe. Et il s'en allait enfin, lancé au grand galop, la poussière que soulevait les sabots de sa monture disparaissant au loin, comme tout prêt à crever seul à sa recherche, quelque part sur la route qui aurait dû reconduire Mathilde à Usson.
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MessageSujet: Re: Perte et fracas | Mathilde   Perte et fracas | Mathilde EmptyMar 6 Aoû 2019 - 22:09
La route.

Longue et désespérément déserte pour la femme qui a enfin retrouvé son chemin. Plus de monture, celle-ci a été envoyée à Marbrume avec l'ensemble de ses effets personnels pour prouver à l'Ordre qu'elle est retenue en otage, quelque part, par ce banni, et qu'on ne la libérera que contre une rançon. Avec un peu de chance, on donnerait un peu de repos à la jument, peu habituée à parcourir de si longues distances. D'une force incroyable dans les champs, elle ne tenait pas vraiment la cadence lorsqu'il fallait parcourir plusieurs lieues.

Plus de jument. Plus d'arc, ni de dague pour se défendre en cas de besoin. Une branche ramassée sur le bord du chemin fait office de bâton improvisé qui casserait sans doute au moindre choc, si elle devait s'en servir pour se défendre. Le dernier bol de soupe était loin, maintenant. Son corps ne vivait que sur ses réserves, bien maigres. Sa dernière rasade d'eau datait de plus tôt dans la journée, elle n'avait même pas de quoi en emporter. La tête lui tourne, sa pommette doit être bleue, maintenant. Mais c'est la main qui la fait le plus souffrir, elle brûle encore. La marque au fer rougi par le feu sera ancrée dans sa peau jusqu'à sa mort.

Elle s'appuya un instant contre un arbre et scruta les environs. Un buisson de petits fruits aurait été trop beau. Il était encore trop tôt dans la saison que pour espérer autre chose que de vieilles noix à ramasser au sol. Encore fallait-il trouver l'arbre qui les portait, et espérer que les écureuils n'aient pas tout mangé. C'était sans doute trop demander. Mathilde soupira une nouvelle fois. Rien à gauche, rien à droite. Pas un bruit. À pas lents, lourds, elle reprit sa route. Quel jour était-on? Le jour du rendez-vous que tu avais promis de ne pas manquer.

Libérée à quelques lieues de là, bien avant que les portes de Sarrant ne soient en vue, elle avait poursuivi cette longue et pénible marche entamée au petit matin. Elle y arriverait. A Sarrant, on prendrait soin d'elle. On lui trouverait un guérisseur, on lui donnerait à boire, à manger et une paillasse pour se reposer. Alcide, où es-tu? Elle avait dit dix jours. Il ne s'alarmerait que demain, pas avant. Lui en voudrait-il de ne pas s'être présentée à Usson? J'attendrai vingt ans s'il le faut lui avait-il dit, le premier jour.

La route sembla amorcer une pente légère. Les pieds de la fermière traînaient dans la poussière. Par la grâce des Trois, il ne pleut pas! Un effort, Mathilde, un dernier effort. Déjà, les arbres bordant la route se clairsemaient, laissant apparaître, après un dernier détour, la plaine défrichée des années auparavant afin de mieux voir l'ennemi approcher. En haut de la route... Sarant. Enfin. La tête lui tournait. Trop. Elle trébucha sur un caillou émergeant de la terre battue et tomba sur le sol, son bâton roulant un peu plus loin.

Plus de forces.

Si proche du but, et pourtant si loin. Épuisée, moralement, physiquement, elle ne parvenait plus à se remettre sur ses pieds. Reprendre son souffle, attendre un peu que la tête cesse de tourner et que le monde retrouve son immobilité. Ne pas tomber inconsciente. Fixer un point devant elle et ne pas le quitter des yeux. Un point qui grandit, sur le chemin, soulevant de la poussière. Il arrive de Sarrant. Et puis... le bruit d'un cheval lancé au galop.

De l'aide. Enfin.
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AlcideMilicien
Alcide



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MessageSujet: Re: Perte et fracas | Mathilde   Perte et fracas | Mathilde EmptyMer 7 Aoû 2019 - 17:01
Lui avez-vous parlé ? L'avez-vous aperçue récemment ? Le milicien s'improvisait limier, tirant sur les rênes, son cheval ruant, comme révolté, chaque fois qu'il croisait habitants et voyageurs qui se mettaient en retard pour le couvre-feu. Où est-elle ? Est-elle en vie ? L'homme labourait la route de ses questions à l'heure où le voile du soir tombait lentement. Mieux ne valait plus traîner dehors...

Plus que vingt-quatre heures, environ, se devant de rassembler un début de piste, au plus vite, avant que sa permission ne touche à sa fin. Sans quoi il désertait et se condamnait à la potence, mais si elle était à ce prix, alors qu'il en soit ainsi. S'assombrissant peu à peu tandis que le chemin défilait sous les braises de son regard, au même rythme que ses pensées, il avait beau se trouver jeune, il s'apercevait comme si c'était pour la première fois à quel point il perdait des gens sur la route. Ne sachant plus qui réveiller en premier ; les vivants ou les morts ?

Alcide serra alors les dents. Il emporterait tout avec lui ! Son regard parcourra l'orée des bois avoisinants, puis le défilements des champs et des prairies. Pas une parcelle du paysage ne sembla échapper aux flammes de son regard ; tantôt scrutateur, tantôt anxieux quant il vit au loin les contours de Sarrant. Là-bas, peut-être qu'on pourrait lui en dire plus... Et aussitôt la tranquillité du Labret fut à nouveau rompue par la démente cadence du cavalier quand il reprit son chemin, soulevant la poussière à son train, le souffle puissant de sa monture qui tambourinait de ses sabots la terre battue. Alcide filait droit devant lui, frappant la fesse de son coursier du plat de son épée. Plus vite, Alcide, encore plus vite !

- YAH !

Le monde était rentré chez lui. Les portes étaient depuis longtemps closes lorsqu'il arriva, son cheval trottinant dans les ruelles à peine illuminées par les fenêtres des maisons. Ses fers clapant sur les rares pavés quand il fit un tour sur la place, avec de nouvelles questions. Encore des questions qu'il posa aux miliciens locaux qui commençaient à peine leur veillée, mais rien y faisait. Une fois encore, on lui disait que Mathilde Dumas n'avait encore donné signe de vie dans le Labret... Ce n'était plus une marche inflexible dont il s'agissait, mais d'un trait de feu lancé au loin par le balancement d'un trébuchet lorsqu'il reprit la cadence. Sûr qu'il ne dormira plus jamais. Plus vite !

Le chemin de terre battue descendit en pente, et le cheval accéléra encore. Il prenait de la vitesse, mèches d'ébène et cape au vent, tandis qu'au loin une silhouette courbée à même le sol se profilait sous le regard du milicien. Alcide en fronça les sourcils, dans l'urgence il tira si vertement sur ses rênes qu'il cru faire mal à son cheval. Sa monture se cambra soudain sur ses jambes arrières, ses deux sabots pédalant dans l'air en poussant un hennissement. La bête dû mettre quelques secondes à se calmer, marchant nerveusement de plusieurs pas de côté, à droite, pivotant à gauche, tournant sur elle-même tandis que l'homme mirait la jeune femme écroulée dans la pénombre. Ce pourrait-il que...

- Mathilde ? ... Mathilde !

Bondissant de sa selle, il mit pieds à terre, emportant avec lui la rêne de son cheval. Leur existence était un voyage dans l'hiver, et dans le soir ils joignaient enfin leur passage dans un ciel ou plus rien ne luisait. Quelques mètres à peine les séparaient encore, mais c'est à pas énergiques qu'il s'en approcha, reposant un genou à ses côtés. L'incendie dans le regard, il soupesait son état d'épuisement, l'aidant à se redresser un peu en passant son bras autour de ses épaules. Hâtivement, il écarta les mèches brunes de son visage comme pour se convaincre qu'il ne rêvait pas, qu'il s'agissait bien d'elle avant d'en détailler sa pommette assombrie par une marque de coups.

Le Lupin lança alors un regard vif pour les environs, ses agresseurs étaient peut-être encore là. Se désintéressant - pour le moment - de savoir pourquoi, ou comment il avait pu la retrouver comme d'une loque qu'on avait jetée sur la route. La question était de savoir Qui l'avait fait, et Qui il devait scalper ce soir. Oh, pas par cruauté. Ne sachant ni lire, ni écrire, c'était sorte de missive qui s'adressait aux bandits, bannis, sectaires, habitants ou nobles. Mathilde avait dû croiser nombre de la gente des plus louches par le passé, et c'était maintenant la deuxième fois qu'il le constatait. La fois de trop. Quelqu'un finirait bien par comprendre qu'il y avait sorte de justicier dans le Labret, et qu'il ne s'embêtait plus forcément d'attendre le verdict des Prévots pour agir. L'heure était grave.

- Courage ma belle, Sarrant n'est plus très loin. Encore un effort ; t'y es presque.

Son genou quitta le sol, se soulevant avec elle pour l'aider à se mettre debout sur ses pieds. La seule certitude qu'il percevait encore dans ce brouillard c'est qu'ils ne devaient plus traîner dehors où l'obscurité les surprendrait. Se dirigeant alors vers la selle de son cheval, son attention se porta sur la main libre de la jeune femme ; celle dont elle n'osait plus faire usage pour se retenir à lui. Pourquoi ? Alcide se saisit alors délicatement de la dite main, paume ouverte sous l'éclat scrutateur de son regard. Les traits se crispèrent aussitôt en même temps qu'elle grimaçait, voyant que sa peau avait été marquée au fer rouge. L'oeuvre de sadiques dont Alcide était le Némésis.

- Ceux qui t'ont fait ça... découvriront bien assez tôt que tout ce qu'ils ont vécu, ils le vécurent pour rien. T'as ma parole.

La guidant à proximité du cheval, le Lupin la souleva par la taille, l'aidant à l’asseoir en amazone sur la selle. Pour qu'aussitôt, et à son tour, il s'appuya sur un pieds sur l'étrier afin d'enfourcher sa monture, prenant soin d'encercler Mathilde de ses bras lorsqu'il se saisit des rênes. Qu'elle ne puisse retomber. Ce serait le drame... Comme pour s'en assurer, ses gestes l'invitèrent à enlacer son cou où elle n'aurait plus qu'à reposer sa tête durant le trajet. La pauvre était épuisée, au bout de ses forces.

- Sers-toi.

Se servir de lui comme d'un appui, ou s'y serrer pour y chercher du réconfort, qu'importait ses besoins ou comment elle l'entendait ; Alcide était là, il l'avait retrouvée et c'était tout ce qui lui importait. L'atmosphère devint lugubre, certes, quant autour d'eux les arbres grandissaient dans l’ombre et montaient au ciel rejoindre la nuit. Mais pour la survivante ça ressemblait peut-être à un retour à la quiétude, car ici ne lui était donné à craindre que du bruit. Celui des bêtes qui se coursaient ; les hurlements se confondant au lointain, par là-bas où l'on pouvait voir, parfois, leurs yeux briller.

Le cheval prit alors peu à peu de la vitesse. En monte, ils se débrouillaient comme ils purent lors d'un instant où le Lupin extirpa de sa besace une outre d'eau pour le lui offrir. Pas de la bouse qui imprégnait les vêtements de la jeune Dumas, cette fois, et encore moins un fond de vase. Celle-ci étant claire et fraîche, elle lui permettrait de reprendre quelques couleurs le temps pour eux d'arriver à destination.

Sarrant... La silhouette équestre franchissait à nouveau ses portes, sous les regards interpellés des miliciens. La fermière était en vie, et plus tard, au petit jour, il était fort à parier que la bonne nouvelle se répandrait. Enfin, pour l'heure, Alcide fit halte devant l'auberge, aidant Mathilde à descendre de cheval, se hâtant pour s’engouffrer en sécurité dans le bâtiment. Rapidement, ils rejoignirent le comptoir, s'y heurtant pratiquement quand il reposa Mathilde à ses côtés. Enfin, le milicien s'adressa enfin au tenancier :

- Une chambre. Si possible avec bain. Et faites-lui apporter de l'eau, ainsi que le plat du soir. Madame à besoin d'être seule et de beaucoup de repos.

L'homme a qui il s'adressa haussa un sourcil, d'abord dubitatif, avant de s’exécuter lorsque le Lupin déposa sur le meuble trois sous pour la chambre, trois autres pour un bon repas, le tout couronnés d'un pistole pour le bain, suivi d'un deuxième comme pour lui faire comprendre qu'il pouvait être un généreux donateur s'il accélérait le pas... Il n'avait pas récidivé et n'était pas forcément riche, mais avec ses deux années passées dans la milice à ne quasiment rien dépenser de sa solde le lui permettait.

- Tu ne me dois rien, c'est entendu ? Je vais simplement t'accompagner à l'étage, jusqu'à ta chambre pour que tu puisses récupérer tes forces. Ensuite je m'occuperai de te trouver un guérisseur, et si tu as besoin d'autres choses dis-le moi ; j'aviserai.

L'aubergiste refit alors son apparition, leur demandant s'ils voulaient bien le suivre vers la chambre. Alcide acquiesça donc, laissant un regard entendu pour Mathilde lorsqu'il la guida doucement vers les escaliers. Elle n'aurait pas à se fatiguer d'avantage pour le franchir. La soulevant tendrement dans ses bras telle une jeune mariée, le Lupin gravit les marches à sa place pour l'accompagner jusqu'à la dite chambre que le leur indiqua poliment le tenancier. Le Lupin avait des questions plein la tête, le vert mousse de ses yeux l'interrogeant, le front plissé par l'inquiétude...


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MessageSujet: Re: Perte et fracas | Mathilde   Perte et fracas | Mathilde EmptyMer 7 Aoû 2019 - 21:40
Ce n'était ni un rêve, ni son esprit fatigué qui lui jouait des tours. Un cavalier approchait. L'avait-on vue depuis les murs de Sarrant? A moins que d'avoir les yeux d'un rapace, impossible. De l'aide, c'était forcément de l'aide. Pas un bandit qui fuyait la bourgade, non. La lumière commençait à diminuer, qui serait assez fou que pour prendre la route maintenant, si ce n'est un sauveur qui voit la fermière courber sous le poids de la fatigue et trébucher d'épuisement?

Cette voix. Éraillée et fatiguée par la route, la poussière et l'air sec du mois de mai. Enrouée, mais connue. Cette voix grave qui lui a raconté déjà tant de choses, tantôt à grands renforts de changements d'intonation, tantôt en lui murmurant au creux de l'oreille. Le cavalier saute à terre. Alcide. Mathilde pourrait fondre en larmes, submergée par la joie de le revoir, et le soulagement de ne plus être seule. Mais les larmes ne coulent pas. Les yeux de la fermière sont aussi secs que le chemin d'où la poussière se soulève à chaque pas. Déjà il saisit sa main pour la passer autour de ses épaules, lui offrant un appui pour qu'elle se relève. Elle lui sourit, légèrement. Ah! Alcide! Elle entrouvre les lèvres mais les mots ne sortent pas. Si c'est le rêve qui précède la mort par épuisement, Mathilde le trouve magnifique et chargé d'espoir. C'est exactement ce qu'elle souhaitait avoir comme dernière vision. Il ne manquait que ses champs, en arrière plan, et un lever de soleil, par un chaud matin d'été, qui vient faire sécher la rosée de la nuit qui s'en va.

Sarrant n'est plus très loin. Sarrant? Pourquoi la vision parle-t-elle de Sarrant, cette bourgade qu'elle n'atteindrait jamais? Pourquoi sent-elle le picotement sur sa main lorsqu'elle effleure la joue barbue du milicien? Pourquoi sent-elle ce souffle chaud lui murmurer ces encouragements? Mathilde a l'impression de sortir du brouillard épais dans lequel elle se trouve depuis des heures. La terre tourne, le monde danse devant ses yeux, mais Alcide est là. Bel et bien là. Ce n'est ni un rêve, ni une vision ultime que son esprit tourmenté se forge avant de mourir en paix. Le cavalier, le cheval, et ce regard qui se pose sur sa blessure, c'est bien vrai. Par la grâce des Trois! Elle referme la main sur la plaie encore chaude.

Ceux qui t'ont fait ça... Elle posa ses doigts sur les lèvres du milicien, un regard implorant, lui imposant le silence avant de murmurer Emmène-moi. S'il te plait. Elle essaie de lui sourire, oh comme elle le voudrait, mais ses lèvres ne s'étirent pas d'un cheveu. Bientôt, les mains puissantes enserrent sa taille pour la soulever et la déposer en douceur en selle, sur laquelle il s’assoit pour mieux la sécuriser. Elle n'a même pas la force de lever un bras par-dessus son épaule pour s'y cramponner, et se contente de le tenir par la taille pour mieux s'appuyer contre lui, enfouissant son nez contre la peau fine du cou sur lequel elle finit par déposer un léger baiser. Elle ferme les yeux. Pour la première fois depuis longtemps, elle ne craint plus les images de son esprit, celles qui lui rappellent l'invasion, les morts, les goules. A cet instant précis, Mathilde n'a plus froid, elle n'a plus peur. Au milieu de cette route sur laquelle Alcide l'emmène, lovée dans les bras protecteurs de son sauveur, elle se sent enfin en sécurité.

Il l'aida à boire, tandis que la magnifique monture adoptait un pas cadencé. La fraîcheur de l'eau claire était une bénédiction. Elle coula dans sa gorge et lui donna l'impression de la purifier intérieurement. Elle l'aurait vidée si elle n'avait su que cela lui donnerait mal au ventre. Enfin, sa bouche n'était plus pâteuse, sa gorge laisserait passer les mots, ses lèvres ne se fendilleraient plus à chaque inspiration.

Sarrant. Remonter la manche pour montrer un bras dénué de marque. Un automatisme, une règle à laquelle personne ne pouvait déroger, ni la fermière, qu'on connaissait peu à Sarrant, ni le milicien qui était passé devant les gardes quelques minutes plus tôt. Pile à temps pour la fermeture des portes, avant l'heure fatidique où les errants étaient tirés à vue. Mathilde sourit intérieurement. C'est exactement ce qui se serait produit s'il n'était pas arrivé. Elle aurait remonté la route et serait arrivée juste après la fermeture des portes. Elle aurait échoué juste avant de pouvoir trouver le salut. Quelle ironie.

S'appuyant contre Alcide, elle se laissa guider à cheval vers l'auberge, puis à pieds jusqu'au comptoir. Une chambre. Si possible avec bain. Elle aurait presque ronronné de bonheur à l'évocation d'une bassine pleine d'eau dans laquelle noyer les blessures de son âme.

- Monsieur a besoin de manger aussi. Deux plats, s'il vous plait ajouta-t-elle, d'une voix à demi éteinte. Tu ne me dois rien, c'est entendu ? Elle hocha de la tête. Elle n'avait pas d'énergie pour se battre contre lui. Elle le lui rendrait probablement un jour, à force de le nourrir ou en lui cousant l'un ou l'autre vêtement. Qui sait si un jour ces questions de biens ne seraient plus évoquées, puisqu'ils partageraient tout. De quoi avait-elle besoin? Un guérisseur, oui. Avec le soir qui tombait, c'était mission impossible, ou presque.

- Un écrivain aussi. Je dois envoyer un message demain à la première heure. Il la souleva comme une jeune mariée, elle ne put s'empêcher de sourire, réellement cette fois. Passant ses bras autour de son cou, elle lui murmura Est-ce là une vision d'avenir, monsieur Lupin?. Elle gloussa de rire alors qu'ils passaient le seuil de la porte qu'Alcide referma d'un coup de talon avant de la déposer sur le lit. Bon sang qu'il est douillet! Après une nuit passée sur le sol d'une cave humide et une journée de marche dans les marais, la plus rudimentaire des paillasses lui aurait été d'un confort absolu. Les muscles jusqu'ici contractés par la peur et l'effort se détendirent progressivement, à mesure qu'elle respirait, calmement. Le monde avait cessé de danser devant ses yeux. Un poids immense venait de quitter ses épaules.

- Tu crois que tu peux me trouver une chemise? Cette robe pue l'eau croupie et la boue des marais.

Elle se redressa en douceur pour s'asseoir et regarda la chambre. Elle avait du mal à croire que tout cela n'était pas un rêve. La veille encore, elle était persuadée qu'elle ne sortirait pas de la cave. Quelques jours plus tôt, c'était la menace des fangeux qui faisait en sorte que le retour au Labret lui paraissait compromis. Alcide l'embrassa sur le front avant de quitter la chambre pour aller lui dénicher un soigneur. Finalement seule, elle soupira. Le cauchemar était fini.

Assise au bord du lit, elle entreprit de délacer sa robe pour s'en extirper, et se débarrasser de la poussière du chemin, des odeurs de moisissures de la cave, de la boue du marais qui tachait la jupe, et des traces invisibles que l'inconnu avait laissées en la touchant. Sa robe toute neuve et déjà usée tomba sur le sol, ne laissant la fermière qu'avec une longue chemise sur le dos. Elle la laverait, elle aussi, dès qu'elle le pourrait. Elle défit son chignon, qui avait été mis à rude épreuve par les branches dans les marais, et entreprit de dénouer ses cheveux avec les doigts de sa main valide. Elle savourait le calme, perturbé de temps à autres par des éclats de voix assourdis, provenant de la salle principale de l'auberge où se restauraient les derniers traînards. Elle se glissa sous les couvertures après avoir empilé les oreillers de sorte qu'elle soit presque assise. C'est alors qu'on frappa à la porte. Alcide revenait, portant un plateau dont l'odeur aurait pu faire hurler d'envie son estomac. Elle réalisa à quel point elle avait faim. Jusqu'ici, son estomac ne s'était pas manifesté, trop occupé à gérer sa peur, son dégoût, et le traumatisme des événements passés, mais maintenant qu'elle avait retrouvé un environnement sécuritaire...

Alcide n'était pas seul. Un homme assez vieux sortit de derrière son dos. Plus petit que le milicien, légèrement voûté par le temps, il émanait de lui une douceur infinie. Il déposa un sac de cuir sur le sol et se délesta de sa bassine d'eau.

- Bonjour Madame, mon nom est Artus Duvallon, je suis soigneur à Sarrant. Monsieur Lupin m'a dit que vous aviez besoin d'être vue. Permettez? Il s'assit sur le bord du lit alors que Mathilde hochait de la tête.
- Une sale semaine messire. Vraiment. La pommette ce n'est rien, juste une rencontre un peu trop brusque avec un mur de pierre. C'est ma main, le vrai problème. Une lame chauffée à blanc. Elle ouvrit la paume pour lui montrer la plaie encore douloureuse. L'homme haussa les sourcils. Qu'avait-elle bien pu faire pour mériter un tel traitement? D'un naturel discret, il ne posa pas de question, et se mit au travail tandis qu'Alcide lui offrait un tissu humide pour se débarbouiller le visage. Il était blême et semblait faire de grands efforts pour ne pas poser les questions lui brûlaient les lèvres.


***


Ce n'est qu'une fois le soigneur parti qu'elle lui fit signe de s'asseoir près d'elle. Elle lui prit la main, le tirant doucement vers elle jusqu'à ce que son visage soit si proche qu'elle n'ait plus qu'à tendre légèrement le menton pour embrasser ses lèvres, doucement. Les baisers parlaient parfois plus que ceux qui les échangeaient. Celui-ci était imprégné du soulagement de le retrouver, là, après une improbable semaine en enfer. Il lui disait combien elle avait eu peur de ne jamais le revoir. Elle finit par se laisser aller contre les oreillers.

- Tu sens le lilas, tu sais? C'est bon de te revoir. C'est tellement bon. Elle lui sourit, ne lâchant pas sa main, comme si ce contact l'aidait à réaliser que tout était vrai. Je suis désolée, j'étais pas à notre rendez-vous. J'ai essayé tu sais. J'ai... Sa gorge se noua. Les larmes emplirent ses yeux. Est-ce qu'on peut discuter en mangeant? J'ai vraiment faim.
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MessageSujet: Re: Perte et fracas | Mathilde   Perte et fracas | Mathilde EmptyVen 9 Aoû 2019 - 1:18
A la nuit tombée, à l'instant où Mathilde s'installait confortablement dans ses couvertures, ailleurs, une étrange créature prenait naissance dans le Labret. Encore ensommeillée, elle se nourrissait des murmures de miliciens qui chuchotaient dans les ombres, loin des tympans fureteurs des officiers, quelques hommes s'amassant autour d'Alcide. Elle était sombre cette bête, d'apparence multicéphale et bénie par Rikni. Le Lupin songeant à l'avenir, plongé dans la géhenne d'un brasier qui s'étendait à l'infini, puisqu'il avait tout le temps, en sourdine, la crainte que la grande faucheuse qui lui courait à présent au derrière ne finisse par le rattraper. Déchiqueté sous les griffes de la Fange ou crevant de faim dans la paix, il n'avait pas à choisir : lui, il était en sursis de mort et à la fois amoureux... Pas loin de Sarrant, Najat et Usson, à quelques kilomètres, une centaine de millier d'hommes et de femmes, braves ou non, bien armés, rarement instruits, des truands de toutes sortes les attendaient peut-être pour en finir avec leur peau. A eux tous, si lui-même ne voulait pas déjà la faire mettre en lambeaux saignants face aux goules.

Un temps où il eut une brève discussion avec Malfort et ses démons, venu interrompre l'étrange réunion. Pas qu'il fut plus malin que les autres, mais comme Alcide voulait être suivi à la trace comme pour s'assurer des renforts, il ne fut pas surpris qu'un retour en arrière le confronte à ses responsabilités. L'emprunt, c'est-à-dire au vol d'un coursier. Celui de son propre Coutillier... Adémar Malfort n'était pas quelqu'un dépourvu de raison, plutôt compréhensif, le milicien ne devait toutefois pas oublier qu'il était homme très soucieux du bon maintien de la discipline. Avoir retrouver Mathilde était une circonstance atténuante, et encore heureux que pareille initiative ait pu aboutir à quelque chose de concret à ses sens ; c'était une bonne nouvelle en soi, alors le fouet ne claquerait pas. Par contre, il ne pouvait passer outre une telle bravade, le vétéran l'informant que son cas passera tôt ou tard en conseil disciplinaire, devant le Bailli...

Les choses se compliquaient. Un détail que le Lupin préféra garder sous clef, en lui-même, à son retour dans la chambre. La brune n'avait rien à voir avec ça, il n'avait aucune raison de l'y mêler. Tout ce qui pouvait l'intéresser était que Malfort savait lire et écrire, elle qui cherchait un écrivain ; c'était tout ce qu'il avait sous la main. Dans l'urgence, sachant le borgne capable de fermer son œil par soucis de sauvegarde et de cohésion, il fit des pieds et des mains pour qu'il accepte de la rencontrer. C'est que ses démons, on ne leur avait pas donné ce surnom pour le plaisir. Tu deviens capricieux, Lupin, et je n'aime pas ça, lui avoua Malfort. Nous verrons cela demain, à l'aube.

Il s'en était passé des choses en son absence, quand il parti chercher un guérisseur. Mission impossible à cette heure, sauf quand on était un Lupin. Quelques miliciens l'avaient accompagnés, pas genre à rigoler. L'air grave sur des traits de faux-rebelles, quand trois gars écoutèrent ses demi-mots, leur faisant comprendre que dorénavant, sur les routes du Labret, quelques hostiles se fichaient sans doute un peu trop de leur poire. Va bien falloir serrer les gonds tôt ou tard, avait répondu l'un deux. C'est qu'on l'avait agressée, une fois encore ; la jeune Dumas n'allait pas bien. Ceux là ont acquiescé, alors c'est à grand renfort de poings tambourinant sur la porte d'Artus Duvallon qu'ils arrachèrent le guérisseur de son lit douillet. Debout. Au nom du Roi, lève-toi. La voix était froide, sans compassion. L'homme avait du travail.

______________________


Retour dans la chambre. Et voila la chemise. Le guérisseur terminait ses soins quand Alcide déposa l'une de ses tuniques, propre et neuve, sur un guéridon. Elle était trop large pour elle, mais ferait probablement l'affaire en attendant que la fermière puisse regagner sa chaumière... Un instant où il se perdait encore dans ses songes, l'air blême et hagard, comme on le connaissait une fois qu'il se le laissait un peu trop longtemps aller dans le paysage. Mais parmi ses tracas émergeait la voix douce de Mathilde ; Est-ce là une vision d'avenir, monsieur Lupin ? Des paroles qui résonnaient encore, dans le tumultes. Il lui avait sourit à ces mots, tout à l'heure dans les escaliers, son museau flirtant tendrement avec le sien quand elle s’agrippa à son cou. Silencieux. Ce n'était pas encore l'heure pour une déclaration ; ce n'était évidemment pas le moment. Mais il l'aimait... Bons dieux qu'il l'aimait. Sa propre peau écorchée en lambeaux, c'était peut-être bien pour elle, qu'il l'enlèverait. Une pensée pas si horrible ; réelle, car elle parlait de sacrifice.

Alcide était fidèle à lui-même. Du moins, en son fort intérieur, cent mille questions défilant à son esprit. Forçant le sourire lorsqu'il paya Messire Duvallon dont émanait pourtant de lui une douceur infinie. Il le remercia poliment, sans plus de cérémonie, avant de lui ouvrir la porte afin qu'il puisse sortir. Et dire que par les temps qui courent, malades et infirmes ne devaient pas manquer à cet homme-là... C'était probablement le métier le plus ingrat qu'il connaissait, à bien y réfléchir. Quand ils se faisaient honorer par les riches, les guérisseurs avaient l'air de larbins, et quand c'était par les pauvres, ils avaient tout l'air d'être des voleurs, surtout au moment où ils tournaient de l’œil. Ce n'était pas un métier très commode, et pourtant il n'en vit jamais aucun d'entre eux rougir... A moins que ce ne soit ce vieux grincheux de Mornever qui commençait à déteindre sur lui, Alcide se massant le front en refermant la porte derrière l'homme, comme pour chasser cette sordide pensée de son esprit. Ce n'était vraiment pas le moment de divaguer.

- Hm. Brave homme. Fit-il avec une pointe de reconnaissance, comme pour se racheter.

... Enfin seuls... ne sachant plus quel dieu remercier pour l'avoir retrouvée, certes blessée, mais toute entière et en un seul morceau. Se retournant il accepta l'invitation de Mathilde, s'installant à ses côtés. Accueillant ses lèvres et s'imprégnant de leur pulpe, elles lui exprimaient tendrement son soulagement, l'homme appuyant le baiser comme pour lui répondre que son sentiment était entièrement partagé. Presque à regret, front contre front, il fini par la laisser choir tout contre ses oreillers. Reposée là, sous son regard, la mirant un instant, à la fois tendre et soupesant les détails ; comme à son irréductible habitude. Il avait soif de connaissance, à présent.

- Tu sens le lilas, tu sais ? C'est bon de te revoir. C'est tellement bon.
- Oh, un simple détour par l'étale de fleurs à Usson. J'avais un cadeau pour toi, mais ça a mal tourné. Une pointe d'ironie dans la voix, le ton rappelant un quotidien rempli de petites embûches sans importances, et qu'elle connaissait tout aussi bien que lui, rassurant plutôt sa main de la caresse de ses doigts glissant entre les siens.

- Je suis désolée, j'étais pas à notre rendez-vous. J'ai essayé tu sais. J'ai...

Alcide plissa le front, pivotant lentement de la tête en signe de négation. Elle n'avait pas besoin d'ajouter quoi que ce soit d'autre. Il comprenait, toisant plutôt ces larmes qui engorgeaient ses yeux.

- Est-ce qu'on peut discuter en mangeant ? J'ai vraiment faim.

Un demi-sourire, léger, fini par adoucir ses traits, hochant alors une unique fois de la tête pour le lui confirmer. - Ne bouge pas. Je t'apporte ça. Fit-il en s'élevant du lit pour s'en aller en direction du plateau qu'il avait auparavant déposé sur la table de la chambre. C'était un repas du soir plutôt consistant à l'attention des voyageurs qui passaient encore par le carrefour de Sarrant, et qu'on appelait communément Le Plat au Four. Ses différentes couches bien garnies, sa surface gratinée, le tout à base de hachis de bœuf, d'oignons et de poireaux, ainsi que des champignons. Que du local appétissant aux yeux d'Alcide, encore trop habitué à la bouillie de la Hanse. Sans parler de son odeur alléchante... bien que le milicien préféra ne pas encore toucher au sien. Pas maintenant.

- Si tu savais tout des questions qui me viennent en tête... Je pense qu'on deviendrait tout deux cinglés, mais... Si tu devais te lancer dans un récit, long j'imagine, par quoi tu commencerais ?

Il revint avec le plat, s’installant à nouveau à ses côtés. Assis en tailleur, il déposa le dit plat sur ses jambes fléchies comme s'il s'agissait d'un support. A la guerre on faisait comme à la guerre. Alcide parlait avec la crainte de perdre le fil, ne sachant par où commencer ; s'il était question du Sacre du Roi, du Goulot, ou de la Route et ses nombreux dangers. Elle était forte et indépendante, ça il en était sûr et certain, mais surtout esseulée, les scénarii étant trop nombreux pour qu'il se prononce. N'ayant pour le moment qu'une seule certitude ; la marque au fer rouge ne pouvait être l'oeuvre d'un fangeux, de quoi l'engloutir dans une colère flamboyante. Et pourtant... prenant des précautions, le Lupin était calme quand il lui tendit délicatement quelques couverts.

- Prends ton temps pour manger. Reprends d'abord tes esprits. Je ne sais même pas si c'est raisonnable pour moi de rester là, parce que bon sang... Mathilde... sur la route, n'importe qui d'autre t'aurai prit pour l'une de ces goules. Repose-toi comme tu l'entends, c'est d'accord ? S'il le faut, on peut en reparler demain matin.


Dernière édition par Alcide le Jeu 15 Aoû 2019 - 7:51, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Perte et fracas | Mathilde   Perte et fracas | Mathilde EmptyVen 9 Aoû 2019 - 5:08
Le repas. Digne d'une table de noble, au-delà de ses rêves, au-delà du simple bout de pain trempé dans de la sauce auquel elle avait osé aspirer. Un flot de salive envahit sa bouche. Elle déglutit en humant les odeurs qui s'en dégageaient. C'était une vision presque divine qui se dévoilait là, sous ses yeux. Elle prit une cuillère qu'Alcide lui tendait. Sa main gauche était maintenant lavée, enduite d'un baume et bandée. La chaleur de la blessure perdait de son intensité. Il faudrait refaire les pansements chaque jour, bien laver pour ne pas laisser le baume vieillir, et réenduire avant de recouvrir la blessure.

- Par quoi tu commencerais?

Elle prit une bouchée, qui fondit dans sa bouche. Le plat avait eu le temps de refroidir pour atteindre une température parfaite, ni trop chaude, ni trop froide. A moins qu'elle ne soit devenue plus résistante au feu... Elle sourit. Elle n’avait pas mangé quelque chose d’aussi bon depuis des jours, obligée d’économiser sur ses dépenses pour pouvoir assumer les coûts de son séjour prolongé à Marbrume. Par quoi commencerait-elle? Par l'évidence.

- Je commencerai par te dire que j'ai regretté, à chaque minute de toute cette semaine d'enfer, d'être partie du Labret sans m'être promenée avec toi main dans la main. De ne pas avoir pu t'embrasser sans avoir peur du qu'en-dira-t-on. De ne pas avoir connu ne serait-ce qu'une nuit contre toi. Ma seule obsession était de revenir, de te sauter au cou en plein milieu de la place d'Usson, d'entendre les chuchotements indignés et de rire de Malfort dont la mâchoire se serait décrochée d'étonnement, parce que je t'aurais embrassé comme une jeune mariée. Voilà par quoi je commence, Alcide Lupin. J’ai regretté de ne pas pouvoir te le dire, j’ai eu peur de mourir sans te parler une dernière fois.

Elle avait rougi. Se raccrocher à ces retrouvailles imaginaires, à mille lieues de la réalité, l'avait aidée à tenir le coup, à ne pas flancher. Et pourtant... tout cela était encore nouveau pour elle. Aimer, se laisser aimer, s'attacher à quelqu'un au point d'avoir peur de le perdre. Vouloir désespérément revoir cet être, imaginer se trouver dans ses bras et... Ah! Alcide! Elle en avait les larmes aux yeux, encore. Les mésaventures avaient eu cela de bon qu'elle savait, maintenant, qu'elle ne voulait pas le perdre.

- Mange, toi aussi, parce que je n'aurai pas le courage de te transporter jusqu'à Usson demain si tu manques de forces. 'assiette était copieuse, assez que pour être partagée. Mathilde lui tendit une bouchée et ne reprit que lorsqu'il l'eut prise, malgré une mine mi-boudeuse, mi-angoissée.

- Tu as nécessairement entendu parler de l'invasion. Je ne suis pas la première à revenir de Marbrume. C'était... catastrophique? Un massacre. Un bain de sang, de boyaux et de merde, partout dans les rues. Quand les fangeux sont arrivés au milieu de la joute, la place s'est vidée d'une traite. Ça se bousculait dans tous les sens, j'étais tétanisée. Impossible de faire un pas, impossible de fuir comme les autres... Elle regarda son assiette. Manger. Tu n'y es plus... tout va bien. Elle reprit, après une bouchée. Et puis il y a eu une grosse voix, celle d'un sergent. J'ai fini par me faire recruter pour aider aux barricades. J'étais avec une milicienne qui était déjà passée par la ferme, et de Terresang aussi, et d'autres. On a réussi à barricader deux carrefours. On a perdu des gars, un gars en a tué un autre, d'autres ont fui... On essayait de faire tomber des maisons, pour aller plus vite. C'est fou à quel point c'est facile avec un cheval pour tirer et des cordes attachées aux bonnes poutres. Elle sourit. Elle avait été étonnée de la facilité déconcertante avec laquelle la force du cheval avait fait le travail. Bien sûr, le cheval en question était particulièrement impressionnant. Marguerite aurait pu passer pour un poney à côté de Bidigon.

Mathilde prit une gorgée d'eau. Par les Trois que c'était bon. Et tout à coup si facile d'accès. Quand la deuxième maison est tombée, elle a emporté le mur mitoyen de la maison voisine. Y avait une femme, complètement hystérique. Elle a crié quelque chose, ouvert une trappe et des fangeux en sont sortis. Serus m'a protégée, j'ai vu la mort à ça... dit-elle en montrant une distance infime à l'aide de son pouce et de son index. Quelques centimètres... un bond de côté et une chance infinie avaient fait le reste. J'ai fui, d'autres ont combattu et puis... et puis tout à coup le silence. On avait gagné. On avait réussi. L'équipe d'attaque avait repoussé l'invasion et les barricades permettaient de contenir une éventuelle seconde vague, alors on est tous partis en retrait. Et j'avais rien, pas une égratignure, rien. J'ai finalement pu regagner mon auberge, récupérer mes affaires, brûler ma robe, j'ai acheté de nouvelles chaussures, me suis faite faire une autre robe le lendemain, rendu quelques visites pour avoir des nouvelles des blessés, et puis je me suis remise en route, le 4. Je suis arrivée à Conques fin de l'après-midi, pour trouver un mercenaire qui m'accompagne. Je voulais tellement rentrer. Je voulais tellement te retrouver, me coucher dans un champ, sentir la terre, me sortir les images qui me hantent depuis des jours de ma tête. Je...

Elle haussa les épaules. Elle n'avait pas d'excuse. Elle avait été imprudente. Elle aurait du attendre, une journée, pour accompagner un autre groupe ou... Non. Il l'aurait trouvée malgré tout. Elle regarda Alcide, suspendu à ses lèvres. Bon sang. Si elle en avait eu l'énergie, si elle n'avait pas eu mal partout, elle lui aurait dit de fermer la porte à clé et elle l'aurait aimé. S'imprégner de sa peau, de son odeur, de sa chaleur. La douceur de ses mains, la force de ses bras. Alcide j'ai des pensées très inconvenantes, seule dans cette chambre avec toi. Elle rit intérieurement. La peur ne l'habitait plus, et si la fatigue était grande, elle se sentait plus légère.

- C'est là que tu vas moins apprécier. Alcide, ce soir je veux tout t'expliquer, je veux que tu saches, mais je veux aussi que tu restes calme, j'ai vraiment besoin que tu sois calme. Parce qu'après ce savoureux repas, après avoir répondu à toutes tes questions, je veux que tu dormes près de moi. Là dit-elle en pointant le lit. J'ai besoin de me sentir en sécurité. Juste un peu. Si le ton de sa voix était sans appel, son regard, lui, était implorant. Cernée, elle n'avait visiblement pas connu un sommeil réparateur depuis des jours, et espérait secrètement trouver la douceur des bras protecteurs qui sauraient chasser ses cauchemars. Mais avant, il fallait parler. Et déjà le regard clair se voilait de haine.

- J’ai quitté Conques le 5 au petit matin, Marguerite avait un bon pas. J’étais seule sur la route depuis un moment et… le noir total. Je me suis réveillée ligotée et enchaînée dans une cave, froide et humide, quelque part dans les marais. Son malaise était évident. Les événements s’étaient enchaînés avec une violence inouïe, et ils étaient encore si proches d’elle. Un homme est apparu pour me dire qu’un message allait être envoyé à l’Ordre afin de m’échanger contre une rançon. L’homme était un banni. Il m’a dit que si l’Ordre traînait, je serais renvoyée à eux. En petits morceaux. Et vu l’état de la fille qui était gardée là, j’ai compris qu’ils ne plaisantaient pas. La fille. Elle ne connaissait même pas son nom. Elle ne pourrait pas tenter de retrouver sa famille pour lui apprendre le sort qu’elle avait connu. Elle secoua la tête pour chasser cette idée. Le problème est que l’Ordre ne tient qu’à la vie d’Alexandre de Terresang, que j’avais quitté blessé et fièvreux. J’étais certaine, et le suis encore, qu’il n’aurait pas pu rassembler le nécessaire, alors j’ai négocié. L’homme m’a ri au nez, mais ce matin, je lui ai parlé à nouveau et… je ne sais pas, il avait l’air moins sûr de lui. Alors j’ai renégocié ma liberté contre une entente. Et il a accepté. Puis il m’a marquée, et nous nous sommes mis en route. Comme je traînais trop sur les sentiers, il a fini par m’emmener vers la route principale, j’ai marché, et tu as fini par arriver.

Elle reposa la cuillère et le regarda. Un voile noir venait obscurcir le regard d’Alcide. Elle se cala dans les oreillers, et tendit la main pour qu’il la saisisse. Les doigts s’enroulèrent les uns aux autres avec un naturel fou. Elle soupira. Elle était bien, malgré la discussion qui s’annonçait compliquée. Alcide, ça va. Je suis vivante. Tu m’as trouvée. Ça va aller, d’accord? Officiellement, je me suis enfuie de la maison où j'étais retenue. Personne ne doit savoir, tu comprends? Personne. Je veux faire ma part du marché, garder la vie sauve, et envoyer comme convenu des vivres à ces gens. Je veux qu’il me fasse confiance. Je veux qu’il baisse la garde. Ça prendra du temps, mais je suis patiente. Ce jour-là, le jour où il se méfiera moins, il payera ce qu’il m’a fait. Au centuple. Sa mâchoire se crispa. Elle était restée factuelle, jusqu’ici. Elle n’avait pas laissé transparaître la moindre émotion, n’avait pas parlé de sa terreur face aux fangeux, de la peur viscérale qu’elle ressentait à chaque grognement suspect, des larmes qui n’avaient pas cessé de couleur des jours durant, des courbatures qui parcouraient son corps tout entier, de la lassitude qui l’avait presque submergée. Mais son regard trahissait une détermination à toute épreuve. Elle le tuerait.
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MessageSujet: Re: Perte et fracas | Mathilde   Perte et fracas | Mathilde EmptyVen 9 Aoû 2019 - 20:43
Certains lui disaient que c'était un brave garçon ; sage et très poli. C'était l'avis des vieilles dames, surtout. Les aînés, quant à eux, pensaient que c'était un "gaillard" qui manquaient peut-être un peu de tempérament. Tout cela parce qu'il n’interrompait jamais qui que ce soit. Mais c'était leur avis. Rien que leur avis... Portant une oreille attentive, une qualité d'écoute interceptant chaque syllabe que prononçait Mathilde, le Lupin restait au demeurant silencieux. Seuls les traits expressifs de son visage répondaient à ses répliques, quand elle lui confia que sa seule obsession était de revenir pour l'embrasser comme l'aurait fait une jeune mariée. A travers l'anxiété de son regard, il était ému, la ridule sur la joue, baissant un peu la tête, son pouce caressant d'instinct la phalange de son annulaire comme s'il y manquait quelque chose, avant de reporter ses yeux sur la jeune femme. Le front plissé, ce pouce s'en allant éponger une larme qui défilait sur la joue de Mathilde. Et elle, levant sa cuillère pour lui apporter une bouchée, qu'il avala presque à contre cœur. Il n'avait vraiment pas faim.

Tu as nécessairement entendu parler de l'invasion. Alcide acquiesça, doucement. A sa description ça ressemblait effectivement à un sacré merdier qu'il n'eut aucune peine à imaginer. La panique générale, et la fermière au milieu, si seulement son unité avait pu être affectée à l'escorte des habitants qui se rendaient à Marbrume pour les joutes, comme le faisait autrefois le Temple pour les pèlerins. Il serait resté auprès d'elle, le temps des festivités. S'il pouvait encore l’appeler comme ça... Et puis, cette grosse voix qu'elle décrivait de l'officier le ramenait à ses premiers souvenirs dans le Labret. Des souvenirs qu'il avait déjà pu raconter à Mathilde. Il s'agissait d'une cérémonie semblable, lors de leur affectation. Dans un pré, au revers d’une colline : le Sergent avec sa grosse voix avait harangué le régiment. Haut les cœurs ! Qu’il avait juste gueulé... Haut les cœurs ! Et vive le Duc ! ... Quand on a pas d’imagination, mourir c’était peu de chose ; cet officier là avait fini par éclater, démembré quelque part, dans la fange. Les gars l'ont vite oubliés...

Enfin... Mathilde avait connu la guerre. Ce qu'elle lui décrivait y ressemblait, grandement. Peut-être qu'elle s'était trouvée lâche, à un moment donné ? Et avec quel effroi. Perdue parmi le torrent de la foule et de fous armés jusqu'aux cheveux ? Avec casque, sans casques, sans épées, sans chevaux, sur chariots qui sait, sous la pluie battante de flèches à caracoler dans les fosses, pour tout y détruire ? Puis, ils essayaient de faire tomber des maisons ? ... Alors ça... Ils devaient être jolis, les miliciens de l'intérieur. Alcide leva légèrement les sourcils, mastiquant la bouchée si lentement tandis qu'il l'écoutait... Il n'en croyait pas ses oreilles. Quand le temps du monde à l’envers était venu, et que c'était être fou que de demander pourquoi on les massacrait, il devenait évident que lorsqu'il s’agissait de survivre, certains cerveaux se faisaient de gros efforts d’inspiration.

Serus m'a protégée, j'ai vu la mort à ça... Elle dépeignait une femme hystérique, ouvrant une trappe qui libéra la nuée d’anthropophages. Toisant la distance qu'elle lui montrait entre son pouce et son index, Alcide plissa de surcroît le front et fronça des sourcils. Qui était cette femme dont elle parlait ? Et qu'avait-elle dit ? Et si à cet instant elle n'avait rien, qu'elle pu battre en retraite sans une seule égratignure, cela signifiait qu'elle n'était donc pas encore arrivée au bout de ses peines, que c'était à son retour que les choses s'était intensifiées. Les dieux avaient un drôle d'humour. Sûr qu'il était pieux, mais ça ne l'empêchait pas de jurer intérieurement, lui qui se demandait si Rikni aurait un sourire si Mathilde trébuchait, commençait à questionner sa déesse.

C'est là que tu vas moins apprécier. Son regard s'endurcit, plissant légèrement des paupières... Il s'en doute. Ce soir elle voulait tout lui expliquer, elle voulait qu'il sache, mais qu'elle avait vraiment besoin qu'il reste calme. S'il s'agissait d'une autre femme, Alcide aurait pensé qu'il s'agissait d'une mise en bouche, orientant son regard vers le lit qu'elle pointait, comme d'une précaution pour le préparer à ce qu'il exprime docilement la réaction attendue. Seulement, ce n'était pas n'importe qui. Il s'agissait de Mathilde. Chez elle, il y vit l'espoir de passer une nuit en sécurité, mais aussi la crainte de le voir s'emporter, car elle semblait prête à lui parler sans détour, comme ils se l'étaient promis, et ne pourrait le faire que s'il ne se mettait pas à tout incendier de colère. C'était une question de confiance, alors ?

- Hm-Hm. - Acquiesça-t-il à nouveau, un brin d'appréhension, ne sachant pas à quoi s'attendre. - Dis-moi tout, je t'écoute.

Je me suis réveillée ligotée et enchaînée dans une cave. Un voile noir sembla plonger le vert-mousse et tilleul dans les ténèbres. En petits morceaux. Peut-être bien que ce regard avait tout de celui d'un meurtrier, glaçant et inflexible à ces mots, avec cette pointe de lucidité dérangeante qui témoignait que le Lupin avait encore toute sa tête, et que c'est en pleine possession de ses capacités qu'il finirait par presser le petit cou de cet homme entre ses mains. Puis il m’a marquée. Ce banni ne le savait pas encore, mais il était déjà mort : tout ce qu'il fit, tout ce qu'il fait, tout ce qu'il fera, était totalement vain.

Elle reposa alors sa cuillère et le regarda, prononçant de nouvelles paroles qu'elle désirait rassurante. L'était-elle ? La jeune Dumas savait qu'il pouvait se passer des mots, ces derniers qui prenaient bien des aspects rien qu'à l'évocation qu'ils suggéraient, aux illusions qu'ils provoquaient. Ce fut plutôt la détermination qu'elle avait dans son regard, sa mâchoire crispée qu'il détailla lors d'un instant suspendu. Il payera ce qu’il m’a fait. Au centuple... Au centuple... Au centuple... Au centuple... Sa voix faisait encore écho en lui quand le voile noir disparu peu à peu, ses épaules jusque là crispées se décontractant lentement. Il savait que ce pouvait être dérangeant de laisser planer un long silence, mais ce n'était pas son intention... Il soupira plutôt, mirant leurs doigts qui s'enroulaient naturellement les uns aux autres. Les malheurs de Mathilde demandaient réflexion, et du sang-froid.

Il y en avait qui pensait que la jeune femme était douce et généreuse. A la fois subtile et candide, peut-être aussi. Et c'est ce qu'elle était certainement aux yeux du Lupin. Mais pas seulement. Un regard vif n'était pas séduisant uniquement parce qu'il était clair et vif ; il l'était parce qu'il relatait de sa finesse d'esprit quand il toisait le monde tel qu'il était vraiment. Mathilde était quelqu'un de redoutable, surement la plus ancrée sur terre s'il la comparait à d'autres un peu tête en l'air, et probablement sous estimée par ses interlocuteurs. Dont le banni en question, qui ne ferait sans doute pas exception. Le sachant, alors peut-être que...

- Ça ira... Tu es vivante... Je t'ai trouvée... Officiellement, tu t'es enfuie d'une maison où tu étais retenue et personne n'en saura rien... Mais quelque chose m'échappe... Je n'ai toujours pas compris en quoi un homme devait se sentir obligé de découper une autre femme en morceau, tout cela pour mettre la pression sur son otage ; toi, Mathilde Dumas, fille du Labret, comme si t'étais une forcenée. Alors que son message s'adressait au Vicomte, c'est bien ça ? ... Un dément qui ne recule devant rien pour... Pourquoi au final ? Un arrangement pour obtenir du pain et des légumes ? ... En te marquant au fer, sans s'attendre à aucune représailles, tout en te laissant filer ?

Par la grâce des Trois, heureusement qu'il l'avait libérée mais, dubitatif, Alcide haussa tout de même un sourcil. La faim pouvait conduire aux extrêmes, mais à un tel point de non sens, ça le dépassait complètement. Il ignorait quelles pouvaient être les règles que cet homme-là respectait, mais une chose était claire : il ne venait pas des bas-fonds, ses méthodes lui étaient étrangères. Pour lui, ce banni ne ferait pas long feu s'il continuait dans cette voie, et sur un plan purement pragmatique, c'était peut-être mieux comme ça. - Est-ce qu'il t'a paru simplet ? ... Ça expliquerait beaucoup de choses.

Il retrouvait un semblant de sourire, qui fut bref, dodelinant discrètement de la tête. Bien qu'il n'ira pas jusqu'à sous estimer ce genre de phénomène ; l'Orgueil est un ennemi.

- En fermant les yeux, je me mouille avec toi... On en a jusqu'au cou... Je ne suis pas en train de te demander de contrepartie, mais à l'avenir, j'aimerai être dans ton sillage quand tu entres en contact avec ces gens. Je ne ferai pas obstacle à tes plans, on fera à ta manière parce qu'après tout ce qui tu m'as raconté, je ne vois pas en quoi je me l'approprierai : cette vengeance. - Il appuya un regard entendu, hochant une unique fois de la tête. - Mais il n'y a qu'un idiot qui te laisserai seule avec eux... Et ça, Mathilde, c'est... C'est au dessus de mes forces. Je ne peux pas te laisser... Pas après tout ça.

Ça. Cette main enroulée d'un bandage et que le revers de se doigts vint délicatement effleurer... De son autre main il prit doucement la sienne, pour en déplier la paume sur son poitrail. Ses yeux étaient totalement secs, mais son cœur battait la chamade, son front et ses sourcils pliant sous le poids de la tristesse. A l'intérieur, Alcide souffrait. Peut-être que la peur avait trouvé son origine dans une profonde empathie, et qu'il percevait dans la douleur qu'éprouvait Mathilde son talon d'Achille.


Dernière édition par Alcide le Jeu 15 Aoû 2019 - 7:52, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Perte et fracas | Mathilde   Perte et fracas | Mathilde EmptySam 10 Aoû 2019 - 3:43
Pourquoi au final ? Un arrangement pour obtenir du pain et des légumes ?

Elle hocha de la tête. Du pain, des légumes, des oeufs, de quoi rendre la survie un peu plus facile. Mathilde savait à quel point l'hiver avait été rude pour les bannis, parce que plusieurs d'entre eux lui en avaient parlé. Elle regarda Alcide et ferma les yeux un instant. Ils s’étaient promis l'honnêteté la plus totale. Mathilde ferma les yeux. Bordel de merde. Elle n’avait pas le choix. Pourquoi n’était-ce pas arrivé plus tôt? La dernière visite datait du mois de mars. Le printemps avait vu les intrus disparaître de sa vie, peut-être à cause de la dernière intervention d'une mercenaire aux cheveux roux, qui avait littéralement dépecé le bras d’un homme et tué le second tout aussi froidement. Puis Alcide était entré dans sa vie, et elle avait réussi à oublier les rencontres parfois terrifiantes, parfois douces, qu'elle avait faites.

Alcide était entré dans sa vie. Elle ne lui avait jamais menti, et ils avaient pris le temps de se connaitre, tranquillement, lors de rendez-vous secrets, de visites sous de faux prétextes et de longues conversations au milieu d'Usson, tandis que son pain cuisait. Jamais elle n'avait abordé la question des bannis. Pourquoi l'auraient-ils fait? Elle fronça les sourcils. C'était maintenant qu'il fallait le faire. Avant que leur histoire aille trop loin. Avant que ses convictions ne s'opposent à sa mission de milicien. Elle sentit le cœur de cet homme battre tout contre la paume de sa main, qu’elle retira de son torse pour la poser sur la couverture.

En fermant les yeux, je me mouille avec toi...

Jusqu'au cou, Alcide. Jusqu'au cou. Et tu n'as pas encore idée de l'ampleur de la chose. Elle reposa sa cuillère dans l'assiette désormais vide. Ils n'avaient pas toujours été d'accord, mais cette fois, il se pouvait bien qu'il passe le seuil de la porte pour ne jamais revenir. Elle se mordit la lèvre et rouvrit les yeux. Elle lui avait promis d'être honnête. Elle le serait.

- Alcide, avant que tu ne décides quoi que ce soit, je dois te dire quelque chose. Quelque chose dont on n'a pas parlé encore. Quelque chose qui pourrait me coûter cher si tu en parlais. Elle soupira. Bon sang que c'était dur. Durant l'hiver, j'ai accueilli quelques bannis qui ont réussi à rejoindre ma ferme. Je les ai nourris, et leur ai offert une paillasse pour la nuit. J'ai donné quelques vivres faciles à transporter, aussi. Elle baissa les yeux. Elle n'osait même plus le regarder, de peur de lire, dans ses yeux, un immense sentiment de dédain. Mais elle continua. Mon veuvage a fait de moi une femme vulnérable. Pour éviter certains désagréments, j'ai préféré jouer à la bonne âme généreuse, qui offre un moment d'humanité à ceux qui vivent une vie d'exclus. Aucun d'entre eux n'a passé le mot aux autres, mais plusieurs savaient que dans ma grange se trouvait une paillasse et de quoi manger. Ceux qui ont respecté les règles sont repartis sains et saufs. Je ne leur pas posé de question, je n'ai pas cherché à savoir le motif de leur marque, mais certains se sont confiés. Mises bout à bout, les informations me permettent d'imaginer un peu mieux leur vie. Ce qui me permet de comprendre l'homme que j'ai croisé. Le comprendre, mais pas le pardonner. Elle releva les yeux. Alcide était livide. Décidément, elle cachait bien son jeu. Ceux qui ont transgressé les règles sont soit lourdement handicapés, par une jambe boiteuse ou une épaule brisée, soit morts. Ceux-là se comptent sur les doigts d’une main. Elle avait tué, elle aussi. Elle n’était pas une frêle petite femme sans défenses, loin de là. Voilà qui avait le mérite d’expliquer pourquoi elle tirait quelques flèches presque chaque jour dans une cible de paille.

Elle posa l'assiette sur la table de nuit, juste à côté de son lit. Ses mains tremblaient, à tel point que la cuillère vibra dans l'assiette, produisant un tintement sonore qui trahit sa nervosité.

- Pour ne pas être attaquée, j'ai choisi de me rendre utile envers eux. Et honnêtement, ça ne me dérange pas, Alcide. Parce que tant qu'ils survivent, ils ne rejoignent pas les rangs des fangeux, tu comprends? Alors... Non, cet homme n’est pas simplet. Il survit. Il voulait une charrette de vivres, un cheval, des outils, pour ceux qu’il dit protéger. Je crois qu’il parlait du village des bannis. Je crois que chaque personne qui y vit y assume un rôle, tout en restant constamment sur ses gardes pour ne pas être tué. Il voulait que l’Ordre lui fournisse tout ça, et c’est pour ça qu’il me ciblait. Il sait où se trouve ma ferme, il sait qui je suis mais il n’imaginait pas, je crois, me kidnapper trop tard. Parce que si Marbrume n’avait pas été envahie, si les fangeux n’avaient pas attaqué, l’Ordre serait encore solide et aurait sans doute accédé à sa demande. J’aurais été libérée la semaine prochaine, et il serait retourné au village, triomphant. Quand je lui ai dit que l’avenir du Vicomte était incertain, il a du revoir ses plans, et il a improvisé. C’est ce qui m’a donné un avantage, ça et mon sang-froid. La marque, c’est pour qu’un autre que lui me reconnaisse. Et sans doute pour que je me rappelle qu’il ne plaisante pas. A moins qu’il ne s’agisse d’une vengeance pour toutes les piques qui avaient franchi ses lèvres. Elle avait eu du mal à les maîtriser… mais d’une certaine façon, son audace avait probablement fait en sorte qu’elle avait gagné sa méfiance et un peu de respect.

On frappa à la porte. Mathilde émit un Oui qui fut immédiatement suivi d'une poignée pivotant et de l'ouverture de la porte de la chambre. Une serveuse au visage rond et aux joues rougies par l’effort, entra en portant une bassine d'eau dans ses bras.

- Comme il n'y a pas de bain chez nous, je me suis dit que vous voudriez surement au moins vous décrasser, mon enfant. J'ai du savon, pour vous, et vous me donnerez votre robe et vos chaussures, je vais m'en occuper. Vous irez au temple demain, pour vos ablutions.

Mathilde offrit un regard de gratitude totale à la petite femme rondelette, qui avait plus l'air d'une mère bienveillante que d'une serveuse. La fermière quitta les couvertures et se leva doucement pour se diriger vers un coin de la chambre où un paravent avait été étendu. Mange, s'il te plait dit-elle à Alcide. Parce que tant que j'entendrai la cuillère cogner contre ton assiette, je saurai que tu ne t'es pas enfui.

Une fois derrière le paravent, Mathilde découvrit une petite table accueillant la bassine d'eau chaude déposée par la serveuse, ainsi qu'un gros pain de savon, une lingette et une serviette. Mathilde ôta sa chemise pour la donner, ainsi que sa robe tachée, à l'employée, qui partit non sans déposer la chemise propre d'Alcide par-dessus le paravent. Elle trempa le linge dans l'eau, et entreprit de se laver sans oublier le moindre centimètre de sa peau. Elle se débarrassait enfin des odeurs nauséabondes des marais, des moisissures de la cave, et de ce qui se révélait maintenant être des sensations désagréables provoquées par le contact de la main du banni posée sur sa peau. Comment avait-elle pu espérer que ce contact se prolonge? Elle secoua la tête et frissonna. Pour ça, parce que tu n'es rien qu'une petite frileuse qui cherchait un peu de chaleur après tous ces chocs. Elle lava ses cheveux avec le même soin, pour les débarrasser de la crasse des marais. Elle se sécha rapidement et enfila la chemise, bien trop grande mais propre, qu’Alcide lui avait ramenée. Elle fronça les sourcils. La chemise ne lui arrivait même pas aux genoux.

- Alcide? Est-ce que... tu peux fermer les yeux? s'il te plait?

Elle passa la tête pour vérifier qu'il était toujours là, et qu'il fermait bel et bien les yeux pour ne pas la voir dans une tenue si indécente. Elle marcha sur la pointe de ses pieds nus jusqu'au lit, où elle cacha ses jambes nues sous les couvertures, avant de réajuster le col qui en dévoilait peut-être un peu trop à son goût. Elle ramena ses cheveux mouillés sur son épaule, et finit par lever les yeux au ciel. Mathilde, toujours à osciller entre la bienséance et l'aventure. T'es impossible.

- Je suis là. Et toi aussi. Elle tendit la main pour caresser le visage du milicien qui rouvrit les yeux. Alcide je... je suis consciente que toute cette histoire te met dans une position vraiment inconfortable. Comme ce magnifique cheval qu'on ne t'a certainement pas prêté gratuitement et grâce auquel tu m’as retrouvée. Je vais être une source d'ennuis, si ce n'est déjà le cas, alors... je ne t'obligerai pas à rester. Parce que tu risques gros. Mais si tu restes, je te promets que tu seras au courant de tout, et que rien ne se fera sans que tu ne sois dans mon sillage. J’ai un peu moins peur, quand tu es là.

Elle lui sourit doucement. Tout cela était bien loin des retrouvailles qu’elle avait imaginées. Son sourire s’étira un peu plus. Manger lui avait du bien. Elle était en sécurité, elle l’avait enfin retrouvé, elle sentait bon le savon, et elle était confortablement installée dans un lit douillet. Le moment était parfait pour poser la question qui lui brûlait les lèvres.

- Où comptais-tu m'emmener, le temps de ta permission?
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MessageSujet: Re: Perte et fracas | Mathilde   Perte et fracas | Mathilde EmptyLun 12 Aoû 2019 - 1:24
Si son palpitant avait des papilles gustatives, le goût n'en serait que plus amer lorsqu'elle retira sa main de son poitrail. Un refroidissement soudain, un détail inquiétait Mathilde, apparemment, le vert-mousse l'interrogeant du regard. Elle devait lui dire quelque chose. Quelque chose qui pourrait lui coûter cher s'il en parlait. Alcide plissa aussitôt le front, soupesant tout de la gravité et de la lourdeur qu'elle mit dans le souffle d'un soupire.
Alors comme ça, durant l'hivers, celle que tous ses homologues veilleurs lui avaient présenté tragiquement comme étant la si douce et si aimable Veuve Dumas accueillait durant l'hivers, des bannis. Oh, la contrevenante. Dommage que Mathilde baissa les yeux à cet instant, car la ridule d'un demi-sourire fendit la joue d'Alcide. L'heure était grave pourtant, car toujours ils se devaient d'être intransigeants avec les décrets royaux qui pesaient chaque jour un peu plus sur les habitants du Labret. Et malgré cela, la brune avait pu passer entre les mailles du filet. Ça lui rappelait quelque chose, le ramenant à l'une de leur conversation, et c'est cela qui l'amusait.

Attentif à son récit, elle parlait de son veuvage, les angles de son visage reprenant leur sérieux quand Alcide sorti de sa besace une petite tige de roseau fortement soufrée. Après avoir donné quelques coups sur ses doigts frottant sur une petite pierre, une pointe de feu tomba et couru la mèche sèche en guise d'allumette. C'est sans doute l'éclat lumineux de la flamme qui donna l'impression à la jeune femme qu'il avait sur ses traits un air livide, alors qu'il se concentra sur la bougie qu'il venait d'attraper, l'allumant avant de se pencher pour la reposer sur la table de chevet.

Tout ce qu'elle lui révéla était discutable, au sens stricte du terme. Voila prêt d'un mois qu'ils parlaient ensemble, de tout, de rien. Ils s'étaient rapprochés ces derniers temps, plus vite qu'il ne l'aurait imaginé. A l'abri des curieux, dans la pénombre des cuisines de la caserne, et pourtant il ne savait pas encore si elle pouvait lui pardonner une liberté de ton propre aux libres penseurs. Non qu'il fut en désaccord. Il dirait qu'il y avait plus d'innocents dans les cellules marbrumiennes qu'il n'y avait de coupables ; une façon de voir les choses qui marchait aussi avec l'exil. Mais la révélation était plus complexe qu'un simple débat sur la question de savoir s'il était pour ou contre ce qu'elle avait fait cet hivers. C'était la vie et l'intimité de Mathilde qu'elle lui révélait, à lui le milicien, qui d'ordinaire la mettrait aux arrêts.

Sa main se posa tendrement sur la sienne, tâchant de calmer la jeune femme qui s'était mise à trembler, faisant tinter nerveusement sa cuillère sur son assiette. Elle prenait un grand risque en lui révélant tout cela. Alcide avait conscience de ses devoirs de soldat, mais il comprenait, et c'était peut-être ce détail, cette main qui s'était mise à vibrer, qui le perturbait véritablement parmi tout ce qu'elle avait à lui dire. Qu'il puisse la mettre dans un état pareil, au simple fait de se confier à lui, ayant probablement oublié, quelque part sous la bouse des marais, d'où il venait. Alcide lui rappellera, plus tard.

On frappa à la porte. Suivant du regard la serveuse boudinée qui entra, apportant à Mathilde un bassin d'eau chaude, du linge et un pain de savon. Ce qui le renvoyait à Usson, où pas plus tard qu'en fin de matinée, dans une humeur différente, il en utilisait un semblable dans sa baignoire improvisée. Peut-être qu'il devrait en profiter pour s'éclaircir, lui aussi, en se rasant une bonne fois pour toute, histoire de faire bonne figure devant le Bailli, comme pour insinuer qu'il était un soldat on ne pouvait plus réglementaire. Réflexe de Lupin, soigner ou brouiller les apparences, et sans la volonté d'y mettre le lavis d'une couche littéraire : pour s'épargner le regard sévère d'une autorité qui le tenait un peu trop serré par les couilles...

- Mange, s'il te plait.

La jeune femme se leva doucement pour disparaître derrière le paravent, Alcide toisant de loin l'assiette, prenant un instant avant de se lever à son tour pour la rejoindre. L'assiette... Il s'installa à la table, sans réelle conviction. L'estomac en vrac, peut-être, à moins qu'il ne soit encore trop tendu pour avaler quoi que ce soit. L'air songeur, c'était l'une de ces journées chargées, où beaucoup de choses avaient été dites et qui remettaient drastiquement ses prises de position. Un jour de permission, ironiquement... Naturellement, sans trop réfléchir à ses gestes, il apporta une première cuillère à sa bouche, mastiquant lentement. Là, c'est à Charlotte qu'il se mit à penser. La grosse Charlotte. Une deuxième bouchée, suivie d'une troisième qui s'en vint, mangeant maintenant de bon cœur...

Mathilde prenait soin d'elle, pendant que le milicien se sustentait. L'air pensif, en tout cas, ne le quitta pas. Il devait se mettre au fait de l'organisation des bannis et les membres de sa coutillerie sauraient peut-être quoi lui en dire. Puisqu'elle lui assurait que le fauteur de trouble n'était pas simplet, et qu'il en connaissait long sur la fermière et la position de sa ferme, c'est qu'il devait s'intéresser de prêt au Labret. Et si sa cible était l'Ordre de Terresang, alors... Le Fou se replaçait sur l’échiquier. Monter les grades était une chose, la sécurité étant une autre, les deux s'accouplant à son esprit tandis qu'Alcide plongeait sa cuillère dans son plat pour en happer une énième bouchée.

Un mouvement dans l'eau attira soudain son attention, et ses yeux pivotèrent en direction du paravent... La silhouette de la jolie Dumas prenait forme sur sa surface, comme projetée par la lueur des bougies. Un léger embrasement dans le regard, le Lupin détailla un instant l'image, longeant la ligne d'une jambe pour remonter le galbe de ses hanches... La température montait d'un cran. Il ne s'était pas encore débarrasser, lui ; enlevant sa besace qu'il tenait encore bandoulière puis, doucement, délaissa sa cape pour les pendre tout deux sur le dossier de sa chaise. Et cette ombre qui essorait maintenant sa longue chevelure entre ses mains, penchée et la laissant pendre par dessus ce qu'il devinait être le bassin... Alcide fit glisser son index dans l'ouverture de son col pour en relâcher les lacets. Qu'est-ce qu'il avait chaud...

Il retourna s'asseoir sur le lit, où il se débarrassa l'une après l'autre de ses bottes. Puis, finalement, s'adossa au mur pour s'installer à semi-allongé en travers du lit, les bras croisés derrière la tête. Et le visage de la brune apparu.

- Alcide ? Est-ce que... tu peux fermer les yeux ? s'il te plait ?

Dommage, elle ne le laissera pas plus longtemps apprécier la toile du paravent, renversant la tête un peu plus en arrière lorsqu'il ferma enfin les paupières. - La voie est libre...

Je suis là. Et toi aussi. S'approchant, elle caressa son visage pour qu'il rouvre doucement les yeux, roulant un regard en direction de Mathilde qui s'était assise sous les couvertures. Elle lui dit être consciente que cette histoire le mettait dans un sacré bourbier, et il dodelina simplement de la tête pour lui répondre qu'il en était lui-même conscient. C'est sûr. Mais il n'était pas plus mécontent ou tendu que cela, sinon il aurait déjà franchit la porte.

- Où comptais-tu m'emmener, le temps de ta permission ?

Il marqua une pause, comme s'il n'était pas déjà suffisamment silencieux comme ça, ou comme s'il observait un paysage dans un ailleurs incertain. Un peu réticent à le décrire, il soupira légèrement car en levant le voile de la surprise, il allait en perdre de son charme, cet endroit... Bien qu'au fond, peut-être que Philibert l'avait déjà emmenée là-bas. Ou du moins, d'après ce qu'elle en avait dit de leur relation conjugale, avait-il au moins essayé ?

- Tu connais peut-être. A quelques centaines de mètres plus au Nord d'Usson, c'est un endroit proche mais à l'écart de la forêt, pas si éloigné de la route. En s'y rendant, de là-bas, on peut encore apercevoir les contours des toits et la fumée qui s'élève des cheminées du village... On aurait marché le long d'une allée remplie de gravas verdoyants, où j'aurai posé mes mains sur tes yeux pour te guider jusqu'à des ruines fleuries où la nature reprend peu à peu ses droits. Y pousse de tout, un peu partout, d'une façon tellement harmonieuse... de la mousse sur les murs, sur les antiques statues et les colonnes de pierre ; des groseilles, des framboisiers, des rosiers grimpant sur et dans les édifices, et puis... du Lilas... Du Lilas poussant dans chaque angle des vestiges et débordant depuis l'éboulement des toits. C'est un paysage qui change de la gadoue, alors je voulais t'y emmener pour... ... Pour t'y emmener, c'est tout.

C'est tout... Bien sûr qu'elle y croit. Roulant un regard amusé dans sa direction, l'air complice, avant de se redresser.

- Mais ce n'est pas un endroit aussi bien que celui-ci... T'es là. J'suis là. Alors qu'ils viennent, les ennuis, je les attends. On en a vu d'autres, et on continuera d'en voir d'autres. Cette chambre... dans cette auberge de passage, à cet instant, au temps présent, avec toi, est bien plus chargée de sens.

Il se leva du lit, pour s'en aller souffler sur le chandelier posé sur la table. L'amplitude de la pénombre gagna du terrain dans la chambre. Elle s'étendait, lentement, tandis qu'il parlait en marchant dans la pièce, s'approchant à tour de rôle de chaque bougies qui l'éclairait encore, pour en éteindre les flammèches d'un simple pincement des doigts.

- Je risque gros tous les jours, comme tous mes confrères et bien d'autres avant nous. Si demain ce n'est pas toi qui aura ma peau, et bien ce sera une goule, ou peut-être Malfort qui sait... Mais tu sais d'où je viens par contre, tu sais dans quoi je suis né. Je crois que le furet d'Lupin que t'as sorti tout droit de son lac turpide est en mesure d'oublier quelques bannis, qu'est-ce t'en penses ? ... La seule chose qui m'ébranle dans tes révélations, c'est que tu puisses te sentir nerveuse en me mettant dans la confidence. Tu as peur que je franchisse cette porte, parce que j'aurai découvert... quoi, mh, dis-moi ?

Quelques bougies dans les mains, il souleva l'une d'elle aussitôt sous son menton comme pour étendre plus encore les ombres qui noircissait les creux de son visage, et répondre à sa propre question ; - Brrr, Mathilde Dumas, la contrevenante. Fit-il sur un ton faussement lugubre. Il lui sourit, avant de poursuivre son petit manège dans la pièce, finissant par attraper d'autres bougies, les accumulant peu à peu dans les mains. Sûr qu'il préparait quelque chose.

- Est-ce que tu me vois vraiment tambouriner à la porte de ta chaumière pour t'arrêter au nom de Sigfroi, le Roi de mon cul ? - Il s'approcha du lit, distribuant maintenant les bougies sur les étagères suspendues au mur, tout en éparpillant d'autres sur l'appui de fenêtre proche, ainsi qu'en reposant quelques-unes sur la table de nuit. Interrompant certains de ses gestes pour la mirer un instant, il reprit ironiquement ; - Hé, ne rigole pas ; c'est le Roi de ton cul, à toi aussi. C'est le Roi de notre cul à tous, maintenant. Fais attention.

Il prit un temps pour toutes les allumer, ces petites bougies, Mathilde voyant tout autour d'elle un nombre de lucioles s'éclairant fébrilement de flammèches. L'instant prenait une allure autrement plus romantique. Plus chaleureuse. Plus mystérieuse, aussi. La chambre était plongée dans l'obscurité de la nuit, où seul le soubresaut des petites flammes ne leur faisait rien deviner de plus que la silhouette indistincte des meubles, des armoires et des chaises.

- J'ai une confidence à te faire, moi aussi. Si j'ai la crainte de mon propre serment fait pour l'étendard, parce que je n'ai pas nécessairement envie de finir dans un cachot, je ne suis pas convaincu d'être un milicien pour autant. Je suis comme le banni ; je survis ailleurs que dans le Goulot. Si ça se trouve lui et moi, dans une autre vie, on serait copain comme cochon, et c'est moi qui aurait tenu ta main pendant qu'il porte le fer sur ta peau.

Alcide entrouvrit plus encore le col de sa chemise en déliant d'une mains ses lacets. Sa confidence était peut-être glaçante, mais le ton était comme à son habitude naturel. Si tout deux ne se cachaient rien, autant lui dire maintenant que derrière l'apparence lissée et polie qu'il se donnait parfois, il était loin d'être un enfant de chœur. Et tandis qu'il le fit, il déboucla doucement la sangle de son fourreau, pour ensuite reposer son épée non loin du lit. Faisant désormais face à la fenêtre, Alcide attrapa alors les rebords de sa chemise, les ondulations de son torse se contorsionnant avec langueur comme pour mieux s'en défiler. L'habit retenu dans un poing, l'éclat lunaire glissant sur le marbre de sa peau, il fini par le jeter au loin dans l'enténèbrement de la pièce.

Le Lupin tourna enfin son visage dans sa direction, les traits tendres et la légère ridule lui fendant la joue.

- Je reste, parce que c'est toi que j'aime, Mathilde Dumas... Je t'aime... Je t'aime, et tu me donne chaud. C'est pour toi que je veux mourir, t'entends ? Pour toi seule.

Il se pencha juste à ses côtés, sa main happant délicatement le coin de la couverture, lui donnant le temps de s'écarter pour lui faire un peu de place. Alcide entrait dans la douceur et le moelleux du lit, soufflant un imperceptible soupire d'aise, quand son dos rejoignit le confort de quelques coussins, cent fois, mille fois plus agréable que la paillasse d'un camp transitoire... Il arqua enfin son bras sur son flanc, comme pour inviter Mathilde à s'y blottir tendrement ; elle n'aurait plus qu'à s'y engouffrer pour y quérir la sécurité qu'elle désirait ce soir.


Dernière édition par Alcide le Jeu 15 Aoû 2019 - 7:53, édité 3 fois
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MessageSujet: Re: Perte et fracas | Mathilde   Perte et fracas | Mathilde EmptyLun 12 Aoû 2019 - 19:33
Mathilde ferma les yeux. Les ruines apparurent dans le noir de ses paupières. Elle les connaissait pour y avoir joué, autrefois, avec les enfants d'Usson tandis que sa mère patientait pour que le pain cuise. L'endroit avait été abandonné depuis peu, à l'époque, et l'on parlait plutôt d'un bâtiment hanté où l'on allait raviver les superstitions bien ancrées dans la mémoire collective. Mathilde sourit, imaginant cet endroit autrefois parfait pour terrifier les enfants devenu aujourd'hui un lieu paisible où la nature reprenait ses droits dans une harmonie dont seuls les dieux avaient le secret. Elle s'imaginait, déambulant le long d'un petit sentier, saisissant une grappe de groseilles au passage, contemplant les statues décolorées et les colonnes couvertes d'une mousse confortable au toucher. Elle sentit l'odeur du lilas flotter dans l'air, cette même odeur dont Alcide était légèrement imprégné lorsqu'il l'avait cueillie sur la route, alors que le soleil amorçait sa dangereuse descente pour céder sa place à la nuit.

Mais ce n'est pas un endroit aussi bien que celui-ci. Elle rouvrit les yeux et murmura. Peut-être qu'on pourrait y aller demain. J'ai envie de voir la beauté du monde. J'en ai besoin. Les ombres gagnaient du terrain à mesure que Lupin éteignait les bougies, et avec elles croissait cette légère angoisse qu'elle ressentait à l'approche du moment où les innocents s'endorment paisiblement. Elle respira profondément pour chasser la peur, et les images qu'elle ne connaissait maintenant que trop bien, celles des goules triomphantes et des humains éviscérés, rivant son regard sur la silhouette rassurante de l'homme qu'elle aimait en silence. Elle ne lui avait même pas dit. Et elle avait failli ne jamais le pouvoir.

Tu as peur que je franchisse cette porte... Oui, elle avait peur qu'il s'en aille, et que la confiance qu'il avait su gagner s'évapore, avec ce doux sentiment de sécurité qu'il portait. Elle ne voulait pas perdre ce sourire qu'il lui donnait, ni ne plus ressentir la fébrilité qui précédait chacune de leurs rencontres. Elle voulait que le vert-mousse de son regard soit son quotidien. Elle voulait encore exercer ses yeux à connaitre le moindre détail de sa silhouette, et silencieusement deviner chacune de ses réactions ne serait-ce que par une attitude qu'il adopterait. D'ailleurs, tantôt, alors qu'elle baissait les yeux, elle aurait parié qu'il souriait. Elle allait ouvrir la bouche quand il adopta un ton lugubre, auquel elle répondit en lui tirant glorieusement la langue.

Le roi Sigfroy de mon cul... Elle arqua un sourcil et rit doucement. Un joli petit cul aurait-elle pu glisser malicieusement, si les convenances le lui avaient permis. Aaaah ces convenances, qui auraient voulu qu'un chaperon se tienne là, tandis qu'il plaçait les bougies partout autour du lit. Que faisait-il, d'ailleurs? Alcide, créateur d'ambiance. Elle sourit. De la lumière, pour ne pas être plongée trop vite dans l'effrayante obscurité de la nuit. Des flammes dansant dans le moindre déplacement d'air pour rappeler que la vie était aussi fragile qu'une lueur de bougie. L'espace au-delà du cercle de lumière se faisait indistinct, plongé dans une obscurité qui l'aurait terrifiée si elle avait été seule. Mais il était là.

- J'ai seulement peur que tu partes. Que tu réalises que la petite fermière n'est pas à la hauteur de tes espérances, et que tu partes. L'avait-il entendu, tant sa voix était éteinte? Un simple souffle léger émanant de ses lèvres roses.

... et c'est moi qui aurait tenu ta main pendant qu'il porte le fer sur ta peau. En son for intérieur, elle savait qu'elle-même le ferait, si elle était poussée dans ses derniers retranchements. Elle comprenait ce banni, tout comme elle avait compris ceux qui étaient venus chez elle durant l'hiver. Et c'est parce qu'elle avait saisi cette détresse chez tous ces êtres humains qu'elle avait essayé de l'adoucir, avec quelques galettes d'avoine et une couverture chaude. L'homme était un animal complexe, dont l'attitude pouvait changer radicalement selon les situations auxquelles il était exposé. Alcide, à sa façon, était un exemple d'adaptation parmi tant d'autres... à la différence qu'au lieu de persister dans une existence d'exclu, il avait choisi de s'extirper de la masse pour se hisser vers ce qu'il croyait être mieux.

Mathilde sourit. Debout devant la fenêtre, le Lupin lui offrait un spectacle qui lui rappelait leur première rencontre. Se délestant de son arme, qu'il garderait sagement à côté du lit, en bon protecteur qu'il était, il annonçait silencieusement qu'il passerait la nuit avec elle. Merci Alcide... Cette fois, elle ne détourna pas le regard lorsqu'il envoya valser sa chemise dans les ombres, avec un geste théâtral savamment calculé, loin de la lumière tamisée dans laquelle baignait leur petit cocon de douceur, cette même lumière qui, caressant délicatement les épaules du milicien, en révéla les vieilles cicatrices d'un passé loin d'être paisible. Mathilde en savoura le spectacle avec un sourire malicieux, et sans doute une étincelle brillant au fond du regard. Il faisait chaud, tout à coup.

C'est pour toi que je veux mourir, t'entends ?

- Non mon amour. Pour moi, tu dois vivre. Juste vivre.

Elle ramena les couvertures plus haut, sous son menton. Sans crier gare, les larmes coulèrent sans qu'elle soit triste et sans qu'elle ne puisse les contenir. La journée avait été rude. La semaine avait été rude. Elle avait fait face à la mort, avait flirté avec elle avant de lui échapper pour finalement être cueillie par la seule personne qu'elle avait espéré revoir, tout ce temps. Lupin. Lupin qu'elle avait sortie du fond de son lac trouble. Lupin, dont la seule pensée lui avait donné le courage de remonter à la surface. Lupin, à qui elle faisait une place, dans sa vie et maintenant dans sa couche. Lupin, contre lequel elle se lova plus qu'elle se blottit, s'imprégnant de la chaleur de sa peau nue sous la main qu'elle déposa contre un palpitant lancé au galop. Elle ne l'en décolla qu'un instant, pour essuyer les dernières larmes dont elle ne baignerait pas l'épaule de cet homme qui semblait prendre un malin plaisir à jouer aux héros sauvant sa vie.

- Je t'aime Alcide Lupin murmura-t-elle d'une voix déjà lointaine, enroulant une jambe autour de celle d'Alcide, avant de se glisser dans un sommeil qu'elle avait tant craint, mais tant espéré. Dans le silence de la nuit, la lueur des chandelles se consuma lentement. Les plus petites s'éteignirent rapidement, alors que le souffle de Mathilde, calme et profond, caressait le cou du milicien contre lequel elle dormait, sereine.


***


Combien d'heures s'écoulèrent avant qu'elle ne se réveille? Peu, à en juger par les quelques chandelles encore allumées, et les rideaux qui ne laissaient encore filtrer aucune lumière. Son ventre se comprima alors qu'un mauvais pressentiment la tirait de son sommeil, à moins qu'il ne s'agisse d'un mauvais rêve déjà oublié. Ils n'avaient pas fermé à clé. Elle se glissa hors des couvertures pour se diriger vers la porte qu'elle verrouilla à double tour, en essayant d'atténuer le bruit du métal glissant dans la serrure. Elle appuya son front contre le bois solide, et soupira. Sécurité. Elle s'en décolla au bout de quelques secondes et se retourna vers le lit. Le Lupin avait les yeux clos et semblait dormir du sommeil du juste.

Elle prit une bougie pour l'emmener, sur la pointe des pieds, jusqu'au bassin d'eau maintenant froide, où elle se rinça le visage avant de l'essuyer. Elle avait dormi, peu mais bien, plus que dans les derniers jours. Quelques précieuses heures d'un sommeil réparateur. Il y avait quelque chose d'apaisant dans cette chambre à peine illuminée où les seuls bruits étaient les craquements du bois et la respiration calme et sereine d'Alcide. Sa chemise était maintenant imbibée de l'eau qui imprégnait ses cheveux, quelques heures plus tôt. Elle en délaça le col pour laisser sa peau respirer, et s'installa sur une chaise pour le regarder dormir. Il paraissait si paisible. Il avait passé un bras par dessus la couverture, dévoilant le haut d'un torse façonné par les exercices et marqué par les dangers qu'il avait eu à affronter, avec plus ou moins de succès. C'est dans le creux de son épaule qu'elle avait trouvé la sérénité. C'est là qu'elle passerait sa vie, si elle le pouvait. Elle sourit en remarquant enfin la barbe fraîchement taillée, et les cheveux coupés, bien qu'en bataille sur l'oreiller. Qui le voyait comme elle le voyait en cet instant précis, serein, apaisé, apaisant... et beau.

Elle fit rouler ses épaules avant de s'étirer comme un chat, passa sa main valide dans ses cheveuxencore humides, puis sur sa nuque, longea son cou, le creux de sa poitrine et s'arrêta sur son ventre. Et tu me donnes chaud avait-il dit. Elle sourit. Elle avait chaud, elle aussi. Elle ne restait pas dans le lit parce que sa présence, si proche, tout contre elle, réveillait un désir qu'elle n'avait pas éprouvé pour un homme depuis longtemps, un désir qu'on ne partage qu'entre mari et femme. Enfin... c'est ce que les convenances veulent. Mais est-ce que toi tu veux?

Il fronça les sourcils. Dans un semi-réveil, la main d'Alcide la cherchait dans le lit, sans la trouver. Elle se leva pour le rejoindre, se contentant de s'asseoir sur le bord du lit, de se pencher vers lui et de lui murmurer à l'oreille Je suis là. Trop réveillée que pour dormir, et si je reste allongée à côté de toi, Alcide Lupin, c'est d'un prêtre dont nous aurons besoin. Elle rit doucement. Les yeux vert-mousse maintenant grand ouverts se posèrent sur son épaule que le col, grand ouvert, avait dénudé sans aucune pudeur. Une ridule malicieuse creusait sa joue. Bon sang, fallait-il réellement attendre le mariage pour être une femme convenable?
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MessageSujet: Re: Perte et fracas | Mathilde   Perte et fracas | Mathilde EmptyMer 14 Aoû 2019 - 12:38
Dans la nuit, il devinait les parois de la place de Sarrant s'allumant par une, par deux chambres, puis par dizaines, et dans certaines d'entre elles, s'affairant l'étrange faune d'un monde vivant. C'étaient des ménages qui s'en allaient dormir. Ils semblaient aussi déchus, déprimés, abattus, brumeux que les gens de la Capitale. La plupart des hommes se rasaient tout en pétunant la pipe qu'ils retenaient entre leurs dents, avant de se coucher. Au lit ils enlevaient leurs atours d'abord, et leur denture ensuite qu'ils plaçaient bien en évidence. Ils n'avaient pas l'air de se parler entre eux. Entre sexes. Pas tout à fait comme dans la rue. On aurait dit du bétail docile, habitué à s'ennuyer, répétant les gestes quotidiens qu'ils s'efforçaient de reproduire mécaniquement. Les femmes, elles, mangeaient des sucreries au lit, piochant dans leur bocal en attendant que le mari ait achevé sa petite toilette. Carnaval le jour, dortoir la nuit, l'apocalypse en douce. Et puis soudain... tout le monde à sagement éteint. Pour ne plus voir que les flammèches persistantes, en nuée luisante, à travers l'obscurité de l'une d'entre elles. Là, au premier étage d'une auberge.

Non mon amour. Pour moi, tu dois vivre. Juste vivre.

Au parole de la jeune Dumas, Le Lupin sourit imperceptiblement à sa déesse, entre soulagement et tendresse. Serait-elle donc à ce point sans cœur, Rikni, qui devait d'en haut tout entendre et tout voir, qu'un au revoir navrant après tant de funérailles ne pouvait l'émouvoir ? Rikni permettait qu'ils espèrent, mais unir pour séparer n'était pas son dessein. Autour des mortels, trois voix inflexibles criaient à tout ce qui naît "Aimez et vivez ici-bas". Alors sans trouble et sans armure, fort de ce même amour dont Mathilde le rendait ivre, il l'aimait et il vivra. Pour la seconde fois, l'accueillant lorsqu'elle se lova tout contre lui, elle lui fit voir l'envers d'un décors plus éclatant qu'il ne l'aurait imaginé. S'en rendait-elle compte ? Se rendait-elle compte qu'elle avait accès à un paysage si nuancé de lumière et de vie qu'il ne pouvait plus percevoir mais qu'elle lui permettait d'entrevoir ?

Je t'aime Alcide Lupin. A ces mots, son front plissa, la pressant plus confortablement tout contre lui, alors qu'elle enroulait une jambe autour de la sienne. Lorsque sa main qui la couvait frictionna tendrement son épaule, elle ne pu le voir, mais ses yeux brillaient de larmes naissantes qui, comme si elles avaient toujours été retenues par la dureté de l'âme, ne parvenaient plus à s'écouler d'elles-même sur ses paupières. Alcide déposa un tendre baiser sur son front. La fermière avait connu la Quinte Floche Royale d'un aller et d'un retour tourmenté ; la fatigue du voyage, remonté la fange et les torrents paniqués, l'enlèvement, la solitude, la torture, l'affliction et les marais, sans jamais qu'elle ne puisse connaître de repos entre chaque étape. Il la savait forte, quelques truands à la gorge percée de flèches aussi, mais maintenant, elle pouvait s'apaiser et s'en remettre à lui pour trouver dans son sommeil les quelques heures de paix auxquelles elle aspirait.

J'ai seulement peur que tu partes. Que tu réalises que la petite fermière n'est pas à la hauteur de tes espérances, et que tu partes. Lui avait-elle dit quelques minutes plus tôt, d'une voix presque éteinte. La grande défaite, pour lui, serait d'oublier ce qu'il était, et surtout ce qui l'avait fait crever, et de crever sans comprendre jamais à quel point il pouvait être vache. Mathilde avait eu des mots forts par le passé, et ne s'était jamais arrêtée de le surprendre. Ce soir elle recommençait à témoigner de sa grandeur d'âme en lui disant avoir peur de ne pas être à la hauteur de ses espérances, mais... - Si tu savais,... si tu savais, comme c'est moi qui craint de ne pas être de taille, que l'idée d'être gauche me terrifie. La voix était faible pour ne pas l'éveiller, une confidence surgie de ses songes, alors qu'il se remémorait leur chemin, ce passage accidenté qui les amena au temps présent où ils se confiaient jusqu'à leur faille.

Non. Non, tout n'était pas encore dit. Au plus profond de lui-même des mots attendaient encore d'être prononcés. Des mots et des sentiments que seule la voix de Mathilde parvenait à inspirer pour que dans le verbe ils puissent prendre corps. Vivement demain, quand elle se réveillerait. Si elle avait envie de voir la beauté du monde, elle qui lui dit en avoir besoin, alors c'est en Chevalier servant il l'emmènerait. Où qu'elle le souhaite. Il ignorait s'ils auraient le temps de se promener dans ces ruines colorées de fleurs ; après tout elle avait encore une missive à envoyer avant de reprendre son voyage pour Usson. Ça leur prendrait une bonne partie de la journée, mais plus tard, ils s'y rendraient sans doute... Ils s'y rendraient, bien qu'avant, peut-être devra-t-il entrer dans la boutique d'un joaillier.

Et tandis qu'au dehors l'apocalypse était mûre, s'égarant dans le lac de ses songes, il se sentait bercé par la respiration calme et profonde de Mathilde. Son souffle se glissant dans son cou, il retournait à la sérénité alors qu'ils s’affaissaient paisiblement dans leur cocon de douceur où, lentement, le veilleur se laissa aller au sommeil, sa joue finissant par se renverser sur le côté... A cette heure, quelques rares fenêtres étaient encore allumées dans les ruelles. Mais tout ce qui était intéressant se passait dans l’ombre, car au fond, il ne savait rien de la véritable histoire des gens.


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