Marbrume


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 A travers l'horreur et la folie

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Kryss l'OsseletSaltimbanque
Kryss l'Osselet



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MessageSujet: A travers l'horreur et la folie   A travers l'horreur et la folie EmptyVen 19 Juil 2019 - 14:06
A travers l'horreur et la folie Event_10

Dans les dédales des ruelles nauséabondes du quartier malfamé de Marbrume, en le sinistre Goulot surpeuplé des bas-fonds agonisant, les gens hurlaient, criaient, mais jamais ne s'arrêtaient de courir, fuyant la menace de la Fange gangréneuse s'étant infiltrée à l'intérieur de l'enceinte. Des enfants, bien mal fagotés, se précipitaient en groupes dans plusieurs directions contraires, désorientés qu'ils étaient, leur faciès teinté d'une déformation épouvantée. Et des mères, et des pères, terrifiés d'imaginer de ne plus jamais retrouver leur tendre progéniture en la foule désordonnée où le chaos régnait en suprême tyran, s'agglutinaient sur les corps défaillants et meurtris des résidents tombés, étouffant les uns, écrasant les autres, et dans les étroites allées pavées l'horreur siégeait.

Évitant tout cela, sillonnant faiblement les ruelles abandonnées à la frontière même du quartier reliant celle de la Milice, où rats et scolopendres folâtraient, Kryss l'Osselet serpentait en elles, aspirant à retrouver les siens ; les membres de sa petite troupe de monstres ; les « Macchabées ». Épuisé, attristé, le sang lui dégoulinant d'un filament visqueux le long de son bras droit quelque peu lacéré, non d'une morsure fangeuse mais d'une simple blessure d'une troupe d'individus se bousculant dans l'obscur noirceur d'une moitié de lune s'en venant et s'efforçant de brusquer les gens contre les murs craquelés des habitations afin de se frayer un chemin vers la démesure d'une folie commune.

Le bouffon squelettique n'était plus aussi joyeux qu'avant, ayant auparavant chéri la Fange pour avoir rameuté plus de public à ses spectacles horrifiques. Mais voilà maintenant qu'elle se retournait contre lui, jouissant d'une faille pour s'immiscer telle une maladie en la mêlée désorganisée, le séparant des siens d'un imprévu tragique. D'abord Cérène, qu'il rejeta pour son bien et, ensuite, quelques jours plus tard, les membres de sa troupe se perdant de vue en ce moment alarmant depuis la proclamation du nouveau Roi. Connaissant le quartier pour y avoir vécu toute sa vie, évita les émeutes et autres débandades violentes. Il avait un but bien précis, un endroit où aller où il pourrait, l'espérait-il, trouver refuge, mais fallait-il encore qu'il y arrive seul de son corps appauvri et de sa faible force. Il y arriverait, se le convainc-t-il, bien incapable d'accepter d'autres réalités en son esprit étriqué.

Ses pieds lui faisaient mal, lui qui aimait danser, chanter, conter et même déglutir les immondes choses qu'il ingurgitait, se voyait défaillir dans sa tâche de saltimbanque écervelé. Bien heureusement, il avait sa marotte avec lui, cette poupée embrochée dans ce bâton d'écorce morte. Elle l'encourageait à aller de l'avant et, mentalement instable qu'il était, l'écoutait, la portant à sa main gauche.


« J'ai peur, m'man..., s'adressa-t-il au pantin effrayant planté en sa verge avant de continuer. Je me perds dans mon propre royaume. Je ne sais plus où aller. Je veux juste les retrouver », en finit-il d'une mine tragique qui ne lui ressemblait pas.

Il resta silencieux en marchant de ses gambettes maigrelettes laissant ses os claquer entre eux et les grelots de son énorme chapeau vert tinter maladroitement, écoutant sa marotte lui parler tandis que s'écoulait l'essence écarlate le long de son bras déchiré.


« Sauver ? Sauver qui ? lui demanda-t-il avant de continuer. J'aimerai être plus fort pour protéger les miens. Tu le sais très bien, m'man », surenchérit-il en parlant à la poupée inerte aux membres écartés.

Le bouffon du roi continua sa route à travers une ruelle poisseuse où l'écho des hurlements de la populace se fit plus insistant, plus proche. Il regarda au fin fond de l'allée mais n'y vit que la noirceur avant qu'une larme, ou bien une goutte de sueur, ne tombe sur son épaule maigrichonne. Et relevant le visage, aperçut une jeune demoiselle sur un balcon fermé, y ayant certainement grimpé avec grande agilité. D'une chevelure blonde dorée et d'un regard azur perçant, elle avait dû l'escalader avec prouesse, en était-il sûr. Et regardant sa marotte le fixer sans un mot, lui promit de l'aider. Le visage levé au balcon à quelques mètres de là, sentant le sang s'écouler de son bras droit, l'interpella donc.


« Que faites-vous là, jeune intrépide grimpeuse ? lui demanda-t-il en reprenant de son ton théâtral d'une pointe d'assurance sans même attendre de réponse avant de reprendre aussitôt. Descendez donc, venez me rejoindre, je vous protégerai tant que je le peux », lui dit-il en regardant vers l'arrière par peur de Fangeux, le bras droit sanguinolent et la mine émanant quelques douleurs non réconfortantes, bien que forçant un certain sourire pour la rassurer de sa bienveillance.

Le maigrelet bouffon s'agenouilla, une rotule contre terre, sa blessure lui faisant mal, tellement mal. Il avait honte d'être ainsi, car d'habitude d'humeur festive et décadente. Mais joua le jeu, pour la faire rire, peut-être, ou bien se donner une dernière fois en spectacle en toute nostalgie.


« Je vous en prie, ne me forcez pas à partir en abandonnant une étrangère, je ne pourrai le supporter », en baissa-t-il la tête, espérant qu'elle daigne le faire.

Et dans un élan de burlesque, échappa un vers de ses timides forces.


« Demoiselle de courts cheveux,
De vos deux yeux azur glorieux,
Rejoignez-moi vers un meilleur lieu ! »


En sourit-il, un peu bête, un peu divaguant, un peu de tout et de rien, juste à trouver du support à supporter et à protéger, l'invitant à le rejoindre d'une main saignante et tendue en sa direction.


Dernière édition par Kryss l'Osselet le Dim 4 Aoû 2019 - 15:30, édité 2 fois
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Alaïs MarlotVoleuse
Alaïs Marlot



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MessageSujet: Re: A travers l'horreur et la folie   A travers l'horreur et la folie EmptyVen 19 Juil 2019 - 15:34
Les cris lui avaient glacé l’estomac. Son torchon lui avait échappé des mains et l’angoisse sourde, jamais très loin, tapie au fond de son être depuis que tout avait débuté, la reprit aussitôt, comme une amante furieuse et possessive, s’emparant de ses muscles, de ses poumons et de tout ce que sa tête gardait de raison. Elle oublia même jusqu’au lieu où elle se trouvait, abandonna toute pensée autre que celle de fuir, et fuir encore.

Cela recommençait. Et alors qu’elle s’engouffrait dans la rue, sans même avoir pris le temps de fermer les portes de la taverne, elle fut embarquée dans la marée humaine qui remontait vers le coeur de la ville, poursuivie par une horde de monstres assoiffés de sang et de mort, recrutant un peu plus pour la marée des morts à chaque minute qui passait, quand ce n’était pas les vivants eux-mêmes qui concouraient à leur perte, s’écrasant, s'étripant les uns les autres pour se frayer un passage plus rapide, pour tailler sa part de vie dans ce chaos mortel. Alaïs fut projetée contre un mur avec la force d’un troupeau furieux lancé à pleine vitesse, sa tête heurtant une pierre saillante.

Les yeux pleins d’étoiles qui n’avaient rien à voir avec le ciel, elle fut ainsi bringuebalée comme une balle, perdue et éperdue dans la nuée, privée de tous repères. Dans son esprit embrumé par la peur et la douleur, une pensée s’imprima avec la force d’un fer rouge jusque dans ses nerfs. Si tu restes là, tu vas mourir. Tu n’atteindras jamais le coeur de la ville. Il n’y a pas d’issue là bas, que la mort. Elle se revit avec son père, pressée contre les murailles de Marbrume, lors de leur exil. La sensation d’être prise dans un étau de chair et de pierre, dont la force était imprimée par la pression des Fangeux derrière l’épaisseur humaine. Non non, pas encore, pas cette fois.

Tout d’un coup, elle se sentit happée puis projetée, expulsée dans une ruelle étroite, une mince faille dans le flux furieux, gouttelette échappée malgré elle dans un boyau obscur et poisseux. Des grondements non loin faillirent avoir raison de ses jambes. Elle trébucha, encore étourdie, aussi maladroite qu’un chiot, les doigts glacés par la terreur glissant sur les murs à la recherche de quelque repère. Elle ne voyait rien, elle ne sentait que l’odeur fétide de la ruelle, la boue glissante sous ses pieds, et les cris inhumains qui se répercutaient entre les pierres dans toutes les directions. Elle tâtonna, aveugle et désespérée à la recherche d’une issue, et ses doigts rencontrèrent une saillie soudaine et impromptue entre deux pierres mal jointes d’une bâtisse qu’elle ne reconnaissait pas.

Alors, elle tourna son visage vers le ciel, et elle perçut la lueur d’une lune pâle qui l’observait, entourée d’étoiles, si tranquille et si calme. Elle voyait de nouveau ! Dans une impulsion soudaine, ses muscles la portèrent vers le haut, ses mains s’agrippèrent furieusement à chaque saillie, chaque faille dans la façade, s’éloignant du chaos et de l’étreinte mortelle de la foule. Elle parvint enfin à une corniche - ou ce qu’il lui semblait - et fut bien incapable de monter plus haut encore, bloquée par l’ombre du toit qui s’avançait, comme une excroissance de charpente malvenue. Elle s’y résigna, et se roula en boule sous son ombre, serrant ses genoux contre sa poitrine pour se faire oublier du monde, devenu l’instrument de la Mort.

Elle oublia le temps, l’espace, et même jusqu’à son propre nom. Elle n’était qu’un animal pétrifié, incapable de faire davantage que prier pour son salut. Et c’est ce qu’elle fit, maladroitement, fiévreusement. Serus, d’abord, par habitude de paysanne priant pour que la vie domine la mort. Rikni ensuite, dont elle admirait les représentations. Elle y voyait le visage paisible de la lune en ce moment même, et elle le trouvait bien cruel, de laisser les vivants se débattre dans une nuit sans fin. Apporte moi la force, protège moi de ton ombre… Fais moi un signe, n’importe quoi, dis moi quoi faire…

Et alors qu’elle priait avec la force du désespoir, ses pensées de plus en plus absurdes, elle fut tirée de cette torpeur fièvreuse par une voix en contrebas.

« Que faites-vous là, jeune intrépide grimpeuse ? Descendez donc, venez me rejoindre, je vous protégerai tant que je le peux. »

Était-ce un mirage, une farce ? Alaïs cligna des yeux, baissant le regard tout en restant agrippée à sa corniche, comme un chat coincé dans un arbre. Elle distinguait l’esquisse d’une coiffe étrange, dont l’éclat des grelots lui rappelait les étoiles qu’elle avait vues briller dans le ciel quelque temps plus tôt. Était-ce là le signe qu’elle attendait ? La voix semblait théâtrale, et presque mélancolique à ses oreilles.

« Je vous en prie, ne me forcez pas à partir en abandonnant une étrangère, je ne pourrai le supporter. »

Elle vit s’agenouiller ce drôle de fou au milieu de la rue, désertée en l’instant, présence incongrue dans le chaos qui se jouait au même moment. Comment pouvait-il sembler si calme dans cette nuit funeste ? Elle distingua néanmoins son regard vif se tourner vers l’arrière, un rappel succinct de la menace latente, immédiate. Mais il ne bougeait pas plus, pourtant, étendant un bras trop mince dans sa direction, comme un jouvenceau déclamant ses vers à une jeune créature avide d’être flattée.

« Demoiselle de courts cheveux,
De vos deux yeux azur glorieux,
Rejoignez-moi vers un meilleur lieu ! »


Elle ne distinguait pas même ses traits dans l’obscurité, et quand bien même elle n’avait aucune raison de lui faire confiance, quelque craquement sinistre provenant de l’intérieur de la maison la fit tressaillir assez pour lui faire comprendre que son maigre refuge se transformerait bientôt en piège funeste. Ni une, ni deux, elle bondit de son perchoir en quelques bonds agiles motivés par la peur et rejoignit la terre ferme qu’elle avait tant cherché à quitter quelques minutes plus tôt. Elle se trouva face à face avec cette créature étrange mi-spectre mi-poète. Et soudain, elle ressentit profondément qu’elle n’était plus seule. Il avait un visage et des yeux pour la voir et pour lui parler, des mains pour se tendre vers elle, et des jambes pour courir. Elle s’en remit à lui, dans cet instinct millénaire et grégaire que les hommes ont de se tenir ensemble pour faire face à l’adversité.

“Moi, c’est Alaïs. Mais mes amis m’appellent Al’.”
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Kryss l'OsseletSaltimbanque
Kryss l'Osselet



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MessageSujet: Re: A travers l'horreur et la folie   A travers l'horreur et la folie EmptyVen 19 Juil 2019 - 23:22
Affaibli, fatigué, il espérait tant qu'elle le rejoigne, pour lui, et surtout pour elle…, ou pour eux…, ne le savait-il pas finalement. Bien sûr que si, espèce d'égoïste, se dit-il. Mais la voilà bondissante de son piédestal, descendant le mur devant lui, tel un chat plein de souplesse. Elle se redressa, comme une féline apeurée mais aux réflexes entrainés, et se présenta tout simplement. Elle était si jeune, la peau affinée et le regard doux mais effrayé, ses lèvres fines implorées à la soutenir, et c'est ce qu'il ferait, du mieux qu'il pourrait, en tout cas. Grâce à elle, il avait retrouvé l'envie de se battre, une motivation à aller de l'avant et défier les intempéries. Elle était tombée à pic, le rattrapant alors que lui chutait dans les tréfonds, croyant avoir tout perdu.

Il en sourit, tout bêtement, se redressant devant elle. La féline garçonne était jeune et d'une étincelante espièglerie en son regard bleuté dissimulant une extraordinaire fougue. Si jeune, se disait-il, si jeune pour devoir endurer les souffrances présentes envahissant les rues traumatisées par l'effroyable Fange. Il en fut peiné, et puis s'efforça de croire qu'elle était forte, bien plus qu'elle ne le paraissait. Et s'en rendant compte, se jura de la protéger, car s'en voudrait s'il ne le faisait pas. Ou bien la protégerait-il ? Si faible qu'il était, qui sait…

Il en sourit brièvement, content de n'être plus seul, fit une légère révérence puis se présenta lui aussi.


« Kryss l'Osselet, Chef des Macchabées, saltimbanque des bas-quartiers et fou à lier, certainement, songea-t-il un peu tristounet avant de continuer. Et ma mère, un tantinet figée mais adorable, dit-il en exhibant sa marotte. Ayant perdu de vue mes macabres acolytes en cette terrible embardée, je m'en vais, à présent, vers un endroit plus sûr où nous serions, peut-être, en sécurité. Venez donc avec moi, jeune alpiniste ! Je connais les moindres ruelles de ce quartier ! » dit-il en chancelant, d'un pied à gauche, d'un pied à droite, perdant une certaine quantité de sang s'amoncelant, goutte par goutte, depuis son bras droit, sur le parterre de pavés ballants. Et son visage diaphane devint blanc comme neige.

Il inspira fortement, faible qu'il était, puis expira tel un soulagement, pour continuer.


« Vous avez eu l'intelligence d'arpenter ces vieilles ruelles bien peu rassurantes mais bien moins peuplées. Vous avez fait le bon choix, jeune acrobate ! » en sourit-il divaguant mais tant heureux d'être deux, avec elle. Ephémère rencontre, bien évidemment, mais le cœur soulagé en cet instant.

Il regarda à la gauche, puis à la droite, n'entendant que les proches hurlements des habitants se faisant dévorer par les monstruosités visqueuses. La longue ruelle où ils se trouvaient n'était que ruines abandonnées, mais d'une minute à l'autre risquerait d'être envahie par les créatures ténébreuses.

Le bouffon squelettique s'empara de la main de la jeune fille par les siennes, la serrant fortement, avec délicatesse, la marotte valdinguant et le sang giclant, s'engouffrant en son regard bleu océan, cherchant un brin d'espoir qu'il désirait trouver en lui.


« Nous voilà à mi-chemin de cet endroit sécurisé dont je vous ai parlé et devront traverser les dangers, mais deux routes s'offrent à nous, et ne sachant laquelle, vous le demande. »

Il regarda droit devant lui, puis à droite, vers un étroit passage de briques, lâcha sa main et continua, un peu perdu, un tantet déstabilisé, sinon trop, peut-être.

« L'une est visible et peuplée, risquant ainsi d'attirer les viles créatures cannibales, bien que plus rapide vers la destination promise, et l'autre, à notre droite, est parsemée de petites ruelles trop peu fréquentées pour attirer les Fangeux, bien que plus longue et crasseuse vers l'arrivée », lui proposa-t-il en vacillant de gauche à droite, tenant de sa main gauche sa marotte et de la droite laissant pendouiller son bras ensanglanté se vidant de son sang.

Il se ressaisit quelque peu, balançant sa tête, faisant tinter ses grelots, et continua.


« Maintenant que nous sommes amis, Al', tutoyons-nous ! » lui dit-il en offrant un certain sourire sincère à la jeune femme, un peu faiblard, certes, mais bien honnête, et tout bonnement respectueux de son petit sourire en coin un peu forcé pour apaiser les tensions.

Le jeune homme, un rien trop maigrichon, posa une main délicate, bien qu'un peu suintante de sa blessure, sur l'épaule de la jeune grimpeuse.


« Tout droit vers les allées peuplées ou à droite en direction des ruelles étroites ? » lui demanda-t-il comme un sérieux dilemme non assumé de sa part en perforant de son regard gris clair l'océan de lumière qu'elle lui arborait.


Dernière édition par Kryss l'Osselet le Dim 21 Juil 2019 - 3:20, édité 1 fois
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Alaïs MarlotVoleuse
Alaïs Marlot



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MessageSujet: Re: A travers l'horreur et la folie   A travers l'horreur et la folie EmptySam 20 Juil 2019 - 12:11
Et soudainement, l’étau se desserrait un peu sur ses entrailles. La présence du saltimbanque dans la rue, aussi étrange fut-il avec son énorme coiffe et son allure dégingandée lui redonnait souffle et vie, et le fou par son sang froid ou sa démence lui redonnait foi et raison. Elle sentait l’énergie pulser de nouveau dans ses veines, et elle rivait son regard au sien comme on lie sa destinée à un autre, avec un peu de naïveté et beaucoup d’espoir. Alors qu’il se présentait à elle de ses drôles de manières, qu’elle aurait trouvé charmantes si elle n’avait pas eu la peur de se faire dévorer - elle jeta un coup d’oeil à celle qu’il appelait sa mère et ne put s’empêcher de laisser échapper une petite répartie lancée dans un sourire en coin, pas méchante pour autant : “Elle a pas l’air dans son assiette ta mère !” et son regard glissa sur le jeune homme avant de se rendre compte que ce qui lui empoissait le bras, c’était du sang, et que les soupirs du jeune saltimbanque n’étaient pas que du théâtre.

Alaïs perdit son sourire, remuée de nouveau par l’inquiétude. Elle chassa promptement et fermement la pensée qui la taraudait comme une bête égoïste et lâche tapie au fond d’elle-même, qu’un de ces monstres l’avait peut être mordu lui aussi, dans la bataille. Elle n’osa pas même poser la question, et ne voulait pas non plus en connaître la réponse, finalement. Il aurait été trop cruel de lui envoyer ce secours, cette humanité, pour aussitôt les lui reprendre. Il chancelait néanmoins, et elle prit conscience du péril dans lequel il se trouvait lui aussi alors que ses prunelles grises tentaient de la faire sourire dans pareille tragédie. Aussitôt, elle étendit un bras pour le soutenir, ce frêle poète des rues, et sa finesse, le contact des os sous sa peau lui firent chavirer le coeur. Elle fourragea de sa main libre dans son corsage et en tira un long foulard coloré, son plus précieux trésor, une étoffe d’un bleu nuit, parsemé de petites étoiles brodées avec délicatesse.


Elle le gardait toujours sur elle et s’en servait parfois lorsqu’elle se produisait à l’improviste dans la rue pour capter le regard de la foule et glaner quelques pièces. C’était là l’héritage que lui avait légué sa mère - un héritage involontaire - mais un héritage tout de même. Et tandis qu’il la complimentait sur sa ruse qui ne lui venait que du hasard de la bousculade et de la panique qu’elle avait ressentie jusque là, elle vint ceindre sa blessure de son foulard - rendu à l’usage de bandage de fortune. “T’es blessé. Bouge pas. Là voilà. C’est rien du tout, et puis dis donc, ça te va drôlement bien ! Regarde un peu comme t'es beau ! ”. Elle écoutait à peine les options qui s’offraient à eux et elle essayait de le rassurer à son tour, maladroitement. S’il tombait en chemin, ils n’iraient pas loin. Lorsqu’elle sentit la pression de ses doigts sur ses mains, elle tourna de nouveau le regard vers lui. Non, il n’allait pas succomber là au milieu de la rue, alors qu’il venait de la sauver d’elle-même, alors qu’il venait de lui prêter un courage qui l’avait abandonnée.

L’heure n’était ni au doute ni au désarroi. Elle reprit contenance, affichant à la perfection ce petit sourire qu’elle savait mettre en oeuvre en toute occasion. Cette mine un brin gouailleuse qui ne laissait rien paraître de ses états-d’âme quand il le fallait. Elle le lui devait bien à Kryss, ce sauveur au nom qui lui faisait songer à ces fines lames dont elle avait oublié le nom mais qui n’en demeuraient pas moins affutées pour autant. Il était temps de partir, de survivre, et son esprit se remit en marche tout entier dans cet ultime objectif, le seul qui compta vraiment. Ils étaient unis dans l’infortune, les liens les plus solides que l’humanité connaisse, et elle trouva amusant qu’il évoque les convenances, alors même qu’elle tutoyait naturellement tout le monde. Il lui offrait même le choix du moyen par lequel ils survivraient, un choix lourd qu’il remettait entre ses mains, comme on choisit les cartes de son destin.

Alaïs n’était pas du genre à tergiverser. Il avait évoqué les Fangeux, elle préférait naturellement tout chemin, même plus long, qui l’en éloignerait. Elle espérait seulement qu’il aurait assez de forces pour le parcourir à son tour.

“Allons par la droite, alors, faut pas traîner, Kryss !” Ainsi leur destin en était-il scellé, et Alaïs passa son bras sous celui de ce compagnon qui ne lui était plus si étrange, maintenant qu’il avait un nom qu’elle pouvait prononcer et qu’elle avait posé son empreinte sur lui, d’une étoffe fine et dérisoire.

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Kryss l'OsseletSaltimbanque
Kryss l'Osselet



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MessageSujet: Re: A travers l'horreur et la folie   A travers l'horreur et la folie EmptySam 20 Juil 2019 - 16:19
Les deux fuyards s'engouffrèrent dans les putrides ruelles d'une Marbrume à l'agonie, et depuis quelques temps maintenant marchaient ensemble pour échapper aux créatures de l'insomnie. L'agile jeune femme soutenait le déluré gringalet en l'aidant à marcher, bras dessus, bras dessous. Il reprenait des forces depuis qu'elle pansa sa plaie sanglante d'un joli foulard bleu foncé orné de paillettes imitant la voûte céleste. Elle était apeurée, comme lui, mais comme lui s'amusait à l'humour pour distiller la peur, et ainsi se soutenaient mutuellement, et foulèrent des pieds les pavés brisés en les longues allées étroites aux relents nauséabonds s'échappant des crasseux égouts.

Quelques gouttelettes assiégèrent l'attention des survivants, et une fine pluie vint finalement embellir l'ambiance morose déjà trop présente. Des amas d'ordures, sur leur passage, suintèrent des odeurs ignobles en écoulant des jus de poubelle, tâchant leurs pieds éclaboussés tandis que les rats gambadaient sur les bords des murs. Et ils continuèrent ensemble, le saltimbanque et la féline, entre déchets et vermines, à marcher, chancelant parfois, manquant d'équilibre des fois, glissant d'un haut-le-cœur mais se ressaisissant toujours par instinct de survie.

Une bifurcation les entraîna dans une autre longue ruelle abandonnée d'où les pavés foulés s'enfonçaient dans une mélasse éclaboussant les pas. Et la respiration de Kryss fut plus insistante, serrant les dents, espérant y arriver, la sauver elle, et lui. Sans oublier sa marotte de mère balançant depuis sa poigne gauche, ne la lâchant aucunement en s'accrochant de l'autre à l'épaule de la jeune fougueuse.

Une silhouette se dessina à quelques mètres devant eux, allongée sur le trottoir humide d'une eau mi-brunâtre mi-jaunâtre. Un corps sans vie gisait, un vieil homme barbu, semblait-il. Kryss se détacha d'Alaïs, s'approcha du cadavre repoussant d'horribles émanations, tant que le bouffon squelettique dut détourner quelques fois son visage pour ne pas en vomir. Il le palpa, il était bien mort, mais le doute lui venant quand, à travers l'averse grandissante, aperçut une joue bleue trembloter. Son doigt effleura le visage froid et de sa bouche en sortit une ribambelle de cafards ayant fait leur nid. Le maigrelet déluré se redressa aussitôt et mélangea le gris clair de son regard en le bel horizon bleuté de la fille devant lui.


« Un sans-abri, en soupira-t-il. Il est là depuis plusieurs jours, mais rien à voir avec les Fangeux ! lui dit-il un peu soulagé avant d'en hausser les épaules. Bienvenue au Goulot ! suivit-il en essayant de garder un semblant d'humour pour y alimenter de positivité mal placée sa compagne du soir, aspirant à revoir l'un de ses petits sourires qu'elle semblait maitriser à la perfection. Continuons. »

L'ondée devint averse, et les gouttes d'énormes billes glacées se fracassant sur eux, se brisant sur le sol fissuré, dérangeant les rampants et autres scolopendres aux mille pattes serpentant les murs, excitant les rats et épuisant les deux fuyards aux pas de plus en plus lourds. Les hurlements des habitants se noyèrent en le vacarme de la tombée. Dans les rues parallèles, des corps gisaient certainement par dizaine avant de se relever ; des femmes et des enfants, des jeunes et des vieillards, mordus et entraînés pour l'éternité à chasser la chair humaine. Des pleurs et des cris d'enfants, des gémissement de mères épouvantées, et bien évidemment les rugissements des Fangeux hurlant leur rage inexpliquée. Oui, le fou aux grelots et la féline chatte avaient bien fait d'arpenter les ruelles étranglées entre les habitations.

Kryss, s'accrochant à l'épaule d'Alaïs, les firent bifurquer dans un passage tout petit avant qu'ils n'arrivent devant une pièce ouverte au toit défiguré par le temps d'où les eaux déferlantes dégringolaient. La salle en plein air était parsemée de latrines en ruines débordantes, évacuant de la vase jaune et visqueuse, brune et flasque par moment, formant une mare immonde. Ainsi, ils arrêtèrent leurs pas devant l'étendue liquide aux odeurs infectes.

« Nous devons traverser ça…, et de l'autre côté, si je ne me trompe, arriverons en une vieille chapelle, et bientôt nous y serons. »

La marée d'excréments racla leurs pieds, imbibant d'urines et de morceaux gélatineux les mollets des deux acolytes par les éclaboussures.

« C'est un peu dégueu…, certes », lâcha-t-il d'une douce ironie à Alaïs, formant un léger sourire en coin en plongeant un regard taquin en le sien, la laissant faire le premier pas.


Dernière édition par Kryss l'Osselet le Dim 21 Juil 2019 - 3:20, édité 1 fois
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Alaïs MarlotVoleuse
Alaïs Marlot



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MessageSujet: Re: A travers l'horreur et la folie   A travers l'horreur et la folie EmptySam 20 Juil 2019 - 16:54
Alaïs s’était laissée entrainer dans cette valse titubante de deux ivrognes sans ébriété au travers des ruelles nauséabondes de ce quartier qu’elle ne connaissait que si peu, et qui lui semblait prendre toujours plus des allures de cauchemar sous la pluie et dans les cris inhumains qui se répercutaient contre les murs. Elle se fit la réflexion qu’elle aussi, elle devenait l’un de ces rats grouillants, prise dans un labyrinthe inextricable dans une nuit sans fin. Mais Kryss était là, et la pression de sa main sur son épaule lui rappelait qu’ils étaient en vie et continuaient de se débattre dans ce marasme impossible

Quand il s’arrêta pour approcher le cadavre en bordure de chemin, elle faillit le retenir, s'agrippant faiblement du bout des doigts à sa tunique, comme une enfant perdue sans le contact de sa mère, mais elle se reprit et le laissa filer en avant, osant se pencher sur les remugles de chairs en décomposition. Lorsqu’elle le vit marquer un arrêt, son coeur fit quelques embardées supplémentaires dans sa poitrine et elle se saisit vivement de la dague de mauvaise facture qu’elle gardait dans sa botte, se rappelant soudain à son existence - au cas où le mort aurait eu l’idée incongrue de se relever pour leur dévorer les entrailles. Mais il n’en fit rien, et le prince des rues se releva pour l’inciter à continuer.

Elle gardait néanmoins fermement son petit dard tranchant de son autre main, et continua leur périple épuisant cahin caha, sans se soucier d’autre chose que leur destination et le rythme de leurs pas dans la boue épaisse qui les engloutissait peu à peu. Il s’enfonçaient dans des boyaux de plus en plus étroits où Kryss semblait se mouvoir à la perfection et elle s’en remettait à lui, privée du repère du ciel obscurci par la pluie et les toits si serrés qu’ils semblaient se rejoindre entre eux. Qu’il serait bon de courir plutôt là-haut, sur les tuiles, loin de la boue et tout près des étoiles ! Mais elle fut vite tirée de cette pensée futile par les haut le coeur que lui procuraient les lieux qu’ils traversaient. L’eau diluait toute la crasse, révélait les vérités d’une réalité crue. Sous l’eau, nul mensonge ni nul moyen de se cacher. Ses vêtements eux-mêmes se plaquaient contre sa silhouette ciselée mais fragile. Ses cheveux se plaquaient sur ses joues, réveillant la douleur à l’arrière de son crâne que l’adrénaline lui avait fait oublier.

Mais au diable la souffrance, ils auraient bien le temps de se morfondre et de lécher leurs plaies lorsqu’ils seraient à l’abri et en vie. Une épreuve encore les attendait, ce cloaque débordant et d’une inquiétante opacité, comme une énième moquerie du destin. Iras-tu te rouler jusque dans la fange pour survivre ? Alaïs eut un sourire presque ironique et remonta sa chemise sur son nez. Bien sûr qu’elle se roulerait dans la fange pour survivre, avec joie, même. Esquissant une révérence gracieuse devant le saltimbanque, le visage à demi caché par le tissu détrempé de sa chemise, elle esquissa un pas de côté avant de se lancer.

“Eh bien, quand il le faut… Si Môsieur du Goulot veut bien se donner la peine !"

Et sans plus attendre, jetant un coup d’oeil derrière eux, elle pataugea gracieusement à travers les excréments et autres joyeuses remontées des latrines, bondissant comme elle pouvait de droite et de gauche pour s’épargner du pire, entraînant son comparse dans cette danse oublieuse des convenances.
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MessageSujet: Re: A travers l'horreur et la folie   A travers l'horreur et la folie EmptyDim 21 Juil 2019 - 0:59
Intrépide jeune demoiselle, songea-t-il tandis qu'elle l'entraîna dans l'horrible pataugeoire illuminée des percées luminescentes d'une lune ombragée par les nuages noirs déversant leurs larmes sur la Cité.

Chacun de leur pas remuait la mélasse répugnante et liquide, soulevant une boue malodorante et glissante, s'imprégnant en leur chaussure, entre leurs doigts de pieds, jusqu'à leurs tristes narines devant en supporter la fragrance sublime des déjections du bas peuple. Essayant de n'en respirer que rarement l'air, durent abdiquer face à l'infâme parfum. Ne parlant pas, elle le soutenait de sa frêle carrure, et lui, pire qu'elle, s'en voulait de lui faire endurer son ridicule poids.


« C'est juste un mauvais moment à passer… », prononça-t-il pour les rassurer, bien que profondément en lui se disait sarcastiquement que tous les moments étaient mauvais depuis leur arrivée, à ces redoutables créatures des marécages.

L'endroit était sinistre, les briques fissurées de tous les côtés, la toiture ballante à certains endroits et d'autres où des trous béants laissaient filtrer la pluie intense, une rangée de latrines à gauche, une vingtaine peut-être, et d'autres à droite coupées de lavabos. Les piliers du bâtiment moisi ne semblait que bien mal rassurant. En somme, un lieu de défécation public toujours utilisé mais bien abandonné des autorités. Le Goulot dans toute sa splendeur.

A deux, ils continuèrent, traînant des pieds pour ne pas heurter un rebord risquant de les faire chuter, et les gouttes venant du sombre ciel se brisaient autour d'eux de clapotis sonores assourdissants, mais mieux valait ça que les Fangeux. Mais à trop y penser, le bouffon du roi éleva la tête, en alerte. Quelque chose s'était introduite également en la grande salle. Et d'un soubresaut terrifiant poussa avec lui Alaïs contre un crade muret, la plaquant contre celui-ci avant de tomber ensemble dans la flotte ignoble. Assis dans l'eau, tous deux se figèrent quand Kryss déposa la paume de sa main sur les fines lèvres chaudes et rosées de la jeune fille. Sa respiration était saccadée et irrégulièrement décadente, les yeux grands ouverts, inspectant la pièce plongée en la pénombre.

Au milieu des latrines, de terrifiants grognements se firent entendre, des reniflements incessants provenant d'un cadavérique corps en décomposition toujours animé. L'abomination marchait, ramassant quelques excréments compacts avant d'y goûter pour ensuite les rejeter écœurée. La bave à ses commissures, les dents noirâtres bien en évidence, le Fangeux égaré sillonnait l'endroit, affamé qu'il était. Ce n'était pas l'une des pauvres personnes en les ruelles car le corps bien trop amoché, il était de ces créatures venant de l'extérieur, la peau en lambeaux, la chair noircie et le sang flasque.

Kryss bascula sa tête, l'appuya contre celle de sa compagne en retirant sa main de sa bouche et souffla très discrètement à son oreille.


« Il va nous sentir… », lui dit-il sans autre explication avant de lui afficher une mine désolée en la badigeonnant le visage du pestilentiel liquide.

Le saltimbanque macabre en fit de même, ainsi qu'à sa marotte, se recouvrant le corps des excréments pour camoufler son odeur de viande fraîche et se mouvoir en l'abject habitacle dans lequel ils se trouvaient coincés avec l'une des monstruosités. Et les voilà maintenant recouverts de matières fécales, assis dans un coin de la salle, aspirant passer inaperçu à l'être répugnant gambadant à quelques mètres d'eux. Le maigrelet fripon prit la main d'Alaïs et la porta à sa poitrine où battait affolement son cœur.
Moi aussi, j'ai peur, voulait-il lui dire, n'ayant jamais vu de Fangeux auparavant. Et la regardant dans le blanc des yeux lui fit un de ces petits sourires en coin, comme à lui dire, avec humour, que tout irait bien, comme d'habitude.

Quand la bête s'éloigna de l'autre côté de la pièce inondée, le saltimbanque macabre, d'un soulagement trop brusque, baissa la tête, ce qui fit tinter les trois grelots de son grand chapeau. A cela, le Fangeux s'en retourna immédiatement d'un grognement à en glacer le sang, fixant la noirceur devant lui, sans pour autant percevoir les deux rescapés accolés.

Le bouffon grimaça nerveusement, se voulant de se pendre en cet instant, quelque peu furieux de sa maladresse tandis que la créature se rapprochait bientôt d'eux.

« Il va falloir courir… », lui susurra-t-il en observant l'ombre menaçante aux gestes désarticulés s'approcher davantage en leur direction.

Le drôle de déluré regarda autour de lui et aperçut à côté d'Alaïs un morceau de brique flotter de moitié. L'artiste des rues lui fit comprendre par quelques regards furtifs de s'en emparer et de la jeter au plus loin d'eux en guise de diversion, ce qui leur laisserait, sait-on jamais, un espoir de fuir.

« A trois… », murmura-t-il d'un souffle chaud, la tête collée contre la sienne.

A un, elle devrait s'approprier la brique, à deux prendre l'élan pour la lancer, et à trois dévier l'attention du Fangeux par l'impact avant de déguerpir comme des forcenés. Le plan parfait, bien que sans aucune garantie, bien au contraire. Alors décomptant de ses doigts, Kryss lui sourit une dernière fois.
Tout ira bien…, comme d'habitude, lui dit-il en silence d'une baboue maladroite.

Et un…, et deux…, et trois…
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MessageSujet: Re: A travers l'horreur et la folie   A travers l'horreur et la folie EmptyDim 21 Juil 2019 - 12:43
Un… Deux… Trois. C’était tout ce qu’il fallait. C’était tout ce qu’il restait. Trois petits pas de danse, trois respirations saccadées, trois petits grelots maudits dans la nuit. Elle avait failli défaillir en entendant, comme lui, les grognements inhumains de la bête. Elle avait senti un instant qu’elle allait manquer du courage le plus élémentaire. C’était stupide, complètement absurde. Tout ce chemin parcouru ensemble, à deux pas de leur refuge, pour finir ainsi dans une latrine malodorante. Elle n’avait certes pas rêvé d’un tel destin.

Ironiquement, elle aurait voulu se fondre dans les excréments, disparaître. Elle n’avait pas rechigné quand Kryss - tout en rivant son regard au sien - avait recouvert sa peau des remugles les plus abjects de l’humanité. Elle se serait changée en cafard pour se faire oublier de la monstrueuse créature. Il avait inutilement recouvert sa bouche de sa main, car elle était bien incapable d’émettre le moindre son, elle ne sentait que sa poitrine trop étroite pour contenir les battements frénétiques de son coeur. Ses yeux agrandis de terreur, elle cherchait une issue dans le regard gris de son compagnon d’infortune.

Allait-il la sauver encore ? Alors qu’il déplaçait sa main sur sa poitrine à lui, elle sentit le battement frénétique contre ses côtes, à l’unisson de son propre coeur. Lui aussi il avait peur, son fier chevalier des rues. Ce soir, les héros étaient aux abonnés absents. Il n’y avait que des hommes terrifiés face à l’impensable. Etrangement, cette pensée la réconforta. Au moins, s’ils devaient mourir, ils ne seraient pas seuls. Ils ne seraient pas engloutis sous la marée d’un troupeau aveugle... Elle serra la main si fine de Kryss entre ses doigts gourds. Trois petits grelots maudits. Et le destin qui se riait du fou, et se riait d’elle, qui l’avait suivi.

Et voilà que Kryss remettait leur destin entre ses mains, une nouvelle fois. Elle avait compris aussitôt qu’elle avait aperçu cette pierre, non loin d’elle. Fallait-il qu’elle soit de son côté, cette foutue pierre. Elle ne voulait pas être celle qui les condamnerait si elle échouait. D’un coup, elle revit de vertes contrées, un jour d’été. Le cri des enfants au milieu des pommiers. Si je te touche, c’est toi le chat ! Chat, chat, chat perché. Et de lancer de petites pommes trop vertes tombées trop tôt sur ses camarades. Oh bien sûr, ça faisait toujours un peu mal et parfois on visait les yeux sans le vouloir.

Elle était forte à ce jeu-là. Mais cette nuit, nul arbre où grimper, nul enfant nimbé de soleil à capturer de ses projectiles. Le jeu était bien trop réel, bien trop cruel. Mais c’était tout de même un jeu, pas vrai ? Elle étira un sourire tremblant à son valeureux chevalier d’une nuit. Des larmes de terreur perlaient malgré elle au coin de ses yeux, lui brouillant un peu la vue. Mais il lui fallait toute son acuité en ce moment fatidique, tandis que ses doigts s’agrippaient à cette pierre rugueuse qui pesait si lourd au bout de son bras.

Elle fixa le saltimbanque comme pour y puiser son courage, tandis qu’elle aussi comptait silencieusement dans sa tête. Et elle lui colla son poignard ridicule entre les doigts. Si elle échouait, ce serait à lui de transpercer l’oeil de la bête, comme les nobles chevaliers d’antan perçant la peau du dragon, comme dans les contes que lui racontait son père au coin du feu, pour qu’elle s’endorme. Elle était prête à jouer son rôle dans l’histoire, prendre part à la légende, celle qu’on garde en soi, raffermissant sa prise, bandant ses muscles fins pour le moment fatidique. Elle capta l’éclat des grelots un moment avant de lancer son projectile. Elle s’excusa d’avance. Pardon, pardon, valeureux prince des rues. Elle empoigna la coiffe d’un geste vif, arrachant probablement quelques sanglots outrés à la noble couronne.

Il ne servirait à rien de courir si ces grelots étaient incapables de se taire dans la nuit, lorsqu’il faudrait garder la bête loin d’eux. Toute guerre réclame des sacrifices et les héros ne se trouvent pas toujours où l’on croit.

Trois petits tours et puis s’en vont. Elle jette la pierre et la coiffe du bouffon ensemble, comme on lance les dés de son destin, avec force et précision. Elle y jette un peu de son âme, Alaïs, la petite paysanne qui voyait trop grand. Vole vole vole jolie couronne. Et les grelots filent dans l’air, sous le nez de la bête, allant s’échouer loin d’eux dans l’obscurité. A peine la couronne a-t-elle joué sa partie dans un bruit d’éclaboussure peu ragoûtant, que la jeune fille empoigne Kryss de sa main redevenue libre et l'entraîne aussitôt hors de leur piège, en direction du refuge qu’il lui avait indiqué plus tôt.

Elle ne se retourne pas, Alaïs. Nul besoin de regarder la mort dans les yeux pour savoir qu’elle existe.
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MessageSujet: Re: A travers l'horreur et la folie   A travers l'horreur et la folie EmptyLun 22 Juil 2019 - 2:35
Tout alla très vite, et le jeune homme, un tantet déséquilibré, suivit la poigne ferme de la demoiselle furtive l'obligeant à se relever et s'en aller. Leur course folle les extirpa des latrines putrides, sous le regard circonspect du maigrichon bouffon. Leurs pieds éclaboussèrent de longues traînées de misères avant de sortir du bâtiment hanté de la créature décomposée ne les ayant entendu grâce au lancer sublime d'Alaïs.

Sprintant ainsi, main dans la main, abandonnèrent le lieu nauséabond et s'infiltrèrent en le cimetière de la vieille chapelle abandonnée du quartier. Le garçon, un peu désorienté, arrêta leur fuite en se détachant de l'emprise de la folle jeune intrépide. Stoppant ainsi entre deux tombes aux inscriptions illisibles par l'érosion sous cette pluie battante. De son regard brumeux la fixa intensément, le visage indécis, perturbé plus qu'autre chose en lâchant finalement ce qui le rendait fou.


« T'as balancé mon chapeau ! » lui lança-t-il d'une mine exaspérée en lui rendant son vieux couteau rouillé.

Il regarda en arrière vers le bâtiment moisi qu'ils venaient de quitter, hésitant à aller le récupérer mais finalement s'y résigna d'une sévérité décontenancée.


« Vile espiègle ! », échappa-t-il en palpant ses courts cheveux à teinte pourpre.

Au loin, l'écho des rugissements glaçant de la créature les interpellèrent, comprenant avoir été bernée, et les invitant à revenir en les lugubres urinoirs.


« D'accord, je le récupérerai plus tard… », accepta le bouffon malmené en soupirant, dévisageant sa fougueuse compagne, ronchon qu'il devint.

Le saltimbanque reprit le main de la divine féline et les fit contourner la chapelle en ruine, abri des pires criminels, traversant l'étendue des tombes. Le fait est qu'il était connu des lieux pour avoir aidé de nombreux fuyards à s'y réfugier, mais mieux ne valait les déranger. Et quittant ensemble la terre des morts, s'engouffrèrent de nouveau en une ruelle, la longeant de tout son long avant de s'y extirper, s'en dégageant vers une rue plus imposante où y prônait un bâtiment important du Goulot qu'il connaissait bien. Le fameux refuge dont il avait parlé.

« Nous y voilà enfin ! », lui dit-il pour la rassurer, enserrant sa main dans la sienne.

L'averse ténébreuse les avait quelque peu essuyé des infectes substances les recouvrant depuis les vieilles latrines abandonnées, bien qu'une odeur leur collant à la peau. Trop peut-être. Et le gringalet fou à lier frappa fort contre l'imposante porte en bois du bordel nommé « L’Écumeuse » avant qu'une vieille femme leur ouvrit. Toute ridée qu'elle était élargit un large sourire à la vision du guignol qu'elle aimait.

« Kryss ! Mon chou ! lâcha-t-elle en l'enlaçant dans ses bras fripés. Mais où donc est ton chapeau ? lui demanda-t-elle comme s'il avait perdu son identité.
— Elle l'a balancée, chère mère ! lui répondit le sacré fripon en lançant quelques regards furtifs et accusateurs en la direction d'Alaïs à côté de lui.
— Il va falloir le récupérer ! Mais j'aime à penser qu'elle l'a certainement fait pour ton bien ! » en conclut-elle en les laissant rentrer dans le bordel infesté de prostituées et autres survivant s'y étant abrités.

Les deux jeunes aventuriers entrèrent ainsi, la grande pièce était élégamment raffinée, un superbe lustre en cristal à son sommet, d'impressionnants escaliers menant aux chambres et un salon gigantesque parsemé de fauteuils et divans invitant à la relaxation. Mais la populace à l'intérieur s'avérait être effrayée, ne trouvant d'autre lieu pour se cacher, femmes et enfants, maris et grands-mères.

Kryss présenta sa compagne du soir à sa mère de substitution d'un naturel tout simplement enfantin et dérisoire.


« Alaïs, je te présente Eurya, ma mère d'adoption. Bien différente de ma marotte, mais aussi tendre. Bien que moins sévère…, finit-il en fixant la poupée plantée au bois qu'il tenait de sa main gauche semblant lui parler. Mais m'man, je rigolais ! Ne t'énerve pas ainsi, s'il te plaît ! la supplia-t-il. Oui, bon… d'accord…, s'essouffla-t-il avant de s'excuser. Pardon…, prononça-t-il d'un ton bougonnant au pantin inerte. Quoi ? Mon chapeau ? Mais c'est elle, c'est de sa faute, m'man ! Elle l'a jeté ! » en finit le bougon chenapan d'un regard chapardeur, comme un bambin se faisant gronder.

Devant ce pathétique spectacle, la vieille catin à la longue robe rouge dentelée s'approcha d'Alaïs pour la réconforter.


« Pardonne-lui, jolie perle, il est un peu schizophrène, mais tout à fait adorable quand il le veut, lui dit-elle avant de se présenter officiellement. Je me nomme Eurya, mère adoptive du sacré brigand t'ayant emmenée jusqu'ici. Sois donc rassurée, te voilà en sécurité. »

Et tandis que Kryss discutait avec sa marotte, Eurya s'en approcha, examinant de plus prés les deux nouveaux venus.

« Vous empestez ! C'est ignoble ! »

Kryss coupa court sa discussion avec la poupée et y répondit.


« Une petite odeur d'excrément ? demanda-t-il ironiquement.
— C'est ça ! en rigola Eurya pour l'embêter.
— Simple détour en les latrines arrières !
— Celles de la vieille chapelle ? Par la Sainte Trinité ! Pauvres enfants, allez donc vous laver ! »

Le maigrelet bouffon acquiesça d'un hochement de la tête et emmena sa nouvelle compagne au premier étage.

« Une chambre…, deux chambres…, trois chambres…, voilà ! en termina-t-il en ouvrant la porte grinçante vers la salle de bain. Une douche, bien qu'un peu sommaire et froide mais revigorante ! Prends donc ton temps, je t'attendrai en bas ! Et nous discuterons tranquillement pour mieux nous connaître », lui sourit-il avant de la laisser seule.


Dernière édition par Kryss l'Osselet le Lun 22 Juil 2019 - 15:09, édité 5 fois
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MessageSujet: Re: A travers l'horreur et la folie   A travers l'horreur et la folie EmptyLun 22 Juil 2019 - 11:28
Et ils avaient donc couru. Encore et encore, dans une course folle. Alaïs ne sentait plus ni la pluie, ni le froid, ni l’épuisement dans toutes les fibres de son corps, juste ce besoin impérieux de vivre encore, même pour quelques minutes de plus, même pour rien. La bête avait rugi d’être bernée, mais finalement trop égarée pour les suivre. Kryss les avait entrainés jusqu’à un cimetière, vestige d’un temps trop lointain où les morts restaient tranquilles, allongés paisiblement dans leur dernière couche. Allaient-ils se cacher là ? Alaïs eut cette pensée stupide lorsque Kryss s’arrêta pour reprendre haleine. Au lieu de quoi, il sembla seulement se rendre compte de la perte de sa divine couronne, qu’elle lui avait arrachée quelques instants plus tôt pour leur propre salut.

Elle le dévisagea alors qu’il lui en faisait reproche, tout décontenancé qu’il était d’avoir perdu cette excroissance devenue naturelle chez lui. Et il semblait bien frêle tout à coup, bien plus encore, sans cette exubérante protubérance. Il en était presque plus fragile, comme vulnérable, et elle sentit monter en elle un vague remord, une honteuse culpabilité de ce qu’elle avait dû sacrifier pour distraire la monstruosité. Elle n’osait penser à ce qui devait en rester, de cette magnifique couronne de velours, sous les griffes vengeresses du Dévoreur. Elle chercha quelques mots maladroits pour se justifier d’avoir agi ainsi, le coeur serré mais néanmoins résolu à ne pas faire un pas en arrière pour s’en aller sauver la victime sacrificielle des griffes de la monstruosité.

“Je… Il le fallait, Kryss ! La bête nous aurait suivis à la trace avec le vacarme que tu faisais ! Et puis ça a marché non ?”

Elle crut un instant qu’il allait y retourner, fou qu’il était, et elle se serait jetée sur lui pour l’en empêcher, s’il l’avait fallu. Au lieu de quoi, il lui rendit sa dague en piteux état, qu’elle s’empressa de ranger, de peur qu’il ne lui retourne autrement, dans un élan de dépit, qui sait ? Et il l'entraîna de nouveau, bougon, vers son refuge. Elle ne pipait mot, comme une gamine prise en faute, mais aussi parce que ses forces étaient bel et bien en train de l’abandonner. Il y a des limites à ce que le corps et l’esprit humains peuvent endurer. Et Alaïs arrivait au bout de ses ressources. Si une autre de ces créatures surgissait au détour d’une rue, nul doute qu’elle n’aurait plus l’énergie pour lui échapper, cette fois.

Mais le prince des rues ne lâcha pas sa main, qu’il gardait dans la sienne, preuve qu’il n’était pas si rancunier qu’elle aurait pu le croire et abattit soudain sa main sur la porte d’un établissement qu’elle n’avait jamais vu. Elle se fit la réflexion qu’elle connaissait bien peu de choses à cette ville, cantonnée à quelques rues familières où elle trafiquait, travaillait et dormait, sans jamais s’éloigner trop des repères de son quotidien. Et quelle ne fut pas sa surprise en découvrant qu’il s’agissait d’un lupanar, et pas des plus modestes ! Alaïs ne se serait probablement jamais risquée jusqu’à un tel endroit, en des circonstances plus banales. Mais plus rien n’avait de banal ou même de normal en ces temps troublés. Et le sourire de la vieille femme qui leur ouvrit lui réchauffa soudain les entrailles aussi sûrement qu’un feu de cheminée au coeur d’un hiver glacial.

Ils étaient saufs. Saufs. Elle se laissa introduire dans ce lieu de débauche devenu refuge pour tout un quartier dans un état d’hébétement total, se laissant faire avec une indolente docilité. Elle sourit mécaniquement à la femme qui l’accueillait, laissant Kryss débattre avec cette affreuse effigie maternelle, réceptacle du trop plein de son âme et de sa conscience. Alaïs ne s’en formalisait pas vraiment. Elle aussi parlait à sa poupée de chiffon, lorsqu’elle était petite, s’inventant des conversations à n’en plus finir. Ca ne lui avait jamais semblé si bizarre que ça. Que Kryss continue de le faire à son âge - qu’elle peinait à deviner du reste - ne lui paraissait pas la chose la plus folle qu’elle ait vue ces jours-ci. Les mots d’Eurya lui parvenaient néanmoins avec difficulté, mais Alaïs ne se départissait pas de son sourire, mettant un point d’honneur à se montrer reconnaissante et polie, comme son père lui avait appris.

“Moi c’est Alaïs. Mais mes amis m’appellent Al”.’

Elle reprenait sa rengaine comme un automate cassé, serrant la main de cette aimable bougresse qui venait si naturellement les tenir loin de la mort et du danger qui rôdait dehors. Elle observait les visages de tous ces malheureux entassés là entre les coussins et les décorations somptueuses de cette maison de plaisirs. Quel contraste étonnant… Et ses pensées s’arrêtèrent là, elle se sentait incapable de formuler plus d’une idée cohérente à la fois et n’essayait même pas. Il valait peut être mieux pour son intégrité mentale en rester à cet état d’abrutissement où tout semblait nager dans un marasme profond teinté d’apathie. Elle se laissa mener par Kryss jusqu’au premier étage, notant à peine le lustre de cristal et toutes ces richesses qu’elle n’avait jamais eu l’occasion d’approcher de si près dans sa jeune vie.

Elle eut un sursaut lorsqu’il s’arrêta devant une porte et lui lâcha la main. Elle sentit ses yeux s’agrandir d’effroi, mais se reprit très vite, ravalant une pleurnicherie d’enfant terrorisé qui aurait eu l’air bien pitoyable aux yeux du saltimbanque. Il avait dû traverser bien pire, lui, il le fallait certainement pour survivre dans un tel quartier. Et elle eut un sursaut de fierté ou de dignité mal placée, tâchant de se montrer à la hauteur du courage d’un tel compagnon. Elle pénétra donc dans ce lieu étrange qu’il avait nommé “salle de bain”, et écarquilla les yeux en découvrant un plein baquet d’eau froide dont la clarté lui semblait tout à fait prometteuse.

Elle n’osa pas jeter un coup d’oeil au miroir de côté, de peur d’y croiser son reflet et se débarrassa vivement de tous ses vêtements comme s’ils étaient soudain remplis de bestioles grouillantes. Elle empestait, c’était la stricte vérité. Mais plus encore, elle avait la sensation d’avoir été marquée par la proximité avec la bête, comme si désormais, elles étaient reliées par un fil invisible et persistant. La bête l’avait vue et elle avait vu la bête. Et jamais elle ne pourrait se départir de cette vision cauchemardesque, aussi sûrement que si la monstruosité avait planté ses dents noirâtres dans sa chair. Cela ne faisait-il pas d’elle une morte en sursis ?

Elle s’ébroua à cette pensée pas si absurde, et attrapa une brosse et un savon gras qui l’attendaient sagement. Elle trébucha jusqu’au baquet, aussi maladroite qu’un vieillard, et s’enfonça péniblement dans l’eau glacée. Ce fut comme une violente claque au visage, une révélation de tout son être jusque là endormi. Comme la brusque étreinte d’une cascade au printemps, lorsque les premières chaleurs arrivaient et que les gamins du village se précipitaient sous l’eau en poussant des cris d’orfraie. Ne va donc pas attraper la mort, Alaïs, un coup de froid sur les poumons est trop vite arrivé ! Elle sourit en entendant les remontrances de son père, comme un lointain écho du passé. Un rire hystérique lui échappa même, gloussement incongru à l’idée que désormais c’était la mort qui pouvait l’attraper et pas l’inverse.

Et elle frotta, frotta, à s’en arracher la peau, qui ne tarda pas à rougir, lui arrachant un cri, lorsqu’elle atteint les meurtrissures qu’elle avait gagnées dans la mêlée. Une douleur aiguë se rappela à elle à l’arrière de son crâne, et du bout de ses doigts, elle toucha une grosse bosse qui se formait là, encroutée de sang coagulé dans ses cheveux emmêlés. Un gémissement s’échappa de ses lèvres serrées qui se mua soudain en hoquet puis en une succession de sanglots impossibles à réfréner. Son corps entier fut pris d’une convulsion atroce, et il n’y eut plus moyen d’arrêter le flot irrépressible qui se déversait d’elle. Des larmes brûlantes se répandirent sur son visage glacé, comme l’eau qui se déversait du ciel pour s’infiltrer dans toutes les rigoles de la ville, débordante, sauvage, impétueuse.

Alaïs n’en pouvait plus de pleurer, incapable de respirer, serrant son corps frêle entre ses bras, tout en se balançant d’avant en arrière. Et l’eau de ses larmes se mélangeait avec celle du baquet, se noyant dans cette immensité dans un myriade de sentiments confus. La terreur qui se mêlait au soulagement d’être en vie, la culpabilité d’être là alors qu’elle avait abandonné son père, l’amertume de ses choix, alors qu’elle se croyait en sécurité à Marbrume, cruelle désillusion, et cet avenir bouché, comme une nuit sans étoile, ce grand découragement, cet épuisement total et absolu dont elle n’était pas sûre qu’elle se relèverait un jour. Elle avait soudain envie d’hurler, et c’est ce qu’elle fit, s’enfonçant sous la surface de l’eau, dans un grand cri muet, un concerto de bulles.

Quand l’air commença à manquer, elle extirpa sa tête de l’eau, brutalement, éclaboussant le carrelage tout autour, ses doigts s’agrippant fermement aux rebords de bois recouverts d’un fin drap blanc. Et cette brusque aspiration de ses poumons lui sembla comme une deuxième naissance. Ses mains plaquées sur sa poitrine fine, elle inspira et expira encore, un long moment, comptant les respirations pour se calmer. Et finalement, finalement, son corps s’apaisa, enfin vide de toute violence, de toute émotion, de toute pensée. Elle était marquée, oui, mais elle était en vie. Elle avait croisé l’une de ces créatures et n’était plus certaine de pouvoir fermer l’oeil un jour, mais elle vivrait encore, au moins jusqu’à l’aube. Pour le reste, pour tout le reste, elle enferma ces idées noires dans les tréfonds de son âme et jeta la clé quelque part, pour plus tard, quand elle aurait la force.

Elle avait perdu la notion du temps, mais se savait propre. Un peu honteuse, elle s’extirpa du baquet, essorant du plat de la main ses boucles détrempées. Elle avait l’air d’un poussin tout juste sorti de l’oeuf, et frissonna violemment sur le froid carrelage. Elle chercha une serviette du regard et en trouva une sur le bord d’un petit lavabo. Elle se sécha énergiquement, pour faire circuler de nouveau le sang figé dans ses veines et y trouva un peu de réconfort. Elle était en vie et elle était propre. Sacrée amélioration. Elle s’obligea à sourire dans le miroir, son visage blafard aux yeux rougis n’était guère fameux. Allez, encore un petit effort, Alaïs, ce n’est pas bien difficile. Elle se pinça les joues pour y redonner un semblant de vie, et sauta sur une brosse à dents qui traînait là, ainsi qu’un peu de pâte à base de cendre. C’était là un luxe qu’elle n’avait pas connu depuis longtemps et elle ne se priva pas d’en user.

Elle redécouvrait les joies de sentir bon, de sentir sa peau douce sous ses doigts fatigués et à l’épuisement et au découragement succéda une vague de bien-être salvateur. Elle se tourna alors vers ses vêtements défraîchis et malodorants et plissa le nez. Elle n’avait tout de même pas fait tous ces efforts pour retourner à cette crasse aussitôt. Beau gaspillage d’eau et de savon. Elle n’y avait pas même songé lorsque Kryss l’avait poussée là. Son regard de nouveau alerte parcourut la pièce dans laquelle elle se tenait et fut attiré par l’éclat d’une étoffe d’un bleu profond - presque noir - qui trainait par là, probablement oublié d’une praticienne des lieux.

Simple peignoir, mais Alaïs n’avait jamais senti d’étoffe aussi douce. Elle portait encore un peu de parfum féminin, un de ces parfums capiteux qui persistent longtemps après que sa propriétaire ait quitté ses atours d’un soir. Alaïs hésita, se sentait presque ridicule à toucher cette étoffe si riche, trop riche pour elle, probablement. Puis, elle se glissa à l’intérieur, resserrant les pans sur sa nudité, attachant solidement l’étoffe d’un ruban pour qu’elle ne glisse pas. Ce n’était pas vraiment ce qu’on pouvait appeler une tenue convenable pour une jeune fille. Mais l’idée de retourner à la crasse qui l’avait accompagnée dans cette nuit terrible lui était insupportable. Elle glissa ses vêtements en boule dans un coin et sortit pieds nus, à la recherche de Kryss, rasant les murs, jusqu’à l’escalier qu’ils avaient empruntés plus tôt. Où avait-il dit qu’il la retrouverait ?

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MessageSujet: Re: A travers l'horreur et la folie   A travers l'horreur et la folie EmptyMar 23 Juil 2019 - 21:04
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« L'Écumeuse » était une belle, grande et luxueuse bâtisse prônant au milieu de la pauvreté, entre lieux de vie dénaturés et caniveaux bouchés, réputée être l'une des meilleures maisons closes du Goulot pour ses filles affriolantes et décomplexées à souhait à prix abordables. Mais il en était bien autrement des années auparavant, dominée par un propriétaire corrompu, assoiffé de sexe et bien plus d'argent, laissant aux pervers des coins malfamés et criminels violents friqués, maintenant interdits d'accès, s'éprendre des pauvres catins souvent battues, ou parfois même tuées lors de jeux masochistes. Après un énième viol de l'une de ses employées torturées, une mutinerie implosa une nuit noire d'où au lendemain, le corps sans vie du directeur gisait au fond d'une benne à ordures, les yeux percés et la langue arrachée, la bouche ouverte ayant eu comme dernier souffle un hurlement étranglé. Eurya, le commanditaire du soulèvement, après avoir vécue d'effroyables horreurs, les ayant supporter avec ses deux vieilles défuntes amies, ne put permettre d'autres atrocités en ce lieu sinistrement glauque dans lequel elles avaient toutes les trois élevé l'enfant abandonné d'une pute oubliée s'étant éteinte en pleine rue en mettant bas. Ainsi, Kryss eut une éducation des plus tordues, l'ayant bouleversées vers une douce folie lui causant une défaillance mentale qui jamais ne le quittera bien que lui dotant néanmoins d'une grande intelligence.

Depuis, Eurya fut proclamée nouvelle matriarche et directrice du lupanar, instaura une nouvelle déontologie plus sûre pour les filles et de nouvelles règles immédiatement appliquées concernant les futurs clients. Et des années durant rénova entièrement l'intérieur de « L’Écumeuse », l'ornant de dorures et de rouge, surtout de rouge, de douillets divans écarlates, coussins réchauffant et autres confortables fauteuils à renfoncement décorant le Salon aux Rencontres. Des lustres en faux cristal et d'autres parsemés de simples bougies. De longs et beaux tapis rougeoyants tapissant le sol et la montée des deux élégants escaliers circulaires menant aux chambres des étages supérieurs où batifoler, et de bien d'autres extravagantes fioritures pour faire de la bâtisse le fief réputée d'Eurya, prostituée dodue et âgée mais de sa notoriété attirant toujours de vieux vicelards des temps anciens, rares habitués honnêtes d'avant.

A l'extérieur, la pluie torrentielle n'avait cessé de s'abattre sur la toiture, le vent entraînant les lourdes perles humides contre les baies vitrées et cloisonnées de barreaux renforcés protégeant ainsi la populace effrayée s'y étant réfugiée. Dans le grand hall et le salon, une quarantaine de personnes gémissaient, souvent des enfants, courant plus vite que les autres de leurs petites mais rapides foulées, des parents serrant leur progéniture, des pleurs en mémoire à des êtres chers perdus, morts ou égarés, mordus, peut-être. Et de quelques couples de sexagénaires habitant à proximité du bordel d'Eurya.

Kryss n'était pas encore redescendu de l'étage, car après avoir fermé la porte de la salle d'eau pour qu'y rentre la féline Alaïs, s'y plaqua en s'y asseyant, exténué, le bras droit lui faisant mal et le sang perçant le joli foulard bleu nuit aux belles étincelles apposé par la jeune fille.


« Que c'est beau…, que je suis beau avec », répéta-t-il tout bas, d'un souffle difficile, la dernière phrase de sa nouvelle compagne lorsqu'elle le lui avait mis, un peu divaguant, la tête tournant, y rêvant comme d'un souvenir lointain. Le garçon s'endormit, de moitié, contre la porte, et quelques minutes plus tard fut réveillé par des sanglots provenant de la salle d'eau. Il s'en mordit les lèvres, les yeux vacillant, tremblotant, car elle était traumatisée, et lui bien incapable de faire plus en ce pénible moment. Il se dit qu'elle était jeune, qu'elle serait forte, mais que de telles choses ne devaient se produire pour personne et, en cet instant précis, surtout pas à elle. Le saltimbanque essaya de se remettre debout sans un bruit pour ne pas la gêner de sa présence, les deux pieds chancelant au milieu du long corridor, marchant sur ce tapis grenat lui semblant interminable jusqu'au grand escalier. S'accrochant à la rampe de bois sombre bien lustrée, posa, pas par pas, à chaque marche, un pied. Et si lent qu'il était, somnolent à le voir se démener pour si peu, Eurya et deux autres filles s'empressèrent de lui porter secours, l'accompagnant jusqu'à une belle et épaisse table ronde en face du comptoir de l'entrée situé au pied de la montée. Apposant son dos tout frêle contre le dossier moelleux, souffla un peu mieux, reprenant de sa respiration saccadée, le cœur décadent de ses battements tonitruants en sa poitrine vibrante. Il lâcha enfin sa marotte à côté de lui, libérant sa main gauche depuis tout ce temps tandis qu'une fille de la maison apporta des serviettes, un bol d'eau, du fil et une aiguille qu'elle posa sur la table, face à sa mère dans sa robe rouge sanguine mais étincelante s'étant assise à sa droite.

Cette dernière le somma de ne plus bouger, nettoya sa plaie, une lacération double marquant la violence du choc qu'il eut contre le mur lorsque la débandade des fuyards noya l'une des étroites ruelles comme une marée déferlante de cris et de peur.


« Tu va être marqué, mon Chou, je suis désolée, lui dit-elle en enfonçant l'aiguille dans sa chair tandis qu'il grimaçait en regardant l'entrée barricadée de l'autre côté du hall. Deux belles cicatrices à l'épaule droite, tu verras, ça plaira lors de tes futurs spectacles ! se voulait-elle de plaisanter pour le calmer, ce qui lui fit sortir quelques rictus nerveux en gémissant. Et comment va Cérène ? Dis- moi ? continua-t-elle de trouer sa peau, essayant de lui faire penser à autre chose.
— Elle est partie, mère.
— Et pourquoi ça, mon grand ?
— Pour sa sécurité. »

Eurya releva son regard vert, ayant terminé de consolider la première plaie parallèle à la deuxième, retirant d'un coup vif mais douloureux le surplus de fil en sa peau.

« Petit menteur, je ne te crois pas une seule seconde ! lui enfonçant la pointe lavée dans la deuxième écorchure. Tu l'as rejetée, voilà tout ! Oui ? Tu l'as bien forcée, je ne me trompe pas ?
— Quoi ? Mais…
— Tu crois que moi, je fais travailler mes employées en les forçant ? Bien sûr que non, elles le choisissent, c'est leur décision ! Ne jamais aller à l'encontre d'une personne si c'est pour la faire souffrir ! S'il y a une chose que j'ai apprise à « L’Écumeuse », c'est bien ça ! Tu m'as compris, saligaud ?
— Mais mère…
— Mais, mais, mais, tu te tais, sinon je te pique plus fort ! lui dit-elle d'une douce sévérité en continuant ses points. De toute façon, elle reviendra, c'est sûr, c'est une battante obstinée et tu le sais. Et sinon, tu comptes faire pareil avec la jeune demoiselle que tu as amené ici ? Tu vas la laisser elle aussi ? Oui ? Non ?
— Mais j'ai compris, mère !
— T'as compris quoi ? lui demanda-t-elle en forçant sur la dernière tranchée en l'épiderme avant de conclure la cicatrisation.
— NON ! Tu fais mal ! Non.
— C'est bien, mon Chou », reprit-elle d'un calme déstabilisant.

La matriarche un peu forte aux traits ridés se releva aussi vite.

« Je vais aller nettoyer ce joli foulard tout sale. C'est bien à elle ? Alaïs, c'est ça ?
— C'est Al', elle veut qu'on l'appelle Al'. C'est à elle, oui.
— Très bien, reste là et repose-toi, vous êtes en sécurité ici.
— Attends !
— Quoi ?
— Comment sais-tu pour Cérène ? »

Eurya soupira, ne voulant pas en venir là, elle s'en doutait mais aurait voulu partir avant pour fuir cette question.

« Ton ami le nain de la troupe, Kraker…, il est venu ici, il y a à peine une heure. Il te cherchait, toi et les autres « Macchabées ». Mais vu que vous n'étiez pas là, il est reparti dans les rues à votre recherche. Grand râleur ce bougre mais aussi grand cœur ! Mais toi, tu restes là, t'en as assez fait pour aujourd'hui ! » lui ordonna-t-elle avant de s'en aller à l'étage, empruntant l'autre escalier.

Les mots d'Eurya le laissèrent songeur, se remettant quelque peu en question sur le rejet et l'abandon, sa formidable fierté exacerbée par moment et son ironie salvatrice pour s'échapper des sérieux sujets. Ensuite fut coupé dans ses pensées quand une des jeunes prostituées s'assit à sa gauche, une robe rose pêche courte à dentelles, le sourire timide mais craquant, les yeux empli de douceur vers ceux du bouffon déstabilisé de son trop plein de pensées.


« Ça faisait longtemps, Kryss, je suis contente de te revoir, dit-elle de sa voix suave au sourire sincère.
— Moi aussi, Lumis, tu me rappelles notre enfance.
— Oui, c'est ce que j'allais te dire, petite larve ! »

Le saltimbanque en sourit, se rappelant ce juron qu'elle ne cessait de lui lancer quand l'envie leur prenait de gambader à l'extérieur de la bâtisse sinistre en reconstruction après la Révolution d'Eurya.

« Tu te souviens des latrines arrières ?
— Oui, j'y reviens même…, mon chapeau est là-bas.
— Mais tu es beau comme ça ! en ébouriffa-t-elle la courte chevelure du sacripant. Moi aussi, je m'en souviens, tu y allais souvent jouer quand nous étions petits, d'ailleurs, j'ai toujours trouvé ça bizarre…, tu courrais en rond au milieu des urinoirs, tu sautais au-dessus des trous remplis de gadoue. C'était à la fois mignon, et effrayant…
— Oui, c'était vraiment chouette, en sourit le garçonnet devenu tout petit en se ressassant ses nombreux souvenirs.
— Tu veux un peu de vin ? Je vais aller t'en chercher pour toi et ton amie », en finit-elle satisfaite, les ayant enfermés quelques instants dans une bulle temporelle d'où les moments agréables n'étaient pas légion.

Un sourire, un baiser à sa joue creusée, et elle s'en alla vers les grandes étagères en bois au fin fond du salon majestueux où restaient les familles et autres survivants, bien installés mais n'en profitant guère de leur inquiétude à cette Fange extérieure toujours présente mais semblant si éloignée vue d'ici. Il se plongea dans un état d'hébétement contemplatif, observant les bougies se consommer, laissant à sa vue périphérique troubler les éléments du décor autour des sièges et des tableaux muraux, sourdement attentif aux bruits de fond se mélangeant entre murmures et respirations, sanglots et gémissements. L'endroit était paisible et l'averse terrible faisait clapoter ses gouttelettes tout autour de la bâtisse, laissant une ambiance sombre et rassurante à la fois. La cadence affolante des battements de son cœur avait repris normalité, son souffle redevint saccades contrôlées, laissant son épaule droite meurtrie de deux lacérations embobinées de fils noirâtres. Ses vêtements étaient secs, mais ne les retira pas, gardant une légère fragrance nauséabonde étouffée par la pluie nettoyante et l'odeur de cire brûlée. Jamais n'avait-il vécu si prés des abominations de la Fange, lui qui resta cloîtré toute sa vie en le quartier malfamé de « Marbrume la Crade », son cher Goulot qu'il aimait tant. Mais là, se sentit bien, le dos appuyé au dossier confortable prenant sa forme. Et qu'allait-il donc faire après ? Son ami Kraker, le nain difforme, ronchonneur des « Macchabées », était dehors, à le chercher, tandis qu'il était bien dans son dossier rouge écarlate rêvassant aux lueurs des feux fondant. Un goût amer en sa bouche le remplit d'une culpabilité certaine. Et Mograth, … et Rhoark…, où étaient-ils tous ? Ni l'un ni l'autre n'avait plus donné signe de vie depuis qu'ils durent quitter leur roulotte pour trouver un meilleur endroit pour se cacher. Et cette foule qui les sépara, si brusque qu'elle avait été, il ne l'oublierait jamais. Kryss baissa le regard, regardant les paumes de ses mains, elles étaient fripées de l'eau de pluie. Et tristement soupira, grassement assis sur l'une des superbes banquettes rouges vives, injustement, certainement, en était-il convainquit au fond de lui.

Une intuition sifflota en ses oreilles, un vent léger s'immisça en ses cheveux, et vacilla son visage fin et son regard gris-clair tout en haut des escaliers élégants. Elle tenait la rampe, hésitant à descendre, comme une biche s'infiltrant en une fosse aux lions. Le maigrelet fripon entendit de nouveaux ses sanglots de derrière la porte en son esprit étriqué, ressentant un semblant de souffrances et de peines venant d'elle. Il se releva doucement, les fils de son bras lui tirant quelque peu certaines grimaces discrètes, et fit cinq à six pas seulement jusqu'au pied des marches, tout en bas. Elle le vit, et lui hocha sa tête d'une révérence souriante, l'invitant à descendre le rejoindre. Elle portait l'une de ces belles étoffes de ciel nocturne lisses et sans faille dont se servaient les filles de la maison pour se relaxer après de longues journées parfois éprouvantes. Le peignoir resserré sur son corps de jeune femme lui dévoila de jolies formes, celles d'une féline garçonne, un espiègle oisillon sur son perchoir.

Le saltimbanque l'attendit jusqu'à ce qu'elle foule la dernière marche, lui prit la main et l'installa sur la banquette, à côté de lui, mais pas trop, pour pouvoir lui parler. Elle sentait bon et de ses dents blanches, timorées qu'elles étaient, crut voir un sourire léger s'afficher, ce que lui rendit avec tendresse son compagnon d'infortune le poussant à commencer.


« Tu as donc trouvé quelque chose à te mettre ! C'est très bien…
Désolé, sur le coup, je n'y ai pas pensé
, s'en laissa-t-il échapper une moue confuse avant de reprendre. Ne t'inquiète pas, elles vont laver tes affaires. Elles sont gentilles, tu sais. Et puis, regarde ! en rit-il en montrant son épaule meurtrie. Complètement guérie ! Enfin, plus ou moins, mais tu vois, tout va de mieux en mieux ! Et ton joli foulard te reviendra aussi, je te le promets ! »

Une jeune catin, un plateau en main, s'approcha d'eux et posa deux verres de vin à moitié plein.

« Allez-y, c'est un bon calmant, je vous assure !
— Merci, Lumis !
— Pas de quoi, petite larve », en arbora-t-elle un sourire en s'en allant.

Quel comble tout de même devant ces beaux verres de vin, alors qu'un peu avant ils nageaient tous deux dans les effroyables déjections. Mais ne voulant en parler, intensifia son regard en celui d'Alaïs.


« Qu'est-ce que tu faisais toute seule dans cette ruelle ? Tu étais accompagnée ? »

Le garçon se voulait de la connaître, car elle ne semblait clairement pas du Goulot, l'avait-il compris dés le premier coup d'œil en direction de son ténébreux balcon.


Dernière édition par Kryss l'Osselet le Dim 18 Aoû 2019 - 3:12, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: A travers l'horreur et la folie   A travers l'horreur et la folie EmptyMer 24 Juil 2019 - 11:29
Son regard parcourait la masse humaine entassée plus bas, apeurée, immobile, tapie dans cette tanière de damas rouge et de coussins moelleux. Et elle se sentait à la fois légère et vulnérable dans cette étoffe si fine qui lui semblait épouser de trop près sa silhouette, révélant un mollet et des pieds étroits et petits qui parcouraient avec une certaine volupté la tendresse des tapis qui se répandait sous leur plante. Et alors elle le vit qui s’approchait, allant à sa rencontre, ce profil aquilin et dégingandé, profondément singulier, qui s’inclinait de nouveau au bas des escaliers où elle se trouvait suspendue, avec cette drôle de chevelure pourpre qui captait la faible lumière des lieux. Et elle le revit alors qu’il l’invitait à descendre de son perchoir, troublante répétition de cette scène tragique dans les ruelles de Marbrume, à peine quelques heures plus tôt. Ou était-ce quelques minutes ? Elle avait totalement perdu la notion du temps.

Elle lui sourit, parce qu’il lui semblait impossible de résister à ce charme dramatique qu’il semblait dégager en toute circonstance, et peut être un peu aussi pour le rassurer. A moins qu’elle ne se rassure elle-même de sa propre force et de sa résilience. Elle se devait de montrer les dents au destin, surtout quand elle avait pris un tel soin à les faire reluire. Elle se coula discrètement jusqu’à son preux chevalier d’une nuit en ces lieux incongrus, un peu intimidée, pour une fois. Elle s’installa près de lui, sur cette banquette redoutablement confortable, y déposant son séant avec une gratitude infinie. Une jeune fille belle comme une pêche dorée leur apporta de quoi boire, tandis que Kryss montrait les vestiges de ses blessures. A y voir de plus près, il ne semblait pas avoir été mordu, simplement bousculé et malmené par la foule délirante comme elle l’avait été plus tôt, et Alaïs sourit en se rendant compte que ça n’avait vraiment plus la moindre espèce d’importance désormais.

Aussi sûrement que la bête était liée à elle, funestement, Kryss lui était lié par cette course effrénée dans les rues, par cette terreur qu’ils avaient partagée et surtout par l’aide qu’il lui avait apportée en ce refuge aux allures de palais sulfureux. Ainsi le prince en était revenu à son domaine, en quelque sorte, et cette pensée l’amusa, alors qu’il commençait à la questionner. Il la fixait avec intensité, comme si ses réponses l’intéressait vraiment, ce qui l’étonna. Hormis son père dont elle n’avait plus de nouvelles depuis quelques mois déjà, elle n’avait plus croisé grand monde qui la regarda avec un tel intérêt depuis qu’elle avait quitté son village. Elle hésita un instant, comme on ouvre la grille d’un jardin depuis trop longtemps fermée et qui résiste sous le lierre qui s’y était développé. Mais elle sentait confusément qu’elle pouvait lui faire confiance, aussi sûrement qu’elle l’avait suivi, s’en remettant à lui pour leur survie.

Elle prit un peu de vin, et l’alcool se répandit dans ses veines comme un feu de brousse, lui engourdissant aussitôt les sens, dans une délicieuse sensation de chaleur et de réconfort. Alors, elle se sentit assez de courage et se prit à lui répondre, soudain assaillie elle aussi d’une foule de questions suspendues comme les larmes de ce faux cristal au dessus de leur tête.

“J’étais perdue…. Je fais parfois quelques services à la Chope Sucrée, quand la patronne manque de monde. J’ai entendu les cris, et j’ai eu peur. Et la foule m’a emportée, j’ai bien cru que j’allais finir piétinée. Je ne savais pas où aller alors… J’ai grimpé, grimpé. Parce que les Fangeux, il parait qu’ils grimpent pas très bien, tu sais ? Et ensuite tu m’as trouvée.”

Elle lui sourit naturellement, s’enhardissant de ce premier récit.

“Et toi alors ? Tu vis ici ? Elles sont drôlement gentilles ces dames, oui. Ton épaule te fait pas trop mal ? Je voulais te dire… Merci, Kryss. Je crois que l’un de ces monstres aurait fini par m’avoir si tu n’étais pas arrivé… Et puis, du reste…”

Elle marqua une pause, un peu gênée, posant finalement la question qui lui brûlait les lèvres.

“Pourquoi m’avoir aidée ? T’es tout seul toi aussi ?”

Elle poursuivit, s’excusant presque.

“C’est que c’est pas vraiment courant des gens qui en aident d’autres, ces temps-ci.”

Et elle serra doucement sa main, brièvement, pour lui signifier là toute la gratitude qu’elle ne pouvait pas exprimer en mots.
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MessageSujet: Re: A travers l'horreur et la folie   A travers l'horreur et la folie EmptyVen 26 Juil 2019 - 1:58
Le liquide écarlate aux belles luisances dévala telle une coulée de lave en la vallée de son oesophage jusqu'à l'intersection de sa trachée, et sa gestuelle aurait bien pu sembler triviale en d'autres instants plus banals, mais durant celui-ci, là, juste en cet instant précis, à l'orée de la déviance mentale du garçon l'observant, lui fut un véritable spectacle tinté d'une pléthore d'ondes agitées par les longs muscles du cou délicat d'Alaïs. Elle vacilla un centième de seconde l'attention, d'un clignement de l'œil quasiment imperceptible qui n'échappa à Kryss. L'alcool fit son effet, il en sourit très discrètement, comme un enfant gardant un secret, et l'écouta, concentré qu'il était.

Elle lui sourit finalement à son tour, tandis que lui s'administra une dose de ce doux vin lorsqu'une brève image de la créature des latrines s'approchant d'eux traversa son esprit, tel un traumatisme. Et répondit à cette question concernant les marécageuses abominations.

« La Chope Sucrée..., n'est-ce pas dans le Quartier de la Milice ? Mais oui, c'est ça. C'est donc de là que tu viens, en tout cas pour le peu m'en ayant dit, en arqua les lèvres le gringalet bouffon pour l'intimider gentiment de sa curiosité. Tu n'aurais pas dû venir jusqu'au Goulot, c'est bien le pire endroit pour quelqu'un comme toi. C'est le pire pour beaucoup de gens, à part pour moi et les miens, évidemment, en finit-il attristé, baissant la garde d'une moue décontenancée avant d'en revenir à elle en palpant son regard du sien. Tu as bien fait de grimper, mais tu te trompes sur ces créatures. Bien que n'en ayant jamais vu avant, je m'en suis informé. Elles seraient drôlement rapides, agiles et surtout violentes. L'une d'elle aurait, avec un peu de difficulté, atteint ton balcon si tu y aurais resté, l'en informa-t-il pour qu'elle le sache, au cas où elle en aurait besoin. Et ensuite, nous nous sommes trouvés, oui ! s'en réjouit-il en lui affichant ses rangées de dents blanches parfaitement alignées. Alors, finalement, n'est-ce pas une si mauvaise idée que tu as eu de venir au Goulot ? » y réfléchit le drôle de déluré de sa remise en question d'avant en souriant, l'affirmant lui-même.

Les flammes des bougies valdinguaient au passage des employées prenant soin des rescapés, allant ici et là, s'évertuant de faire de leur mieux sous la direction d'Eurya la bienveillante reine des catins. Verres d'eau pour les enfants, vins et alcools plus fort pour ceux le voulant, et l'argent passait bien bas de tout cela, la vie était devenue si précieuse, bien plus que d'habitude pour tous les résidents du quartier oublié de la Cité de l'Humanité. L'une des servantes s'appropria un bel instrument à cordes, une vièle toute clinquante aux belles courbures, et munie d'un archet, elle se mit à jouer un air rythmé de douces notes, ni trop basses, ni trop hautes, mais parfaitement accordées à l'apaisement. Et elle jouait, sur son petit promontoire au milieu du beau salon rougeoyant, au milieu des gens se serrant.


« Moi ? commença-t-il à lui répondre, comme nombreux bambins et autres curieux adultes lui demandaient lors de ses prestations publiques. Mais voilà que sont entrain s'était envolé, car dans son âme germait la culpabilité. Non, mais j'ai passé mon enfance à « L’Écumeuse ». C'est ici qu'on m'a éduqué…, mes trois mères, de formidables personnes, mais Eurya est la dernière..., eut-il un rictus déplaisant révélant une certaine tristesse. Ensuite, j'ai monté ma propre troupe ! s'en remit-il un peu. Les « Macchabées », des saltimbanques disjonctés ! Tous plus fous que les autres ! Deux, puis trois et ensuite quatre ! Grâce à l'aide d'Eurya et de quelques autres propriétaires de bars et maisons comme celle-ci, j'ai pu installer ma petite bande en l'ancienne « Place aux rats » nouvellement renommée par nous « Le Dépotoir », en rit-il, s'engouffrant dans les méandres de ses réminiscences mémorielles. Je t'y amènerai si tu le veux ! Je te les présenterai tous ! Un par un ! Je t'inviterai dans notre roulotte « La Poubelle », et on pourra tous rigoler ensemble autour de bonne bouffe et de vins ou bien autour d'un grand feu à l'extérieur pour s'y raconter des histoires ! s'en esclaffa-t-il en levant les bras avant d'objecter une vive douleur à son épaule droite. Non, elle ne me fait pas trop mal, juste un peu, mais un peu de rien surtout, alors tout va bien », voulait-il la rassurer avant qu'elle ne vienne brusquer sa douce euphorie en le remerciant. Et un peu ému, n'en dit mot, hocha simplement la tête, plus timidement.

Il en fut quelque peu gêné, et semblait-elle le devenir aussi pour ce qu'elle allait lui dire tandis qu'elle vint enlacer sa main rachitique. Pourquoi…, pourquoi l'avoir sauvée ?

« Parce que…, tous les gens du Goulot…, vous êtes tous mon public…
Je vous aime, et puis vous m'aimez…, moi et mes compagnons. J'ai besoin de toi, et de tout le monde aussi. Sinon, comment je fais, moi, pour faire vivre les miens de notre passion pour le spectacle de rue ? Tu comprends ? »
lui avoua le squelettique garçonnet d'une pincée d'humidité en ses yeux gris-clair nuageux en songeant à ses acolytes disparus.

Il lui serra la main également, comme un galopin un peu tendu, essayant d'exprimer des sentiments enfantins.


« Et puis, je me suis attaché à toi. Ça compte un peu aussi. Maintenant, tu n'es plus une simple spectatrice dans mon public, tu es devenue mon amie. »

Et d'un coup, un bruit épouvantable vint violenter toutes les âmes apaisées, et les peurs et les sanglots revinrent comme les soubresauts d'un feu éteint renaissant brusquement. Le grande porte d'entrée émit d'effroyables fracassements de poings contre son bois solide. Tous les yeux se rivèrent en sa direction tandis que les coups n'arrêtèrent de plus en plus agressivement à affaiblir la barrière et qu'une voix rauque et dure ne vienne y rugir.

« OUVREZ-NOUS ! PAR LA SAINTE TRINITÉ, C'EST UN ORDRE DE LA MILICE ! »

Eurya et un duo de filles s'avancèrent jusqu'à quelques mètres de l’accès ne les séparant de l'effroyable réalité en dehors des murs du bordel luxueux. La matriarche s'était emparée d'une arbalète robuste en bois de chêne, une flèche à l'apex d'airain encochée. Kryss, quant à lui, serra la main d'Alaïs, reprenant de son légendaire charisme grandiloquent, effaçant d'un coup de balai l'enfant en lui qui s'y était logé, entre rêve et réalité, le temps d'un divaguant instant.

« Viens ! » la tira-t-il de la banquette, l'obligeant à le suivre.

Les deux jeunes gens s’arrêtèrent à quelques mètres de la porte immense où devant, Eurya et deux filles, munies de lourd chandelier, s'étaient postées. La cheffe de l'établissement se retourna, croisant le regard du saltimbanque inquiet, la chevelure pourpre partiellement ébouriffée.


« Il n'y a jamais eu de Milice au Goulot, c'est un piège, mère ! »

Eurya inclina la tête en guise d'approbation et reprit en direction des grondements.

« La Milice ? Quelle belle plaisanterie ! s'écria-t-elle à la porte vrombissante des coups lui étant portés.
— JE VOUS EN CONJURE, MADAME, LAISSEZ-NOUS ENTRER ! NOUS AVONS UN BLESSÉ ! hurla la voix grave et essoufflée.
— Partez ! Partez donc vers d'autres lieux, il n'y a rien ici ! vociféra la maîtresse de la propriété.
— JE VOUS DIS QUE NOUS AVONS UN BLESSÉ ! OUVREZ CATIN ! » s'en fit plus menaçante la demande.

Eurya hésita, la voix semblant alarmante et alarmée, la peur s'échappant, et se retourna de nouveau vers Alaïs et Kryss, à croire que son avis comptait.

« Mère, il a peut-être été mordu ! » s'empressa de lui dire le gentil bouffon, la main toujours en celle de la féline garçonne.

L'imposante femme à la robe rouge reprit alors.


« A-t-il été mordu ?
— VOUS ALLEZ NOUS LAISSER ENTRER SINON NOUS ENFONCERONS CETTE SATANÉE PORTE !
— Bon sang, répondez à ma question, milicien !
— ÇA SUFFIT, ON DÉFONCE CETTE PORTE ! » furent leurs derniers mots avant que l'entrée vers le hall ne subisse de plus violentes récidives.

Et le bois se mit à craqueler, et les coups à briser la seule défense contre l'extérieur. La rage au ventre, les hommes de l'autre côté s'acharnaient à démolir celle-ci s'il le fallait, et c'est ce qu'il faisait alors que la matriarche tendit son arbalète et que les deux fidèles filles, tremblotantes, élevèrent chacune leur pauvre chandelier. A l'arrière, dans le salon, la quarantaine de survivants, à chaque coups porté à l'entrée malmenée, hurlait d'effroi à l'unisson, les enfants larmoyant dans les jambes des adultes.

Le cœur battant, Kryss eut le souffle de nouveau saccadé, respirant comme deux, en serrant fortement la main de sa nouvelle compagne, la soutenant, ou peut-être était-ce le contraire. Il bifurqua son regard vers elle, comme affligé, lui disant sans un mot, d'une grimace douloureuse défigurant son faciès ;

« Ça recommence. »

La grande porte du hall d'entrée se brisa en plusieurs endroits, laissant aux gouttes de pluie tremper le tapis écarlate, des haches forcèrent les plaies solides des arbres d'antan, fendant les brèches creusées, brisant la planche ayant barricadée le lieu si calme auparavant, et en grand s'ouvrit dans un déluge d'eau et de vent, et des ombres humaines en solides armures s'infiltrèrent en la bâtisse en peine.
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Alaïs MarlotVoleuse
Alaïs Marlot



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MessageSujet: Re: A travers l'horreur et la folie   A travers l'horreur et la folie EmptyVen 26 Juil 2019 - 11:17
Elle n’osait pas lui dire qu’elle ne venait ni du Goulot ni du quartier de la milice, mais qu’elle divaguait entre des eaux troubles, exilée volontaire et involontaire, loin du Labret de son enfance, loin de son père qu’elle abandonnait. Alors qu’il lui faisait le récit de ses origines et que ses traits lui semblaient traversés par une multitude de sentiments contradictoires, entre les souvenirs tendres de son enfance passée ici, ses compagnons de spectacle et une forme d’angoisse sourde qu’il lui dissimulait, mais qu’ils ne partageaient que trop pour qu’elle l’ignore, elle sentait bien qu’il faisait de son mieux pour échapper à la pensée d’un avenir incertain. Quand le jour serait levé, demain, que resterait-il de leur vie ?

Et elle l’écoutait parler de sa troupe sans l’interrompre, ses yeux s’agrandissant du plaisir de s’imaginer avec tous ces drôles de monstres autour d’un feu. Cela lui semblait un rêve sympathique, une insouciance bienvenue, le retour d’une vie simple mais riche, riche de tout ce qu’elle pouvait apporter de surprises et de détours imprévus. Il en oubliait même la douleur de son épaule, et elle aussi, oubliait ses tourments tandis qu’il l’invitait à découvrir son univers.

“Eh vas-y doucement, tu ne voudrais pas rouvrir ces jolies coutures que ta maman t’a faites ! Quand tout ira mieux, on ira ensemble, c’est promis ! Je connais quelques tours moi aussi, je jongle et je fais des pirouettes dans les tavernes qui veulent bien m’ouvrir leurs portes, quelque soir par ci par là. Rien de fabuleux ! Mais ça me donne parfois un peu de pain ou une assiette de gruau ! On pourrait s’entraider, de temps en temps !”

Elle n’osait quérir davantage, c’était chaque fois la même chose. Chacun avait ses soucis et ne pouvait en supporter de nouveaux que brièvement, prêtant une main de ci de là, à l’occasion. Et elle vivait ainsi au jour le jour Alaïs, et ça lui convenait, par la force des choses. Parler de leur quotidien lui donnait un peu plus la sensation d’exister, un retour à la normale bienvenu, moins délirant que ce qui les attendait au dehors. Pour un peu, elle lui aurait parlé de son père et du Labret, mais la culpabilité de ce qu’elle avait fait, la lâcheté dont elle avait fait preuve lui demeurait coincée dans la gorge, et elle ne voulait pas voir s’éteindre l’amitié qu’elle lisait dans les yeux de Kryss et de cette tendre promiscuité sans arrière-pensée. Non, pas tout de suite. Comme en écho à ses pensées enfouies, il lui expliqua pourquoi il s’était arrêté dans cette ruelle, lui avouant ce désir illusoire qu’il avait de garder les choses qu’il aimait comme elles étaient, intactes, peut être éternelles.

Et elle comprenait tout cela, très bien même. Et elle aurait bien voulu lui répondre qu’elle aussi s’était prise d’amitié pour lui, et pas seulement parce qu’il lui avait sauvé la mise. Elle voyait en lui la bonté et la noblesse d’un coeur vaste comme l’horizon, enfermé dans une carcasse trop frêle pour le porter. Son drôle de chevalier sans armure. Elle étira un sourire doux qui s’éteignit brutalement aux bruits sourds qui les firent sauter sur leurs pieds à l’unisson. Et voilà que ça recommençait. L’adrénaline chassa la torpeur du vin dans ses veines, et tout à fait en alerte, elle suivit Kryss jusqu’à la porte.

Les échanges qui s’ensuivirent, les coups abrupts contre la lourde porte, l’arbalète d’Eurya, les cris des enfants… Elle fut un instant tentée de tirer Kryss vers l’étage, retournant à ses réflexes de félin qui cherchait toujours les hauteurs pour échapper au danger. Mais elle savait que toute fuite était illusoire. Du reste, elle n’avait même pas de bottes. Cette pensée incongrue l’aurait presque fait rire, si la situation n’était pas redevenue si ridiculement critique. Ils étaient tous devenus fous, ces hommes, à ruiner la seule barricade contre les monstres qui rôdaient dehors. Ils n’auraient plus aucun refuge à trouver une fois la porte défoncée. N’avaient-ils aucun bon sens ? Il fallait le croire, car bientôt la pluie et le vent s’infiltrèrent avec force dans la maison d’Eurya et de ses filles. Et l’éclat des haches et des armures se firent entrevoir dans cette percée formidable. Alaïs restait muette et figée, dans son peignoir trop fin. Trop tard pour fuir, trop tard pour négocier. Et pas même une dague pour combattre.
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Kryss l'OsseletSaltimbanque
Kryss l'Osselet



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MessageSujet: Re: A travers l'horreur et la folie   A travers l'horreur et la folie EmptyLun 29 Juil 2019 - 3:04
La porte se brisa en mille éclats.
Les débris, par dizaines, s’amoncelèrent sur le parterre élégant de la maison appartenant à la matriarche Eurya ; La Mère des prostituées qui, horrifiée, tira une flèche de son arbalète et ricocha en l'armure du premier venu entrant avant de se planter dans la jambe de l'innocente Lumis au cœur profond qui hurla de douleur, lâchant un plateau de verres d'eau et d'alcool s'étant fracassé sur le sol dans un vacarme inquiétant. Quatre soldats apparurent à travers l'averse infernale, trois portant l'un blessé au cou arraché, semblait-il, et inerte depuis quelques instants déjà. Le sang giclait de par et d'autre, laissant une longue trainée d'essence écarlate jusqu'au centre du salon peuplé d'êtres effrayés d'où la belle catin au vièle harmonieux cessa immédiatement sa mélodie.


« LAISSEZ-NOUS PASSER ! » hurla le meneur des trois autres miliciens en déposant le corps convulsant sur le promontoire de bois.

Kryss, authentique spectateur de tout cela, contemplait l'abominable scène et le long tracé sanglant tapisser le tapis déjà rougeoyant, serrant fermement la douce main de la jolie garçonne à la fougue incomparable qu'il chérissait tant. Que pouvait-il bien y faire d'autre ?


« FAITES QUELQUE CHOSE ! », en hurla le garde de la Cité défigurée.

Eurya, par principe, se précipita vers Lumis, touchée de son propre carreau d'arbalète. Suivit de Kryss, ayant lâché la main d'Alaïs. Ce dernier s'agenouilla à la prostituée en pleurs, s'efforçant de contenir sa douleur par des cris aiguës arrachant en lambeaux les souvenirs du bouffon s'en venant. Le saltimbanque lui caressa le visage, enlevant ses sanglots de son pouce par de délicates caresses. Mais rien n'y faisait, la flèche plantée en son mollet la faisait horriblement souffrir.

« Petite larve…, j'ai tellement mal… », en pleurait-elle en le fixant de ses sublimes yeux bruns emplis de désarroi.

Kryss apposa un doux baiser à son front, bien peu utile mais suffisant pour la rassurer un tantinet.

La maîtresse des lieux, à cela, s'émancipa d'eux et se précipita vers le milicien blessé. Une plaie béante ayant déchiré sa carotide sanguinolente avant que ne cesse de battre le cœur du jeune soldat dans les bras de son propre frère.

« Jonas ! JONAS ! RESTE-LÀ ! NE ME LAISSE PAS ! » en hurla le garde en sanglotant, trainant en ses bras le corps inerte de son frère, le ballotant en ses mains, le balançant de gauche à droite pour l'accompagner dans son dernier voyage.

Tous les rescapés présents furent terrifiés du cadavre au centre de la demeure luxueuse, sachant tous, pertinemment, que la blessure était une morsure. Et qu'à cela, le corps allait se réveiller, d'ici trente minutes à une semaine, mais le danger étant bien là…

Et de l'autre côté de la salle, Kryss ne lâchait la poigne de sa compagne d'enfance.


« Kryss, j'ai peur…, j'ai mal… , lui supplia-t-elle pour la sortir de là, la jambe cruellement ensanglantée.
— Je vais te retirer la flèche, sacrée chieuse », lui dit-il comme il l'appelait dans son enfance. A charge de revanche !

La jeune prostituée en sourit, se remémorant quelques souvenirs agréables. Puis grimaça de nouveau, la souffrance en l'épicentre de sa jambe la faisant surgir de ses rêveries tandis que le bouffon déséquilibré lui arracha le projectile de sa chair et qu'elle hurla avant qu'il ne la taise de ses doigts apposés sur ses lèvres.


« Elle est enlevée…, c'est finie, petite espiègle ! » s'en réjouit tristement le bouffon, la main marquée d'une morsure profonde de la belle dulcinée.

Kryss fit un appel du regard afin que Alaïs vienne l'aider à la porter et s'en aller à l'étage. Et les deux jeunes supportèrent Lumis ensemble tandis qu'au centre le soldat convulsait encore, la transformation agissant rapidement vers l'état léthargique de monstre sanguinaire.

Et de là, le soldat mort se releva aussitôt, les yeux blancs, les crocs salivant et émanant d'atroces grognements.


« Mon frère ? s'écria étonnement le milicien en s'y écartant.
— Tuez-le ! Tuez-le ! C'est un Fangeux ! hurla Eurya.
— Je ne peux…, et je vous y refuse…, à tous ! les menaça le milicien pour protéger son frère déjà condamné.
— Alors, fuyons… », abdiqua Eurya d'un profond défaitisme.

La quarantaine de survivants s'affolèrent, se dispersèrent, et coururent par-ci par-là, se cachant dans les moindres recoins tandis que la créature se jeta sur son frère, lui arrachant le nez et puis le reste, l'infectant ainsi à sa suite. Et les deux autres miliciens fuirent la bâtisse, franchissant la porte qu'ils avaient auparavant démolie pour entrer, invitant les horreurs à l'intérieur.

Montant, marche par marche, les escaliers, Lumis à la jambe blessée, escortée par Kryss et Alaïs, entendirent tous d'effroyables sons d'en bas. Et les enfants se faisant déchiqueter, et les parents impuissant hurlant leur peine fasse à l'insupportable spectacle du Fangeux dévorant leurs petits. Et bientôt, le frère de celui-ci, hurlant à la détresse, le rejoint pour leur quête de sang.

Et « L’Écumeuse » devint le refuge de la souffrance et de l'agonie, abritant deux créatures destructrices et bientôt trois, peut-être plus par les enfants. Et Kryss soutenait de son bras gauche Lumis à la belle peau de pêche, et Alaïs de sa droite, pour l'escorter vers le haut de l'escalier jusqu'au long corridor. Une chambre, deux chambres, et trois chambres ! A cette dernière, juste avant la salle d'eau, Kryss en ouvrit la porte et força les deux jeunes femmes à rentrer avant de fermer celle-ci en s'y plaquant le dos pour bloquer son entrée.

En bas, des hurlements épouvantables se firent entendre. La créature dévorait les âmes innocentes, s'abreuvant de leur chair et de leur sang sans la moindre distinction, enfants ou adultes, qu'importe, tant que le goût y était. Le bouffon aurait tant voulu faire plus, mais bien trop faible et maigrichon n'aurait rien pu faire, alors resta dans la chambre auprès des deux jeunes filles, l'une agonisant de sa jambe blessée et l'autre apeurée mais tintant d'un courage déconcertant. A cela Kryss l'interpella.


« Alaïs, panse la plaie de Lumis. Trouve quelque chose, je t'en prie », lui demanda-t-il en restant collé dos à la porte tandis que les hurlement d'effroi s'entendaient de l'étage d'en bas.


Dernière édition par Kryss l'Osselet le Lun 29 Juil 2019 - 13:39, édité 1 fois
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