Difficile de quitter l'eau chaude? (Pv Marius et Eléanor)

1er juillet 1166

La bénédiction de fécondité, Eléanor trouvait cela magnifique. C'était, une nouvelle fois, une preuve de la bonté du Dieu auquel elle avait voué sa vie, Serus. Ce jour là, la jeune femme assise nue dans l'eau chaude du bassin était seule. Son mari, milicien de ce qu'elle avait compris, ne l'accompagnait pas. Elle était debout, les yeux fermés, au milieu des vapeurs d'eau chaude qui formaient des volutes et des courbes autour d'elle. Elle avait une longue chevelure couleur de miel qui descendait en cascades sur ses épaules et sa poitrine, et finissait doucement par former comme une jolie flaque dorée autour de ses hanches dans l'eau, mêlée à la poudre de bois de cerfs. Elle avait les traits fins, et elle était enceinte jusqu'aux yeux. Eléanor la trouvait très belle, car elle était tout le contraire d'elle. La prêtresse avait les cheveux noirs entrecoupés ça et là par des mèches blanches qui la vieillissaient, alors qu'elle n'avait que vingt ans. Ceux qui la croisaient la traitait en général de sorcière à cause de cette différence, et même au sein du Temple elle n'y avait pas coupé. Elle les avait nattés en une longue tresse pour l'occasion, et psalmodiait les paroles qu'elle avait apprises par cœur lors de son apprentissage.

La jeune femme était venue demander cette cérémonie pour que la naissance du petit se passe pour le mieux. La prêtresse avait discuté un peu avec elle avant la cérémonie, et elle s'était retrouvée à devoir consoler une femme enceinte qui avait très peur pour l'accouchement de son premier enfant, alors qu'elle même n'en avait jamais eu. Elle s'était prise d'affection pour cette petite dame qui venait tout juste d'entrer dans la vie, car elle avait seulement 19 ans. Elle pria donc, avec toute la ferveur dont elle était capable, pour que Serus insuffle correctement la vie dans le petit corps que la jeune femme portait lorsqu'il sortirait. Elle pria de même pour qu'elle s'en sorte, et que l'accouchement se fasse sans encombres pour elle. Elle ajouta encore un peu de poudre de bois de cerf pour clôturer la cérémonie, et invita la jeune femme à ouvrir les yeux pour pouvoir sortir du bassin sans encombres. Elle l'aida comme elle le put, lui offrant un linge pour l'aider à se sécher et pour qu'elle n'attrape pas froid. Elles étaient toutes les deux dans un des bassins réservés aux femmes, et elle savait qu'elle n'avait rien à craindre qu'un homme face outrage à la pudeur de cette jeune femme. Elle vérifia tout de même que personne ne se tenait caché là avant de la faire sortir. Elle connaissait des petits malins d'apprentis qui n'avaient pas bien compris ce que "sacré" voulait dire.

Elle salua la jeune femme, s'assurant que celle ci arrivait à remonter les marches qui menaient au grand hall sans se casser la figure. C'est alors qu'elle perçut, du coin de l’œil, un mouvement dans les grands bassins mixtes. Elle était surprise de voir du monde encore à cette heure, car elle avait effectué la cérémonie en fin d'après midi et même si en été le soleil se couchait tard, il n'était pas une heure convenable pour occuper les bains du Temple, d'autant que l'on allait bientôt passer là pour nettoyer les abords des bassins. Eléanor s'approcha lentement pour voir de qui il s'agissait. Cela pouvait très bien être un prêtre ou une prêtresse venu se détendre après une dure journée. Elle savait que certains passaient plus de temps encore qu'elle au Labourg. Eux se fichaient bien de la tombée de la nuit, puisqu'ils vivaient là. Cependant, elle n'était pas habituée à passer dans les thermes autrement que pour des cérémonies ou lorsqu'elle en ressentait réellement le besoin, aussi elle ne savait pas qui pourrait bien, de ses confrères - car elle avait remarqué que c'était un homme - se tenir là à cette heure.

- "Excusez moi?"

Sa voix douce et claire résonna dans les bassins vides, ce qui était une prouesse avec toute la vapeur qui se dégageait encore. Cependant, elle n'obtint pas de réponse. Elle s'approcha encore et s’aperçut que l'homme était nu, tout du moins du torse, et elle ne voulait pas savoir ce qu'il y avait en dessous. Il avait la tête inclinée vers l'arrière, posée sur un rebord et ne semblait pas l'avoir remarquée. Elle rougit violemment et plaqua une main sur ses yeux, regardant tout de même le sol pour éviter de glisser et de faire un beau plongeon dans l'eau chaude.

- "Êtes-vous un membre du clergé?" Dit-elle un peu plus fort. "Je n'ai pu vous reconnaitre dans cette brume, aussi si vous ne l'êtes pas, mon Fils, il va bientôt falloir songer à sortir, car la nuit ne va pas tarder à vous surprendre si vous devez rentrer chez vous!"

La jeune femme se tenait donc là, en face d'un inconnu qui semblait avoir autant de vêtements qu'un ver et qui semblait s'être endormi, dans sa robe jaune de prêtresse de Serus, les pommettes aussi rouges que des tomates et une main timide posée sur les yeux, attendant patiemment la réponse qu'elle espérait, à savoir qu'elle n'avait pas à s'inquiéter car c'était un clerc...

La journée avait été particulièrement longue et pesante… S’était-il levé du mauvais pied ? Peut-être, et la chaleur n’avait rien arrangé.
L’entraînement à la caserne en matinée avait été un véritable calvaire, le corps des combattants étouffant sous leurs armures de plaques, de mailles ou leurs protections épaisses et gamboisées alors que leurs armes s’entrechoquaient brutalement. Il lui fallut se faire violence pour tenir jusqu’au bout, transpirant dans ses frusques et à bout de souffle face aux jeunots qui lui tenaient tête. De toute évidence, l’âge commençait à se faire sentir, et malgré sa force de frappe, l'endurance commençait à lui faire défaut contre les nouvelles recrues. Un constat amer, grave et difficile à accepter qui n’avait pas bonifié son humeur.

Marius n’avait pas passer une bonne journée, ça non.

Après les frappes et l’entraînement, la journée avait été… monotone et sans grand intérêt. De la patrouille basique à piétiner dans les ruelles à l’affût d’un larcin, d’une bagarre à interrompre ou d’une menace plus grande encore. Mais rien. Rien du tout. Rien qui ne mérite son intervention ou celle de l’un de ses paires. Pas une arrestation, pas un rappel à l’ordre, pas une activité suspecte. Rien que l’ennui et… Et cette foutue chaleur.

Les heures passaient lentement, les secondes s’écoulaient au rythme des gouttes de sueur le long de ses tempes, de sa nuque et de son dos. Des journées en plein cagnard ce n’était pas nouveau pour lui, mais ça n’avait jamais été un plaisir. Ni en tant que mercenaire, ni en tant que milicien. Ses traits étaient plus tirés que d’habitude, son visage bien moins enclin à la discussion… A vrai dire, Marius n’attendait qu’une chose. Terminer son service pour prendre du repos en taverne autour d’une bonne pinte bien fraîche et houblonnée.
Il n’en était pas fier, mais depuis la mort de son ami Louis lors de la dernière attaque de fangeux, le gaillard s’était rendu plus fréquemment en auberge. Un vieux travers qui lui était revenu après la perte de cet homme qui avait tant fait pour lui lors de son arrivée à Marbrume…
Une simple excuse pour picoler ou un véritable deuil ? Aucune idée, et cela n’avait pas vraiment d’importance pour lui ; la finalité était la même.

Mais à la fin de son service, la fatigue avait pris le pas sur la soif. Ses muscles s’étaient endoloris, ses membres alourdis et courbaturés des affrontements du matin. Ces petits cons n’y étaient pas allé de main morte avec lui, Marius avait tenu bon par orgueil et fierté mais son corps ne l’en remerciait pas maintenant.
Il s’était donc rendu aux temples dans l’espoir de pouvoir profiter de l’eau tiède des thermes pour se rafraîchir et se délasser. Profiter d’un instant de paix et de tranquillité dans un lieu béni des dieux pour reposer son corps et son esprit.
Il n’y avait pas grand monde à cette heure-ci, et c’était tant mieux. Le guerrier ne se fit pas prier pour se défaire rapidement de son armure, armes et braies et rentrer dans l’eau bienfaitrice des lieux. Il s’immergea dans l’eau jusqu’aux hanches et étendit ses bras de chaque côté du rebord pour s’y appuyer et profiter sereinement de cet instant. Le bain fit son effet et Marius se détendit. Trop peut-être puisqu’il sombra dans les limbes du sommeil en une fraction de seconde, sa nuque se reposant contre le pavé qui le soutenait. Un sommeil lourd et sans rêve qui aurait pu être particulièrement régénérateur si une autre voix n’avait pas résonné dans la salle des bains.

Marius entend, perçoit le son mais n’ouvre pas les yeux. L’homme feint l’endormissement, gardant ses paupières closes pour ne pas éveiller le moindre soupçon à son sujet. Il tend l’oreille, attentif à son environnement pour se concentrer sur le clapotements des pas qui se rapprochent de lui.
La voix était jeune, délicate… Une gamine ?

‘Mon fils’

Marius fronce les sourcils et porte son attention sur la jeune femme qui lui fait face, le visage froncé par une expression nonchalante. On lui demandait de partir ? Maintenant ..?
Il hésite un instant. Doit-il… Doit-il mentir à une prêtresse pour pouvoir pouvoir se prélasser ici quelques minutes de plus ? Mentir aux dieux ; mauvaise idée… Circuler après le coucher du soleil en cette période n’en est pas une meilleure, d’ailleurs…
Sa nudité ne le gêne pas le moins du monde, la pudeur était une notion assez abstraite pour un combattant ayant évolué dans un milieu si masculin, il reste là à l’observer et plisse les yeux pour tenter de percer la vapeur et mieux discerner la silhouette de la jeunette.

“ J’suis pas du clergé Ma mère, je suis de la milice.” répondit-il d’une voix morne à l’intention de la prêtresse.

“ Marius Âprechamps” précise-t-il “ Mes camarades savent que j’suis là et je… j’pensais pas qu’il était si tard. ”

Il marque une pause et humecte ses lèvres, reportant ses pupilles sur l’eau dans laquelle il pataugeait et n’avait pas franchement envie de sortir. Il avait oublié le poids de son corps, la chaleur, les hématomes et les courbatures. Cet endroit le sortait de la réalité et le rapprochait un peu plus des dieux… Quitter cet endroit si prématurément ne l’enchantait pas.

“Si c’est pour le couvre-feu, vous inquiétez pas pour moi. J’cours vite.” s’amuse-t-il en replongeant ses bras dans le bain.

- "J’suis pas du clergé Ma mère, je suis de la milice."
- "Oh"

Eh bien, elle aurait préféré qu'il soit du clergé, au moins elle n'aurait pas eu à le sortir de là. De plus, en règle générale, les miliciens ne lui inspiraient pas une confiance aveugle. Elle les savait bourrus et malpolis, même si pour le coup, elle ne doutait pas qu'il serait plus respectueux que la moyenne. Personne n'oserait bafouer une institution sacrée telle que le Temple... Si? Dans tous les cas, le bougre n'avait pas encore l'air bien sorti de sa torpeur, ni de vouloir sortir de là. Il se présentait. Bien, bon début, elle allait donc faire de même.

- "Je me nomme Eléanor Seraphin, mon Fils, heureuse de vous connaitre... Et de savoir que vos camarades vous savent en vie. Mais là n'est pas la question, vous..."

Elle n'eut pas le temps de finir, car l'homme enchainait déjà avec une réplique pour le moins... étrange. Courir vite? Mais enfin, seul, personne n'avait jamais réussi à fuir un fangeux, de ce qu'elle savait. Cet homme était-il inconscient ou complètement fou? Elle n'avait jamais croisé quelqu'un qui eu si peu peur de se faire surprendre en pleine nuit par une créature plus cruelle que la cruauté elle même. La jeune femme soupira, et estimant que la vapeur cachait assez bien les parties les plus intimes du corps de son interlocuteur, retira la main qui voilait ses jolis yeux clair. Elle ne pouvait se résoudre à laisser cet homme ici, car si ce n'était pas elle qui lui demandait gentiment de sortir et de rentrer à la caserne avant le couvre feu, ce serait fait par d'autres membres du clergé bien plus à cheval sur les règles de ponctualité. D'autant que la grande porte était scellée la nuit, pour empêcher toute incursion à l’intérieur des murs sacrés.

- "Vous ne manquez pas de courage, mon ami. Cependant, je dois m'assurer que ceux qui sortent du Temple soient dans la rue à la bonne heure. Tel est mon devoir et je ne peux y manquer, car il en va de votre sécurité, ainsi que de celle de tous les résidents de ce Temple. Imaginez seulement que par votre faute, un fangeux pénètre dans le grand Hall, décimant tout sur son passage. Nous avons la responsabilité de malades, de blessés. De plus, personne ici ne sait se battre et la nuit, nous sommes seuls."

Elle frissonna à cette vision d'horreur. Elle ne pouvait imaginer le Temple bafoué par le sang impur d'un fangeux. Ils étaient comme... morts et vivants à la fois, et elle ne voulait plus voir le sang couler. Pas comme deux mois auparavant. Elle ne voulait pas que ça recommence. Elle eut un flash mental : Un fangeux pénétrant dans le Temple, entrainant la panique générale. La mort. Puis les cris auraient attirés d'autres gens, la garde du chaudron se serait précipitée pour aider, laissant passer, peut être, d'autres fangeux. Elle respira plus fort d'un coup, et ses mains se mirent à trembler. Non, pas encore! Elle ne pouvait se résoudre à une telle horreur. Elle ne pouvait voir, encore, des vagues de blessés... Mais ou arriveraient-ils cette fois? Dans le Temple ravagé? Non. De chaudes larmes, invisibles du point de vue du jeune homme, se mirent à couler silencieusement sur ses joues. Le seul indice pouvant le mettre sur la voix était le rythme de sa respiration, plus saccadé, plus rapide. Elle se remit à parler d'une voix légèrement plus rauque.

- "Il est temps, mon Fils."

Marius était resté calme, docile, observant la jeune femme sans une once de défiance ou d’arrogance. Elle se présenta à lui et il répondit à son intervention d’un simple hochement de tête respectueux. Il avait misé sur un brin d’humour malgré la période sombre que Marbrume traversait, un moyen de détendre l’atmosphère, de dédramatiser tout ça et de mettre la demoiselle un peu plus à l’aise. Elle avait l’air sur ses gardes, méfiante… Sans doute cela l’agaçait-elle qu’on ne lui obéisse pas en ces lieux, qu’un soldat traîne la patte à l’idée de sortir d’ici alors que la nuit commençait déjà à tomber. Mais rentrer à la caserne…? Maintenant…? Marius avait besoin de calme, de temps pour lui, de solitude ou au moins d’un changement d’environnement provisoire.
Depuis deux mois, les journées avaient été à rallonge, longues et éprouvantes. L’invasion des fangeux avait fait un sacré boucan et avait fait de nombreux morts dans chacune des castes de la cité. Oh oui, tout le monde en avait pris pour son grade et les boulons avaient été resserrés pour chacun. Plus de patrouilles, plus d’arrestations, un couvre-feu, une vigilance exacerbée… Ces dernières journées avaient été plus calmes, mais elles avaient été précédées d’une période particulièrement difficile.

Eleanor avoua ses craintes… Un fangeux envahissant le grand Hall, bouffant et massacrant tout sur son passage, blessés, malades, clercs ! Un rictus étira un coin de ses lèvres derrière la brume, cette image n’avait pourtant rien de bien réjouissant... Il souriait alors que la prêtresse tentait de réprimer un vilain sanglot sa respiration trahissant malgré tout ses sentiments. Marius inspira profondément et adopta une expression plus ‘convenable’ avant de pousser sur ses bras pour s’extirper de l’eau et enrouler un linge autour de ses hanches. Il se rapprocha et se pointa face à elle de sorte à pouvoir poser une main contre son épaule. C’était une prise ferme, forte et réconfortante. Ses traits s’étaient changés en un genre d’expression douloureuse et compatissante alors qu’il toisait la demoiselle en silence.

“Ça fait deux mois que la situation est compliquée. On a tous payé le prix de la folie de ces sectaires, on a tous souffert de la perte d’amis, de famille… Et le poids de la mort d’autres qu’on ne connaissait même pas a quand même fini par nous dégouliner d’ssus pour nous étouffer complètement.

Deux mois qu’ça dure, la pression est… immense. La milice fait son travail, le Temple aussi, j’comprends votre vigilance, votre peur.” il marque une nouvelle pause et détourne légèrement ses yeux, venant masser son propre menton de sa main libre.

“Je vais être sincère avec vous.
Je suis épuisé, à bout de souffle. Ce qu’il s’est passé m’a… beaucoup affecté. Ça rappelle de sales souvenirs tout ça, ça fait remonter des choses qu’on aurait préféré oublier, lorsqu’ils sont apparus pour la première fois et qu’tout a fini par… par s’effondrer.” Marius humecte ses lèvres et laisse ses pupilles replonger dans celles de la prêtresse.

“Des jeunes recrues sont mortes ce jour là. De votre âge et plus jeune et je… J’ai rien pu faire pour qu'elles s'en sortent.
Je suis pas le plus à plaindre dans cette histoire, j’m’en suis tiré indemne mais je suis fatigué Mère Eleanor. J’ai besoin de me reposer, de me sortir de cette atmosphère oppressante qui pèse dans toute la cité et il n’y a qu’ici que j’ai trouvé de quoi m’apaiser.
J’en suis pas fier, mais après ce 1er mai je... j’suis un peu retombé dans l’alcool comme quand ma femme et ma fille sont mortes au tout début, mais ça fait qu’empirer les choses, la culpabilité et la douleur.” son regard s’embue de larmes et il finit par fermer les yeux.

“ La seule chose qu’j’ai trouvé pour me sentir mieux, c’est de venir ici, près des dieux. De m’en remettre à eux, de me confier à eux, de leur partager mes peurs, mes faiblesses. Je sais qu’Ils ne me jugeront pas et que vous non plus.

Vous croyez que ce serait possible de… passer la nuit ici ? Dans le Temple ?” il fronce les sourcils et plisse son front, attendant la réponse de la jeune femme avec une certaine appréhension.

Eléanor émit un petit cri et ferma rapidement les yeux lorsque Marius sorti de l'eau, et elle ne les rouvrit pas avant qu'il arrive et pose une main sur son épaule. Elle fut d'ailleurs surprise de ce contact et en oublia partiellement sa gène, constatant plus tard qu'il avait eu la décence de passer une serviette, heureusement. Il lui parla étonnamment sincèrement, ne cherchant ni a la rassurer, ni a la baratiner pour rester un peu plus longtemps. Il comprenait parfaitement que la prêtresse fut aussi craintive, et qu'elle ne veuille pas qu'une telle horreur se reproduise. Oui, Eléanor se doutait bien que lui non plus ne voulait pas voir tout cela recommencer. Elle avait été aux premières lignes pour s'occuper des blessés, ne dormant que quelques heures et priant presque a tour de bras pour ceux qui allaient passer. Elle avait vu tant de morts pour une si jeune personne. Elle avait perdu du monde, elle aussi. Elle avait perdu son frère dans cette folie, son grand frère qu'elle aimait tant. Elle ne voulait pas que ce soit ses parents qui partent dans le domaine d'Anür, ou Cassandre, ou elle même. Elle ne voulait pas non, certainement pas. Et cet homme semblait, si ce n'était le comprendre, au moins accepter sa détresse.

Il semblait avoir perdu beaucoup de choses lui aussi, d'après ce qu'il lui racontait. Et elle comprenait qu'il soit épuisé. Si elle ne se trompait pas, c'étaient d'ailleurs bien des larmes qui venaient cacher les yeux du milicien. Il ferma les yeux juste au moment ou elle levait les siens vers lui, mais elle eu le temps de voir quelques gouttes perler aux coins de ses paupières. Et puis il plaçait sa confiance en les Dieux qu'elle aimait tant. Et en elle aussi apparemment. Il attendait qu'Ils ne le jugent pas et elle non plus.

- "Vous croyez que ce serait possible de… passer la nuit ici ? Dans le Temple ?"

Pardon? Il voulait dormir au Temple? Elle ne s'y attendait pas pour le coup. Malheureusement, cela n'était pas de son fait car elle n'était que simple prêtresse, et non rsponsable. Elle allait devoir demander l'autorisation, et elle n'était même pas sur que ce soit possible. Si ils commençaient a accueillir du monde qui ne soit pas blessé au Temple, ils allaient finir par héberger toute la ville. Qui ne soit pas blessé? Mais qui pouvait attester qu'il ne soit pas blessé? Non elle ne pouvait pas faire ça. Mentir au Temple? Quelle infamie! Elle allait finir par être bannie du clergé a force. Déjà qu'elle n'était que tolérée a cause de ses cheveux, car certains clercs la voyaient déjà comme un mauvais présage. Les cheveux poivre et sel a vingt ans... Un sorcière née. Cependant, ils savaient à quel point elle était pieuse et d'ailleurs, elle ne pouvait tout simplement pas mentir aux Dieux eux même.

- "Je..."

Elle hésitait sincèrement. Elle voyait a quel point cet homme était las. Il avait besoin de repos, et la caserne ne devait pas être le meilleur endroit pour cela. Il avait l'air... abattu lui même par les événements. Il semblait bien plus vieux qu'elle et pourtant elle se senti attendrie. Comment était-elle passée de la méfiance à la compassion en si peu de temps?

- "Je peux demander à mes supérieurs si vous pouvez être hébergé dans les quartiers privés avec les blessés... Nous avons un peu de place en ce moment, il n'y a pas eu d'attaque à l’intérieur des murs depuis longtemps et comme nous sommes en été, la famine ne ravage pas encore les plus démunis..."

Elle réfléchissait a voix haute, les yeux perdus dans le vague.

Marius avait joué une carte risquée face à la demoiselle, faite d’un semblant de sincérité, de détresse et d’innocence. La prêtresse ne le repoussa pas lorsqu’il força un contact contre son épaule, mieux encore, elle semblait sensible à son sort et à ses propos. La jeune fille avait vraisemblablement essuyé des pertes de son côté elle aussi, et tirer sur cette corde là avait tendance à rallier tout le monde sous une même bannière. Celle du deuil et de la douleur, mais également celle de la confiance envers qui avait subit un sort semblable au sien.

Le garde inspire, ne quitte pas des yeux la prêtresse après avoir formulé sa demande en attendant sa réponse ou… au moins une réaction de sa part ?
Eleanor a l’air perturbé par la requête qui vient d’être émise, s’inquiétant probablement des conséquences qui lui retomberaient dessus si elle venait à l’accepter sans se concerter avec ses supérieurs ou demander une autorisation en amont. A moins qu’elle ne se tracasse pour trouver une manière douce de repousser cet homme et de lui intimer de quitter le temple ? Et si Marius n’avait pas fait montre de suffisamment de persuasion..?

Le gaillard déglutit discrètement, sentant ses muscles se tendre d’inconfort à l’idée que la jeune femme lui refuse ce privilège et ce ‘caprice’. Il change de pied d’appui pour adopter une posture plus confortable, laissant légèrement tourner son buste de sorte à dévoiler un bout de son flanc et une partie de ses côtes ecchymosées par l’entraînement de la matinée. Ce n’était pas un traumatisme très grave, loin de là, mais la taille du bleu et sa couleur peu engageante pouvaient rendre l’hématome impressionnant pour les regards non initiés aux arts du combat et de la guerre.
Il pince ses lèvres et plisse ses paupières en dévisageant la demoiselle pensive qui triturait ses méninges pour tenter de trouver une solution à ce problème qui s’était imposé à elle si brusquement.

Eleanor avait raison, il n’y avait pas eu d’attaque depuis les deux derniers mois, le froid et la famine ne risquaient pas de ravager les terres avant un bon moment et... Le couvre-feu devait se terminer demain. A une journée près, ne pouvait-on pas se permettre un brin de laxisme ?
Marius avait martelé son esprit à coup de pitié et de compassion, et il n’hésiterait pas à asséner un nouveau coup de burin pour espérer la faire craquer et accéder à sa requête. Il esquisse un sourire désolé et retire sa main calleuse de l’épaule de la demoiselle :

“ Je pensais pas que ce serait si compliqué, j’voulais pas vous mettre dans un tel embarras je… j’suis désolé. J’aurai pas dû vous demander ça, c’était pas raisonnable de ma part.” lâchera-t-il d’une voix rauque avant de s’éclaircir la gorge et de se détourner, prêt à aller récupérer ses affaires.

La résignation.
Une carte dangereuse qui pouvait être quitte ou double…
Allait-elle le laisser partir, impuissante face à cette situation ? Allait-elle insister pour demander auprès de sa hiérarchie le droit d’héberger un milicien le temps d’une nuit au sein du temple ? Ou allait-elle devenir sa complice, lui permettant de se reposer ici en cachant sa présence au reste des clercs et en taisant ce petit secret ?

La prêtresse écarquilla les yeux en voyant les différentes ecchymoses qui parcouraient le corps de milicien. Mais elle n'eut pas le temps de s'en offusquer que celui ci renonçait déjà à sa demande, l'air déçu et résigné. Il renonçait à sa demande, mais Eléanor s'était faite prendre de cours. Et puis il n'avait pas l'air bien en point.

- "Non attendez..."

Elle rattrapa la main de Marius puis rougit violemment de ce contact. Elle voulait le retenir, certes, parce que son apparente fragilité l'avait touchée. Mais elle ne voulait pas mettre autant de conviction dans sa phrase. Elle lui lâcha la main, embarrassée.

- "Je... Je suis désolée je ne voulais pas... Mais..."

Quelques instants de silence, alors que la jeune femme retrouvait son calme.

- "Vous êtes blessé mon Fils, je ne peux pas vous laisser rentrer dans un tel état à la caserne. Et je sais la plupart des miliciens bourrus et peu enclins à se laisser aller à la faiblesse, je ne voudrais pas que cela s'aggrave parce que le Temple aurait refusé de vous guérir."

Mais elle ne pouvait pas faire cela sans l'accord de la responsable. Pas alors que le soleil se couchait sur Marbrume, pas alors que la fange avait laissé une marque tellement profonde jusque dans le cœur même des habitants. Elle ne le cacherait pas. Sa présence au Temple pour la nuit serait officielle, ou elle ne se pardonnerait jamais d'avoir menti aux Trois. Un crime comme tel était passible de bannissement du Temple, et elle ne pourrit se relever d'une telle punition, d'autant que la fidélité qu'elle accordait aux Dieux lui interdisait viscéralement de le faire. Elle ne voulait même pas y songer.

- "Je vais demander une autorisation pour que vous puissiez rester cette nuit et que l'on vous apporte les soins nécessaires. Je vais tenter d'être la plus convaincante possible, mais si la prêtresse responsable vous refuse l'accès, je ne pourrais rien faire de plus.... Attendez moi ici."

Elle lui tourna le dos, marchant d'un pas rapide pour arriver le plus vite possible aux bureaux des responsables. Elle était en haut des marches de l'escalier menant au grand Hall lorsqu'elle se retourna vers Marius, l'air plus sérieuse que jamais.

- "Soyons clairs, mon Fils. Je vais faire de mon mieux mais rien n'est garanti. Si d'aventure mes paroles ne suffisaient pas à convaincre ma responsable, je ne vous cacherais pas dans le Temple et vous devrez rentrer à la caserne..."

Elle s'arrêta, réfléchissant quelques secondes.

- "Mais si cela devait arriver, alors j'aimerai tout de même que vous veniez me voir demain, histoire de m'assurer que vous êtes bien vivant!" Un dernier sourire, et elle était partie. La porte émit un claquement sourd, laissant Marius seul dans les thermes. De l'autre côté, Eléanor était bien déterminée à ce que le milicien reste pour la nuit. Il lui avait semblé que ses blessures étaient graves, même si elle n'était pas spécialiste en matière de soin. Elle marcha vivement à travers le grand Hall - vide à cette heure - ses pas raisonnant dans l'immense salle, en quête de sa responsable...

Marius avait commencé à tourner les talons, se résignant à quitter les lieux alors que tout le malheur du monde semblait reposer sur ses larges épaules.
Une main, une prise instinctive et non raisonnée.
Eleanor venait de le rattraper pour l’empêcher de faire demi-tour. Ohh… S’il n’avait pas été si proche de la jeune femme, le milicien n’aurait pas pû empêcher ses lèvres de se fendre d’un sourire amplement satisfait. Mais le garde sait se tenir, et il tournera lentement son visage vers la prêtresse en attendant une explication à son geste. Le retenir ? Mais pourquoi ?

Marius jubilait intérieurement… Son petit manège avait fonctionné et voilà qu’Eleanor s’appitoyait sur son sort, lui promettant de faire son possible pour pouvoir le garder au temple au moins pour cette nuit. Elle allait jusqu’à se mouiller personnellement pour lui, pour le préserver d’un éventuel lynchage à la caserne ou d’une aggravation de ses ‘blessures’ auprès de ses camarades de travail.
Le blond humecte légèrement ses lèvres et plonge ses pupilles dans celles de la clerc, l’air interdit et gêné.

“Merci. Vraiment.” dit-il avant d’acquiescer à sa requête.

Attendre ici le temps qu’elle aille plaider sa cause devant ses supérieurs, ça ne devrait pas être trop compliqué pour lui.
La voilà qui s’éloignait, frappant les dalles du sol d’un pas soutenu et vif pour rejoindre la partie principale du Temple et quérir sa hiérarchie.
Il n’y avait pas de temps à perdre, effectivement. Si la nuit tombait et que sa requête était rejetée, il faudrait probablement rentrer à la caserne et espérer que le couvre-feu ne soit pas encore tombé. Ce n’était pas raisonnable pour lui, et certainement pas envisageable pour la demoiselle prête à se plier en quatre pour le ‘malheureux’.

Alors qu’elle s’apprêtait à disparaître dans le hall, elle interrompit sa marche et l’appela du haut des escaliers, attirant à elle toute son attention dans un silence religieux. C’était une intervention plus froide que précédemment ce qui crispa légèrement l’échine du milicien resté en contrebas. Eleanor était jeune, certe. Bienveillante ? C’était indéniable. Mais naïve ? Non, elle ne l’était pas complètement.
Bien sûr qu’elle ne prendrait pas le risque de planquer un homme au nez de sa caste alors que la permission lui avait été refusée. C’était… mentir aux siens, et aux dieux.

Marius pince ses lèvres, cachant son inconfort derrière les volutes de vapeur et finit par faire porter sa voix à son tour :

“J’rentrerai sans rechigner, promis, j’vous poserai pas plus de problèmes Mère Eleanor.” répondit-il poliment avant de la laisser partir.

Un claquement de porte et le voilà seul dans les bains. Pour combien de temps ?
Il prendrait son mal en patience, se satisfaisant de l’implication de la jeune fille à son égard en ramassant tranquillement ses affaires. Il passerait ses braies -c’était un minimum- et sa chemise avant de récupérer sa broigne et... et son épée.
Des armes dans un Temple... Marius était parvenu à rentrer sans trop de soucis, gardant son glaive à son ceinturon pour filer directement aux thermes, évitant interactions et contacts avec qui que ce soit. Il n'avait pas croisé grand monde d'ailleurs, et c'était tant mieux. Il était venu ici pour être tranquille, pour se reposer, se détendre... laisser le poids de sa journée et la chaleur fondre dans les eaux bienfaisantes de ce lieu sacré.

Marius inspire profondément, observant sa lame d'un oeil hargneux. Ramener son équipement ici n’était pas la chose la plus intelligente qu’il ait faite jusqu’à présent… Dans un endroit si humide, son armure et son fauchon risquaient de s’abîmer plus rapidement qu’elles ne le devraient, et leur entretien n’en serait que plus chronophage. Pire encore, maintenant qu'Eleanor l'avait vu et qu'elle s'impliquait pour lui, avoir bravé l'une des règles principales du temples pourrait lui porter préjudice et lui faire perdre le semblant de confiance que la demoiselle lui accordait.

"Merde..." peste-t-il dans un grognement, observant nerveusement les environs et tendant l'oreille à l'affût d'un éventuel retour de la prêtresse.
Marius jure une deuxième fois, sent la panique monter... quel idiot... Que devait-il faire ? Jeter son arme dans l'un des bassins et feindre l'innocence ?
Se débarrasser de son épée et rentrer désarmé à la caserne ferait de lui la risée de ses acolytes, et il n'avait pas besoin de ça pour l'instant...

Le milicien se tend, cherche une explication, de quoi convaincre Eleanor et peut-être ses supérieurs de sa bonne foi et des raisons l'ayant poussé à garder son équipement jusqu'en ces lieux.

Il reste crispé, les lèvres pincées par la situation dont il commence méchamment à perdre le contrôle. Il tente de garder la face, détachant son fourreau de sa ceinture et y rangeant sa lame, prêt à la remettre aux membres du clergés si la permission de rester était accordée.

La jeune femme parcourait le Temple en long et en large pour retrouver sa responsable. Mais ou pouvait-elle bien être? Elle avait été voir dans son bureau mais il n'y avait personne. Le Hall était vide lui aussi, a part quelques prêtres chargés de nettoyer le sol. Eléanor commençait légèrement à paniquer. Comment allait-elle faire sans responsable pour prendre en charge le milicien qui était toujours dans les thermes, attendant sagement - du moins elle l'espérait - son retour. Elle ne pouvait pas prendre la responsabilité de le cacher, et de toutes façons elle voulait quand même vérifier que le jeune homme était véritablement blessé ou si ce n'était qu'un stratagème pour l'attendrir. Elle aurait voulu y croire, vraiment, elle y croyait d'ailleurs tout de même un peu, mais elle ne pouvait s'empêcher de se méfier.

C'est en passant dans un couloir qu'Eléanor tomba nez à nez avec celle qu'elle cherchait, et qui visiblement venait de sortir d'une petite porte dérobée qui menait au sous sol. Eléanor ne voulait pas savoir ce qu'elle y avait fait. Elle savait que certains prêtres pratiquaient ce qu'ils appelaient des "expériences" dans ces sous-sols et, même si elle désapprouvait, elle fermait les yeux. De toutes façons, elle était bien mal placée pour juger les agissements d'une prêtresse responsable.

- "Sœur Eléanor? Que faites vous ici à cette heure? Et que vous arrive-t-il? Vous semblez bien agitée..."
- "Ma Sœur! Je vous ai cherché partout! Pouvez vous m'accompagner jusqu'aux thermes s'il vous plait? Je vous expliquerai en chemin."
- "Euh... Bien sur mais..."
- "Ne vous en faites pas, rien de grave mais j'ai besoin de votre avis et de votre aval... S'il vous plait?"

La jeune femme trépignait légèrement, inquiète à l'idée d'arriver trop tard au cas ou il faudrait relâcher le milicien dans la nature. Elle ne voulait pas se retrouver devant le fait accompli et tenait à ce qu'il y ait une sorte d'équité entre tous les protégés du Temple. Elle ne souhaitait en aucun cas que le jeune homme se retrouve nourri, logé et soigné pendant que d'autres mourraient de faim alors qu'il n'avait aucune raison d'être là.

- "Très bien."

La prêtresse responsable suivit la jeune femme jusqu'aux thermes. Eléanor était inquiète, le jour baissait pour de bon et elle pressait le pas si bien que la prêtresse derrière avait du mal à la suivre. Le chemin du retour fut assez long pour que la jeune femme ait le temps d'expliquer à sa responsable la délicatesse de sa situation. Elle lui expliqua d'ailleurs si bien que celle-ci prit les devants, aussi pressée qu'Eléanor d'arriver aux thermes. Elle ouvrit la porte des thermes en grand, la faisant claquer sur le pauvre mur qui n'avait rien demandé, et descendit les marches presque au pas de course. Elle non plus ne voulait pas avoir à rejeter quelqu'un hors du Temple à la nuit tombée, alors que les portes étaient fermées. Eléanor suivit tant bien que mal, ne s'attendant pas à un tel engouement de la part de sa responsable.

- "Vous êtes Marius Aprechamps n'est ce pas?"

Eléanor n'osa rien dire, mais elle savait que la prêtresse était beaucoup plus directe qu'elle, d'autant que la situation s'y prêtait grandement. Mais cela l'amusa et elle se fit une petite note mentale pour se rappeler de ne pas se trouver dans les pieds de la jeune femme lorsqu'elle était énervée.

- "Montrez moi vos blessures, je vais statuer sur votre cas."

Les deux jeunes femmes ne semblaient pas avoir remarqué l'arme que portait Marius, même si Eléanor nota qu'il s'était rhabillé, ce qu'elle apprécia grandement étant donné qu'elle n'avait pas l'intention de se remettre a rougir comme une pivoine. Elle se sentit tout de même obligée d'intervenir, sentant que le jeune homme pouvait se tendre avec l'arrivée d'une femme aussi directe et beaucoup moins encline qu'Eléanor à se plier à la bienveillance.

- "Marius, je vous présente Sœur Johanna. Elle est responsable du groupe de prêtres auquel j'appartiens. C'est elle qui va décider si vous pouvez ou non rester ici pour la nuit."

Johanna était un peu plus petite qu'Eléanor, qui elle atteignait le mètre soixante dix. Elle avait des cheveux d'un blond très clair attachés en chignon serré sur le haut de son crane. Quelques rides commençaient à s'étendre sur son visage marqué par la fatigue, mais ses yeux verts marquaient plutôt à cet instant une grande détermination.

L’attente fut un poil long pour le garde resté seul dans les thermes. Il n’avait pourtant aucune crainte quant au fait qu’Eleanor reviendrait le voir d’une seconde à l’autre. Elle n’avait pas l’air du genre trop intrépide ou à prendre des risques inutils ; et le temps passait, les minutes s’écoulaient et les rapprochaient un peu plus de l’heure fatidique du couvre-feu.
Marius restait tranquille, fourreau en main à dévisager cette arme qui risquait de lui attirer quelques problèmes. La jeune prêtresse serait sans doute compréhensive, comme elle l’avait été jusqu’à présent. Elle l’avait pris en pitié, avait accepté de remuer ses supérieurs pour demander un droit à l’asile le temps d’une nuit alors… sans doute passerait-elle sur cet ‘oubli’ ?
Mais alors que le temps passe, des pas se rapprochent. Est-ce la prêtresse aux cheveux poivre et sel qui est enfin de retour ? Le garde tend l’oreille, attentif… Et se rend compte que si c’est elle, elle n’est pas seule.
Il se tend d’inconfort, les mâchoires serrées à l’idée de devoir négocier avec quelqu’un d’autre. Son petit jeu avait fonctionné sur la jeunette, mais un clerc plus expérimenté ne se ferait peut-être pas berner par son manège.
La porte claque contre le mur et voilà les deux silhouettes qui descendent vers lui. Il reconnaît Eleanor et lui jette un rapide coup d’oeil avant de porter son attention sur celle qui l’interpelle et lui demande de montrer ses ‘blessures’.

Marius a de quoi se sentir idiot ; il n’avait pas prévu que les choses se passent de cette manière et que quelqu’un d’autre ait à vérifier les dires de la jeune femme. Si ses hématomes n’avaient pas une bien jolie gueule, ils n’étaient que de ‘simples’ vestiges de coups reçus plus tôt dans la journée, rien de grave en soit. Il n’avait pas l’impression d’être particulièrement mal en point, mais cette Johanna avait-elle des compétences de guérisseuse ? Ou était-elle aussi ‘novice’ qu’Eleanor dans ce domaine ?
Si son état physique ne lui garantissait pas un ticket pour le temple, alors le guerrier miserait sur son état psychique et émotionnel. Il se tient légèrement voûté, les traits de son visage tirés et la mine pas franchement reposée.

Il opine du chef pour confirmer son identité et tend honteusement son fourreau à la jeune prêtresse, d’un air coupable et déboussolé :

“Je… J’sais pas quoi dire par rapport à ça… Y’avait personne à l’entrée alors j’suis rentré avec, je…” il fronce les sourcils et marque une pause :
“J’m’en sépare pu depuis qu’c’est arrivé.” conclut-il mollement avant de dégager sa chemise pour montrer docilement son flanc à l’autre religieuse.

Allait-il se contenter de se faire rembarrer pour une blessure trop superficielle ? Non, il allait y mettre un peu du sien pour mettre toutes les chances de son côté ! Si Johanna cherche à toucher ses côtes et la zone tuméfiée, il crisperait ses muscles et grognerait de douleur :

“J’ai pris une vilaine rouste ce matin.” explique-t-il, le regard figé sur le sol.

Johanna se pencha pour examiner l'hématome du milicien. Elle le toucha du bout des doigts pour examiner sa température. Constatant qu'il était encore chaud, la prêtresse appuya dessus un peu plus fort, enfonçant sa main plus loin sur sa peau pour voir à quel moment il grimacerait.

- "Que ressentez vous lorsque j'appuie?"

Elle n'était pas du tout concentrée sur l'arme, plus sur la blessure et ne se retourna pas quand Marius tendit son fourreau à Eléanor. Celle-ci, en revanche, afficha une mine horrifiée. Des questions sans réponse passaient à plusieurs reprises dans sa tête. Il aurait pu arriver n'importe quoi, avec elle seule et sans défense, et lui, milicien avec un arme en plein milieu du Temple. Aurait-il osé s'attaquer à elle? Elle l'avait laissé s'approcher si près, quelle imprudence. Un homme qui osait s'introduire dans ce lieu sacré avec une arme n'était pas digne de confiance. La jeune femme tendit une main tremblante vers le fourreau et le lui prit des mains rapidement. Elle avait les yeux rivés dessus, le poing serré autour de l'arme pour ne pas la lâcher à cause des tremblements. Elle ne voulait pas le montrer et baissait la tête, mais elle avait les larmes aux yeux. Elle s'en voulait de faire confiance aux gens si facilement, simplement parce qu'ils étaient fatigués ou tristes de leur situation. Elle savait pourtant que tout ceci pouvait très bien être des faux semblants, qu'elle avait été naïve. Elle aurait sans doute continué à lui faire confiance si il n'y avait pas eu cette arme. Elle s'en remettrait à ce que Johanna dirait, mais elle ne voulait plus l'approcher.

Eléanor recula lentement de quelques pas, histoire de mettre de la distance entre elle et le milicien. Une larme roula sur sa joue et tomba sur le sol devant ses sandales. Le petit "plic" résonna dans la grande salle vide. Elle se doutait qu'il aurait vu cette larme, mais elle ne voulait toujours pas le regarder.

- "Comment... Comment avez vous pu?"

Sa tête ne se redressa pas en disant ces mots. Chuchotés, presque, murmurés peut être, ils résonnèrent pourtant et se firent bien plus forts qu'escompté à ses oreilles. Sa deuxième main vint essuyer ses larmes et elle attendit les yeux grands ouverts que les picotements s'arrêtent avant de redresser la tête. Son regard était neutre mais déterminé. Elle n'avait de toutes façons plus les cartes en main pour juger de ce qu'il allait advenir au milicien, et c'était tant mieux. Elle se félicitait d'avoir eu la présence d'esprit de vouloir aller chercher Sœur Johanna. Cette responsabilité n'était plus entre ses mains mais... Le fourreau si.

- "Sœur Eléanor, allez déposer cette arme dans mon bureau, je me charge de lui."

La jeune femme sursauta. Johanna n'avait pas l'air d'être choquée ni surprise de trouver un homme avec une arme au beau milieu des thermes. Elle avait dit cela sur un ton si neutre que la jeune prêtresse se calma immédiatement. Elle s'inclina et jeta un regard méfiant au milicien avant de remonter les marches sans se retourner.

Une fois dehors, la jeune femme ne comprenait toujours pas ce qui lui était arrivé. Elle marchait vite, déterminée à se débarrasser de ce fourreau qui la dégoutait de plus en plus. Ce n'était pas sa faute, au pauvre fourreau, mais on avait l'impression qu'Eléanor voulait l'étrangler. Elle serrait tellement fort que ses phalanges étaient devenues blanches, et elle ne relâcha pas la pression avant d'être arrivée au bureau de Johanna. Elle le déposa doucement et referma la porte avant de repartir attendre dans le grand hall. Elle en profita pour adresser une longue prière aux Trois, et en particulier à Serus.

Soeur Johanna s’était rapprochée de lui pour l’ausculter, laissant à Eleanor la lourde tâche de récupérer son arme. La jeune prêtresse semblait être complètement abattue par cette découverte, perdant tous ses moyens face à ce qu’elle devait sans doute considérer comme de la trahison.

-Merde…- pensa-t-il en gardant les dents serrées. Il observe la jeune femme mais tâche de rester concentré sur le contact de sa supérieur, se crispant et grimaçant lorsque la Soeur appuyait trop fort à son goût. Il fallait feindre une blessure suffisamment importante pour justifier et autoriser sa présence au temple cette nuit. Se faire tripoter et appuyé à l’endroit de l’hématome n’était pas franchement agréable, il finit par repousser sèchement la main de la soeur lorsqu’elle le pressa un peu trop fort contre lui. Un réflexe, un grognement.

“P...Pardon.” s’excuse-t-il platement avant de la laisser reprendre, la mâchoire légèrement tremblante. Il se racla la gorge, tentant de capter le regard de la prêtresse aux cheveux poivre et sel avant qu’elle ne s’en aille.

“Vous l’avez dit vous même Eleanor. Personne sait s’battre ici.” se permet-il d’une voix rauque. Avant de laisser quelques secondes s’écouler.

“Moi si.” tranche-t-il plus froidement sans la quitter des yeux.

Les fangeux avaient fait énormément de dégâts lors de leur dernière attaque, continuer de refuser le port d’armes dans le Temple était un non-sens dans cette situation, surtout lorsqu’il s’agissait de défendre la population et tous ceux incapables de se protéger tout seul. Il y avait des malades ici, des blessés, des prêtres et des prêtresses qui pour la plupart n’avait probablement jamais reçu la moindre éducation militaire.
Et si une de ces bêtes s’était introduite ici ? Si elle avait eu autant de facilité que lui à rentrer dans ce foutu temple, que se serait-il passé ? Si elle était entrée en pleine cérémonie et avait bouffé quelques fidèles ? Ou pire ! Si elle s’était aventurée dans les bains pour y bouffer tous les baigneurs comme de délicieux croûtons laissés à patauger dans leur soupe ?
Marius n’avait pas la prétention de pouvoir tomber une de ces bêtes seul, loin de là… Mais son raisonnement lui semblait plutôt censé et suffisant, pour lui, à justifier son non désarmement ici. Est-ce qu’Eleanor allait continuer de bouder et lui en tenir rigueur ou comprendrait-elle ?

Il l’observe s’éloigner sans rien ajouter de plus, demeurant seul avec Johanna avec qui il préfère garder le silence. Il ne sait pas quoi lui dire et la situation a déjà bien trop dérapé pour en rajouter une louche. La clerc avait demandé à la plus jeune d’aller ranger son arme… Alors que les portes fermeraient bientôt ?
Cela demanderait du temps d’aller la chercher s’il ne pouvait pas rester ici pour la nuit. Un temps précieux qui menaçait de le faire sortir en plein couvre-feu. Aurait-elle pris ce risque ? Ou était-ce un bon présage pour lui ?

- "Ce n'était pas très malin."

Johanna se releva après avoir examiné la blessure quelques minutes et regarda le milicien droit dans les yeux. Elle était bien plus petite que lui et elle dut lever la tête pour cela, ce qui ne lui plaisait guère même si elle y était habituée - beaucoup de gens étaient plus grands qu'elle finalement... Elle croisa les bras et sa voix se fit légèrement plus dure.

- "Vous êtes ici dans un lieu sacré messire Aprechamps. Le port d'armes, bien que cela vous semble être une hérésie, y est interdit. Que personne ne sache se battre ici en est d'ailleurs l'une des principales raisons, après celle de ne pas offenser les Trois bien entendu."

La prêtresse attendit quelques instants, guettant une quelconque réaction négative qui pourrait lui donner une excellente excuse pour se débarrasser de cet homme un peu trop virulent à son gout. Elle plissa les yeux et fronça les sourcils.

- "Vous me paraissez être plutôt malin, milicien. En revanche, si vous avez réussi à faire flancher Eléanor, cela sera moins facile avec moi. Votre blessure n'est qu'un simple hématome qui disparaitra dans quelques jours si vous ne reprenez pas de coups à cet endroit. Cependant, votre petit jeu ne m'a pas échappé et je crois que vous cherchez surtout à rester au Temple pour la nuit par flegme et parce que vous ne voulez pas retourner dormir à la caserne. Vous n'avez plus la vitalité de vos compères et cela se voit. Vous avez d'autres hématomes un peu partout sur le corps. Vous êtes plus expérimenté et plus malin qu'eux, c'est tout ce qui est sur pour moi. Mais vous n'avez tout de même pas envie d'y retourner."

Elle soupira un grand coup. Il avait l'air de s'être un peu calmé et elle n'avait pas envie de devoir être sévère ce soir là. Elle devait avouer que le fait qu'il ne sache apparemment pas trop quoi dire avec elle ne l'arrangeait pas du tout. Elle aurait adoré le mettre dehors juste avant le couvre feu histoire de lui apprendre à remettre en cause les règles du Temple comme ça.

- "C'est votre jour de chance. Je vais vous autoriser à rester ici mais je vais mettre Eléanor à votre chevet. Cela vous donnera une occasion de vous racheter. Elle est peut être jeune mais elle n'est pas idiote, ni aussi naïve qu'on peut le croire. Elle n'a plus confiance en vous et vous allez devoir vous débrouiller tout seul si vous voulez être nourri ce soir... Bien, rhabillez vous correctement et suivez moi. Marchez comme si vous étiez réellement blessé au flanc."



Eléanor priait toujours lorsque sa prêtresse responsable sortit, accompagnée de l'homme qu'elle ne voulait voir pour absolument rien au monde. Elle eut un sursaut en entendant la porte claquer, mais ne se releva que quand elle eut terminé sa prière. Celle-ci avait réussi à la calmer et elle avait retrouvé une expression presque joyeuse, s'étant adressée à celui qu'elle aimait plus que tout. Expression joyeuse qui se ternit quelques peu lorsqu'elle vit que Sœur Johanna ne se dirigeait pas vers la grande porte avec le milicien, mais vers elle. Elle devait avouer qu'elle avait espéré, pour ne pas dire prié avec ferveur, que Johanna ne l'apprécie pas et veuille le jeter dehors. C'était raté. La prêtresse n'avait pas l'air plus en colère que cela, et le milicien avait l'air de boiter. Boiter? Il n'avait pas une blessure au flanc celui là? Enfin bon, peu lui importait à part le fait qu'il allait devoir rester ici.

- "Eléanor, vous tombez très bien."

Oups, ça ne sentait pas bon du tout ça... La jeune femme aux cheveux teintés de gris soupira. Bien sur, on allait encore lui confier une tache dont tout le monde savait très bien qu'elle ne voulait pas, et là, la tache s'appelait Marius Aprechamps...

- "Vous vous occuperez d'emmener notre ami milicien ici présent dans la pièce des malades. Vous serez chargée de vous occuper de lui cette nuit."

Faire bonne figure, c'est tout ce qu'elle pouvait faire de toutes façons...

- "Très bien, je m'en charge Sœur Johanna!" Répliqua la jeune femme en souriant. Bon, elle ne pouvait plus s'en détacher alors autant bien faire. Peut être qu'elle réussirait même à être agréable avec le milicien...

En étant resté seul avec Johanna, Marius s’était fermé comme une huître et ne mouftait plus. Il tacha de ne pas observer la prêtresse alors qu’elle l'auscultait mais fut bien contraint de reporter son attention sur elle lorsqu’elle prit la parole pour lui resserrer les vis…
L’ancien mercenaire était un homme fier, et se faire réprimander par une femme était plutôt difficile à encaisser pour lui. Mais il ne la quitta pas des yeux, ravalant son orgueil et le moindre commentaire pour éviter de se faire mettre dehors plus tôt que prévu.
Johanna le confrontait à ses mensonges et au petit jeu qu’il avait eu avec Eleanor, lui faisant bien comprendre que si la petite était naïve, elle, pour sa part, n’était pas dupe. Elle avait donc vu clair et savait que la ‘blessure’ qu’il portait au flanc n’avait pour l’instant aucun signe de gravité -à condition de se reposer et d’éviter de nouveaux coups, bien entendu-.

‘Vous n'avez plus la vitalité de vos compères et cela se voit’

Touché, et ouh que c'était douloureux.

Marius fit grincer ses dents d’agacement et de frustration face à cet affront qui lui était fait sans la moindre douceur. Il détourne ses pupilles un instant, obligé de rompre le contact visuel avec la prêtresse pour ne pas imploser et prendre le temps de digérer son commentaire.
Il était vieillissant, c’était un fait, mais l’accepter demandait plus d’énergie et d’efforts que prévus.

Est-ce qu’il avait envie de retourner à la caserne ? Evidemment que non, et Johanna l’avait bien compris.
Mais ce qu’il voulait n’avait pas franchement d’importance. Son caprice le mettait en mauvaise posture et risquait de lui faire perdre le peu de réputation qu’il avait auprès du Temple et de ses religieux. C’était mauvais pour lui, mais pire encore ; c’était mauvais pour les Siens.
Le château de cartes qu’il avait commencé à construire pour satisfaire un désir égoïste commençait à se fragiliser et menaçait de s’effondrer d’une seconde à l’autre. Il risquait à la fois de ne pas pouvoir passer la nuit ici et d’être particulièrement mal vu des membres du clergé. Mais par chance pour lui, ou peut-être parce qu’il avait eu l’intelligence de se taire et de ne pas empirer son cas, Johanna consentit à le garder ici pour la nuit. Par pitié ? Non, la mégère avait une autre idée derrière la tête. ‘Se racheter auprès d’Eleanor’, ‘mériter son repas’... peut-être que cela lui permettrait de remonter dans les petits papiers des clercs et d’effacer sa bêtise.

“Merci.” articule-t-il à l’intention de la prêtresse avant de refermer sa chemise et de caler une main contre ses côtes pour feindre la douleur.

Marius et Johanna sortirent alors des bains et vinrent à la rencontre de la jeune femme restée à prier. Le milicien imaginait bien la déception et la contrariété que devait provoquer chez elle le simple fait de le voir, et à quel point ça devait être rageant de savoir qu’il passerait la nuit ici... Et qu’elle serait en charge de lui.
Il fait profil bas, garde le silence jusqu’à ce que Johanna s’en aille et qu’il se retrouve seul avec Eleanor.
Le silence est lourd, Marius se tient à ses côtés avec le poids de la honte et de ses mensonges. Ce n’est pas agréable et il faudra bien crever l’abcès… même s’il est persuadé que la demoiselle n’a absolument pas envie de causer avec lui.

“Je suis désolé pour l’arme mère Eleanor je…” il esquisse un rictus honteux et détourne le regard avant de se mordre les lèvres. Merde, s’excuser c’était compliqué !

“J’avais oublié que je l’avais lorsque nous avons commencé à discuter. C’est quand vous êtes parti chercher votre supérieure et que je m’suis rhabillé que j’me suis rendu compte de mon erreur et... “ il semble hésiter un instant et finit par opter pour l’honnêteté, même si elle est loin d’être valorisante.

“Je savais que vous alliez pas tolérer la présence d’arme dans ces lieux sacrés, j’ai pas réfléchis en rentrant avec. Quand j’l’ai vu, bah... j’ai paniqué. J’ai paniqué à tel point que j’ai hésité à m’en débarrasser… “ Il fait une courte pause avant de se décider à poursuivre, comme un gosse à qui l’on essayait de tirer les vers du nez. “...En la jetant dans un des bassins.” avoue-t-il dans un hoquet de rire nerveux en se pinçant honteusement l'arête du nez.


“J’me suis ravisé. Vous trouverez rien dans l’eau, c’est promis.” sourit-il d’un air gêné.

“Ça m’aurait évité des ennuis si j’l’avais juste laissé couler là… Mais ça aurait pas été respectueux pour les dieux, déjà, et je leur avais déjà causé assez de torts en rentrant au temple avec…
Et puis j’voulais pas vous mentir à vous.” finit-il par glisser avant de laisser passer quelques secondes, hésitant
Présenter ses excuses, assumer ses erreurs, faire dans l’émotion… Hmmmf! Ce n’était vraiment pas son truc.

“J’vous aime bien Eleanor. Vous êtes quelqu’un de calme, de réfléchi et j’voulais pas commencer à ternir not’ relation à coups de mensonges.
Tout c’que j’vous ai dit c’était vrai. Vraiment.” insiste-t-il avant de prendre une grande inspiration. Oh, ça lui demandait beaucoup d’efforts ça...

“Je vous présente mes excuses. Pour être… rentré avec une arme alors que c’est interdit. C’était pas contre vous. C’était pas contre les dieux. C’était de la stupidité.” explique-t-il platement, les pupilles rivées sur les dalles du sol.

Eléanor n'en avait pas l'air mais elle écoutait attentivement ce que lui disait le milicien. Elle le guidait à travers le Temple, lentement parce que malgré toute la colère qu'elle pouvait éprouver, elle ne voulait pas plus blesser Marius - ça l'aurait obligé à rester plus longtemps - jusqu'aux quartiers privés ou les blessés étaient logés.

Il s'excusait, c'était déjà un grand pas. Il avait l'air d'avoir du mal, mais au moins il l'avait fait et la jeune femme ne pouvait pas le blâmer pour cela. Cependant, elle se crispa lorsqu'il lui dit qu'il avait failli jeter son arme dans l'eau des thermes en la voyant, et failli se mettre une nouvelle fois en colère. Fort heureusement, l'homme eut la présence d'esprit d'expliquer aussitôt qu'il s'était ravisé par respect pour les Trois, et cela la calma. Bon, Eléanor devait bien l'admettre, il ne lui avait pas vraiment menti lorsqu'il lui avait montré son arme. Elle avait mal réagit mais en réalité il avait même été très honnête. Pourtant, il avait quand même tenté de se justifier en disant que personne ici ne savait se battre et que cette règle était idiote. La prêtresse soupira. Elle espérait sincèrement que Soeur Johanna lui avait remonté les bretelles pour cette remarque déplacée.

La jeune femme se demandait encore que faire alors que Marius insistait inlassablement sur la véracité de ses propos. Il avait peur et il avait honte, cela se sentait à son intonation et à sa voix. Il savait qu'il avait besoin de regagner la confiance de la jeune femme, car c'était elle qui allait s'occuper de lui jusqu'au lendemain matin.

- "C'était de la stupidité."
- "Passons."

La jeune femme tourna enfin son fin visage vers le milicien et lui sourit. Sa colère n'était pas totalement envolée mais ce n'était tout simplement pas dans sa nature de se fâcher pendant longtemps. Surtout que là, elle avait pris le temps de réfléchir à ce que l'homme avait fait et dit en réalité, et elle devait bien admettre que ce n'était pas un réel affront, juste une étourderie. Elle prit une légère inspiration et fit passer quelques secondes avant d'ajouter:

- "Vous êtes milicien, vous avez l'habitude de porter une arme sur vous. Nous voyons tous les jours des gens qui oublient de retirer leur arme pour venir prier, c'est pour cela que nous mettons généralement quelqu'un à l'entrée pour vérifier. Cette fois il n'y avait personne, ce n'est pas de votre faute. Vous auriez pu y penser, mais vous ne l'avez pas fait. Alors passons."

La jeune femme, très tendue auparavant, était redevenue calme et sereine. Elle n'avait pas envie que cette mésaventure ne gâche sa soirée. Elle n'avait pas besoin de mal dormir cette nuit là, car le lendemain elle devait officier au lever du soleil. Aussi, alors que quelques minutes avant elle pensait qu'elle n'y arriverait pas, elle était redevenue agréable et souriante.