Perspective cavalière [pv Grâce & Hector ]

Grâce n'avait pas officiellement pardonné à son mari son aventure avec Alix, la jeune milicienne qu'il avait rencontré dans un bois enneigé... Néanmoins, elle était toujours avec lui, au manoir de la rue des Aiglons. Ils vivaient ensemble et dormaient toujours dans le même lit. Hector faisait preuve de beaucoup plus d'attention à son égard. Il sortait moins, passaient presque tous ses repas auprès de sa tendre Grâce et lorsqu'il sortait, il s'efforçait de ne point regarder les autres jeunes femmes et revenait souvent à la maison avec un bouquet de fleurs ou quelques gourmandises pour son épouse.


Le baron de Sombrebois travaillait sur un projet de la plus haute importance : il avait eu l'idée de créer une machine à lancer des flammes. Il avait dessiné un croquis de la machine et il fallait à présent construire un prototype. A terme, évidemment, il faudrait pouvoir équiper chaque patrouille de miliciens d'au moins l'une de ces machines... C'est pourquoi, le prototype devait être le plus facile à construire possible. La machine était donc constituée d'une sorte de grande outre disposée entre 2 planches de bois. Cette outre devait être remplie de pétrole et elle se trouvait bouchée par deux bouchons emboîtés : le premier, le plus large, assurait d'un coté l'étanchéité de l'outre et de l'autre, était percé d'un long et fin trou rectiligne permettant à un flux de pétrole d'être envoyé loin et précisément, dans une direction bien définie. Le second bouchon se plaçait par dessus le premier afin d'éviter que le pétrole ne s'écoule lorsque la machine n'était pas utilisée. Au devant des bouchons, sur la planche basse de la machine, un trou était percé afin d'y loger une torche. Celle-ci brûlerait le pétrole envoyé avant qu'il n'atteigne sa cible.


Tout cela pour dire que le projet d'Hector avançait bon train. Il avait besoin de chercher encore quelques informations sur la fabrication des grandes outres à partir de la peau d'une chèvre ou d'un bouc (qui semblait l'animal de taille idéale pour ce genre de machine) et sur la construction de machines à engrenages (pour gérer éventuellement un système de pression plus simple que l'appuie manuel avec une planche sur la peau de bête). Hector voulait donc retourner à Sombrebois, pour chercher dans la bibliothèque familiale les ouvrages dont il avait connaissance et qui traitaient de ces sujets.


- Ma tendre Grâce, lui dit-il un soir, sur l'oreiller, je sais que tu n'as jamais vraiment souhaité prendre le risque de t'aventurer hors de Marbrume mais je dois, pour avancer sur la conception de ma machine à feu, aller chercher des ouvrages à Sombrebois et - il posa sa main sur la joue de sa femme - j'aimerais que tu fasses le voyage avec moi. Tu me manquerais beaucoup si tu devais rester ici... et puis c'est peut-être la dernière occasion de voir Sombrebois... J'aurais aimé te montrer ces belles terres où j'ai grandi.

Toujours hésitante sur la finalité de la conduite qu’elle affichait face à Hector et à sa tromperie, Grâce ressentait cette désagréable de se faire entourlouper. Certes, son époux se montrait plus prévenant, plus présent, plus attentif, pourtant cela n’empêchait pas la jeune femme de se montrer méfiante. Ce n’était pas une suspicion envahissante, démonstrative, elle était plus sourde, se montrait seulement dans la réserve avec laquelle la dame accueillait quelques gestes de son homme.

Elle ne savait à qui s’en ouvrir, des amis, elle n’en avait guère, du moins pas assez intimes pour se permettre de leur confier ses états d’âmes si brutes. Elle avait bien essayé de s’en entretenir avec sa chère mère, mais à la place d’un peu de compassion, elle avait seulement reçu une cinglante phrase plaine de condescendance.

« Cela ne sert à rien de te plaindre, si il est allé voir ailleurs, c’est sûrement que tu t’y es mal prise ma fille, oublies ta fierté et essayes de trouver ce qui fera que tu seras la seule… Ou accepte qu’il déflore une petite donzelle de temps à autre. Essaye tout de même d’éviter qu’il fréquente les bordels, on ne sait quel miasme peut y nicher. Il serait mal venu qu’il te ramène quelque chose qui pourrait t’empêcher d’enfanter. »

Il avait été bien futile de la part de la jeune femme de croire que sa génitrice aurait pu faire preuve d’une once de compassion ou ne serait-ce qu’un peu d’empathie pour sa situation. Grâce s’était un instant bercé de cette douce illusion, mais la réalité l’avait bien brutalement rattrapée.

Comme pour s’occuper l’esprit, ne plus penser à cette milicienne ou aux autres femmes, ou encore peut-être son alanguissement, Hector s’était plongé à corps perdu dans la conception d’une machine qui était sensée crachée du feu. Projets auquel la Baronne s’intéressait de loin n’y connaissant rien une ingénierie et en art du combat.
Il lui en parlait souvent le soir, pour lui faire part de son avancement, de ses idées. Pourtant en ce début de nuit la proposition qu’Hector fit à sa femme ne fut pas des plus habituelle dans le couple.

Sortir de la ville ? Ce cocon de pierre aux grandes murailles protectrices.
S’aventurer à Sombrebois ? Cette ville désertée, décimée par les fangeux.

L’idée n’était guère pour séduire la Dame. Sans compter sur cette désagréable impression qu’il en faisait trop pour lui faire plaisir, pour la rassurer.

« Hector, tu serais parti une journée, tu t’es déjà absenté plus longtemps sans que je ne te manque outre mesure. »

Il y avait une pointe de dureté dans sa voix qui trahissait un certain agacement. Elle ne voulait pas qu’Hector la ménage comme si elle était une petite chose fragile et meurtrie. Pourtant, la Baronne se radoucit l’attention avait quelque chose d’honnête. Ce n’était pas pour autant qu’elle était décidée à l’accepter. Sortir hors des remparts de Marbrume n’était guère dans ses projets à court ou moyen terme.

« Je ne sais pas … Sombrebois n’est pas trop dangereux ? »

Grâce semblait sceptique quant au manque que la courte séparation faisait craindre à son mari.


- Tu m'as souvent manqué Grâce... Sans en souffrir outre mesure - je te rassure ! - ta présence, ta douceur, ta chaleur, m'ont manqué à chaque fois. Chaque nuit loin de toi, dans tous les lits froids où j'ai du dormir.


Il souriait et sa main était descendu sur l'épaule de sa femme qui semblait également préoccupée par autre chose :


- Je ne sais pas … Sombrebois n’est pas trop dangereux ?
- Et bien, j'ai refermé les portes du bourg de Sombrebois après ma dernière visite. Donc, a priori, il n'y a pas de raison pour que des fangeux y soient entrés. La route est évidemment plus dangereuse mais, avec de bons chevaux, nous devrions pouvoir faire l'aller-retour en une journée. Et les fangeux ne courent pas aussi vite que des chevaux au galop... Et puis je serais avec toi, les fangeux me craignent, tu sais bien !


Hector embrassa tendrement sa femme.


- Cela me ferait vraiment plaisir de te montrer au moins une fois mes... nos terres, les terres où j'ai grandi. Et puis, ce serait l'occasion de passer une journée ensemble. Entre les visites et mes derniers travaux, nous n'avons guère eu beaucoup de temps ensemble.

Qui lui disait que tous ces lits dans lesquels il avait dormi avaient effectivement été froid et pas réchauffer par la présence d’une femme. Étrangement, cette perspective n’attisa pas plus que ça les braises encore chaudes de sa colère. Avant la tragédie de le Hanse, il serait venu avec une telle nouvelle, qu’elle ne s’en serait finalement émue autant. Mais elle avait pensé ses blessures, soutenue, réconforté, maintenu sa tête hors de l’eau autant qu’elle le pouvait et il l’avait remercié ainsi …

Grâce chassa l’idée, tant qu’elle ne savait pas quoi faire au final, autant y penser le moins possible. Il fallait prendre une décision plus avec sa tête qu’avec ses tripes.

Dans un sens, il n’avait pas tort, entre les entrevues, les rendez-vous d’affaires, le projet d’Hector, ils ne s’étaient jamais retrouvés seule pour un long moment depuis son regrettable aveu. Peut-être qu’un peu de temps rien que tous les deux pourraient lever une partie du voile trouble qui s’était installer dans l’esprit de la jeune femme.

« Soit … Je t’accompagnerais à Sombrebois, si c’est ce qu’il te plaît. »

Dire qu’elle ne semblait guère emballée par la perspective de sortir de la ville aurait été un doux euphémisme. Le fief si cher de son époux n’était pas ce qui l’intéressait, cela semblait si loin et si peine perdue. Heureusement, il ne s’agissait que d’un aller-retour, Hector ne semblait pas avoir renoué avec la folle envie de libérer ses terres.

Hector fut fort heureux - et un peu surpris - d'entendre sa femme accepter de l'accompagner à Sombrebois. Qu'est-ce qui avait changé en elle pour qu'elle change d'avis à ce sujet ? Il n'en savait rien mais espérait que l'idée d'avancer ainsi l'un vers l'autre était en marche et réussirait à renforcer les sentiments qui existaient entre elle et lui. Il la remercia en la serrant dans ses bras.


- Tu verras, ce sera une agréable promenade !


Et bientôt les jeunes mariés s'endormirent paisiblement.


Le lendemain, Hector était d'une humeur formidable. Il se réveilla à l'aube pour préparer ce petit voyage. Il commença par faire le tour des écuries de Marbrume afin d'y trouver un cheval convenable pour sa femme, à la bonne taille et en bonne forme. Il le loua pour une semaine afin de pouvoir choisir un jour de beau temps pour ce voyage. Puis il alla dans une armurerie et y acheta une dague légère et tranchante au cas où... Et enfin, il retourna au manoir pour offrir sa dague à Grâce, lui expliquer qu'un cheval l'attendait à coté de Gris-Poil pour le prochain jour de beau temps et enfin, pour l'emmener avec lui à l'armurerie afin qu'elle se choisisse un équipement défensif adéquat.


Le lendemain fût un jour pluvieux alors Hector en profita pour initier Grâce au maniement des armes. Il lui proposa en outre de se rendre à l'écurie pour se familiariser avec son cheval et pour le monter un peu.


Deux jours plus tard les deux jeunes gens purent constater que le ciel nocturne était dégagé alors ils décidèrent de partir le lendemain à l'aube. Hector se vêtit d'un pantalon solide, de sa veste de cuir, de son casque, prit sa grande hache, ses deux hachettes et quelques provisions pour la route et emmena Grâce jusqu'à l'écurie. Après être montés sur leurs chevaux, les deux Sombrebois, fiers et brillants sous le froid soleil oriental, s'élancèrent tranquillement à travers les rues de Marbrume, du quartier noble jusqu'aux grandes portes de la ville. Les sabots de leurs chevaux claquaient et les gueux qui se retournaient sur leur passage semblaient impressionnés par l'allure du tandem. Tout en eux respirait la fierté, la noblesse et la détermination.


Au sortir de la ville, Gris-Poil prit instinctivement le chemin qui partait vers le sud-ouest, vers le bourg de Sombrebois.


- Comment te sens-tu, Grâce ? Cet air frais et vivifiant, un régal n'est-ce pas ?


Son enthousiasme était à la mesure du beau temps et du plaisir qu'il avait prit à organiser cette sortie. Ce projet, bien que d'une relative importance, les avait, semble-t-il, rapprochés un peu plus. Hector affichait un sourire franc et plein d'espoir.


- Goûtons un peu le vent et la vitesse, ma douce ! S'exclama-t-il en lançant Gris-Poil au trot soutenu.


Il était temps de voir comment Grâce maniait sa monture !

Faire quelques pas dans les jardins Ducaux étaient une agréable promenade, aller à Sombrebois semblait plus une expédition moyennement risquée. Certes, l’on pouvait parfaitement argumenter que ce n’était qu’une question de point de vue, or, même ainsi, la requête du Baron semblait toujours quelque peu plus risquée qu’une agréable promenade. Si ce n’était les fangeux qui les attaquaient, peut-être serait-ce des bandits de grands chemins, par ces temps de crise le crime pouvait être une voix raisonnable pour la survie.

C’est quelques que peu inquiète, sur cette sortie en elle-même, mais aussi sur ce qui pourrait bien en découler que Grâce se laissa emporter par ses songes.

Les jours qui suivirent ne furent pas réellement accueillis avec plus d’entrain. Une dague cadeau bien étrange, mais à nouvel ordre du monde nouvelle meures. La jeune femme eut tout de même une pensée amusée pour sa chère mère, qui s’étranglerait sûrement de savoir que sa fille qu’elle avait voulue si délicate, si féminine avait touché un objet aussi rustre et masculin qu’une arme. De même pour le fait de monter à cheval. Une dame ne montait pas, ou alors en amazone. Cependant faire au bas mot quatre heures de voyage dans une telle position n’était pas des plus confortable. Sans compter que Grâce ne connaissait que la base de la base en équitation. Se familiariser avec l’animal sur lequel elle allait faire cette agréable promenade, avait, de ce fait, été une plutôt riche idée, il fallait bien le concéder.

Malgré toute l’énergie que la Baronne avait pu mettre à prier pour que ce jour n’arrive pas, le ciel fini par se dégager, découvrant un soleil vif. Le jour était arrivé.

Traverser la ville avait été la partie aisée de la chose. Ce moment où l’on essaye de se convaincre que finalement cela ne sera pas si mal, que peut-être et contre toutes les statistiques, tout allait bien se passer. Juchée sur sa monture, affublée d’un pantalon et d’une verte en cuir de bonne facture, seulement recouverte au nouveau du cou et des épaules par une étole chaude, Grâce affichait son masque habituel d’assurance. Ses cheveux étaient sommairement relevés ne tenant que par un pic de bois ouvragé. Pas les bijoux à part son anneau soigneusement caché sous sa paire de gants. Bien entendu, son époux s’était assuré qu’elle porte bien la dague qu’il lui avait ramenée quelques jours plus tôt.

Un régal ? Pour ainsi dire. Prendre un peu l’air n’était pas désagréable, loin de là. Pourtant, la jeune femme faisait toujours preuve de retenue, de méfiance. Elle avait quitté son cocon, sa protection, il y avait de quoi se monter réserver.

Voilà qu’Hector voulait encore brûler les étapes, partir au galop ne pas se retourner. Mais Grâce ne se souvenait même plus des quelques brèves leçons qu’elle avait reçues de son frère en matière de monte, alors tout ce qui n’était pas un pas rapide allait attendre qu’elle se soit habituée, acclimatée à cette ambiance, à cette désagréable impression de potentiel danger.

Elle s’était tout de même forcer à faire aller sa monture au trot pour rattraper son mari. Si elle avait accepté ce n’était certainement pas pour être à la traîne et le regarder de loin.

« Doucement, Hector, tu veux toujours aller trop vite. »

S’amusa la Dame avec un petit sourire en coin. Cependant, ce dernier disparu assez vite.

« Avant d’être trop loin pour pouvoir faire demi-tour, je souhaiterais que tu m’éclaires sur un point. Pourquoi me l’avoir avoué ? Tu aurais pu le garder pour toi en faire ton vilain petit secret, rien n’aurait changé. »

Ce dont elle parlait était évident. Pourquoi s’être confessé à propos de la milicienne ?
Si il n’avait rien dit sûrement n’aurait-elle jamais su, n’ayant aucune raison d’espionner, de douter d’Hector. Aussi futile qu’ai pu avoir l’air cette question, elle avait de l’importance pour Grâce.

A quoi pouvait bien faire allusion la novice cavalière lorsqu'elle disait qu'Hector voulait toujours aller trop vite ? Le baron était en train de chercher en quelles occasions il avait bien pu faire preuve de précipitation quand Grâce reprit la parole :


- Avant d’être trop loin pour pouvoir faire demi-tour, je souhaiterais que tu m’éclaires sur un point. Pourquoi me l’avoir avoué ? Tu aurais pu le garder pour toi en faire ton vilain petit secret, rien n’aurait changé.


Le baron fit ralentir son cheval pour le placer à coté de celui de sa femme.


- Lorsque je suis rentré au manoir, que j'ai vu que tu m'attendais dans le salon, je n'ai pas vraiment eu le choix... Au delà de ce qu'on s'était promis, je me suis senti comme écrasé par la culpabilité. Tu avais été si bonne pour moi les jours précédents... Et ce que j'ai fait m'apparaissait comme une trahison telle à l'égard de cette bonté que je me devais de t'en faire part. Bien sûr cela a porté un coup à notre relation... Mais je crois avoir pris conscience à cette occasion que je tenais vraiment à toi...


Il n'osa le dire - après tout ce n'était pas à lui de le faire - mais il avait l'impression qu'à cette occasion, aussi, il avait pris conscience de l'amour que sa femme - habituellement experte pour cacher ses sentiments et ses émotions - lui portait. Sa détresse, qu'elle avait tenté de cacher sous une couverture de désir, avait prit Hector aux tripes et l'avait, d'une certaine façon, changé...


Un cerf, au loin, broutait paisiblement aux abords d'une forêt. La tragédie des fangeux avait décimé les chasseurs. Les animaux de la région en avait profité pour reprendre possession des plaines et des bois. Hector souriait en se disant que si les hommes mourraient, les fangeux s'éteindraient aussi faute de nourriture et le règne sur le monde reviendrait aux bêtes paisibles et naïves qui parcouraient aujourd'hui les terres de Sombrebois et d'ailleurs.

Rien n’était simple dans cette histoire. Il aurait été tellement plus clair qu’Hector ne lui dise que ce n’était qu’à cause de leur arrangement qu’il le lui avait avoué. Pourtant, ce n’était pas cela, il parlait de culpabilité, il comprenait la trahison, il parlait de sentiments. Les sentiments, s’étaient bien cela la difficulté. Faire le tri, prendre du recul, quand cela touchait au cœur ou à l’amour-propre, devenait bien plus complexe. Sûrement, cela était trop frais, trop récent, et qu’elle cherchait trop à comprendre trouver une finalité pour que cela soit clair. Remuer la vase ne faisait que rendre l’eau plus trouble.

« Quel dommage qu’il est fallu ceci pour que tu t’en rendes compte. »

Que dire d’autre ?
La Baronne n’était pas encore prête à exprimer un quelconque pardon. Son affection, elle la distribuait au compte-goutte, comme si toute marque de tendresse était aussi une marque de faiblesse.

« Je n’ai pas accepté de t’accompagner uniquement pour te plaire. J’ai besoin d’être avec toi, loin de ce que nous devons représenter. Quelque peu comme cette rencontre impromptue dans les jardins ou cette entrevue au terme. Nous n’y étions que nous-même… »

Sa voix douce et son petit sourire réapparu ne laissait filtrer la réelle finalité de cette journée. Pour être certaine d’avoir le meilleur résultat la jeune femme pensait qu’amadouer son époux, le mettre à l’aise lui rappelant des moments exquis, intriguant, était une intéressante démarche.
Elle savait qu'il y avait un petit air de mensonge dans ce qu'elle disait. Pas certaine de se souvenir ce qu'était d'être elle même, trop habituer à porter un masque, ce dernier changeait quelque soit la situation, la mondaine, la séductrice, la sévère, la douce ...

Le cerf leva précipitamment la tête de sa pâture, il sembla regarder autour de lui puis se sauva sans plus de cérémonie, visiblement apeurer par quelque chose. Peu rassurée, Grâce aligna soigneusement l’allure de sa monture de celle d’Hector, son anxiété devait filtrer dans son attitude tendue.

Hector avait envie de prendre Grâce dans ses bras. Il voulait la réconforter... Et se réconforter. Il sentait son cœur se serrer à chaque fois qu'elle évoquait avec cette tristesse lasse l'aventure qu'il avait eu avec la milicienne. Qu'il regrettait cet instant où dans un aveuglement désespéré, il avait pris la belle Alix dans ses bras.


Quelques piaillement joyeux se firent entendre au devant des cavaliers et Grâce évoqua un sujet bien plus heureux : leur rencontre et les premiers doux moments qu'ils avaient partagés. A cette époque, le jeu de la séduction était tout et Hector n'avait que la jeune De Brasey en tête. Aujourd'hui, c'est avec un sourire presque mélancolique qu'il accueillit ces mots. Evidemment, à présent, tout était différent. Ils étaient mariés et la difficulté n'était pas de conquérir la jeune femme... mais de la garder à ses cotés, de faire en sorte que l'attraction perdure et que l'amour se renforce entre eux...


Une certaine anxiété se lisait dans le regard de Grâce. Le baron tourna la tête vers le chemin et ne vit rien de particulier. Le cerf, simplement, était parti. C'était sûrement l'arrivée des deux cavaliers qui l'avait fait fuir. Le soleil était toujours bien présent dans le ciel d'azur, donc pas de raison d'être sur ses gardes, n'est-ce pas ?


- Mais dis-moi une chose, Grâce, j'aimerais te poser quelques questions à mon tour... Que penses-tu de ta nouvelle vie depuis le mariage ? Te sens-tu plus libre ? Plus heureuse ?


C'était quelques unes des questions qu'il avait en tête depuis sa faute. Car, oui, le gentilhomme voulait que sa femme soit heureuse... Et, si possible, avec lui !

Elle fut prise de court par la question d’Hector. Son sourire frémit pendant qu’elle encaissait la demande de son mari. Elle luttait pour se garder un masque digne de ce nom sur son visage qui réagissait à un flot d’émotions et qu’elle avait du mal à garder en elle.

Ce n’était clairement pas le moment pour ce genre de question. Ni le moment vis-à-vis de ce qui s’était passé entre eux, ni le moment vis-à-vis de la situation. Si elle avait voulu être honnête, de toute façon elle n’aurait pu, le filtre de sa rancœur atténuant, noircissant forcément le tableau.
Pourquoi avait-il fallu qu’il soit trop honnête ? Ou trop égoïste. Soulager sa conscience peu importe ce que cela ferait à l’autre.

Cette désagréable impression de ne pas réussir à filtrer correctement ses expressions transforma son anxiété en agacement. Quand elle arriva à se composer un peu de contenance, son visage manifestait de la contrariété, ainsi qu’une lassitude résignée pour ainsi dire. Elle a eu un regard pour son mari et son sourire s’élargissait. Elle pensait à son empressement sur les chemins comme dans l’amour.

« Doucement… Tu veux toujours aller trop vite, je te l’ai déjà dit. »

Tout était différent maintenant, mais certaines choses ne changeaient pas. Elle exprimait avec son sourire qu’il lui fallait du temps pour panser suffisamment ses plaies et être pleinement indulgente. Le sujet n’était visiblement pas à son goût, et en ce moment, elle s’apercevait qu’être elle-même devant le regard d’Hector était la dernière chose dont elle avait besoin. Pour elle-même d’abord. S’était se montrer trop vulnérable et ce n’était pas tolérable. Puis, pour lui, Grâce soupçonnait que son époux soit capable de supporter les doutes qu’elle entretenait encore et cette colère sourde qui se ravivait à chaque allusion, ou parfois seulement lorsqu’elle le regardait. Elle regarda dans la direction opposée du cerf en fuite parce qu’elle avait entendu un bruit ou qu’elle voulait éloigner ses yeux de l’infidèle et de son visage rongé de barbe.

« Hector, voudrais-tu aller voir par là ? S’il te plaît… J’ai entendu un bruit qui ne me rassure pas. »

L’air soucieux qu’elle s’était forcé à afficher et l’instinct de protecteur du fautif devrait bien faire le reste.

Hector n'avait pas posé ses questions pour mettre sa femme mal à l'aise et, pourtant, il put facilement voir une certaine gêne se dessiner sur le visage de celle-ci. Certes le baron commençait à connaitre la belle brune mais il espérait quand même qu'aujourd'hui, elle laisserait un peu de coté sa retenue habituelle pour se livrer un peu... Mais le temps des confidences n'était visiblement pas encore venu pour l'ex de Brasey. A la place d'une réponse elle offrit à son mari son beau sourire et... l'explication à ce fameux empressement. Les deux jeunes gens étaient décidément bien différent. Si le mensonge semblait impossible à assumer pour le fier baron, sa femme, elle ne semblait pouvoir assumer la vérité de ses sentiments.


Hector fit la mou, ne cachant pas la déception que cette (non) réponse provoquait en lui.


- Hector, voudrais-tu aller voir par là ? S’il te plaît… J’ai entendu un bruit qui ne me rassure pas.
- D'accord Grâce. Continue sur ce chemin, je te rattraperai.


Evidemment, aller vers quelque danger n'était jamais la bonne solution mais le baron se dit que la demande de sa femme n'était là que pour lui permettre de se remettre de la gêne qui avait suivi les interrogations du baron. Ce dernier, donc, sorti du chemin, et à allure réduite, fit aller Gris-Poil vers la direction qu'elle lui avait indiquée.


Le seul danger véritable était, évidemment, les fangeux. Mais, encore un fois, s'approcher d'eux ne pouvait que les appâter. Aussi, lorsque le baron eut fait une dizaine de mètres il se retourna pour regarder sa femme...


Attendons encore un peu


... puis, voyant que Grâce avançait à un bon rythme, il fit encore ralentir son cheval et, lorsque la cavalière fût assez loin, il se mit debout sur ses étriers pour vérifier tout de même qu'aucun danger n'arrivait... et c'est là qu'il vit un homme, visiblement un chasseur, qui, se relevait de derrière un buisson en pestant.


- Bon dieu, qu'est-ce qui vous a pris d'arriver à c'moment là ?! Z'avez fait fuir mon cerf, par bleu ! M'avez fait perdre ma journée là !


L'homme gesticulait et agita son arc. Hector fouilla dans sa poche et lui envoya une pièce d'argent.


- Tiens pour ton cerf... Profite bien de cette belle journée de chasse !
- Merci monseigneur, merci beaucoup ! Bon voyage à vous, et méfiez-vous, le vent du nord n'annonce pas une belle soirée !
- Merci pour le conseil, chasseur, et adieu.


Sur ces mots, Hector partit au galop pour retrouver sa femme. Celle-ci franchissait tout juste une colline et sa silhouette à contre jour, était gracieuse et appliquée. Pour une cavalière débutante, elle ne s'en sortait pas si mal. Néanmoins, elle n'allait pas très vite et le baron n'eut aucun mal à la rattraper.


- Je n't'ai point trop manqué, j'espère ! S'amusa-t-il avant de lui expliquer l'épisode du chasseur. Il a bien raison de profiter de ce beau temps pour chasser. Le gibier est nombreux, la viande se vend cher, et le temps est clément... enfin


Devait-il faire part à Grâce du mauvais présage que lui avait énoncé le chasseur ?


- ... enfin l'homme m'a dit que ce vent de nord annonçait un temps couvert pour la soirée - ce qui me semble assez juste. Nous devrions nous hâter un peu... S'il ne faut - en général - pas aller trop vite - il fit un clin d’œil à Grâce - cette fois, mieux vaut ne pas traîner.


Hector positionna son cheval juste à coté de celui de sa femme.


- Alors, Grâce, pour le trot enlevé, il faut prendre appui sur les étriers et passer de la position assise à levée un temps sur deux... C'est moins fatiguant pour le cheval et nous aurons plus de chance d'éviter les ennuis...


Hector tapota des bottes les flancs de Gris-Poil puis prit la position qu'il avait expliquée à Grâce pour lui montrer l'exemple

Hector voulait se presser, arriver plus vite à Sombrebois, cependant Grâce n’était plus vraiment d’humeur à être magnanime avec son époux. Cette moue déçue qu’il ait affichée l’avait plutôt irrité. Avait piqué au vif sa part meurtrie. Comment lui pouvait être déçu après tout ce qu’elle avait fait. S’était fou comme une expression, même quelque seconde pouvait avoir tant d’impact sur la personne qui la voyait. La nature de l’humain était changeante, capricieuse et a cet instant la Baronne était tout à fait prêt à l’embrasser à sa manière.

« Tu n’as pas l’impression d’inverser les rôles ? »

Cette phrase fut la toute première. Lâchée de manière quasiment anodine, douce, presque enjouée sur les dernières syllabes. Pourtant, elle était annonciatrice d’un orage, une tempête qu’Hector devrait sûrement plus craindre que celle qu’on venait de lui annoncer pour cette soirée.

« C’est moi que tu as trahie un soir sur une pulsion primaire et bestiale. Et non-contente d’avoir entendu ton impitoyable confession, je t’ai naïvement promis l’indulgence, la patience de ne pas réagir sous le coup de mon amertume. »

Grâce fit une brève pause. Ce n’était pas parce qu’elle n’y mettait pas un ton furieux qu’elle ne pensait pas chaques mots qui franchissaient ses lèvres. Sûrement était-il plus grave qu’ils ne devaient l’air, elle n’aurait su le dire, encore sous le joug de sa rancœur.

« Toute ta culpabilité ne changera pas les faits. J’ai pansé avec grand soin tes plaies, qu’elles soit physiques ou spirituelles. J’ai été d’une infinie patience écoutant tes peines sans pour autant m’apitoyer et te laisser sombrer. Je t’ai ménagé pour que tu ne tues pas à la tâche. Je me suis vouée à toi corps et âme. Au final tu me l’as rendu en faisant tienne une autre femme. »

Il y avait quelque chose de grondant dans sa voix sans pour autant de son ton ne se fasse menaçant, ou même agacé, elle égale et réservée, comme elle l’avait toujours été. A cet instant Hector ne méritait plus l’effort qu’elle lui montre clairement une expression. Il aurait le droit au même masque que tous les autres. Ce même demi-sourire poli, légèrement avenant.

« Et maintenant que tu me poses une question à laquelle je me trouve dans l’incapacité de répondre, que je ne puis répondre une attente mineure, tu es déçu ? »

La question était posée d’une manière presque innocente, un peu légère.

« C’est à ce moment que tu as inversé nos places. Après tout ce que j’ai faits, je te déçois pour si peu ? »

Parce qu’il fallait bien le dire, en comparaison de tout ce qu’elle avait bien pu faire, ne pas répondre était une goutte d’eau, une broutille, qui semblait sans importance. Si futile qu’il aurait été stupide de s’appesantir outre mesure dessus.

« Appréhendes-tu seulement pourquoi je n’ai pas souhaité répondre ? »

Traité la chose comme une devinette, un jeu. S’était tellement loin de la réelle indignation qui diffusait en Grâce.

« Simplement parce que te dire non aurait été une moindre revanche. Une pique odieuse et facile, uniquement motivée par la noirceur appliquée par ma colère sur les souvenirs de ces mois passés ensemble. J’aurais, cependant, très bien pu te mentir sans ciller, te dire que, oui, bien entendu, j’étais heureuse. Mais mon orgueil de femme blessée s’y est cruellement opposé argumentant que je ne pouvais te faire ce présent, après tout cela. J’ai seulement choisi l’option qui te ménageait le plus Hector. Et cette fois tu me remercies avec une moue de déception. »

Elle s’était forcée, fait outrageusement violence pour ne pas afficher cette hargne. Il ne la méritait pas, il ne méritait pas que ça la touche ainsi. Hector avait de plus en plus l’aura une erreur de jugement et de jeunesse qu’elle allait finir par regretter purement et simplement.

« Mesure bien les mots qui vont sorti de ta bouche pour me répondre Hector… Nous ne sommes pas si loin de Marbrume et toute débutante que je sois, je saurais très bien rentrer seule. Peu importe quelle mauvaise fréquentation je pourrais bien rencontrer en chemin. Elle me sembleront moins insupportable que la tienne à cet instant.»

Une dernière pique aussi teigne qu’exagérée, quoi que…

Après avoir quitté Grâce pour aller vérifier le bruit qui l'avait intriguée, Hector avait parlé du chasseur, de son présage, il avait expliqué à Grâce comment aller au trot enlevé. Il ne s'était pas rendu compte qu'en elle, la colère grondait. Il s'était même déjà élancé pour lui montrer l'exemple de ce fameux trot enlevé quand la voix de sa femme, assourdie par la distance, lui parvint aux oreilles.


- Tu n’as pas l’impression d’inverser les rôles ?


Hector fût très surpris et par cette phrase dont il ne parvenait pas à comprendre l'origine. De quoi parlait-elle ? Sa moue, pour lui, était bien anodine. Se souvenait-il seulement l'avoir faite ? Un sourcil levé, il ralentit l'allure pour retourner auprès de Grâce et écouter la suite. Le visage de celle-ci était si bizarrement neutre : Elle y affichait un demi-sourire légèrement avenant qui collait mal avec le fond des propos
qu'elle ajoutait.

- C’est moi que tu as trahie un soir sur une pulsion primaire et bestiale. Et non-contente d’avoir entendu ton impitoyable confession, je t’ai naïvement promis l’indulgence, la patience de ne pas réagir sous le coup de mon amertume.


Elle ne répondait toujours pas aux questions d'Hector... Sa nouvelle vie, sa liberté n'étaient pas au menu des réjouissances. Sur le fait d'être heureuse, par contre, elle donnait quelques indices...


- Toute ta culpabilité ne changera pas les faits. J’ai pansé avec grand soin tes plaies, qu’elles soit physiques ou spirituelles. J’ai été d’une infinie patience écoutant tes peines sans pour autant m’apitoyer et te laisser sombrer. Je t’ai ménagé pour que tu ne tues pas à la tâche. Je me suis vouée à toi corps et âme. Au final tu me l’as rendu en faisant tienne une autre femme.


Le visage d'Hector s'assombrit à son tour, montrant compassion et tristesse. Il avait minimisé l'impact de son aventure d'une nuit sur sa femme. A vrai dire, il n'avait lui même jamais été ainsi trompé et n'arrivait pas à mesurer l'impact que cela pouvait avoir. Il se doutait que cela faisait mal mais à quel point ? Il aurait été bien incapable de le dire. Visiblement, pour Grâce, la blessure était profonde et très douloureuse.


- Et maintenant que tu me poses une question à laquelle je me trouve dans l’incapacité de répondre, que je ne puis répondre à une attente mineure, tu es déçu ? C’est à ce moment que tu as inversé nos places. Après tout ce que j’ai fait, je te déçois pour si peu ?


Les pièces du puzzle se remettaient doucement en place.


- Je suis désolé... Je n'avais pas mesuré la peine que je t'avais causé, parvint il à placer avant qu'elle ne reprenne...


- Appréhendes-tu seulement pourquoi je n’ai pas souhaité répondre ?


Un petit hochement de tête pour répondre affirmativement avant la salve finale et voilà, toute la lumière était faite sur l'origine de ce discours amer. La dernière menace n'avait guère d'importance pour Hector. Il préférait comprendre les causes de la colère de sa femme plutôt qu'apprendre les conséquences éventuels de ses mots. Il n'était pas du genre à réfléchir plusieurs coups à l'avance. L'honnêteté a ça de bon qu'elle ne fatigue pas le cerveau. Vous dites ce que vous pensez, vous dites votre vérité... Et vous en assumez les conséquences !


Sans le savoir, Grâce venait de franchir, en passant devant un grand rocher de granit, la frontière des terres de Sombrebois. Il ne sembla pas utile à Hector d'en informer sa compagne.


- Et bien, je ne peux que te dire que j'avais sous-estimé la blessure qu'avait provoquée mon aventure de l'autre soir et que... j'en suis réellement désolé. Je ne peux malheureusement pas effacer mes actes. Ce qui est fait est fait. Tous mes regrets n'y changeront rien.


Par contre, il y avait quelque chose qu'il se devait de dire à sa femme.


- Mais ne te sens tu pas... libérée de m'avoir dit cela ? Pourquoi vouloir cacher tes sentiments... Nous sommes... mariés. Je n'ai pas besoin d'être ménagé. Je ne suis pas un enfant. Tu peux me dire que tu as été meurtrie par mes actes, tu peux me dire que la vie que tu mènes avec moi ne te convient pas, j'y survivrais. Le silence, par contre, les non-dits, ton visage impassible, tout cela ne m'aide pas à te comprendre, à m'adapter à toi, à tes envies. On a besoin, je crois, de savoir ce que l'autre ressent. Comment peut-on s'attacher à quelqu'un dont on ne connait ni ses tourments ni ses bonheurs ?


Les cavaliers arrivèrent bientôt en vue de la palissade du bourg de Sombrebois.


Quelques hectomètre encore et Hector mettrait pied à terre, sortirait la grande clef de la poche de sa veste et déferait le verrou de la porte du bourg. Il pousserait fort contre celle-ci et elle s'ouvrirait dans un grincement sinistre, faisant apparaître la ville fantôme et les restes du dernier brasier qu'avait connu Sombrebois...

Grâce ne se sentait pas réellement libérée, elle se sentait plus que jamais embourbée dans cette masse encombrante de sentiments qu’Hector lui inspirait. Pendant un instant, la jeune femme regretta d’avoir voulu rejeter son éducation, cette façon de faire de se détacher de tout ce qui pouvait entraver le jugement. D’ailleurs cela semblait répondre magnifiquement bien à cette question qu’avait posée le fautif. Pourquoi cacher ses sentiments ? Plutôt pourquoi les gérer, les repousser, n’en prendre que le meilleur ? Seulement parce qu’ils étaient une faiblesse, un moyen malvenu de se laisser attraper, manipuler. Devenir celle qu’on ne menait pas le bout du nez n’était pas réellement une perspective qu’elle envisageait.

« Je suis ainsi Hector, considère cela comme ma faiblesse, tout comme les femmes sont la tienne. J’ai essayé pourtant, je me suis ouverte pour te soutenir. »

Ses mots, elles les avaient pensés et prononcer avec douceur, presque un peu désolée.
Tous deux savaient pertinemment ce qui s’était passé. Ce gros point noir qui les mettait à mal tous les deux. Grâce était blessée dans sa fierté, mais également dans son cœur, comment avait-elle pu être assez stupide pour se laisser amadouer, charmée, touchée ?
Pourtant, malgré ce qu’elle avait dit elle n’en pensait pas un mot, ce n’était pas une faille, loin de là. S’était ce qui lui permettait de garde la tête froide, ne pas perdre de vue que ce qui lui était important, de ne pas s’égarer. Cela lui semblait si vital d’un coup voyant ce qui s’était passé lorsqu’elle l’avait laissé de côté ce trais, quelques semaines, quelques mois. Elle se retrouvait affecter par cette broutille qui avait l’air si imposant, si tragique.

Rien ne pouvait rester ainsi, s’était trop précaire. Si l’effort ne voulait pas venir d’un Hector qui semblait se complaire dans sa tyrannique franchise et son agaçante propension à croire que tout n’était que simplicité, il devait à nouveau émaner la Baronne. Il voulait des sentiments, il voulait des confidences, des jolis espoirs. Il en aurait.

Elle avait fait son choix, Hector avait eu sa chance et il l’avait si cruellement gâché. Cependant, ce n’était pas parce qu’il ne comblerait pas son cœur, qu’il l’avait même meurtri qu’il en était devenu d’une totale inutilité. Parfaitement consciente qu’en tant que femme, son pouvoir ici-bas était limité.

Elle le brosserait avec assiduité dans le sens du poil, guettant son heure, son opportunité. Hector serait sa marionnette qu’elle animerait comme elle le désirait grâce à la délicate trame de ses doux mensonges.

« Mais soit, mon amour, j’essayerais à nouveau. »

La flatterie avait été si naturelle, aucun scrupule n’animait la jeune femme. Rien dans sa voix ne trahissait le faux de ses propos, bien au contraire, elle y avait voulu quelque chose qui ressemblait à de la bonne fois.

Le bourg de Sombrebois avait quelque chose d’inquiétant. Cette ville si vide. Heureusement que le soleil brillait encore, sinon sûrement Grâce aurait hésité à pénétrer dans l’enceinte de la ville.

« Bien, où se trouve cette bibliothèque ? »

Si maintenant le brouillard commençait à se dissiper, dévoilant de nouveaux horizons, ce n’était pas pour autant que la compagnie de son époux était plus douce à la Dame. Si sous le masque de l’enthousiasme elle pouvait presser un peu les choses elle n’allait certainement pas s’en priver.

Les mots de Grâce semblaient sincère... et Hector lui sourit.


Malgré tout, elle n'en dit pas plus sur ses sentiments et laissa la perspective de l'ouverture de son cœur flotter étrangement dans les airs. Hector n'insista pas. Il resta un moment silencieux. En son esprit tournait à présent en boucle la menace de départ que lui avait faite Grâce. Elle l'avait prononcée sur un ton si neutre, un ton qui contrastait tellement avec le fond de ses propos que le baron, à retardement, en était presque effrayé...


Il ouvrit machinalement les portes de Marbrume, alors qu'une chape de tristesse s'abattait sur son âme, et les referma derrière sa femme et lui.


- Bien, où se trouve cette bibliothèque ? Lui demanda Grâce.
- Par ici, suis moi.


Et le baron, après être remonté sur son cheval, suivit le chemin principal qui menait jusqu'au château de Sombrebois. Ce dernier, lourd et imposant, n'affichait plus la même élégance que par le passé. Les drapeaux qui y flottaient étaient ternes et salis ; autant que les murs de pierre, assombris par la crasse de ces mois sans entretien.


L'intérieur, néanmoins, était encore présentable. La poussière ne s'était pas encore trop accumulée et Hector, plein de mélancolie, retrouvait avec un léger sourire le grand escalier et les couloirs de ce qui fût jadis sa maison. Parcourant d'un pas las le long couloir qui menait à la bibliothèque, il ne se sentait pas le courage d'expliquer à Grâce tout ce qui se cachait derrière chacune des portes fermées de celui-ci. Il était mentalement abattu ; comme il pouvait l'être physiquement après une longue bataille. Mais cette fatigue psychologique, il n'y était guère habitué. Cela ne lui plaisait pas. Il avait associé Grâce à une foule de sentiments positifs tel que l'amour, la tendresse, la sympathie, le désir... Mais la joute verbale à laquelle ils s'étaient livrés ne lui laissait qu'un goût amer dans la bouche.


Il ouvrit la porte au fond du couloir, laissant mirer une salle d'environ dix mètres sur cinq dont les murs étaient cachés par de grandes bibliothèques remplies de livres. Le plafond n'était pas très haut (trois mètres tout au plus) mais l'impression de grandeur était tout de même indéniable. Il y avait quelques escabeaux ça et là pour attraper les ouvrages les plus haut perchés. Une longue table au milieu de la pièce entourée d'une dizaine de chaises et quatre fauteuils dans les coins de la pièce constituaient le reste du mobilier.


Dans les bibliothèques, divers ouvrages d'histoire, de géographie, de botanique, de zoologie, de science, de technique, de religion, de philosophie, mais aussi quelques romans, nouvelles et recueils de poésie flattaient le regard des visiteurs par la mosaïque de couleurs que leurs tranches présentaient.


Hector marqua un temps d'arrêt. Il savait bien ce qu'il était venu chercher et où il devait le chercher mais un certain découragement le retenait de s'avancer vers les étagères qui l'intéressait.


- Voilà, nous y sommes... Dit-il simplement.