Cœur à cœur entre frère et sœur [PV Zephyr]

« Ça ira, Ilda, je ne veux pas faire attendre davantage Zephyr. Il semblait plutôt sérieux. »

Idalie lissa la robe d’intérieur crème qu’Ilda venait tout juste de l’aider à enfiler et sourit à la femme de chambre pour la remercier. Elle rentrait à peine du temple, où elle avait passé quelques heures à prier et, pour se rendre utile, à donner un coup de main aux prêtres et aux prêtresses dans l’accomplissement de diverses petites tâches. En passant la porte, elle avait prévu se changer — sa robe demandait souvent un brin d’amour après un moment à faire des allées et venues un peu partout ainsi — et répondre à ses correspondances, mais elle avait croisé Zephyr qui, l’air relativement grave, lui avait manifesté son souhait de s’entretenir avec elle dans son bureau. Si elle avait tout décidé de prendre le temps de troquer ses vêtements pour d’autres, Idalie avait indiqué à llda de ne pas trop traîner. Elle ignorait de quoi Zephyr voulait lui parler, mais ce devait être important.

Après avoir replacé un ou deux mèches dissidentes dans son chignon, Idalie sortit de sa chambre. Tandis qu’elle se dirigeait vers le bureau et qu’Ilda, de son côté, l’accompagnait pour prendre la route de la cuisine, elle donna ses instructions pour le dîner, prenant soin de préciser dans le détail ce qu’elle souhaitait exactement. Ilda se contentait de hocher la tête, bien habituée au côté méticuleux de la demoiselle, qui aimait les choses simples, mais faites avec application.

« Merci, Ilda, dit Idalie lorsqu’elle eut fini. Oh, et Zephyr m’a mentionné qu’il ne souhaitait pas que nous soyons dérangés, alors à moins d’une urgence, veuillez avoir l’amabilité de ne pas frapper à la porte.

- Très bien, Mademoiselle d’Auvray. »

Sur ces mots, les deux femmes se séparèrent et Idalie rejoignit le bureau de son frère. La porte était entrouverte, mais elle donna tout de même quelques petits coups discrets pour annoncer sa présence. Lorsqu’elle vit que Zephyr l’avait remarquée, elle se permit d’entrer, non sans prendre la peine de refermer derrière elle.

« Pardon de t’avoir fait attendre, s’excusa-t-elle en avançant vers lui. Je ne supportais plus cette robe et je voulais qu’Ilda puisse la laver dès que possible pour éviter qu'elle reste tachée. »

Idalie s’arrêta devant Zephyr et lui sourit doucement, l’observant tranquillement. Comme elle le faisait souvent, elle le détailla attentivement, vérifiant s’il avait l’air fatigué, s’il était préoccupé, s’il semblait de bonne ou de mauvaise humeur...

« Tu souhaitais me parler? demanda-t-elle en poursuivant son examen silencieux. Tu semblais particulièrement sérieux.. Tout va bien? »

Ulric aurait naturellement su quoi dire et quoi faire, assurément. Zephyr se souvenait parfaitement de la facilité avec laquelle son frère avait toujours su prendre ce genre de décisions et comment il avait toujours su les amener dans une saine conversation. Bien plus loquace et à l'aise en public, l'héritier des Auvray n'avait malheureusement pas survécu, ni non plus le reste de leur famille, plaçant Zephyr à la tête de celle-ci, avec ce que cela implique de responsabilités vis-à-vis de sa cadette et de leur nom à honorer et faire perdurer. Récemment et fort heureusement, l'homme d'arme s'était aventuré sur le chemin des mondanités et des convenances, écoutant les conseils avisés de la Dame De Pessan et lui en demandant même sur différents sujets. Idalie demeurait à l'heure actuelle au centre de ses préoccupations, car il était bien naturel de prendre soin de la dernière membre de leur famille, celle avec laquelle il avait de surcroît toujours eu le plus d'affinités. A présent que l'homme avait prit une décision, il se devait d'en faire part à la concernée et de lui exposer ses motivations, espérant secrètement qu'elle soit à la fois compréhensive mais point non plus trop effacée à ce sujet. Cette journée ensoleillée était idéale lui semblait-il et, la croisant alors qu'elle revenait du Temple, il lui demanda de le rejoindre dans son bureau où il se rendit le premier, patientant en s'occupant de différents documents jusqu'à-ce qu'elle ne toque à la porte. Évidemment, songea-t-il avec un tendre amusement, elle s'était changée pour ne pas paraître devant lui couverte des traces de son aide apportée aux nécessiteux. Elle était bien plus douée pour ces choses-là que lui, assurément.

- Oui installe-toi Idalie, nous avons des choses à nous dire.

Le ton était grave quoique doux à son encontre, de même que le léger sourire légèrement contrit par le flot de ses pensées. Zephyr n'était pas totalement à son aise bien que visiblement déterminé, lui indiquant le fauteuil face à son bureau pour qu'elle puisse prendre place. Il laissa passer quelques brèves secondes, puis prit une inspiration avant de se lancer.

- Cela fait longtemps à présent que nous sommes installés à Marbrume et je pense que nous avons désormais pris suffisamment nos marques pour percevoir les possibilités qui s'offrent à nous, au moins en partie.

Une introduction teintée de prudence, voilà bien une chose peu commune venant de celui qui préférait un affrontement direct à des propos détournés de convenance.

- Je vais être franc, ma chère Sœur, je m'inquiète pour ton avenir en ce monde.

Voilà, c'était dit, mais qu'avait-il dit exactement ? Ces quelques mots étaient encore bien trop vagues, il se devait de préciser le fond de sa pensée. Ah, quelle plaie que ces choses-là.

- Pour ce qui est de la Fange, je m'en occupe tu le sais, aussi n'as-tu point à t'inquiéter à ce propos, mais je songe surtout à ton avenir en tant que femme issue d'une famille de Bannerets. Je sais que tu es encore jeune, mais je serais rassuré si je savais que tu avais quelqu'un à tes côtés pour te protéger s'il devait m'arriver quelque chose.

Il se racla la gorge.

- Un époux notamment pourrait remplir ce rôle.

Zephyr eut l'impression de la jeter en pâture à une cohorte d'hommes brutaux prêts à n'importe quoi pour mettre la main sur le bijou précieux et délicat qu'était sa sœur, et cette seule idée lui arracha un lourd soupir de culpabilité. Il ne pouvait simplement s'en tenir là et la renvoyer à ses occupations, ils devaient en discuter plus avant, assurément.

- Loin de moi l'envie de t'imposer qui que ce soit, Idalie, en vérité si je m'écoutais tu pourrais bien attendre encore de longues années avant de te décider, mais je suis inquiet quant à ce qu'il pourrait t'arriver si je devais périr au combat. Tu n'as pas à te précipiter dans les bras du premier venu, je t'invite même à choisir quelqu'un qui te plaira sincèrement et non quelqu'un que tu penses capable de t'assurer une vie confortable, car tout ce que je veux c'est que tu trouves un homme capable de te rendre heureuse.

Il lui sourit tendrement, de cette affection que seul un frère aimant peut avoir envers sa petite sœur. Quand il la regardait, il avait parfois l'impression de revoir l'enfant qu'elle avait été, si pétillante et sage à la fois, si pleine de vie et si mature à la fois... Il aurait été un père et elle sa fille qu'il n'aurait pas été plus fier. Mais à présent l'heure était venue de ne plus se voiler la face et d'affronter la dure réalité de ce monde plongé dans le chaos. Cessant ainsi son monologue de grand frère chef de famille, Zephyr guetta les réactions de sa cadette avec une certaine appréhension, prêt à encaisser fureur et protestations, refus catégorique, voir même une crise de larmes bien que cela ne soit pas le genre de la jeune femme. Ah, qu'il était difficile d'oser dire de telles choses.

Lorsque Zephyr l'invita à s'asseoir, Idalie s'exécuta, lissant sa robe par réflexe après avoir pris place devant son frère. En l'observant, elle devina qu'il n'était pas très à l'aise vis-à-vis de la conversation qu'ils allaient avoir, mais que celle-ci était nécessaire. Elle ne le pressa pas et lui laissa le temps dont il avait besoin pour mettre de l'ordre dans ses idées et se lancer. Elle fut un peu étonnée par cette entrée en matière plutôt vague, car son frère parlait généralement sans détours, et fut aussi surprise quand il déclara qu'il s'inquiétait pour son avenir en ce monde. Elle fronça délicatement les sourcils. Que voulait-il dire exactement? Ne pensait-il pas qu'elle se débrouillait plutôt bien depuis qu'ils étaient arrivés, qu'elle faisait ce qu'il fallait? En plus d'aider au temple et de tenir la maison, elle s'était lancée dans la rénovation d'un établissement qui allait ouvrir ses portes dans les prochaines semaines... Elle n'avait pas été de toutes les fêtes, mais elle avait tout de même participé à quelques soirées mondaines pour que leur nom fasse bonne figure... Et même si elle ne sortait pas toujours en compagnie d'Ilda, elle restait prudente et s'assurait d'éviter de se mettre en danger inutilement. Pourtant, Zephyr s'inquiétait, et...

En entendant la suite, Idalie sut immédiatement de quoi il était question. Zephyr voulait lui parler de mariage. Ils avaient enfin cette conversation qui avait été repoussée tant de fois, autant par elle que par lui. Elle avait abordé le sujet avec le père Aaron et avait été perturbée par les conclusions qu'elle avait tirées de leur discussion, mais n'avait pas encore eu la discussion avec son aîné. C'était délicat, très délicat. Pour elle, surtout, mais pour lui également, car il s'agissait d'un changement qui viendrait bouleverser complètement leur vie à tous les deux.

Idalie écouta Zephyr jusqu'au bout, sans l'interrompre une seule fois. Elle le regarda et répondit à son sourire tendre. Pas de fureur, pas de protestations, pas de larmes. Elle était calme, car savait depuis longtemps qu'elle ne pourrait rester célibataire indéfiniment. Zephyr n'en avait peut-être pas conscience, mais ils avaient déjà beaucoup traîné... Elle ne pouvait pas se permettre d'attendre de longues années. Elle avait même beaucoup de retard sur la plupart des jeunes femmes de son âge. Nombre d'elles avaient un époux depuis quelques années déjà et étaient mère d'un ou deux enfants. Certains hommes ne considéreraient même l'épouser parce qu'elle avait vingt-trois ans – après tout, célibataire à un tel âge, quelque chose devait clocher avec elle. Zephyr ne la voyait pas comme les autres la voyaient. Elle était sa petite sœur et elle ne pouvait s'empêcher de penser qu'il ne parviendrait jamais à la considérer d'un œil impartial...

« Je comprends, Zephyr, commença-t-elle pour rassurer son frère, qui semblait craindre un éclat de sa part. À vrai dire... À vrai dire, je songe à tout cela depuis un moment moi-même. Je sais qu'il faut être raisonnables. Je sais qu'il est temps. »

Elle offrit un léger sourire à son frère. Elle n'était pas hostile à l'idée de trouver un époux... Elle avait même plutôt envie d'avoir une famille, des enfants qui lui apporteraient sans doute un grand bonheur même si l'amour ne naissait jamais entre son futur mari et elle. Elle était toutefois inquiète à l'idée de laisser son frère, de le quitter. Ils avaient toujours veillé l'un sur l'autre, encore plus depuis qu'il ne restait qu'eux. La séparation serait difficile. Elle était pourtant nécessaire et inévitable, le père Aaron le lui avait bien fait comprendre. La perspective continuait cependant de la troubler.

« Je... J'espérais rencontrer quelqu'un, quelqu'un qui me plairait et pour qui j'aurais des sentiments, mais la chance n'a pas été de mon côté et je ne sens pas que je peux me permettre d'attendre quelque chose qui n'arrivera peut-être jamais. »

Idalie eut un vague pensée pour Hector qu'elle balaya immédiatement loin de son esprit. Quelqu'un lui avait déjà plu et elle s'était gravement trompée à son sujet. Elle s'était depuis faite très prudente avec les galants qu'elle rencontrait parfois lors des soirées mondaines. Elle laissait désormais la raison parler bien avant le cœur.

« Je n'aspire plus à épouser un homme ont je serais amoureuse, mais peut-être plutôt un homme pour qui je pourrais développer des sentiments au fil du temps... Une personne avec qui je m'entendrais bien, qui me respecterait et qui partagerait mes valeurs. Nos valeurs. Quelqu'un de droit, quelqu'un qui a bon cœur. »

Idalie joignit ses mains contre ses cuisses. Elle marqua une pause.

« Tu me connais mieux que personne, Zephyr... Et avec tes pouvoirs magiques de grand frère protecteur, tu sais différencier du premier coup d'œil un homme qui me traitera adéquatement d'un homme qui me rendra malheureuse. De plus, je veux épouser quelqu'un en qui tu auras confiance, car il est hors de question que tu passes tes journées à t'inquiéter pour moi alors que tu as d'aussi importantes responsabilités. »

La jeune femme hésita un instant. Elle savait que ce qui allait suivre était probablement ce que Zephyr souhaitait éviter, mais bon...

« Je cois que... tu devrais garder l'œil ouvert et établir une liste de prétendants qui te semblent convenables, autant pour toi que pour moi. Je pense que nous devrions choisir ensemble et entreprendre les démarches nécessaires une fois notre décision prise.

Idalie avait toujours été une jeune femme douce et compréhensive, dont l'esprit délié n'avait d'égal que la bienveillance dont elle faisait preuve envers autrui et, plus particulièrement, envers son frère aîné qui avait mis un point d'honneur -et d'affection familiale- à veiller sur elle jusqu'à présent. L'heure était venue pourtant de la laisser prendre son envol et, si Zephyr avait appréhendé le début de cet échange, il fut soulagé à la seconde même où elle affirma comprendre, lui confiant même dans un doux sourire qu'elle y avait elle-même songé. Les Trois soient loués ! L'impression d'être un monstre sans cœur jetant sa cadette en pâture à des hommes sans scrupules s'évanouit immédiatement et il se rasséréna, se détendant visiblement dans son siège sans pour autant se laisser aller complètement. Sa sœur lui expliqua qu'elle avait espérée trouver l'amour, et il semblait hélas que cela ne soit pas le cas, d'où le fait qu'elle en vienne aux mêmes conclusions que lui, quoique bien plus rapidement et avec bien plus de bon sens. Cela fut malgré tout douloureux de l'entendre prononcer le mot "jamais" et le Sergent secoua légèrement la tête, ne désirant pas la voir se résigner malgré tout, quoique sa vision des choses soit désormais similaire à la sienne : trouver quelqu'un avec qui bien s'entendre et laisser l'affection s'installer avec le temps et les ans.

- Ne dis pas cela, nul ne connaît notre avenir hormis les Trois, cependant j'entends combien tu es raisonnable et c'est une bonne chose. L'amour peut venir avec le temps, car à force de connaître quelqu'un l'on peut s'y attacher de telle façon qu'on ne voudra plus jamais le perdre.

Il ne pu s'empêcher de sourire en entendant Idalie parler des pouvoirs du grand frère protecteur, mais le fait est qu'elle aurait besoin de lui pour éviter les écueils de certains prétendants jouant sur le paraître, aussi son expression se fit-elle plus grave à mesure qu'il écoutait sa cadette lui demander de s'assurer qu'elle ne se fourvoierait point. Sa réputation n'était pas en cause et pourtant la jeune femme semblait vouloir à tout prix ne pas risquer de l'entacher par ses actes ou ses choix, ce qui fut un rappel assez brutal des années qui venaient de s'écouler, de l'insouciance qui s'était envolée et des efforts qu'il leur fallait désormais fournir dans ce monde devenu fou. Ah, douce et tendre petite sœur, quand donc étais-tu devenue si désenchantée et résignée ?

« Je cois que... tu devrais garder l'œil ouvert et établir une liste de prétendants qui te semblent convenables, autant pour toi que pour moi. Je pense que nous devrions choisir ensemble et entreprendre les démarches nécessaires une fois notre décision prise. »


- A ta demande je concède, mais tu dois me faire une promesse en échange. Si aucun de ces prétendants convenables ne trouve grâce à tes yeux, tu ne devras point te forcer. Je ne connais point tout le monde ici, nombreux sont ceux qui vont et viennent sans se faire remarquer, alors si ceux que je trouve ne conviennent pas, j'en chercherait de nouveaux, car il est hors de question que ma sœur soit malheureuse.

Zephyr se leva et contourna son bureau, venant poser un genou près d'Idalie et lui prenant doucement les mains entre les siennes, la fixant de ses yeux gris. Il était à la fois confiant et inquiet, c'était là un rôle qui aurait dû échoir à leurs parents, mais ceux-ci n'étaient plus depuis longtemps et lui-même n'avait que trop tardé à faire ce qu'il convenait.

- Tu pourrais déjà me dire ce que tu plaît chez un homme, cela m'aiderait beaucoup dans mes recherches. Te connaissant j'imagine fort bien que ce n'est point son rang ni sa réputation -encore qu'il y a des limites à ne point franchir tu en conviendras- mais est-ce sa conversation, son apparence, son esprit ?

Il eut un bref rire, à la fois gêné et amusé, secouant brièvement la tête avant de la fixer avec un sourire désolé.

- Je me rend compte que je ne t'ai jamais posé ces questions malgré tout ce temps passé ensemble. Si tu le permet je vais prendre des notes, afin de ne point faire d'erreur.

Le Sergent se releva et embrassa tendrement le front de sa sœur, lui souriant avant de retourner s'asseoir à son bureau, préparant réellement sa plume et un parchemin, non sans adresser à sa cadette un sourire complice et amusé. Certes il leur fallait faire preuve de raison, mais personne n'avait dit qu'il leur faudrait le faire dans une ambiance déprimante. Zephyr y voyait finalement là une occasion d'évoquer avec Idalie un sujet qui, s'il pouvait être sensible et délicat, n'en demeurait pas moins essentiel. Et puisque leur Mère n'était plus de ce monde, ce rôle lui incombait également, dans une certaine mesure. S'il avait été marié, son épouse aurait pu s'en occuper, mais lui aussi avait un peu de retard de ce côté, même beaucoup en vérité. La plume à la main, un léger sourire au coin des lèvres, il se tint prêt à noter les éléments essentiels de leur échange et, ensuite, ils pourraient établir un plan de bataille. Après tout ne disait-on pas "à la guerre comme en amour" ? L'heure était venue de le vérifier.

Zephyr avait raison : nul hormis les Trois ne pouvait connaître l'avenir. Idalie acquiesça doucement. C'était aussi ce que le prêtre Aaron lui avait dit. Néanmoins, si elle laissait son sort entre les mains des Dieux, elle n'osait plus trop espérer le dénouement que tous souhaitaient tant lorsqu'il était question de mariage. La chance n'avait pas encore frappé à sa porte et elle ne pouvait pas l'attendre éternellement. Elle préférait désormais faire preuve d'un réalisme teinté d'optimisme : elle n'épouserait pas l'amour de sa vie, mais elle se marierait sans doute avec un homme bien pour qui elle développerait une affection particulière. Elle se considérait chanceuse. De nombreuses jeunes femmes n'avaient pas de grands frères aussi bienveillants que Zephyr et étaient simplement jetées en pâture au premier noble de joli rang qui voulait d'elles. Son aîné ne ferait jamais cela, et c'était bien la raison pour laquelle elle lui demandait sans crainte de l'aider à chercher un mari convenable.

Zephyr accepta sa demande, mais voulait en échange une promesse : qu'elle ne se force pas si aucun des prétendants présentés ne lui plaisait. Elle ne put s'empêcher de sourire à cette exigence. Il tenait tant à son bonheur... Bien souvent, elle songeait qu'il y accordait bien plus d'importance qu'elle-même. Était-ce parce qu'elle avait tendance à le faire passer en deuxième et à prioriser celui des autres, en particulier celui de Zephyr lui-même? Idalie eut un léger soupir intérieur. Oui, la séparation serait difficile...

« C'est promis, Zephyr, accepta-t-elle. Si aucun ne me plaît, je te le dirai. »

Idalie regarda son aîné poser un genou près d'elle et se saisir de ses mains affectueusement. Il semblait déterminé à choisir pour elle des prétendants qui lui conviendraient, mais aussi très inquiet, probablement à l'idée d'échouer. Elle le fixa dans les yeux et lui sourit calmement pour le rassurer. Elle lui faisait confiance. Aveuglément.

Zephyr reprit la parole. Il désirait savoir ce qui lui plaisait chez un homme pour mieux orienter ses recherches... Il allait même prendre des notes! Attendrie, Idalie sourit lorsqu'il se releva et déposa un baiser sur son front avant de reprendre sa place. Elle rit un peu devant son air amusé alors que, plume et parchemin en main, il attendait patiemment qu'elle lui énonce sa liste de qualités recherchées chez un homme. Elle savait qu'elle pouvait tout dire à son frère, mais c'était un peu étrange d'aborder ce sujet de façon aussi officielle. Elle peinait un peu à croire qu'ils n'avaient jamais échangé là-dessus auparavant... Elle avait sans doute toujours imaginé que c'était une conversation inutile et qu'il la connaissait si bien qu'il devait savoir, tout simplement.

« Je ne te les ai jamais posées non plus, tu sais, répondit-elle. Pour la peine, après, ce sera à ton tour. Et je prendrai également des notes pour la forme! »

Idalie offrit un sourire complice à son frère. Maintenant qu'il l'interrogeait sur ses préférences en matière d'hommes, elle était aussi curieuse de l'entendre lui expliquer de vive voix ce qu'il recherchait chez une femme. Elle pensait avoir une bonne idée, mais elle n'excluait pas la possibilité d'être en partie dans l'ignorance, surtout après les dernières années, qui les avaient malgré tout un peu changés tous les deux.
Idalie se cala légèrement contre le dossier de son siège, prenant une posture plus détendue maintenant que Zephyr était moins grave, et afficha une mine pensive. Que dire? Par où commencer?

« Le rang n'a pas réellement d'importance, tant qu'il est convenable pour le nom d'Auray, se lança-t-elle finalement. La réputation... Je laisse cela à ton bon jugement. Je sais que tu ne me laisseras pas entre le mains d'un homme qui ternirait notre réputation à tous les deux auprès de nos pairs. Je te fais confiance. Je ne le répéterai jamais assez. »

Idalie offrit un sourire tendre à son frère avant de poursuivre :

« L'apparence est secondaire pour moi, c'est le cœur qui compte d'abord et avant tout. J'aimerais toutefois, si possible, éviter les prétendants qui ont le double de mon âge... Je ne voudrais pas me retrouver veuve de façon prématurée. Je... »

Idalie s'arrêta un instant pour réfléchir. L'exercice était plus difficile qu'elle l'avait imaginé. Elle n'avait jamais vraiment dressé le portrait de son « mari idéal », sauf peut-être avec Gracianne alors qu'elles n'étaient encore que de jeunes filles. Elle avait, disons, revu ses attentes depuis.

« J'aimerais être avec quelqu'un qui respecte les Trois, c'est évident, poursuivit-elle après un bref silence. Et quelqu'un qui me respecte aussi, qui sera prêt à écouter ce que j'ai à dire. Je veux dire... Je connais ma place, mais j'ai aussi des idées et des opinions, et j'aimerais pouvoir les exprimer quand le temps est approprié... mais c'est peut-être un aspect difficile à déterminer pour toi. Je pense que tu peux raturer, ce n'est pas très utile. »

Idalie se leva légèrement de son siège, juste pour voir si Zephyr raturait comme elle le voulait, puis reprit place.

« J'aime les gens qui ont bon cœur et qui sont droits, alors j'imagine que je cherche un homme qui possède ces qualités. J'aime la simplicité... Les mondains trop mondains ne me conviennent pas parce qu'ils passent souvent leur temps à cracher sur le petit peuple et je déteste cela, tu le sais. Je cherche une personne honnête et franche qui ne tentera pas constamment à manipuler son prochain pour son propre avancement. Quelqu'un qui ne me gardera pas non plus sous clé, qui me laissera avoir des projets, même si ma famille sera toujours ma priorité. Et quelqu'un qui saura me protéger et protéger les enfants que je lui donnerai un minimum. »

Idalie offrit un sourire entendu à son frère. Elle savait se servir d'une dague, mais elle n'avait pas envie de sentir qu'elle seule était apte à se défendre au moins un peu si quelque chose arrivait. Peut-être était-elle trop habituée de vivre avec de guerriers pour songer à partager sa vie avec un homme qui n'avait jamais touché à une arme de son existence, en particulier maintenant que la Fange les menaçait.

« Je ne suis pas en quête de perfection. Tout le monde a ses qualités et ses défauts. Je ne cherche pas un homme beau et riche qui est à la fois un héros de guerre, un expert de l'étiquette et un incorrigible romantique. Je cherche quelqu'un qui a les deux pieds bien ancrés sur terre, quelqu'un avec qui je pourrai tisser une bonne entente et, peut-être, passer d'agréables moments dans notre vie commune. »

Idalie haussa les épaules et ajouta :

« Je veux aussi que tu apprécies ou, à tout le moins, que tu respectes cet homme. Si tu penses que vous ne pouvez pas vous entendre, raye-le immédiatement de ta future liste. »
La jeune femme sourit à son frère avec complicité et conclut :

« J'ignore si tout cela t'aide réellement. J'ai l'impression d'être si confuse quand je parle de ce genre de choses... La vérité est que je trouve excessivement difficile de définir ce que je veux ainsi. Ne t'en tiens pas à ce que je t'ai dit... Fie-toi à ton instinct. »

Elle marqua une pause et demanda :

« As-tu des questions? Je ne sais pas trop ce qui peut t'aider dans ta recherche, au fond. »

Elle eut un léger rire. Cette histoire s'annonçait fort compliquée...

Zephyr ne pu retenir un bref rire amusé quand Idalie affirma qu'elle lui retournerait ses questions et qu'elle prendrait également des notes. Ils n'étaient pas frère et sœur pour rien, ni non plus aussi proches sans raison, et ce qui aurait pu être une corvée doublée d'un devoir se transformait en échange plus léger et amusant, quoique le fond de la discussion n'en demeura pas moins sérieux. Ils n'avaient que trop tardé tous les deux, même si le concernant l'aîné avait déjà failli se marier, hélas les Trois avaient rappelés sa Promise avant l'heure, ainsi en avaient-ils décidés. Puisse-t-elle reposer en paix désormais. Quoi qu'il en soit, il était temps d'aller de l'avant et ce fut la plume à la main que le Sergent écouta avec attention sa cadette énumérer point par point ce qui pouvait lui plaire chez un homme. Notant avec assiduité de sa calligraphie légère, il acquiesçait à intervalles réguliers d'un air approbatif, reconnaissant bien là celle qui mettait toujours un point d'honneur à ne pas faire défaut à leur nom. Pour autant il sentit une certaine retenue, jusqu'à-ce qu'elle évoque la question de l'âge qui fit relever les yeux gris de son frère vers les siens.

- Par les Trois, jamais ! Pas à moins que tu ne t'éprouves sincèrement, tu as ma parole.

Il lui laissa le temps de la réflexion, puis en entendant parler de leur croyance, il sourit légèrement malgré lui : cela ne l'étonnait guère, Idalie était bien trop pieuse pour se détourner de la Trinité et nul en ce monde pas même son frère n'aurait pu y parvenir. Quant à la question de son avis malgré son statut de femme, le sourire du Sergent ne pu que s'agrandir en imaginant le futur époux aux prises avec la jeune femme dans un débat passionné sur un sujet d'importance. Elle savait faire preuve de réflexion et de justesse, de raison comme de conviction, et c'était pour toutes ces raisons que Zephyr accordait toujours du crédit à ce qu'elle avait à dire. Négliger l'intuition d'une femme et sa capacité à observer le monde qui l'entoure, s'était comme se mettre des œillères et espérer voir arriver une attaque de côté. Il ratura cependant, surtout en voyant que Idalie semblait y tenir, mais se promis intérieurement de vérifier ce point-là discrètement. Pour autant le portrait ainsi dépeint n'était pas des plus aisés et cela du transparaître dans l'expression de l'aîné de la famille car sa sœur voulu préciser qu'elle ne cherchait pas la perfection.

- Pourtant cela s'en approche fort bien.

Taquina-t-il avec un sourire, relisant ses notes avec attention et à haute voix.

- De confiance, honorable, réputation convenable, point trop vieux, respectueux des Trois, qui a du cœur et de la droiture, qui est simple sans complaisance, qui ne te tienne pas sous son joug et qui sache protéger sa famille...

Zephyr releva les yeux sur Idalie, plissant les paupières d'un air faussement suspicieux.

- On dirait le portrait de notre Père, ainsi est-ce donc vrai, les jeunes femmes prennent toujours leur père pour modèle.

Une taquinerie évidente, d'autant plus que le Sergent ne pu s'empêcher d'afficher un sourire amusé, ajoutant le dernier impératif à cette liste.

- Et quelqu'un que je pourrais apprécier et/ou respecter, c'est noté.

Exagérant son soupir, l'aîné se rencogna dans son siège et fit rouler un peu ses épaules, passablement songeur quant à cette future liste qu'il allait devoir établir. Voilà bien quelque chose qui lui prendrait un certain temps, heureusement ses nouvelles fonctions lui permettraient de se renseigner plus aisément qu'en allant courir par les chemins hors de la cité l'épée à la main.

« J'ignore si tout cela t'aide réellement. J'ai l'impression d'être si confuse quand je parle de ce genre de choses... La vérité est que je trouve excessivement difficile de définir ce que je veux ainsi. Ne t'en tiens pas à ce que je t'ai dit... Fie-toi à ton instinct. »

- Ce n'est jamais chose aisée que de trouver la personne avec qui partager son existence, mais je te promet de te trouver quelqu'un qui soit digne de toi et de tes attentes.

Il eut un sourire doux et tendre à l'intention de sa sœur, espérant bien pouvoir lui trouver un parti convenable qui la rendrait heureuse et qui ne la laisse pas dans le besoin, voilà au final tout ce dont il était question, même si cela représentait une lourde responsabilité malgré tout.

« As-tu des questions? Je ne sais pas trop ce qui peut t'aider dans ta recherche, au fond. »

- Pas vraiment, il me semble que tu as tout dit, cependant si jamais j'avais un doute sur un prétendant, je viendrais t'en parler directement pour avoir ton avis. Je n'ai guère beaucoup de noms qui me viennent spontanément à l'esprit, mais je saurais en trouver sois-en sûre.

Zephyr se leva alors et, contournant son bureau, tendit la main à Idalie pour qu'elle se lève à son tour, la guidant jusqu'à son propre fauteuil où il lui fit signe de prendre place, inversant ainsi les rôles. De mémoire, c'était bien la première fois qu'il la laissait s'installer ainsi à son bureau, notamment en sa présence.

- Bien. A présent que nous avons établi un premier jet de tes préférences, je te confie en retour ma plume pour que tu puisses prendre des notes, ma chère sœur.

Il la fixait de ses yeux gris pétillants de malice et de complicité, conscient que la chose était pour le moins singulière, mais appréciant qu'ils s'amusent un peu pour une fois. Voilà qui les changeaient de leur quotidien par tout le moins trop sérieux, voir sinistre, et le vent du changement soufflait désormais sur leurs têtes, alors autant en profiter jusqu'au bout. S'installant dans le fauteuil précédemment utilisé par la jeune femme, le Sergent prit ses aises et patienta tranquillement, laissant la brune mener pour une fois l'échange. Cela serait, entre autres choses, un très bon exercice.

Idalie fit légèrement la moue. En demandait-elle trop? Zephyr l'avait questionnée sur ce qu'elle aimait chez un homme et elle lui avait énuméré ce qui lui avait passé par la tête, mais elle ne s'attendait évidemment pas à ce que le prétendant sélectionné ait tous les traits qu'elle avait mentionnés. En fait, elle ne souhaitait réellement qu'une chose : parvenir à s'entendre avec l'homme qu'elle épouserait afin que leur vie commune soit harmonieuse. Un minimum. Le portait qu'elle avait dressé à Zephyr était hautement optimiste, elle avait plutôt conscience. Elle n'espérait pas vraiment que son aîné parvienne à dénicher la perle rare. Ce n'était pas grave. Son futur mari aurait des qualités et des défauts. Elle apprécierait les premières et parviendrait à vivre avec les autres. Il le faudrait bien, de toute manière.

Zephyr la regarda en plissant les yeux d'un air faussement suspicieux. Idalie pencha légèrement la tête en lui offrant un air interrogateur. On dirait le portrait de notre père. Les yeux de la noble s'écarquillèrent.

« Zephyr! lui reprocha-t-elle d'une petite voix faussement outrée. Ne dis pas de telles choses, c'est... c'est bizarre! »

Malgré tout, Idalie rit. Le pire était qu'il n'avait pas tort. Et en fait, à bien y penser, cet homme qu'elle décrivait n'était pas très loin de lui non plus. Par les Trois. Pourquoi? Peut-être était-ce parce que c'était tout ce qu'elle connaissait ou presque, du moins, lorsque l'on parlait de relations proches avec des hommes? Peut-être pourrait-elle retourner voir le prêtre Aaron et lui partager ce perturbant constat. Il aurait sans doute une réponse à lui donner. Il rirait aussi probablement en silence en voyant sa mine effarée... Non, elle allait garder tout cela pour elle-même. Et ne plus jamais y penser, car c'était. trop. bizarre.

Quand Zephyr lui admit que la tâche ne serait pas aisée, mais qu'il saurait se montrer à la hauteur de ses attentes, qu'il trouverait même si peu de noms lui venaient actuellement en tête, Idalie sourit doucement et acquiesça. Puisqu'elle connaissait son frère mieux que personne et qu'elle le savait bien capable de s'éterniser pour sélectionner quelqu'un sous prétexte que personne n'était assez bien pour elle, elle se permit d'ajouter :

« Et ne sois pas trop sévère. Tout le monde a des défauts, alors sois indulgent... N'oublie pas non plus que ce pauvre homme devra subir mes propres défauts le reste de son existence. »

Elle rit, pleine d'autodérision, et se saisit délicatement de la main que Zephyr lui tendait pour l'aider à se lever. Ils échangèrent les places et elle ne put s'empêcher de trouver étrange d'être assise dans le fauteuil de son aîné. C'était bien la première fois... C'était en quelque sorte un symbole de son autorité dans la demeure et, même inconsciemment, elle n'avait jamais songé à s'asseoir là, comme par respect pour lui, pour son statut et pour ses responsabilités.

Idalie se saisit de la plume et lissa le parchemin qui se trouvait devant elle. Elle sourit à son frère avec autant d'espièglerie que de ravissement. Ils avaient transformé une discussion sérieuse en jeu et elle était heureuse de retrouver leur complicité un instant. Ce n'était pas qu'ils l'avaient perdue. Seulement, leur quotidien les gardait (pré)occupés. Parfois, même s'ils habitaient ensemble, ils ne se voyaient pas ou ne s'échangeaient que quelques brèves paroles au détour d'un couloir. En fixant le regard gris pétillant de Zephyr, Idalie eut un pincement au cœur. Les paroles du père Aaron lui revinrent une fois de plus en tête : le mariage est un chamboulement. Un énorme chamboulement, oui. Il lui faudrait dire adieu à ces élans de spontanéité qui rythmaient leur vie commune depuis toujours. Brièvement, elle eut le vague à l'âme. Elle le laissa passer, doucement, sans se presser, puis afficha une mine sérieuse exagérée.

« Alors, alors... Dis-moi, mon cher frère, à quoi doit ressembler la femme qui partagera chacune de tes journées pour l'éternité? commença-t-elle d'un air hautement inquisiteur. Est-elle blonde, brune, rousse? A-t-elle les yeux verts, bleus, noirs? A-t-elle de jolies fossettes? Est-elle grande et élancée, ou plutôt plantureuse? Est-elle douce et calme ou intrépide et pétillante de joie de vivre? Aime-t-elle la danse et la poésie ou préfère-t-elle les arts manuels et le grand air? Est-elle bornée et têtue ou gentille et complaisante? Mmmhhhh? »

Elle arqua un sourcil et se pencha quelque peu vers Zephyr, qu'elle pointa de sa plume.

« Dites-moi tout, ô grand Sergent d'Auvray. Je dois tout savoir. J'écoute. »

Sur ces bons mots, elle coucha sur le parchemin un titre évocateur de son écriture élégante : La femme idéale de mon frère adoré, Zephyr d'Auvray. Elle observa le tout, plissa les yeux, fit une moue désapprobatrice. Elle ajouta un cœur devant le titre, puis un autre après. Aaah. Voilà qui était mieux. Elle glissa un regard moqueur vers Zephyr, puis se tourna finalement vers lui pour l'écouter.

Zephyr était satisfait d'avoir fait réagir Idalie de la sorte en mentionnant leur père, il se doutait bien que cette comparaison ne manquerait pas de la faire bondir, mais en vérité c'était là un portrait tout naturellement similaire. Ne cherchait-on pas à retrouver ce qui nous convient, en fin de compte ? Lui-même s'était épris de Victoire de par sa fraîcheur et son espièglerie, liées à un esprit vif et une bienveillance certaine, ce qui en un sens était le portrait que leur père avait fait de leur mère lorsqu'il avait narré leur jeunesse. Les chiens ne faisaient pas des chats, comme disait le proverbe, et il était naturel d'être attiré par ce que l'on connaissait et qui nous plaisait, même si la nouveauté et l'inconnu avaient leur propre attrait. Il acquiesça en guise de promesse quand sa cadette lui demanda de ne pas être trop sévère dans ses choix, souriant de plus belle à la mention des défauts de sa sœur. Que dire des siens en ce cas ? Elle était de loin bien plus proche de la perfection qu'il ne le sera jamais, cependant il se garda bien de le lui dire de crainte de trop flatter son égo. Échangeant alors leurs places, le Sergent laissa la jeune femme s'installer dans son fauteuil de travail, se sentant à la fois mal à l'aise et soulagé de ne plus être derrière son bureau. Leur complicité renouvelée lui faisait chaud au cœur et il réalisait en cet instant qu'il n'avait guère été suffisamment présent ces derniers temps pour Idalie, un impair qu'il allait lui falloir rectifier au plus vite. Ce fut à cet instant que la concernée prit un air faussement inquisiteur et l'assomma de questions, le laissant d'abord surpris et interdit, avant qu'un rire franchement amusé ne lui échappe, éclatant dans l'air avec une chaleur renouvelée et retrouvée.

« Dites-moi tout, ô grand Sergent d'Auvray. Je dois tout savoir. J'écoute. »

Le semi-sérieux de sa sœur ne manqua pas de lui faire cesser de rire, cependant qu'elle mettait un point final à un titre sur le parchemin avec ce qui ressemblait fort à des petits cœurs dessinés de part et d'autre des lettres. Allons bon, c'est qu'elle y prenait goût rapidement. Réfléchissant avec un sérieux refaisant surface, l'aîné marqua plusieurs secondes de silence, réalisant alors soudain que...

- Je n'en ai aucune idée.

Lâcha-t-il avec circonspection, portant sur Idalie des yeux gris songeurs. L'exercice s'avérait tout à coup plus difficile et douloureux qu'il n'y avait songé au premier abord, tandis qu'il se rendait compte de cette vérité jusqu'à présent occultée.

- Il y a quelques mois encore, je t'aurais affirmé que je voulais une femme jeune et pleine de vie, mais à présent je crois rechercher tout autre chose.

Il se rencogna dans le siège, plissant les yeux en fixant le parchemin avant de les remonter sur le visage de sa cadette.

- Je crois que j'aimerais une femme plus indépendante que ne l'était ma chère Victoire, même si en vérité je n'ai pas eu le temps de la connaître suffisamment pour savoir si elle l'aurait été autant que ce qu'elle semblait pouvoir l'être. Une femme a toujours besoin d'être protégée bien sûr, comme toutes les femmes, mais j'en aimerais une qui ne soit point non plus livrée à elle-même lorsque je suis absent, qui soit capable de tenir tête à un homme tout en sachant se montrer habile pour donner le change.

Il sourit légèrement, songeant à un instant en particulier lorsqu'il avait échangé avec la Comtesse de Pessan, se rappelant parfaitement les propos qu'ils avaient tenus avec Apolline.

- Je ne voudrais pas d'une femme soumise à toutes mes volontés, mais point non plus qui me rejette de par mes origines ou mon statut actuel. Son âge m'importe peu, pourvu qu'elle ne soit point non plus aux portes d'Anûr. Je dois forcément trouver une noble dame également, mais je n'accorde pas d'importance à un rang précis, ce qui compte c'est ce qu'elle est en tant que femme, pas son argent ou une réputation élevée, peu importe.

Laissant passer quelques secondes de réflexion, Zephyr parcouru en pensée l'infinité de choix qui s'offraient à lui.

- Tu me connais Idalie, je fonctionne davantage à l'instinct qu'à la raison et j'ai du mal avec le changement, aussi je pense te laisser juger de qui pourrait convenir même si...

Il fixa ses yeux gris sur le visage de sa sœur, hésitant brièvement avant de retenir un soupir.

- J'aimerais quelqu'un qui puisse me surprendre, libre à toi de trouver comment.

Tout cela n'était pas très clair ni très précis, voilà bien une chose dont l'on pouvait être sûr. Zephyr finit par secouer la tête et se passer une main sur la nuque, mal à l'aise.

- Cet exercice est plus difficile qu'il n'y paraît.

Je n'en ai aucune idée. Idalie arqua un sourcil et secoua doucement la tête en regardant son frère. Non, elle n'allait pas se contenter de cette réponse et ce geste était une invitation à élaborer. D'abord légèrement moqueur, son air se fit toutefois plus sérieux quand elle constata que Zephyr l'était également. Cette discussion devait, après tout, raviver de douloureux souvenirs. Contrairement à elle, il avait déjà été épris de quelqu'un. Enfin, elle avait déjà eu des sentiments pour un homme aussi, mais c'était bien différent. Tout s'était arrêté avant même d'avoir commencé, ce qui n'était pas le cas pour Zephyr.

Idalie écouta son frère avec grande attention. Elle ne prit pas vraiment de notes. Le petit manège avait principalement eu pour but de faire rire Zephyr. Elle sourit en coin en l'écoutant, ne l'interrompant pas. Se rendait-il compte qu'il était en train de lui décrire Apolline, de lui parler d'elle? Idalie n'avait jusque-là rien dit à son frère vis-à-vis de sa relation avec la comtesse de Pessan, mais elle n'était pas née de la première pluie et, surtout, elle avait des yeux pour voir. Elle laissa néanmoins Zephyr terminer. Les derniers mots prononcés, un léger silence plana. Un silence bienveillant, où Idalie observa son frère avec beaucoup d'affection.

La jeune femme eut un soupir intérieur. Devait-elle parler d'Apolline à son frère? Elle n'en savait rien. Et surtout, elle ne savait pas quoi penser. Apolline était se partenaire d'affaires. Il s'agissait d'une femme pour qui elle avait de l'estime, d'une femme intelligente et indépendante qu'elle appréciait pour plusieurs raisons. Il s'agissait toutefois aussi d'une femme extrêmement difficile à cerner, d'une femme qui savait jouer au jeu de la noblesse mieux que la plupart de ses comparses. Elle semblait... tellement à l'opposé de Zephyr. Puisqu'elle voyait bien qu'elle plaisait à son frère, elle tentait parfois de les imaginer ensemble, de visualiser leurs interactions quotidiennes. Chaque fois, c'était un exercice qui se révélait extrêmement difficile. Zephyr et Apolline. L'attirance était là, mais Idalie ne savait pas quoi en penser. Zephyr pourrait-il être heureux avec une femme comme elle? Non... Oui. Non. Oui? Par les Trois.

Idalie délaissa la plume et le parchemin et se tourna complètement vers son frère.

« Oui, c'est un exercice difficile, mais ne t'en fais pas, c'était seulement pour rire, dit-elle doucement. Tu sais bien que je n'irai pas réellement à la chasse à l'épouse pour toi, sauf si c'est ce que tu veux. »

La jeune femme posa son regard dans celui de Zephyr. Parler ou se taire?

« Par contre, Zephyr... Cet "interrogatoire" à part, je crois que quelqu'un te plaît déjà. Je me trompe? »

Idalie parlait avec tendresse et bienveillance. Elle espérait que son frère se confie finalement, mais ne l'obligeait pas non plus à le faire. S'il lui fermait la porte, elle n'insisterait pas. Enfin, peut-être pas. Tout dépendait de ce qu'il lui répondrait. L'amour était un sujet si délicat, même pour eux, qui n'avaient presque plus de secret l'un pour l'autre. L'amour rendait vulnérable. Et depuis quelque temps, il n'y avait plus réellement de place pour cette vulnérabilité, même au manoir d'Auvray, même si elle était nécessaire. Peut-être était-il temps de rectifier la situation...

Zephyr eut un léger sourire amusé en imaginant sa sœur aller à la chasse aux épouses pour lui, voilà bien une image qui prêtait légèrement à sourire, encore qu'il soit à peu près sûr qu'elle serait capable de trouver une femme qui lui convienne, elle avait suffisamment de ressources pour cela. Il avait noté qu'elle semblait songeuse tout en l'écoutant décrire avec un flou certain le genre qui lui convenait mais, lorsque la cadette reprit la parole, son aîné comprit réellement ce qui habitait jusque-là son esprit.

« Par contre, Zephyr... Cet "interrogatoire" à part, je crois que quelqu'un te plaît déjà. Je me trompe? »

L'homme demeura silencieux à cette affirmation, réfléchissant rapidement à ce qu'il devait ou non confier à celle qui le connaissait si bien depuis tant d'années. Elle l'avait vu aimer, l'avait vu perdre cet amour et abandonner tout espoir de retrouver un jour quelqu'un... et à présent qu'il évoquait ses préférences, il était devenu évident pour l'une comme pour l'autre qu'une personne en particulier correspondait à cette description, aussi flou soit-elle. Un bref soupir vint trahir l'abdication du Sergent qui se rencogna dans son fauteuil, levant sur Idalie un regard gris plus clair à présent que le voile se dissipait face à elle.

- Non, tu ne te trompe pas ma chère sœur. Et si tu ne le savais point encore, ton frère est un idiot, un parfait imbécile qui a le don de s'éprendre de tout ce qui semble toujours inaccessible.

Une ombre de sourire étira le coin de ses lèvres alors qu'un air à mi-chemin entre résignation et espoir s'affichait sur ses traits.

- Je suis sûr que tu t'en doute déjà mais que tu n'oses prononcer son nom, aussi vais-je l'énoncer de vive voix bien que cela doive rester entre nous.

Un bref regard en direction de la porte, méfiant et prudent, avant que Zephyr ne reporte son attention sur Idalie, se penchant vers elle en posant ses bras sur le bureau, et baissant de plusieurs tons l'intensité de sa voix grave qui avait le don de porter parfois trop facilement à son goût.

- Je suis épris d'Apolline de Pessan.

Non pas "la comtesse", mais "Apolline", non pas le titre, mais la femme, et c'était bien là que se jouait toute l'importance et toute la difficulté d'une telle entreprise. Au même titre qu'un noble n'épouse pas une roturière de bas étage, une comtesse épousant un noble ne possédant pas un rang suffisamment élevé pouvait potentiellement s'exposer à des railleries et des difficultés diverses et variées. Bien sûr, Zephyr avait conscience du poids que sa réputation ici à Marbrume pouvait apporter dans la balance, que cela soit par ses faits d'arme ou par la reconnaissance que lui avait officiellement témoigné le Duc désormais devenu Roi, ainsi que son grade de Sergent qui était loin d'être négligeable, surtout dans le contexte actuel... Mais pour autant l'homme n'était pas certain d'avoir suffisamment à apporter à une femme de haut lignage et hésitait sur la suite à donner à son cœur.

- Mais j'ignore si je dois me déclarer ou bien garder cela pour moi.

Finit-il d'avouer, se rencognant de nouveau dans son fauteuil sans plus rien dire, laissant tout loisir à sa sœur de donner son avis, de rire ou bien d'approuver ce silence dont il faisait preuve vis-à-vis de ses sentiments. La situation était pour le moins particulière après tout et nul ne pouvait connaître par avance la réaction d'autrui.

Zephyr hésitait, Idalie pouvait le sentir – et le comprendre. Après tout ce qui lui était arrivé, parler de ses sentiments ne devait pas être facile pour son frère. C'était sans compter que ceux-ci avaient pour objet une personne qu'elle côtoyait elle-même sur une base régulière, une femme qui était devenue son associée quelques semaines auparavant. Il n'était peut-être pas à l'aise à cette idée. Idalie espérait toutefois qu'il s'ouvrirait à elle. Comment pourrait-elle être véritablement là pour lui, tenter de l'aider à y voir plus clair dans cette situation complexe, autrement?

Dans un soupir, Zephyr abdiqua. Il se traita d'idiot et d'imbécile, des propos auxquels Idalie ne put réagir qu'avec une réprimande silencieuse, soit en fronçant les sourcils avec un air désapprobateur. Elle ne l'interrompit cependant pas et le laissa continuer dans sa lancée. Les aveux vinrent finalement : Je suis épris d'Apolline de Pessan. Un léger sourire en coin étira les lèvres de la cadette, qui avait remarqué la formulation employée par son frère. Zephyr n'accordait pas d'importance au titre d'Apolline. Il l'aimait pour qui elle était, elle, en tant que femme. La comtesse s'en doutait-elle? Idalie la savait intelligente, alors peut-être était-elle au moins capable de voir qu'elle plaisait au sergent... Néanmoins, songeait-elle qu'il pouvait être ainsi épris d'elle? Entretenait-elle des sentiments similaires à son égard? Idalie aurait aimé le savoir, mais, en vérité, elle n'avait pas réellement eu l'occasion de voir Apolline interagir avec Zephyr et, lorsqu'elle la voyait, elles parlaient principalement de l'auberge. Difficile à dire, donc.

Devait-il se déclarer? C'était là une question hautement délicate. L'amour venait avec son lot de complexité dans un monde comme le leur et Zephyr ne s'était pas épris de la première venue, mais bien d'une noble d'influence. Ce n'était cependant pas sur cette idée que s'attardait Idalie. En effet, à ses yeux, même si cela resterait audacieux pour d'autres, son frère avait un parcours et une réputation assez solides pour oser prétendre à une femme du rang d'Apolline. Non, Idalie se demandait encore une fois s'il pouvait être heureux avec une femme comme elle. C'était une chose de se voir le temps de quelques leçons de bienséance ou lors de soirées, c'en était assurément une autre d'avouer son amour, de se marier et de fonder un foyer par la suite. Apolline saurait-elle apporter à son frère tout ce qu'il avait eu le temps d'espérer au fil des années avec son âme romantique?

Idalie observa un instant son frère. C'était à son tour de se montrer pensive. Il semblait chercher ses conseils et elle souhaitait lui offrir une réponse avisée.

« J'ignore à quoi ressemble réellement ta relation avec Apolline, tu as été si réservé sur le sujet et elle est plutôt difficile à cerner de son côté, dit-elle finalement après une minute de réflexion. Je ne sais pas jusqu'à quel point tu la connais, si tu as conscience de ses qualités, mais aussi de ses défauts, et si tu t'es assez ouvert à elle pour qu'elle sache réellement qui tu es. Si ce n'est pas le cas, peut-être serait-ce la première étape à suivre avant de te déclarer. »

Idalie marqua une brève pause avant de continuer, posant un regard bienveillant sur son frère :

« Que tu sois un parti convenable ou non pour elle, la question ne se pose pas pour moi, tu sais... Je crois que je souhaite simplement que tu sois certain avant de te lancer dans l'entreprise de la courtiser, si tel est ton désir. Prends le temps d'étudier tes sentiments, de comprendre d'où ils viennent et ce qui les anime. Songe au foyer que tu veux bâtir, aux conversations que tu veux avoir, aux rires que tu veux échanger, aux peines que tu veux éviter, mais que tu auras peut-être à consoler. Si ces pensées te ramènent toujours à Apolline, si tu sens que ton bonheur est à ses côtés, alors je pense que tu devrais faire le nécessaire pour avoir le droit de lui faire part de tes sentiments. »

Idalie regarda Zephyr avec tendresse. Elle ne voulait rien d'autre que le voir épanoui. Elle n'aurait probablement jamais pensé qu'il puisse tomber amoureux d'une femme telle qu'Apolline, mais ne dit-on pas que le cœur a ses raisons que la raison ignore?

« Quand as-tu su qu'elle te plaisait, exactement? », demanda Idalie avec une pointe de curiosité.

Le fait était que Zephyr apprenait à connaître un peu plus Apolline à chacune de leurs entrevues. Ils échangeaient sur de nombreux sujets, même s'il s'agissait souvent d'étiquette et du fonctionnement des affaires de la noblesse, et ne s'ennuyaient jamais de la présence de l'autre. Les quelques soirées où ils se rendaient de manière de plus en plus régulière laissait à penser que le Sergent accompagnait véritablement la Comtesse et celle-ci commençait à se faire moins solliciter, ou en tout cas de manière moins oppressive que ce qui avait pu arriver durant la première soirée à laquelle ils s'étaient rendu ensemble. Ainsi l'homme d'arme avançait-il petits pas par petits pas, ne voulant pas brusquer les choses et, à entendre sa cadette, il s'agissait visiblement de la meilleure façon de procéder. Pour autant il se faisait parfois plus protecteur dans l'ombre, dissuadant certains prétendants en faisant valoir sa proximité avec la femme si convoitée, laissant entendre sans jamais l'affirmer que la place n'était pas disponible. Rares étaient les téméraires qui désiraient s'opposer à celui que la rumeur appelait "le héros du Labret" et jusqu'à présent l'ancien Banneret avait réussi à tenir à l'écart les moins déterminés. Mais jusqu'à quand ? Idalie évoquait la nécessité d'être certain des sentiments qui animaient son frère et, à cette mention, le concerné ne peut s'empêcher de laisser un léger sourire étirer ses lèvres, presque avec attendrissement en se remémorant l'instant où il avait réalisé qu'il aimait véritablement cette femme au caractère si bien trempé.

« Quand as-tu su qu'elle te plaisait, exactement? »

- Quand elle a cherché à me faire aller vers d'autres femmes.

Lâcha-t-il d'abord sans détour avant de porter sur sa sœur un regard gris brillant d'un mélange d'amusement et d'affection. Il n'évoquerait pas avec elle cette partie de la discussion où il avait confié des doutes sur l'attrait qu'il pouvait exercer sur une femme, ni la façon qu'avait eu Apolline d'écarter ce genre de crainte pour aller à l'essentiel, parsemant ses propos de taquineries qui avaient fait mouche sans même qu'elle ne le réalise totalement.

- Je m'étais confié sur mon inquiétude à l'idée de ne pas pouvoir assurer de descendance à notre nom et ce monde, aussi lui avais-je demandé comment je devais m'y prendre pour courtiser une femme en ces temps qui sont les nôtres. C'est là qu'elle me fit la liste des nombreuses femmes à marier de la cité et des alentours, nobles comme bourgeoises, et même les fermières qui étaient plus riches que nombre de nobles... Et moi pendant tout ce temps, je ne songeais qu'à son esprit et à sa capacité à emmagasiner tant d'informations, à sa beauté et à son intelligence déliée, à sa...

Zephyr s'interrompit, interdit en réalisant ce qu'il venait de confier de vive voix, dardant sur Idalie un regard plus grave.

- Ne lui dis jamais que j'ai dit cela.

Se raclant la gorge, il inspira profondément et calma l'agitation de son esprit, secouant légèrement la tête.

- Tout cela dure depuis déjà trop longtemps. J'ignore la durée convenable nécessaire pour faire la cour à une dame de sa qualité, mais je songe sérieusement à la voir de manière beaucoup plus régulière et prolongée. Si j'y vais progressivement, elle ne devrait point trop s'en étonner.

Ah, qu'il était aisé de faire une rencontre fortuite et de se laisser porter par la vague des sentiments, mais qu'il était au contraire délicat que de braver les convenances pour faire comprendre à quelqu'un qu'on l'appréciait davantage qu'en tant que connaissance et amie. Voilà bien toute la difficulté qui se posait à tous ceux se trouvant dans cette situation, cela dit les choses allaient forcément se débloquer tôt ou tard, il suffisait de s'armer de patience et de détermination.

Idalie laissa son frère s'exprimer librement sans l'interrompre. Si elle se montrait calme et attentive, elle eut bien du mal à réprimer le sourire amusé qui lui vint lorsqu'il commença à raconter que, lors d'une entrevue pendant laquelle Apolline lui faisait part des noms de quelques femmes qu'il pourrait épouser, il s'était mis à songer à toutes les qualités de son interlocutrice. Ce fut lorsqu'il s'arrêta, complètement interdit par ses propres révélation, qu'elle ne put se retenir de rire. C'était un rire doux et clair, attendri. Il était si étrange de voir Zephyr dans un état pareil. Et même s'il était évident depuis un moment qu'Apolline lui plaisant, il était encore difficile pour elle de se dire que son associée était celle qui troublait autant son frère.

« Je songeais à mettre tout cela à l'ordre du jour de notre prochaine rencontre pour l'auberge, mais puisque tu le demandes, je vais retirer le sujet de ma liste de points de discussion », se moqua-t-elle gentiment.

La jeune femme acquiesça ensuite aux paroles de son frère. Il souhaitait courtiser Apolline en bonne et due forme, la voir de plus en plus longtemps et de plus en plus souvent. C'était, selon elle, une bonne approche, même si elle était d'avis qu'il ne fallait pas non plus laisser les choses traîner trop longtemps. Apolline semblait être une femme très en demande. Elle devait avoir une multitude de prétendants, et elle ignorait probablement jusqu'au nom de nombre d'entre eux. Il fallait être aveugle pour ne pas avoir qu'elle était convoitée par plusieurs. Elle était non seulement une femme magnifique, mais elle avait également une position enviable dans cette société qui était la leur. Si Idalie ne disait rien, elle voyait bien les regards qui se posaient sur elle lorsqu'elles marchaient ensemble dans les rues de Marbrume.

« Je crois que tu sentiras lorsque le temps sera venu pour toi de lui faire part de tes sentiments, offrit-elle en guise de conseil à son frère. Courtise-la comme il se doit, mais ne laisse pas non plus la peur de l'inconnu prolonger cet entre-deux indéfiniment. »

La jeune femme sourit tranquillement à son frère, faisant taire la petite crainte qu'elle avait de le voir une nouvelle fois le cœur brisé pour se montrer optimiste. Il allait courtiser Apolline, lui avouer qu'il était épris d'elle et l'épouser. Elle allait découvrir que son frère et la comtesse étaient, au bout du compte, faits l'un pour l'autre et qu'ils ne pouvaient vivre ensemble qu'un grand bonheur malgré ces temps troublés. Ce n'était pas trop demandé pour Zephyr – ou mêe pour Apolline - après les épreuves qu'il avait traversées, non? Non, sans doute pas. Elle adressa une petite prière silencieuse aux Trois en ce sens.

« Maintenant que tu m'as parlé de tout cela, j'espère que tu sais que tu es désormais obligé de me faire part des progrès que tu réalises dans tes démarches, mon cher Zephyr, ajouta-t-elle, le sourcil légèrement arqué. Ton silence de grand frère refrogné ne sera plus toléré. »

Idalie ne pointa de sa plume d'un air « sévère » avant de retrouver presque instantanément son sourire.

« Et loin de moi l'idée de prétendre que je donne des conseils avisés dont tu pourrais avoir besoin, mais... je donne des conseils avisés dont tu pourrais avoir besoin. »

Le rire d'Idalie ne vexa pas son frère, bien qu'il aurait eu tout à fait le droit de s'en offenser, mais ce dernier savait d'expérience que sa sœur ne se moquait nullement de sa situation ni de ce qu'il venait de révéler à cœur ouvert. Elle ne se priva pas de le taquiner un peu, mais rapidement cependant elle lui donna son avis, le conseillant de ne pas faire trop durer les choses. Voilà une idée à laquelle il songeait de plus en plus, faire la cour à Apolline s'avérait être la meilleur option envisageable à ce stade de leur entente et, surtout, se faisait sentir comme un besoin pressant à force de voir s'avancer des prétendants plus ou moins indélicats. l'entre-deux ne devait effectivement pas se prolonger indéfiniment et Zephyr hocha la tête en entendant sa cadette le formuler de vive voix.

- J'y compte bien.

Il n'y avait nul besoin de détails supplémentaires, cela dit sa chère sœur ne l'envisageait pas aussi simplement que lui et posait déjà ses propres conditions quant au fait de la tenir au courant de l'évolution de sa démarche. Allons bon, que voilà bien une indiscrétion qui ne l'étonnait même pas. Il se souvenait de la façon dont Idalie s'était intéressée à sa relation avec Victoire et il ne doutait pas un seul instant qu'elle voudrait en apprendre tout autant si ce n'est davantage.

« Ton silence de grand frère renfrogné ne sera plus toléré. »

Cette fois ce fut au tour de Zephyr d'éclater de rire, pris au dépourvu par cette plaisanterie teintée d'une si terrible vérité. Il se cachait souvent derrière un air fermé pour ne pas avoir à répondre aux questions de sa cadette, mais de toute évidence celle-ci n'allait plus lui laisser l'opportunité d'utiliser cette technique pour échapper à son immense curiosité. Petite futée.

- Sois sûre que je ne te confierais point les détails de nos embrassades si les choses devaient évoluer en ce sens et que je n'ai point besoin de conseil en la matière. Il te faudra te trouver un prétendant pour rassasier ta faim à ce propos.

Réalisant qu'il venait peut-être de précipiter Idalie vers le premier homme venu, il se reprit immédiatement, presque avec précipitation.

- Mais il devra d'abord été approuvé par mes soins, je te préviens ! Hors de question de faire quoi que ce soit d'indécent tant que vous ne serez point unis devant les Trois !

Laissant échapper un soupir presque théâtral, l'homme secoua la tête en levant ses yeux gris au plafond.

- La Sainte Trinité me vienne en aide ! Comment nos parents faisaient-ils donc !

Il se plaqua une main sur le front, puis coula un regard durant cette pose ridicule, scrutant brièvement sa sœur avant d'éclater de rire suite à sa propre plaisanterie exagérée. Voilà bien des sujets de conversation qui s'avéraient bien plus légers et agréables que la Fange et la mort, assurément. Ilda qui épiait de l'autre côté de la porte n'en manquait cela dit pas une miette et se félicitait d'entendre ses maîtres rires de si bon cœur. Reprenant cela dit un peu de son sérieux, Zephyr se racla la gorge et se rassit convenablement dans son fauteuil, un léger sourire perdurant heureusement sur ses lèvres.

- Quoi qu'il puisse advenir, sache ma chère sœur que nous demeurerons à jamais une famille, et que je serais toujours là pour toi.

C'était certainement un ton un peu trop grave et solennel pour achever une discussion qui fut si enjouée, mais il semblait important au grand frère d'assurer à sa cadette son soutien et sa présence en toutes circonstances. Ni la mort des leurs, ni leur contrée ravagée ni la Fange n'avaient pu les séparer, alors rien ne le pourrait jamais en-dehors de la mort elle-même. Puissent les Trois retarder cette échéance le plus longtemps possible.

Idalie fit légèrement la moue à la déclaration de son frère. Elle ne voulait bien entendu pas de détails indécents, simplement savoir s'il sentait qu'il progressait dans ses démarches. Zephyr paraissait croire qu'il en était autrement et lui demandait d'aller rassasier sa faim à propos de ce genre de détails croustillants auprès d'un prétendant. Elle cligna des paupières, étonnée par cette réplique, puis pouffa en écoutant son aîné tenter de se rattraper.

« Mais que vas-tu t'imaginer? s'exclama-t-elle en faisant mine d'être outrée par ce qu'il sous-entendait. Comme si j'avais l'intention de ne pas me montrer respectable! »

Elle tenta de conserver une expression sérieuse, mais ne sut tenir en voyant l'air théâtral de son sergent de frère et rit de bon cœur avec lui. Elle secoua la tête, puis reprit aussi progressivement un peu son sérieux. Quoi qu'il puisse advenir, sache ma chère sœur que nous demeurerons à jamais une famille, et que je serais toujours là pour toi. Idalie eut un sourire attendri. Bien sûr qu'ils resteraient toujours une famille. Peu importe ce que l'avenir avait en réserve pour eux, rien ne pourrait briser le lien qui les unissait. Leur amour fraternel était fort et, si elle avait conscience qu'il leur fallait tous les deux voler de leurs propres ailes, Idalie savait que rien ne saurait entacher l'affection qu'elle avait pour Zephyr.

« Je serai toujours là pour toi aussi, Zephyr, répondit-elle en souriant. J'espère que tu le sais. »

Idalie fixa un instant son frère avec affection, puis se leva finalement du fameux fauteuil, dont elle tapota le dossier d'une main. Elle n'y reprendrait sans doute pas place avant bien longtemps, voire jamais.

« Je m'enfermerais aussi dans mon bureau si mon fauteuil était aussi confortable que celui-là », glissa-t-elle, gentiment espiègle avant de se diriger près de Zephyr.

La jeune femme déposa léger baiser fraternel sur la joue de son frère, puis lui sourit.

« Je vais voir où en sont les préparatifs pour le dîner, indiqua-t-elle. Ilda viendra te prévenir quand ce sera prêt. »

Idalie sourit une dernière fois à son frère, puis s'éloigna, le pas tranquille. Avant de refermer la porte derrière elle, elle prit un instant pour observer Zephyr. Combien de temps leur restait-il à vivre ainsi tous les deux dans ce manoir, entre frère et sœur? Elle n'en n'avait pas la moindre idée. Aussi savourerait-elle chaque instant familial que les Trois voudraient bien leur accorder jusqu'à ce que sonne l'heure d'une inévitable séparation.

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