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 A travers l'horreur et la folie

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Alaïs MarlotVoleuse
Alaïs Marlot



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MessageSujet: Re: A travers l'horreur et la folie   A travers l'horreur et la folie - Page 2 EmptyLun 29 Juil 2019 - 11:46
Tout était allé si vite. En quelques secondes, la mort s’était invitée dans ce refuge, cet havre de paix impromptu au milieu des quartiers sales du Goulot. Alaïs était restée fascinée par l’éclat de la hache qui entamait toute cette sécurité, brisant en mille éclats l’espoir de survivre de dizaines d’âmes entassées là. Au fond les Fangeux n’y étaient pour rien. Elle avait laissé échapper un hoquet de surprise et d’horreur en voyant la si douce Lumis s’effondrer, le carreau d’arbalète s’étant cruellement retourné contre cette créature innocente. Elle était restée les bras ballants tandis que Kryss s’était précipité avec Eurya pour l’aider et ce fut le hurlement déchirant qu’elle poussa qui la fit revenir à la réalité, comme une brusque poussée d’adrénaline, réactivant tous les nerfs de son être.

Alaïs tourna la tête instinctivement vers les soldats qui avaient pénétré les lieux comme des fous furieux, violant leur sanctuaire de leurs pieds sales et de leurs mains cruelles. La vie était sans cesse une affreuse répétition de ce cycle infernal. Les plus forts écrasaient les plus faibles au mépris de toute forme de raison et du bon sens le plus élémentaire. Elle avait vu passer le cou déchiqueté du blessé, et savait qu’il avait déjà tout du mort, avant même qu’il ne vienne empoisser de son sang la délicieuse banquette où elle s’était tenue quelques instant plus tôt avec Kryss. Elle commença à compter intérieurement. Elle avait déjà vu cette scène. Elle revoyait avec une acuité décuplée par l’imminence du danger ces hommes effondrés comme des pantins désarticulés se redresser comme d’immondes aberrations de la nature, lors de leur exil pour Marbrume. A cet instant, elle fuyait déjà avec son père, sans attendre de voir les morts se jeter à leurs trousses. Leur survie se comptait alors en quelques secondes.

Elle reprit sens et vie à cet instant précis. Le fou qui serrait son frère mort dans ses bras avait dû lâcher cette maudite hache contre une table pour mieux étreindre sa propre chute. Alaïs n’y réfléchit pas à deux fois, personne ne prêtait attention à elle. Alors que Kryss redressait déjà la pauvre Lumis ensanglantée et que l’horreur s’apprêtait de nouveau à les emporter tous, Alaïs attrapa la hache par le manche et se précipita avec ses deux compagnons vers l’étage. Elle eut une pensée pour Eurya. Où était-elle ? Mais déjà les hurlements envahissaient tout l’espace du rez de chaussée. Les enfants… Les enfants servaient de leur chair tendre la soif macabre des monstres, victimes innocentes de la folie des hommes. Elle vit Kryss ouvrir une porte, la claquer derrière eux, et se plaquer contre le battant fin, maigre rempart contre la mort qui ne tarderait pas à les chercher.

La belle Lumis s’était affalée contre un lit, déjà épuisée de sa course et tout aussi terrifiée qu’elle. Alaïs n’en serrait que plus fort l’arme solide qu’elle avait récupérée. Une hachette qui ressemblait à celles qu’on maniait au Labret pour débiter du petit bois. L’éclat de la lame lui redonna un peu de vigueur. Elle s’avança vers Kryss alors qu’il lui intimait de faire quelque chose, n’importe quoi, pour endiguer la plaie de Lumis dans cette situation désespérée. Alaïs n’avait que trop conscience qu’ils avaient tracé un sillon sanglant qui ménerait les créatures droit vers leur maigre cachette. Ils devaient se tenir prêts. Lumis ne pourrait pas courir, et de toute façon, vers où aller ?

Alaïs pensait bien à la fenêtre, faible issue vers les toits, mais il pleuvait et il faisait sombre. Ils auraient tôt fait de se briser la nuque en contrebas, et Lumis n’y passerait pas de toute façon, avec sa jambe blessée. Alors Alaïs plaça la hache entre les mains de Kryss, comme pour lui intimer d’être fort, de ne pas renoncer. Même si c’était vain, il valait mieux mourir en se battant plutôt qu’en bétail terrifié prêt à servir de pâture aux créatures.

“Il faut barricader la porte !”

Alaïs se changea en tourbillon. Elle fit l’état des lieux d’un rapide regard circulaire. Un vaste lit, une grande armoire, une coiffeuse à miroir, et tout un attirail féminin plus ou moins utile. Un ou deux fauteuils à vaste dossier. Tout cela pouvait servir à les calfeutrer, mais elle fut interrompue dans ses plans lorsqu’elle aperçut la silhouette avachie de la pauvre Lumis qui se tenait le mollet en grimaçant. Elle se précipita sur les draps du lit et en déchira violemment un pan, en attrapant l’ourlet. Elle se tourna vers Lumis et lui dédia un sourire qu’elle voulait rassurant.

“On va t’arranger ça, tu vas voir.”

Et elle serra la plaie fermement, plaquant sa main contre la bouche de la malheureuse, pour endiguer l'hémorragie. La douceur et la délicatesse n’étaient plus de mise. Leur survie se comptait dans ces quelques secondes décisives. La moindre erreur leur coûterait la vie. Elle enferma la plaie fermement, fit plusieurs tours pour en assurer l’étanchéité et bondit de nouveau sur ses pieds, attrapant le bras de Lumis.

“Ne reste pas devant la porte.”

Elle emmena la malheureuse dans le recoin le plus éloigné de l’entrée, dans un geste vain pour la protéger, derrière un fauteuil, et lui tendit une longue épingle à cheveux, transformée en poignard improvisé. “S’ils arrivent, vise l’oeil, d’accord ? Je sais que tu peux faire ça.” Et bien qu’elle en doutait fortement, elle ne laissa pas la moindre hésitation passer dans ses yeux clairs. Lumis devait croire elle aussi qu’elle pouvait survivre. Une fois fait, elle se détourna de la jeune fille, l’oubliant presque dans son recoin et avisa sa prochaine cible. La lourde armoire qui trônait non loin de la porte. Elle s’y briserait les reins s’il le fallait mais tant pis.

“Kryss, attention, pousse-toi !”

Elle se glissa comme une souris entre le mur et l’armoire, accola son dos contre cette dernière et d’une poussée sauvage qui lui tira une grimace sous l’effort de ses muscles, jeta mains, genoux et pieds contre la paroi opposée, tout son être se transformant en levier humain contre la résistance de la masse de chêne et renversa le colosse de bois qui vint s’écraser contre la porte de la chambre dans un craquement sourd.
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Kryss l'OsseletSaltimbanque
Kryss l'Osselet



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MessageSujet: Re: A travers l'horreur et la folie   A travers l'horreur et la folie - Page 2 EmptyMer 31 Juil 2019 - 2:36
La féline garçonne, étonnamment, avait pris les devants, elle qui pourtant était apeurée lors de leur inoubliable et cauchemardesque rencontre tel un chaton sur sa branche d'arbre effrayé par le vent et ses hurlements. La frileuse fillette gelée par la peur s'éteignit en ses deux perles de teinte azurine reflétant son âme, et se releva en elle une lionne intrépide, prête à tout pour les sauver. Déterminée, le courage l'avait transcendé le temps d'un instant, le plus important, sans aucun doute. Et tout alla très vite.

Lumis fut bandée à sa jambe, cachée derrière ce fauteuil en la mi pénombre, au fond de la pièce. Et une hache traînait maintenant en la poigne droite de Kryss, ne ressentant plus la douleur de par l'adrénaline étouffant le feu de la souffrance. Cette arme lui semblait lourde, bien que plus petite que celle d'un bûcheron, mais remplit le garçon d'un nouveau courage alimenté par la fougue guerrière d'Alaïs. Et le squelettique artiste des rues se poussa sous l'ordre de la divine protectrice, tel qu'il la voyait. Dans un vacarme effarant qui aurait bien attiré toutes les monstruosités ayant naquit en « L’Écumeuse », l’armoire s'écrasa violemment sur le sol. Kryss ne comprit que bien après le geste de celle-ci quand, se remettant droit sur ses deux jambes maigrichonnes, il aperçut la longue traînée de sang les guider jusqu'au lit. Un chemin sanguinolent de plus délicieux pour les épouvantables horreurs aux dents noirâtres, aux yeux voilés d'un blanc cassé, vidé de toute conscience où seul l'instinct de la faim les tiraillait bien plus que de véritablement mourir. La chair, celle de leurs semblables vivant, juteuse et parsemée de vaisseaux transportant l'onctueux nectar, et leur peau croquante emplie d'os et de nerfs en vibration, leur délicieuse ambroisie.

Et elles ne se firent pas attendre, en tout cas, l'une d'elle. Cette dernière avait grimpé de ces gestes désarticulés le long escalier circulaire sous des grognements et déglutitions étranglées. Ayant suivi la rivière de sang, elle fit face à la porte et de sa tête, de ses épaules, et de ses rugissements stridents, se fracassait contre elle, brisant ses propres os, broyant son crâne et s'en retournant quelques phalanges, acharnée qu'elle était, furieuse, assoiffée et affamée. La porte allait céder, tous le savaient, et l'armoire qu'Alaïs venait de faire tomber ne leur servirait qu'un bref sursis avant l'inévitable.

Kryss avança à reculons, la hache enserrée entre ses mains fermes et chétives. La respiration allant et venant de façon abrupte en ses poumons contractés. Le cœur en vrille et le corps tremblotant, et il recula encore, et encore, sous les brisures entaillant de plus en plus l'entrée barricadée. Quand il arriva enfin à hauteur du fauteuil, détourna difficilement le visage vers la jeune prostituée bouleversée, les larmes s'échappant de son regard reflétant une âme déchirée, les lèvres tremblotantes, et le regarda, elle aussi, les yeux bruns luisants. Elle ne pouvait plus prononcer aucun mot, mais de ses sanglots embuant sa vue porta sa main vers la jambe de Kryss et la serra fortement. Le fripon s'agenouilla à elle et de toutes ses forces lui sourit, en tout cas, s'efforçait-il, avant de lui lancer une ritournelle pour la faire rire de son spectacle éternel.


« Ne pleure pas comme ça, on le retrouvera ce chapeau ! lui dit-il taquin.
— T'es bête, en sourit-elle tout en y pleurant d'un petit rire exaspéré.
— Petite larve est avec toi, et féline Alaïs aussi, on va s'en sortir », finit-il en se relevant.

S'étant lui-même rassuré également, bifurqua son regard vers le lit et s'y précipita. Il s'empara des draps et demanda à Alaïs de l'aider à les mettre par-dessus l'armoire de façon à ce que la bête finirait par s'y emmêler le temps de quelques secondes.


« Le Fangeux ne réfléchira pas, dés qu'il aura brisé la porte se précipitera et s'emmêlera dans les draps, et là, je frapperai fort, et toi et Lumis, vous sortirez de la chambre. Et je vous suivrai », lui somma Kryss, ayant reprit un regain de courage.

Les deux jeunes femmes restèrent côte à côte, debout face à leur seule issue possible ; la même porte qu'entaillait l'affreuse créature à l'inimaginable férocité bavant à en former une flaque flasque et nauséabonde sur le pas de l'entrée. Kryss s'était posté contre l'armoire, de côté, tenant les draps pour qu'ils ne tombent malencontreusement. La hache en son autre main, le bras souffrant d'une charge bien plus lourde pour lui que pour n'importe qui d'autre de ses faibles trenre-et-un kilos tout trempé. Jamais il n'avait vu la mort de si prêt, et jamais ne l'oublierait, et face à elle, pour Alaïs et Lumis, fera son possible. Et grâce à elles deux, il survivrait lui aussi, car si elles n'avaient pas été présentes à ses côtés, peut-être aurait-il abandonné et lâcher prise. Alors, maintenant, il leur devait bien ça.

Ce fut long, de simples secondes, peut-être vingt, mais une éternité à vrai dire. La monstruosité venait de percer un trou, infiltrant ses bras, comme désossés, pour élargir la brèche de bois, frappant contre le dos de l'armoire imposante comme d'un nouveau rempart vers son garde-manger. Quand la porte céda, il n'eut fallu que dix secondes au Fangeux pour fendre le fond du meuble rempli de vêtements et de bijoux. Et en cette dernière seconde, avant que tout ne bascule, en bien ou en mal, Kryss les regarda toutes les deux, belles de cœur, la courageuse Alaïs soutenant la douce et fébrile Lumis, et leur sourit d'une douce espièglerie, sans un mot, plaisantin jusqu'au bout, d'un simple ;

« Ça va aller, enfin, je crois. »

La créature infecte entra, la main du saltimbanque lâcha les draps, et cette dernière fut enveloppée en celles-ci sous des mouvements brusques et grognements à en arracher les tympans. Les deux filles contournèrent le Fangeux, s'accroupirent pour entrer dans l'armoire, entre robes élégantes et salive fangeuse, et Kryss, de toutes ses forces, du mieux qu'il le put de ses deux bras maigrelets, assena un coup de hache en la forme mouvante sous les draps. La fente d'acier s'introduisit dans la chair morte, brisant à demi la colonne vertébrale et y resta logée quelques secondes en lesquelles le saltimbanque s'y essayait à la récupérer avec difficulté, ce qu'il réussit finalement avant de quitter lui aussi la chambre aux hurlements disharmonieux. Il rattrapa bien vite la catin et la tigresse, s'en allant ensemble, bras dessus bras dessous, jusqu'au escalier circulaire. Et passant devant les deux autres chambres, Kryss n'en voyait pas l'utilité de s'y cacher si ce n'était pour répéter le même scénario car des chambres identiques, et ne pourront y arriver de cette façon. Alors coururent, autant qu'ils le purent, entre les tableaux somptueux sur les murs, des femmes nues et des hommes vaillants, des prostituées aux abois et autres femmes élégantes sur des lits de soie, et tout au long du corridor ne s'arrêtèrent bien que Lumis émettant de lancinants appels contre la douleur.

Arrivés en haut du chemin descendant, avant même de poser le pied sur la première marche, Kryss, d'une lucidité naissante, les arrêta net. Tous trois agonisant de leur souffle vacillant, la peur et la sueur, les cœurs prêts à bondir hors de leur poitrine. Le trio s'était immobilisé en voyant le mal qui avait rongé le grand hall d'en bas et son salon. Car l'obscurité la plus complète y régnait à présent et plus aucun son n'y sortait, et froid et glacial de son silence caverneux d'où la quarantaine de survivants n'y demeurait plus. Mais où étaient-ils tous passés ? Des corps inertes, mordus et attendant de se relever ? Des Fangeux endormis? Ou leur tendant un piège dans l'horreur de la noirceur ? Patientes et sournoises, elles attendaient toutes en bas ?

Alors, fallait-il descendre dans les profondeurs de l'horreur ? Ou trouver une autre échappatoire en l'étage suffoquant des cris de la bête blessée qui d'ici peu se démêlerait de sa prison de draps ? Aller en la salle d'eau ? Non, aucune issue possible. La salle de repos, peut-être, tout au fond du luxueux corridor ? Trop loin, la créature dans la chambre aurait plus vite fait de les rattraper. Ou bien par une fenêtre ? Trop haut, assurément, et bien que les vieilles ruelles étroites entourant les côtés de la bâtisse étaient jonchées d'ordures, mieux ne valait pas atterrir sur des monticules de verres brisés ou autres dangerosités du crasseux quartier.

Tenant fermement la fragile Lumis souffrante, il regarda vers le bas, macabre et dénué d'espoir, à part cette grande porte qu'avait brisée les Miliciens, idiots qu'ils avaient été, et bascula ensuite son visage vers l'arrière en direction du long du couloir d'où les cris effrénés de la bête finirait par se ternir, ou tout le contraire, lorsqu'elle se libérera pour les chasser à nouveau.

Un simple coup d'œil vers Alaïs, s'en mordant les lèvres en la fixant, le souffle irrégulier et souffreteux.

Quel chemin prendre ?
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Alaïs MarlotVoleuse
Alaïs Marlot



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MessageSujet: Re: A travers l'horreur et la folie   A travers l'horreur et la folie - Page 2 EmptyMer 31 Juil 2019 - 11:40
Le silence. Le silence était devenu plus effrayant que tout autre chose. Kryss les avait arrêtés alors qu’ils avaient miraculeusement échappé à la monstruosité qui s’était introduite à coups de griffes dans leur antre de fortune, comme on s’arrête au bord d’un précipice abyssal, rempli de ténèbres et de menaces dissimulées. Elle se demanda même un instant quelle folie les avaient poussés à revenir par là, alors même que les créatures s’étaient déchainées sur les vivants quelques moments plus tôt. Mais les grognements étouffés de la chambre lui rappelèrent que cette voie là était bloquée elle aussi. Alaïs avait la sensation oppressante que chaque fois qu’ils faisaient un pas, ils s’enfonçaient dans une nouvelle impasse.

Ils devaient avancer, ou rester là en attendant la mort. Elle avisa un instant la première porte de côté, probablement celle de la salle d’eau, eut une pensée pour ses bottes et son poignard qui devaient encore l’attendre là et elle poussa doucement Lumis vers la rampe de l’escalier. Un délai de quelques secondes à peine, elle ressortit avec ses bottes aux pieds, sa maigre ceinture et son petit poignard idiot. Qu’espérait-elle ? Si les créatures étaient toutes en bas, ils étaient condamnés. Ils n’auraient jamais le temps de remonter les escaliers, et la pauvre Lumis blessée encore moins. Quand la créature sortirait de la chambre, ils seraient condamnés également, poussés en avant dans l’obscurité dans un piège d’autant plus mortel.

Une sueur glacée traversa l’échine d’Alaïs. Ainsi c’était donc arrivé. Le destin se jouait une nouvelle fois d’elle, de cette envie furieuse de vivre à tout prix. Alaïs étouffa un gémissement d’angoisse, à l’aune de ce qu’elle s’apprêtait à faire. Mais il fallait qu’ils sachent. Elle enroula son ceinturon sur lui même, et d’une poussée brusque, réitéra leur “stratégie des latrines”. Elle lança la chose au milieu de la grande salle. Si les créatures étaient là, elles s’y jetteraient, et ils seraient alors fixés sur leur sort. Si c’était leur destin, ils n’auraient plus qu’à choisir quelle créature les dévorerait en premier, une de celles du bas, lancées à leurs trousses, ou celle de la chambre qui les attendait sagement. Ils se précipiteraient naturellement vers la salle d’eau, mais ça ne serait qu’un délai infime avant qu’ils ne servent de pitance aux monstres.

Un, deux, trois. Le ceinturon rebondit dans un bruit mat sur les tapis, la boucle teintant dans l’obscurité. Alaïs attendit encore. Un, deux, trois. Le silence. Le silence était une chose effarante, une chose poisseuse qui leur engluait l’estomac. Il ne se passait rien. Et Alaïs ne voulait presque pas y croire. Il fallut qu’elle se secoue pour se décider enfin à se mouvoir. Elle avait épuisé ses ressources d’intelligence. Désormais, ils étaient du bétail effrayé et la mort avait plus de chance d’arriver de derrière qu’au devant d’eux. Alaïs attrapa le bras de Lumis de nouveau, crochetant son maigre poignard de l’autre main, et lui adressa un sourire qui voulait dire : “Tu vois, on va y arriver”, une formule qu’elle se répétait comme un refrain lancinant, pour ne pas rester là, pour ne pas quitter tout courage, pour ne pas abandonner l’idée même de vivre.

Alors ils se précipitèrent dans l’obscurité profonde, et la sensation du vent et de la pluie leur parvint à travers la bouche béante de la porte. Les créatures s’y étaient probablement enfuies pour aller trouver gibier plus facilement accessible ailleurs. L’odeur du sang leur monta aux narines, alors qu’ils quittaient le havre de paix qu’était l’Ecumeuse quelques heures plus tôt à peine. Alaïs scrutait la noirceur de ses yeux terrifiés, et pressa encore le pas pour quitter leur refuge transformé en piège à rats. Elle sentit l’humidité et le froid lui lécher la peau et un nouveau frisson la parcourut sous son mince peignoir satiné.

Où iraient-il maintenant ?
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Kryss l'OsseletSaltimbanque
Kryss l'Osselet



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MessageSujet: Re: A travers l'horreur et la folie   A travers l'horreur et la folie - Page 2 EmptyVen 2 Aoû 2019 - 3:55
A travers l'horreur et la folie - Page 2 Chap_b10

L'air fut frais, et quelque peu écœurant, lorsque l'aube pointa le bout de son nez, quand ils sortirent tous les trois de « L’Écumeuse » corrompue par la Fange, oubliée par les ombres ou gangrénée par celle-ci somnolent. L'une blessée à son mollet, transportée par ses deux amis, Alaïs au cœur valeureux et brave, et Kryss à la désinvolture passionnée. Leur évasion ne leur joua pas de mauvais tour et aucune menace ne semblait vouloir les étriper. La bâtisse était devenue vide, sans vie, évaporée d'existence auparavant en pleine convalescence.

Qu'allons-nous donc faire à présent ? se le demanda le garçon à la courte chevelure pourpre soutenant la catin blessée.

Devant eux s'étendaient les étroites ruelles étriquées des bas-fonds du quartier malfamé. La pluie battante s'abattant sur eux à grande dose de moqueries, raillant bien d'eux et de leur misérable vie ne tenant qu'à un fil. Le saltimbanque les guida tout droit, entendit un bruit, feignant de ne l'entendre et partit de l'autre côté avec ses deux jeunes demoiselles en détresse, l'une forte et véritablement plus féroce qu'elle ne le paraissait, et l'autre apeurée de sa blessure ensanglantée mais émanant des souvenirs oubliés lui rappelant son enfance exubérante passée.

La Fange, cruelle gangrène, hantait les quartiers ignobles des basses ruelles attristées. Et Kryss, courageux, ou bien inconscient, se rapprocha de son obsession, lui et ses deux princesses, ses Muses nourrissant sa détermination à les sauver, au prix de sa misérable vie grotesque de bouffon désabusé. En cet instant, il n'avait plus qu'elles. Elles étaient ses bouées pour l'empêcher de se noyer, alors respirerait, même à bout de souffle, pour leur trouver un lieu dénué d'eau où elles pourraient respirer à pleins poumons la gaité à volonté.

« Je t'aime Lumis…, Je t'aime Alaïs…, leur dit-il à haute voix en les guidant. Oui, oui, je vous aime tant, bande d'idiotes… », se le redit avec conviction pour s'en convaincre lui-même afin de ne pas sombrer dans la folie pour rester face à la vérité du moment et la graver en lui à tout jamais.

Et le sacré fripon, plein de déraisons, les guida vers les bruits ambiants, entre pluie et hurlements provenant des ruelles parallèles. Et une main ferme l'agrippa alors, le retenant avec force pour l'inciter à s'arrêter.


« Mon Chou…, Mon Fils… », en pleura Eurya de son visage éploré sous les larmes du céleste grondant de cette nuit cauchemardesque.

La Matriarche le prit dans ses bras, et puis Lumis, et ensuite Alaïs, les considérant tous comme ses tendres enfants.

« Vous…, vous..., êtes si…, si beaux.. », en bégaya-t-elle d'émotion.

Les trois jeunes garnements furent ainsi guidés vers le cimetière abandonné, non loin de la bâtisse des catins où Kryss et Alaïs se retrouvèrent après leur horrifique rencontre en les latrines non loin. Cet endroit était dénué de vie, un charnier désolé depuis une dizaine d'années. Au milieu de ce par terre de morts en décomposition se trouvait une vieille chapelle, celles des criminels. Des gens immoraux, inhumains pour certains, que Kryss aida pour fuir la Milice Marbrumienne.

« Venez, venez ! » leur ordonna Eurya en les faisant entrer dans le lieu Saint abandonné bien que véritablement malsain.

Quand Alaïs, Lumis et Kryss entrèrent, ils découvrirent un havre de paix au milieu des pires criminels de Marbrume. Et bien que cela semblait effrayant, tous accueillirent Kryss comme un héros ; les meurtriers, les pédophiles, les zoophiles, les violeurs, les voleurs, les espions, et toute la pire espèce de la Cité de l'Humanité que le saltimbanque étriqué avait délibérément sauvé pour survivre lui aussi en échange de quelques vivres pour alimenter sa petite troupe de monstres.

« L'Osselet ! Reste donc ici ! Nous vous protégerons », s'écria Argos, Roi des pickpockets et assassin mercenaire à ses heures perdues.

On couvrit les deux jeunes femmes de grands et beaux tissus réchauffant au milieu de cette horrible caverne Sainte où la Trinité elle-même n'oserait y mettre pied.


« Mère, dites-moi…, dites-moi que vous n'avez rien…
— Je n'ai rien, sacré filou que j'aime…, en sourit-elle avant de laisser aller son enthousiasme d'un coup dévastateur. Mais certains enfants ont péri, mordus par les abominations, et nous avons fui du mieux que nous le pouvions. Et me rappelant cette vieille chapelle abandonnée qui fut le refuge de tes chers rebelles, y sommes allés. Je t'aime mon Kryss…, tu nous a sauvé… », en pleura Eurya en le prenant dans ses bras tandis que lui fit de même, la serrant fort contre lui, honteux du terrible endroit qu'il avait érigé pour les dangereux malfrats ne méritant d'exister réellement ici bas.

Alaïs fut prise en charge par quelques hommes robustes, s'étant certainement amourachés des jolies formes de la féline prédatrice. Lumis, quant à elle, fut aussitôt prise en charge par les demoiselles de « L’Écumeuse », et Kryss, lui, vit un petit bonhomme qu'il connaissait bien au loin, assis sur l'autel de la Trinité, les mains accrochées à son visage. Et s'en rapprochant, le cœur en vrille mais tant heureux, comme à contempler l'amour d'une mère à un enfant.

« Kraker… ? C'est toi… ? » en tremblota-t-il de ses fines lèvres où dévalaient quelques larmes limpides.

Le petit homme bosselé en son dos releva le regard et un radieux sourire enjoliva son faciès de bougon grognon.


« Espèce de sale petite bouse…, tu es vivant… », en tremblota-t-il des lèvres, les larmes perlant de ses petits yeux sombres.

Et jamais le Chef des Macchabées n'avait vu le terrible bougonneur Kraker pleurer et, à cela, implosa de ses sanglots, le saltimbanque se précipita vers le nain et le prit dans ses grands bras maigres aussi fort qu'il le put.


« Je t'ai cherché, cherché et cherché encore ! Et… , voulait-il continuer alors que Kryss ne l'arrêta dans son élan.
— Je suis tellement désolé…, je vous ai perdu…. Mais tu nous a retrouvé ! »

Le nain l'enserra, bien que râleur, et s'efforça de maintenir une certaine stabilité émotionnelle.

« Tu as fait de ton mieux, Chef… Que voulais-tu faire d'autre ? » finit-il d'une question ne demandant pas de réponse.

Kryss lui prit sa petite main et l'emmena vers Alaïs, assise sur un banc isolé de la chapelle.


« Sacrée Féline, je te présente Kraker ! C'est un des membres des Macchabées ! Un véritable freluquet, grognon qu'il est ! »

Le bouffon squelettique prit la main de la jeune et belle jeune fille et la guida vers celle du nain pour qu'ils s’empoignèrent la main.

« Elle est rapide, agile, espiègle et forte, courageuse à en dérouter la Trinité, ne deviendrait-elle pas une Macchabée, folle qu'elle est ? » proposa le garçonnet de sa tendre frivolité de fou à lier.

Le nain enserra la main de la jeune nouvelle victime de Kryss.


« Ne l'écoute donc pas. Si tu souhaites vivre ta vie en solitaire n'hésite pas…, mais si, comme lui, tu souhaites t'engager dans notre folie, fais donc partie de notre famille », en conclut Kraker d'un sourire sincère.
— Rejoins les Macchabées, jeune féline, en sourit Kryss. Tu auras une place en notre roulotte, et jamais tu ne manqueras d'une famille car nous serons toujours la tienne, promis belle Alaïs, lui assura avec cœur Kryss. Car bien sûr, il s'était attaché à elle, et elle s'était attachée à lui, mais était-ce aussi réciproque au point d'en bouleverser sa vie. Qu'avait-elle à perdre ? se le demanda Kryss d'un regain d'espoir. Je t'aime, petite tigresse, reste donc », en conclut-il de leur forte amitié nourrie d'atrocités.

La Chapelle des Criminels était un ignoble refuge de briques et de pierres érigé par Kryss lui-même, contre argent, bien évidemment. Mais jamais ne posait de question sur les gens lui demandant aide. Et les Fangeux du dehors avait beau hurler leur fureur, au milieu de toutes ces brutes, Alaïs, Lumis, et toutes les autres personnes étaient en sécurité à présent.

La seule chose à faire était de brûler les corps trainant en « L’Écumeuse » avant qu'ils ne se réveillent… Et aussi..., de la convaincre de rester auprès de lui..., féline Alaïs...


Dernière édition par Kryss l'Osselet le Ven 2 Aoû 2019 - 14:08, édité 6 fois
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MessageSujet: Re: A travers l'horreur et la folie   A travers l'horreur et la folie - Page 2 EmptyVen 2 Aoû 2019 - 10:50
Alaïs semblait enveloppée d’une forme de brouillard, épais, humide, et à la fois doux et réconfortant. Elle gardait des bribes éparses de leur énième traversée du Goulot, transis de froid, grelottant de peur et d’angoisse, entourés par les cris des humains en perdition et les hurlements de plus en plus éloignés des monstres. A se demander qui était qui, en définitive, tout ça se confondait à n’en plus finir. Alaïs s’agrippait autant qu’elle soutenait Lumis, dont les tremblements lui rappelaient la réalité de cette nuit interminable, quand les premiers rayons d’un jour nouveau parurent, gris et tristes.

La pluie ne cessait pas, mais la noirceur laissait place à une étrange clarté, un brin laiteuse, transformant peu à peu les rues des Bas Fonds en ombres grises et difformes, envahies de boue, de sang, et de corps torturés, ça et là, l’une se mêlant aux autres. Ils furent saisis au détour d’une rue par une main forte, et Alaïs retint un cri de surprise, avant que de ressentir la chaleur du contact d’Eurya, qui pleurait de soulagement de les retrouver. Et elle aussi, sans la connaître, la serra dans ses bras comme une mère retrouvée. Elle avait craint qu’elle n’ait servi de pitance à la Fange lorsqu’ils s’étaient séparés bien malgré eux dans les couloirs de l’Ecumeuse. Tout espoir n’était donc pas perdu. Certains vivaient encore et vivraient un peu plus le lendemain.

Ironiquement leur salut dépendait de ce cimetière qu’ils avaient traversé, presque sans s’arrêter, et de cette chapelle biscornue qui recelait tout un peuple caché, comme une fourmilière dissimulée sous une large pierre. Alaïs eut juste le temps de serrer ses bras contre sa poitrine menue, soudain consciente d’être à demi-nue parmi tous ces inconnus dont la mine de certains ne semblait guère engageante. La jeune fille eut un sourire fugace en pensant qu’elle n’aurait jamais côtoyé pareille populace s’il en était allé autrement des circonstances tragiques qui les rassemblaient tous ensemble du côté du front des vivants. Car c’était bien une guerre, une guerre impitoyable et sanglante où il fallait mériter chaque seconde de plus pour exister, posséder un nom qu’on pouvaitt appeler, un corps chaud et vivace qu’on pouvait étreindre et dire : “c’est mon frère, c’est ma soeur, c’est mon père et ma mère.” Elle se laissa donc emporter par quelques gaillards à la mine patibulaire mais souriante et envelopper d’un manteau dont la pesanteur sur ses épaules l’envahissait de douceur et de réconfort.

En un instant, elle était assise sur un banc dont la rugosité contrastait violemment avec la douceur de cette banquette si lointaine de la maison d’Eurya. Mais Alaïs aurait pu s’y allonger là et y trouver la couche la plus merveilleuse qu’elle avait jamais connue. Etrangement, elle n’en fit rien, incapable de fermer les yeux, ni même de penser. Elle deviendrait sous peu une de ces statues de pierre, petite gargouille de la chapelle, tant elle n’avait ni la volonté ni la force de faire un autre mouvement. Elle contemplait les lieux et sa faune bigarrée de types armés, de filles effarées, de gens petits ou grands, maigres ou forts qui se tassaient là en attendant des jours meilleurs. Et elle voyait Kryss, comme un prince retrouvant ses drôles de sujets, retrouvant sa famille perdue, versant des mots d’amour comme d’autres versent du vin dans les coupes.

Et il émanait cette joie intense, d’être en vie et d’être ensemble, de pouvoir toucher les siens tout contre soi. Alaïs soupira doucement, ravie, flottant dans un état intermédiaire entre absence et présence, distribuant des sourires à ceux dont les mains se tendaient pour lui serrer l’épaule, ou lui adresser un mot de réconfort. Ses yeux restaient néanmoins obstinément ouverts comme si les fermer un instant la rendrait moins vivante, ou trop loin de ce monde qui lui semblait le dernier bastion de l’humanité. Elle suivait Kryss de son regard, tandis qu’il serrait contre lui un nain qu’il semblait connaître et qui lui donnait du “Chef”. Ce dernier venait d’exploser en sanglots bruyants dans les bras de son frère, quand ils se dirigèrent vers elle, flottant dans cet état de semi-conscience bienfaisant. Elle se ressaisit un peu quand elle comprit que Kryss faisait les présentations, faisant son éloge pour le nain dénommé Kraker.

“Kraker quel drôle de nom ! Comme vient de le dire Kryss, moi c’est Alaïs. Mais mes amis m’appellent Al’. Enchantée !” Et elle serra la main du nain, dévisageant ce nouvel arrivant de ses yeux clairs et souriants. Kryss semblait avoir retrouvé une nouvelle vigueur et exsudait de lumière plus que ce matin gris ne pourrait jamais le faire. Déjà, il parlait de lui faire rejoindre sa troupe de joyeux et terribles lurons et Alaïs agrandissait les yeux, troublée, gênée par la générosité du prince des fous. N’avait-il pas déjà fait beaucoup pour elle ?

« Rejoins les Macchabées, jeune féline. Tu auras une place en notre roulotte, et jamais tu ne manqueras d'une famille car nous serons toujours la tienne, promis belle Alaïs. Je t'aime, petite tigresse, reste donc.»

Alors que Kraker semblait plus mesuré et raisonnable, Kryss lui souriait, emballé à cette idée qui venait de germer aussi naturellement qu’un diable sort de sa boite. Et Alaïs oscillait sur ce fil ténu. Une famille elle en avait encore une, quelque part au Labret, mais cela lui déchirait les entrailles, rien que d’y songer. Et comment résister à cette déclaration d’amour et d’amitié, venant d’un coeur si spontanément bon et généreux ? Il lui semblait à bien y regarder que la foule ici bas était bien plus riche que celle des beaux quartiers qu’elle avait vus de loin.

“Eh bien… pourquoi pas ? Plus on est de fous, plus on rit, non ?”

Et elle sourit doucement, serrant les mains de Kryss entre les siennes, tandis qu’elle acceptait cette drôle de proposition.

“Mais je ne compte pas vivre à tes crochets… Je gagnerai ma graine !”

Elle se sentait un peu gênée tout à coup d’accepter sans proposer quoi que ce soit en échange.

“Et puis, il faudra déjà qu’on sorte d’ici…” Mais de ce côté là, elle ne semblait pas pressée.

“Est-ce que Lumis et Eurya vont bien ? Où sont les autres ?”

Elle se doutait bien que Kraker n’était pas le seul membre de cette joyeuse troupe bigarrée qu’ils semblaient former, et ces considérations plus terre à terre l’envahissaient malgré tout, comme un insidieux rappel de la réalité.
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Kryss l'OsseletSaltimbanque
Kryss l'Osselet



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MessageSujet: Re: A travers l'horreur et la folie   A travers l'horreur et la folie - Page 2 EmptySam 3 Aoû 2019 - 2:53
Kryss en sourit, comme un vagabond de cinq ans découvrant le monde, car la jolie demoiselle aux perles bleutées avait accepté sa noble proposition d'intégrer sa joyeuse, et horrifique, troupe de gais lurons. Il en était d'autant plus heureux pour soutenir la peine d'avoir, potentiellement, perdu l'un d'eux. Et Mograth, et Rhoark, tous deux disparus depuis leur séparation. Le bouffon en pleurait et en riait, entre folie et simple malheureuse hystérie. Au plus profond de lui espérait les revoir tous ensemble et, fièrement, leur présenter la nouvelle Macchabée de sa grandiloquente euphorie.

Alaïs enserra les mains maigrelettes du saltimbanque maigrichon, se voulant de ne pas vivre à ses dépens, ce qu'il accepta tout à fait d'un léger hochement de la tête orné d'un timide sourire. Et il la sentit gênée et, s'en préoccupant, voulut briser cet état en lui caressant délicatement la joue.

« Tu n'as plus à te soucier de toi, car nous serons toujours là, belle féline. »

Et aux mots suivant de sa compagne de rue, adhéra à sa proposition ; il ne fallait plus rester là, bien qu'attendre quelques heures que l'horreur ne s'estompe des ruelles aux pestilentielles odeurs.

Kryss l'enlaça d'un bras autour de son cou, lui aussi traumatisé de leur terrible nuitée, mais ne voulant la divulguer.


« Lumis et Eurya vont bien, elles sont sauvées », en sourit-il de ses fines lèvres rosâtres.

Le regard du chenapan maigrichon échappa à la deuxième question, ne voulant y répondre tandis que Kraker, éternellement franc, lui répondit.

« Rhoark et Mograth sont absents, et rien ne nous dit qu'ils sont encore vivants.
— Tais-toi, vil pessimiste, ils sont en vie ! Ils reviendront quand les choses se seront calmées, le sermonna le chenapan maigrichon en le tapotant sur son front.
— Je l'espère, peut-être, s'en excusa presque l'honnête nain.
— Tu l'espères mal ! Alors fais le bien ! Et efforce-toi d'y penser ainsi ! » le gronda Kryss.

Le nain ne dit mot devant l'espoir dérisoire mais inviolable de son Chef bien-aimé. Et après quelques heures où ils purent tous se reposer, se retrouvèrent dehors, en le cimetière abandonné.

Les corps des enfants et des adultes de « L’Écumeuse » étaient amoncelés sur une pyramide de bois et une des catins, belle et jolie de son teint de jasmin, enflamma le bûcher. Et les corps se mirent à disparaître entre les flammes, devenant poussières d'âme sous les larmes des gens les aimant, ayant encerclé le feu flamboyant.

Kryss s'empara de la main d'Alaïs, la serrant fort en regardant le feu immense au centre des terres macabres, et les enfants, et les mères et les grands-mères, brûlaient. Ils étaient les victimes de morsures ou d'accidents, mais toujours liés aux Fangeux. Entre les tombes, le bouffon baissa le regard, soumis à l'incontrôlable déflagration lui étant bien plus puissante que lui. Et serrant de plus en plus les doigts délicats d'Alaïs entre les siens, demanda pardon à tous ces morts condamnés à l'immortalité s'ils ne s'étaient pas fait décapités.


« J'aurai pu faire bien plus, se le convainc-t-il en le murmurant. J'aurai tant aimé me faire remarquer de mon courage inexistant », et ses lèvres tremblèrent, et tous ces corps entassés, pour lui, auraient pu être sauvés s'il n'avait pas pensé qu'à Lumis et Alaïs. Et, à tout bien réfléchir, l'une de ses deux pertes l'aurait totalement détruit intérieurement, alors s'y soumis, comme un prisonnier face à sa cellule pour le restant de sa vie.

Et les flammes hautes valsaient en les airs, dansant farouchement comme de grandes et belles volutes éthérées guidées par le flux et le reflux d'énergie, positive ou négative. Mais voltigeant librement sans aucun jugement.

Et le soleil se leva, éblouissant le terrible quartier éventré du Goulot dans lequel ils étaient. Et la Milice, effrayée mais codée, éradiqua la menace, sauvegardant les quartiers sales et les gens y vivant. Contrôlant les morsures et les réactions inhabituelles. Un nouveau roi venait d'être élu, mais au prix de la vie de centaines de personnes et de milliers d'autres touchées par elle.

Kryss l'Osselet resta debout face aux flammes gigantesques du cimetière délabré, enserrant les fins doigts de la belle Alaïs, ferma ensuite les yeux et les rouvrit, se disant que tout était enfin fini.


Fin:
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Alaïs MarlotVoleuse
Alaïs Marlot



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MessageSujet: Re: A travers l'horreur et la folie   A travers l'horreur et la folie - Page 2 EmptySam 3 Aoû 2019 - 11:54
Alaïs se faufilait à travers les fumées et la boue grasse du Goulot, qui prenait désormais des allures de mendiant épuisé, exsangue, après l’attaque des Fangeux. A la chaleur des brasiers succédait la triste mélancolie de tout ce qui avait été perdu en cette nuit funeste. Une grande inspiration avait secoué les rues, les survivants sortant peu à peu de leur trou pour constater en cillant les dégâts, compter les restes de ce monde en perdition. Bientôt, la routine, la fébrile activité de cette termitière à ciel ouvert reprendrait, les trafics aussi et la course à la survie également. Alaïs ne voulait pas s’en soucier maintenant. Elle filait vite, retrouvant ses marques, comme si la nuit précédente avait gravé pour toujours dans sa mémoire la disposition des rues qu’ils avaient traversées. Des incertitudes persistaient, cela étant, mais pour l’instant, il fallait profiter d’être en vie, retrouver un sentiment illusoire de sécurité. Alaïs arriva enfin. Le cloaque était toujours là, et toujours aussi malodorant. Elle plissa les narines, et contourna au mieux les déjections.

Elle eut la sensation l’espace d’un instant de revoir la créature, de sentir son souffle dans son cou, mais ce n’était que la brise du mois de mai sur sa peau. Passant une main crispée dans sa nuque, elle fouilla du regard les latrines répugnantes. Et elle perçut l’éclat d’un petit grelot abandonné, comme un appel de détresse. Elle effectua quelques détours et se fraya un passage jusqu’à l’infortuné, avant de découvrir le reste de la noble coiffe, souillée et quelque peu écrabouillée. Elle avait perdu son lustre mais pas tout son éclat. Les grelots étaient intacts, et le tissu, bien que déchiré par quelque griffe cruelle, gardait la plupart de son intégrité. Alaïs trouva un tonneau rempli d’eau de pluie et nettoya consciencieusement la vaillante couronne qui les avait sauvés, elle et le prince des Macchabées. Elle la baigna longuement, comme on lave un nouveau-né, avec délicatesse, dans l’espoir de lui offrir une seconde vie, bien méritée.

Puis, elle fut alpaguée par la voix rude d’un milicien, qui la tira de ses ablutions : “Faut pas rester là, petite, on va boucler cette partie du quartier. Circule avant de te faire ramasser.” Elle lui sourit de toutes ses dents et s’écarta avant de se faire rabrouer.

“Oh je sais exactement où aller.”

Puis s’adressant à la noble couronne défraichie, comme si elle était en vie, tâcha de la rassurer : “ Ne t’en fais pas, je connais quelqu’un qui pourra s’occuper de toi !”

Bientôt le prince des Macchabées retrouverait sa couronne, presque comme avant.
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